Les Petits poèmes grecs/Hésiode/La Théogonie
Les Petits poèmes grecs, Texte établi par Ernest Falconnet, Louis-Aimé Martin, Desrez, (p. 127-139).
LA THÉOGONIE[1].
Commençons (1) par invoquer les Muses de l’Hélicon (2), les Muses qui, habitant cette grande et céleste montagne, dansent d’un pas léger autour de la noire fontaine et de l’autel du puissant fils de Saturne, et baignant leurs membres délicats dans les ondes du Permesse, de l’Hippocrène et du divin Olmius, forment sur la plus haute cime de l’Hélicon des chœurs admirables et gracieux. Lorsque le sol a frémi sous leurs pieds bondissans, dans leur pieuse ardeur, enveloppées d’un épais nuage, elles se promènent durant la nuit (3) et font entendre leur belle voix en célébrant Jupiter armé de l’égide, l’auguste Junon d’Argos, qui marche avec des brodequins d’or, la fille de Jupiter, Minerve aux yeux bleus, Phébus-Apollon (4), Diane chasseresse, Neptune, qui entoure et ébranle la terre, la vénérable Thémis (5), Vénus à la paupière noire, Hébé à la couronne d’or, la belle Dioné, l’Aurore (6), le grand Soleil, la Lune splendide, Latone, Japet, l’astucieux Saturne, la Terre, le vaste Océan et la Nuit ténébreuse (7), enfin la race sacrée de tous les autres dieux immortels. Jadis elles enseignèrent à Hésiode (8) d’harmonieux accords, tandis qu’il faisait paître ses agneaux aux pieds du céleste Hélicon. Ces Muses de l’Olympe, ces filles de Jupiter, maître de l’égide, m’adressèrent ce langage pour la première fois : « Vils pasteurs, opprobre des campagnes, vous qui ne vivez que pour l’intempérance, nous savons inventer beaucoup de mensonges semblables à la vérité ; mais nous savons aussi dire ce qui est vrai, quand tel est notre désir. »
Ainsi parlèrent les éloquentes filles du grand Jupiter, et elles me remirent pour sceptre un rameau de vert laurier superbe à cueillir ; puis, m’inspirant un divin langage pour me faire chanter le passé et l’avenir, elles m’ordonnèrent de célébrer l’origine des bienheureux immortels et de les choisir toujours elles-mêmes pour objet de mes premiers et de mes derniers chants (9). Mais pourquoi m’arrêter ainsi autour du chêne ou du rocher (10) ?
Célébrons d’abord les Muses qui, dans l’Olympe, charment la grande âme de Jupiter et marient leurs accords en chantant les choses passées, présentes et futures (11). Leur voix infatigable coule de leur bouche en doux accens (12), et cette harmonie enchanteresse, au loin répandue, fait sourire (13) le palais de leur père qui lance la foudre. On entend résonner la cime de l’Olympe neigeux (14), demeure des immortels. D’abord, épanchant leur voix divine, elles rappellent l’auguste origine des dieux engendrés par la Terre et par le vaste Uranus (15), et chantent leurs célestes enfans, auteurs de tous les biens. Ensuite, célébrant Jupiter, ce père des dieux et des hommes, elles commencent et finissent par lui tous leurs hymnes et redisent combien il l’emporte sur les autres divinités par sa force et par sa puissance. Enfin, quand elles louent la race des mortels et des géans vigoureux (16), elles réjouissent dans le ciel l’âme de Jupiter, ces Muses de l’Olympe, filles du dieu qui porte l’égide. Dans la Piérie, Mnémosyne, qui régnait sur les collines d’Éleuthère, unie au fils de Saturne, mit au jour ces vierges qui procurent l’oubli des maux et la fin des douleurs. Durant neuf nuits, le prudent Jupiter, montant sur son lit sacré, coucha près de Mnémosyne, loin de tous les immortels. Après une année, les saisons et les mois ayant accompli leur cours et des jours nombreux étant révolus, Mnémosyne enfanta neuf filles animées du même esprit, sensibles au charme de la musique et portant dans leur poitrine un cœur exempt d’inquiétude ; elle les enfanta près du sommet élevé de ce neigeux Olympe où elles forment des chœurs brillans et possèdent des demeures magnifiques ; à leurs côtés se tiennent les Grâces et le Désir dans les festins, où leur bouche, épanchant une aimable harmonie, chante les lois de l’univers et les fonctions respectables des dieux. Fières de leurs belles voix et de leurs divins concerts, elles montèrent dans l’Olympe : la terre noire retentissait de leurs accords, et sous leurs pieds s’élevait un bruit ravissant tandis qu’elles marchaient vers l’auteur de leurs jours, ce roi du ciel (17), ce maître du tonnerre et de la brûlante foudre, qui, puissant vainqueur de son père Saturne, distribua équitablement à tous les dieux les emplois et les honneurs.
Voilà ce que chantaient les Muses habitantes de l’Olympe (18), les neuf filles du grand Jupiter, Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie et Calliope, la plus puissante de toutes, car elle sert de compagne aux rois vénérables. Lorsque les filles du grand Jupiter veulent honorer un de ces rois, nourrissons des cieux, dès qu’elles l’ont vu naître, elles versent sur sa langue une molle rosée, et les paroles découlent de sa bouche douces comme le miel. Tous les peuples le voient dispenser la justice avec droiture lorsqu’il apaise tout à coup un violent débat par la sagesse et l’habileté de son langage, car les rois sont doués de prudence afin que, sur la place publique, en proférant de pacifiques discours, ils fassent aisément restituer à leurs peuples tous les biens dont ils ont été insolemment dépouillés. Tandis que ce prince marche dans la ville, les citoyens, remplis d’un tendre respect, l’invoquent comme un dieu et il brille au milieu de la foule assemblée. Tel est le divin privilège que les Muses accordent aux mortels.
Les Muses et Apollon, qui lance au loin ses traits, font naître sur la terre les chantres et les musiciens ; mais les rois viennent de Jupiter. Heureux celui que les Muses chérissent ! un doux langage découle de ses lèvres. Si un mortel, l’âme déchirée par un récent malheur, s’afflige et se lamente, qu’un chantre, disciple des Muses, célèbre la gloire des premiers hommes et des bienheureux immortels habitans de l’Olympe, aussitôt l’infortuné oublie ses chagrins ; il ne se souvient plus du sujet de ses maux et les présens des vierges divines l’ont bientôt distrait de sa douleur.
Salut, filles de Jupiter, donnez-moi votre voix ravissante. Chantez la race sacrée des immortels nés de la Terre et d’Uranus couronné d’étoiles, conçus par la Nuit ténébreuse ou nourris par l’amer Pontus. Dites comment naquirent les dieux, et la terre, et les fleuves, et l’immense Pontus aux flots bouillonnans, et les astres étincelans, et le vaste ciel qui les domine ; apprenez-moi quelles divinités, auteurs de tous les biens, leur durent l’existence ; comment cette céleste race, se partageant les richesses, se distribuant les honneurs, s’établit pour la première fois dans l’Olympe aux nombreux sommets. Muses habitantes de l’Olympe, révélez-moi l’origine du monde et remontez jusqu’au premier de tous les êtres.
