Les Deux Étoiles (Gautier)/12

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Librairie de Tarride (p. 33-46).



CHAPITRE XII.


Une jeune fille, d’une beauté inouïe et revêtue d’un riche costume indien, fit son apparition dans la chambre, apparition est le mot, car on l’eût plutôt prise pour une Apsara descendue de la cour d’Indra que pour une simple mortelle.

Son teint singulier dans nos idées européennes avait l’éclat de l’or ; cette nuance ambrée, semblable à celle que le temps a donnée aux chairs peintes par Titien, n’empêchait pas, pourtant, les roses de la fraîcheur de s’épanouir sur les joues de la jeune fille ; ses yeux, coupés en amande et surmontés de sourcils si nets qu’on eût pu les croire tracés à l’encre de la Chine, s’allongeaient vers les tempes, agrandis par une ligne de surmeh partie des paupières frangées d’un rideau de cils bleus ; les deux prunelles de ces yeux semblaient deux étoiles noires sur un ciel d’argent. Le nez mince, finement coupé, aux narines avivées de rose, portait à sa racine un léger tatouage fait avec la teinture de gorotchana, et, à sa cloison, un anneau d’or étoilé de diamants, qui laissait scintiller à travers son cercle des perles d’un orient parfait, serties dans un sourire vermeil comme le fruit du jujubier. Ces diamants et ces perles, confondant leurs éclairs, donnaient à ce teint un peu fauve la lumière dont il eût peut-être manqué sans cela. Les joues lisses, onctueuses comme de l’ivoire, s’unissaient au menton par des lignes d’une netteté idéale. Le roi Douchmanta lui-même, ce Raphaël indien, n’aurait pu reproduire avec son gracieux pinceau toute la finesse de ces contours. Derrière les oreilles, petites et bordées d’un ourlet de nacre comme un coquillage de Ceylan, un tendre rameau de siricha, attaché à un nœud de filigrane, laissait pendre avec grâce sur la joue délicate de la jeune fille la houppe soyeuse et parfumée de ses fleurs. Ses cheveux, dont la raie était marquée par une ligne de carmin, se divisaient en bandeaux pour se réunir sur la nuque en tresses mêlées de fils d’or ; des plaques de pierreries ressortaient sur ce fond d’un noir bleuâtre.

Sa gorge, contenue dans une étroite brassière de soie cramoisie surchargée de tant d’ornements que l’étoffe disparaissait presque, était séparée par un nœud formé des filaments de lotus qui brillaient connue des fils d’argent ou des rayons de lune tissés. Ses bras fins, arrondis, flexibles, comme des lianes, étaient serrés prés de l’épaule par des bracelets en forme de serpents pareils à ceux du dieux Mahadeva, et au poignet par un quintuple rang de perles. Ses mains, d’une petitesse enfantine, avaient la paume et les ongles teints en rouge, et des anneaux de brillants scintillaient à leurs phalanges ; un cercle d’or constellé d’améthystes et de grenats emprisonnait sa taille souple, nue du corset à la hanche, suivant la mode orientale, et fixait les plis d’un pantalon d’étoffe bariolée qui, arrêté aux chevilles, laissait voir jaillissant d’un amas de bracelets de perles et de cercles d’or, ornés de petites clochettes, deux pieds mignons aux talons polis, aux doigts chargés de bagues et colorés en rose par le Hinna, comme les joues d’une vierge qui rougit de pudeur. Une écharpe nuancée d’autant de couleurs que l’arc-en-ciel ou la queue du paon qui sert de monture à Sarawasti, et dont les bouts passaient sous la ceinture d’or, jouait à plis caressants autour de ce corps onduleux et mince comme une tige de palmier. Sur la poitrine ruisselait, avec un frisson métallique, une cascade de colliers, perles de toutes couleurs, chaînons bruissants, boules dorées, fleurs de lotus réunies en chapelet, tout ce que la coquetterie indienne peut inventer de splendide et de suave : des marques mystérieuses faites avec la poudre de santal se dessinaient vaguement à la base du cou parmi cet éclat phosphorescent, et pour que rien ne manquât à la localité du costume, la jeune fille exhalait autour d’elle un faible et délicieux parfum d’ousira.

