Les Contes drolatiques/II/Prologue

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Les Contes drolatiquesGarnier frères (p. 217-222).


PROLOGUE


Aulcuns ont à l’Autheur reprouché de ne pas plus sçavoir le languaige du vieulx temps que les lièvres ne se cognoissent à faire des fagots. Iadis ces gens eussent esté nommez, à bon escient, cannibales, agelastes, sycophantes, voire mesmes ung peu yssus de la bonne ville de Gomorrhe. Mais l’Autheur consent à leur espargner ces iolies fleurs de la criticque ancienne ; il se rabat à ne point soubhaiter estre en leur peau, veu que il auroyt honte et mesestime de luy-mesme, et se cuyderoyt le darrenier des cacographes de calumnier ainsy ung paouvre livre qui n’est dedans la voye d’aulcun guaste-papier de cettuy temps. Hé ! maulvaises gens, vous gectez par les fenestres une prétieuse bile dont feriez meilleur employ entre vous ! L’Autheur s’est consolé de ne point plaire à tous en songiant que ung vieulx Tourangeau, d’éterne mémoire, eut telles contumelies de gars de mesme estoffe, que elles avoyent lassé sa patience et s’estoyt, dit-il, en ung de ses prologues, délibéré de ne plus escribre ung iota. Aultre aage, mesmes mœurs. Rien ne chet en métamorphose, ni Dieu, là-hault, ni les hommes, icy-bas. Doncques l’Autheur s’est affermy sur sa besche en riant et se repousant, sur l’advenir, du loyer de ses griefves poines. Et certes est-ce bien ung grief labeur que d’excogiter cent contes drolaticques, veu que, après avoir essuyé le feu des ruffians et envieux, celluy des amys ne luy ha point faict deffault, lesquels sont venus à la male heure, disant : « Estes-vous fol ? y songiez-vous ? iamais homme ha-t-il eu dedans la bougette de son imagination une centaine de contes pareils ? Quittez l’hyperbolicque estiquette de vos sacs, bon homme ! Au bout point n’iriez ! » Ceux-là ne sont point des misanthropes, ni des cannibales ; pour ruffians, ie ne sçays ; mais sont, pour le seur, de bien bons amys, de ceulx qui ont le couraige de vous desbagouler mille duretez tout le long de la vie, sont aspres et reches comme estrilles, soubz prétexte que ils se donnent à vous de foye, de bourse ou de pieds, en les énormes meschiefs de la susdicte vie, et descouvrent tout leur prix en l’heure de l’extresme onction. Encore si tels gens s’en tenoyent à ces tristes gentillesses ; mais point. Quand sont dementies leurs terreurs, ils disent triumphalement : « Ha ! ha ! ie le sçavoys ! Bien l’avoys-ie prophétisé ! »

A ceste fin de ne point descouraiger les beaulx sentimens, encore que ils soyent intolérables, l’Autheur lègue à ces amys ses vieilles pantophles fenestrées, et leur baille asseurance, pour les reconforter, que il ha, en toute propriété mobilière, exempte de saisies de iustice, dedans le réservoir de nature, ez replis du cerveau, septante iolis Contes. Vray Dieu ! de beaulx fils d’entendement, bien nippez de phrases, soigneusement fournis de péripéties, amplement vestus de comicque tout neuf, levé sur la pièce diurne, nocturne, et sans deffault de trame, que tisse le genre humain en chaque minute, chaque heure, chaque semaine, mois et an du grant Comput ecclésiastique, commencé en ung temps où le soleil n’y voyoyt goutte et où la lune attendoyt qu’on lui monstrast son chemin. Ces septante subiects, qu’il vous octroye licence d’appeler de maulvais subiects, pleins de pipperies, effrontez, paillards, pillards, raillards, ioueurs, ribleurs, estant ioincts aux deux Dixains présentement escloz, sont, ventre Mahom ! un légier à-compte sur la dessusdicte centaine. Et n’estoyt la male heure des bibliopoles, bibliophiles, bibliomanes, bibliographes et bibliothecques, qui arreste la bibliophagie, il les eust donnez d’une razade, et non goutte à goutte, comme s’il estoyt affligé d’une dysurie de cervelle. Ceste infirmité n’est, per Braguettam, nullement à redoubter en luy, veu que souvent il faict bon poids, boutant plus d’ung conte en ung seul, comme il est apertement démonstré par plusieurs de ce Dixain. Comptez mesmes qu’il ha esleu, pour finir, les meilleurs et plus ribauds d’entre eulx, à ceste fin de n’estre point accusé d’ung senile décours. Doncques, meslez plus d’amitiez en vos haines, et moins de haines en vos amitiez. Ores, mettant en oubly l’avaricieuse rareté de la Nature à l’endroict des conteurs, lesquels ne sont pas plus de sept parfaits en l’océan des escriptures humaines, d’aultres, tousiours amys, ont esté d’advis que, en ung temps où chascun va vestu de noir, comme en deuil de quelque chouse, besoing estoyt de concoctionner des ouvraiges ennuyeusement graves ou gravement ennuyeux ; que ung scriptolastre ne pouvoyt vivre désormais qu’en logiant son esperit en de grans édifices, et que ceux qui ne sçavoyent point rebastir les cathédrales et chasteaulx, dont aulcune pierre, ni ciment ne bouge, mourroyent incogneus comme les mules des papes. Ces amys feurent requis de déclairer ce que mieulx ils aymoient, ou d’une pinte de bon vin ou d’ung fouldre de cervoise ; d’ung diamant de vingt-deux carats ou d’un caillou de cent livres ; de l’anneau d’Hans Carvel conté par Rabelais ou d’un escript moderne piteusement expectoré par un escholier. Ceux-là demourant quinaulds et pantois, il leur feut dict sans cholère : « Avez-vous entendu, bonnes gens ? Ores doncques retournez à vos vignes ! »