Au commencement exista le Chaos, puis la Terre à la large poitrine, demeure toujours sûre de tous les immortels qui habitent le faîte de l’Olympe neigeux ; ensuite le sombre Tartare, placé sous les abîmes de la terre immense ; enfin l’Amour, le plus beau des dieux, l’Amour, qui amollit les âmes, et, s’emparant du cœur de toutes les divinités et de tous les hommes, triomphe de leur sage volonté. Du Chaos sortirent l’Erèbe et la Nuit obscure (19). L’Ether et le Jour (20) naquirent de la Nuit, qui les conçut en s’unissant d’amour avec l’Erèbe. La Terre enfanta d’abord Uranus couronné d’étoiles et le rendit son égal en grandeur afin qu’il la couvrît tout entière et qu’elle offrît aux bienheureux immortels une demeure toujours tranquille ; elle créa les hautes montagnes, les gracieuses retraites des nymphes divines qui habitent les monts aux gorges profondes. Bientôt, sans goûter les charmes du plaisir, elle engendra Pontus, la stérile mer aux flots bouillonnans ; puis, s’unissant avec Uranus, elle fit naître l’Océan aux gouffres immenses, Céus (21), Créus, Hypérion, Japet, Théa, Thémis, Rhéa, Mnémosyne, Phébé à la couronne d’or et l’aimable Téthys. Le dernier et le plus terrible de ses enfans, l’astucieux Saturne, devint l’ennemi du florissant auteur de ses jours. La Terre enfanta aussi les Cyclopes (22) au cœur superbe, Brontès, Stéropès et l’intrépide Argès, qui remirent son tonnerre à Jupiter et lui forgèrent sa foudre : tous les trois ressemblaient aux autres dieux, seulement ils n’avaient qu’un œil au milieu du front et reçurent le surnom de Cyclopes, parce que cet œil présentait une forme circulaire. Dans tous les travaux éclataient leur force et leur puissance.
La Terre et Uranus eurent encore trois fils grands et vigoureux (23), funestes à nommer, Cottus, Briarée et Gygès, race orgueilleuse et terrible ! Cent bras invincibles s’élançaient de leurs épaules et cinquante têtes attachées à leurs dos s’allongeaient au-dessus de leurs membres robustes. Leur force était immense ; infatigable, proportionnée à leur haute stature. Ces enfans, les plus redoutables de tous ceux qu’engendrèrent la Terre et Uranus, devinrent dès le commencement odieux à leur père. A mesure qu’ils naissaient, loin de leur laisser la lumière du jour, Uranus les cachait dans les flancs de la terre et se réjouissait de cette action dénaturée. La Terre immense gémissait, profondément attristée, lorsque enfin elle médita une cruelle et perfide vengeance. Dès qu’elle eut tiré de son sein l’acier éclatant de blancheur, elle fabriqua une grande faulx, révéla son projet à ses enfans et, pour les encourager, leur dit, consumée de douleur :
« Mes fils ! si vous voulez m’obéir, nous vengerons l’outrage que vous fait subir votre coupable père : car il est le premier auteur d’une action indigne. »
Elle dit. La crainte s’empara de tous ses enfans ; aucun n’osa répliquer. Enfin le grand et astucieux Saturne, ayant pris confiance, répondit à sa vénérable mère :
« O ma mère ! je promets d’accomplir notre vengeance, puisque je ne respecte plus un père trop fatal : car il est le premier auteur d’une action indigne. »
À ces mots, la Terre immense ressentit une grande joie au fond de son cœur. Après avoir caché Saturne dans une embuscade, elle remit en ses mains la faulx à la dent tranchante et lui expliqua sa ruse tout entière. Le grand Uranus arriva, amenant la Nuit, et animé du désir amoureux, il s’étendit sur la Terre de toute sa longueur. Alors son fils, sorti de l’embuscade, le saisit de la main gauche, et de la droite, agitant la faulx énorme, longue, acérée, il s’empressa de couper l’organe viril de son père (24) et le rejeta derrière lui. Ce ne fut pas vainement que cet organe tomba de sa main : toutes les gouttes de sang qui en découlèrent, la Terre les recueillit, et les années étant révolues, elle produisit les redoutables Furies, les Géans monstrueux, chargés d’armes étincelantes et portant dans leurs mains d’énormes lances, enfin ces nymphes qu’on appelle Mélies sur la terre immense.
Saturne mutila de nouveau avec l’acier le membre qu’il avait coupé déjà et le lança du rivage dans les vagues agitées de Pontus : la mer le soutint longtemps, et de ce débris d’un corps immortel jaillit une blanche écume d’où naquit une jeune fille qui fut d’abord portée vers la divine Cythère et de là parvint jusqu’à Cypre entourée de flots. Bientôt, déesse ravissante de beauté, elle s’élança sur la rive, et le gazon fleurit sous ses pieds délicats. Les dieux et les hommes appellent cette divinité à la belle couronne Aphrodite, parce qu’elle fut nourrie de l’écume des mers ; Cythérée, parce qu’elle aborda Cythère ; Cyprigénie, parce qu’elle naquit dans Cypre entourée de flots, et Philommédée, parce que c’est d’un organe générateur qu’elle reçut la vie. Accompagnée de l’Amour et du beau Désir, le même jour de sa naissance, elle se rendit à la céleste assemblée. Dès l’origine, jouissant des honneurs divins, elle obtint du sort l’emploi de présider, parmi les hommes et les dieux immortels, aux entretiens des jeunes vierges, aux tendres sourires, aux innocens artifices, aux doux plaisirs, aux caresses de l’amour et de la volupté.
Le grand Uranus, irrité contre les enfans qu’il avait engendrés lui-même, les surnomma les Titans, disant qu’ils avaient étendu la main pour commettre un énorme attentat dont un jour ils devaient recevoir le châtiment. La Nuit (25) enfanta l’odieux Destin, la noire Parque et la Mort ; elle fit naître le Sommeil avec la troupe des Songes, et cependant cette ténébreuse déesse ne s’était unie à aucun autre dieu. Ensuite elle engendra Momus, le Chagrin douloureux, les Hespérides, qui par delà l’illustre Océan, gardent les pommes d’or et les arbres chargés de ces beaux fruits, les Destinées, les Parques impitoyables, Clotho, Lachésis et Atropos qui dispensent le bien et le mal aux mortels naissans, poursuivent les crimes des hommes et des dieux et ne déposent leur terrible colère qu’après avoir exercé sur le coupable une cruelle vengeance. La Nuit funeste conçut encore Némésis, ce fléau des mortels, puis la Fraude, l’Amour criminel, la triste Vieillesse, Éris au cœur opiniâtre. L’odieuse Éris fit naître à son tour le Travail importun, l’Oubli, la Faim, les Douleurs qui font pleurer, les Disputes, les Meurtres, les Guerres, le Carnage, les Querelles, les Discours mensongers, les Contestations, le Mépris des lois et Até, ce couple inséparable, enfin Horcus, si fatal aux habitans de la terre quand l’un d’eux se parjure volontairement.
Pontus engendra Nérée qui fuit le mensonge et chérit la vérité, Nérée, le plus âgé de tous ses fils : on l’appelle le vieillard à cause de sa sincérité et de sa douceur, et parce que, loin d’oublier les lois de la justice, il porte des arrêts équitables et modérés. Ce même dieu, uni avec la Terre, eut pour enfans le grand Thaumas, l’intrépide Phorcys, Céto aux belles joues et Eurybie qui renferme un cœur d’acier dans sa forte poitrine.
Nérée (26) et Doris aux beaux cheveux, cette fille du superbe fleuve Océan, engendrèrent dans la mer stérile les aimables nymphes Proto, Eucrate, Sao, Amphitrite, Eudore, Thétis, Galéné, Glaucé, Cymothoë, Spéio, Thoë, l’agréable Thalie, la gracieuse Mélite, Eulimène, Agavé, Pasythée, Erato, Eunice aux bras de rose, Doto, Ploto, Phéruse, Dynamène, Nésée, Actée, Protomédie, Doris, Panope, la belle Galatée, l’aimable Hippothoë, Hipponoë aux bras de rose, Cymodocé qui sur la sombre mer, avec Cymatolége et Amphitrite aux pieds charmans, calme sans efforts la fureur des vagues et le souffle des vents impétueux, Cyrno, Eïoné, Halimède à la belle couronne, Glauconome au doux sourire, Pontoporie, Liagore, Evagore, Laomédie, Polynome, Autonoë, Lysianasse, Evarné douée d’un aimable caractère et d’une beauté accomplie, Psamathe au corps gracieux, la divine Ménippe, Néso, Eupompe, Thémisto, Pronoë et Némertès en qui respire l’âme de son père immortel. Ainsi l’irréprochable Nérée eut cinquante filles savantes dans tous les travaux.
