Œuvres poétiques François de Maynard/Les amours de Cléande

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Œuvres poétiques François de Maynard, Texte établi par Gaston GarrissonA. Lemerre1 (p. 13-59).
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Les amours

DE CLEANDE

PAR FRANÇOIS MENARD


I.
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Aislé d’un beau desir, je vole dans les cieux
Où un soleil reluit plein d’esclairs et d’orage,
Mais pour glacer l’ardeur de mon hautain courage
Il faut qu’il soit moins beau, ou que je sois sans yeux :

Si je brusle mon aisle aux rais victorieux
De ce bel œil qui tient les clefs de mon servage,

Ma cendre fera belle, et riche mon dommage,
Puis que pour partizans j’auray les plus grands Dieux.

Dès que j’ay veu flamber ses pudiques lumieres,
Et mille doux regards voler sous ses paupieres,
Je desdaigne la terre et la clarté du jou.

Je veux donc vers mon Astre eslancer ma volée,
Car le ciel glorieux fera le mausolée
De mon desir brulé par le soleil d’Amour.

II.
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Tel estoir ce bel astre alors que je le vin,
Ainsi que le soleil qui reluit sans nuage,
Et mon vouloir me fut si doucement ravi
Que j’en cheris la perte et benis le servage !

Son beau regard estoit de tant d’appas suivi,
Qui comme doux esclairs partaient de son visage,
Qu’il falloit m’advouer sans ame ou sans courage,
Pour m’esloigner du joug où je fus asservi.

Mille petits Amours comme jeunes abeilles
Voletoient doucement sur les roses vermeilles
De son teint où la grace avoit logé ses traits.

Bref on voyait en luy briller tant de lumieres,
Que les astres plus clairs n’estoient que les pourtraits,
Des rayons qui luysoient soubs ses belles paupieres.


III.
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Mon feu va ressemblant au feu d’une Vestale
Qui chaste me consume, et jamais ne s’estaint,
Et le trait dont je fuis si doucement attaint,
A l’infaillible trait du malheureux Cephale.

Ceste pudique ardeur à mon ame fatale
Atise mon euuie, et ce beau trait empraint
Au marbre de mon cœur le pourtrait doux et saint
De celle qu’en beauté Cypris mesme n’esgale :

Ce trait qui va blessant ma chere liberté
Est si beau et si doux, qu’en ma captivité
Mon ame par sa pointe en extasee est ravie.

Et ce feu m’est plus cher que la clarté du jour ;
Car s’il ne me brusloit je serois sans amour,
Et sans amour, helas ! je n’aurois point de vie.

IV.
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Agreable langueur, seul fruit de ma poursuite,
La pointe de tes traits est si douce à mon cœur,
Que parmy les assaus de ta chere rigueur
Je benis la prison où ma vie est reduite.

Les larmes de mes yeux par une ondeuse fuite,
Coulans dessus ma face aigrissent ta douceur,

Mais je m’essuye aux rais de cet astre vainqueur,
Par qui ma liberté doucement fut seduite.

Vivre, aymer et languir me plait esgalement,
Car un si beau soleil va mon ame allumant,
Que vivre sans l’aymer ce ne seroit point vivre.

Puis que loin de son jour ce n’est qu’obscurité ;
Aussi pour ce flambeau je veux ma pointe future,
Et d’un nœud eternel lier ma liberté.

V.
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Mon jour d’un pied glissant incline vers le soir,
Je m’aduance à la mort, mais en si beau servage
Qu’il faudrait moins d’amour pour fuir ce naufrage,
Ou un astre moins beau ou vivre sans espoir.

Amour si doucement maistrise mon vouloir,
Que je cingle tousiours plus j’oy bruire l’orage,
Et le trespas ne peut refroidir mon courage,
Car je crois que je meurs seulement par devoir.

Si mon desir fait bris contre l’amoureux Syrthe,
Mon funeste Cypres se change en vit beau Mirthe,
Ma perte en un doux gain, mon naufrage en un port :

Et la nuit de ma vie est le jour de ma gloire ;
Car mon nom consacré au temple de memoire
Par l’ame de l’honneur me ravivera mort.


VI.
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Ce bel or ondoyant qu’Amour en mille nœuds
Au cristal de son front folastrement refrise,
Ce soleil qui jumeau d’un doux rayon m’atise,
Idole de mon ame à qui j’offre mes vœux :

Cest ebene vouté dont le trait amoureux
Triomphe doucement de ma chere franchise,
Ce coral dont le miel me tue et tiranise,
Ces flots qui dans son sein vagabondent negeux :

Ces œillets et ces lis, chaste honneur de sa face,
Ces charmes, ces attraits, ceste pudique grace,
Qui fait mourir de crainte un milier de desirs :

Rendant dessous leur loy ma liberté subjecte,
Sement dans ma prison de glorieux plasirs,
Et de tant de vainqueurs mon ame est la conqueste.

VII.
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<poem> Amour n’a point d’autels que ceux de ma rebelle, Amour n’a point de traits que son regard pipeur. Amour n’a de carquois que son œil mon vainqueur, Ny d’arc que ses sourcils dont l’atteinte est mortelle.

Amour d’autre venin les ames n’enforcelle,

Que du miel de sa voix où je noye mon cœur,

Amour n’a point de feux que la flamme jumelle
De son œil couronné des beaux rayons d’honneur.

Amour n’a point de nœuds pour lier nos franchises,
Que ce bel or tressé, où mes volontés prises,
Idolatrent ses yeux, seule astres de mon jour.

Bref Amour n’est Amour que par mon adversaire,
Car son ame est l’eclat de sa douce lumiere,
Où il est ma Deesse, et ma Deesse Amour.

VIII.
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Tes yeux sont des soleils, des esclairs tes regards,
Tes nœuds d’ambre et de feu les rets de ma franchise,
Ces soleils le brasier dont mon ame est eprise,
Et ses esclairs d’Amour les infaillibles dards,

En vain de ma rason les debilles ramparts
S’oppossent à leur pointe, et ma faible feintise
Cele en vain ma prison ; le doux feu qui m’atise
Esclate malgré moy en mille et mille parts.

Partout où le soleil va guidant sa carriere,
On void estinceller les rays de sa lumiere,
Et l’ombre va cedant à la clarté du jour.

Ainsi puis qu’un soleil esclaire à mon enuie,
l’advoue librement que je me meurs d’amour,
Et qu’en ce doux respas j’eternise ma vie.


IX.
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Qu’un long somme de fer assoupisse ma vie,
Que mon triste cercueil soit tousjours espineux,
Si te me plains de toy, doux subject de mes vœux,
Et si je vais pleurant ma liberté ravie.

Heureux point de ma perte où mon ame asservie
Eschangea sa franchise en de si nobles nœuds
Qu’en leur douce prison si je vi langoureux,
C’est pour n’avoir d’amour esgal à mon enuie.