Ni Parvati, la femme de Mahadeva, ni Misrakesi, ni Menaca n’égalaient en beauté la jeune indienne, qui s’avança vers Volmerange, pétrifié de surprise, en faisant bruire dans sa marche ses colliers, ses bracelets et les clochettes de ses chevilles.

La poésie mystérieuse de l’Inde semblait personnifiée dans cette belle fille, éclatante et sombre, délicate et sauvage, luxueuse et nue, faisant appel à toutes les idées et à tous les sens ; aux idées par ses tatouages et ses ornements symboliques ; aux sens, par sa beauté, son éclat et son parfum ; l’or, les diamants, les perles, les fleurs faisaient d’elle un foyer de rayons dont les moins vifs n’étaient pas ceux de ses prunelles.

Elle vint ainsi jusqu’au divan avec des ondulations allanguies pleines d’une chaste volupté, appuyant un peu le talon comme Sacountala sur le sable du sentier fleuri, et quand elle fut parvenue en face de Volmerange, elle s’agenouilla et se tint dans la même attitude de contemplation respectueuse que Laksmi admirant Wishnou couché dans sa feuille de lotus, et flottant sur l’infini, à l’ombre de son dais de serpents.

Malgré toutes les raisons qu’il avait de se croire éveillé, Volmerange dut penser qu’il était le jouet de quelque hallucination prodigieuse. Il y avait si peu de rapports entre les événements de la nuit et ce qui se passait qu’on eût pu s’imaginer à moins avoir la cervelle dérangée, et cependant rien n’était plus réel que l’être charmant incliné à ses pieds.

Cette scène faisait à Volmerange une impression profonde. Sa mère était Indienne et d’une de ces races royales dépossédées par les conquêtes des Anglais. Les gouttes de sang asiatique qui coulaient dans ses veines, mêlées au sang glacé du nord, semblaient en ce moment couler plus rapides et entraîner dans leur cours la portion européenne. Ses souvenirs d’enfance revenaient en foule ; il voyait comme dans un mirage s’élever à l’horizon les cimes neigeuses de l’Himalaya, les pagodes arrondir leurs dômes, l’asoca épanouir ses fleurs orangées, et le Malini bercer dans ses eaux bleues des couples de cygnes en amour. Toute la poésie du passé renaissait dans cette rétrospection évocatrice.

L’architecture de la salle, les parfums de la madhavi, le costume du vieil Indou, l’éclat éblouissant de la jeune fille, éveillaient en lui des réminiscences endormies : la figure même de la belle créature affaissée à ses genoux dans une attitude d’adoration amoureuse ne lui était pas complétement inconnue, quoiqu’il fut sûr de la voir pour la première fois : où s’étaient-ils rencontrés ? dans le monde des rêves ou dans quelque incarnation antérieure ? c’est ce qu’il n’aurait su dire. Pourtant un essaim confus de pensées bourdonnait autour de sa tête, et il lui semblait avoir vécu longtemps avec celle qu’il regardait depuis quelques minutes à peine.

Le vieux fantôme à figure jaune et à robe blanche paraissait avoir compté sur cet effet, et il fixait avec une persistance étrange ses yeux flamboyants sur Volmerange pour suivre ses mouvements intérieurs. Apparemment le comte ne manifesta pas assez vite ses émotions au gré de Dakcha (c’est ainsi que se nommait l’Indien), car il fit signe à la jeune fille de prendre la parole.

— Cher seigneur, dit celle-ci, dans cet idiome indostani plein de voyelles et doux comme de la musique, ne vous souvient-il plus de Priyamvada ?

Les sons de cette langue qu’il avait parlée aux Indes dès son enfance et qu’il avait négligée depuis qu’il habitait l’Europe ne présentèrent d’abord à ses oreilles qu’un murmure mélodieusement rhythmé, et il lui fallut un peu de temps pour en saisir le sens : il avait compris l’air avant les paroles.

— Priyamvada, dit-il lentement et comme pour se donner le temps de se ressouvenir, Priyamvada,… celle dont le langage a la douceur du miel… Non, je ne me la rappelle pas… pourtant il me semble… Oui, c’est cela : j’ai connu autrefois une enfant, une petite fille.

— Dix ans écoulés ont fait une jeune fille de l’enfant née de la sœur de votre mère.