Thaumas (27) épousa Électre, née du profond Océan ; Électre enfanta la rapide Iris, les Harpies à la belle chevelure, Aéllo et Ocypétès qui de leurs ailes légères égalent la vitesse des vents et des oiseaux en volant sous la céleste voûte.
Céto aux belles joues donna à Phorcys (28) des filles blanches dès le berceau et appelées les Grées par les dieux immortels et par les hommes qui marchent sur la terre, Péphrédo au beau voile, Enyo au voile de pourpre, et les Gorgones (29) qui habitent par delà l’illustre Océan, vers l’empire de la Nuit, dans ces lointaines contrées, où demeurent les Hespérides à la voix sonore, les Gorgones Sthéno, Euryale et Méduse éprouvée par de cruelles souffrances. Méduse était mortelle, tandis que ses autres sœurs vivaient exemptes de vieillesse et de mort ; Neptune aux noirs cheveux s’unit avec elle dans une molle prairie, sur une couche de fleurs printanières. Lorsque Persée lui eut tranché la tête, on vit naître d’elle le grand Chrysaor et le cheval Pégase. Pégase mérita son nom parce qu’il était né près des sources de l’Océan, Chrysaor parce qu’il tenait un glaive d’or dans ses mains. Persée, quittant une terre fertile en beaux fruits, s’envola vers le séjour des immortels, et il habite le palais de Jupiter, de ce dieu prudent dont il porte le tonnerre et la foudre.
Chrysaor, uni à Callirhoë, fille de l’illustre Océan, engendra Géryon aux trois têtes ; le puissant Hercule, désarmant Géryon, lui enleva ses bœufs aux pieds flexibles dans Erythie entourée de flots, le jour où il conduisit ces animaux au large front jusque dans la divine Tirynthe, après avoir traversé la mer et immolé Orthros avec le pasteur Eurytion, dans une étable obscure, par delà l’illustre Océan.
Callirhoë, au fond d’une caverne, produisit un autre enfant monstrueux, invincible et nullement semblable aux hommes ou aux dieux, la divine Echidna au cœur intrépide, moitié nymphe aux yeux noirs et aux belles joues, moitié serpent énorme et terrible, marqué de taches diverses et nourri de chairs sanglantes dans les entrailles de la terre sacrée. Ce monstre habite un antre profond dans le creux d’un rocher, loin des hommes et des immortels : c’est là que les dieux lui assignèrent une glorieuse demeure. Renfermée dans Arime, la fatale Echidna vivait sous la terre, toujours affranchie de la vieillesse et du trépas. Typhaon, ce vent fougueux et redoutable, s’unit, dit-on, avec cette nymphe aux yeux noirs, qui, devenue enceinte, enfanta une race courageuse, d’abord Orthros, ce chien de Géryon, ensuite l’indomptable Cerbère, qu’on ne nomme qu’avec effroi, ce gardien de Pluton, ce dévorant Cerbère à la voix d’airain, aux cinquante têtes, ce monstre impudent et terrible, enfin la fatale hydre de Lerne, que nourrit Junon aux bras d’albâtre, pour assouvir son implacable haine contre Hercule ; mais ce fils de Jupiter, armé du glaive destructeur et secondé du vaillant Iolaüs, immola cette hydre, d’après les conseils de la belliqueuse Minerve. Echidna fit naître aussi la Chimère qui, exhalant des feux inextinguibles, monstre terrible, énorme, rapide, infatigable, portait trois têtes, la première d’un lion farouche, la seconde d’une chèvre, la troisième d’un dragon vigoureux ; lion par le haut de son corps, dragon par derrière, chèvre par le milieu, elle vomissait avec un bruit affreux les tourbillons d’une dévorante flamme. La Chimère succomba sous Pégase et sous le brave Bellérophon. Echidna, s’accouplant avec Orthros, engendra le Sphinx, si fatal aux enfans de Cadmus, et le lion de Némée, que Junon, auguste épouse de Jupiter, nourrit et plaça sur les hauteurs de Némée pour la perte des humains. Ce lion, qui régnait sur le Trétos, sur Némée et sur l’Apésas, ravageait les tribus des hommes ; mais il périt, dompté par le puissant Hercule.
Céto, unie d’amour avec Phorcys, eut pour dernier enfant un serpent terrible qui, dans les flancs ténébreux de la terre, garde les pommes d’or aux extrémités du monde. Telle est la race de Céto et de Phorcys.
Téthys donna à l’Océan (30) des Fleuves au cours sinueux, le Nil, l’Alphée, l’Éridan aux gouffres profonds, le Strymon, le Méandre, l’Ister aux belles eaux, le Phase, le Rhésus, l’Achéloüs aux flots argentés, le Nessus, le Rhodius, l’Haliacmon, l’Heptapore, le Granique, l’Ésépus, le divin Simoïs, le Pénée, l’Hermus, le Caïque aux ondes gracieuses, le large Sangarius, le Ladon, le Parthénius, l’Événus, l’Ardesque et le divin Scamandre. Téthys enfanta aussi la troupe sacrée de ces nymphes (31) qui, avec le roi Apollon et les Fleuves, élèvent sur la terre l’enfance des héros ; c’est Jupiter lui-même qui les chargea de cet emploi : Pitho, Admète, Ianthé, Électre, Doris, Prymno, Uranie semblable aux dieux, Hippo, Clymène, Rhodie, Callirhoë, Zeuxo, Clytie, Idye, Pasithoë, Plexaure, Galaxaure, l’aimable Dioné, Mélobosis, Thoë, la belle Polydore, Cercéis au doux caractère, Pluto aux grands yeux, Perséis, Ianire, Acaste, Zanthé, la gracieuse Pétréa, Ménestho, Europe, Métis, Eurynome, Télestho au voile de pourpre, Crisia, Asia, l’agréable Calypso, Eudore, Tyché, Amphiro, Ocyroë et Styx qui les surpasse toutes, telles sont les filles les plus antiques de l’Océan et de Téthys ; il en existe beaucoup d’autres encore, car trois mille Océanides aux pieds charmans, dispersées de toutes parts, habitent la terre et la profondeur des lacs, race illustre et divine ! Autant de Fleuves, nés de l’Océan et de la vénérable Téthys, roulent au loin leurs bruyantes ondes : il serait difficile à un mortel de rappeler tous leurs noms ; les peuples qui habitent leurs rivages peuvent seuls les connaître.
Thia, domptée par les caresses d’Hypérion, fit naître le grand Soleil, la Lune splendide et l’Aurore qui brille pour tous les hommes et pour tous les dieux habitans du vaste ciel. Eurybie, déité puissante, unie avec Créius, mit au jour le grand Astrée, Pallas et Persès qui l’emporta sur tous par son habileté. L’Aurore, déesse fécondée par un dieu, conçut Astrée, les Vents impétueux, l’agile Zéphyre, le rapide Borée et Notus. Après, cette divinité matinale enfanta Lucifer et les astres étincelans dont le ciel se couronne.
