Les Excès de la spéculation au début du règne de Louis XV/02

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Les Excès de la spéculation au début du règne de Louis XV
Revue des Deux Mondes3e période, tome 62 (p. 817-858).
UN CHAPITRE
ET LES
L’HISTOIRE FINANCIERE
DE LA FRANCE

II.
LES EXCÈS DE LA SPÉCULATION AU DÉBUT DU RÈGNE DE LOUIS XV.

II.[1]
BAISSE DES ACTIONS ET DEFAVEUR DES BILLETS. — LA CHUTE DU SYSTÈME ET LA LIQUIDATION.


I.

Le 5 janvier 1720, d’Argenson, qui depuis plusieurs mois ne s’entendait plus avec Law[2], abandonna l’administration des finances. Le contrôle général fut rétabli et fut confié à Law, qui conserva la direction de la banque et celle de la compagnie des Indes. La banque était devenue un service financier de l’état : on comprend donc que le contrôleur-général ait pu en conserver sans intermédiaire l’administration ; mais la compagnie, avec ses nombreuses entreprises et ses milliards d’actions, était une société privée : si elle avait pu se faire attribuer le bail des fermes générales, parce qu’il était alors d’usage d’affermer le recouvrement d’une partie des impositions, elle était placée à ce titre, non sous l’autorité, mais sous le contrôle du ministre, et Law ne pouvait se contrôler lui-même. Sa nomination au contrôle-général est un signe du temps où elle a pu être faite. « Le murmure fut grand, dit Saint-Simon, de voir un étranger contrôleur-général, et tout livré en France à un système dont on commençait à se défier. Mais les Français s’accoutument à tout. »

La spéculation salua l’avènement de Law au ministère des finances en faisant monter dans la soirée les actions à 18,000 livres. Quelques jours après, le nouveau contrôleur-général ne crut pas compromettre l’autorité publique dont il était revêtu en se rendant, accompagné de plusieurs grands seigneurs, rue Quincampoix, où sa présence et ses encouragemens ranimèrent encore la confiance, mais elle ne dura pas.

Le cours de 18,000 livres ne put se maintenir et les actions baissèrent. Le bureau que la compagnie avait ouvert les acheta à 9,600 livres et les paya en billets qu’on allait aussitôt convertir en numéraire à la banque, dont la réserve métallique, que les trois derniers mois de 1719 avaient accrue, ne tarda pas à être épuisée : elle put cependant satisfaire aux remboursemens qui lui furent demandés, mais quelquefois avec des retards, en ouvrant tard ses guichets, en les fermant de bonne heure, en prolongeant le temps nécessaire pour compter les espèces.

Law se trouvait en présence de la terrible difficulté de soutenir à la fois l’action et le billet : il ne recula pas, et, se faisant journaliste, il voulut exposer et défendre ses projets et ses théories dans une lettre qu’inséra le Mercure de France (de février 1720), et qui se terminait par ces paroles un peu hautaines : « Le système s’établira sans vous, parce qu’il est fondé sur des principes, et que les principes se rendent maîtres, tôt ou tard, des opinions les plus rebelles. Mais il dépend en quelque sorte du public de le faire aller plus vite et de recueillir incessamment les fruits immenses qu’il nous promet[3]. » La compagnie achetait des actions et elle en vendait peu : elle espéra attirer les acheteurs en leur offrant des marchés à prime, en s’engageant (le 9 janvier) à fournir, dans les six mois, des actions avec les dividendes de l’année, à raison de 11,000 livres, moyennant une prime de 1,000 livres. Depuis que Law avait le premier employé cette forme de marché, qui se prête si bien aux spéculations, l’agiotage s’en était emparé et faisait concurrence à la compagnie : elle s’en fit attribuer le monopole par un arrêt du 11 février.

Les rentiers ne se pressaient pas de demander leurs remboursemens : ils hésitaient à acheter des actions et ne pouvaient remplacer les rentes qui les faisaient vivre par des billets qui ne produisaient aucun revenu. Mais, comme ces retards paralysaient le développement du système, il leur fut prescrit de recevoir avant le 1er avril les fonds remis aux payeurs : passé ce délai, ces fonds seraient reportés au trésor pour être remboursés plus tard, ainsi qu’il serait ordonné. Cette menace ayant produit peu d’effet, les rentiers furent informés que les rentes de ceux qui n’auraient pas voulu ou pu recevoir leurs remboursemens avant le 1er juillet seraient réduites à 2 pour 100 (arrêts des 12 janvier et 6 février) : cette injonction rigoureuse en détermina un grand nombre à retirer leurs capitaux et à en chercher ailleurs l’emploi.

Le paiement des actions achetées par la compagnie et les remboursemens aux rentiers s’effectuaient en billets ; les 360 millions autorisés le 29 décembre furent épuisés à la fin de janvier, et il fallut permettre à la banque, le 6 février, d’en émettre encore pour 200 millions, ce qui porta ses émissions à 1,200 millions. Ce développement de la circulation fit accroître les faveurs accordées aux billets : pour compléter la disposition qui, le 22 décembre, leur avait accordé une prime de 5 pour 100, les contribuables qui acquitteraient en billets les droits dus aux fermes générales furent exemptés des 4 sols par livre qu’ils avaient à payer en sus du principal; il afin, dit l’arrêt, de favoriser de plus en plus les billets et de soutenir la préférence qu’ils méritent dans le commerce. » Mais dans la lutte qui s’établit entre la monnaie fiduciaire et la monnaie métallique, il ne suffit pas de favoriser les billets, il faut poursuivre, tourmenter, proscrire même l’or et l’argent. Pendant toute l’année 1720, les variations monétaires sont incessantes : le cours des espèces est tantôt élevé et tantôt abaissé, sans qu’on les refonde ou qu’on les réforme. Il ne s’agit plus, comme pendant les deux dernières guerres de Louis XIV, de chercher dans la réforme ou la fabrication des espèces un bénéfice pour le trésor, mais uniquement de faire préférer le billet au numéraire.

Le 15 janvier, la réduction déjà ordonnée de 1 livre sur les louis et de 4 sols sur les écus est prorogée à la fin de février, mais pour Paris seulement. Ainsi, pendant un mois, le cours des espèces n’est pas le même en France : il est plus fort à Paris et plus faible dans les provinces. C’est un véritable désordre : peu importe, on espère attirer des espèces au bureau central de la banque en laissant plus de temps au public pour venir les convertir en billets avant qu’elles soient réduites. Le 22 janvier, les anciennes espèces réformées en 1704, en 1709, en 1715, et successivement démonétisées, qu’au mois de décembre la justice recherchait et confisquait, sont reçues de nouveau dans la circulation sur le pied de 900 livres le marc monnayé d’or et 60 livres le marc d’argent, comme les espèces fabriquées depuis : ces conditions favorables auront sans doute plus d’effet que les rigueurs de la justice pour les faire sortir des caisses et des tiroirs, où on suppose qu’il en reste pour des sommes considérables. L’exportation défendue par toutes les lois anciennes est permise jusqu’à la fin de février, « afin d’ôter tout prétexte à ceux qui se plaindraient des peines qui pourront être portées (plus tard) contre ceux qui gardent des vieilles espèces : il est plus avantageux à l’état qu’on les fasse valoir à l’étranger que de les retenir dans le royaume sans circulation. » Le 28 janvier, six jours seulement après que les anciennes espèces démonétisées ont été rendues à la circulation, elles sont réduites de 90 livres par marc d’or, et de 6 livres par marc d’argent ; toutefois, pendant trois jours, elles seront encore reçues dans les Monnaies et à la banque à 900 livres et 60 livres le marc. Il est défendu, sous peine de confiscation, de transporter, pendant le mois de février, hors de Paris et des villes où il y a des hôtels des Monnaies, l’or et l’argent, sans en avoir obtenu la permission, « Pour faciliter le commerce, » les dispositions de l’arrêt du 21 octobre qui rendent obligatoire l’emploi des billets dans presque tous les paiemens, et qui ne devaient être exécutées que le 1er mars et le 1er avril, seront immédiatement appliquées. Les anciennes espèces qui n’auront pas été portées à la banque ou aux hôtels des Monnaies, dans les délais prescrits, seront de nouveau confisquées[4]. Le 31 janvier, l’exportation permise le 22 est de nouveau défendue. Les 9 et 20 février, la diminution ordonnée le 28 janvier est successivement prorogée au 20 février, et à la fin de mars pour Paris, à la fin de février et au 10 mars pour les provinces. Le 25 février, avant même ces époques, toutes les espèces anciennes et nouvelles sont de nouveau admises dans la circulation, à raison de 900 livres le marc d’or et de 60 livres le marc d’argent : la banque n’exigera plus 5 pour 100 de l’argent qui y sera déposé; elle recevra et délivrera les espèces au prix auquel elles ont cours. (Arrêts des 15, 22, 28 et 31 janvier, et des 9, 20 et 25 février.)

Toutes ces dispositions concernant les monnaies sont confuses et contradictoires : celle qui les suit est violente. Le 27 février, il est défendu à tous les Français de conserver plus de 500 livres en numéraire, sous peine de 10,000 livres d’amende. Il est interdit de payer les sommes de 100 livres et au-dessus autrement qu’en billets. L’arrêt se borne à déclarer que, « la quantité des espèces actuellement dans le royaume doit dépasser 1,200 millions, et que néanmoins le public est privé d’une circulation suffisante, parce que plusieurs personnes qui ont fait des fortunes considérables resserrent les espèces; » et on croit que ce motif justifie des violences qui rappellent les gouvernemens les plus tyranniques[5]. C’est aussi parce que les nouveaux enrichis, les réaliseurs, étalant un luxe excessif et inopportun, « ont employé une partie considérable de leur fortune dans l’achat de diamans, de perles, de pierres précieuses, » qu’il est défendu de porter aucun de ces objets, sous peine de 10,000 livres d’amende.

