Les Bacchis (Traduction Joseph Naudet)

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Les Bacchis (Traduction Joseph Naudet)
Traduction par Joseph Naudet.
Théâtre complet de PlautePanckouckeTome 2 (p. 155-345).
PERSONNAGES
BACCHIS L’ATHÉNIENNE, amante de Pistoclère.
BACCHIS L’ÉTRANGÈRE amante de Mnésiloque.
PISTOCLÈRE, jeune homme, ami de Mnésiloque.
LYDUS, pédagogue de Pistoclère.
CHRYSALE, esclave de Nicobule, serviteur de Mnésiloque.
NICOBULE, vieillard athénien, père de Mnésiloque.
MNÉSILOQUE, amant de Bacchis l’étrangère.
UN PARASITE de Cléomaque.
UN ESCLAVE de Cléomaque.
PHILOXÈNE, père de Pistoclère.
CLÉOMAQUE, militaire.
ARGUMENT ACROSTICHE


ATTRIBUÉ


à PRISCIEN LE GRAMMAIRIEN.

Mnésiloque est épris d’un amour violent pour Bacchis. Son père l’envoie à Éphèse recouvrer une somme d’argent. Bacchis s’en va en Crète, et rencontre sa sœur. Elle revient ensuite à Athènes. Mnésiloque, pendant son voyage, écrit à Pistoclère de chercher son amante; puis, à son retour, il brouille tout, croyant qu’elle est infidèle. Mais ils prennent chacun la leur. Ils se procurent de l’argent pour se livrer ensemble à leurs plaisirs. Les deux vieillards, en voulant retirer leurs fils de la débauche, y tombent eux-mêmes.


PROLOGUE.
Silène

« Je serai bien étonné, si les spectateurs ne me font la mine au lieu de me trouver risible, et causant, toussant, ronflant sur leurs gradins, ne me troublent par leur murmure importun et leur brouhaha continuel. Des acteurs brillants d’élégance et de jeunesse, des mimes à la peau luisante, ont déjà tant de peine à se maintenir en scène ! — Pourquoi vient-il porter la parole, ce vieux podagre, sur sa monture à longues oreilles ? — Un moment de patience et d’attention, je vous prie, tandis que je vais vous apprendre le titre de cette pièce du genre calme. Est-ce que vous ne ferez pas silence, quand un dieu vous parle ? Et puis, on doit tenir sa langue, si l’on est venu pour voir, et non pour crier. Prêtez-moi des oreilles tranquilles ; je ne les prendrai pas. Je veux que ma voix vole jusqu’à elles et aille les frapper. Ne craignez rien ; ses coups ne vous feront pas de mal : ils glissent dans le vide, et remplissent des cavités. Que vous êtes bons, et que vous méritez bien la faveur des dieux !

Voilà le silence qui règne, les enfants se taisent. Écoutez le nouvel orateur d’un spectacle nouveau. Vous voulez savoir qui je suis, pourquoi je viens ? — Je vais vous satisfaire en deux mots, et vous dire aussi le titre de la comédie ; donnez-moi donc audience. Je suis dieu de la nature, père nourricier du grand Bromius, ce conquérant que suivaient des bataillons féminins ; à tous ses exploits vantés par des peuples fameux, mes conseils eurent grande part ; sa volonté est toujours conforme à la mienne : c’est juste, un dieu doit de la déférence à un dieu ? On m’appelle le vieux cavalier d’Aliboron parmi les troupes d’Ionie, parce que je chemine sur un coursier grisonnant. Vous savez qui je suis, retenez bien ; mais pas assez cependant pour m’empêcher de vous annoncer le titre de cette grande pièce, et d’expliquer le motif de ma venue.

« Philémon donna jadis une comédie. Les Grécisans la nomment les deux Évantides, mais Plaute le Latin l’intitule les deux Bacchis. Mon apparition ici n’a donc rien d’étonnant : c’est Bacchus qui vous envoie les Bacchis, bacchantes faisant leurs bacchanales ; et je vous les apporte. Ah ! je mens : c’est mal à un dieu. Pour dire le vrai, ce n’est pas moi qui les porte, c’est mon âne, un âne d’esprit. Mais il est fatigué, car, si je ne vous trompe pas, nous sommes trois sur son dos : il n’y a que moi de visible. Or çà, considérez ce que j’apporte en paroles ; ce sont deux sœurs, deux bacchantes samiennes, courtisanes accortes, nées en même jour, des mêmes parents, du même sein, jumelles qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, ou deux gouttes de lait. C’est à s’y méprendre : les yeux en les voyant sont confondus ; on ne sait comment les distinguer l’une de l’autre ; on croirait que d’une seule on en a fait deux. — Eh bien, après ? direz-vous. — Faites silence, je vais vous exposer le sujet de la comédie. Vous connaissez tous le pays de Samos. Il n’y a point de mers, de continents, d’îles, de montagnes où vos légions ne se soient ouvert une route. À Samos donc, Sostrate, fille de Pyrgotèle, femme de Pyroclès, mit au jour deux filles par un seul enfantement, et comme le mari et la femme étaient initiés aux mystères de Bacchus, ils voulurent nommer leurs filles du nom de ce dieu. Par un sort assez commun, les jumelles devinrent orphelines ; une d’elles fut emmenée en Crète par un riche militaire, l’autre vint dans la ville de Cécrops. Mnésiloque, fils de Nicobule, la vit, l’aima, et entretint avec elle un commerce assidu. Cependant le jeune homme est envoyé par son père à Éphèse, pour recouvrer un dépôt confié jadis au vieil Archidame, un ancien ami, de race phénicienne. Ce soin retient Mnésiloque à Éphèse pendant deux ans ; là, il apprend par des voyageurs de sa connaissance, que sa maîtresse est partie d’Athènes. Aussitôt l’amant désolé écrit à Pistoclère, fils de Philoxène, camarade excellent, unique, de chercher la fugitive. Pistoclère en servant son ami devient amoureux lui-même. Les deux sœurs étaient de retour à Athènes ; une d’elles prend le chercheur dans ses filets ; l’autre attend Mnésiloque. Est-ce merveille que deux jouvenceaux se laissent entraîner par deux bacchantes jolies, agaçantes, spirituelles ? Elles seraient capables de séduire les deux pères, vieillards cacochymes. Mais voici Pistoclère qui vient rendre visite aux Bacchis, dont il a tout récemment découvert la demeure. Il se parle à lui-même, exhalant le feu nouveau de l’amour, auquel il n’est pas fait encore. Écoutez-le, je me retire. "

ACTE 1


Scène 1

LES DEUX BACCHIS, PISTOCLÈRE
BACCHIS L’ATHÉNIENNE

Ne vaut-il pas mieux que tu ne dises rien, et que ce soit moi qui parle ?

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE

Très bien, volontiers.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Quand je n’aurai pas l’esprit assez présent, tu m’aideras, ma soeur.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Ah ! c’est plutôt à moi de craindre que la parole ne me manque pour te souffler.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Oui, comme on peut craindre que la voix ne manque au rossignol. Viens avec moi par ici.

(Elle va au devant de Pistoclère.)

PISTOCLÈRE.

Comment se portent les deux galantes sœurs entre lesquelles il y a communauté de nom ? Qu’est-ce que vous complotez ensemble ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Rien que de bien.

PISTOCLÈRE.

Vous n’êtes donc pas des courtisanes ?

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Que le sort des femmes est malheureux !

PISTOCLÈRE.

Que les femmes sont dignes de leur sort !

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Ma sœur me prie de lui trouver quelqu’un qui la protège contre ce militaire, afin d’être assurée qu’après qu’elle aura achevé son temps avec lui, il la ramènera chez nous. Je t’en prie, sois son protecteur.

PISTOCLÈRE.

Et pourquoi son protecteur ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Pour assurer son retour, quand elle aura satisfait a ses engagements, et pour qu’il ne la retienne pas en servitude. Si elle avait de l’argent pour le rembourser, elle aimerait bien mieux cela.

PISTOCLÈRE.

Où est-il, ce militaire ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Je crois qu’il va venir. Il vaut mieux que cette affaire se traite chez nous. Repose-toi ici en l’attendant. Par la même occasion tu boiras avec nous, et après boire, je te donnerai un doux baiser.

PISTOCLÈRE.

C’est de la glu toute pure que vos caresses.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Comment ?

PISTOCLÈRE.

Oui, je le vois, vous voulez à vous deux attraper un tourtereau. Ah ! je suis perdu ! déjà les gluaux m’ont frappé les ailes. Non, ma belle, ce que tu me proposes ne vaut rien pour moi.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Eh ! pourquoi, mon ami ?

PISTOCLÈRE.

Pourquoi, Bacchis ? je crains les bacchantes et tes bacchanales.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Que crains-tu donc ? qu’un repas chez-moi ne te pervertisse ?

PISTOCLÈRE.

Je crains moins ton repas que tes appas, maligne femelle ! À mon âge, la belle, on doit éviter le mystère et l’ombre.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Je serais la première à t’empêcher de faire des folies, s’il t’en prenait envie. Mais je désire que le militaire te trouve ici, quand il viendra. En ta présence on n’oserait pas nous insulter. Tu me défendras ; et en même temps tu rendras service à ton ami. Le militaire, en te voyant, te prendra pour mon amant. Eh bien, tu ne dis mot ?

PISTOCLÉRE.

Tous ces discours sont très beaux ; mais quand on en vient aux effets, à l’expérience, ce sont des traits acérés qui blessent les cœurs, qui abattent les fortunes, qui tuent les mœurs et la réputation.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Qu’as-tu à craindre de sa part ?

PISTOCLÉRE.

Ce que j’ai à craindre ? tu le demandes ! Un jeune homme entrer dans un gymnase, comme celui-ci, où l’on s’exerce à se ruiner, où je jetterais l’argent au lieu du disque, où je courrais après la honte !

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

La plaisanterie est bonne.

PISTOCLÉRE.

Où l’on me donnerait en main au lieu d’épée un tourtereau, et au lieu de ceste l’anse d’un canthare ; où je prendrais pour casque une coupe, pour aigrette une couronne de fleurs, pour javelot des dés, pour cuirasse une robe moelleuse ; où mon cheval serait un lit, et mon bouclier une fille étendue près de moi. Va-t’en, va-t’en !

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Ah ! que tu es farouche !

PISTOCLÈRE.

Cela me regarde.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Tu as besoin qu’on t’assouplisse un peu. Te t’offre mes services.

PISTOCLÈRE.

Tes services sont trop chers.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Fais semblant d’être bien avec moi.

PISTOCLÈRE, d’un air alarmé.

Est-ce un semblant pour rire ? ou sera-ce tout de bon ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Allons, allons : les réalités valent mieux. Quand le militaire viendra, il faut que tu m’embrasses.

PISTOCLÈRE.

Est-ce nécessaire ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Il faut qu’il te voie ainsi. Je sais ce que je fais.

PISTOCLÈRE.

Et moi, je sais ce que j’ai à craindre. Dis-moi ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Quoi ?

PISTOCLÈRE.

S’il t’arrivait tout-à-coup un festin, bon vin et mets friands, accompagnement ordinaire de vos réunions, où serais-je placé ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Près de moi, mon cœur. Nous ferions un couple d’aimables convives. Tu peux venir chez nous sans être attendu, la place pour toi est toujours libre. Quand tu voudras faire une partie de plaisir, ma rose, tu n’as qu’à parler ; fais les frais de la table, et moi je te fournirai un lieu agréable, où le plaisir ne te manquera pas.

PISTOCLÈRE.

Il y a ici un torrent trop rapide ; on ne le traverse pas facilement.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Il faudra bien que tu laisses emporter quelque chose au courant. Donne-moi la main, et viens avec moi.

PISTOCLÈRE.

Non, non.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Pourquoi ?

PISTOCLÈRE.

C’est qu’il y a chez toi trop de séductions pour un jeune homme, la nuit, le vin, l’amour.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, en colère, feignant de le renvoyer.

Eh bien ! va-t’en. C’est pour toi ce que j’en fais. Le militaire emmènera ma sœur. Abandonne-la, si tu veux.

PISTOCLÈRE, à part.

Quelle lâcheté ! ne pas avoir plus d’empire sur moi-même !

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Que crains-tu ?

PISTOCLÈRE.

Plus rien. Je me livre à toi, Bacchis ; je suis tout à toi : dispose de moi à ton gré.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Charmant ! Voici mes ordres : Je veux donner à ma sœur le repas d’adieu. Je vais te faire apporter de l’argent ; tu iras nous acheter des provisions pour un régal splendide.

PISTOCLÈRE.

Garde ton argent. J’aurais trop à rougir, si, en acceptant tes services, je souffrais encore que tu te misses en dépense pour m’obliger.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Je ne veux pas qu’il t’en coûte la moindre chose.

PISTOCLÈRE.

Si fait.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

J’y consens, puisque tu l’exiges. Dépêche-toi, je t’en prie.

PISTOCLÈRE.

Je serai revenu, que tu n’auras pas senti l’absence de mes caresses.

(Il sort.)
BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Sais‑tu, ma sueur, que tu me régales bien pour mon arrivée ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Comment cela ?

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Si je ne me trompe, tu viens de pêcher un beau poisson.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Il est à moi. À présent, ma sœur, songeons à toi et à ton amour. Il faut qu’on te procure ici de l’argent pour ne point partir avec le militaire.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Je le désire bien.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

On y pourvoira. — Mais le bain est chaud, rentrons ; car le vaisseau doit t’avoir laissé du malaise.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Un peu, ma sœur. Et puis, voici quelqu’un qui vient de ce côté en criant beaucoup. Retirons-nous.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Viens, tu te coucheras pour te reposer de ta fatigue.


Scène 2

LYDUS, PISTOCLÈRE, en habit de fête et suivi d’esclaves qui portent des provisions de bouche.
LYDUS.