Styx (32) fille de l’Océan, unie à Pallas, fit naître dans ses palais l’Émulation, la Victoire aux pieds charmans, la Force et la Violence, ces glorieux enfans, qui n’ont pas établi loin de Jupiter leur demeure et leur séjour, qui ne marchent pas dans une seule route où ce dieu ne les conduise et qui restent incessamment auprès du terrible maître du tonnerre. Telle est la faveur que leur obtint cette incorruptible fille de l’Océan le jour où Jupiter Olympien, dieu de la foudre, appela tous les immortels dans le vaste Olympe ; il leur annonça que, reconnaissant envers tous ceux qui l’aideraient à combattre les Titans, loin de les dépouiller de leurs privilèges, il leur laisserait le rang que jusqu’alors ils avaient gardé parmi les dieux ; et même il ajouta que si l’un d’eux n’avait été ni honoré ni récompensé par Saturne, il obtiendrait les honneurs et les récompenses que son zèle lui mériterait. L’irréprochable Styx, docile aux conseils de son père, arriva la première avec ses enfans. Jupiter l’honora et la combla de dons précieux ; il voulut qu’elle présidât au grand serment des dieux et que ses enfans vécussent toujours dans son palais. Quant aux promesses faites à toutes les autres divinités, il les remplit fidèlement ; car il est tout-puissant et règne sur l’univers.
Phébé monta sur la couche désirée de Céus ; déesse fécondée par les embrassemens d’un dieu, elle enfanta la douce Latone au voile bleu, Latone qui, toujours agréable aux immortels et aux humains, apporta dès sa naissance l’allégresse dans l’Olympe. Elle engendra encore la célèbre Astérie que Persès autrefois amena dans son vaste palais pour la nommer son épouse. Devenue enceinte, Astérie donna l’existence à Hécate (33), que Jupiter, fils de Saturne, honora entre toutes les déesses : il lui accorda de glorieux privilèges et lui permit de commander sur la terre et sur la mer stérile. Déjà, sous Uranus couronné d’étoiles, elle avait obtenu cet emploi et jouissait des plus grands honneurs parmi les dieux immortels. Aujourd’hui, lorsqu’un des hommes, enfans de la terre, célèbre, selon l’usage, des sacrifices expiatoires, c’est Hécate qu’il invoque, et soudain la céleste faveur environne le suppliant dont la bienveillante déesse accueille les prières ; elle lui prodigue la richesse, car elle en a le pouvoir. Tous les privilèges partagés entre les nombreux enfans de la Terre et d’Uranus, elle seule les réunit. Le fils de Saturne ne lui a ni dérobé ni arraché aucune des prérogatives qui lui échurent sous les Titans, ces premiers dieux ; elle conserve tout entière la part d’autorité qu’elle obtint dans l’origine. Fille unique, elle n’est ni moins respectée ni moins puissante sur la terre, dans le ciel et sur la mer ; son pouvoir est encore plus vaste, parce que Jupiter l’honore. Quand elle veut favoriser un mortel, elle l’assiste avec empressement, et, selon sa volonté, elle le fait briller dans l’assemblée des peuples. Lorsque les hommes s’arment pour le combat meurtrier, c’est elle qui, à son gré, se hâte de lui accorder la victoire et de prodiguer la gloire au vainqueur. Aux jours où l’on rend la justice, elle s’assied auprès des rois vénérables. Si elle voit des rivaux lutter dans l’arène, toujours propice, elle vient les encourager et les secourir ; l’athlète vainqueur par sa force et par sa constance mérite promptement un prix magnifique, et transporté d’allégresse, couvre de gloire sa famille. Quand elle le veut, elle protège les écuyers qui montent sur les chars ; également favorable aux navigateurs qui affrontent le trajet difficile de la mer azurée, elle exauce les vœux qu’ils adressent à Hécate et au bruyant Neptune : cette illustre déesse leur procure aisément une abondante proie ou ne la leur montre que pour les en dépouiller si tel est son désir. Occupée avec Mercure à multiplier dans les étables les bœufs, les agneaux, les nombreux essaims de chèvres et de brebis à la toison épaisse, elle peut, comme il lui plaît, accroître ou diminuer les troupeaux. Rejeton unique de sa mère, elle vit comblée d’honneurs parmi tous les immortels. Le fils de Saturne la chargea encore d’élever et de nourrir les humains qui, après elle, devaient voir la lumière de l’aurore au loin étincelante. Ainsi dès le principe, elle devint la nourrice des enfans : tels sont ses nobles emplois.
Rhéa (34), amoureusement domptée par Saturne, mit au jour d’illustres enfans, Vesta , Cérès, Junon aux brodequins d’or, le redoutable Pluton qui habite sous la terre et porte un cœur inflexible, le bruyant Neptune et le prudent Jupiter, ce père des dieux et des hommes, dont le tonnerre ébranle la terre immense. Le grand Saturne dévorait ses enfans à mesure que des flancs sacrés de leur mère ils tombaient sur ses genoux ; il agissait ainsi dans la crainte qu’un autre des glorieux enfans du ciel ne possédât parmi les dieux l’autorité souveraine : car il avait appris de la Terre et d’Uranus couronné d’étoiles que, d’après l’ordre du Destin, un jour, malgré sa force, il serait vaincu par son propre fils et détrôné par les conseils du grand Jupiter. Loin de surveiller vainement son épouse, toujours habile à la tromper, il dévorait sa propre race, et Rhéa gémissait, accablée d’une douleur sans bornes. Enfin, prête à enfanter Jupiter, ce père des dieux et des hommes, elle supplia les deux auteurs de ses jours, la Terre et Uranus couronné d’étoiles, de lui suggérer le moyen de cacher la naissance de son nouveau fils et de venger la mort de tous ses enfans dévorés par l’astucieux Saturne. Prompts à exaucer les désirs de leur fille, ils lui apprirent le destin réservé au roi Saturne et à son fils magnanime ; ils l’envoyèrent à Lyctos, ville opulente de la Crète, au moment où elle allait mettre au jour le plus jeune de ses enfans, le grand Jupiter. C’est dans la vaste Crète que la Terre immense le reçut et se chargea du soin de le nourrir et de l’élever. Marchant à travers les ombres de la nuit rapide, elle le porta d’abord à Lyctos, puis, le prenant dans ses mains, elle le cacha sous une haute caverne, dans les entrailles de la terre divine, sur le mont Égée, au fond d’une épaisse forêt. Après avoir enveloppé de langes une pierre énorme, Rhéa la donna au fils d’Uranus, au puissant Saturne, ce premier roi des dieux. Saturne la saisit et l’engloutit dans ses flancs. L’insensé ! il ne prévoyait pas qu’en dévorant cette pierre, il sauvait son invincible fils qui, désormais à l’abri du péril, devait bientôt le dompter par la force de ses mains, le dépouiller de sa puissance et commander aux immortels. Cependant la vigueur et les membres superbes du jeune roi croissaient avec promptitude ; les années étant révolues, trompé par les perfides conseils de la Terre, l’astucieux Saturne rendit au jour toute sa race et succomba vaincu par la force et par l’adresse de son fils. D’abord il vomit la pierre qu’il avait dévorée la dernière et que Jupiter attacha dans la terre spacieuse, sur la divine Pytho, au milieu des gorges profondes du Parnasse, afin qu’elle devînt dans l’avenir un monument et une merveille pour les hommes. Jupiter affranchit de leurs liens douloureux tous ses oncles, enfans d’Uranus, que son père avait enchaînés dans sa démence. Ces dieux, reconnaissans d’un pareil bienfait, lui remirent ce tonnerre, ces éclairs, cette brûlante foudre que la Terre aux larges flancs avait jusqu’alors recélés. Fier de ces armes divines, Jupiter règne sur les hommes et sur les immortels.