Law n’est arrêté par aucune considération de droit ou de justice dans les efforts qu’il tente pour développer la circulation des billets afin de soutenir le cours des actions. Cependant, ces deux valeurs sont essentiellement différentes. La banque royale est devenue un établissement de l’état; la compagnie des Indes est restée une société particulière de commerce et d’industrie. Le billet est l’engagement souscrit par la banque, c’est-à-dire par l’état, et dans les formes de gouvernement qui existaient alors, par le roi, de payer à vue, en espèces, une somme déterminée : ne pas satisfaire à cet engagement, c’est se mettre en état de faillite. L’action représente la participation de celui qui la possède aux opérations d’une société commerciale, à ses chances de bénéfices ou de pertes, sans qu’elle lui donne droit au remboursement du capital qu’il a versé, si à l’expiration de la société il a été dissipé : sa valeur n’est pas fixe, elle est essentiellement variable, suivant l’opinion que se fait le public des profits auxquels elle donne droit. Il fallait ne pas confondre, séparer au contraire la banque et la compagnie, le billet et l’action ; ne pas laisser les billets dépasser le chiffre de 1 milliard, autorisé au 1er janvier et déjà excessif; interdire à la compagnie de racheter ses actions ; abandonner ces actions à elles-mêmes et les laisser descendre à leur prix véritable, calculé sur le produit réel qu’elles pourraient donner. Il est vrai que le versement de 3/5 qui restait à faire sur les 300,000 actions émises à 5,000 livres, dans le second semestre de 1719, aurait pu ne pas être effectué et que la compagnie n’aurait pas réalisé le capital qu’elle s’était engagée à prêter à l’état pour le remboursement de ses dettes : on aurait pu y pourvoir par d’autres moyens, en rétablissant une partie des rentes au lieu d’exiger impérieusement que leur remboursement fût accepté; c’est ce qu’on fut obligé de faire plus tard, quand ce remède était devenu inefficace pour combler le gouffre qui s’était creusé. Peut-être n’était-il pas impossible, en agissant ainsi, au commencement de 1720, d’assurer encore la circulation et le paiement des billets, dont on pouvait diminuer le montant en exigeant le remboursement à leur échéance des prêts faits sur dépôt d’actions, sans craindre de faire encore baisser celles-ci. Quoi qu’il en soit à cet égard, cette conduite était la seule conforme au droit, à la justice, à la raison, aux principes les plus élémentaires de gouvernement, de finances, d’économie publique.

Law fut entraîné dans une autre voie par ses illusions et par ses théories fausses et chimériques sur la monnaie, sur le papier de circulation et sur la richesse illimitée qu’il pouvait procurer à une nation, sur la possibilité de donner même aussi aux actions d’une société le caractère d’une valeur de crédit circulant comme les billets : il fut peut-être aussi dominé par un autre sentiment naturel à l’homme. Le XIXe siècle a, plus qu’on ne l’avait au commencement du XVIIIe l’expérience des sociétés commerciales et financières, de leur prospérité et de leur chute. N’a-t-on pas VII, de nos jours, le fondateur d’une société par actions, dont les titres, par le seul effet de l’engouement public et sans qu’il y eût contribué par aucune manœuvre répréhensible, avaient de beaucoup dépassé leur valeur véritable, ne pouvoir se résigner au retour d’opinion qui les ramenait à leur prix, éprouver de leur baisse un profond dépit, se faire, pour ainsi dire, un point d’honneur pour ses actionnaires et pour lui-même, de ramener la hausse par tous les moyens, en promettant des profits qui ne pourront se réaliser, en disant, au besoin, racheter par la société des actions, à un cours bien plus élevé que le prix d’émission, au risque d’amoindrir et même d’anéantir le fonds social, gage des actionnaires qui conservent leurs titres; de convertir ainsi une situation difficile en une ruine définitive et complète et d’encourir les peines sévères, mais justes, qu’édicté la loi? On peut croire que ces sentimens agitèrent l’âme de Law et qu’ils ne contribuèrent pas moins que ses théories à lui faire réunir et confondre la banque et la compagnie, le billet et l’action par la déclaration du 23 février et par le célèbre édit du 5 mars.

La déclaration du 23 février donne la sanction royale à des propositions présentées par Law à la compagnie et acceptées la veille par l’assemblée générale des actionnaires, afin que l’initiative parût au moins en avoir été prise par la société. Le roi charge la compagnie des Indes de la régie et de l’administration de la banque; tout en restant garant envers le public de la valeur des billets, la compagnie sera responsable envers le roi de son administration. Aucun billet ne pourra être émis qu’en vertu d’arrêts du conseil rendus sur une délibération de l’assemblée des actionnaires. Les paiemens des sommes inférieures à 100 livres seront faits en espèces ; il ne sera émis à l’avenir que des billets de 10,000 livres, de 1,000 livres et de 100 livres; ceux de 10 livres sont supprimés et seront reçus, pendant deux mois, dans les caisses publiques pour y être remboursés. Le roi cède à la compagnie pour 900 millions les 100,000 actions qui lui appartiennent (9,000 livres l’action) ; 300 millions seront payés en 1720 et 600 millions en dix ans, à raison de 5 millions par mois. La compagnie créera sur elle-même 10 millions d’actions rentières à 2 pour 100 au capital de 500 millions (50 livres l’action), afin de fournir aux rentiers le moyen d’employer leurs remboursemens. Comment pouvait-on espérer que, sans y être contraints, ils consentiraient à convertir ainsi leurs anciennes rentes 4 pour 100 en rentes 2 pour 100? La compagnie, dans sa délibération du 22 février, avait décidé que le bureau de vente et d’achat des actions serait supprimé : cette décision n’est pas reproduite dans la déclaration parce que ce bureau avait été établi sans l’intervention de l’autorité publique. Il fut supprimé au moins momentanément. Mais la compagnie, qui voulait, avec raison, cesser d’acheter les actions des actionnaires, reprenait les 100,000 actions du roi pour 900 millions, dont 300 payables en 1720; il faut s’empresser d’ajouter que cette clause, étrange pour le vendeur autant que pour l’acheteur, ne reçut aucune exécution[6].

La déclaration du 23 février avait réuni la banque à la compagnie ; l’arrêt du 5 mars assimile le billet à l’action. Il commence par prescrire au trésorier de la banque de faire rembourser à leur échéance tous les prêts qui ont été faits ; mais aussitôt il ordonne qu’un bureau sera ouvert pour convertir, au prix fixe de 9,000 livres, les actions en billets et les billets en actions, à la volonté des porteurs. Le bureau d’achat et de vente des actions à 9,600 livres, que la délibération de l’assemblée du 22 avait supprimé, se trouve ainsi rétabli par ordre du roi, et on ne fait rentrer les sommes prêtées sur dépôt de titres que pour convertir les actions en billets, à la demande de tout actionnaire. Les soumissions et primes que la compagnie a délivrées lui seront rapportées dans le délai d’un mois pour être converties en actions à des conditions qui ont pour résultat de réduire trois actions ou promesses d’actions à deux. Toutes ces diminutions du nombre des actions ont pour but de rendre possible la distribution du dividende promis de 200 livres aux actions qui ne seront pas supprimées ; car, à cet effet, on dressera tous les six mois un état des actions converties en billets et des dividendes auxquels elles auraient eu droit pour en répartir le montant entre les actions non converties. Law prévit bien qu’on viendrait à la compagnie échanger des actions à 9,000 livres contre des billets et qu’on irait à la banque échanger ces billets contre des espèces. Aussi l’arrêt du 27 février, qui suivit de quelques jours la déclaration du 23 et qui précéda de quelques jours l’arrêt du 5 mars, avait défendu à chacun de garder plus de 500 livres en numéraire, afin de faire refluer l’or et l’argent dans les caisses de la banque. Cependant tout le numéraire existant en France ne suffira pas à soutenir les nouvelles émissions de billets qui seront nécessaires : si on ne peut augmenter sa quantité réelle, il faut accroître sa valeur nominale. Ce sera une fiction; mais la valeur des actions, fixée à 9,000 livres, et celle des billets contre lesquels elles s’échangent à bureau ouvert, ne sont-elles pas aussi devenues des fictions? C’est ainsi que Law est conduit, malgré les assurances contraires si souvent données, à élever le cours des espèces sans les refondre ou les réformer, et l’arrêt du 5 mars se complète en portant le marc monnayé d’or de 900 livres à 1,200 livres et le marc monnayé d’argent de 60 livres à 80 livres. On pourra dire que, si la France a une circulation considérable de monnaie fiduciaire, elle a, pour en garantir le paiement à vue, 1,600 millions de monnaie métallique, alors cependant qu’elle n’aura pas plus d’or et d’argent qu’au temps de Colbert, quand son numéraire était évalué à 500 millions seulement.

Pour faire ressortir la portée et les conséquences de l’arrêt du 5 mars, il suffira de constater que, du 26 mars au 1er mai, la banque émit pour 1,496 millions de nouveaux billets, ce qui porta sa circulation à 2,696 millions[7].