Il y a déjà longtemps que je te suis sans rien dire, Pistoclère, observant ce que tu veux faire en pareil équipage. Car, me protège le ciel ! dans cette ville un Lycurgue serait entraîné au vice. Où vas-tu tout droit avec ce brillant cortège ?

PISTOCLÈRE, montrant la maison de Bacchis.

Là.

LYDUS.

Comment ? là ? Qui est-ce qui demeure là ?

PISTOCLÈRE.

L’Amour, la Volupté, Vénus, les Grâces, la Joie, les Ris, les Jeux, les Aimables Entretiens, le Doux-Baiser.

LYDUS.

Et quels rapports as-tu avec cette maudite engeance ?

PISTOCLÈRE.

C’est un crime d’insulter les honnêtes gens, et tu n’épargnes pas les dieux ! Vois combien tu es coupable.

LYDUS.

Est-ce qu’il y a un dieu appelé le Doux-Baiser ?

PISTOCLÈRE.

Comment ? tu ne le savais pas ? Fi ! que tu es barbare, Lydus ! et je te croyais plus savant que Thalès. Tu es plus bête que l’imbécile Potitius. À ton âge ne pas savoir les noms des dieux !

LYDUS.

Je n’aime pas cette parure.

PISTOCLÈRE.

Aussi n’est-ce pas pour toi qu’on l’a prise. Il suffit qu’elle me plaise, à moi.

LYDUS.

Mais je crois que tu fais le capable, avec ton gouverneur, quand tu ne devrais pas souffler en sa présence, eusses-tu dix langues.

PISTOCLÈRE.

Il vient un âge où l’on n’est plus sous la férule, mon cher Lydus. Aujourd’hui je n’ai qu’un souci, c’est que le cuisinier accommode bien tout cela : les morceaux en valent la peine.

LYDUS.

Tu te perds, tu me perds aussi, et tous mes soins sont perdus. Voilà donc le fruit de tant de bonnes leçons !

PISTOCLÈRE.

Ma foi ! nous perdions tous deux notre temps. Tes préceptes ne m’ont servi de rien, non plus qu’à toi.

LYDUS.

Ô tête fascinée !

PISTOCLÈRE.
Tu m’ennuies. Tais-toi, Lydus, et suis-moi.
LYDUS.

Voyez un peu ! il m’appelle par mon nom, au lieu de me dire : Mon gouverneur.

PISTOCLÈRE.

Cela ne conviendrait pas. Quand ton maître va se mettre à table dans cette maison, avec son amante, quand ils s’embrasseront, en présence des joyeux convives, siérait-il qu’un pédagogue fût de la partie ?

LYDUS.

C’est donc pour une telle fête que tu as acheté ces provisions ?

PISTOCLÈRE.

Je l’espère du moins. L’effet dépend des dieux.

LYDUS.

Et tu auras une maîtresse ?

PISTOCLÈRE.

Quand tu le verras, tu le sauras.

LYDUS.

Non, tu n’en auras pas ; je ne le souffrirai pas. Je vais à la maison.

PISTOCLÈRE.

Laisse-moi, Lydus, et prends garde à toi.

LYDUS.

Comment prends garde à toi ?

PISTOCLÈRE.

Je ne suis plus d’âge à être régenté.

LYDUS.

Où est le gouffre où l’on se noie ? je voudrais m’y jeter, pour n’être pas témoin de ce que je vois aujourd’hui. J’ai vécu trop longtemps ! Un élève menacer son maître ! Qu’on ne me donne donc pas de ces élèves pleins de sève et de force : moi, débile, il m’assommerait.

PISTOCLÈRE.

Je serai Hercule, et tu seras Linus.

LYDUS.

Je crains plutôt d’être Phoenix, et d’aller annoncer à ton père que tu es un homme mort.

PISTOCLÈRE.

Trève à tes contes !

LYDUS.

Il a dépouillé tout respect humain. Tu as, certes, fait une mauvaise acquisition en prenant tant d’effronterie. C’est un homme perdu ! Ne te souvient-il plus que tu as un père ?

PISTOCLÈRE.

Suis-je tort esclave ? ou es-tu le mien ?

LYDUS.

C’est un mauvais maître qui t’enseigne à parler de la sorte, ce n’est pas moi. Tu es plus docile à ses leçons qu’aux miennes. Ô soins superflus !

PISTOCLÈRE.

J’ai souffert assez longtemps ton bavardage, Lydus. Que cette liberté cesse. Suis-moi, et ne dis mot.

LYDUS.

Jeune homme, jeune homme ! tu nous dérobais ton funeste secret, quand tu cachais ces vices à ton père et à moi.

(Ils entrent chez Bacchis.)

ACTE 2


Scène 1

CHRYSALE, seul.

Salut, patrie de mon maître ! Après deux ans d’absence, nous voilà revenus d’Éphèse, et je te revois enfin ! Salut, Apollon notre voisin ! Ô dieu, qui demeures tout proche de ce logis, je t’en prie, fais que notre bon vieux Nicobule ne me rencontre pas avant que j’aie vu l’ami Pistoclère, auquel Mnésiloque a écrit pour lui recommander sa maîtresse Bacchis.


Scène 2

PISTOCLÈRE, CHRYSALE.
PISTOCLÈRE, sortant de chez Bacchis et lui parlant encore.

Comment peux-tu me prier avec tant d’instance de revenir, moi, qui ne pourrais te quitter, quand je le voudrais ? N’exerces-tu pas envers moi contrainte d’amour ? Ne suis-je pas ton captif ?

CHRYSALE.

Ô dieux immortels ! c’est Pistoclère que je vois ! Pistoclère, salut !

PISTOCLÈRE.

Bonjour, Chrysale !

CHRYSALE.

Pour t’épargner beaucoup de paroles, tu es charmé de me revoir, et je te crois. Tu nous offres le repas de bienvenue, comme on l’offre aux nouveaux débarqués ; j’accepte. Je t’apporte les compliments d’amitié sincère de ton camarade. Tu me demanderas ce qu’il fait.

PISTOCLÈRE.

Est-il en bonne santé ?

CHRYSALE.

C’est ce dont je veux m’informer, à toi-même.

PISTOCLÈRE.

Puis-je le savoir ?

CHRYSALE.

Personne mieux que toi.

PISTOCLÈRE.

Comment cela ?

CHRYSALE.

As-tu trouvé celle qu’il aime, sa santé est parfaite. Sinon, il est malade, il est à l’agonie. Pour un amant, sa maîtresse est son âme. Séparé d’elle, il n’existe pas. Près d’elle, sa fortune meurt, mais il vit… fort mal et très malheureux. Mais toi, as-tu fait sa commission ?

PISTOCLÈRE.

Moi ! puisque j’ai reçu sa lettre, plutôt que de ne pas lui donner satisfaction à son retour, j’aurais mieux aimé descendre aux sombres bords.

CHRYSALE.

Ah ! ah ! tu as donc retrouvé Bacchis ?

PISTOCLÈRE.

Oui ; la Samienne.

CHRYSALE.

Ah ! ne la laisse pas toucher par des étourdis. Tu sais combien la vaisselle de Samos est fragile.

PISTOCLÈRE.

Tu es toujours le même.

CHRYSALE.

Où est-elle ? dis-moi.

PISTOCLÈRE.

Là, d’où tu m’as vu sortir tout-à-l’heure.

CHRYSALE.

À merveille ! C’est à deux pas de chez nous. Et elle n’a pas oublié Mnésiloque ?

PISTOCLÈRE.

Tu le demandes ! Elle n’aime que lui ; elle l’adore.

CHRYSALE.

Très bien.

PISTOCLÈRE.

Oh ! mais, tu ne sais pas ? elle languit d’amour et de regret.

CHRYSALE.

Excellent !

PISTOCLÈRE.

Oh ! mais, Chrysale, vois-tu ? il ne se passe pas un seul moment, qu’elle ne parle de lui.

CHRYSALE.

Par Hercule ! vive Bacchis !

PISTOCLÈRE.

Oh ! mais…

CHRYSALE.

Oh ! mais, je vais m’en aller à la fin.

PISTOCLÈRE.

Est-ce qu’on te fâche, en te disant ce qui est un sujet de joie pour ton maître ?

CHRYSALE.

Ce n’est pas le sujet, c’est l’acteur qui m’ennuie et qui m’assomme. J’aime la comédie d’Épidique, comme moi-même ; mais il n’y en a pas qui me cause plus d’ennui quand c’est Pollion qui la joue. Bacchis te semble-t-elle bien ?

PISTOCLÈRE.

Peux-tu le demander ? Si je n’avais ma Vénus, elle serait ma Junon.

CHRYSALE.

Par Pollux ! à ce qu’il paraît, Mnésiloque, tu as de quoi faire l’amoureux : reste à trouver de quoi faire le généreux. Car il faut ici de l’or, sans doute.

PISTOCLÈRE.

En beaux et bons Philippes.

CHRYSALE.

Et comptant, je pense.

PISTOCLÈRE.

Nous devrions déjà le tenir ; car le militaire viendra dans un instant.

CHRYSALE.

Et un militaire aussi !

PISTOCLÈRE.

Celui qui met un prix à la liberté de Bacchis.

CHRYSALE.

Qu’il vienne, quand il voudra ; qu’il ne se fasse pas attendre. Nous sommes en fonds. Je ne crains rien, je ne demande grâce à personne, tant que ce cœur sera fécond en impostures. Rentre ; moi, je veillerai aux affaires annonce à Bacchis l’arrivée de Mnésiloque.

PISTOCLÈRE.

Je t’obéirai.

(Il sort.)
CHRYSALE, seul.

Cette expédition financière me regarde. Nous avons apporté douze cents Philippes d’or, que notre hôte d’Éphèse devait au vieillard. Je machinerai quelque ruse pour tirer de ce sac l’or nécessaire aux amours du fils. Mais j’entends le bruit de notre porte. Qui est-ce qui sort ?


Scène 3

NICOBULE, CHRYSALE.
NICOBULE, sans apercevoir Chrysale.

Je vais au Pirée m’informer s’il n’est pas venu d’Éphèse quelque vaisseau marchand. La peur trouble mon âme en voyant que mon fils reste si longtemps à Éphèse, et qu’il ne revient pas.

CHRYSALE, à part.

Je vais (les dieux me le permettent !) le travailler de la bonne manière. Pas de paresse ! il faut de la matière chrysaline à Chrysale. Abordons le vieillard, et faisons de lui le bélier de Phryxus. Je vais lui raser son or et le tondre jusqu’au vif. (Haut) Salut à mon maître Nicobule !

NICOBULE.

Ô dieux immortels ! Chrysale, que fait mon fils ?

CHRYSALE.

Il faudrait d’abord répondre à mon salut.

NICOBULE.

Bonjour. Mais que fait Mnésiloque ?

CHRYSALE.

Il est plein de vie et de santé.

NICOBULE.

Vient-il ?

CHRYSALE.

Oui.

NICOBULE.

Ah ! tu ranimes mes sens. S’est-il toujours bien porté ?

CHRYSALE.

C’est une santé pancratique, athlétique.

NICOBULE.

Et la commission pour laquelle je l’avais envoyé à Éphèse, est-elle faite ? mon ami Archidame a-t-il rendu l’argent ?

CHRYSALE.

Hélas ! Nicobule, mon cœur saigne, ma tête se fend, quand on me parle de cet homme-là. Peux-tu appeler ton ami un tel ennemi ?

NICOBULE.

Et pourquoi donc ? dis-moi, je te prie.

CHRYSALE.

Pourquoi ? Par Pollux ! jamais Vulcain, le Soleil, la Lune, le Jour, non, jamais ces quatre divinités n’éclairèrent un plus grand scélérat.

NICOBULE.

Archidame ?

CHRYSALE.

Oui, Archidame.

NICOBULE.

Qu’a-t-il fait ?

CHRYSALE.

Demande plutôt ce qu’il n’a pas fait. D’abord il a nié la dette à ton fils, prétendant ne te devoir pas un triobole. Mnésiloque aussitôt invoque l’assistance de notre ancien hôte, le vieux Pélagon ; et, devant lui, il montre la pièce de crédit que tu lui avais remise pour la représenter à l’imposteur.

NICOBULE.

Eh bien ! quand il vit cette pièce ?

CHRYSALE.

Il se met à dire qu’il ne la reconnaît pas, que c’est une pièce fausse. Ce bon jeune homme ! combien il essuya d’injures ! S’entendre traiter de faussaire, de menteur !

NICOBULE.

Avez-vous l’or ? voilà ce que je veux d’abord savoir.

CHRYSALE.

Le préteur nous donna des juges. Notre homme fut condamné et contraint à restituer douze cents Philippes.

NICOBULE.

C’est le montant de la dette.

CHRYSALE.

Tu n’es pas au bout. Il tenta encore un autre assaut.

NICOBULE.

Encore !

CHRYSALE.

Oui, tu vas voir ; et de trois.

NICOBULE.

Que j’ai été dupe ! C’était à un autre Autolycus que j’avais confié mon or.

CHRYSALE.

Écoute-moi donc.

NICOBULE.

Ah ! je ne connaissais pas mon hôte et son humeur rapace.

CHRYSALE.

L’or une fois emporté, nous nous embarquons, impatients de revenir. Je m’assieds sur le tillac, et je promène par distraction autour de nous mes regards. Qu’aperçois-je ? un vaisseau long, un appareil formidable, sinistre.

NICOBULE.

Aïe ! aïe ! je suis mort ! L’appareil aigrit ma plaie.

CHRYSALE.

Le navire appartenait en commun à ton hôte et à des pirates.

NICOBULE.

Belître que j’étais, d’avoir eu confiance en lui, quand son nom même d’Archidame m’avertissait, que ce serait à mon dam qu’il aurait crédit de ma part.