Japet (35) épousa Clymène, cette jeune Océanide aux pieds charmans ; tous deux montèrent sur la même couche, et Clymène enfanta le magnanime Atlas (36), l’orgueilleux Ménétius, l’adroit et astucieux Prométhée et l’imprudent Epiméthée, qui dès le principe causa tant de mal aux industrieux habitans de la terre, car c’est lui qui le premier accepta pour épouse une vierge formée par l’ordre de Jupiter. Jupiter à la large vue, furieux contre l’insolent Ménétius, le plongea dans l’Erèbe, après l’avoir frappé de son brûlant tonnerre, pour châtier sa méchanceté et son audace sans mesure. Vaincu par la dure nécessité, Atlas, aux bornes de la terre, debout devant les Hespérides à la voix sonore, soutient le vaste ciel de sa tête et de ses mains infatigables. Tel est l’emploi que lui imposa le prudent Jupiter. Quant au rusé Prométhée (37), il l’attacha par des nœuds indissolubles autour d’une colonne ; puis il envoya contre lui un aigle aux ailes étendues qui rongeait son foie immortel ; il en renaissait autant durant la nuit que l’oiseau aux larges ailes en avait dévoré pendant le jour. Mais le courageux rejeton d’Alcmène aux pieds charmans, Hercule tua cet aigle, repoussa un si cruel fléau loin du fils de Japet et le délivra de ses tourmens : le puissant monarque du haut Olympe, Jupiter, y avait consenti, afin que la gloire de l’Hercule thébain se répandît plus que jamais sur la terre fertile. Dans cette idée, il honora son illustre enfant et abjura son ancienne colère contre Prométhée, qui avait lutté de ruse avec le puissant fils de Saturne. En effet, lorsque les dieux et les hommes (38) se disputaient dans Mécone, Prométhée, pour tromper la sagesse de Jupiter, exposa à tous les yeux un bœuf énorme qu’il avait divisé à dessein. D’un côté, il renferma dans la peau les chairs, les intestins et les morceaux les plus gras, en les enveloppant du ventre de la victime ; de l’autre, il disposa avec une perfide adresse les os blancs qu’il recouvrit de graisse luisante. Le père des dieux et des hommes lui dit alors : « Fils de Japet, ô le plus illustre de tous les rois (39), ami ! avec quelle inégalité tu as divisé les parts ! »
Quand Jupiter, doué d’une sagesse impérissable, lui eut adressé ce reproche, l’astucieux Prométhée répondit en souriant au fond de lui-même (car il n’avait pas oublié sa ruse ingénieuse) : « Glorieux Jupiter ! ô le plus grand des dieux immortels, choisis entre ces deux portions celle que ton cœur préfère. »
A ce discours trompeur, Jupiter, doué d’une sagesse impérissable, ne méconnut point l’artifice ; il le devina (40) et dans son esprit forma contre les humains de sinistres projets qui devaient s’accomplir. Bientôt de ses deux mains il écarta la graisse éclatante de blancheur ; il devint furieux, et la colère s’empara de son âme tout entière quand, trompé par un art perfide, il aperçut les os blancs de l’animal. Depuis ce temps, la terre voit les tribus des hommes brûler en l’honneur des dieux les blancs ossemens des victimes sur les autels parfumés. Jupiter qui rassemble les nuages, s’écria enflammé d’une violente colère : « Fils de Japet, ô toi que nul n’égale en adresse, ami ! tu n’as pas oublié tes habiles artifices. » Ainsi, dans son courroux, parla Jupiter, doué d’une sagesse impérissable. Dès ce moment, se rappelant sans cesse la ruse de Prométhée, il n’accorda plus le feu inextinguible aux hommes infortunés qui vivent sur la terre. Mais le noble fils de Japet, habile à le tromper, déroba un étincelant rayon de ce feu et le cacha dans la tige d’une férule. Jupiter qui tonne dans les cieux, blessé jusqu’au fond de l’âme, conçut une nouvelle colère lorsqu’il vit parmi les hommes la lueur prolongée de la flamme, et voilà pourquoi il leur suscita soudain une grande infortune. D’après la volonté du fils de Saturne, le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, forma avec de la terre une image semblable à une chaste vierge. Minerve aux yeux bleus s’empressa de la parer et de la vêtir d’une blanche tunique. Elle posa sur le sommet de sa tête un voile ingénieusement façonné et admirable à voir ; puis elle orna son front de gracieuses guirlandes tressées de fleurs nouvellement écloses et d’une couronne d’or que le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, avait fabriquée de ses propres mains par complaisance pour le puissant Jupiter. Sur cette couronne, ô prodige ! Vulcain avait ciselé les nombreux animaux que le continent et la mer nourrissent dans leur sein ; partout brillait une grâce merveilleuse, et ces diverses figures paraissaient vivantes. Quand il eut formé, au lieu d’un utile ouvrage, ce chef-d’œuvre funeste, il amena dans l’assemblée des dieux et des hommes cette vierge orgueilleuse des ornemens que lui avait donnés la déesse aux yeux bleus, fille d’un père puissant. Une égale admiration transporta les dieux et les hommes dès qu’ils aperçurent cette fatale merveille si terrible aux humains ; car de cette vierge est venue la race des femmes au sein fécond, de ces femmes dangereuses, fléau cruel vivant parmi les hommes et s’attachant non pas à la triste pauvreté, mais au luxe éblouissant. Lorsque, dans leurs ruches couronnées de toits, les abeilles nourrissent les frelons, qui ne participent qu’au mal, depuis le lever du jour jusqu’au soleil couchant, ces actives ouvrières composent leurs blanches cellules, tandis que renfermés au fond de leur demeure, les lâches frelons dévorent le fruit d’un travail étranger : ainsi Jupiter, ce maître de la foudre, accorda aux hommes un fatal présent en leur donnant ces femmes, complices de toutes les mauvaises actions.
Voici encore un autre mal qu’il leur envoya au lieu d’un bienfait. Celui qui, fuyant l’hymen et l’importune société des femmes, ne veut pas se marier et parvient jusqu’à la triste vieillesse, reste privé de soins ; et s’il ne vit pas dans l’indigence, à sa mort, des parens éloignés se divisent son héritage (41). Si un homme subit la destinée du mariage, quoiqu’il possède une femme pleine de chasteté et de sagesse, pour lui le mal lutte toujours avec le bien. Mais s’il a épousé une femme vicieuse, tant qu’il respire, il porte dans son cœur un chagrin sans bornes, une douleur incurable. On ne peut donc ni tromper la prudence de Jupiter ni échapper à ses arrêts. Le fils de Japet lui-même, l’innocent Prométhée n’évita point sa terrible colère ; mais, vaincu par la nécessité, malgré sa vaste science, il languit enchaîné par un lien cruel.