— Ah ! c’est toi à qui je donnais pour jouer de petits éléphants d’ivoire, des tigres de bois sculptés et des paons de terre cuite peints de mille couleurs. Priyamvada, ma cousine au teint doré, j’avais un peu oublié cette parenté sauvage.

— Je ne l’ai pas oubliée, moi, et j’honore en vous le dernier de cette race de rois qui ont eu des dieux pour ancêtres et se sont assis sur les nuages avant de s’asseoir sur des trônes…

— Quoique votre père fût européen, ajouta Dakcha, une seule goutte de ce sang divin transmise par votre mère vous fait le fils de ces dynasties qui vivaient et florissaient des siècles avant que votre froide Europe fût sortie du chaos ou émergée des eaux diluviales.

— Vous êtes l’espoir de tout un peuple, ajouta Priyamvada de sa voix musicale et caressante, avec un accent d’indicible flatterie.

— Moi, l’espoir de tout un peuple ! quelle étrange folie ! répliqua Volmerange.

— Oui, Priyamvada a dit la vérité, ajouta Dakcha en s’inclinant et en croisant sur sa poitrine osseuse ses mains décharnées et noires comme les pattes d’un singe ; vous êtes désigné par le ciel à de grands destins. Touché des souffrances de mon pays, je me suis voué pendant trente ans aux plus effroyables austérités pour obtenir sa grâce des dieux ; né riche, j’ai vécu comme le plus pauvre paria ; j’ai traité si durement ce misérable corps, qu’il ressemble à ces momies desséchées depuis quarante siècles dans les syringes de l’Égypte, car j’ai voulu détruire cette chair infirme pour que l’âme dégagée pût remonter à la source des choses et lire dans la pensée des dieux. Oh ! j’ai bien souffert, continua-t-il avec une exaltation croissante ; et le don de voir je l’ai chèrement payé. La pluie a fait ruisseler ses torrents glacés et le soleil ses torrents de feu sur mon corps immobile, dans la position la plus gênante. Mes ongles ont, en poussant, percé mes mains fermées ; brûlant de soif, exténué de faim, hideux, souillé de poussière, n’ayant plus rien d’humain, je suis resté là, bien des étés, bien des hivers, objet d’épouvante et de pitié : les termites bâtissaient leur cité à côté de moi ; les oiseaux du ciel faisaient leurs nids dans mes cheveux hérissés en broussaille ; les hippopotames cuirassés de fange venaient se frotter à moi comme à un tronc d’arbre ; le tigre aiguisait ses griffes sur mes côtes, me prenant pour une roche ; les enfants cherchaient à m’arracher les yeux en les voyant luire comme des morceaux de cristal dans ce tas de fange inerte. Le tonnerre m’est tombé une fois dessus, sans pouvoir interrompre mes prières. Aussi Brahme, Wishnou et Shiva ont-ils pris ma pénitence en considération, et la vénérable Trimurti, lorsque, mon temps achevé, je suis allé la consulter dans les cavernes d’Eléphanta, a-t-elle daigné me dire trois fois, par les bouches de sa triple tête, nom du sauveur prédestine.

En tenant cet étrange discours, Dakcha semblait s’être transfiguré ; sa taille voûtée s’était redressée, ses yeux étincelaient d’enthousiasme, une lumière intérieure éclairait sa face brune ; ses rides avaient presque disparu, et la jeunesse de l’âme, amenée à la surface, voilait momentanément la décrépitude du corps.

Volmerange surpris l’écoutait avec une sorte d’effroi respectueux, et Priyamvada, saisie d’admiration, prit le bord de la robe du saint homme et la baisa religieusement : pour elle Dakcha était un Gourou, un être divin. Quand elle se releva, ses yeux étaient remplis de larmes comme deux calices de lotus emperlés par la rosée matinale.

Ce groupe était d’un effet charmant. Cette jeune créature, aux mouvements gracieux, aux formes arrondies, aux vêtements somptueux, formait un contraste comme cherché à plaisir avec ce vieillard sec, anguleux et fauve ; on eût dit la personnification de la poésie à côté de la personnification du fanatisme.