Ainsi las !, si mes pleurs ruisselent de mon œil,
Et si dessus mon front la tristesse et le dueil
Impriment sombrement les marques de leur force :

Ce n’est point que je souffre en ma captivite,
Mais ce cruel regret par une rude entorce
A souspirer tousjours contrainct ma volonté.

X.
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Ores que mon soleil aupoint de l’Occident
Change mes plus beaux jours en des nuits de martir,
Separé de moy mesme, au dueil je me retire,
Par mon fidelle espoir mon trespas retardant.

Sort que l’astre se leve, ou qu’il s’aille perdant
Dans les flots de Thetis, tousjours mon cœur souspire,

Et dans l’obscurité la tourmente s’empire,
Las ! car en vain mes yeux le ciel vont regardant.

La nuit donne aux mortels le somme et le silence,
Mais les tristes souspirs, le dueil et la souffrance,
S’esveillent à la nuit de mon astre d’Amour.

Et nul autre soulas en mon ame ne glisse,
Sinon lors que j’espere, ou voir finir mon jour,
Ou loin de mon soleil que ma douleur finisse.

XI.
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Emplumé d’un desir je me perds dans la nue,
Et mon aisle se fond aux rais de mon flambeau ;
Mais ma cheute est si belle et mon astre si beau,
Que les dieux font jaloux de ma perte advenue.

Un pin fueilleux d’audace, une roche cornue,
Sont les butes du foudre, et dans un clair ruisseau,
Qui roule emmy les prés le crislal de son eau,
Du courageux nocher la perte n’est cognue.

Aux gouffres escumeux des ondoyants seillons,
Jouet de la tempeste et des fiers tourbillons,
Seulement il fait bris : ainsi loin de la terre

Dans une large Mer de beautés et d’appas,
Je trouve en ma carriere un glorieux trespas,
Et je tombe frappé de l’amoureux tonnerre.


XII.
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Alors que je te vis belle ame de mon ame
Que n’estois-je sans yeux ou bien au lieu de cœur
Que n’avois-je un rocher emmuré de froideur,
Ou que n’estois-je, helas ! une glace à ta flamme ?

De mon superbe Roy l’aigre trait qui m’entame,
Avecque mon Amour fait naistre ma langueur,
Las ! que n’es-tu sensible à ma fiere douleur,
Ou que ne m’entends-tu lors que je te reclame ?

Si ma volonté cede au pouvoir de tes yeux,
Pourquoy leur cruauté me rend si soucieux,
Ou pourquoy suis-je helas ! en amour si fidelle ?

Inhumaine beauté lumiere de mon jour,
Il faut, ou que tu sois plus douce et moins cruelle,
Ou bien d l’advenir que j’aye moins d’amour.

XIII.
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Soir que le jour se leve, ou que la sombre nuit
Guide en l’air obscurci son ombreuse volée,
Sur l’aisle du penser mon ame ensorcellée,
Ou dessus mes regards vers mon soleil s’enfuit.

Toutesfois quand cest astre à mes yeux ne reluit,
La douleur me resserre : ô Deesse estoillée !

Par qui du plus beau jour la lumiere est voilée,
Rends moy ce doux flambeau dont l’absence me nuit.

La Parque m’esgalise aux désins de Clitie ;
Car soubs le joug d’Amour mon ame assujetie,
S’espanit seulement au jour de son soleil.

Et puis tournant les yeux devers ma belle Aurore,
Si tost qu’elle je plonge aux ombres du sommeil,
Je me serre au plaisir, et le dueil me devore.

XIV.
[modifier]

Il s’en va ce soleil doux obiect de ma veue,
Et je demeure helas ! jouet de mille ennuis,
Mon espoir est voilé de langoureuses nuits,
Au moins à son despart que la douleur me tue.

Amour qui tiens mon ame à tes pieds abatue,
Puis qu’avec ce soleil loin de mes yeux tu fuis,
Hé ! presle moy une ayle, ores que je ne puis
Suivre le train léger de sa lumiere eslue.

Son abfence est ma mort, ma vie sa clarté,
Ou fais luire tousjours ceste douce beauté,
Ou calme la douleur de mon ame oppressée.

Mais tu voles tousjours, va, cours, fuy seulement,
Car comme l’ombre un corps, ansi fidellement,
Je suivray mon soleil avecque la pensée.


XV.
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C’est en vain que je pleure, et sanglotte ma plainte,
Ma blessure est mortelle, on ne la peut guerir,
Mais puis qu’un si beau traict me fait vivre et mourir,
Favorable à ma gloire et douce en est l’atainte

Doux chaion de mon cœur, dont l’agreable estrainte
Fait affoler mon ame après un long plaisir,
De qui le miel trompeur aleche mon desir,
Nourrissant mon espoir d’une amoureuse feinte.

Bien que le seul trespas soit le contentement.
Dont l’attente alaictoit le soucieux tourment,
Qui rendoit ma raison à l’amour asservie :

Las ! je meurs fatisfaict, puisque de ses beaux yeux
Le regard sert de fleche au Roy victorieux,
Qui tranche doucement la trame de ma vie.

XVI.
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Si d’un chaste vouloir j’idolatre vos yeux,
Et si pour vous aymer un doux souci me blesse,
Pourquoy foudroyez-vous, trop ingrate maistresse,
Le désir qui me porte au ciel victorieux ?

Craignez-vous, si son vol mesleve dans les cieux
Que mesprisant la terre icy-bas te vous laisse ?

Le nœud de votre amour trop doucement me presse,
Pour preferer au monde et le Ciel et les Dieux.

Mon Ciel est vostre front le but de mon enuie,
Où deux astres jumeaux president à ma vie,
Et qui serrent les nœuds de ma captivité.

Au jour de vos beaux yeux mon ame je retire,
Et je cede au pouvoir de leur douce clarté,
Tout ainsi que le fer à l’aymant qui l’attire.

XVII.
[modifier]

Œilladant mon soleil qui pompeux de clarté
Lançait superbement les rais de sa lumiere,
Je dis, Amour qui tiens mon ame prisonniere,
Fuy loin, car je reprends ma chere liberté.

Je cours d’un libre pas hors de captiuité,
Je jette l’ancre au port de ma raison premiere,
Et j’abbats les autels où ma belle guerriere
Estoit la seule idole à ma fidelité.

Fuy, et n’attends de moy, ny vœux, ny sacrifices,
Soubs les pieds du destin je foule tes supplices,
Et ne veux idolatre aymer cet œil vainqueur.

Amour voulut fuyr, mais la source liquide
De mes ameres pleurs rendit son ayle humide,
Si qu’il ne peut mouillé voler loin de mon cœur.