L’arrêt du 5 mars fut donc une faute grave, et les amis de Law, qui l’ont senti, ont cherché à l’attribuer à « un mystère d’intrigue et de politique. » Dutot rapporte, sans le confirmer, mais sans le démentir, qu’on disait de son temps : « Les ministres de la quadruple alliance, ayant senti que Law était l’ennemi de leur système politique, s’unirent pour ruiner son système de finances. On dit que c’est eux qui tramèrent ensemble la création des derniers 1,200 millions de billets et les deux bureaux pour acheter et vendre les actions à 9,000 livres. Law donna dans le panneau...[8] » Déjà, à cette époque, il parut facile et commode, après des fautes ou des erreurs, d’en attribuer les funestes résultats aux intrigues et aux manœuvres de l’intérieur et de l’extérieur. Cependant Law ne pouvait ici décliner la responsabilité de ses actes : dans un mémoire antérieur à l’établissement de la banque et de la compagnie des Indes, il présente la conversion des actions en billets et des billets en actions comme un de ses projets et comme conforme à ses doctrines, et, dans un autre mémoire postérieur à sa chute, il écrit : « Tout était monnaie, actions et billets; il n’y avait qu’à fixer les proportions, et tout discrédit, toute demande sur la caisse cessait[9]. »

L’élévation excessive du cours des espèces avait pour but d’accroître, au moins fictivement, le numéraire et de faire sortir l’or et l’argent des caisses où on les renfermait. Six jours après, loin de chercher à accroître la circulation métallique, Law entreprend de la supprimer. La déclaration du 11 mars interdit de conserver aucune matière d’or ou d’argent, à l’exception de la vaisselle, des jetons et des ouvrages permis, et elle abolit, d’une manière presque absolue, au 1er mai pour l’or, au 1er août pour l’argent, l’usage des espèces métalliques, qui devront être portées à la banque ou aux hôtels des Monnaies sous peine de confiscation : les espèces d’or, à partir du 20 mars, et les espèces d’argent, à partir du 1er avril, subiront des diminutions successives jusqu’au jour où elles n’auront plus cours; à partir du 1er août, la circulation monétaire ne comprendra que des sixièmes et des douzièmes d’écu, les livres d’argent frappées en exécution de l’arrêt du 2 décembre 1719 et les autres pièces qui pourront être ordonnées; les sixièmes d’écu et les livres d’argent seront successivement réduits de 1 livre 10 s. à 10 sols et les douzièmes d’écus de 15 sols à 5 sols. Il résultait de ces dispositions qu’au 1er janvier 1721 le remboursement des billets en numéraire ne serait pas suspendu, mais qu’il ne pourrait plus s’effectuer qu’en pièces de 10 sols et de 5 sols. « Ainsi, dit Saint-Simon[10], on vint à vouloir, d’autorité coactive, supprimer tout usage d’or et d’argent,.. à prétendre persuader que, depuis Abraham, qui paya comptant la sépulture de Sarah, jusqu’à nos temps, on avait été dans l’illusion et dans l’erreur la plus grossière, dans toutes les nations policées du monde, sur la monnaie et les métaux dont on l’a faite ; que le papier était le seul utile et nécessaire. » Les inquiétudes et l’agitation du public n’étaient pas calmées, quand Paris fut épouvanté, le 22 mars, par un grand crime. Le comte de Horn, appartenant à l’une des plus illustres familles de l’Europe, mais débauché et perdu de dettes, avait besoin d’argent. Il se concerta avec deux débauchés comme lui pour attirer dans un cabaret voisin de la rue Quincampoix un courtier, pour l’y poignarder et lui enlever son portefeuille contenant 100,000 livres. Les Montmorency, les Châtillon, toute la noblesse des Pays-Bas supplièrent en vain le régent d’épargner au nom du coupable la honte du supplice que méritait son forfait. Soit que Law eût insisté, comme on l’a prétendu, pour que les porteurs de billets fussent rassurés par un exemple, soit plutôt que le prince ait considéré que le chef de l’état manquerait à l’un de ses premiers devoirs s’il ne laissait pas à la loi, à l’arrêt de la justice, son cours naturel, le comte de Horn fut roué vif en place de Grève, le 26 mars.

Les beaux jours de la rue Quincampoix étaient passés; cependant la spéculation et l’agiotage s’y livraient encore à des désordres et à des brigandages de toute espèce. Le crime du comte de Horn « ferma tristement cette bacchanale[11]; » un édit du 22 mars défendit de s’assembler rue Quincampoix et d’y tenir bureau ouvert pour le commerce du papier.

Tous les actes de l’autorité publique prennent un caractère de contrainte et de rigueur dès qu’il s’agit des actions ou des billets. — Pour qu’on achetât 9,000 livres une action à laquelle un dividende de 200 livres était promis, il fallait qu’on se contentât d’un intérêt peu élevé de 2.2 pour 100 et qu’on ne pût trouver ailleurs un placement plus avantageux : un édit de mars 1720 porte qu’aucune constitution de rentes entre particuliers ne pourra être faite à plus de 2 pour 100. — Pour se soustraire aux dispositions qui rendent obligatoire l’emploi des billets dans les paiemens au-dessus de 100 livres, les parties insèrent dans les contrats des stipulations qui exigent que les paiemens soient faits en espèces : un arrêt (du 6 avril) déclare que, nonobstant ces stipulations, qu’il déclare nulles, on paiera en billets. — Une déclaration (du 4 mai) punit de mort ceux qui auront imité, contrefait, falsifié, ou altéré les papiers royaux ou publics.

Depuis le commencement de l’année, la situation de la banque et celle de la compagnie des Indes n’avaient fait que s’aggraver. Cependant le cours des actions n’avait pas baissé puisque l’arrêt du 5 mars le rendait fixe à 9,000 livres. Les 2,696 millions de billets étaient discrédités ; mais ils n’étaient pas encore dépréciés, comme l’avaient été sous tous XIV les billets de monnaies, les promesses de la caisse des emprunts, etc.,.. ou, sous la régence même, les billets de l’état. — Les violences contre les espèces en avaient fait refluer assez à la banque pour qu’elle pût, non sans peine quelquefois, satisfaire aux demandes de remboursemens. Les arrêts relatifs aux modes de paiemens avaient à peu près donné aux billets le cours légal-, mais la banque, en ajournant ou en retardant la distribution de ses espèces, avait pu éviter de fermer ses guichets et de donner à son papier le cours forcé. Une catastrophe prochaine était inévitable, mais elle pouvait ne pas être encore aperçue par le public, et elle ne l’était pas.

Les porteurs d’actions et les porteurs de billets furent donc surpris et consternés, le 21 mai, quand ils apprirent, par la publication d’un arrêt, que les actions étaient réduites à 8,000 livres immédiatement et ensuite de 500 livres par mois à partir du 1er juillet, jusqu’au 1er décembre où elles ne vaudraient plus que 5,000 livres, et que les billets étaient réduits d’un cinquième immédiatement et d’un vingtième par mois, jusqu’au 1er décembre, où ils descendraient à moitié de leur valeur actuelle. Toutefois ils pourront être reçus pour leur valeur entière, jusqu’au 1er janvier 1721, en acquisition de rentes viagères que la compagnie est autorisée à créer. — Les lettres de change, tirées ou endossées à l’étranger pour y être payées en France y seront acquittées en billets, suivant la valeur de ces billets connue dans le lieu et le jour où elles auront été souscrites.

Un long préambule expose le sophisme qui sert de base à l’arrêt. Il affirme que l’usure, en élevant le taux de l’intérêt jusqu’à exiger pour un mois ce qui devait être demandé pour l’année, a causé à la France plus de dommages que les dépenses des guerres de Louis XIV, a diminué le prix des terres et ruiné la noblesse, a paralysé le commerce et l’industrie. La fondation de la banque et de la compagnie des Indes a ramené l’ordre dans le royaume, rendu leur valeur aux terres, l’activité au commerce, le travail à l’industrie. Cependant des gens malintentionnés ayant formé le projet de détruire ces établissemens si utiles et si nécessaires, l’arrêt du 5 mars a dû soutenir leur crédit par l’affaiblissement de la monnaie, et ordonner la conversion des billets en actions et des actions en billets, a suivant la proportion la plus juste alors par rapport à la valeur des espèces. » — Il restait à rétablir le prix des espèces, « dans une proportion qui convînt au commerce et au débit des denrées ; » c’est ce qu’a fait la déclaration du 11 mars, qui a ordonné la réduction du cours des espèces. « Mais comme ces réductions doivent nécessairement produire une diminution non-seulement sur le prix des denrées et des biens meubles, mais encore sur le prix des terres et autres immeubles, le roi a jugé que l’intérêt général de ses sujets demandait qu’on diminuât le prix ou la valeur numéraire des actions des Indes et des billets de banque pour soutenir ces effets dans une juste proportion avec les espèces et les autres biens du royaume, empêcher que la plus forte valeur des espèces ne diminuât le crédit public, donner en même temps aux créanciers privilégiés les moyens d’employer plus favorablement les remboursemens qui pourraient leur être faits, et enfin prévenir les pertes que ses sujets souffriraient dans leur commerce avec l’étranger. »