Cette scène étrange avait distrait le comte des événements de la nuit ; tout ce qui s’était passé dans la chambre nuptiale et sur le pont de Blackfriars lui produisait l’effet d’un cauchemar fiévreux chassé par les douces clartés du matin ; il se demandait si lui, Volmerange, s’était bien réellement marié la veille et avait jeté sa femme coupable dans la Tamise. Cet avertissement, ces lettres, cet écroulement de bonheur, cette catastrophe horrible, le laissaient presqu’incrédule, et il restait là rêveur, à regarder Dakcha et Priyamvada.

Dakcha, revenu de son exaltation, rentrait peu à peu dans la vie réelle et perdait son air inspiré ; ce n’était plus que le vieillard parcheminé dont nous avons tracé plus haut le portrait. Le prophète avait disparu ; il ne restait plus que l’homme, et l’homme dit au comte avec un sourire obséquieux :

— Maintenant que votre seigneurie sait qu’elle est chez le mouni Dakcha, de la secte des Brahmanes, je puis me retirer. Des ablutions à faire, pour me purifier des souillures qu’un saint même ne peut éviter dans ces villes infidèles, m’obligent à rentrer dans ma chambre orientée. Priyamvada restera avec vous, et son entretien vous sera plus agréable sans doute que celui d’un vieux brahme épuisé par la pénitence.

Après avoir dit ces mots, Dakcha laissa retomber l’épaisse portière dont il avait soulevé le pli, et disparut.

Priyamvada, se groupant aux pieds de Volmerange avec la grâce d’une gazelle familière, lui prit la main, et levant vers lui ses yeux brillants sous leurs lignes de surmeh, lui dit d’une voix pleine de roucoulements mélodieux :

— Qu’a donc mon gracieux seigneur ? il semble triste et préoccupé ; ne serait-il pas heureux ?

Un soupir fut la seule réponse de Volmerange.

— Oh ! personne n’est heureux, continua Priyamvada, dans ce climat maudit, sur cette terre ingrate où les fleurs ne peuvent éclore qu’emprisonnées sous verre avec un poêle pour soleil, où les femmes sont pâles comme la neige sur le sommet des montagnes et ne savent pas aimer.

Cette phrase, qui ravivait les blessures de Volmerange, lui fit faire un soubresaut douloureux ; ses yeux étincelèrent.

La jeune Indienne, saisissant au vol cet éclair de colère, comprit qu’elle avait touché juste et reprit de sa voix la plus douce :

— Une femme d’Europe aurait-elle causé quelque chagrin au descendant des rois de la dynastie lunaire ?

Volmerange ne répondit pas, mais un profond sanglot souleva sa poitrine.

Fondant sa voix dans une intonation plus moelleuse encore, Priyamvada continua son interrogatoire :

— Est-il possible que mon seigneur, dont la beauté éclatante surpasse celle de Chandra lorsqu’il parcourt le ciel sur son char d’argent, n’ait pas été aimé aussitôt qu’il a daigné abaisser son regard sur une simple jeune fille, lui que les Apsaras seraient heureuses de servir à genoux ?

En prononçant cette phrase, la jeune Indienne avait noué ses bras autour du corps de Volmerange comme une jolie mâlicâ en fleur qui s’enlace au tronc d’un amra ; son charmant visage, rapproché de celui du comte, semblait dire, par l’éclair mouillé des yeux et la grâce compatissante du sourire, combien son beau cousin d’Europe eût été avec elle à l’abri d’un semblable malheur.

Pour toute réponse, Volmerange pencha sa tête sur l’épaule de Priyamvada, qui bientôt la sentit trempée de larmes.

— Eh quoi ! dit Priyamvada en essuyant d’un chaste baiser les larmes aux paupières de Volmerange, une de ces capricieuses femmes du Nord, plus changeantes que les reflets de l’opale ou la peau du caméléon, aurait-elle trompé le gracieux seigneur, comme s’il pouvait avoir son égal dans la nature, car un homme de la race des dieux ne pleure que pour une trahison ?

— Oui, Priyamvada, j’ai été trahi, indignement trahi, s’écria Volmerange, ne pouvant plus contenir ce secret fatal.

— Et j’espère, répondit Priyamvada du ton le plus tranquille, le plus musical, que mon cher seigneur a tué le coupable ?

— La Tamise a caché et puni sa faute.