CHRYSALE.

Leur navire en voulait à notre vaisseau. J’observe toutes leurs manœuvres. Cependant nous levons l’ancre et nous sortons du port. Eux aussitôt de nous suivre à force de rames ; les oiseaux et les vents ne sont pas plus rapides. Je devine leur intention, notre vaisseau s’arrête en place. Quand ils nous voient arrêtés, ils se mettent à virer de ci de là dans le port.

NICOBULE.

Voyez les coquins ! Et alors, que fîtes-vous ?

CHRYSALE.

Nous rentrâmes dans le port.

NICOBULE.

C’était le plus sage. Et nos gens ?

CHRYSALE.

Ils revinrent à terre le soir.

NICOBULE.

Il n’y a pas de doute. Ils voulaient ravir mon or c’est où tendaient leurs menées.

CHRYSALE.

Du premier coup je m’en aperçus.

NICOBULE.

Je n’avais plus de sang dans les veines.

CHRYSALE.

Voyant qu’on en veut à notre or, nous prenons notre parti sans balancer. Le lendemain, l’or est enlevé du vaisseau, devant eux, sans mystère, ostensiblement, de manière qu’ils le voyent bien.

NICOBULE.

Parfaitement avisé ! Et ensuite eux ? dis-moi.

CHRYSALE.

Ils furent très marris, quand ils nous virent rentrer tout droit en ville avec notre or, et ils retirèrent sur le rivage leur navire, en hochant la tête. Nous allâmes mettre l’or en dépôt chez Théotime.

NICOBULE.

Qui est ce Théotime ?

CHRYSALE.

Le fils de Mégalobule, prêtre de Diane Éphésienne, et extrêmement cher à tous les Éphésiens.

NICOBULE.

Par Hercule ! il serait bien plus cher encore pour moi s’il me soufflait mon or.

CHRYSALE.

Oh ! que non ; l’or est déposé dans le temple de Diane, sous la surveillance de l’autorité publique.

NICOBULE.

Mort de ma vie ! j’aimerais bien mieux qu’il fût ici sous ma surveillance particulière. Est-ce que vous n’avez rien rapporté ?

CHRYSALE.

Si, mais je ne sais pas combien.

NICOBULE.

Tu ne sais pas ?

CHRYSALE.

Non ; Mnésiloque se rendit de nuit secrètement chez Théotime, et il ne voulut se fier ni à moi, ni à personne de l’équipage. Je ne sais pas ce qu’il a pris ; mais ce n’est pas beaucoup.

NICOBULE.

La moitié ? crois-tu ?

CHRYSALE.

Je l’ignore, sur ma foi ; mais je ne crois pas.

NICOBULE.

Le tiers ?

CHRYSALE.

Oh ! non, à ce que je crois. Au juste… Je ne sais pas au juste. Assurément tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. Il faudra maintenant t’embarquer et te mettre en route pour aller à Éphèse retirer l’or des mains de Théotime. Ah çà !

NICOBULE.

Quoi ?

CHRYSALE.

N’oublie pas de prendre l’anneau de ton fils.

NICOBULE.

À quoi bon cet anneau ?

CHRYSALE.

C’est le signe convenu. Théotime remettra l’or au porteur.

NICOBULE.

Tu as raison de m’avertir ; je m’en souviendrai. Ce Théotime est-il riche ?

CHRYSALE.

Demande-le-moi. C’est un homme qui garnit d’or les semelles de ses souliers.

NICOBULE.

Pourquoi donc ce mépris ?

CHRYSALE.

Sa richesse est si grande ! Il ne sait que faire de son or.

NICOBULE.

Eh bien ! qu’il me le donne. En présence de quels témoins le mien lui a-t-il été donné ?

CHRYSALE.

Le peuple en fut témoin. Tout le monde à Éphèse sait cela.

NICOBULE.

Du moins mon fils a-t-il fait preuve de prudence, en choisissant un homme riche pour dépositaire. On pourra reprendre l’or, quand on voudra.

CHRYSALE.

Oh ! tu n’attendras pas le moins du monde. Il te le comptera le jour même de ton arrivée.

NICOBULE.

Je croyais à mon âge, si vieux, être quitte des courses maritimes et des fatigues de la navigation. Il faudra bon gré mal gré en tâter encore. J’en suis redevable à mon aimable hôte Archidame. Que fait Mnésiloque en ce moment ?

CHRYSALE.

Il est allé saluer les dieux, et puis ses amis sur la grande place.

NICOBULE.

Il me tarde de le voir. J’y vais de ce pas. (Il sort.)

CHRYSALE, seul.

Le vieillard en a sa charge, et plus qu’il n’en peut porter. Pour commencer, ma trame n’est pas mal ourdie. Voilà notre amoureux à son aise, grâce à moi ; permis à lui de prendre tout l’or qu’il voudra, il n’a qu’à puiser. Il pourra ne rendre à son père qu’autant qu’il lui plaira. Le vieillard ira chercher son or à Éphèse, et nous mènerons ici une vie fort douce. Car j’espère bien que nous resterons, et qu’il n’emmènera point avec lui Mnésiloque ni moi. Que je vais causer de remue‑ménage !… Mais qu’arrivera-t-il, quand le vieillard apprendra tout ? quand il saura que nous l’avons fait courir pour rien, et que nous avons converti son or à notre usage ? À quoi dois-je m’attendre ? Je suis sûr, ma foi, que tout en arrivant il me fera changer de nom, et que je deviendrai Crucisaltor au lieu de Chrysale. Eh ! mais, je prendrai la fuite au besoin… Oui ; et au cas qu’on me rattrape ? Nargue du vieillard, et la peste pour lui. S’il a du bouleau sur ses terres moi, j’ai un bon dos à ma disposition. Allons instruire Mnésiloque de tout ce que j’ai machiné pour notre or et pour ses amours qu’on a retrouvés.

ACTE 3


Scène 1

LYDUS, seul, sortant de chez Bacchis.

Ouvrez ! ouvrez vite, de grâce ! que je sorte de cet enfer. Oui, c’est un enfer ; car on n’y peut entrer, que quand on est abandonné de tout espoir et perverti sans retour. Ce ne sont pas de simples bacchantes, que ces Bacchis, mais bien des Ménades forcenées. Qu’on me délivre de ces femelles maudites qui sucent jusqu’à la dernière goutte le sang de leurs victimes. Quel antre de perdition ! quel appareil de luxe et de goinfrerie ! À cette vue j’ai pris la fuite à toutes jambes… Et je garderais le secret sur cette équipée, Pistoclère ? Et je n’instruirais pas ton père de tes déportemens, de tes profusions, de ce bel emploi de ton temps, qui ne va rien moins qu’à entraîner, avec toi, ton père, et moi, et tes amis, et tous tes proches dans ta ruine et dans un abîme de déshonneur et d’opprobre ? Tu n’as pas eu de honte, en ma présence, des excès auxquels tu te livres en ce lieu ! et ton père, et ta famille, et tes amis, et moi, tu nous mets sur le dos le poids de ces dérèglemens et d’une telle infamie ! Tu n’achèveras pas ce dernier exploit. Oui, je cours avertir ton père. Je ne laisserai pas peser sur moi un tel reproche. Allons tout révéler au vieillard, pour qu’il vienne retirer l’étourdi de ce bourbier, de cette fange.

(Il sort.)

Scène 2

MNÉSILOQUE, seul.

Plus je médite, et plus je suis convaincu que l’ami véritable, ami dans toute la force du terme, ne le cède qu’aux dieux : j’en fais moi-même l’épreuve. Pendant mon voyage à Éphèse, où je suis resté près de deux ans, j’écrivis à mon ami Pistoclère de se mettre à la recherche de Bacchis, et il l’a retrouvée ; Chrysale vient de me l’apprendre. Et celui-ci, le bon tour qu’il a joué à mon père, pour me procurer de l’or et pour servir mes plaisirs ! Il en aura le prix ; c’est bien juste. Par Pollux ! il n’y a rien de plus misérable, à mon sens, qu’un ingrat. Mieux vaut laisser l’offense impunie que le bon office sans récompense. Qu’on me donne le nom de généreux, jamais celui d’ingrat. L’un attire les louanges des gens de bien, l’autre la haine seule des méchants. Attention, donc, Mnésiloque ; observe-toi. La lice est ouverte, on te regarde, il faut te faire connaître. Tu vas montrer si tu fais ton devoir. Seras-tu bon ou mauvais ? équitable ou injuste ? avare ou libéral ? aimable ou odieux ? Choisis. Dans ce combat de bons procédés ne te laisse point surpasser par tout esclave. Quelle que soit la conduite, je t’en avertis, on ne l’ignorera pas. Mais voici venir le gouverneur et le père de mon ami. Que disent-ils  ? Écoutons.


Scène 3

LYDUS, PHILOXÈNE, MNÉSILOQUE.
LYDUS.

Nous allons voir si tu as dans l’âme une pointe de raison et de bon sens. Suis-moi.

PHILOXÈNE.

Où faut-il te suivre ? où me conduis-tu ?

LYDUS.

Chez celle qui a perdu, empoisonné ton fils chéri, ton idole.

PHILOXÈNE.

Doucement, Lydus ; soyons modérés dans la sévérité, c’est le plus sage. Est-il extraordinaire qu’à son âge mon fils ait quelque faiblesse ? on devrait plutôt s’étonner du contraire. J’en faisais tout autant dans ma jeunesse.

LYDUS.

Ô ciel ! ô ciel ! voilà les molles complaisances qui l’ont gâté. Car, sans toi, je saurais le maintenir dans de bons sentiments. Mais il compte sur ton appui, et cette confiance fait de ton Pistoclère un libertin.

MNÉSILOQUE.

Ô dieux immortels ! il nomme Pistoclère. Pourquoi donc est-il si fâché contre son jeune maître ?

PHILOXÈNE.

Caprice de jeune homme, mon cher Lydus ; il veut s’amuser un peu. Bientôt viendra l’âge des dégoûts, des ennuis. Un peu d’indulgence. Surveillons-le seulement pour qu’il ne commette point de faute grave ; du reste, laisse-le faire.

LYDUS.

Non, je ne veux pas ; je ne souffrirai pas, tant que je vivrai, qu’il se pervertisse. Mais toi, apologiste empressé d’un fils corrompu, est-ce ainsi qu’on t’éleva dans ta jeunesse ? Je suis sûr qu’à vingt ans tu n’avais pas encore ou la permission de sortir sans ton gouverneur, dont tu ne t’éloignais pas d’un travers de doigt. Si tu n’étais pas arrivé à la palestre avant le point du jour, le préfet du gymnase ne t’infligeait pas une légère correction. Cette peine était suivie d’une autre ; l’élève et le pédagogue avec lui encouraient le blâme général. Dans cette école on s’exerçait à lutter, à lancer le javelot, le disque, la paume, à sauter, à combattre au pugilat ; et, non à faire l’amour avec des prostituées. C’était là qu’on passait son temps, et non dans l’ombre des mauvais lieux. Au retour de l’hippodrome et de la palestre, tu prenais la tunique de travail, et, assis sur un escabeau à côté de ton précepteur, tu lisais ta leçon. Et si tu manquais une syllabe, ta peau devenait plus tachetée que le manteau d’une nourrice.

MNÉSILOQUE.

C’est à cause de moi, qu’on dit tant de mal de mon ami ; j’en suis désolé. Son obligeance pour moi lui attire des reproches qu’il ne mérite pas.

PHILOXÈNE.

Les mœurs ont changé, Lydus.

LYDUS.

Je ne le sais que trop. Car autrefois on commençait déjà de briguer les suffrages du peuple et les dignités, qu’on obéissait encore à son précepteur. Mais aujourd’hui, voyez un marmot à peine âgé de sept ans ; si l’on a le malheur de le toucher, il casse la tête de son maître avec sa tablette. Va-t-on se plaindre aux parents ? Tel est le langage que le père tient à son fils : « Bien ! je reconnais mon sang ; c’est ainsi que tu dois repousser l’injure. » On fait venir le précepteur : « Ah çà ! vieil imbécile, lui dit-on, garde-toi de frapper mon fils, parce qu’il a montré du cœur. » Et le précepteur s’en va, la tête enveloppée d’un linge huilé, comme une lanterne. Voilà comment on lui fait justice. De cette manière peut-il avoir quelque autorité ? c’est l’écolier qui commence à battre son précepteur.

MNÉSILOQUE, à part.

La plainte est véhémente, à ce que je puis comprendre. Il faut que Pistoclère ait donné des coups à Lydus.

PHILOXÈNE, apercevant Mnésiloque.

Qui aperçois-je là devant la porte ?

LYDUS, regardant Mnésiloque.

Ah ! Philoxène !

MNÉSILOQUE, à part.

J’aurais mieux aimé attirer les regards des dieux propices que ceux du vieillard.

PHILOXÈNE.

Qui est-ce ?

LYDUS.

C’est Mnésiloque, le camarade de ton fils. Il ne lui ressemble guère ; il n’est pas à table maintenant dans un mauvais lieu. Que Nicobule est heureux, d’avoir formé un tel garçon !

PHILOXÈNE.

Bonjour, Mnésiloque ; je suis charmé de te voir revenu en bonne santé.

MNÉSILOQUE.

Les dieux te soient en aide, Philoxène.

LYDUS.

C’est un jeune homme bien élevé, celui-là. Il traverse les mers pour soigner les intérêts de la maison ; il conserve le patrimoine ; il est soumis aux volontés, à l’autorité de son père. Pistoclère et lui sont camarades d’enfance ; il n’y a pas trois ans de différence entre eux pour l’âge ; mais pour la raison, Mnésiloque est l’aîné de plus de trente ans.

PHILOXÈNE.

Prends garde à toi ; ne te permets pas d’injurier mon fils.