Ainsi on n’a réduit la valeur des actions et celle des billets que parce que la déclaration du 11 mars a prescrit la diminution du cours des espèces : mais cette diminution n’est qu’une mesure préparatoire pour amener l’abolition même de la monnaie métallique ; elle doit avoir pour résultat définitif de ne laisser subsister que des pièces de 10 sols et de 5 sols, et alors il n’y aura plus de circulation monétaire véritable. Cependant, si on ne s’arrête pas à cette sorte de fin de non-recevoir contre l’argumentation du préambule, si on admet que l’acte du 11 mars a réellement pour objet de réduire le cours des espèces d’une manière générale et durable, l’arrêt du 21 mai en sera-t-il plus justifié? Il faut encore distinguer entre les actions et les billets. Quant aux actions, le reproche à faire à l’arrêt est moins celui d’avoir réduit leur valeur de moitié que celui d’avoir eu la prétention de la fixer et de poursuivre à cet égard l’erreur déjà commise par l’arrêt du 5 mars : le public, les transactions d’un marché libre pouvaient seuls fixer le cours des actions. Quant aux billets, il est vrai que la diminution du cours des espèces et la hausse de la monnaie de compte, qui en était la conséquence, élevaient leur valeur réelle en accroissant la quantité d’or ou d’argent à laquelle le remboursement leur donnait droit ; mais l’élévation du cours des espèces avait auparavant produit l’effet contraire. Quand, le 4 décembre 1719, la banque générale était devenue la banque royale et que ses billets avaient été stipulés en livres tournois, le marc d’argent monnayé valait 56 livres et la livre exprimait une quantité d’argent égale à 0 fr. 89 de notre monnaie ; elle valait fr. 89 et le billet de 100 liv. représentait 89 francs. Après l’arrêt du 25 février, qui porta le marc d’argent monnayé à 60 livres et par suite abaissa la valeur de la livre à 0 fr. 83, le billet de 100 livres ne représenta plus que 83 francs d’argent et 62 francs après l’arrêt du 5 mars, qui porta le marc de 60 livres à 80 livres. Pour que ce billet eût continué à représenter 89 francs, comme le jour où il avait été émis, il aurait fallu élever sa valeur nominale de 100 livres à un peu plus de 135 livres. On ne l’avait pas fait. Pourquoi le réduire à 50 livres, parce qu’à la fin de l’année le cours des espèces sera tellement abaissé que la livre représentera 1 fr. 66 d’argent? Si ce cours abaissé des espèces n’est que momentané, s’il est rehaussé, et si par suite la valeur de la livre est diminuée, faudra-t-il reporter la valeur nominale du billet de 50 livres à 60 livres, à 75 livres, à 100 livres en lui faisant suivre toutes les oscillations de la valeur de la monnaie de compte ? Ce n’était pas la valeur nominale du billet, exprimée en livres, qu’il fallait modifier, parce qu’en changeant le cours des espèces on avait changé la valeur de la livre, c’était le cours des espèces qu’il ne fallait pas faire varier, parce ces variations modifiaient et troublaient non-seulement la valeur des billets, mais tous les contrats, tous les engagemens, qui ne pouvaient être stipulés qu’en livres. La condition du billet de banque était, en effet, celle de tous les effets de commerce. Un négociant ayant souscrit une lettre de change de 100 livres à un moment où, par suite du cours des espèces, ces 100 livres représentaient 83 francs d’argent, aurait-il pu demander à son créancier de la réduire à 50 liv. parce qu’au jour de l’échéance, par suite de la variation des monnaies, 100 livres représentaient 165 francs de notre monnaie? Si, le créancier n’acceptant pas cette réduction, le débiteur avait refusé de payer, il y aurait été contraint par arrêt de justice ; et s’il avait déclaré que, dans ces conditions, l’état de ses affaires ne lui permettait pas de remplir ses engagemens, il aurait été mis en état de faillite. L’état, en réduisant par l’arrêt du 21 mai la valeur des billets de banque, se déclarait en faillite.

Mathieu Marais rapporte, dans ses Mémoires, que Law dit à quelqu’un : u Vous n’entendez pas mon système. — Bon ! dit l’autre, il n’est pas nouveau ; il y a plus de trente ans que je fais des billets sans les payer. » C’est sous une forme familière une appréciation juste de l’arrêt du 21 mai. Tous les contemporains attestent l’effet qu’il produisit[12]. Les plaintes furent si universelles et si vives que, dès le premier jour, le régent se sentit troublé.

Le parlement était en vacance, le 21 mai, à l’occasion de la Pentecôte. « Le lundi, il rentra et les chambres s’assemblèrent. L’avis de tous fut qu’il falloit avoir raison de cet arrêt. On députa les gens du roi au Louvre... Le roi, instruit par le maréchal de Villeroi, répondit qu’il recevroit toujours son parlement avec plaisir. Ils allèrent ensuite au Palais-Royal : le régent les reçut très bien et dit qu’il ressentoit le malheur public, qu’il faudroit tâcher d’y remédier... Il envoya le même jour, à onze heures, M. de La Vrillière, secrétaire d’état, dire au parlement que tout seroit rétabli[13]

En effet, un arrêt du 27 mai ordonne, « que les billets de banque continueront toujours d’avoir cours sur le même pied et pour la même valeur qu’avant l’arrêt du 21 mai, que le roi a révoqué. » Les actions de la compagnie ne sont même pas mentionnées ; mais l’arrêt du 21 est révoqué en termes généraux. Le 29, un autre arrêt (enregistré le 31 par la cour des Monnaies) élève le cours des espèces, même au-dessus de celui que leur avait donné l’arrêt du 5 mars: il porte le marc monnayé d’or à 1,237 liv. 10 s., et le marc monnayé d’argent à 82 liv. 10 s. En mettant fin aux diminutions successives ordonnées par la déclaration du 11 mars, il abroge implicitement les dispositions qui devaient réduire la circulation monétaire à des pièces de 10 sols et de 5 sols.

L’arrêt du 27 mai était nécessaire, mais il ne pouvait rétablir la confiance, parce qu’il ne pouvait faire que celui du 21 n’eût pas été rendu et publié. La France avait su, et elle ne pouvait oublier que, dans la pensée du directeur de la compagnie des Indes, les actions avaient une valeur moitié moindre que celle qui depuis cinq mois leur était attribuée : quelle garantie avait-on que la nouvelle évaluation était plus sincère et plus vraie que la précédente et ne serait pas encore réduite ? La France avait su et elle ne pouvait oublier que le chef du gouvernement, le garde des sceaux et le contrôleur-général s’étaient trouvés d’accord pour proclamer que l’état ne pouvait rembourser intégralement des billets dont le roi s’était encore déclaré garant, le 23 février dernier, quand la banque avait été réunie à la compagnie : on les avait réduits de moitié ; ne les réduirait-on pas bientôt des 2/3, des 3/4, des 9/10? Dès qu’on croyait avoir le droit de les réduire arbitrairement, ils n’étaient plus qu’un papier sans valeur. Les porteurs d’actions étaient nombreux et intéressans ; ils l’étaient moins que les porteurs de billets. Ceux-ci n’étaient plus qu’en petit nombre, les enrichis de la veille ayant vendu leurs actions; car le sentiment qui les avait portés à réaliser leurs bénéfices les avait également portés à ne pas conserver les billets qui leur avaient été donnés en paiement et à se procurer à tout prix des immeubles, des pierreries, des diamans, de l’or et de l’argent. Les porteurs de billets, c’étaient les rentiers et les créanciers de l’état qui n’avaient pu trouver encore l’emploi des capitaux dont e remboursement leur avait été imposé ; c’étaient les propriétaires, les négocians qui avaient vendu aux réaliseurs des terres qui étaient le fruit de leur travail ; c’était la masse du public. Par le mouvement journalier des affaires, de la vie commerciale, de la vie industrielle et même de la vie civile, les billets, qui depuis longtemps déjà ne pouvaient être refusés dans les paiemens, étaient peu à peu entrés dans toutes les bourses : ils étaient possédés par la foule, la grande foule, impressionnable et confiante à l’excès comme les enfans, mais plus défiante encore quand sa première confiance a été déçue. La banque et la compagnie des Indes n’avaient plus et ne pouvaient plus avoir de crédit.

L’arrêt du 21 mars avait été délibéré dans une réunion peu nombreuse, où ne se trouvaient que le régent, le garde des sceaux, le contrôleur-général, l’abbé Dubois, déjà secrétaire d’état des affaires étrangères, et Le Blanc, chargé de la guerre : les autres membres du conseil étaient absens. On a beaucoup discuté pour savoir à qui appartient la pensée première de ce malheureux arrêt, et on l’a souvent attribuée à une intrigue de d’Argenson et de Dubois pour perdre Law, et aussi aux manœuvres de l’étranger. Dutot, bien placé pour le savoir, affirme que le projet avait été préparé, dès le mois de mars, par le contrôleur-général; quoiqu’il en soit à cet égard, il est certain qu’il fut adopté par Law, car on sait que ce fut lui qui en présenta le rapport au conseil. On ne peut donc s’étonner que le régent ait voulu lui en faire porter la responsabilité. Le 29 mai, pendant que deux intendans des finances, — Fagon et La Houssaye, — se rendaient à la banque avec le prévôt des marchands, pour examiner les registres et vérifier la caisse, le secrétaire d’état Le Blanc fut envoyé prévenir Law que le duc d’Orléans le déchargeait des fonctions de contrôleur-général : en même temps, comme il avait été insulté et menacé, le major du régiment des gardes suisses, Benzwald, venait s’installer dans sa maison avec seize soldats pour veiller nuit et jour à sa sûreté, et peut-être aussi pour s’assurer au besoin de sa personne.

Le ministère de Law[avait duré cinq mois, et ce temps avait suffi pour précipiter la banque et la compagnie des Indes des sommets les plus élevés d’une apparente prospérité vers la chute et la ruine. La compagnie avait racheté à 9,600 livres et à 9,000 livres un nombre énorme d’actions, et elle les avait payées en billets que la banque lui fournissait ; pour assurer à ce papier la préférence sur l’or et l’argent le cours des monnaies avait été sans cesse tourmenté; l’obligation de n’employer que des billets dans les paiemens de sommes excédant 100 livres avait été étendue et mise à exécution plus tôt qu’elle ne devait l’être; il avait été défendu à tous les Français d’avoir plus de 500 livres en espèces ; des mesures avaient été prises pour qu’à la fin de l’année la circulation métallique se réduisît à des pièces de 10 sols et de 5 sols. Ces violences étant inefficaces, il avait fallu réduire des 4/9 la valeur qu’on avait arbitrairement attribuée aux actions et de moitié la valeur des billets dont le roi était garant ; ces réductions avaient été aussitôt révoquées; mais cette révocation n’avait pu rétablir la confiance. Tous les intérêts matériels avaient été atteints ; toutes les classes de la société avaient été frappées; le trouble des esprits répondait au trouble des fortunes.