XVIII.
[modifier]

Soudain que mon soleil d’un rayon adoucy
A disipé la nuit d’un langoureux nuage,
Mon cœur, espanoui au jour de son visage,
D’un trait victorieux a chassé mon souci :

Mais mon œil sombrement par l’absence obscurci
Qui ne seruoit helas ! qu’à pleurer mon dommage,
Voyant poindre le jour aux nuits de son seruage,
N’a peu souffrir l’esclair dont j’estois esclaircy.

O cruauté d’Amour et de ma destinée,
Je n’avois de desir que pour voir la journée,
Où mon chaste soleil esclairast à mes yeux,

Et son jour m’a couvert d’une craintive glace :
Il faut que pour la voir mon œil n’eut point d’audace,
Ou bien que de mon heur Amour fut enuieux.

XIX.
[modifier]

<poem> C’est en vain que vos yeux produisent mille traits, Pour rencharner mon ame à votre joug rebelle : Puis que le doux esclair d’une douce etincelle Peut rendre de vos lois les Dieux meme subjets.

Vos pudiques regards ne font que doux attraits,

Qu’ameçons et qu’appas, et la rose plus belle,

Et les beaux lis esclos avec l’aube nouvelle,
Sont de vostre beauté seulement les pourtraits.

Si j’ay brisé le nœud qui r’enface mon ame,
Si j’ay estaint le feu qui ores me r’enflame,
La crainte et le desdain poussoient ma volonté.

Car craignant que vostre ame ailleurs sut prisonniere,
J’amortissois le feu de ma captiviré,
Et leger reprenois ma franchise premiere.

XX.
[modifier]

Il n’est point d’autre jour que celuy de tes yeux,
Beau soleil doux tiran de mon obeissance ;
Il n’est point d’autre nuit que ta mortelle absence,
Par qui je sers de proye au fort injurieux.

L’amoureuse langueur qui me rend soucieux,
Ne lasche dessus moy les traits de sa puissance,
Sinon lors qu’à mon œil tu ravis ta presance ;
Car je desdaigne alors la lumiere des cieux :

Te voir c’est le plaisir où seulement j’aspire,
Et ne te voyant pas, mon langoureux martire
Redouble les assauts de sa noire fureur.

Si que perdant ta veue, helas ! ie perds mon ame,
Et mon œil ne peut voir une si belle flame,
Car tu es mon Soleil et l’ame de mon cœur.


XXI.
[modifier]

Je vomis le poison que l’amour me fit boire,
Et brise les liens qui m’auoient sceu tenir,
l’esteins de l’eau d’oubly son ingrat souvenir
Puisqu’avec le mespris elle estaint ma memoire.

Cherche d’autres captifs butins de ta victoire,
Amour, car tes attraits ne feront revenir
Ma douce liberté pour servir à ta gloire ;
Le nœud de son desdain ne me peut retenir.

Mon veritable feu ne se paist d’apparence :
S’elle n’a point d’amour, je n’ay point de confiance,
Et de sa cruauté j’oppose ma raison.

Vivons d’un libre pas, jetons donc de servage :
Mais tes projets sont vains, o mon ame peu sage.
Car la mort seule tient les clefs de ma prison.

XXII.
[modifier]

Au mur d’un beau foleil auoir l’ame glacee,
Las ! qu’il est difficile et immolant sa foy,
A un œil qui prescrit superbement sa loy,
Que de mortels soucis troublent nostre pensée.

Toy seule peux tenir ma franchise enlassée
Et par toy seulement Amour s’est fait mon Roy,

Seul mon cœur peut souffrir le soucieux esmoy,
Dont ma serve raison souspire traversée.

Si j’avois moins d’amour tu auroi moins d’attraitz.
Mes feux et tes appas esgalement parfait,
Font juger l’effect estre à la cause semblable.

Aussi leur doux pouvoir n’estant moins limité,
Mon Amour eternel gist en l’extremité,
Et par eux seulement le dueil m’est agreable.

XXIII.
[modifier]

Le doux soin qui m’affole est si cher à mon cœur,
Qu’il va d’un train esgal avecque ma journée,
Et l’eternelme nuist d’ombres environnée,
Me glacera plustost que sa pudique ardeur.

Heureux point de ma perte où ce bel œil vainqueur
Fait que d’un haut desir mon ame espoinçonnée,
Au miel de ses appas se noye empoisonnée,
ldolatrant ses yeux, fusils de ma langueur.

Je me brusle aux rayons de sa belle lumiere,
Et sur l’autel d’Amour mon offrande premiere
Fait naistre ce doux soin qui me ronge et me fuit.

Et rien ne va troublant le calme de mon aile,
Sinon lorsque je crains que sa rigueur s’appaise :
Car par ce fier soupçon mon doux repos s’enfuit.


XXIV.
[modifier]

Pitoyable jouet d’une douleur profonde,
Mon espoir va flotant au milieu des fureurs
Du vent de mes souspirs et du flot de mes pleurs,
Tout ainsi qu’une nef sur les vagues de l’onde.

Du fort injurieux la rigueur vagabonde,
Qui charge tristement en espines mes fleurs,
Redouble mes ennuis dont les aspres rigueurs
Rendent ma triste bouche en complaintes feconde

Que si le souvenir de ce jumeau Soleil
Dissipe doucement le douloureux sommeil
Qui cille ma paupiere au beau jour des delices.

Amour impitoyable et le rigoureux fort
Estouffent ce plaisir soubs de nouveaux supplices,
Agreables pourtant si j’y trouve la mort.

XXV.
[modifier]

Beauté dont les attraits emprisonnent les Dieux,
Subtils filets de feu qui liez ma franchise,
Vostre douce prison où mon ame est esprise
M’est plus chere cent fois que la clarté des Cieux.

Sitost que vos regards ont esclairé mes yeux,
J’ay veu ma liberté si doucement ravie,

Que te benis ma perte et mon heureuse prise,
Vos beautez, et Amour de moy victorieux.

Vostre œil estoit garni de trop de violance
Pour emousser les traits de sa douce puisance,
Et j’estois trop sensible à sa chere beauté.

Pour ne me brusler point aux rayons de sa flamme,
Ou bien il m’eust fallu un rocher pour une ame,
Ou que le ciel m’eust fuit aveugle à la clarté,

XXVI.
[modifier]

Cleande qui fais naistre et mourir ma langueur,
Pourquoy desdaignes-tu mon offrande premiere ?
Beaux yeux mes chers soleils pourquoy vostre lumiere
Est si douce à mes yeux et si aigre à mon cœur ?

Vos plus benins regards sont esclairs de rigueur,
Qui menacent mon ame en vos fers prisonniere,
Vostre homicide voix trop superbement fiere,
Un foudre qui me tue et nourrit ma douleur.

Belle et fiere Cleande et soleils homicides,
Par vous mes tristes yeux font deux fources liquides,
Et mon ame fouspire au joug de vostre loy.

Trop farouche ennemie, au moins d’un œil propice
Voy mon ume aux douleurs et mon cœur au supplice,
Mon trespas sera beau si je meurs pres de toy.


