Les épis (LeMay)/16

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Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 57-62).

Par droit chemin


Montcalm était tombé sur ton fier promontoire,
Vieux Québec. Il dormait dans son linceul de gloire.
Bien des soldats vaillants reposaient avec lui.
Sur notre sol aimé le soleil avait lui,
Mais l’ombre, désormais, recouvrait de son voile
Nos champs et nos foyers. Et la dernière étoile,
Dont on cherchait encor les rayons incertains, —
L’espérance, — mourait au fond des cieux éteints ;
Et les Lys n’étaient plus un glorieux trophée.
La France se taisait. Une trompeuse fée
Scellait de ses baisers la bouche de son roi.
Les chants d’amour tuaient les cris du désarroi.
L’iniquité des grands perdait le grand royaume.
Nous étions revenus tour à tour sous le chaume.
Le vainqueur menaçant s’attachait à nos pas ;
Et nous fermions les yeux afin de ne voir pas

Son ombre redoutable obscurcir la fenêtre.
C’était un temps de deuil, il faut le reconnaître :
Nous étions délaissés des « gens du vieux pays ».
Cependant notre cœur ne les a point haïs.

Or, pendant que la guerre exerce son ravage,
À l’heure où tout s’écroule, une femme sauvage
Sortie on ne sait d’où, d’une sombre beauté,
Dans la ville conquise erre de tout côté.
Comme un rameau de pin que la brise secoue,
Et comme un voile noir qui tombe ou se dénoue,
Sa chevelure flotte au vent, son sein bondit.
Elle chante. On dirait un sanglot. Elle dit :

— Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Ton silence est rompu, ton secret est trahi…
Il n’est plus de promesse où mon espoir se fonde,
Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Ah ! par son souvenir mon cœur est envahi !…
Il me parlait d’un Dieu qui protège la femme,
Et met des anges bons sur ses étroits chemins.
L’homme blanc m’a trompée, et sa parole infâme
A pour jamais, hélas ! troublé mes lendemains !…
Ô ma verte forêt ! ô ma forêt profonde !
Il n’est plus de promesse où mon espoir se fonde !


« Connaître est-il un bien ? Est-ce un bien que d’aimer ?
Femme blanche, sais-tu comme moi la souffrance ?…
Parler ainsi pourtant, n’est-ce pas blasphémer ?
Connaître est-il un bien ? Est-ce un bien que d’aimer ?
Il me parlait d’un ciel qui s’appelle la France.
Ce ciel il le vendait pour quelques pièces d’or.
Son cœur n’était pas droit. Il souriait aux crimes.
Il suivait des sentiers tortueux, cet homme. Or,
Le mensonge est un flot qui creuse des abîmes.
Connaître est-il un bien ? Est-ce un bien que d’aimer ?
Parler ainsi pourtant, n’est-ce pas blasphémer ?

« Bois, rendez-moi l’abri de vos rameaux sans nombre,
Vos chants, vos fleurs. Ce monde étrange me fait peur.
Dans la ville des blancs je passe comme une ombre.
Bois, rendez-moi l’abri de vos rameaux sans nombre,
Je veux cacher ma honte au guerrier blanc trompeur.
La Robe Noire a mis sur mon front le baptême ;
Dans mon cœur trop naïf l’autre a mis le forfait.
Hier j’ignorais Dieu, mais j’ignorais de même
La vertu qu’il commande et le vice qu’il hait.
Bois, prêtez-moi l’abri de vos rameaux sans nombre…
Dans la ville des blancs je passe comme une ombre.


« Cabane, lit de mousse, humble feu de fagot,
Mânes de mes aïeux errant sous les grands arbres,
Pourquoi vous ai-je fuis ?… Il se nommait Bigot !
Cabane, lit de mousse, humble feu de fagot,
Vous valiez bien des fois ses palais et ses marbres.
Il m’a perdue hier par des menteurs discours ;
Il te perd aujourd’hui dans de funestes luttes,
Ô mon pays aimé ! Nos triomphes sont courts ;
Pauvre Stadaconé, pleurons, pleurons nos chutes !
Cabane, lit de mousse, humble feu de fagot,
Pourquoi vous ai-je fuis ?… Il se nommait Bigot ! — »

Bigot, marchand d’honneur, parvenu dont l’empire
S’étendait sur la ville et sur les champs ; vampire
Qui buvait notre sang et mangeait notre chair ;
Fripon qui nous volait et nous revendait cher ;
Bigot avait hâté, par sa filouterie,
La honte de la France et de notre patrie.
Il était le dernier, mais aussi le plus vil
De tous ces affamés de plaisir, que l’exil
Ne punit pas assez. Il laissa des ruines.
On entrevoit encore, à travers les bruines
Qu’un vent mystérieux traîne sur le passé,
Son galbe de félon aux fanges du fossé.


Le temps fuit. Nous marchons, Messieurs, avec vitesse.
Ils sont bien loin déjà ces jours pleins de tristesse,
Où tous, nous semblions des étrangers chez nous.
La France nous a vus, tout un peuple, à genoux,
Quand son vieux drapeau blanc, vaincu, plia son aile.
Une plainte a monté profonde, solennelle,
Des plaines d’Abraham où tombaient nos guerriers.
Les traîtres de ces temps, et les aventuriers,
Les spadassins titrés et les héros de bouge,
Par la main du bourreau sont marqués du fer rouge.

Les méchants n’ont qu’un jour de gloire. Ils sont maudits.
Le palais de Bigot, comme un sale taudis
S’est écroulé là-bas. Au fond de ce repaire
Va se coucher le loup, va siffler la vipère.
L’hôte n’a pas changé. La fille des Hurons
Dort son dernier sommeil aussi. Les bûcherons
Ont rasé la forêt qui dérobait sa cendre.
À son heure suprême a-t-elle vu descendre
Sur son lit de rameaux l’ange saint du pardon ?

Et nous avons cent ans gémi dans l’abandon.
Ils sont loin ces jours pleins de douleur et de honte.
Pour instruire ses fils le père les raconte,

Car l’exemple du mal porte parfois au bien.
Et depuis ce temps-là, vous dirai-je combien
Nous avons soutenu de combats ? La conquête
A pesé lourdement, hélas ! sur notre tête ;
Mais nous sommes debout. Nos droits nous sont rendus
Nous pouvons pardonner à qui nous a vendus,
Ainsi que pardonna Joseph le patriarche.
Vers la terre promise en silence l’on marche.
Traversant les déserts sous l’œil de Jéhova,
Notre peuple revient quand on croit qu’il s’en va.

C’était le sang des preux qui coulaient dans nos veines,
Nous n’avons pas nourri des espérances vaines,
Le Dieu des nations nous a pris par la main.
Homme ou peuple est béni qui va par droit chemin.