— C’est un châtiment bien doux ; dans mon pays, le pied de l’éléphant se fût posé sur cette poitrine menteuse et y eût lentement écrasé le cœur de la perfide ; ou bien le tigre eût déchiré comme un voile de gaze ce corps souillé d’un autre amour, à moins que le maître n’eût préféré enfermer la criminelle dans un sac avec un nid de cobra-capello. Que ce souvenir s’efface de votre esprit comme un petit nuage balayé du ciel, comme un flocon d’écume qui se fond dans l’Océan ; oubliez l’Europe et venez dans l’Inde où les adorations vous attendent. Là, sous un climat de feu, on respire des brises chargées d’enivrants parfums ; les fleurs géantes ouvrent leurs calices comme des urnes ; le lotus s’étale langoureusement sur les tirthas consacrés ; dans les forêts et dans les prés croissent les cinq fleurs dont Cama, le dieu de l’amour, arme les pointes de ses flèches ; le tchampaca, l’amra, le kesara, le ketaca et le bilva, qui toutes allument au cœur un feu différent, mais d’une ardeur égale ; les chants plaintifs des cokilas et des tchavatracas se répondent d’une rive à l’autre ; là un regard attache pour la vie ; la femme aime au-delà du trépas, et sa flamme ne peut s’éteindre que dans les cendres du bûcher : c’est là qu’il faut vivre, c’est là qu’il faut mourir pour un unique amour. Oh ! viens là-bas, cher maître, et dans les bras et sur le cœur de Priyamvada s’évanouira bientôt, comme le songe d’une nuit d’hiver, ce long cauchemar septentrional que tu as cru être la vie !

L’Indienne, se croyant déjà sans doute revenue dans sa patrie, attirait Volmerange sur son sein, où frémissaient les colliers d’or, où les perles s’entrechoquaient soulevées par sa respiration saccadée. Ainsi enveloppé, enlacé par les caresses hardiment virginales de cet être aux passions naïves et chastes comme la nature aux premiers jours de la création, Volmerange éprouvait un trouble profond et sentait des vagues de flamme lui passer sur le visage ; son bras, sans qu’il en eût la conscience, se ferma de lui-même sur la taille cambrée de Priyamvada.

Un pli de la portière se dérangea un peu, et laissa scintiller les yeux métalliques du vieux brahme.

Volmerange et Priyamvada étaient trop occupés d’eux-mêmes pour y faire attention.

— Bien, se dit Dakcha en contemplant le spectacle, il paraît que l’Europe et l’Inde se réconcilient, et que Priyamvada et Volmerange veulent s’unir selon le mode gandharva, un mode très respectable et que Manou admet parmi ses lois. Rien ne pouvait mieux servir mes projets.

Et il se retira aussi doucement que possible.

— Viendrez-vous avec moi dans le Pendjab ? dit Priyamvada au comte, dont les lèvres venaient d’effleurer son front.

— Oui, mais il me reste un coupable à punir, répondit Volmerange d’un ton où tremblait la fureur.

— C’est juste, répliqua la jeune fille, mais permettez à votre esclave de s’étonner qu’un homme qui vous a offensé ne soit pas encore anéanti par votre vengeance.

— Je ne le connais pas ; j’ai eu la preuve du crime et j’ignore le criminel. Un art infernal a ourdi cette trame. Aucun indice, aucune trace ne peut me guider.

— Écoutez-moi, dit Priyamvada pensive ; vous autres Européens, qui vous fiez à vos sciences factices inventées d’hier, vous ne vivez plus dans le commerce de la nature, vous avez brisé les liens qui rattachent l’homme aux puissances occultes de la création. L’Inde est le pays des traditions et des mystères, et l’on y sait encore plus d’un vieux secret autrefois communiqué par les dieux qui confondrait d’étonnement vos sages incrédules. Priyamvada n’est qu’une simple jeune fille que les orgueilleuses ladies traiteraient comme une sauvage bonne à égayer une soirée ; mais j’ai entendu plus d’une fois les brahmes, assis sur une peau de gazelle entre les quatre réchauds mystiques, parler de ce qui se pouvait et de ce qui ne se pouvait pas. Eh bien ! je vais vous faire découvrir le coupable, fût-il caché à l’autre bout de la terre.