LYDUS.

Tais-toi plutôt. C’est folie d’être fâché qu’on dise du mal d’un homme qui agit mal. Je confierais à son administration mes maux plutôt que mon pécule.

PHILOXÈNE.

Pourquoi ?

LYDUS.

Parce qu’il les ferait aller vite, et qu’il n’y en aurait bientôt plus.

MNÉSILOQUE.

Quels reproches as-tu donc à faire à ton élève, à mon ami, Lydus ?

LYDUS.

Tu n’as plus d’ami.

MNÉSILOQUE.

Que les dieux démentent ces paroles !

LYDUS.

Il est perdu, te dis-je. Je l’ai vu de mes yeux, quand il se perdait. Ce n’est pas sur des ouï-dire que je l’accuse.

MNÉSILOQUE.

Qu’est-il arrivé ?

LYDUS.

Il a l’indignité d’être éperdûment amoureux d’une courtisane.

MNÉSILOQUE.

Veux-tu te taire ?

LYDUS.

Une Charybde, une Scylla, qui dévore tous ceux qu’elle atteint.

MNÉSILOQUE.

Où demeure-t-elle

LYDUS, montrant la maison de Bacchis.

Là.

MNÉSILOQUE.

Son pays ?

LYDUS.

Samos.

MNÉSILOQUE.

personnage|On l’appelle ?

LYDUS.

Bacchis.

MNÉSILOQUE.

Tu es dans l’erreur. Je sais tout, avec toutes les circonstances. Pistoclère est innocent ; tu l’accuses à tort. Il ne fait que s’acquitter d’une commission et servir avec zèle un de ses amis. Ce n’est pas lui qui est amoureux ; ne t’y trompe pas.

LYDUS.

Est-ce que, pour s’acquitter avec zèle de la commission de son ami, il est nécessaire qu’il soit sur un même lit auprès de la courtisane penchée sur lui contre son sein et prodiguant les baisers ? Est-ce par obligeance qu’il doit à chaque instant lui caresser la gorge, et ne pas détacher ses lèvres des lèvres de la belle ? Car, pour les autres détails, la bienséance ne permet pas de les rapporter ici, non plus que les attouchements dont j’ai été témoin, lorsqu’il glissait sa main sous la robe de Bacchis, devant moi, sans nulle vergogne ! Enfin, je n’ai plus d’élève, Philoxène plus de fils, et toi plus d’ami ; car on peut regarder comme perdu, celui qui a perdu toute pudeur. Ajouterai-je que je n’avais qu’à attendre un peu pour avoir un plus beau spectacle ? J’en aurais vu, je pense, plus que je ne devais en voir et pour lui et pour moi.

MNÉSILOQUE, à part.

Mon ami m’assassine ! Et cette perfide, je ne la poursuivrai pas, je ne la perdrai pas ? J’aimerais mieux mourir mille fois. Il n’y a donc plus de bonne-foi parmi les hommes ! On ne peut donc plus se fier à personne !

LYDUS, à Philoxène.

Vois comme il est affligé de l’inconduite de ton fils. Quel ami ! que son chagrin est vif et profond !

PHILOXÉNE.

Mnésiloque, je t’en conjure ! donne-lui de bons conseils pour calmer ses passions. Conserve à toi un ami, à moi un fils.

MNÉSILOQUE.

Je ferai tout ce que tu voudras.

PHILOXÉNE.

Charge-toi entièrement de ce soin. Lydus, suis-moi.

LYDUS.

Je te suis. Mais il vaudrait mieux me laisser ici avec lui pour l’appuyer.

PHILOXÉNE.

C’est assez de lui seul. Mnésiloque, je me recommande à toi ; morigène comme il faut l’étourdi qui déshonore et toi, et moi, et tous ses amis, par son libertinage.


Scène IV.

MNÉSILOQUE, seul, parlant avec une extrème agitation.

(Il est accompagné de plusieurs esclaves qui portent son bagage.)

Un ami ! une maîtresse !… Qu’on me dise lequel des deux est mon plus cruel bourreau ?… Elle le préfère ; qu’elle le garde. J’en suis ravi… Elle en agir ainsi ! Ah ! par Hercule ! malheur… à moi. Je veux qu’on ne me croie désormais ni sur parole ni sur serment, si je ne suis animé pour l’infâme… de l’amour le plus ardent. Non, elle n’aura pas trouvé sa dupe. Je cours chez mon père,… et je lui déroberai tout ce que je pourrai pour le donner à Bacchis… Il faut une vengeance terrible. Il faut la persécuter au point… que mon père soit réduit à la mendicité. Mais suis-je maître de mes sens ? ai-je ma raison, de former de tels projets, et de tenir ces discours ? J’aime, ah ! oui, j’aime ; voilà ce qui est certain pour moi. Mais plutôt que de contribuer par mes dons à l’enrichir de la valeur d’un fétu, j’aimerais mieux surpasser en misère les plus misérables mendiants. Non, par tous les dieux ! je ne lui apprêterai pas à rire. Ma résolution est prise ; je vais restituer tout l’or à mon père. Quand j’aurai les mains nettes, et que je ne possèderai plus rien, elle viendra me cajoler ; et ses cajoleries ne feront pas plus auprès de moi, que si elle chantait auprès du tombeau d’un mort des chansons. J’aimerais mieux périr de misère à la peine. C’est bien arrêté : je rends l’or à mon père ; et en même temps j’obtiendrai comme une grâce pour moi qu’il ne fasse point de mal à Chrysale, et qu’il ne lui garde pas rancune d’avoir été dupé à cause de moi au sujet de cet or. Il est juste aussi que je défende ce pauvre garçon, qui n’a menti que pour m’être utile. (À sa suite) Suivez-moi.

(Il sort.)

Scène V.

PISTOCLÈRE, sortant de chez Bacchis.

Je n’aurai rien de plus pressé que de faire ce que tu me recommandes, Bacchis. Je vais de ce pas chercher Mnésiloque, et je l’amène tout de suite. (En s’avançant sur le proscenium) Je ne puis comprendre pourquoi, s’il a reçu de mes nouvelles, il tarde à venir. Allons voir chez lui, s’il n’y est pas.


Scène VI.

MNÉSILOQUE, PISTOCLÉRE.
MNÉSILOQUE, sans apercevoir son ami.

J’ai rendu tout l’or à mon père. Je voudrais qu’elle vînt, à présent que je suis à sec, la trompeuse ! Que mon père a eu de peine à m’accorder la grâce de Chrysale ! mais à la fin je l’ai obtenue ; rémission entière.

, PISTOCLÈRE regardant Mnésiloque.

N’est-ce pas mon ami ?

MNÉSILOQUE.

N’est-ce pas mon ennemi que j’aperçois ?

PISTOCLÈRE.

C’est lui-même.

MNÉSILOQUE.

C’est lui.

PISTOCLÈRE.

Allons à sa rencontre.

MNÉSILOQUE.

Il faut l’aborder.

PISTOCLÈRE.

Bonjour, mon cher Mnésiloque.

MNÉSILOQUE.

Bonjour.

PISTOCLÈRE.

Pour ton heureuse arrivée, tu souperas avec moi.

MNÉSILOQUE.

Je ne veux pas d’un souper qui m’échaufferait la bile.

PISTOCLÈRE.

Est-ce qu’on t’a fait quelque chagrin depuis ton retour ?

MNÉSILOQUE.

Oui, un chagrin bien sensible.

PISTOCLÈRE.

Qui ?

MNÉSILOQUE.

Un homme que j’avais cru jusqu’à présent mon ami.

PISTOCLÈRE.

On ne voit que trop de gens de cette espèce, qu’on prend pour ses amis, et que l’expérience montre faux et trompeurs ; officieux en paroles, incapables de rendre le moindre service, leurs promesses ne sont que fumée. Toujours envieux des succès d’autrui, ils savent très bien se mettre à l’abri de l’envie, par leur caractère méprisable.

MNÉSILOQUE.

Certes, tu fais leur portrait en homme qui s’y connaît bien. Mais ajoute qu’ils recueillent le digne fruit de leurs indignes procédés : personne n’a d’amitié pour eux, ils sont en haine à tout le monde. Et ils s’attrappent eux-mêmes, les sots, en croyant attraper les autres. Tel est celui sur qui je comptais comme sur moi-même. Il n’a rien négligé de ce qui était en son pouvoir pour me nuire et pour m’arracher le bonheur de ma vie.

PISTOCLÈRE.

C’est un grand scélérat.

MNÉSILOQUE.

Tu l’as dit ; je n’en rabats rien.

PISTOCLÈRE.

Nomme-le-moi, je t’en supplie.

MNÉSILOQUE.

Il est de tes amis. Autrement je te demanderais de faire tous tes efforts pour me venger de lui.

PISTOCLÈRE.

Nomme-le-moi seulement ; si je ne trouve pas le moyen te venger, je veux que tu me tiennes pour le plus lâche des hommes.

MNÉSILOQUE.

C’est un infâme. Mais cependant il t’est cher.

PISTOCLÈRE.

Et j’insiste d’autant plus pour le connaître. Je fais peu de cas d’une telle amitié.

MNÉSILOQUE.

Eh bien ! il faut te satisfaire. Apprends son nom. Pistoclère, c’est toi qui me tues.

PISTOCLÈRE.

Que veux-tu dire ?

MNÉSILOQUE.

Dis-moi ; ne t’avais-je pas écrit d’Éphèse de me retrouver ma maîtresse ?

PISTOCLÈRE.

Oui ; et c’est ce que j’ai fait.

MNÉSILOQUE.

Eh bien ! Athènes ne t’offrait-elle pas assez d’autres courtisanes, avec qui tu pouvais te lier, sans prendre celle que je t’avais recommandée pour moi ? Ne pouvais-tu être amoureux sans me trahir ?

PISTOCLÈRE.

Tu es fou.

MNÉSILOQUE.

Ton précepteur m’a tout révélé ; tu le nierais vainement. Tu es mon bourreau.

PISTOCLÈRE.

Que d’injures gratuites ! En est-ce assez ?

MNÉSILOQUE.

Tu n’aimes pas Bacchis ? n’est-ce pas ?

PISTOCLÈRE.

Elles sont deux. Entre, tu le verras.

MNÉSILOQUE.

Elles sont deux ?

PISTOCLÈRE.

Oui, deux sœurs.

MNÉSILOQUE.

Tu veux me conter des sornettes.

PISTOCLÈRE.

À la fin, si tu persistes dans ton incrédulité, je te prendrai sur mon dos, et je te porterai chez elles.

MNÉSILOQUE.

Non, j’irai bien tout seul. Un moment.

PISTOCLÈRE, l’entraînant.

Point de retard ; il faut te défaire de tes injustes soupçons.

MNÉSILOQUE.

Je te suis.

(Ils sortent.)

ACTE IV


Scène I.

LE PARASITE de Cléomaque, UN ESCLAVE.

Je suis le parasite d’un fat, d’un vaurien, ce militaire qui a amené ici sa maîtresse de Samos. Il m’envoie maintenant lui proposer le choix ou de restituer l’or qu’elle a reçu, ou de partir avec lui. Toi, qui l’as toujours accompagnée, tu connais sa demeure ; frappe. Va donc. (L’esclave va frapper.) Retire-toi, coquin. Comme il frappe, ce drôle-là ! Ça mangerait un pain long de trois pieds, et ça n’a pas la force de frapper à une porte. (Il frappe.) Y a-t-il quelqu’un ici ? Holà ! quelqu’un. Ouvrira-t-on ? Veut-on venir ?


Scène II.

PISTOCLÈRE, LE PARASITE.
PISTOCLÈRE.

Qu’est-ce que c’est que cela ? quel est ce vacarme ? quel démon te tourmente, de venir exercer ainsi tes forces aux dépens de notre maison ? Il a presque brisé la porte. Que veux-tu ?

LE PARASITE.

Bonjour, jeune homme.

PISTOCLÈRE.

Bonjour. Mais qui demandes-tu ?

LE PARASITE.

Bacchis.

PISTOCLÉRE.

Laquelle ?

LE PARASITE.

Je ne sais pas, je demande Bacchis. Cléomaque le militaire m’a donné commission de lui dire en deux mots qu’elle eût à lui rendre deux cents Philippes d’or, ou à partir aujourd’hui même avec lui pour Élatie.

PISTOCLÉRE.

Elle ne part point ; dis-lui qu’elle ne partira point elle en aime un autre que lui. Va-t’en lui porter cette réponse, et laisse-nous.

LE PARASITE.

Pas tant de colère !

PISTOCLÉRE.

Sais-tu que si je m’y mets… Par Hercule ! un orage est prêt à fondre sur ta figure. Je porte en mes mains des brise‑mâchoires, et elles me démangent.

LE PARASITE, à part.

Autant que je puis l’entendre, si je n’y prends garde, il me fera sauter mes brise-noix de la bouche. (À Pistoclère) Je vais faire ton message, et je ne te réponds pas des suites.

PISTOCLÉRE.

Ah ça ! donc ?

LE PARASITE.

Je lui dirai ta réponse.

PISTOCLÉRE.

Qui es-tu ?

LE PARASITE.

Je suis la cuirasse de ce guerrier.

PISTOCLÉRE.

Triste guerrier, qui a une si méchante cuirasse.

LE PARASITE.

Il viendra tout gonflé de courroux.

PISTOCLÉRE.

Eh bien ! qu’il en crève.

LE PARASITE.

Tu n’as plus rien à me dire ?

PISTOCLÉRE.

Sinon que tu t’en ailles promptement. Je te le conseille.

LE PARASITE.

Adieu, brise-mâchoire.

PISTOCLÉRE.

Adieu, la cuirasse. (Le parasite sort.)

PISTOCLÉRE.

