Les épis (LeMay)/10

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Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 36-38).


Chez nous


Aux colons français


Quand nos pères quittaient leurs antiques domaines,
Pour chercher le bonheur sur des rives lointaines,
Ils semblaient perdus. Cependant
Ce ne fut pas alors une folle équipée.
Ils conquirent bientôt, par la croix et l’épée,
Leur part du sol de l’Occident.

Nous avons conservé, malgré des jours néfastes,
Leurs foyers et leurs noms. Nous taillons des champs vastes
Où le soleil dore les blés.
Le vin ne verse pas ses rubis en cascades,
Mais la fontaine dort sous de fraîches arcades,
Et nos vœux sont vite comblés.


Que le roc sous la vague ait des clameurs d’enclume,
Que l’aviron s’enfonce au fleuve blanc d’écume,
Ou dans l’azur des flots dormants,
Partout où l’Indien promenait sa pirogue,
Sans fatigue et sans peur notre nacelle vogue
Au rythme des couplets Normands.

Nos coquettes cités ont de vivantes rues.
Nos plaines sont sans borne, et le fer des charrues
Ouvre des chemins aux moissons.
Notre fleuve est immense et sa rive est féconde.
Quelle écharpe d’argent pourrait draper le monde
Comme ses flots pleins de frissons !

L’hiver, le ciel est gris, mais les plaines sont blanches ;
Bien des arbres sont nus, mais l’hermine des branches
N’a d’égale sur nul manteau.
Tous les nids sont muets, mais le vent chante aux cimes,
Sur la neige les pieds crissent comme des limes,
Et le cœur bat comme un marteau.

Quand le soleil se lève, au fond des forêts vierges
On voit flamber soudain, comme d’immenses cierges,
Les pins dentelés de verglas ;

Le vaillant bûcheron recommence sa tâche,
Et la hache d’acier qui frappe sans relâche,
Vieilles forêts, tinte vos glas.

Sur nos paisibles bords venez avant les autres,
Nos pères valeureux étaient frères des vôtres,
Et vos enfants seront nos fils.
Venez, et vous verrez comment, sous un ciel libre,
Après un temps si long, notre âme exulte et vibre
Au souvenir sacré du lis.