Aller au contenu

La Légende des siècles/Les Bannis

La bibliothèque libre.
Les Bannis
La Légende des sièclesCalmann-Lévy1 (p. 99-101).


LES BANNIS




Cynthée, Athénien proscrit, disait ceci :
Un jour, moi Cynthœus et Méphialte aussi,
Tous deux exilés, lui de Sparte, moi d’Athènes,
Nous suivions le sentier que voici dans les plaines,
Car on nous a bannis au désert de Thryos.
Un bruit pareil au bruit de mille chariots,
Un fracas comme en peut faire un million d’hommes,
S’éleva tout à coup dans la plaine où nous sommes ;

Alors pour écouter nous nous sommes assis ;
Et ce grand bruit venait du côté d’Éleusis ;
Or Éleusis était alors abandonnée,
Et tout était désert de Thèbe à Mantinée
À cause du ravage horrible des Persans.
Les champs sans laboureurs, les routes sans passants,
Attristaient le regard depuis plus d’une année.
Nous étions là, la face à l’orient tournée,
Et l’étrange rumeur sur nos têtes passait ;
Et Méphialte alors me dit : Qu’est-ce que c’est ?
— Je l’ignore, lui dis-je. Il reprit : C’est l’Attique
Qui se soulève, ou bien c’est l’Iacchus mystique
Qui parle bruyamment dans le ciel à quelqu’un.
— Ami, ce que l’exil a de plus importun,
Repris-je, c’est qu’on est en proie à la chimère.
Et cependant le bruit cessa. — Fils de ta mère,
Me dit-il, je suis sûr qu’on parle en ce ciel bleu,
Et c’est la voix d’un peuple ou c’est la voix d’un dieu.
Maintenant comprends-tu ce que cela veut dire ?
— Non. — Ni moi. Cependant je sens comme une lyre
Qui dans mon cœur s’éveille et chante, et qui répond,
Sereine, à ce fracas orageux et profond.
— Et moi, dis-je, j’entends de même une harmonie
Dans mon âme, et pourtant la rumeur est finie.
Alors Méphialtès s’écria : — Crois et vois.
Nous avons tous les deux entendu cette voix ;
Elle n’a point passé pour rien sur notre tête ;
Elle nous donne avis que la revanche est prête ;

Qu’aux champs où, jeune, au tir de l’arc je m’exerçais
Des enfants ont grandi qui chasseront Xercès !
Cette voix a l’accent farouche du prodige.
Si c’est le cri d’un peuple, il est pour nous, te dis-je ;
Si c’est un cri des dieux, il est contre ceux-là
Par qui le sol sacré de l’Olympe trembla.
Xercès souille la Grèce auguste. Il faut qu’il parte ! —
Et moi banni d’Athène et lui banni de Sparte,
Nous disions ; lui : — Que Sparte, invincible à jamais,
Soit comme un lever d’astre au-dessus des sommets ! —
Et moi : — Qu’Athènes vive et soit du ciel chérie ! —
Et nous étions ainsi pensifs pour la patrie.