Deux contemporains, placés dans des situations sociales différentes, mais tous deux d’un esprit supérieur, sont d’accord pour s’étonner que la tranquillité publique et l’existence même du gouvernement n’aient pas été compromises. — Le duc de Saint-Simon, membre du conseil de régence, qui était l’ami du duc d’Orléans et qui n’était pas l’ennemi de Law, écrit : « Aussi fut-ce un prodige, plutôt qu’un effort de gouvernement et de conduite, que des ordonnances si terriblement nouvelles n’aient pas produit, non-seulement les révolutions les plus tristes et les plus entières, mais qu’il n’en ait pas seulement été question, et que tant de millions de gens, ou absolument ruinés, ou mourant de faim et des derniers besoins auprès de leur bien, et sans moyens aucuns pour leur subsistance et leur vie journalière, il ne soit sorti que des plaintes et des gémissemens. » Duclos, homme de lettres, membre de l’Académie française et de l’Académie des inscriptions, et qui a mérité que Louis XV dît de ses Considérations sur les mœurs : « C’est l’ouvrage d’un honnête homme, » est plus vif : « Jamais gouvernement plus capricieux, jamais despotisme plus frénétique, ne se virent sous un régent moins terme. Le plus inconcevable des prodiges pour ceux qui ont été témoins de ce temps, et qui le regardent aujourd’hui comme un rêve, c’est qu’il n’en soit pas résulté une révolution subite; que le régent et Law n’aient pas péri tragiquement. Ils étoient en horreur, mais on se bornoit à des murmures : un désespoir sombre et timide, une consternation stupide, avoient saisi tous les esprits ; les cœurs étoient trop avilis pour être capables de crimes courageux. On n’entendoit parler à la fois que d’honnêtes familles ruinées, de misères secrètes, de fortunes odieuses, de grands méprisables, de plaisirs insensés et de luxe scandaleux. » Duclos, dont le caractère honorable ne peut être mis en doute, se laisse entraîner jusqu’à conseiller le crime : on sent dans ses paroles e souffle révolutionnaire qui cependant ne devait agiter la France que plus tard[14].


II.

Dans la soirée du 29 mai, Law, qui le matin avait envoyé sa démission au régent, se présenta au Palais-Royal : le prince refusa de le recevoir, et ce refus, qu’il affecta de ne pas dissimuler, fit penser qu’il avait l’intention de se séparer définitivement de l’ancien contrôleur-général. Cependant, le lendemain, après lui avoir accordé une audience particulière, il lui conféra le titre de conseiller d’état d’épée, avec celui d’intendant général du commerce, en lui laissant l’administration de la banque et de la compagnie des Indes, c’est-à-dire la direction effective des finances. La garde suisse, qui lui avait été donnée, reçut l’ordre de quitter sa maison. Law eut le mérite de ne pas perdre de temps et de chercher immédiatement les moyens d’atténuer la crise qu’avaient ouverte, pour la banque et pour la compagnie, les arrêts du 21 et du 27 mai ; mais, pendant six mois, il ne fit que se débattre inutilement contre une situation accablante, inexorable.

Le 1er juin, la liberté, pour tous, d’avoir plus de 500 livres en numéraire est rétablie, et les dispositions qui permettaient de rechercher l’or et l’argent dans les maisons sont abrogées (arrêt du 1er juin). Le 3 juin, la compagnie est autorisée, sur sa demande et sur la présentation de son bilan, à réduire à 200,000 le nombre de ses actions : — elle a, par ses achats, retiré des mains du public près de 300,000 actions et elle achètera ce qui sera nécessaire pour compléter ce nombre ; le roi consent à lui abandonner les 100,000 actions qu’il possède, « lesquelles étaient un bénéfice pour Sa Majesté ; » elle peut donc supprimer 400,000 actions. — Elle est autorisée à demander à ses actionnaires un supplément volontaire de 3,000 livres par chacune des 200,000 actions conservées : ceux qui le fourniront auront droit à un dividende de 360 livres, et ceux qui ne le fourniront pas ne jouiront que du dividende de 200 livres. — Des commissaires du conseil seront désignés par le roi pour dresser procès-verbal des souscriptions, primes et actions retirées par la compagnie et pour les faire brûler à l’Hôtel de Ville en présence du prévôt des marchands et des échevins (arrêt du 3 juin). La réduction du nombre des actions à 200,000 simplifie et soulage la situation de la compagnie ; mais elle la prive des versemens qu’elle avait encore à recevoir sur les actions non libérées qui seront supprimées et des moyens de prêter à l’état 1,500 millions ; il devra donc être pourvu autrement au remboursement des rentiers. La compagnie demande un supplément à ses actionnaires pour faire rentrer des billets qu’elle rendra à la banque et pour diminuer ainsi la dette énorme qu’elle a contractée envers cet établissement : c’est dans le même dessein qu’il lui est enjoint d’user des autorisations qui lui ont été données d’émettre pour 10 millions d’actions rentières et à millions de rentes viagères dont le roi reste garant (arrêt du 5 juin).

Cependant Law était autorisé à penser que d’Argenson n’était pas resté étranger à la résolution prise, le 29 mai, par le régent, de lui faire demander sa démission : il était difficile que la rentrée en faveur de l’ancien contrôleur-général n’entraînât pas la disgrâce du garde des sceaux. En effet, Dubois fut chargé, le 7 juin, d’aller redemander à d’Argenson les sceaux, et le lendemain ils furent rendus à d’Aguesseau, qui, retiré à Fresne depuis le mois de janvier 1718, avait conservé le titre de chancelier. Toutefois on s’étonna que ce fût Law lui-même qui allât le chercher, oubliant et voulant sans doute faire oublier les graves dissentimens qui les avaient séparés.

Cette espèce de crise ministérielle retarda de quelques jours les mesures qui devaient compléter l’arrêt du 3 juin. Le remboursement de la dette publique et la création d’actions nouvelles avaient été, en 1719, les deux grands ressorts du système. Le nombre des actions vient d’être réduit, il faut renoncer au remboursement de la dette. Un édit du 10 juin crée 25 millions de rentes nouvelles, au denier 40 (2 1/2 pour 100), au capital de 1 milliard, qui ne pourront être acquises que par les propriétaires des contrats dont le remboursement a été ordonné et par les porteurs de récépissés du trésor ou de billets de banque représentant les rentes qu’ils avaient précédemment. Le parlement, avant d’enregistrer l’édit, ne manqua pas de faire remarquer qu’il était injuste de rendre aux rentiers des rentes 2 1/2 pour 100 en remplacement des rentes 4 pour 100 qu’ils possédaient : le régent répondit, comme le gouvernement de Louis XIV en 1713, et comme tous les gouvernemens qui réduisent arbitrairement les arrérages de la dette publique, « qu’il valoit mieux avoir 2 1/2 pour cent régulièrement payés, que la promesse de 5 qui ne pourroient être acquittés par le trésor. » Ces 25 millions de rentes étaient constitués sur l’Hôtel de Ville, et l’éloignement de Paris, où se touchaient leurs arrérages, pouvait détourner les habitans des provinces de les acquérir. Quelques semaines après (édit d’août), « pour leur commodité, » 8 millions de rentes nouvelles furent constituées sur les recettes générales. On créa aussi, en même temps, sur l’Hôtel de Ville, 4 millions de rentes viagères. Ces créations de rentes nouvelles sont nécessaires parce que la compagnie ne peut plus fournir les fonds qui devaient rembourser les anciennes ; elle ne peut donc conserver l’annuité qu’elle recevait du trésor. Elle rétrocède d’abord (arrêt du 14 juin)[15] 25 millions par an qui paieront la somme égale de rentes qui vient d’être créée, et ensuite (arrêt du 20 juin) une autre annuité de 18 millions, qui servira à constituer encore 18 millions de rentes au profit de ceux des créanciers de l’état que ne concerne pas l’édit du 10 juin et qui sont porteurs de récépissés du trésor ou de billets de banque donnés en paiement d’offices et d’augmentations de gages supprimés, ou d’autres dettes.

La compagnie ne conserve donc sur le trésor qu’une annuité de 5 millions et encore hypothéquée, pour 4 millions, aux actions rentières, et pour un million aux rentes viagères qu’elle doit créer. Law semblait avoir voulu, par ses dernières combinaisons, garantir la distribution des dividendes annoncés, et il sera impossible de distribuer aux 200,000 actions 360 livres ou même 200 livres, ce qui exige une somme disponible de 72 millions ou de 40 : les revenus et les bénéfices, déduction faite des annuités rétrocédées à l’état, ne peuvent être évalués à plus de 32,500,000 livres.

Si cependant les embarras de la compagnie et ceux des rentiers sont ainsi atténués ou ajournés, les difficultés que présente la situation de la banque subsistent avec toute leur gravité, et le péril est imminent. Le supplément de 3,000 livres demandé aux actions, s’il est fourni en billets, les actions rentières et les rentes viagères de la compagnie, si elles peuvent être placées, les rentes nouvelles de l’état, si elles sont acceptées par les anciens rentiers, feront rentrer une quantité considérable de billets ; mais ce n’est là qu’une espérance d’une réalisation éventuelle et non immédiate : or le temps presse, et le discrédit du papier commence à agiter la population.

Sur les 2,696 millions de billets que la banque avait été autorisée à faire, elle en avait, le 11 juin, dans sa caisse, en billets de 10,000 et de 1,000, pour 361,400,000 livres : il en sera dressé procès-verbal et ils seront brûlés; au fur et à mesure que des billets rentreront, ils seront également brûlés; conformément à l’arrêt du 5 mars, tous les paiemens excédant 100 livres ne pourront être faits qu’en billets, excepté pour les appoints ; tout paiement au-dessous de 100 livres peut aussi, d’ailleurs, être fait en billets, et ceux de 10 livres, qui avaient été supprimés, ne pourront être refusés (arrêt du 11 juin).