Au train que prennent les choses, je ne sais trop ce que pourra faire mon ami pour sa maîtresse, à présent qu’il a rendu à son père tout cet or dans sa colère. Il n’a pas un denier pour rembourser le militaire. Mais retirons-nous de ce côté ; j’entends le bruit de la porte. C’est Mnésiloque ; il sort bien affligé.


Scène III.

MNÉSILOQUE, PISTOCLÈRE.
MNÉSILOQUE, sans voir Pistoclère.

Étourdi ! brutal ! furieux ! fou ! écervelé ! oui, je suis tout cela. Je ne sais ce que c’est que mesure et convenance, que justice et honneur ; homme sans consistance, sans caractère, sot, insupportable, esprit fâcheux. Enfin je suis tout ce que je ne peux souffrir dans les autres. Non, il n’y a pas de mortel plus impertinent, plus indigne de la faveur des dieux et de l’affection des hommes. On doit me fuir. Je ne dois avoir que des ennemis, et pas un ami. Je n’ai maintenant qu’à chercher des méchants, et non d’honnêtes gens, pour m’assister. Tous les noms odieux que les plus odieux des hommes peuvent mériter, ils ne les méritent pas autant que moi. Aller rendre tout cet or à mon père ! et j’aimais ; et l’or était en ma puissance ! Malheureux que je suis ! j’ai détruit mon bonheur et l’ouvrage de Chrysale !

PISTOCLÉRE, à part,

Il faut le consoler ; approchons. Comment cela va-t-il, Mnésiloque ?

MNÉSILOQUE.

Je suis perdu !

PISTOCLÉRE.

Les dieux nous en préservent !

MNÉSILOQUE.

Je suis perdu !

PISTOCLÉRE.

Veux-tu te taire ? insensé !

MNÉSILOQUE.

Non, c’est la vérité.

PISTOCLÉRE.

Tu n’as pas ta raison.

MNÉSILOQUE.

Je suis perdu ! À quels remords, à quels regrets amers mon âme est en proie ! Ai-je bien pu ajouter foi à de fausses imputations ? Que ma colère envers toi était injuste !

PISTOCLÉRE.

Prends courage.

MNÉSILOQUE.

Et comment ? Il y aurait plus de ressource en un mort qu’en moi.

PISTOCLÉRE.

Le parasite du militaire était venu réclamer l’or ; je l’ai si mal reçu, qu’il s’est dépêché de quitter la place et de s’éloigner.

MNÉSILOQUE.

À quoi cela me sert-il ? Que ferai-je ? misérable ! je n’ai plus rien. Il va l’emmener, je dois m’y attendre.

PISTOCLÉRE.

Si j’avais quelque argent, tu n’aurais pas de moi des promesses.

MNÉSILOQUE.

Non, mais aide et assistance, je n’en doute pas. Ton cœur m’est connu. D’ailleurs tu as une maîtresse, et je puis t’en croire. Tu es dans l’embarras pour ton propre compte ; comment, toi-même dans la détresse, viendrais-tu à mon secours ?

PISTOCLÉRE.

Plus de courage ! Un dieu daignera nous regarder.

MNÉSILOQUE.

Chansons !

PISTOCLÉRE.

Attends.

MNÉSILOQUE.

Qu’est-ce ?

PISTOCLÉRE.

Voici ta fortune qui vient : c’est Chrysale.


Scène IV.

CHRYSALE, MNÉSILOQUE, PISTOCLÈRE.
CHRYSALE, ne voyant pas les deux jeunes gens.

Chrysale vaut son pesant d’or. On devrait ériger une statue d’or à Chrysale. J’ai remporté aujourd’hui deux victoires, l’ennemi m’a deux fois abandonné ses dépouilles. Comme j’ai abusé, joliment mon vieux maître ! comme il a été joué ! Le vieillard est fin, je suis plus fin que lui, et mes ruses l’ont amené au point de m’accorder une croyance entière. Notre amant, qui m’associe à sa bombance et à ses fêtes amoureuses, me doit sa richesse, une richesse de roi, et il n’a pas eu loin à la chercher ; je l’ai mise sous sa main. Qu’on ne me parle pas des Parménons, des Syrus, qui procurent à leurs maîtres deux ou trois mines ! Rien de plus misérable qu’un esclave qui n’a point de cela (se, frappant sur le front.) Il lui faut un esprit fertile, qui fournisse à tout besoin des ressources. Un homme n’a de valeur qu’autant qu’il sait faire le bien ou le mal ; fourbe avec les fourbes, voleur avec les voleurs, qu’il rapine alors tant qu’il pourra. Il faut savoir prendre toutes sortes de faces, pour peu qu’on ait de sens et d’esprit ; bien agir avec les bons, mal avec les méchants ; s’accommoder aux circonstances. Mais je suis curieux d’apprendre ce que mon maître a prélevé pour lui, ce qu’il a rendu à son père. S’il sait se conduire, il aura fait du vieillard un Hercule ; il lui aura donné la dîme, et aura gardé pour lui le reste. Voici justement mon homme (Mnésiloque a les yeux baissés). Mon maître, est-ce qu’il t’est tombé des mains quelques pièces, que tu as les yeux attachés à la terre ? Vous avez tous deux un air triste et chagrin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Mauvais signe. Il y a quelque chose là dessous. Vous ne répondez pas ?

MNÉSILOQUE.

Chrysale, je suis mort !

CHRYSALE.

Est-ce que par hasard tu aurais pris trop peu ?

MNÉSILOQUE.

Ô ciel ! trop peu ! Hélas ! bien moins que peu.

CHRYSALE.

Comment, nigaud ? Quand ma prouesse t’a ménagé l’occasion de prendre tout ce que tu voulais, pourquoi prenais-tu à petites pincées du bout des doigts ? Ignorais-tu combien sont rares de pareilles occasions dans la vie ?

MNÉSILOQUE.

Quelle est ton erreur !

CHRYSALE.

Quelle est la tienne plutôt, de n’avoir pas puisé à pleines mains !

MNÉSILOQUE.

Ah ! que tu me ferais encore d’autres reproches, si tu savais tout ! Je suis mort !

CHRYSALE.

Ces paroles me présagent quelque chose de sinistre.

MNÉSILOQUE.

Je suis perdu !

CHRYSALE.

Comment donc ?

MNÉSILOQUE.

J’ai rendu tout l’or à mon père, jusqu’à la dernière obole.

CHRYSALE.

Tu l’as rendu ?

MNÉSILOQUE.

Oui.

CHRYSALE.

Tout ?

MNÉSILOQUE.

Entièrement.

CHRYSALE.

Nous sommes égorgés ! As-tu bien eu la pensée de commettre une si méchante action ?

MNÉSILOQUE.

Sur de faux discours je me suis cru trahi par lui (Montrant Pistoclère) et par Bacchis. Dans ma colère j’ai tout rendu à mon père.

CHRYSALE.

Et qu’est-ce que tu lui as dit en lui rendant cet or ?

MNÉSILOQUE.

Que je l’avais reçu d’Archidame à ma première demande.

CHRYSALE.

Eh bien ! par cette déclaration tu envoies Chrysale droit au gibet. Ton père ne m’aura pas plus tôt vu, qu’il me livrera au bourreau.

MNÉSILOQUE.

Non, j’ai obtenu de lui…

CHRYSALE.

Qu’il ferait ce que je dis, n’est-ce pas !

MNÉSILOQUE.

Point du tout. Il ne te fera point de mal et ne te gardera point rancune. J’ai eu de la peine à le vaincre. À présent il faut que tu me rendes un service, Chrysale.

CHRYSALE.

Lequel ?

MNÉSILOQUE.

C’est de lui tendre un autre piège. Arrange, invente, concerte quelque chose, dresse tes batteries. Il faut absolument tromper sa prudence par un tour d’adresse, et lui dérober son or.

CHRYSALE.

C’est impossible.

MNÉSILOQUE.

Essaie, tu réussiras. Cela t’est si aise !

CHRYSALE.

La peste ! Aisé à moi ! Ne suis-je pas atteint et convaincu de l’avoir attrapé ? Maintenant, si je lui disais de ne pas me croire, à peine m’en croirait-il.

MNÉSILOQUE.

En effet, si tu avais entendu tout ce qu’il a dit contre toi en ma présence…

CHRYSALE.

Que disait-il ?

MNÉSILOQUE.

Que si tu lui affirmais qu’il fait jour en plein midi, il n’en croirait rien ; que si tu lui montrais le soleil, il dirait que c’est la lune.

CHRYSALE.

Oui-dà ? Nous allons lui en donner à garder. Il me payera ses propos.

MNÉSILOQUE.

Tu n’as rien à nous ordonner ?

CHRYSALE.

Rien, si non que vous vous amusiez bien : telle est ma volonté. Demandez-moi tout l’or que vous voudrez, vous l’aurez. À quoi bon porter le nom de Chrysale, si mes actions n’y répondent pas ? Voyons ; quelle, somme te faut-il, Mnésiloque ?

MNÉSILOQUE.

Deux cents Philippes pour délivrer Bacchis.

CHRYSALE.

Tu les auras.

MNÉSILOQUE.

Il faut encore pour nos dépenses…

CHRYSALE.

Ah ! doucement, s’il te plaît. Procédons par ordre. Quand j’aurai pourvu au premier article, nous passerons à l’autre. Je vais dresser d’abord mes batteries contre le vieillard pour enlever les deux cents Philippes. Si ma baliste enfonce les tours et les remparts, j’entre de vive force, et je prends ce vieux fort délabré. Après cette prise, vous porterez l’or à pleines corbeilles à vos amis, à qui en voudra.

MNÉSILOQUE.

Notre espoir, notre confiance est en toi, Chrysale.

CHRYSALE.

Toi, Pistoclère, entre chez Bacchis, et apporte-moi promptement…

PISTOCLÉRE.

Quoi ?

CHRYSALE.

Poinçon, cire, tablettes, fil.

PISTOCLÉRE.

Tu vas avoir tout cela.

MNÉSILOQUE.

Quel est ton dessein ? dis-moi. Le dîner est prêt.

CHRYSALE.

Vous êtes deux, et Bacchis fait la troisième !

MNÉSILOQUE.

Comme tu dis.

CHRYSALE.

Et Pistoclère n’a point de maîtresse ?

MNÉSILOQUE.

Si ; elle est ici. C’est la sœur de celle que j’aime ; nous avons deux Bacchis.

CHRYSALE.

Qu’est-ce que tu dis là ?

MNÉSILOQUE.

La chose, comme elle se passera.

CHRYSALE.

Et votre table à deux lits, où est-elle dressée ?

MNÉSILOQUE.

Pourquoi veux-tu le savoir ?

CHRYSALE.

J’ai mes raisons ; dis-le-moi, je le veux. Tu ne sais pas ce que je vais faire, et quel grand coup je prépare.

MNÉSILOQUE.

Donne-moi la main, suis-moi proche de cette porte, et regarde là dedans (Montrant l’intérieur de la maison de Bacchis).

CHRYSALE.

À merveille ! excellente disposition ! Je ne pouvais pas souhaiter mieux.

PISTOCLÉRE, apportant des tablettes.

Tes ordres habilement donnés à des habiles ont été, sur-le-champ exécutés.

CHRYSALE.

Qu’est-ce que tu apportes ?

PISTOCLÉRE.

Tout ce que tu as demandé.

CHRYSALE, à Mnésiloque.

Toi, vite, prends ce poinçon et ces tablettes.

MNÉSILOQUE.

Pourquoi faire ?

CHRYSALE.

Écris ce que je vais te dicter. Je veux que ce soit toi même qui écrives et que ton père reconnaisse ta main. Écris.

MNÉSILOQUE.

Je suis prêt.

CHRYSALE.

D’abord le salut accoutumé à ton père.

PISTOCLÉRE.

S’il lui souhaitait plutôt quelque bonne maladie mortelle ? cela ne vaudrait-il pas mieux ?

MNÉSILOQUE.

Ne nous trouble pas. J’ai mis ce que tu m’as dit.

CHRYSALE.

Voyons ; comment ?

MNÉSILOQUE.

« Mnésiloque à son père, salut. »

CHRYSALE.

Allons, tôt, ajoute : « Mon père, Chrysale ne cesse de me gronder, parce que je t’ai rendu ton argent, et que je ne t’ai rien dérobé. »

PISTOCLÉRE.

Donne-lui le temps d’écrire.

CHRYSALE.

Il faut qu’un amoureux ait la main prompte.

PISTOCLÉRE.

Oh ! sans doute il l’a prompte, mais à semer l’argent plutôt qu’à écrire.

MNÉSILOQUE.

Poursuis : c’est écrit.

CHRYSALE.

« Maintenant, mon cher père, tiens-toi sur tes gardes. Il prépare quelque fourberie, pour voler ton argent, et il se vante d’y parvenir. » — (Mnésiloque paraît étonné.) Qu’est-ce qui t’arrête ? continue.

MNÉSILOQUE.

Tu n’as qu’à dicter.

CHRYSALE.

« Il m’offre de me donner cet argent, pour que je le donne aux courtisanes, et que je le mange dans des parties de débauches, et que je fasse la vie des Grecs. Prends donc garde, mon père, qu’il ne t’abuse. Défie toi de lui. »

MNÉSILOQUE.

Après.

CHRYSALE.

Ajoute.

MNÉSILOQUE.

Parle ; j’écris.

CHRYSALE.

« Mais, mon père, souviens-toi de tes promesses, je te prie. Ne le bats pas ; il suffira de le tenir à la maison enchaîné. » — (À Pistoclère) Donne-moi la cire et le fil. (À Mnésiloque) Vite, lie, et cachète.

MNÉSILOQUE.

Explique-moi, je t’en supplie, quel usage tu feras d’une pareille lettre. Tu veux qu’il se défie de toi, et qu’on te tienne enchaîné à la maison !