Saturne, irrité dans son âme contre Briarée, Cottus et Gygès, s’empressa de les attacher par une forte chaîne, bien qu’il admirât leur audace extraordinaire, leur beauté et leur haute stature ; il les renferma dans la terre aux larges flancs. Là, en des lieux reculés, aux extrémités de cette terre immense, ils souffraient un sort rigoureux et gémissaient, le cœur en proie à une grande tristesse ; mais Jupiter et les autres dieux immortels que Rhéa aux beaux cheveux avait conçus de Saturne, les rendirent à la clarté du jour, d’après les conseils de la Terre. En effet, la Terre, par de longs discours, leur fit comprendre qu’avec ces guerriers ils obtiendraient la victoire et une gloire éclatante. Longtemps éprouvés par de pénibles travaux les dieux Titans et les enfans de Saturne (42) se livrèrent entre eux de terribles batailles. Du haut de l’Othrys les glorieux Titans, du faîte de l’Olympe, les dieux auteurs de tous les biens, les dieux que Rhéa aux beaux cheveux avait engendrés en s’unissant à Saturne, continuèrent leur sanglante lutte durant dix années entières. Cette funeste guerre n’avait ni terme ni relâche, et l’avantage flottait égal entre les deux partis. Enfin, Jupiter, dans un riche festin, prodigua à ses défenseurs le nectar et l’ambroisie dont se nourrissent les dieux même ; leur généreux courage se réchauffa dans toutes leurs âmes ; quand le nectar et la douce ambroisie les eurent rassasiés, le père des dieux et des hommes leur adressa ces paroles :
« Ecoutez-moi, nobles enfans de la Terre et d’Uranus, je vous dirai ce que mon cœur m’inspire. Déjà, depuis trop longtemps, animés les uns contre les autres, nous combattons chaque jour pour la victoire et pour l’empire, les dieux Titans et nous tous qui sommes nés de Saturne. Dans ces combats meurtriers, opposés aux Titans, montrez-leur votre force redoutable et vos mains invincibles. Fidèles au souvenir d’une douce amitié, songez qu’après de longues souffrances, affranchis par notre sagesse d’une chaîne cruelle, vous êtes remontés d’un abîme de ténèbres à la lumière du jour. »
Il dit. L’irréprochable Cottus répliqua en ces termes : « Dieu respectable ! tu ne nous apprends rien de nouveau. Nous aussi, nous savons combien tu l’emportes en sagesse et en intelligence. Tu as repoussé loin des immortels une horrible calamité. C’est grâce à ta prudence que nous avons été arrachés de notre obscure prison et délivrés de nos fers douloureux, ô roi, fils de Saturne ! après avoir enduré des tourmens inouïs. Maintenant donc, remplis d’une sage et ferme volonté, nous t’assurerons l’empire dans cette guerre terrible, en bravant les Titans au milieu des ardentes batailles. »
Il dit. Les dieux, auteurs de tous les biens, approuvèrent ce discours, et leur cœur brûla pour la guerre d’un désir plus violent que jamais. Dans ce jour, un grand combat s’engagea entre tous les dieux et toutes les déesses, entre les Titans et les enfans de Saturne que Jupiter tira des abîmes souterrains de l’Erèbe, pour les rappeler à la lumière, armée formidable, puissante, douée d’une force prodigieuse. Ces guerriers avaient chacun cent bras qui s’élançaient de leurs épaules, et cinquante têtes, attachées à leur dos, planaient sur leurs membres robustes. Opposés aux Titans dans cette guerre désastreuse, tous portaient dans leurs fortes mains d’énormes rochers. De l’autre côté, les Titans, pleins d’ardeur, affermissaient leurs phalanges. Les deux partis déployaient leur audace et la vigueur de leurs bras. Un horrible fracas retentit sur la mer immense. La terre poussa de longs mugissemens ; le vaste ciel gémit au loin ébranlé, et tout le grand Olympe trembla, secoué jusqu’en ses fondemens par le choc des célestes armées. Le ténébreux Tartare entendit parvenir dans ses abîmes l’épouvantable bruit de la marche des dieux, de leurs tumultueux efforts et de leurs coups violens. Ainsi les deux troupes ennemies lançaient l’une sur l’autre mille traits douloureux ; tandis que chacune s’encourageait à l’envi, leurs clameurs montaient jusqu’au ciel étoilé et de grands cris retentissaient dans cette mêlée terrible.
Alors Jupiter n’enchaîna plus son courage ; son âme se remplit soudain d’une bouillante ardeur, et il déploya sa force tout entière. S’élançant des hauteurs du ciel et de l’Olympe, il s’avançait armé de feux étincelans ; les foudres, rapidement jetées par sa main vigoureuse, volaient au milieu du tonnerre et des éclairs redoublés et roulaient au loin une divine flamme. La terre féconde mugissait partout consumée et les vastes forêts pétillaient dans ce grand incendie. Le monde s’embrasait ; on voyait bouillonner les flots de l’océan et la mer stérile. Une brûlante vapeur enveloppait les Titans terrestres ; la flamme immense s’élevait dans l’air céleste, et les yeux des plus braves guerriers étaient aveuglés par l’éblouissant éclat de la foudre et du tonnerre. Le vaste incendie envahit le chaos. Les regards semblaient voir, les oreilles semblaient entendre encore ce désordre qui agita le monde dans ces temps où la terre et le ciel élevé s’entre-choquaient avec un épouvantable fracas, lorsque la terre allait périr et que le ciel cherchait à la détruire en l’écrasant, tant ces dieux rivaux faisaient partout retentir un belliqueux tumulte !
Tous les vents, déchaînant leur rage, soulevaient des tourbillons de poussière mêlés au tonnerre, aux éclairs et à l’ardente foudre, traits enflammés du grand Jupiter ; ils répandaient au milieu des deux armées le bruit et les clameurs. Cette effroyable lutte continuait avec un fracas immense. Partout se déployait une égale vigueur. La victoire se déclara enfin. Jusqu’alors l’un et l’autre partis, en s’attaquant, avaient montré le même courage dans cette violente bataille ; mais, habiles à soutenir aux premiers rangs un combat acharné, Cottus, Briarée et Gygès, insatiables de carnage, de leurs mains vigoureuses lancèrent coup sur coup trois cents rochers, ombragèrent les Titans d’une nuée de flèches, et, vainqueurs de ces superbes ennemis, les précipitèrent tout chargés de douloureuses chaînes sous les abîmes de la terre aux larges flancs, aussi loin que le ciel s’élève au-dessus de la terre : car un même espace s’étend depuis la terre jusqu’au sombre Tartare. Une enclume d’airain, en tombant du ciel, roulerait neuf jours et neuf nuits, et ne parviendrait que le dixième jour à la terre ; une enclume d’airain, en tombant de la terre, roulerait également neuf jours et neuf nuits et ne parviendrait au Tartare que le dixième jour. Cet affreux abîme est environné d’une barrière d’airain ; autour de l’ouverture la nuit répand trois fois ses ombres épaisses ; au-dessus reposent les racines de la terre et les fondemens de la mer stérile (43). Là, par l’ordre de Jupiter qui rassemble les nuages, les dieux Titans languissent cachés dans les ténèbres, au fond d’un gouffre impur, aux extrémités de la terre lointaine. Cette prison n’offre point d’issue ; Neptune y posa des portes d’airain ; des deux côtés un mur l’environne. Là demeurent Gygès, Cottus et le magnanime Briarée, fidèles gardiens placés par Jupiter, ce maître de l’égide. Là sont tracées avec ordre les premières limites de la sombre terre, du ténébreux Tartare, de la stérile mer et du ciel étoilé (44), limites fatales, impures, abhorrées même par les dieux ! gouffre immense ! Le mortel qui oserait en franchir les portes, ne pourrait au bout d’une année en toucher le fond ; il serait entraîné çà et là par une tempête que remplacerait une tempête plus affreuse encore. Ce prodigieux abîme fait horreur aux dieux immortels. C’est là que le terrible palais de la Nuit obscure s’élève couvert de noirs et épais nuages. Debout à l’entrée, le fils de Japet soutient vigoureusement le vaste ciel de sa tête et de ses mains infatigables. Le Jour et la Nuit, s’appelant mutuellement, franchissent tour à tour le large seuil d’airain ; l’un entre, l’autre sort, et jamais ce séjour ne les rassemble tous les deux. Sans cesse l’un plane au dehors sur l’immensité de la terre, et l’autre, dans l’intérieur du palais, attend que l’heure de son départ soit arrivée. Le Jour dispense aux mortels la lumière au loin étincelante, et la Nuit funeste, revêtue d’un sombre nuage, porte dans ses mains le Sommeil, frère de la Mort. Là demeurent les enfans de la Nuit obscure, le Sommeil et la Mort (45), divinités terribles que le soleil resplendissant n’éclaire jamais de ses rayons, soit qu’il monte vers le ciel, soit qu’il en redescende. Le Sommeil parcourt la terre et le vaste dos de la mer en se montrant toujours paisible et doux pour les humains. Mais la Mort a un cœur de fer ; une âme impitoyable respire dans sa poitrine d’airain ; le premier homme qu’elle a saisi, elle ne le lâche pas, et elle est odieuse même aux immortels.