XXVII.
[modifier]

Destain qui vas filant la trame de ma vie,
Tranche quand tu voudras l’heureux fil de mon jour :
Car mourant prisonnier de Cleande et d’Amour,
D’un glorieux honneur ma mort sera suivie.

Belle et douce prison où mon ame asservie,
Comme les Dieux au Ciel a esleu son sejour,
Tes nœuds sont des lauriers qui verdoyans toujour,
Erernisent ma gloire et ma pudique enuie.

Belle et douce prison tu me rends immortel,
Favorable destin sçachant ton traict mortel,
Tu fais naistre soudain les palmes sur ma tombe.

Heureux donc mille fois les chainons de mon cœur,
Car ou soit que je vive ou bien soit que je tombe
Sur l’autel de la mort, j’ay tousjours de l’honneur.

XXVIII.
[modifier]

Miroir où nuit et jour je voy mon inhumaine,
Tableau où mon vainqueur figure la beauté
Qui enlace mon ame en sa captivité,
Seul demon de ma vie et sorcier de ma peine :

Papillon voletant autour de ma Sirene,
Dont les jumeaux soleils bruslent ma liberté,

Doux penser partisan de ma fidelité,
Fais-moy voir ma Cleande en douceur toute humaine :

Ores que sa beauté s’eclipse de mes yeux,
Je cille ma paupiere à la clarté des Cieux,
Car j’ay tant seulement des regards pour ses charmes.

Maintenant Esloigné du jout de ses appas,
Je ne puis que par toy secher mes tristes larmes.
Et vaincre la douleur qui me livre au trépas.

XXIX.
[modifier]

Beau jour de ma fortune où reluit ta lumiere,
Que ne dissipes-tu les ombres de mes nuits,
Où la triste fureur de mille et mille ennuis,
Engouffre aux desplaisirs mon ame prisonniere

Rien ne me reste, helas ! de ma gloire premiere,
Que le seul fouvenir de ton jour, qui me fuis,
Et parmy les douleurs qui m’affligent despuis
Mon heur passé finit ma vitale carriere.

Puis que je te perdis trop cruelle beauté,
Pourquoy le fouvenir de ma felicité
Ne se perdit alors avec ta jouisance ?

Aussi tost que le Ciel enuieux de mon bien,
Deslaça fil à fil nostre amoureux lien,
Las ! le devois mourir avecque ta confiance.


XXX.
[modifier]

Langue au besoin muette et avare parolle,
Au dueil qui me consomme au jour de mon flambeau
Dont la douce clarté d’un rayon clair et beau
Fait naisre dans mon ame un desir qui m’affole.

Lorsque mes yeux ternis avoient ma belle idole
Pour agreable object à leur regard jumeau,
Pourquoy par le doux traict d’un langage nouveau,
Ne frappois-tu cest astre à qui seul je m’immole ?

Las ! tu fus enchaisnée et pour te demesler
Ou bien il m’eust fallu plus lentement brusler,
Ou qu’Amour eust calmé son extreme secousse.

Ainsi mille souspirs exhalez de mon cœur,
Firent que de mes yeux la pluye aigrement douce,
Par son propos humide exprima ma langueur.

XXXI.
[modifier]

Despuis que ce bel œil ravit ma liberté,
J’ay eu et nuit et jour mes yeux baignez de larmes,
Et mon cœur aux souspirs et mon ame ès alarmes ;
Toutefois je me plais en ma captivité.

Sur le pudique autel de ma fidelité
J’ay immolé mon ame au pouvoir de ses charmes,

Et cent fois combatu de la legereté
Amour a rebouché la poincte de ses armes.

Rien ne peut esbranler ma confiance et ma foy,
Car un si beau soleil donne à mon cœur la loy,
Que le voir sans mourir d’une amoureuse attaincte,

Ou c’est estre insensible, ou bien avoir un cœur
Indigne de servir un si noble vainqueur,
Et d’avoir sa franchise en ses beaux nœuds estraincte.

XXXII.
[modifier]

Si tost que le soleil s’esclipse de nos yeux,
La nuict d’un voile noir enveloppe la terre,
La lumiere du tour aux ombres se resserre,
Et lors mille flambeaux estincellent aux cieux.

Ansi quand mon soleil s’eslongne gracieux,
Je vois tant seulement les esclairs du tonnerre,
Ma veue est obscurcie, et mon tyran desserre
Mille traicts sur mon ceur qui languit soucieux.

Je n’ay d’autre recours qu’aux souspirs et aux larmes,
Je n’ay d’autre repos qu’en mes dures alarmes,
Ny d’autre alegement qu’en ma douce langueur.

Et dans les fombres nuicts de sa mortelle absente,
Ce qui plus me martire et ce qui plus m’offence,
Cela seul me contante et soulage mon cœur.


XXXIII.
[modifier]

Bel yuoire arrondy seul throsne de mon Roy,
D’où il lasche les traicts qui blessent mon enuie,
Helas vous emporter le plus beau de ma vie,
Et en vous esloignant vous m’esloignez de moy.

Quand premier je vous vi par vue douce loy,
J’eus aux liens d’amour ma franchise asservie,
Ores que vostre aspect et mon ame est ravie,
Las ! j’ay mes yeux en pleurs et mon cœur en esmoy.

Nul autre object que vous ne peut plaire à ma veue,
Je vis ci vostre jour et vostre nuict me tue,
Si que de vous despend ma vie et mon cercueil.

Car loin de vous mes maux ont sur moy la victoire,
Ne pouvant sans amour garder vostre memoire,
Ny l’amour sans regret, ny le regret sans dueil.

XXXIV.
[modifier]

Amour, quand je la vis ceste belle adversaire,
Nouant les doux chaisnons de ma captivité,
Ne viens plus (dis-je alors) fascheuse liberté,
J’idolastre un soleil dont la beauté m’esclaire.

Ce bel œil alechant mon desir temeraire,
Retient mon ame au ciel de sa douce beaute,

Et il faut que je meure, ou que ma volonté
Incline au doux pouuoir de sa belle lumiere.

En vain contrelutant ses amoureux attraits,
Tu veux et triumpher d’Amour et de ses traits,
Et vaincre de cest œil les invincibles charmes.

Car pour briser les fers de sa belle prison,
Et pour combattre Amour, il faudroit pour mes armes,
Avec un cœur de roche, une fole raison.

XXXV.
[modifier]

Aux bors plus reculez des sablonneux ruisseaux,
Dont l’ondoyant cristal emmy les prez se roule,
Pour alleger mon dueil dont la rigueur me soule,
Je vay mouillant mon sein de mes larmeuses eaux.

Puis meditant aux nuicts de ces astres jumeaux,
De penser en penser mon plus beau jour s’escoule,
Et va d’un triple cours, tout ainsi qu’une boule,
Ou ainsi que le bal des celestes flambeaux.