Tous ces expédiens étaient impuissans pour conjurer la crise qui avait éclaté au commencement du mois de juin et qui allait devenir inquiétante pour l’ordre public. Les mesures violentes prises contre le numéraire en avaient fait porter à la banque, mais elles en avaient fait exporter ou cacher davantage, et la circulation métallique avait beaucoup diminué. Tout le monde avait des billets, et, au lieu de faire prime sur l’argent, ils commençaient à être dépréciés; les marchands, depuis plusieurs semaines, vendaient leurs marchandises plus cher quand elles étaient payées en billets. D’ailleurs, pour les besoins journaliers de la vie, pour les menues dépenses, il fallait avoir des espèces que la banque ne délivrait pas facilement. Après l’arrêt du 21 mai, la grande agitation qui régnait partout avait fait fermer les bureaux de la banque et ils ne se rouvrirent que le 1er juin. Mais on ne remboursa plus que les billets de 100 livres et de 10 livres, et même le matin, sous prétexte que, dans la journée, des commissaires du conseil vérifiaient les caisses : la foule n’en était que plus grande. « Il n’y a pas de jour où il n’y ait quelqu’un d’étouffé ; et dans cette ville de Paris, qui est immense, à peine y a-t-il un sou pour fournir à la dépense de bouche. » Les guichets se refermèrent le 7, toujours à cause de la visite des caisses, et on annonça qu’ils seraient rouverts le 12. Cependant les paiemens en espèces ne furent pas repris le 12 : on déclara que les commissaires du Châtelet, dans chaque quartier, recevraient du numéraire pour changer les billets de 10 livres, et qu’ils couperaient les billets de 100 livres en billets de 10 livres. Alors la foule se transporta chez les commissaires, surtout les jours de marché. Au milieu de juin, « il y a un corps de garde dans chaque marché : on n’entre qu’avec peine chez les commissaires; ils ne paient à chaque personne que trois petits billets de 10 livres; on ne coupe plus les billets de 100 livres qu’à la banque, où il y a une presse à s’étouffer. » Le 29 juin, « les commissaires voisins des marchés publics donnèrent en espèces aux boulangers la valeur des billets de 10 livres, dont ils étaient chargés, pour leur donner le moyen d’acheter du blé, parce que les marchands de grains refusaient de recevoir ces billets en paiement. » (Mémoires de M. Marais.)

Les spéculateurs, depuis que la rue Quincampoix leur avait été interdite, avaient pris l’habitude de se réunir place des Victoires ou même dans la rue. A la fin de mai, ils vinrent tenir leur bourse dans la cour de l’hôtel Mazarin, où la banque était alors établie : le lieu était favorable pour les négociations, et surtout pour les conversations, qui ne tarissaient pas sur l’arrêt du 21, sur celui du 27, sur l’avenir de la banque et de la compagnie. Leur affluence gênant le service, ils furent invités le 1er juin à se transporter à la place Vendôme, qui n’était pas éloignée. La spéculation, que le cours à peu près fixe des actions rendait languissante, se ranima : la compagnie ne rachetait plus ses actions, et leur réduction à 200,000 donnait à leur valeur nouvelle une incertitude favorable à l’agiotage. En quelques jours, la place Vendôme se couvrit de tentes et devint un lieu très fréquenté pour les affaires et pour les plaisirs. Vers le milieu de juin, les actions s’y négociaient en baisse à 4,200 livres seulement. Comme les billets n’étaient pas remboursés à la banque, leur conversion en numéraire devint, place Vendôme, l’objet d’un trafic que la police voulut empêcher : à la fin de juin, plusieurs agioteurs furent emprisonnés pour avoir fait perdre 25 ou 30 livres au billet de 100. Mais le chancelier, qui habitait déjà l’hôtel qu’occupe aujourd’hui le ministère de la justice, ne tarda pas à se fatiguer de ce bruyant voisinage; il fut défendu (le 31 juillet) aux spéculateurs de continuer à s’assembler place Vendôme, et ils allèrent faire leur dernière étape dans les jardins de l’hôtel de Soissons (aujourd’hui la Halle aux blés).

Ces derniers efforts de la spéculation ne rendaient pas plus la vie et le mouvement à des valeurs mortes que Law ne déterminait les billets à accepter les emplois peu avantageux qui leur étaient offerts. Il voulut cependant faire encore un appel à ceux que détenait le commerce. La banque d’Amsterdam avait, avec succès, ouvert aux négocians des comptes courans qui facilitaient, sans frais ni risques, les remises de place en place et donnaient une grande sûreté pour les paiemens qui s’effectuaient par viremens : il espéra que ces opérations réussiraient en France. Le 20 juillet à Paris et le 20 août dans les autres villes, la banque ouvrit un livre de comptes courans et de viremens de parties qui pourrait comprendre 600 millions, dont 300 pour les provinces; ce fonds ne pouvait être formé que par le virement de billets de 10,000 livres et de 1,000 liv. qui, déposés à la banque, seraient ensuite brûlés; il devait être ouvert aux déposans un crédit du montant de leurs billets (arrêt du 13 juillet). Le commerce, en général, ne vit pas un grand avantage à remplacer les billets par un crédit sur la banque : il conservait le même débiteur, dont la solvabilité l’inquiétait. Il n’y eut pas pour 200 millions d’écritures en banque.

Les guichets de la banque restèrent encore fermés au commencement de juillet. Ce ne furent ni un arrêt de la cour des Monnaies, défendant, sous peine des galères, de vendre à perte des billets, ni un arrêt du conseil, renouvelant la défense de porter, et même de garder des diamans et des pierreries, avec ordre aux marchands d’exporter dans le délai d’un mois ceux qu’ils pouvaient avoir, qui firent cesser le resserrement des espèces; ces arrêts ne furent d’ailleurs pas exécutés. On coupait à la banque les gros billets en billets de 10 livres; deux fois la semaine, les jours de marché, on distribuait aux commissaires du numéraire pour rembourser ces billets de 10 livres. « Ils ont tous les jours chez eux une garde de soldats avec des sergens, et elle est triplée les jours des paiemens. Ils sont à présent comme de petits ministres; car les magistrats et les gens de qualité vont les prier en grâce de leur garder 100 livres, parce qu’on ne donne que 10 livres à la populace, et c’est une tuerie le mercredi et le samedi. Personne, en effet, n’a d’argent et il semble qu’on aille leur demander une aumône. » (Journal de Barbier.)

Cependant, sur les instances réitérées du parlement, la banque rouvrit ses guichets le 9 juillet, mais seulement pour rembourser, les mardis, jeudis et samedis, un seul billet de 10 livres à chaque personne, et pour couper, les autres jours, les billets de 1,000 liv. et de 100 livres en petites coupures. « On entroit par la rue Vivienne dans les jardins de l’hôtel Mazarin et on passoit ensuite dans la galerie où étoient les bureaux. Quand le jardin étoit plein, on ne laissoit plus entrer personne et on expédioit ceux qui étoient dedans; cela faisoit perdre toute la journée à de pauvres gens. Cela a été exécuté deux ou trois fois avec une foule extraordinaire, de manière qu’il y avoit toujours cinq ou six personnes d’étouffées pour entrer dans le jardin. — Le 17 juillet, la rue Vivienne fut remplie de 15,000 âmes dès trois heures du matin. La foule fut si considérable qu’il y eut seize personnes étouffées avant cinq heures. Cela fit retirer le peuple» On en porta cinq le long de la rue Vivienne; mais à six heures, on en porta trois à la porte du Palais-Royal. Tout le peuple suivoit en fureur; ils voulurent entrer dans le palais, que l’on ferma... C’étoit un tapage affreux par tout le quartier. Une bande porta un corps mort au Louvre,.. une autre se jeta du côté de la maison de Law et elle cassa toutes les vitres; on y fit entrer des Suisses pour la garder. Pendant ce temps, le régent avoit peur; on n’osa pas faire paroître des troupes. Un des officiers de garde avoit fait entrer cinquante soldats en habit bourgeois. Quand ils eurent pris leurs mesures en dedans, à neuf heures, ils ouvrirent les portes et, en un moment, les cours furent pleines de quatre à cinq mille personnes... Voilà ce qui s’est passé, et il ne s’en est guère fallu qu’il n’y eût une sédition entière... On a enterré les morts et cela s’est apaisé. Law vouloit sortir, mais on l’en empêcha; il est demeuré au Palais-Royal dix jours sans sortir (Journal de Barbier). »

Le jour même où l’ordre public était ainsi gravement troublé, le parlement délibérait sur l’enregistrement d’un édit qui, pour dédommager la compagnie de l’annuité de 43 millions qu’elle avait rétrocédée à l’état, lui accordait la perpétuité de ses concessions. L’agitation populaire ne pouvait affaiblir les sentimens de défiance et d’opposition que les magistrats avaient toujours témoignés pour Law et son système. L’accueil qui avait été fait à leurs réclamations contre l’arrêt du 21 mai leur avait fait oublier les rigueurs du lit de justice de 1718, et sans doute aussi ils comptaient sur l’appui du chancelier d’Aguesseau. Ils décidèrent, toutes chambres assemblées, « que le roi seroit très humblement supplié de vouloir bien les dispenser de l’enregistrement, » et le jour même, le projet fut rendu au procureur général. Mais l’édit fut réputé enregistré et fut publié conformément aux lettres patentes du 26 août 1718 : deux jours après, le parlement fut exilé à Pontoise.

Tous les privilèges et droits commerciaux dont la compagnie a la jouissance à la Louisiane, au Canada, au Sénégal, au-delà du cap de Bonne-Espérance, et dans les mers des Indes orientales, lui sont concédés à perpétuité (édit du 21 juillet); mais elle s’engage à retirer 600 millions de billets, à raison de 50 millions par mois, « au cas qu’il s’en trouve autant après les débouchés ci-devant indiqués, » et les billets ainsi retirés seront brûlés; à cette condition, le roi lui rend l’annuité de 18 millions à laquelle elle a renoncé le 30 juin. La réorganisation de son administration est aussi un témoignage de la protection du gouvernement (arrêt du 29 août). — Le régent, qui a déjà le titre de protecteur de la compagnie, en sera le gouverneur général, et un conseil sera chargé de la régie. — Les fonctions des commissaires du conseil, désignés le 22 juin pour veiller à l’administration de la banque et de la compagnie, cesseront immédiatement. « Pour faire tomber les bruits que les gens malintentionnés continuent à répandre, » il est solennellement déclaré « que les actionnaires ne pourront, en aucun temps et sous quelque prétexte que ce soit, être taxés pour raison des profits qu’ils ont faits ou pourront faire dans la compagnie. »