Près de là se dressent les demeures retentissantes du puissant Pluton, dieu des enfers, et de la terrible Proserpine ; la porte en est confiée à la garde d’un chien hideux et cruel ; cet animal, par une méchante ruse, caresse tous ceux qui entrent en agitant sa queue et ses deux oreilles, mais il ne les laisse plus sortir, et les épiant avec soin, il dévore quiconque veut repasser le seuil du puissant Pluton et de la terrible Proserpine.
Là demeure encore la fille aînée de l’Océan au rapide reflux, la formidable Styx (46), reine abhorrée des immortels ; le beau palais qu’elle habite loin des autres dieux, s’élève couronné de rocs énormes et soutenu par des colonnes d’argent qui montent vers le ciel. Quelquefois la fille de Thaumas, Iris aux pieds légers, vole, messagère docile, sur le vaste dos de la mer lorsqu’une rivalité ou une dispute règne parmi les dieux. Si l’un des habitans de l’Olympe s’est rendu coupable d’un mensonge, Iris, envoyée par Jupiter pour consacrer le grand serment des dieux, va chercher au loin dans une aiguière d’or cette onde fameuse qui descend, toujours froide, du sommet d’une roche élevée. La plupart des flots du Styx, jaillissant de leur source sacrée, coulent sous les profondeurs de la terre immense, dans l’ombre de la nuit et deviennent un bras de l’Océan. La dixième partie en est réservée au serment : les neuf autres, serpentant autour de la terre et du vaste dos de la plaine liquide, vont se jeter dans la mer en formant mille tourbillons argentés, tandis que l’eau qui tombe du rocher sert au châtiment des dieux. Si l’un des immortels qui habitent le faîte du neigeux Olympe se parjure en répandant les libations, il languit pendant toute une année, privé du souffle de la vie ; ne savoure plus ni l’ambroisie ni le nectar, et reste étendu sur sa couche sans respiration, sans parole, plongé dans un fatal engourdissement. Lorsque, après une grande année, sa maladie a terminé son cours, il est condamné à des tourmens nouveaux : durant neuf années entières, il vit séparé des dieux immortels, sans jamais se mêler à leurs conseils ou à leurs banquets ; à la dixième année seulement il rentre dans l’assemblée de ces dieux habitans de l’Olympe. Ainsi les dieux consacrèrent au serment l’onde incorruptible du Styx, cette onde antique qui traverse des lieux hérissés de rochers.
Là sont tracées avec ordre les premières limites de la sombre terre, du ténébreux Tartare, de la stérile mer et du ciel étoilé, limites fatales, impures, abhorrées même par les dieux ! Là, on voit des portes de marbre et un seuil d’airain, inébranlable, appuyé sur des bases profondes et construit de lui-même. A l’entrée, loin de tous les dieux, demeurent les Titans, par delà le sombre chaos ; mais les illustres défenseurs de Jupiter, maître de la foudre, Cottus et Gygès habitent un palais aux sources de l’Océan. Quand au valeureux Briarée, le bruyant Neptune en a fait son gendre ; il lui a donné pour épouse sa fille Cymopolie. Lorsque Jupiter eut chassé du ciel les Titans, la vaste Terre, s’unissant au Tartare, grâce à Vénus à la parure d’or, engendra Typhoë, le dernier de ses enfans : les vigoureuses mains de ce dieu puissant travaillaient sans relâche et ses pieds étaient infatigables ; sur ses épaules se dressaient les cent têtes d’un horrible dragon, et chacune dardait une langue noire ; des yeux qui armaient ces monstrueuses têtes, jaillissait une flamme étincelante à travers leurs sourcils ; toutes, hideuses à voir, proféraient mille sons inexplicables et quelquefois si aigus que les dieux même pouvaient les entendre, tantôt la mugissante voix d’un taureau sauvage et indompté, tantôt le rugissement d’un lion au cœur farouche, souvent, ô prodige! les aboiemens d’un chien ou des clameurs perçantes dont retentissaient les hautes montagnes. Sans doute le jour de la naissance de Typhoë aurait été témoin d’un malheur inévitable ; il aurait usurpé l’empire sur les hommes et sur les dieux si leur père souverain n’eût tout à coup deviné ses projets. Jupiter lança avec force son rapide tonnerre qui fit retentir horriblement toute la terre, le ciel élevé, la mer, les flots de l’océan et les abîmes les plus profonds. Quand le roi des dieux se leva, le grand Olympe chancela sous ses pieds immortels (47) ; et la terre gémit. La sombre mer fut envahie à la fois par le tonnerre et par la foudre, par le feu que vomissait le monstre, par les tourbillons des vents enflammés et par les éclairs au loin resplendissans. Partout bouillonnaient la terre, le ciel et la mer ; sous le choc des célestes rivaux, les vastes flots se brisaient contre leurs rivages ; un irrésistible ébranlement secouait l’univers. Le dieu qui règne sur les morts des enfers, Pluton s’épouvanta (48), et les Titans, renfermés dans le Tartare autour de Saturne, frissonnèrent en écoutant ce bruit interminable et ce terrible combat. Enfin Jupiter, rassemblant toutes ses forces, s’arma de sa foudre, de ses éclairs et de son tonnerre étincelant, s’élança du haut de l’Olympe sur Typhoë, le frappa et réduisit en poudre les énormes têtes de ce monstre effrayant qui, vaincu par ses coups redoublés, tomba mutilé, et dans sa chute fit retentir la terre immense. La flamme s’échappait du corps de ce géant foudroyé dans les gorges d’un mont escarpé et couvert d’épaisses forêts. La vaste terre brûlait partout enveloppée d’une immense vapeur ; elle se consumait, comme l’étain échauffé par les soins des jeunes forgerons dans une fournaise à la large ouverture, ou comme le fer, le plus solide des métaux, dompté par le feu dévorant dans les profondeurs d’une montagne, lorsque Vulcain, sur la terre sacrée, le travaille de ses habiles mains : ainsi la terre fondait, embrasée par la flamme étincelante. Jupiter plongea avec douleur Typhoë dans le vaste Tartare.
De Typhoë (49) naquirent les humides Vents, excepté Notus, Borée et l’agile Zéphyre : Ces trois vents issus d’une divine race, prêtent un grand secours aux humains ; les autres, entièrement inutiles, agitent la mer, se précipitent sur ses sombres vagues et causent des maux nombreux aux mortels en excitant de violens orages. Tantôt, soufflant de tous les côtés, ils dispersent les navires et font périr les matelots : alors il ne reste plus d’espoir de salut aux infortunés qui les rencontrent sur la mer ; tantôt, déchaînés sur l’immensité de la terre fleurie, ils détruisent les brillans travaux des hommes nés de son sein en les couvrant d’une poussière épaisse et d’une paille aride.
(50) Quand les bienheureux immortels, après avoir courageusement combattu pour l’empire contre les Titans, eurent terminé cette guerre pénible, ils engagèrent, d’après les conseils de la Terre, Jupiter Olympien à la large vue, à saisir le pouvoir et à commander aux dieux. Jupiter leur distribua les honneurs avec équité. Ce roi des immortels choisit pour première épouse Métis (51), la plus sage de toutes les filles des dieux et des hommes. Mais lorsque Métis fut sur le point d’accoucher de Minerve, déesse aux yeux bleus, Jupiter, l’abusant par de flatteuses paroles, la renferma dans ses propres flancs, selon les conseils de la Terre et d’Uranus couronné d’étoiles, qui voulaient empêcher qu’au lieu de Jupiter, un autre des dieux immortels s’emparât de l’autorité souveraine ; car, suivant l’arrêt du destin, Métis devait lui donner des enfans fameux par leur sagesse : d’abord la vierge aux yeux bleus, Minerve Tritogénie, égale à son père en force et en prudence, puis un fils qui, rempli d’un superbe courage, deviendrait le roi des dieux et des mortels. Jupiter prévint un tel malheur en cachant Métis dans ses flancs, afin que cette déesse lui procurât la connaissance du bien et du mal.