Aux insensibles mons je sanglotte mes plaintes,
J’apprends aux pins gomeux mes farouches attaintes
Sur l’aisle de ma voix je pousse ma douleur.

Aux oreilles des Dieux, bref je chasse ma vie,
Mais en vain, car Amour qui la tient asservie,
Impiteux la soustrait à ma juste fureur


XXXVI.
[modifier]

Aussi tost qu’à mes yeux le soleil de mon cœur
Fera poindre le jour de sa douce lumiere,
Si te n’ose parler à ma belle guerriere,
Amour dis luy pour moy que te vis en langueur.

Que si tu vas craignant sa cruelle rigueur,
Amour redonne moy mon audace premiere,
Ou fais mourir du tout mon ame prisonniere,
Ou fais que sa pitié esgale mon ardeur.

Las ! où m’as-tu reduit Amour Roy de mon ame ?
Tu es sourd à mes cris lorsque je te reclame,
Et ma belle impiteuse, helas ! se rit de nous.

Mais puis que nous citions en une esgale crainte,
Je mourray fatisfait, veu qu’une mesme atainte
Te rend esgalement partizant de mes coups.

XXXVII.
[modifier]

Bel œil que j’idolaire au point de mon naufrage,
Cleande, seul miroir d’honneur et de beauté,
Que ne fais-je insensible à vostre cruauté,
Ou digne de languir en un si beau servage ?

Que ne me rendez-vous moins confiant si plus sage,
O Dieu qui presidez à ma fatalité,

Ou que ne suis-je aveugle au jour de sa clarté,
Ou pourquoy ce bel œil est pour moy si volage ?

Mais plus tost que changer et d’Idole et d’Autel,
Amour blesse mon cœur d’un trait noir et mortel.
Car si je suis puny ansi qu’un temeraire,

Las ! au moins ce sera pour voler dans les cieux,
où nul autre mortel d’un vol audacieux
N’osa brusler son aisle en si belle lumiere.

XXXVIII.
[modifier]

Doux regards qui volez soubs ses belles paupieres,
Comme subtils esclairs soubs un nuage espais,
Amour pour m’alecher n’a point d’autres attraits,
Ny pour brusler mon cœur, que vos douces lumieres.

Idoles où j’appens mes desirs tributaires,
De vos chastes appas en mon ame pourtraits,
Si l’on trouve des vœux en amour si parfaits,
On a veu deux soleils en esgales carrieres.

Que si pour meriter vos pudiques faveurs,
Il faut que ma victime esgale en ses ardeurs
Vos appas, vos attraits seuls vainqueurs de mon ame,

Le ciel me cedera tous les mirthes d’Amour,
Sans disputer l’honneur dont la parfaiste flame
Enlustre sainctement la clarté de mon jour.


XXXIX.
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Si tost que mon bel Astre esclypsé de mes yeux,
Relança mon espoir en ses premiers orages,
Je n’eus pour des soleils que de sombres nuages,
Ny d’ame que le soleil où je vis soucieux.

Mille vagues pensers d’un choc injurieux,
Ainsi que flots grondans rompus sur les rivages,
Figuraient en mon cœur des asseuré naufrages,
Dont la crainte poussoit mes souspirs vers les cieux.

A force de pleurer j’auois tary mes larmes,
Lors qu’Amour redoublant ses mortelles alarmes,
Fit couler de mes yeux mon sang en lieu de pleurs.

Si que pour reparer la perte de ma vie,
Il faut que les soleils de ma belle ennemie
Chassent la sombre nuict de mes fieres douleurs.

XL.
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Beau christal où mon Roy va emoulant ses traits,
Dont la pointe me blesse aux nuicts de mon aurore,
Beau front throsne d’Amour où fouvent il s’essore,
Recrespant tes cheveux, dont il forme ses raits :

Quand verray-je flamber tes gracieux attraits,
Desarmant de desdain ce bel œil que j’adore ?

Quand seray-je vainqueur au soin qui me devore ?
N’auray-je de plaisir seulement qu’en pourtraits ?

Beaux yeux dont les regards me font mourir de crainte,
Aussi tost que je sens une amoureuse attainte
Faire vivre mon cœur consumé de vos fœux :

Beau front de qui l’orgueil foule mes sacrifices,
Bien que vous n’ayez pas que foudres et supplices,
Je n’auray que d’Amour, qu’offrandes et que vœux.

XLI.
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Blesse d’un trait vainqueur qui sortit de ta veue,
Alors que je te vis, bel astre de mon fort,
Insensible à tous traits, fors qu’à ceux de la mort,
J’immole à ton autel ma liberté vaincue.

D’un tributaire vœu ma raison abbatue
Cede à l’assaut divin de l’amoureux effort,
Que si je fais naufrage en m’esloignant du port,
Je diray que l’amour de ton bel œil me tue.

Des que je me perdis au doux jour de tes yeux
Affolé d’un desir et beau et glorieux,
Il ne me resta rien qu’un vouloir de te plaire.

Que si pressé du nœud de ma chere prison,
Je veux encor chez moy r’appeler ma raison,
Bel astre je n’ay pas le pouvoir de le fuire.


XLII.
[modifier]

Ciel venteux des souspirs qui empoulent mon sein,
Plus sensible à mon dueil que ma belle adversaire,
Cesse de larmoyer, car mon œil tributaire
Donne assez nuict et jour de pleurs à son desdain.

Quand je vois ton beau front et luysant et serain,
Lancer les clairs rayons d’une douce lumiere,
Il me semble de voir ce bel astre germain,
Dont la beauté retient mon ame prisonniere.

Esclairs longs et subtils qui mourez en naissant,
Vous Foudres qui tonnez la nue creuvassant,
Bruyez loin du sejour de ma fiere inhumaine.

Car sensibles aux traits de sa douce beaute,
Regardant de trop pres son aimable fierté,
Vous seriez de sa mort naistre et vivre ma peine.

XLIII.
[modifier]

Je ressant en Amour de si douces attaintes,
Quand je me vois captif de si belle prison,
Que j’avale à longs traits la plus aigre poison,
Qui aux moins amoureux ferat naistre des craintes.

Si les chastes esclairs de ses Idoles sainctes
J’ernisse la vigueur de ma verte saison,

Je mourray fatisfait, si croiray par raison
Obeyr au pouvoir de leurs douces contraintes.

Si le dueil m’espoinçonne en ma captivité,
La gloire de languir pour si chere beauté
Triumphera du fort ennemy de ma vie.

Soucis ne changer point vostre premier sejour,
Car j’ayme mieux mourir pour ma belle ennemie,
Que vivre sans douleur et n’avoir point d’Amour.

XLIV.
[modifier]

Destins qui ourdissez la trame de mon jour,
Si vostre loy m’oblige à servir ma rebelle,
Que ne la fiftes-vous ou plus douce ou moins belle,
Ou pourquoy suis-je, helas ! si sensible en Amour ?