Après l’émeute du 17 juillet, une ordonnance avait, le jour même, défendu les attroupemens et suspendu le paiement des billets à la banque Jusqu’à nouvel ordre : ses guichets ne se rouvrirent plus. A partir de cette époque, on ne put convertir des billets en espèces que chez les changeurs, à la place Vendôme, et ensuite dans les jardins de l’hôtel de Soissons. Vers la fin de juillet, les billets perdaient plus de 30 pour 100 : les espèces étaient de plus en plus rares. Law pensa qu’il les rappellerait à la circulation par une hausse considérable de leur cours (surtout si elle était temporaire et si des diminutions prochaines étaient en même temps prescrites). La veille du jour où la dernière de trois réductions successives ordonnées le 10 juin allait être effectuée, le 31 juillet, les espèces furent rehaussées à 1,800 livres le marc d’or et à 120 livres le marc d’argent, taux auquel elles n’avaient pas encore été portées; mais elles seront successivement diminuées d’un huitième le 1er septembre, le 16 septembre, le 1er octobre et le 16 octobre de manière à être à cette date réduites de moitié, à 900 livres le marc d’or et à 60 livres le marc d’argent. La monnaie métallique devenait de plus en plus une valeur fictive et variable comme le papier. On s’était plaint, avec raison, que pendant, les vingt-cinq dernières années du règne de Louis XIV (de 1689 à 1715) le cours des espèces eût varié quarante-trois fois; en 1720, en moins de douze mois, il varie quatorze fois : l’autorité publique, qui troublait ainsi tous les intérêts, était sans excuse. On put croire un moment que cette hausse du numéraire relèverait le cours des billets : pendant deux jours, le billet de 100 livres fut presque au pair; mais il ne tarda pas à perdre 30 livres, et il en perdait 60 à la fin d’août, tandis que l’élévation du cours des espèces entraînait la hausse de tous les prix[16].

Un an auparavant, en août 1719, la banque n’avait pas encore émis 400 millions de billets, et la compagnie des Indes venait de porter à 300,000 le nombre de ses actions. Depuis, la banque avait poussé ses émissions jusqu’à près de 3 milliards, et la compagnie avait élevé à 600,000 le nombre de ses actions. Mais aujourd’hui ces actions ont été réduites à 200,000 : la circulation des billets a aussi diminué; cependant elle dépasse encore 2 milliards et sa diminution est activement poursuivie. C’est par la voie de l’autorité que Law avait voulu amener la nation à remplacer par le papier l’or et l’argent auxquels elle était attachée par sa tradition séculaire et par la tradition de tous les peuples : maintenant il s’irrite que les Français ne rendent pas assez vite ce papier déprécié en se résignant à la perte que présentent tous les emplois qui leur en sont offerts, et dans la dernière et courte période qui lui reste à parcourir, c’est contre les billets, les actions et les actionnaires que vont être dirigées les contraintes et les violences.

Les porteurs de billets de 10,000 livres et de 1,000, ne se pressant pas de les employer en rentes, en comptes courans, en actions rentières, sont prévenus officiellement (arrêt du 15 août) que ces billets a n’auront plus cours comme espèces » à compter du 1er octobre. Ils seront reçus jusqu’au 1er novembre en acquisition de rentes ; jusqu’au 1er septembre à Paris et jusqu’au 15 dans les provinces en comptes courans, dont les livres seront fermés à ces époques ; jusqu’au 1er octobre, la compagnie les recevra en paiement de ses actions, et, passé ce délai, ceux qui voudront jouir des termes accordés par les souscriptions devront payer en billets de 100 livres et de 10 livres. — Après le 1er novembre, les billets de 10,000 et de 1,000 qui n’auront pas été ainsi employés, seront convertis en actions rentières à 2 pour 100. — Les billets de 100 livres et de 10 livres cesseront d’avoir cours comme espèces au 1er mai 1721 ; la compagnie, à cette époque, les aura tous retirés ou remboursés. On se croit si assuré que la circulation métallique ne tardera pas à être rétablie, qu’on rend aux particuliers la liberté de stipuler, dans leurs contrats, que les paiemens auront lieu en or ou en argent.

Ces menaces restant sans effet, un mois après (arrêt du 15 septembre), alors qu’à la fin de I719, on ne permettait pas de faire entrer des espèces dans la plupart des paiemens, ce sont les billets de 10,000 et de 1,000 qui ne pourront être donnés en paiement, même de particulier à particulier, qu’avec moitié d’espèces, jusqu’au 1er octobre, et, à cette époque, ils « seront hors de cours et ne seront reçus que dans les débouchés et le temps indiqués. » — Les billets de 100 livres, de 50 livres et de 10 livres ne seront reçus en paiement des sommes de 20 livres et au-dessus qu’avec moitié en espèces, et au-dessous de 20 livres le paiement ne pourra être fait qu’en numéraire ; jusqu’au 1er novembre, ils seront reçus en paiement des rentes nouvelles, et, après cette date, avec moitié d’espèces. — La banque a ouvert (le 13 juillet) un livre de comptes courans, qui, disait-on alors, « serait utile et avantageux au commerce… par la sûreté qu’il procurerait dans les paiemens ; » deux mois à peine se sont écoulés, et, « à dater du 15 septembre, les sommes écrites en comptes courans en banque sont fixées au quart de la valeur pour laquelle elles ont été portées, si mieux n’aiment les propriétaires les retirer en billets de 10,000 et de 1,000 dans le mois pour tout délai. » Comme conséquence de cette disposition, « les effets de commerce et les ventes de marchandises en gros faites avant la publication du présent ou avant qu’il ait pu être connu à l’étranger et qui devaient être payés en écritures en banques, seront acquittés en nouvelles écritures sur le pied du quart, au moyen duquel quart la somme totale de ces effets et ventes de marchandises sera acquittée en entier. » La banque ‘ait faillite de 75 pour 100 à ceux qui ont déposé des fonds en compte courant dans sa caisse, et elle les dispense, dans une proportion égale, de remplir leurs engagemens. En réduisant ses actions à 200,000 (le 3 juin) et en leur demandant un supplément de 3,000 livres, à moins qu’elles ne se convertissent de trois en deux, la compagnie évaluait les actions à 9,000 livres, et à 12,000 quand elles seraient remplies ; le 15 septembre, les actions remplies sont fixées à 2,000 livres seulement. Enfin, le nombre des actions est définitivement fixé à 250,000; la compagnie est autorisée à en émettre 50,000 nouvelles; la promesse d’un dividende de 360 livres par action est renouvelée.

Mathieu Marais, dans ses Mémoires, a conservé le souvenir de l’impression profonde que produisit la publication de cet arrêt extraordinaire : «On a publié un arrêt du 15, qui a rendu l’alarme bien réelle, et le mal s’est trouvé plus grand qu’on ne le craignait. La plume tombe des mains, et les expressions manquent pour expliquer les dispositions de cet arrêt, qui renferment toutes les horreurs du système expirant. Le poison était à la fin... C’est comme si l’on disait : Si vous devez 1,000 livres, vous serez quitte en payant 250 livres. C’est une banqueroute des trois quarts sur le compte en banque et des cinq sixièmes sur l’action. »

Les actions n’avaient pas toutes versé le supplément de 3, 000 livres, ou ne s’étaient pas converties de 3 en 2 : un arrêt déclare (le 5 octobre) que celles qui n’auront pas été remplies avant la fin du mois, « demeureront nulles et de nul effet. »

Le dividende de 360 livres promis à 250,000 actions exige un profit annuel de 90 millions : or les revenus et les bénéfices commerciaux de la compagnie ne dépassent pas 32,500,000, et 50,500,000 avec l’annuité de 18 millions qui lui a été rendue. Mais, sous prétexte que les billets de 100 livres et de 10 livres « se trouvent répandus entre un grand nombre de personnes, dont la plupart n’en ont pas suffisamment pour profiter des emplois offerts aux gros billets,.. il a été proposé d’y suppléer par un nouveau travail de monnaies, pour lequel l’or et l’argent seront reçus avec moitié en sus de petits billets : » c’est une combinaison analogue à celle imaginée, en 1709, par Desmarets pour éteindre les billets de monnaies. — Toutes les espèces seront reportées aux hôtels des Monnaies, à compter du 15 octobre (arrêt du 30 septembre) : les espèces nouvelles, fabriquées ou réformées, vaudront 1,350 livres le marc d’or et 90 livres le marc d’argent, tandis que les anciennes seront reçues aux Monnaies sur le pied de 900 livres le marc d’or et de 60 livres le marc d’argent, avec moitié en sus de billets de 100 livres et de 10 livres. Depuis 1718, on ne recherchait qu’un effet économique dans les variations de monnaies opérées, sans refonte, ni réforme : ici on a en vue le bénéfice de la fabrication. Ce bénéfice appartient à la compagnie, et il doit être de près de 120 millions,

Law, quelque fécond et puissant en ressources que soit son esprit, est écrasé par la résistance invincible que l’opinion oppose à toutes les combinaisons par lesquelles il s’efforce de diminuer et d’éteindre les billets. Découragé et à bout d’expédiens, il brise lui-même l’instrument de crédit qu’il a créé et dont il a forcé tous les ressorts : il fait ordonner (arrêt du 10 octobre) que « les billets de banque ne pourront, à compter du 1er novembre prochain, être donnés et reçus en paiement pour quelque cause et prétexte que ce soit que de gré à gré. » C’est de gré à gré que les billets d’une banque sont reçus dans les transactions fibres du commerce, mais à condition qu’ils soient remboursés à vue en numéraire. Depuis le 17 juillet, les guichets de la banque sont fermés, et ils ne se rouvriront pas : ses billets, n’ayant plus l’espèce de cours forcé qui leur avait été donné, n’auront plus aucune valeur. C’est la suppression de la banque que l’arrêt du 10 octobre a implicitement prononcée. « Le mois d’octobre, dit Forbonnais, acheva l’extinction du papier. »