CHRYSALE.

Il me plaît ainsi. De grâce, mêle-toi de ce qui touche ta personne, et ne t’inquiète pas de moi. Je sais ce que je fais, et je mène l’entreprise à mes risques et périls.

MNÉSILOQUE.

Tu as raison.

CHRYSALE.

Donne-moi ces tablettes.

MNÉSILOQUE.

Tiens.

CHRYSALE.

Maintenant, attention. Pistoclère et Mnésiloque, allez vite vous mettre à table, chacun avec votre chacune. C’est là votre affaire. Ne tardez pas, le festin vous attend. Force rasades !

PISTOCLÉRE.

Tu n’as plus rien à nous ordonner ?

CHRYSALE.

Si fait : quand vous serez à table, n’en sortez plus qu’à mon commandement.

PISTOCLÉRE.

Ô l’excellent commandant !

CHRYSALE.

Allons, vous devriez avoir déjà bu deux coups.

MNÉSILOQUE.

Fuyons.

CHRYSALE.

Faites votre devoir, laissez-moi faire le mien.


Scène V.

CHRYSALE, seul.

C’est une affaire terriblement difficile que j’entreprends là, et je crains de ne pouvoir pas la mener à fin. Mais j’ai besoin que le vieillard soit en colère, furibond. Mes machines iraient mal, s’il était calme, quand il me verra. Sur ma vie ! je vais le tourner et le retourner comme il faut, comme un pois frit dans la poêle à frire. Promenons-nous devant la porte, pour le prendre au passage, et lui remettre les tablettes en main propre.


Scène VI.

NICOBULE, CHRYSALE.
NICOBULE.

J’ai grand dépit au cœur, de voir que Chrysale m’ait ainsi échappé.

CHRYSALE, à part.

Vivat ! il est fâché. Voici le moment favorable pour l’aborder.

NICOBULE.

Qui est-ce que j’entends là ? Eh ! oui, ma foi, c’est lui, c’est Chrysale.

CHRYSALE.

Approchons.

NICOBULE.

Bonjour, honnête serviteur. Où en sommes-nous ? Quand est-ce que je m’embarque pour aller à Éphèse redemander mon or à Théotime ? Tu es muet. Par tous les dieux ! je jure que, si je n’aimais pas tant mon fils, et si ce n’était pour lui complaire, ton dos serait déjà déchiré de la belle manière à coups de fouet, et tu irais, bien garni de fer, suer au moulin jusqu’à la fin de tes jours. Mnésiloque m’a instruit de toutes tes scélératesses.

CHRYSALE.

C’est lui qui m’accuse ? Très bien ! je suis un fripon, un homme abominable, un criminel. Attends-toi aux effets, ils justifieront tes paroles.

NICOBULE.

Tu menaces, bourreau !

CHRYSALE.

Tu apprendras bientôt à le connaître. Maintenant voici les tablettes qu’il m’a chargé de te remettre. Il te prie de faire ce qu’il t’écrit.

NICOBULE.

Donne.

CHRYSALE.

Tu reconnais son cachet ?

NICOBULE.

Oui. Que fait-il ?

CHRYSALE, avec un air affecté.

Je l’ignore. Je ne dois rien savoir, je n’ai souvenir de rien. Je sais seulement que je suis un esclave. J’ignore ce que je sais. (À part, pendant que Nicobule lit) Voilà le merle qui donne dans le filet et qui mord à l’appât. Il sera pris joliment ; mon piège est bien tendu.

NICOBULE.

Attends un moment, Chrysale, je reviens. (Il Sort.)

CHRYSALE, seul.

Comme il m’attrape ! comme il va me surprendre ! Il amènera des esclaves pour me faire enchaîner. Bonne manœuvre ! mon brigantin prend son vaisseau à l’abordage. Silence ! la porte s’ouvre.


Scène VIII.

NICOBULE, CHRYSALE, ESCLAVES.
NICOBULE, à un esclave.

Serre-lui les mains ; dépêche, Artamon.

CHRYSALE.

Qu’est-ce que j’ai fait ? (On lui lie les mains.)

NICOBULE, à l’esclave.

Un bon coup de poing, s’il lui arrive de souffler. (À Chrysale) Que dit cette lettre ?

CHRYSALE.

C’est à moi que tu le demandes ? Comme je l’ai reçue, ainsi je te l’ai remise, bien cachetée.

NICOBULE.

Tu as donc beaucoup grondé mon fils, de m’avoir rendu l’or ? Et tu t’es vanté de me le dérober encore malgré cela par tes fourberies ?

CHRYSALE.

Moi ? je m’en suis vanté ?

NICOBULE.

Oui, toi.

CHRYSALE.

Et qui est-ce qui dit que j’ai tenu ce discours ?

NICOBULE.

Tais-toi ; personne ne me l’a dit. Mais voilà tes accusatrices, ces tablettes que tu as apportées toi-même. Oui, ce sont elles qui te font charger de liens.

CHRYSALE.

Ah ciel ! ton fils a fait de moi un Bellérophon. Je suis porteur du message qui est cause qu’on m’enchaîne. Laisse faire.

NICOBULE.

Ce que j’en fais, est pour que tu conseilles à mon fils de vivre en Sybarite, triple empoisonneur !

CHRYSALE.

Imbécile, imbécile que tu es ! On te vend à beaux deniers comptans, et tu ne t’en doutes pas, et tu es dans ce moment même sur la pierre du crieur.

NICOBULE.

Réponds ; qui est-ce qui me vend ?

CHRYSALE, avec un attendrissement hypocrite.

Que favorisé des dieux est le mortel qui meurt dans la force de l’âge, avant d’avoir perdu le sens et l’esprit ! Pour peu que Nicobule eût été protégé du ciel, ne devrait-il pas être mort, il y a déjà plus de dix ans, plus de vingt ans ? Que fait-il sur la terre ? fardeau incommode, il n’a ni sens ni raison. Il ne vaut ni plus ni moins qu’un champignon pourri.

NICOBULE.

Ah ! je suis un fardeau incommode sur la terre ? Qu’on l’emmène à la maison, et qu’on l’attache fortement à la colonne. Tu ne me voleras pas mon or.

CHRYSALE.

Non, car tu me le donneras toi-même.

NICOBULE.

Je te le donnerai !

CHRYSALE.

Et tu me prieras de le prendre, quand tu sauras en quel péril, en quel gouffre de perdition s’est plongé mon calomniateur. Tu m’offriras généreusement la liberté ; je n’accepterai pas tes présents.

NICOBULE.

Dis-moi, architraître, quel péril court mon fils Mnésiloque ?

CHRYSALE.

Suis-moi, tu le verras.

NICOBULE.

Où veux-tu me mener ?


CHRYSALE.

À trois pas d’ici.

NICOBULE.

Dix, si tu veux.

CHRYSALE.

Hé ! Artamon, entr’ouvre cette porte (Il désigne la maison de Bacchis) ; doucement, pour ne pas faire de bruit. Assez. (À Nicobule) Approche. Vois-tu des convives à table ?

NICOBULE.

Oui ; en face, Pistoclère et Bacchis.

CHRYSALE.

Et sur l’autre lit, quels sont les convives ?

NICOBULE.

Malheureux ! je suis mort !

CHRYSALE.

Tu le reconnais ?

NICOBULE.

Oui.

CHRYSALE.

Et sa compagne ? est-ce un joli minois ?

NICOBULE.

Que trop joli.

CHRYSALE.

Ah ! çà, tu la prends pour une courtisane ?

NICOBULE.

Et pour qui donc ?

CHRYSALE.

Erreur.

NICOBULE.

Et qui est-ce donc, je te prie ?

CHRYSALE.

Devine. Je ne te le dirai pas.


Scène VIII.

CLÉOMAQUE, NICOBULE, CHRYSALE.
CLÉOMAQUE, sans voir les autres personnages.

Mnésiloque, fils de Nicobule, retenir de force la femme qui m’appartient ! Qu’est-ce que ces façons d’agir ?

NICOBULE, bas à Chrysale.

Quel est cet homme ?

CHRYSALE, à part.

Le militaire vient à propos.

CLÉOMAQUE.

Il me prend donc, non pas pour un guerrier, mais pour une femme, incapable de défendre et soi-même et les siens ? Je veux que Bellone et Mars n’aient plus jamais foi à ma parole, si, dès que je le rencontrerai, je n’en fais un corps sans âme et ne le déshérite de la vie.

NICOBULE, bas à Chrysale.

Chrysale, qui est cet homme qui menace mon fils ?

CHRYSALE.

C’est le mari de celle qui est couchée à côté de lui.

NICOBULE.

Son mari ?

CHRYSALE.

Oui, son mari.

NICOBULE.

C’est donc une femme mariée ?

CHRYSALE.

Tu vas le voir tout-à-l’heure.

NICOBULE.

Je suis perdu, perdu sans ressource !

CHRYSALE.

Eh bien ! Chrysale est-il un scélérat, à présent ? Poursuis, charge-moi de liens ; écoute ton fils. Ne te disais-je pas que tu apprendrais à juger l’homme ?

NICOBULE.

Que faire ?

CHRYSALE.

Ordonne qu’on me débarrasse au plus tôt de mes liens. Si je ne puis agir, il le prendra en flagrant délit.

CLÉOMAQUE, se croyant toujours seul.

Je donnerais tous les trésors du monde pour le surprendre couché avec elle. Quel plaisir de les exterminer tous deux !

CHRYSALE, à Nicobule.

Tu l’entends. Fais-moi donc mettre en liberté.

NICOBULE, aux esclaves.

Détachez ses liens. Affreux malheur ! je n’ai plus de sang dans les veines.

CLÉOMAQUE.

Et l’indigne qui se prostitue, elle ne se moquera pas de moi impunément.

CHRYSALE, à Nicobule.

Tu peux transiger pour quelque argent.

NICOBULE.

Eh bien, négocie ; je te donne plein pouvoir, pourvu qu’il ne le surprenne pas, et que je sauve mon fils.

CLÉOMAQUE, toujours sans voir les autres personnages.

S’ils ne me paient deux cents Philippes, je leur arracherai l’âme des entrailles à tous les deux.

NICOBULE.

Tâche de transiger, si tu peux ; hâte-toi, de grâce ; à quelque prix que ce soit.

CHRYSALE.

J’y mettrai tout mon zèle. (Au militaire) Qu’as-tu à crier ?

CLÉOMAQUE.

Que fait ton maître ?

CHRYSALE.

Je n’en sais rien. (Pour ce qui suit, il parle de manière à n’être pas entendu de Nicobule.) Veux-tu, moyennant deux cents Philippes qu’on s’engage à te payer, nous épargner ta clameur et tout ce scandale ?

CLÉOMAQUE.

J’y consens de grand cœur.

CHRYSALE.

Souffriras-tu que je te dise beaucoup d’injures ?

CLÉOMAQUE.

Tant que tu voudras.

CHRYSALE.

Le bourreau ! comme il est complaisant ! Voici le père de Mnésiloque. Viens ; il s’engagera. Tu n’as qu’à faire ta demande. C’est assez de paroles.

NICOBULE, bas à Chrysale.

Où en sommes-nous ?

CHRYSALE.

J’ai conclu pour deux cents Philippes.

NICOBULE.

Ah ! mon sauveur, je te dois la vie. Il me tarde de prononcer le grand mot : « Je consens ».

CHRYSALE, au militaire.

Demande ; (à Nicobule) et toi, souscris.

NICOBULE, au militaire.

Je suis prêt à souscrire. Demande.

CLÉOMAQUE.

Veux-tu me donner deux cents Philippes d’or bien sonnants ?

CHRYSALE, à Nicobule.

À toi. Réponds que tu consens.

NICOBULE.

Je consens.

CHRYSALE, au militaire.

Est-ce que tu n’es pas satisfait à présent, infâme ? N’ennuie pas mon maître. Crois-tu nous effrayer par tes menaces ? Nous te faisons une offrande de malédictions. Si tu as une épée, n’avons-nous pas la broche à la cuisine ? et si tu m’échauffes les oreilles, je te criblerai comme le ventre d’une souris. Je vois ce que c’est ; par Hercule ! Je devine quel soupçon t’inquiète. Tu crois qu’il est avec elle.

CLÉOMAQUE.

Oui, il y est.

CHRYSALE.

Jamais ne me soient propices Jupiter, Junon, Cérès, Minerve, Latone, l’Espérance, Ops, la Vertu, Vénus, Castor, Pollux, Mars, Mercure, Hercule, le dieu des Mânes, le Soleil, Saturne, et tous les dieux, s’il est en ce moment avec elle, debout ou couché, s’il l’embrasse, ou si… tu m’entends.

NICOBULE.

Quel serment il fait ! Ses parjures nous sauvent.

CLÉOMAQUE.

Que fait donc Mnésiloque à présent ?

CHRYSALE.

Son père l’a envoyé aux champs ; et elle, elle a été à l’Acropole visiter le temple de Minerve. Il est ouvert ; tu peux aller voir si elle y est.

CLÉOMAQUE.

Je vais de ce pas au forum.

CHRYSALE.

Au gibet qui t’étrangle.

CLÉOMAQUE.

Pourrai-je toucher l’or aujourd’hui ?

CHRYSALE.

Oui, et va te faire pendre. Ne crois pas nous intimider, misérable ! (Le militaire sort). Au nom des dieux, je t’en prie, mon maître, laisse-moi, que j’aille dans cette maison trouver ton fils.

NICOBULE.

Pourquoi faire ?

CHRYSALE.

Pour l’accabler de reproches, de se conduire de la sorte.

NICOBULE.

Oui, je t’en prie, Chrysale, gronde-le bien. Ne le ménage pas.

CHRYSALE.

Qu’est-il besoin de me le recommander ? Seras-tu content, si je le gourmande plus longuement que jamais Demetrius ne gourmanda Clinias ? (Il sort.)