Soleil qui peux tout voir lors que tu fais ton tour,
Vis-tu rien de si beau, et si perfide qu’elle ?
Mais las ! vis-tu aussi une ame si fidelle,
Et en’qui la douleur fit plus ferme sejour ?

Si l’on va preferant la grandeur au merite,
Mon infortune donc n’aura point de limite,
Que celle de ma vie ou de son souvenir.

Soleil fais voir au moins ma confiance et ma gloire,
Destins gravez mon nom au temple de Memoire,
Si l’on peut par Amour immortel devenir.


XLV.
[modifier]

Asseché du regret qui me ronge le cœur,
Tristement estongné du beau tour de ta veue,
Il faut ou que je cede au doux soin qui me tue,
Ou qu’estant plain d’Amour, je sois franc de langueur.

Mais, las ! il ne se peut, car l’amoureuse ardeur
Donne naissance au dueil dont ma vie est battue,
Si que de son pouvoir mon ame estant vaincue,
Il faut qu’ayant d’Amour j’aye ausi de douleur.

On dit qu’un mal extreme emporte nostre vie,
Mais depuis qu’à tes yeux mon ame est asservie,
Une extreme douleur me donne mouvement.

Toutesfois doux Soleil puis qu’en ton beau servage
Aux escueils des soucis mon repos fait naufrage,
Et la cause, et l’effect me plaist esgallement.

XLVI.
[modifier]

Despuis que ce bel œil Roy de ma liberté
Blesse d’un traict vainqueur mon ame prisonniere,
Je me va consumant en si douce lumiere,
Qu’Amour mesme est jaloux de ma felicité.

Mille fubtils esclairs couronnez de beaute,
Volent si doucement soubs sa belle aupiere,

Que j’oppose mon cœur à leur pointe meurtriere,
Glorieux de brusler au feu de leur clarté.

Mais mon heur se ternit par une seule crainte :
Car si je meurs blessé d’une si douce attainte,
Je seray sans Amour, comme sans mouvement.

O Dieux faictes au moins que si je perds la vie,
Je meure posedé d’une amoureuse enuie
Pour la chere beauté qui me va consumant !

XLVII.
[modifier]

Or que de mon Soleil la clarté m’est ravie,
Puis que sans la lumiere, hé ! suis-je pas sans cœur ?
Mais s’il est vray, Amour, qu’on meure de douleur,
Pourquoy ce fier regret ne desrobe ma vie ?

Vit autre plus heureux moissonne le bonheur
Que j’alois esperant de ma belle ennemie,
Et je vis, ouy ô Ciel, car mon ame asseervie
Cede au chaste vouloir de son œil mon vainqueur.

Si j’avois moins d’Amour, j’aurois moins de soufrance.
Mais, las sans offencer les lois de ma confiance,
Je ne puis triompher de ce resentiment.

Toutesfois en ce dueil un doux point me console :
Car si je n’ay d’amour que pour ma belle idole,
Elle plaint mon malheur et son esloignement.


XLVIII.
[modifier]

Lors qu’Amour te fit voir et cognoistre à mes yeux.
Mon ame en te suivant fit un si doux naufrage,
Que bruslant sa franchise aux rais de ton visage,
Creut que ton œil jumeau fut le soleil des Cieux.

Soudain Amour lia d’un naud victorieux,
Au doux joug de ta loy le plus beau de mon âge,
Et mon cœur idolatre offrit pour son hommage
Sa tributaire vie à ton œil glorieux.

Mon ame fut la bute aux doux traits de ta veue,
Mais quand la sombre nuit de ton bel œil me tue,
Comment suis-je sensible ayant perdu le cœur ?

Car, las ! il me delaisse alors que je t’eslongne :
Ha ! ton cher souvenir rengrege ma douleur,
Et par luy seulement mon Amour Je te tesmoigne.

XLIX.
[modifier]

Soleil si tu luisois coronné de Lumiere,
Ces beaux astres d’Amour te prestoient leur clarté,
Et vous petits flambeaux vous aurez de beauté
Par emprunt seulement de ma belle guerriere.

Beau Cristal qui roulois d’une ondeuze carriere,
Murmurant soubs les pas de cette deité,

Ton flot qui galouilloit n’estoit point argenté,
Que pour le seul flamber du soleil qui m’esclaire.

Amour pour me blesser tu n’avois point de traits,
Que son regard pompeux de mille doux attraits,
Dont le charme vainqueur tient mon ame asservie.

Mais Soleil, vous flambeaux, vous cristal, vous Amour,
Si vous n’aviez de traits, de beauté, ny de tour,
Sans elle ainsi que vous je n’avois point de vie.

L.
[modifier]

Que ne me rendis-ru ou muet ou sans vie,
Premier que d’offencer cette chere beauté ?
Mais eus-je bien, ô Ciel, autant de cruauté ?
Amour ce fut un coup de ta jalouse enuie.

Cest œil chasie et divin qui m’a l’ame ravie,
Faisoit estinceler une douce clarté,
Qui semblait seulement que ma belle ennemie
Laschast ses doux regards pour ma félicité.

Maintenant que ma langue indiscrerte et cruelle
A fait rougir le teint de ma chere rebelle,
Par le ressentiment d’une juste douleur,

Ses regards sont changez en esclairs de colere,
Et je vis ? mais ô ciel, si j’ay peu luy desplaire,
Que ne m’arraches-tu et la langue et le cœur !


LI.
[modifier]

Las ! qu’il est mal-aisé de peindre sur le front
Un doux contentement quand l’ame est affligée,
De moy dont Amour tient la franchise engagée,
Mon plaisir le plus cher est un soucy profond.

Ceste fiere langueur qui me lune et me rompt,
Depuis que ma fortune est tristement changée,
C’est le point le plus doux où mon ame rengée
Donne un triste air au mal que ses pensers luy font.

Souvent pour adoucir la rigueur de ma peine,
Mon ame, helas ! oppose à sa rage inhumaine
Le chaste souvenir du Soleil de mes jours.

Mais par ses vains efforts ses fureurs empirées
Semblent un fleuve ondeux dont les vagues irées
Renversent les rampars qui arrestent son cours.

LII.
[modifier]

Au cristal de ton front rien ne se parangonne,
Et ton sourcil ne cede au croissant argenté,
Ton œil est un Soleil unique en sa beauté,
Et ta face un printemps qui toujours refleuronne.

Tes leures sont d’appas dont l’esprit s’empoisonne,
Et un charme ta voix qui prit ma liberté,

Un albastre ton sein où te vis arresté,
Et l’or de tes cheueux le nœud qui m’emprisonne.

Ta main peut despouiller de franchise les Dieux
Et ton astre jumeau donner lumiere aux cieux,
Et ta face au printemps voir beauté nouvelle.