Mais besoing est d’adiouxter cecy pour tous aultres : — Le bonhomme auquel nous debvons des fables et contes de sempiternelle authorité n’y ha mis que son outil, ayant robbé la matière à aultry ; mais la main-d’œuvre despensée en ces petites figures les ha revestues d’une haulte valeur ; et encores qu’il feust, comme messer Loys Ariosto, vitupéré de songier à miesvreries et vetilles, il y ha tel insecte, engravé par luy, tourné depuis en monument de perennité plus assurée que n’est celle des ouvraiges les mieulx massonnés. En l’espéciale iurisprudence du Gay-Sçavoir, la coustume est d’existimer plus chierement ung feuillet extorqué au gézier de la Nature et de la Vérité que tous les tièdes volumes dont, tant beaulx soyent-ils, ne sçauriez extraire ni ung rire, ny ung pleur. L’Autheur ha licence de dire cecy sans aulcune incongruité, veu que il n’ha point intention de se dresser en pieds, à ceste fin d’obtenir une taille supernaturelle, mais pour ce qu’il s’en va de la maiesté de l’art et non de luy-mesme, paouvre greffier dont le mérite est d’avoir de l’encre en son galimart, d’escouter Messieurs de la Court et calligrapher les dires de ung chascun en ce verbal. Il y est pour la main-d’œuvre, la Nature pour le demourant, veu que, depuis la Vénus du seigneur Phidias Athénian iusques au petit bon homme Godenot, nommé le sieur Breloque, curieusement élaboré par un des célèbres autheurs de ce temps, tout est estudié sur le moule éternel des imitations humaines, qui à tous appartient. En cet honneste mestier, heureux les voleurs : ils ne sont point pendus, ains estimez et chéris ! Mais est ung triple sot, voire sot dix cors en la teste, cil qui se quarre, iacte et pavane d’ung advantaige deu au hazard des complexions, pour ce que la gloire est seulement en la culture des facultez et aussy dans la patience et le couraige.

Quant aux petites voix flustées et aux becs gentils de celles qui sont venues mignonnement en l’aureille de l’Autheur, s’y plaignant d’avoir graphiné leurs cheveulx et guasté leurs iupes en certains endroicts, il leur dira : « Pourquoy y estes-vous allées ? » A ces chouses il est contrainct, par les insignes maulvaisetez d’aulcuns, d’adiouxter ung advertissement aux gens bénignes ; à ceste fin qu’ils en usent pour clore les calumnies des dessusdicts cacographes en son endroict.

Ces Contes drolaticques sont escripts, suyvant toute authorité, durant le temps où la royne Catherine, de la maison des Médicis, feut en pieds, bon transon de règne, veu qu’elle se mesla tousiours des affaires publicques à l’advantage de nostre saincte religion. Lequel temps ha prins beaucoup de gens à la gorge, depuis nostre deffunct maistre Françoys premier du nom, iusques aux Estats de Blois, où cheut monsieur de Guyse. Ores les escholiers qui iouent à la fossette sçavent que, en ceste période de prinses d’armes, pacifications et troubles, le languaige de France feut ung peu trouble aussy, veu les inventions de ung chascun poëte qui, en cettuy temps, souloyt faire, comme en celuy-cy, ung françoys pour lui seul, oultre les mots bizarres, grecs, latins, italians, allemands, souisses, phrases d’oltre-mer et iargons hespaignols, advenus par le faict des estrangiers, en sorte que ung paouvre scriptophile ha les coudées franches en ce languaige babelificque, auquel ont pourveu depuis messieurs de Balzac, Blaise Pascal, Furetière, Mesnage, Saint-Évremond, de Malherbe et aultres, qui les premiers balyèrent le françoys, feirent honte aux mots estranges et donnèrent droict de bourgeoysie aux paroles légitimes, de bon usaige et sceues de tous, dont feut quinauld le sieur Ronsard.

Ayant tout dict, l’Autheur retourne à sa dame, et soubhaite mille ioyeulsetez à ceulx dont il est aymé ; aux aultres, deux noix grollières en leurs degrez. Quand les hirundes descamperont, il reviendra, non sans le tiers et quart Dixain dont il baille icy promesse aux pantagruelistes, aux bons braguards et mignons de tout estaige, auxquels desplaisent les tristifications, méditations et mélancholies des choléographes.




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