NICOBULE, seul.

Cet esclave est comme un mal aux yeux. Si on ne l’a pas, on s’en passe très bien, on n’en veut pas du tout. S’il vous vient, vous ne pouvez vous retenir d’y toucher. Si Chrysale ne s’était trouvé là par bonheur, le militaire surprenait sa femme en flagrant délit et Mnésiloque avec elle, et il le tuait. Ces deux cents Philippes que j’ai promis sont comme la rançon de mon fils ; cependant je ne les donnerai qu’à bonnes enseignes, et après avoir vu Mnésiloque. Je ne veux pas me fier à la légère à Chrysale. Mais relisons encore ces tablettes avec attention ; un écrit sous cachet mérite créance.

(Il sort.)


Scène IX.

NICOBULE, CHRYSALE.
CHRYSALE, sortant de chez Bacchis avec des tablettes.

On vante les fameux exploits des Atrides contre la patrie de Priam, cette Pergame bâtie par une main divine : encore leur fallut-il des armes, des bataillons, de braves guerriers, mille vaisseaux, et dix années pour en venir à bout. Qu’était-ce que les ravages d’Achille ? Voyez, moi, comme je vais prendre d’assaut mon vieux maître, sans flotte, sans armée, sans tout cet attirail de soldats. Nous avons déjà une capture : ma victoire enlève au père son or pour les amours du fils. N’est-ce pas le moment d’entonner la complainte, en attendant que le vieillard paraisse. (Il chante :) « Ô Pergame ! ô patrie ! ô Troie ! ô Priam ! » Pauvre barbon, ton heure est venue. Tu seras dépouillé de quatre cents Philippes d’or. Ces tablettes que j’ai là bien scellées et cachetées, ce n’est pas une simple missive, c’est le cheval de bois, stratagème des Grecs. Pistoclère, qui nous a tout fourni, est notre Epius. Mnésiloque est Sinon, qu’on laisse en arrière. Le voyez-vous d’ici en ce moment couché, non sur le tombeau d’Achille, mais sur un bon lit, et Bacchis à ses côtés ? L’autre Sinon alluma des feux pour signal, celui-ci brûle lui-même pour sa maîtresse. Et moi, je suis Ulysse qui mène toute l’entreprise. Les caractères tracés là-dedans sont les soldats enfermés dans le cheval de bois, bien armés, bien animés. La ruse nous réussit de même, et mieux encore jusqu’à présent. Notre cheval, au lieu d’une forteresse, attaquera le coffre-fort. Il porte en ses flancs la déconfiture, la ruine du vieillard ; il va lui arracher son or. Notre vieux benêt, je l’appelle Ilion ; le militaire est Ménélas ; et moi, Agamemnon et Ulysse tout ensemble. Mnésiloque est Pâris. Ne doit-il pas causer la ruine de son père et de leur maison ? C’est lui qui a ravi la belle Hélène, pour laquelle j’assiège Pergame. On dit qu’Ulysse était hardi et rusé comme moi. J’ai été pris comme lui un moment. Tandis que, sous les habits d’un mendiant, il cherchait à dérober la destinée d’Ilion, il manqua d’être découvert et de périr. Moi, j’ai couru aujourd’hui même chance. On m’a lié, garrotté. Mon adresse m’a tiré d’embarras, comme il se sauva grâce à la sienne. Par un arrêt du ciel, trois choses devaient être fatales à Pergame : l’enlèvement du Palladium, la mort de Troïle, la démolition de la muraille au dessus de la porte Scée. Il y a aussi trois fatalités pour notre vieil Ilion. D’abord, par un mensonge au sujet de son hôte, et de l’argent et du vaisseau, je lui ai ravi le Palladium. Restaient encore deux conditions fatales, pour prendre la place. En remettant les tablettes au vieillard, j’ai tué Troïle. Lorsque je lui ai fait accroire que Mnésiloque était avec la femme du militaire, je me suis tiré, non sans peine, d’un mauvais pas. J’étais en grand péril, comme Ulysse, quand Hélène le reconnut et le mit en la puissance d’Hécube. Mais le matois sut emmieller si bien ses paroles, que la reine se laissa persuader, et qu’il eut sa liberté. Et moi aussi, j’ai su par finesse me délivrer du danger et duper le vieillard. Ensuite, il a fallu livrer bataille au terrible militaire, qui prend les villes en paroles sans dégainer ; il a été repoussé. Puis, j’attaque le vieillard, mensonge en avant ; d’un seul coup j’abats l’ennemi et j’emporte des dépouilles opimes. Il donnera au militaire les deux cents Philippes qu’il a promis. Mais, en réjouissance de la prise d’Ilion, l’armée doit triompher et boire ; ce sont deux cents Philippes qu’il nous faut encore. Ah ! que notre Priam vaut mieux que l’ancien ! il n’a pas seulement cinquante fils, mais bien quatre cents, tous de bon aloi, d’espèce excellente. Aujourd’hui, en deux coups, je les lui aurai tous massacrés. Y a-t-il quelqu’un qui veuille acheter notre Priam ? il sera mis en vente, bon marché, comme un vieux rebut, une fois que j’aurai pris la ville d’assaut. Mais le voici devant la porte ; allons à sa rencontre, et commençons.

NICOBULE.

Quelle voix se fait entendre ici près ?

CHRYSALE.

Nicobule !

NICOBULE.

Eh bien ! qu’est-ce ? As-tu fait ma commission ?

CHRYSALE.

Si je l’ai faite ! Approche.

NICOBULE.

Me voici.

CHRYSALE.

Vraiment, j’ai de l’éloquence. Mes reproches, mes réprimandes ont arraché des larmes au jeune homme. Oh ! je lui en ai dit !

NICOBULE.

Et lui ?

CHRYSALE.

Pas un mot. Il écoutait, en pleurant, mes discours sans rien dire ; et sans rien dire aussi, il a écrit cette épître, l’a cachetée, et m’a chargé de te la remettre. Mais je crains quelque chanson pareille à celle de tantôt. Vois le cachet. C’est bien le sien ?

NICOBULE.

Oui. Je suis curieux de lire sa lettre.

CHRYSALE.

Lis. (À part) Voici qu’on démolit le mur au dessus de la porte Scée. La ruine d’Ilion approche. Le cheval de bois se démène à merveille.

NICOBULE.

Chrysale, reste pendant cette lecture.

CHRYSALE.

À quoi te sert ma présence ?

NICOBULE.

Si fait. J’aurai peut-être des ordres à te donner. Il faut que tu saches ce que contient cette lettre.

CHRYSALE.

Cela ne m’intéresse guère, je ne suis pas curieux de le savoir.

NICOBULE.

Reste cependant.

CHRYSALE.

Quelle nécessité ?

NICOBULE.

Point de raisons. Fais ce que je te dis.

CHRYSALE.

J’obéis.

NICOBULE, avec impatience.

Allons ! Quelle écriture fine !

CHRYSALE, avec ironie.

Oui, pour quelqu’un qui n’y voit pas bien ; mais assez grosse pour qui aurait de bons yeux.

NICOBULE.

Écoute, et sois attentif.

CHRYSALE.

Non, je ne veux pas.

NICOBULE.

Moi, je le veux.

CHRYSALE.

Pourquoi cela ?

NICOBULE.

Encore une fois, fais ce qu’on t’ordonne.

CHRYSALE.

C’est juste. Ton esclave doit se soumettre à tes volontés.

NICOBULE.

Écoute donc, à la fin.

CHRYSALE.

Commence, quand tu voudras. Mes oreilles sont à ton service.

NICOBULE.

Il n’a pas ménagé le poinçon ni la cire. Quelle longueur ! Mais je veux tout lire : « Mon père, donne, je t’en prie, deux cents Philippes à Chrysale, si tu veux conserver ton fils et le rendre à la vie. »

CHRYSALE.

Mal ; par Hercule ! très mal ; (achevant la phrase de manière que Nicobule ne l’entende pas) pour toi, s’entend.

NICOBULE.

Qu’est-ce ?

CHRYSALE.

A-t-il commencé seulement par te saluer ?

NICOBULE.

Je ne vois pas.

CHRYSALE.

Si tu m’en crois, il n’aura pas ce qu’il demande. Mais, au surplus, si tu le lui donnes, qu’il choisisse un autre messager ; il fera bien : car je ne veux pas l’être ; quand tu me le commanderais expressément. Mon innocence a déjà été assez en butte aux soupons.

NICOBULE.

Écoute donc la lecture et ne m’interromps pas.

CHRYSALE.

Le commencement de la lettre est déjà bien peu respectueux.

NICOBULE.

« Je n’ose me montrer devant toi, mon père. Je sais qu’on t’a instruit de mes déportements avec la femme du militaire étranger. » Je le crois. Cela n’est pas plaisant. Tes déportements me coûtent deux, cents Philippes d’or, qu’il a fallu payer pour te sauver de là.

CHRYSALE.

Tu ne dis rien, que je ne lui aie déjà dit.

NICOBULE.

« Je confesse ma faute, mon étourderie. Mais, mon père, si je suis coupable, ne m’abandonne pas. Ma passion a été sans frein, mes yeux sans retenue. J’ai succombé à la séduction. Combien je me repens ! » Il aurait mieux valu ne pas faillir d’abord, que de te repentir à présent.

CHRYSALE.

Je lui ai tenu tout-à-fait les mêmes discours il n’y a qu’un moment.

NICOBULE.

« Je t’en supplie, mon père, qu’il te suffise de tous les reproches que j’ai essuyés de la part de Chrysale. Ses remontrances m’ont fait rentrer en moi-même. Tu dois lui en savoir gré. »

CHRYSALE.

Comment ! il t’écrit cela ?

NICOBULE.

Tiens, lis toi-même, tu le verras.

CHRYSALE.

Quand on est, coupable, comme on est humble et penaut !

NICOBULE.

« Maintenant, mon père, s’il m’est permis encore de te demander une grâce, envoie-moi, je t’en conjure, deux cents Philippes d’or. »

CHRYSALE.

Pas un seul, par Hercule, si tu as le sens commun.

NICOBULE.

Laisse-moi lire jusqu’au bout. « Je me suis engagé, par un serment solennel, à donner la somme à cette femme aujourd’hui, avant le coucher du soleil, avant de nous séparer. Mon père, ne me laisse pas manquer à mon serment ! Délivre-moi le plus tôt possible de ce lieu et de celle qui a été pour moi la cause de tant de profusions et de fautes si graves. Ne regarde pas à deux cents Philippes. Je t’en rendrai six cents, si le ciel me conserve. Adieu, ne m’abandonne pas. » Qu’en dis-tu, Chrysale ?

CHRYSALE.

Je ne veux te rien conseiller, pour que tu ne dises pas ensuite, si tu as lieu de te repentir, que c’est par mes avis que tu t’es conduit. Quant à moi, si j’étais à ta place, j’aimerais mieux donner l’argent que de perdre mon fils. Il y a deux partis à prendre. Vois lequel tu choisiras : pour toi un sacrifice d’argent, ou pour le jeune homme un parjure. Moi, je ne te conseille ni ne te déconseille ; je suis neutre.

NICOBULE.

Il me fait pitié.

CHRYSALE.

Cela ne m’étonne pas, c’est ton fils. Fallût-il perdre encore davantage, mieux vaudrait en passer par là, que d’être déshonoré ainsi publiquement.

NICOBULE.

Que n’est-il resté à Éphèse, pourvu qu’il y fût en bonne santé, plutôt que de revenir ici ! Allons, puisqu’il faut perdre encore cet argent, exécutons-nous promptement. Je vais apporter les deux cents Philippes que j’ai promis au militaire, hélas ! et ces deux cents autres encore. Reste ici, Chrysale, je reviens dans un moment. (Il sort.)

CHRYSALE, seul.

Ilion est saccagée ; les héros ravagent Pergame ! Je savais bien que je consommerais sa ruine. Vraiment, si quelqu’un voulait parier que je mérite les étrivières, je ne gagerais pas contre lui. Que je fais ici de remue‑ménage ! Mais j’entends le bruit de la porte. Taisons-nous. On fait sortir de Troie le butin.

NICOBULE.

Tiens, Chrysale, porte cet or à mon fils. Je vais aller au forum payer le militaire.

CHRYSALE.

Non, charge un autre de cette commission ; je ne veux pas de ta confiance.

NICOBULE.

Prends donc. Tu me déplais.

CHRYSALE.

Non, je ne le recevrai pas.

NICOBULE.

Je t’en prie.

CHRYSALE.

Je te le dis tout net.

NICOBULE.

Tu perds le temps.

CHRYSALE.

Non, te dis-je ; ne me confie pas cet or, ou fais-moi accompagner pour qu’on me garde à vue.

NICOBULE.

Oh ! tu m’impatientes.

CHRYSALE.

Eh bien ! donne donc, puisqu’il faut absolument.

NICOBULE.

Dépêche-toi ; je serai bientôt de retour. (Il s’en va.)

CHRYSALE, haut.

Ton affaire est faite : (plus bas) va, pauvre malheureux vieillard ! Voilà ce qui s’appelle en venir à son honneur ! je suis vainqueur, et je retourne chargé de butin. La ville est prise par stratagème ; et, sans perte aucune, je ramène mon armée florissante. Spectateurs, ne vous étonnez pas de ne pas voir de pompe triomphale, cela est trop commun. Je n’y tiens pas. Cependant on régalera bien nos soldats. Maintenant, je vais porter le butin chez le questeur.


Scène X.

PHILOXÉNE, seul.