Bref tu es de mon Roy l’empire et le fejour,
Et parmy tes attraits, doux miracles d’Amour,
Tu n’as rien d’imparfaict que le nom de cruelle.

LIII.
[modifier]

Ceste belle Cleande amoureuse guerriere,
Dont l’œil armé d’attraits et d’appas gracieux
Dispute avec Amour et l’empire des cieux,
Et les autels du monde à ses loix tributaire :

Ceste aube qui fait honte à l’aube matinière,
Et qui assubietit les plus superbes Dieux,
Ce teint tousjours vermeil qui prend victorieux
Le mirthe sur le front de la belle escumiere :

Cest ebene vouté que pare ce sourcy,
Ce front qui fait renaistre et mourir mon soucy,
Et ce corail jumeau qui attise ma flame :

Bref, (Amour, se peut-il) Cleande et ses appas,
Sera loin de mes yeux et je ne mourray pas,
Aussi ne vis-je point, ou bien je vis sans ame.


LIV.
[modifier]

Las ! que ne tranches-tu le fil de ma douleur,
Ou que ne brusles-tu le tison de ma vie,
O Ciel ! puis qu’eslongné de ma belle ennemie,
Le dueil sur mon repos marche d’un pied vainqueur ?

Si tost que de mon fort l’imployable rigueur
M’eut sa veue et ma gloire injustement ravie,
Ce dueil me desroba et l’espoir et l’enuie
De vivre estant privé de lumiere et de cœur.

De l’Aube au teint vermeil la nuance plus claire
N’est point belle à mes yeux, car qui me pourroit plaire,
Loin de ses chers appas dont mon ame se plaist ?

O Ciel ! que si ma plainte à ton oreille arrive,
Rends moy le doux plaisir dont l’absence me prive,
Ou oste-moy la vie ainsi que le subject.

LV.
[modifier]

Doncques j’ay ta lumiere et ma gloire perdue,
Agreable Soleil de mes yeux et d’Amour,
Donc j’ay peu sans mourir m’eslongner du sejour,
Où du trait de tes yeux mon ame fut vaincue.

Ciel ! que si ta rigueur m’esclipsa de sa veue,
Pourquoy vas-tu cruel prolongeant mon retour ?

Las ! ne verray-je plus repoindre le beau jour
Qui dissipe la nuit du soucy qui me tue ?

Amour ! hé viens chasser ce douloureux sommeil,
Car si je tarde plus de revoir le Soleil,
Qui peut seul appaiser ses mortelles alarmes :

Je crains que les efforts de mes tristes langueurs,
Qui ont changé mes yeux en fontaines de pleurs,
Ne me changent enfin en un fleuve de larmes.

LVI.
[modifier]

Ces traits qui comme esclairs partoient de ses beaux yeux,
Astres, ains doux Soleils qu’idolatre j’adore,
Yeux qui ont fait rougir cent fois à son aurore
Ce Soleil qui esclaire et la terre et les cieux :

Ce teint femé de lys doucement gracieux,
Et son esmail pourprin dont la vermeille Flore
Au point du renouveau sa face recolore,
Et redonne le lustre aux pris delicieux :

Ce sein de laict où nage un milier de delices,
Ce corail qui jumeau étouffe mes supplices,
Et ces mignards appas roys de ma liberté,

M’ont si bien desrobé les puissances de l’ame,
Qu’il ne me reste plus esloigné de ma dame,
Que le doux souvenir de ta chere beauté.


LVII.
[modifier]

Depuis que de mes jours la trame est retournée,
Loin de ce beau Soleil mon unique vainqueur,
Mon visage terni ressemble à une fleur,
Que l’orage a touchée au bout de la journée.

D’un renaissant soucy mon ame espoinçonnée,
Et par le trait aislé des foupirs de mon cœur,
Pousse fa plainte au ciel dont l’injuste rigueur
De l’imployable mort sa pointe a destournée.

Mes yeux par la douleur eschangés en ruisseaux,
Pleurent l’eslongnement de ces astres jumeaux :
Mais pour vaincre mon dueil ce sont de faibles armes.

Mais quoy ? si en perdant le beau jour de ses yeux,
Je perdis tout sinon les souspirs et les larmes,
Seul et triste remede à mon cœur soucieux.

LVIII.
[modifier]

O Ciel qui vas filant la trame de ma vie
De qui me dois-je plaindre en ceste extremité ?
Sera-ce de l’Amour par qui ma liberté
Fut au joug de sa loy tristement asservie ?

Sera-ce de ma belle si farouche ennemie,
De qui les doux appas me tiennent arresté ?

Ou sera-ce plus tost de la fatalité,
Complice du vainqueur qui m’a l’ame ravie ?

De l’Amour ? c’est en vain, il se rit de mes cris,
De ma belle ? ses yeux font armés de mespris,
Du destin ? je m’oblige aux loix de la souffrance.

Plaintes donc loin de moy, vous elles sans raison,
Car quiconque se plaint d’une si belle offence,
Est indigne de vivre en si belle prison.

LIX.
[modifier]

Souspirs où lancez-vous ces piteuses attaintes ?
Et vous mes tristes yeux miroirs de mes douleurs,
A quoy faire couler ces fontaines de pleurs,
Puisqu’Amour se repaist de larmes et de plaintes ?

Espoirs entresuivis de soupçons et de craintes,
Dont les divers assauts aigrissent mes langueurs,
Pourquoy nourrissez-vous ces ingrates ardeurs,
Et r’enchainez mon cœur de nouvelles estraintes ?

Temeraire geant du feu d’Amour epris,
Aptes estre frappé du foudre du mespris,
Tu veux donc relancer ta pointe audacieuse

Au ciel de ses beautés qui me vont consumant ?
Vain desir meurs et dis, Belle victorieuse,
Si j’ay vescu d’Amour, je meurs en bien aimant.


LX.
[modifier]

Mon cœur est agité de ma vague pensée,
Comme un folle jouer des poudreux tourbillons,
Ou ainsi qu’une nef sur les marins seillons,
par les flots courroucez en cent lieux repousée.

Mon ame ores gemit sous les craintes pressée,
Comme un chef terracé par les fiers bataillons,
Ores benit les nœuds des dorés crespillons,
Qui tiennent doucement ma franchise enlassée.

Favorable à mes vœux ce Soleil tantost luit,
Ores mes yeux couverts d’une effroyable nuit,
N’ont pour object qu’horreur, que dueil et qu’infortune

O Ciel ! et de mes vœux je charge tes autels,
Mais je ne puis calmer ses orages mortels,
Si mon Ourse ne luit sur l’amoureux Neptune.

LXI.
[modifier]

Mon ame que te sert d’importuner les Dieux,
Reclamer ceste belle et farouche inhumaine,
Jetter la plainte au dueil, et joindre aux flots de Seine
Les larmes que le dueil fait couler de mes yeux ?

