Les Complaintes (Mercure de France 1922)/Complainte du fœtus du Poète

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Les Complaintes (Mercure de France 1922)
Les ComplaintesMercure de FranceI. Poésies (p. 94-95).


COMPLAINTE
DU FŒTUS DE POÈTE


 
Blasé, dis-je ! En avant,
Déchirer la nuit gluante des racines,
À travers maman, amour tout d’albumine,
Vers le plus clair ! vers l’alme et riche étamine
D’un soleil levant !

— Chacun son tour, il est temps que je m’émancipe,
Irradiant des Limbes mon inédit type !

En avant !
Sauvé des steppes du mucus, à la nage
Têter soleil ! et soûl de lait d’or, bavant,
Dodo à les seins dorloteurs des nuages,
Voyageurs savants !

 

— À rêve que veux-tu, là-bas, je vivrai dupe
D’une âme en coup de vent dans la fraîcheur des jupes !

En avant !
Dodo sur le lait caillé des bons nuages
Dans la main de Dieu, bleue, aux mille yeux vivants
Au pays du vin viril faire naufrage !
Courage,
Là, là, je me dégage…

— Et je communierai, le front vers l’Orient,
Sous les espèces des baisers inconscients !

En avant !
Cogne, glas des nuits ! filtre, soleil solide !
Adieu, forêts d’aquarium qui, me couvant,
Avez mis ce levain dans ma chrysalide !
Mais j’ai froid ! En avant !
Ah ! maman…

Vous, Madame, allaitez le plus longtemps possible
Et du plus Seul de vous ce pauvre enfant-terrible.