Ensuite il épousa la brillante Thémis ; Thémis enfanta les Heures, Eunomie, Dicé, la florissante Irène, qui veillent sur les ouvrages des humains, et les Parques, comblées par Jupiter des plus rares honneurs, Clotho, Lachésis et Atropos, qui dispensent aux hommes et les biens et les maux. La fille de l’Océan, Eurynome, douée d’une beauté ravissante, conçut de Jupiter trois Grâces aux belles joues, Aglaia, Euphrosyne et l’aimable Thalie. L’amour, qui amollit les âmes, semble émaner de leurs paupières, et leurs yeux ont des regards pleins de charmes.
Cérès, cette nourrice du monde, laissa Jupiter entrer dans sa couche et engendra Proserpine aux bras d’albâtre, Proserpine que Pluton ravit à sa mère et que le prudent Jupiter lui permit de posséder.
Jupiter aima encore Mnémosyne à la belle chevelure, qui enfanta les neuf Muses aux bandelettes d’or, les Muses sensibles aux plaisirs des festins et aux douceurs du chant.
Latone (52), unie d’amour avec le maître de l’égide, fit naître Apollon et Diane chasseresse, ces deux enfans les plus aimables de tous les habitans du ciel.
Enfin Jupiter eut pour dernière épouse l’éclatante Junon, qui mit au jour Hébé, Mars et Ilithye après avoir partagé la couche du roi des dieux et des hommes. Mais il fit sortir de sa propre tête Tritogénie aux yeux bleus, cette terrible Pallas, ardente à exciter le tumulte, habile à guider les armées, toujours infatigable, toujours digne de respect, toujours avide de clameurs, de guerres et de combats.
Junon, sans s’unir à son époux, mais luttant de pouvoir avec lui, après de laborieux efforts, enfanta l’illustre Vulcain, le plus industrieux de tous les habitans de l’Olympe.
D’Amphitrite et du bruyant Neptune naquit le grand et vigoureux Triton, dieu redoutable qui, dans les profondeurs de la mer, habite un palais d’or auprès de sa mère chérie et du roi son père.
Épouse du dieu Mars qui brise les boucliers, Cythérée engendra la Fuite et la Terreur, divinités funestes qui dispersent les épaisses phalanges des héros et parmi les horreurs de la guerre secondent la fureur de Mars, ce destructeur des Villes ; elle enfanta aussi Harmonie (53), que le magnanime Cadmus choisit pour épouse.
La fille d’Atlas, Maïa (54), montant sur la couche sacrée de Jupiter, lui donna le glorieux Mercure, héraut des immortels.
Sémélé, fille de Cadmus, fécondée par les embrassemens de Jupiter, quoique mortelle, engendra un dieu, le célèbre Bacchus (55) qui répand au loin l’allégresse ; tous les deux maintenant jouissent des célestes honneurs.
Alcmène, unie d’amour avec Jupiter qui rassemble les nuages, donna l’existence au puissant Hercule.
Le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, eut pour brillante épouse Aglaia (56), la plus jeune des Grâces.
Bacchus aux cheveux d’or épousa la fille de Minos, la blonde Ariane, que le fils de Saturne affranchit de la vieillesse et de la mort.
L’intrépide enfant d’Alcmène aux pieds charmans, le puissant Hercule, délivré de ses pénibles travaux, choisit pour chaste épouse dans l’Olympe neigeux Hébé, cette fille du grand Jupiter et de Junon aux brodequins d’or. Heureux enfin, après avoir accompli d’éclatans exploits, il est admis au rang des dieux, et tous ses jours s’écoulent exempts de malheurs et de vieillesse.
La glorieuse fille de l’Océan, Perseïs donna au Soleil infatigable Circé et le monarque Éétès.
Éétès, fils du Soleil qui éclaire les mortels, épousa, d’après le conseil des dieux, Idye aux belles joues, cette fille du superbe fleuve Océan, Idye, qui, domptée par ses amoureuses caresses, grâce à Vénus à la parure d’or, enfanta Médée aux pieds charmans.
Recevez maintenant mes adieux, habitans des demeures de l’Olympe, dieux des îles, de la terre et de la mer aux flots salés. Et vous, Muses harmonieuses, vierges de l’Olympe, filles de Jupiter maître de l’égide, chantez (57) ces déesses qui, reposant dans les bras des mortels, donnèrent le jour à des enfans semblables aux dieux.
Cérès (58), divinité puissante, goûta les charmes de l’amour avec le héros Iasius au sein d’un champ labouré trois fois, dans la fertile Crète ; là elle engendra le bienfaisant Plutus qui, parcourant l’immensité de la terre et le vaste dos de la mer, prodigue au mortel que le hasard amène sous sa main, l’abondance, la richesse et la prospérité.
Harmonie, la fille de Vénus à la parure d’or, conçut de Cadmus Ino, Sémélé, Agavé aux belles joues, Autonoë qu’épousa Aristée à l’épaisse chevelure ; elle enfanta aussi Polydore dans Thèbes couronnée de beaux remparts.
Callirhoë, fille de l’Océan, goûtant avec le magnanime Chrysaor les plaisirs de Vénus à la parure d’or, engendra le plus robuste de tous les mortels, Géryon qu’immola le puissant Hercule pour ravir ses bœufs aux pieds flexibles dans Erythie entourée de flots.
L’Aurore donna à Tithon Memnon au casque d’airain, roi de l’Éthiopie et le monarque Hémathion. Elle conçut de Céphale un illustre enfant, l’intrépide Phaéton, homme semblable aux dieux. Phaéton, encore paré des tendres fleurs de la brillante jeunesse, ne pensait qu’aux jeux de son âge, lorsque Vénus, amante des plaisirs, l’enleva, l’établit nocturne gardien de ses temples sacrés et lui accorda les honneurs divins.
Docile aux conseils des dieux immortels, le fils d’Éson (59) enleva la fille d’Éétès, de ce monarque nourrisson de Jupiter, lorsqu’il eut accompli les nombreux et pénibles travaux que lui avait imposés le grand roi Pélias, ce roi orgueilleux, insolent, impie et criminel. Vainqueur enfin, après de longues souffrances, il revint dans Iolchos, amenant sur son léger navire cette vierge aux yeux noirs, dont il fit sa charmante épouse. Bientôt, amoureusement domptée par Jason, ce pasteur des peuples, elle mit au jour Médus que Chiron, ce rejeton de Phillyre, éleva sur les montagnes. Ainsi s’accomplissait la volonté du grand Jupiter.
La fille de Nérée, ce vieillard marin, Psamathe, déesse puissante, enfanta Phocus après s’être unie d’amour avec Éacus, grâce à Vénus à la parure d’or.
Fécondée par Pélée, la divine Thétis aux pieds d’argent fit naître un guerrier formidable, Achille au cœur de lion.
Cythérée à la belle couronne donna l’existence à Énée lorsqu’elle eût goûté les plaisirs de l’amour avec le héros Anchise sur le faîte ombragé de l’Ida aux nombreux sommets.
Circé, fille du Soleil, né d’Hypérion, unie au patient Ulysse, engendra Agrius et l’irréprochable, le vigoureux Latinus ; elle enfanta encore Télégonus, grâce à Vénus à la parure d’or ; et ces héros, dans la retraite lointaine des îles sacrées, régnèrent sur tous les illustres Tyrréniens.
Calypso, déité puissante, unie d’amour avec Ulysse, eut pour fils Nausithoüs et Nausinoüs.
Telles sont les déesses qui, dormant dans les bras des mortels, donnèrent le jour à des enfans semblables aux dieux. Maintenant chantez la race des femmes illustres (60), ô Muses harmonieuses, vierges de l’Olympe, filles de Jupiter maître de l’égide !
- ↑ Toutes les notes auxquelles nous renvoyons dans les œuvres d’Hésiode se trouvent à la fin du volume.