Un hiver a chassé mon printemps gracieux,
Et du molet Zephir la douce et fresche aleine

Cede au souffle vainqueur du vent fils de ma peine,
Qui eschange mes fleurs en chardons soucieux.

Maintenant que cest astre à mes yeux n’eslincelle,
Ce trait victorieux de ma peine cruelle
Chasse mon doux repos et mon contentement.

Ne te plains donques plus ; car parmy ceste absance
Il faut de ces beautés perdre la souvenance,
Ou souffrir les ennuis de leur eslongnement.

LXII.
[modifier]

Puis que de mon destin l’imployable rigueur
M’a ceste belle aurore injustemert ravie,
Je sacrifie au dueil le resle de ma vie,
Et ne veux desormais respirer que douleur.

Son chaste souvenir idole de mon cœur,
Retiendra nuit et jour ma pensee asservie,
Et de mille soucis mon ame entresuivie,
N’aura pour son repos qu’une fiere langueur.

Seine aux flots doux-coulans grossira de mes larmes,
Et si pour me blesser mon vainqueur n’a point d’armes,
Moy-mesme en forgeray pour en aigrir mon dueil.

Ainfi ayant perdu et mon mirthe et ma gloire,
Ainçois moy-mesme ; ô Dieux, je veux jusqu’au cercueil
Et pleurer ceste perte, et cherir sa memoire.


LXIII.
[modifier]

Le soleil ne voit rien en faisant sa carriere,
De qui l’orgueil s’esgale à cet œil mon vainqueur,
Toutesfois son mespris m’est un trait de faveur,
Et pais de son poison mon ame prisonniere.

Ce Soleil ennemy de la belle escumiere,
Laschant pour des regards des foudres de rigueur,
Rend plus chaud le desir qui possede mon cœur,
Et mon ame obstinée à sa perte premiere.

Jazon dans les hazards ravit la toison d’or,
Et parmy son trespas le fortuné Medor
Se vit l’unique Roy d’Angelique la belle.

Que Sçay-je si le Ciel qui file mon destin,
Me reserve en Amour une pareille fin,
Que je sois en aimant vainqueur de ma rebelle ?

LXIV.
[modifier]

Alors que j’esloignay l’astre qui m’a seduit,
L’Aurore avoit desia ses lumieres descloses,
Et l’Orient semé d’un milion de roses
Annonçoit la retraite aux flambeaux de la nuit.

Sur le point du despart le fort m’avoit reduit,
Et mes felicitez dans un moment encloses

Dessolent (comme un esclair qui en luisant s’enfuit)
Me quitter au reveil de ses paupieres closes.

Mais Amour ennemy de mon contentement
Precipita le point de son esloignement,
Et je ne la vis pas ceste belle ennemie.

Las ! quel devins-je alors, vous le sçavez, ô Cieux,
Mais peux-je sans mourir m’eslongner de ses yeux
Tu fus injuste, Amour, de ne m’oster la vie.

LXV.
[modifier]

Cleande il est donc vrai que le jour de tes yeux
Se soit comme un esclair esclispsé de ma veue,
Et le regret d’avoir sa lumiere perdue,
Ne me rend pas aveugle à la clarté des cieux.

Langueur qui me rendois doucement soucieux,
Quand je vivois au tour de mon aurore efleue :
Ta debile rigueur trop lentement me tue,
Redouble tes affauts tristement furieux.

Je veux lancer ma plainte aux lointaines montagnes,
Et d’un cri eternel essourder les campagnes,
Et changer mes souspirs en venteux tourbillons.

Bref je veux de mes yeux faire une mer de larmes,
Et si la mort me fuit dans ses pleureux seillons,
Pour ouvrir mon tombeau je forgeray des armes,


LXVI.
[modifier]

Que me reservez-vous, destins malicieux,
Apres avoir san bris de ma douce esperance,
Contre le fier ecueil de si lointaine absance,
Qlle te n’ay que la mort pour object de mes yeux ?

Est-il encor supplice, impitoyables Dieux,
ou martire, ou douleur dont l’aigre violance
N’ait-je par mille assauts combatu ma constance,
Et blessé mon repos de cent traits soucieux ?

Par ce que ce Soleil qui m’a l’ame ravie
Esclairoit doucement le printemps de ma vie,
Jaloux vous m’en avez esclipsé le beau jour.

O Dieux ! cessez enfin d’enaigrir ma blessure,
Que s’il faut qu’en aimant ce bel astre je meure,
Hé ! reservez au moins mon trespas au retour.

LXVII.
[modifier]

Peintre aveugle et cruel qui sur mille tableaux
Figurez la beauté des astres que j’adore,
Pourquoy mes fiers soucis dont l’ardeur me devore
Ne sont-ils en pourtrais ainsi que ses flambeaux ?

Pourquoy le fouvenir de ces Soleils jumeaux
Precipite mes tours loin de leur douce aurore,

Puis que comme les Dieux mon ame les honore,
Et leur donne le prix des astres les plus beaux ?

Cruelles, mais que dis-je, ains perfides pensées,
Qui servez de tableaux aux rigueurs insensées
Du superbe Tiran qui se rit de mon mal,

Fuyez ! Helas ! mon ame où s’envolent tes plaintes ?
Qµiconque est absanté de son astre fatal,
S’il vit, c’est au milieu des langueurs et des craintes.

LXVIII.
[modifier]

Je penetre le Ciel par le trait de ma plainte,
La rigueur de mon fort s’adoucit à mes cris,
Bref tout plaint mon malheur, seule, helas ! ma Cipris,
Insensible en amour, ne peut en estre attainte.

Pourquoy donques tes nœuds d’une cruelle estrainte
Soubs le joug de ta loy tiennent mon vouloir pris,
Amour ; si ce bel œil dont mon cœur est espis,
Glace mon doux espoir d’une mortelle crainte ?

Mais ce n’est point cest œil qui me tient en langueur,
Ce font les Dieux jaloux qui me blessent le cœur,
Parce que j’idolatre une beauté mortelle.

Touresfois je benis leurs traits malicieux,
Et les injustes maux qui me font soucieux,
Me font d’autant plus doux que la cause en est belle.


LXIX.
[modifier]

Quand je la pouvois voir ceste belle guerriere,
Mille chastes plaisirs autour de ses beaux yeux,
Dont le miel ne cedoit au doux Nectar des Cieux,
Couloient dessus mon ame heureuse prisonniere.

Si quelque soin rongeard d’une pointe meurtriere
Aigroit mes douceurs, ces astres gracieux
Dissipoient les ennuis de mon cœur soucieux,
Au seul estinceler de leur douce lumiere.

Il semboit que la gloire et les mieleux plaisirs
Viuotent tant seulement pour plaire à mes desirs,
Si bien de ses faveurs mon ame estoit repeue.

Mais j’eflois trop heureux, Amour en fut jaloux,
Si que de mon destin le cours n’est point si doux,
Depuis que ce cruel m’eslongna de sa veue.