Plus je médite sur tous les désordres de mon fils, et sur ce train de vie et ces vices où il se jette comme un fou, plus je m’inquiète et je m’effraie. Il se pervertit, il se perd. J’ai été jeune aussi, et j’ai fait mes fredaines, mais sans sortir des bornes. Je n’aime pas non plus la manière dont les pères se comportent envers leurs enfants. Moi, j’avais une maîtresse, je m’amusais, je mangeais, je faisais des cadeaux, toutefois pas trop souvent. Je veux aussi que mon fils ait du bon temps, et qu’il se livre à ses goûts ; c’est juste. Mais point d’excès de libertinage. Je vais voir si Mnésiloque a fait ma commission, et s’il a su le ramener au devoir et à la sagesse. Certainement, il n’y aura pas manqué, s’il a pu le rejoindre : c’est un garçon prudent.

ACTE V.


Scène I.

NICOBULE, PHILOXÈNE.
NICOBULE, ne voyant pas Philoxène.

Non, entre tous les sots passés, présens et futurs, il n’y a pas de bête, de niais, de buse, de butor, d’oison, de gobe-mouche, qui m’égale en bêtise, en imbécillité. Moi seul je les surpasse tous ensemble ! Ô ruine ! ô honte ! à mon âge m’être laissé jouer deux fois indignement ! Plus j’y pense, et plus les incartades de mon fils me désolent. On m’a égorgé, on m’a assassiné. Je suis torturé de toutes les manières ; tous les maux, tous les désastres s’unissent pour m’accabler. C’est Chrysale qui m’a jugulé, qui m’a dépouillé misérablement. Le traître ! sa malice a profité de ma bêtise pour me rafler mon or à plaisir. Le militaire m’a raconté toute l’affaire en détail. Celle qu’on faisait passer pour sa femme n’est qu’une courtisane ; il l’avait engagée pour cette année, et l’or que j’ai promis comme un sot est celui qu’elle devait lui rembourser. C’est là le plus sensible, c’est là le plus amer ; qu’on m’ait berné à mon âge ! Par Pollux ! être ainsi joué, avec ces cheveux blancs et avec cette barbe au menton ! Comme ils m’ont soufflé mon or ! Ô rage ! ô désespoir ! que mon fripon d’esclave ait osé me traiter de la sorte ! J’aurais perdu le double de toute autre manière, que j’en serais moins affligé, et que le tort me serait plus léger.

PHILOXÈNE.

J’ai, je crois, entendu parler quelqu’un près d’ici. Eh ! c’est justement le père de Mnésiloque.

NICOBULE.

Fort bien. Voici mon associé de peines et de douleurs. Bonjour, Philoxène.

PHILOXÈNE.

Bonjour. Comment vas-tu ?

NICOBULE.

Comme un homme infortuné, misérable.

PHILOXÈNE.

Ah ! c’est moi qui dois me ranger au nombre des misérables et des infortunés.

NICOBULE.

Nos fortunes se ressemblent donc comme nos âges ?

PHILOXÈNE.

Apparemment. Mais que t’arrive-t-il ?

NICOBULE.

Le même accident qu’à toi.

PHILOXÈNE.

Est-ce ton fils qui cause ton chagrin ?

NICOBULE.

Tu l’as dit.

PHILOXÈNE.

J’ai pareille angoisse dans l’âme.

NICOBULE.

Pour ce qui me regarde, l’honnête Chrysale perd mon fils, et moi-même, et tout mon bien.

PHILOXÈNE.

Comment ton fils te chagrine-t-il ?

NICOBULE.

Apprends qu’il se perd avec le tien. Ils ont chacun leur maîtresse.

PHILOXÈNE.

Qui te l’a dit ?

NICOBULE.

Je l’ai vu.

PHILOXÈNE.

Ô ciel ! voilà ma ruine.

NICOBULE.

Que tardons-nous à frapper à cette porte et à les faire sortir tous deux ?

PHILOXÈNE.

C’est bien mon avis.

NICOBULE.

Holà ! Bacchis, vitement, qu’on nous ouvre, ou nous briserons et portes et poteaux à coups de hache.


Scène II.

LES DEUX BACCHIS, NICOBULE, PHILOXÈNE.
BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Quel bruit ! quel vacarme ! Qui est-ce qui m’appelle en frappant ainsi à la porte ?

NICOBULE.

Nous deux.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, à sa sœur.

Qu’est-ce donc ? Qui nous amène, dis-moi, ces brebis ?

NICOBULE.

Elles nous traitent de brebis, les coquines !

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Il faut que le berger se soit endormi, puisqu’elles vont à l’aventure séparées du troupeau.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Mais, vois, qu’elles sont brillantes ! Par ma foi, leur état ne paraît pas misérable.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

On les a tondues de près toutes deux.

PHILOXÈNE.

Comme elles se moquent de nous !

NICOBULE, avec une ironie menaçante.

Laisse-les faire. À leur aise.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Penses-tu qu’on puisse les tondre trois fois par an ?

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Eh ! par Pollux ! il y en a une qui a été tondue deux fois aujourd’hui.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Ce sont de vieilles brouteuses de thym.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Elles furent bonnes dans leur temps.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Vois-tu comme elles nous regardent du coin de l’œil ?

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Vraiment, je les crois sans malice aucune.

PHILOXÈNE.

Nous n’avons que ce que nous méritons, pour être venus ici.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Il faut les mener chez nous.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

À quoi bon ? elles n’ont plus ni lait, ni laine. Laisse-les là. Elles sont hors d’âge et ne valent plus rien. On n’en peut plus tirer aucun parti. Ne vois-tu pas qu’on les laisse errer seules en liberté ? L’âge leur a, je pense, ôté la voix. Elles ne peuvent pas même bêler en se voyant éloignées du troupeau. Pauvres bêtes ! bien innocentes, à ce qu’elles semblent.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Rentrons, ma sœur.

NICOBULE.

Un moment. Ces brebis veulent vous dire deux mots.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Quel prodige ! des brebis qui nous parlent en langage humain !

PHILOXÈNE.

Malheur à vous ; ces brebis vous paieront ce qu’elles vous doivent.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

On te remet toutes ces dettes-là, garde-les pour toi ; on ne te demandera jamais rien. Mais à quel propos nous menacez-vous de votre colère ?

PHILOXÈNE.

Vous retenez dans votre maison deux agneaux qui sont à nous.

NICOBULE.

Et avec ces agneaux, un chien à moi, un traître qui mord les gens. Il faut nous les renvoyer, nous les rendre à l’instant, ou nous deviendrons des béliers furieux, et nous nous jetterons sur vous.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Ma sœur, deux mots en particulier. Viens, je te prie.

NICOBULE.

Où vont-elles ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Charge-toi de l’autre vieillard (montrant Philoxéne) ; apprivoise-le joliment. Moi, j’entreprendrai ce grondeur. Nous saurons bien les attirer chez nous.

BACCHIS L’ÉTRANGÉRE.

Je m’acquitterai comme il faut de ma tâche, quoiqu’il ne soit pas agréable d’embrasser un cadavre.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Mets-toi à l’œuvre.

BACCHIS L’ÉTRANGÉRE.

Sois tranquille ; fais ton affaire, je tiendrai ma parole.

NICOBULE, à Philoxène.

Quel complot trament-elles là-bas mystérieusement ?

PHILOXÈNE.

Écoute, mon ami.

NICOBULE.

Que me veux-tu ?

PHILOXÈNE.

J’ai quelque chose à te dire, et je n’ose.

NICOBULE.

D’où te vient cette honte ?

PHILOXÈNE, mettant le doigt sur sa bouche.

St ! tu es mon ami, je veux te confier un secret. C’en est fait, je suis un vaurien.

NICOBULE.

Tu ne m’apprends rien de nouveau. Mais en quoi es-tu vaurien, dis-moi ?

PHILOXÈNE.

Je suis pris aux gluaux, irrésistiblement. Je sens là (montrant, son cœur) un trait qui m’aiguillonne.

NICOBULE.

Tu mériterais plutôt qu’on t’aiguillonnât les fesses. Mais que veux-tu dire ? Quoique je m’en doute déjà, je désire l’entendre de ta propre bouche.

PHILOXÈNE, montrant Bacchis l’étrangère.

Vois-tu cette femme ?

NICOBULE.

Oui.

PHILOXÈNE.

Elle n’est pas mal.

NICOBULE.

Très mal, par Pollux, et toi pis encore.

PHILOXÈNE.

Enfin j’aime.

NICOBULE.

Tu aimes, toi ?

PHILOXÈNE.

Ennuyeux censeur !

NICOBULE.

Vieil imbécile, toi amoureux à ton âge ! oses-tu bien ?

PHILOXÈNE.

Pourquoi non ?

NICOBULE.

C’est un scandale.

PHILOXÈNE.

Trêve aux discours. Je pardonne à mon fils. Tu dois pardonner au tien. Ils aiment, ils ont raison.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, à sa sœur.

Viens.

NICOBULE.

Les voici enfin ! Eh bien ! endoctrineuses de vices, traîtresses, nous rendez-vous nos fils et mon esclave ? Faut-il employer la force ouverte ?

PHILOXÈNE, à Nicobule.

Va-t’en donc ! As-tu perdu tout sentiment humain, de parler si vilainement à une si jolie femme ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, à Nicobule.

Vieillard, le meilleur des hommes, laisse-toi fléchir à ma prière. Plus d’emportement ! plus de courroux contre les coupables !

NICOBULE.

Éloigne-toi, ou, malgré ta gentillesse, je te ferai un mauvais parti.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Je ne me défendrai pas. Je n’ai pas peur que tes coups me fassent du mal.

NICOBULE.

La syrène ! ah ! je crains bien pour moi.

BACCHIS L’ÉTRANGÉRE, montrant Philoxène.

Celui-ci est plus doux.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Allons, allons, entre avec moi, et tu gronderas ton fils, si tu veux.

NICOBULE.

T’en iras-tu, scélérate ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Mon bon, laisse-toi fléchir à ma prière !

NICOBULE.

À ta prière ? moi !

BACCHIS L’ÉTRANGÉRE, montrant Philoxène.

La mienne aura plus de succès auprès de lui.

PHILOXÈNE.

Oui certes, et même je te prie de m’emmener chez toi.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Que tu es aimable !

PHILOXÈNE.

Mais si je me laisse emmener, c’est à une condition.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Que je serai à toi ?

PHILOXÈNE.

Tu combles mes vœux.

NICOBULE, à Philoxène.

J’ai bien vu des hommes dépravés ; je n’en ai jamais vu de plus dépravés que toi.

PHILOXÈNE.

Je suis ainsi fait.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, à Nicobule.

Allons, viens avec moi, et tu auras tout à souhait, vin, bonne chère, parfums.

NICOBULE.

J’en ai assez et trop de vos festins ; on n’a rien épargné pour me traiter de la belle manière. Quatre cents Philippes ! Et ce voleur de Chrysale, l’agent de mon fils, il périra sur un gibet, dût-il m’en coûter encore autant.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Enfin, si l’on te rend la moitié de ton or, veux-tu me suivre, et leur pardonner leurs fautes ?

PHILOXÈNE.

Il se rendra.

NICOBULE.

Point du tout ! je ne veux pas… Qu’est-ce que cela me fait ?… Laisse-moi… J’aime mieux les punir tous deux.

PHILOXÈNE.

Comment, nigaud, tu perdrais par ta sottise le bien que les dieux t’envoient ! On te donne la moitié de ton or ; accepte, et fais bombance, et couche-toi à table à côté d’une jolie femme.

NICOBULE.

Qui ? moi ! qu’au lieu même où mon fils se perd, j’aille faire bombance !

PHILOXÈNE.

Eh ! oui, buvons.

NICOBULE.

Allons, quelle que soit cette folie, je m’abandonne. Mon cœur se soumet… Comment ! elle l’aura près d’elle à table, en ma présence ?

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Non, c’est toi qui seras avec moi, toi que j’aimerai, toi que j’embrasserai.

NICOBULE.

Mauvais augure ! la tête me démange. Le non expire sur mes lèvres.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Pense-s-y, je t’en prie : « Jouissance dans la vie n’est pas de longue durée ; et l’occasion perdue ne se retrouve plus ensuite chez les morts. »

NICOBULE.

Que faire ?

PHILOXÈNE.

Tu le demandes ?

NICOBULE.

Je désire, et je crains.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Que crains-tu ?

NICOBULE.

De donner trop d’avantage sur moi à mon fils et à mon esclave.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Dis-moi, miel de mon cœur, cela est-il possible ? N’es-tu pas le maître ? Peut-il dépenser sans que tu lui donnes ? Accorde-moi leur grâce.

NICOBULE.

C’est une vrille que son langage. Faut-il qu’une résolution si bien prise cède à ses cajoleries ? Me voilà perverti par toi et pour toi.

BACCHIS L’ÉTRANGÈRE.

Je ne te laisse plus te détacher de mes bras. Puis-je compter sur ta promesse ?

NICOBULE.

Ce qui est dit est dit ; je tiendrai parole.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Le jour s’avance, entrez et prenez place à table. Vos fils sont impatients de vous voir.

NICOBULE.

Oui, morts et enterrés.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE.

Voici la nuit, venez.

PHILOXÈNE.

Conduisez-nous où il vous plaira ; nous sommes vos captifs.

BACCHIS L’ATHÉNIENNE, aux spectateurs.

Nous avons pris joliment les vieillards qui venaient prendre leurs fils. (À Nicobule et à Philoxène) Marchez !

LE CHEF DE LA TROUPE, aux spectateurs.

Si ces deux vieillards n’avaient été des vauriens dans leur jeunesse, ils ne souilleraient pas aujourd’hui d’un pareil opprobre leurs cheveux blancs ; et nous ne vous donnerions pas non plus ce spectacle, si nous n’avions vu des exemples de pères qui se trouvaient, dans des maisons de débauche, rivaux de leurs fils ! Spectateurs, bonne santé pour vous ; pour nous, des applaudissements sonores.