Le dernier coup fut porté au système par un autre arrêt (24 octobre) qui, malgré la déclaration solennelle du 29 août, ordonne que les anciens actionnaires de la compagnie des Indes rapporteront en compte le nombre d’actions pour lequel ils seront compris dans les rôles qui seront arrêtés à cet effet par le conseil ; que ces actions resteront en dépôt pendant trois ans, pendant lesquels leurs dividendes leur seront payés, et qu’après ce délai elles leur seront rendues; que la compagnie, ayant encore un nombre considérable d’actions, ceux qui seront obligés d’en déposer pourront en acquérir d’elle à 13,500 livres, payables en billets qui seront ensuite brûlés, et que, pour parvenir à distinguer les actionnaires de bonne foi qui ont conservé leurs fonds dans la compagnie et qui ne devront pas être compris dans les rôles, tous les porteurs d’actions seront tenus de les déposer dans la huitaine; et, après le 15 novembre, elles leur seront rendues timbrées d’un second sceau. On a souvent dit que Law avait apporté en France les idées les plus nouvelles et les plus fécondes sur le crédit et l’association des capitaux, mais qu’il n’avait pas été compris, et que des vues étroites ainsi que de basses jalousies avaient fait échouer ses projets. Ni le progrès du crédit ni le développement des sociétés de commerce n’étaient encore possibles à une époque et dans un pays où d’anciens actionnaires ayant usé du droit de vendre leurs titres pouvaient être recherchés et obligés de déposer, pendant trois ans, des titres nouveaux en tel nombre qu’il plairait à l’autorité publique de l’ordonner et qu’ils achèteraient à la compagnie elle-même à un prix excessif s’ils n’en trouvaient pas sur le marché, et où, pour faciliter cette inquisition, tous les actionnaires étaient eux-mêmes contraints de déposer et de faire vérifier leurs actions sous peine de les voir annuler.

Le temps des faveurs et des privilèges était passé pour la compagnie des Indes. On ne tarda pas à s’apercevoir que la refonte et la réforme des monnaies devraient lui procurer aux dépens du public un bénéfice que rien ne pouvait justifier : aussitôt deux arrêts (24 octobre), modifiant celui du 30 septembre, ordonnent qu’il ne sera plus reçu de billets dans les hôtels de Monnaies avec les anciennes espèces qui doivent y être portées, réduisent le cours des espèces et le prix des matières, acceptent un don gratuit de 20 millions offert par la compagnie sur le produit éventuel de la fabrication et en même temps une somme de 10 millions par mois à prélever tant sur le produit des fermes générales que sur les autres recouvremens dont elle est chargée. Cependant la compagnie n’a ni fonds disponibles ni crédit. Ses directeurs sont obligés de se faire autoriser (arrêt du 27 octobre) à emprunter 15 millions « sur leurs billets solidaires ; » cet emprunt n’ayant pu être réalisé, c’est aux actionnaires eux-mêmes qu’ils demandent (arrêt du 17 novembre), à raison de 150 livres par action, un prêt, non plus de 15 millions, mais de 22,500,000 livres pour les employer « aux dépenses du commerce et aux engagemens pris envers le roi; » les actions qui n’auront pas fourni ces 150 livres avant le 20 décembre « seront nulles. »

Les arrêts du 10 et du 24 octobre, sur les billets et sur les actions, ont pour conséquence naturelle la fermeture de la bourse ouverte dans les jardins de l’hôtel de Soissons, et le trafic des valeurs est réglementé par l’institution de soixante agens de change qui en seront exclusivement chargés (arrêt du 25 octobre). Mais « on prévoit que les actionnaires, obligés de rapporter en compte le nombre d’actions pour lequel ils seront compris dans les rôles qui seront arrêtés par le conseil et voulant se soustraire à une loi dont le motif n’est pas moins juste qu’important au bien du royaume, pourront se retirer, avec leurs effets, dans les pays étrangers, » et il est défendu, sous peine de mort, jusqu’au 1er janvier, de sortir du royaume sans permission (arrêt du 29 octobre).

« L’instant de la chute du système, dit Forbonnais, fut une crise violente dans l’état et replongea la circulation dans un anéantissement plus grand que celui où elle se trouvait le 1er septembre 1715. Les effets publics montaient à une somme plus considérable : ils intéressaient un plus grand nombre de familles, et les plus pauvres avaient quelques billets. L’impossibilité de soutenir la compagnie, l’incertitude des mesures qu’on alloit prendre, tout contribuoit au retirement de l’argent, qui se trouvoit concentré entre un petit nombre de mains ; le travail cessa ; on ne vouloit point vendre les denrées. »

L’édifice s’écroule sans qu’il soit possible d’en soutenir les débris. La contrainte et la violence ont avili toutes les valeurs : les actions dont la Compagnie fixe le prix à 13,500 livres pour les anciens actionnaires, qui seront obligés d’en racheter, se négocient à 2,000 livres en billets qui perdent 90 pour 100 sur le marché, à 200 livres en espèces. On commence les recherches prescrites le 2li octobre contre ceux qu’on appelle les réaliseurs, les mississipiens. Pendant six semaines, quelques arrêts sans importance viennent compléter les arrêts précédens ou pourvoir à leur exécution.

Law, réduit à l’inaction et à l’impuissance, était en butte à l’opposition ardente, aux vives inimitiés qu’il avait vues succéder à la popularité, à l’enthousiasme des premiers jours. Les personnages les plus considérables du gouvernement et de la cour pressaient le régent, non-seulement de se séparer de lui, mais de le livrer à la justice ; le duc d’Orléans résista, et quand il sentit qu’il ne pouvait plus le soutenir, il se borna à le mettre dans la nécessité de quitter la France. Le contrôle général était vacant ; il y nomma, le 12 décembre, son ancien chancelier, le conseiller d’état Le Peletier de La Houssaye, qui s’était retiré, en 1718, avec d’Aguesseau et avait toujours combattu le système. Le lendemain, le nouveau contrôleur-général, recevant les directeurs de la compagnie des Indes, leur interdisait d’avoir aucun rapport avec Law.

Le jour de la nomination de La Houssaye, Law parut encore à l’Opéra, affectant une hauteur calme et dédaigneuse ; mais le ik décembre, après avoir obtenu un passeport, il quitta Paris pour se rendre à Bruxelles et, de là, à Venise.

Law n’était point, comme l’ont écrit ses admirateurs, le génie de la finance, du crédit, des affaires venant apporter à la France le progrès et la richesse : doué d’un esprit vif et calculateur, il avait observé les établissemens financiers déjà institués en Hollande et en Angleterre et il en avait compris l’utilité. La banque qu’il créa en 1817 était bien conçue : si elle avait conservé sa forme première et si elle avait été sagement conduite, elle pouvait être un bienfait pour l’état, pour le commerce, pour l’industrie; mais elle n’avait pas été inventée par Law ; elle n’était que l’imitation des banques de Londres et d’Amsterdam. La compagnie des Indes, au contraire, était son œuvre personnelle : par son extension désordonnée, par la spéculation insensée qu’elle provoqua et qu’elle devait provoquer, elle bouleversa les fortunes privées, compromit l’état, altéra la moralité publique. Par une singulière ironie des événemens, la banque fut supprimée, et la compagnie, ramenée aux proportions d’une société de commerce privilégiée, put continuer ses opérations, sans grands succès, mais sans grands revers. Ce n’est point à Law que nous devons la grande institution que nous possédons aujourd’hui, et qui plus d’une fois, dans les circonstances les plus graves, par la sagesse de sa conduite et la puissance de son crédit, a soutenu la fortune publique : c’est plutôt le souvenir du système et de sa chute qui a retardé de trois quarts de siècle la fondation de la Banque de France[17]. Law était entreprenant, audacieux et joueur, mais il était honnête. Après avoir manié des milliards, il est mort pauvre à Venise, en 1729; sa pauvreté assure à sa mémoire de l’indulgence pour ses erreurs, et des égards pour sa personne.


III.

Law, en quittant la direction de la banque et celle de la compagnie, laissait au nouveau contrôleur-général la lourde tâche d’une liquidation immense et compliquée. Il ne s’agissait pas seulement de faire la recherche et le compte des actions et des billets qui se trouvaient entre les mains du public. Une opération difficile, le remboursement de la dette publique, avait été commencée, et elle était loin d’être accomplie. Parmi les rentiers de l’état, quelques-uns, malgré toutes les injonctions qui leur avaient été faites, avaient conservé leurs rentes; d’autres les avaient échangées au Trésor contre les récépissés dont ils n’avaient pas encore touché le montant à la caisse de la compagnie, ne sachant comment employer leurs capitaux; d’autres encore avaient accepté en paiement soit des actions, soit des billets, soit des actions rentières ou des rentes viagères créées par la compagnie, soit même les nouvelles rentes que l’état venait d’être obligé de reconstituer. Les autres créanciers de l’état, pour finance d’offices ou d’augmentations de gages supprimés, ou pour toute autre cause, se trouvaient dans la même situation. Il fallait, avant tout, chercher et réunir tous les élémens qui permettraient de dresser le compte de cette masse énorme de valeurs, dont on ne connaissait ni le montant, ni les détenteurs : elles avaient jeté la confusion jusque dans les fortunes privées, et les différentes conversions commencées, sans être terminées, répandaient l’obscurité sur chaque nature de dettes.

Avant d’entreprendre de débrouiller ce chaos, La Houssaye jugea qu’il était plus urgent de rattacher au contrôle-général les services financiers qui avaient été concédés à la compagnie. Il reprit donc la régie des recettes générales et il résilia le bail des fermes générales, ainsi que le traité passé pour la fabrication des monnaies (arrêt du 5 janvier 1721) : la compagnie conserva la ferme des tabacs, mais momentanément, et le bail en fut aussi résilié le 29 juillet 1721.

Ce ne fut pas avant le 24 janvier que le contrôleur-général se trouva en mesure de proposer au conseil de régence un plan complet pour le règlement de la liquidation des affaires de la banque et de la compagnie[18] : ces questions, qui intéressaient tant de personnes, et qui agitaient la foule, avaient une importance qui donna à la séance du conseil une solennité particulière. Après une délibération prolongée, mêlée d’incidens personnels dont Saint-Simon a perpétué le souvenir, deux arrêts importans furent adoptés, et ils furent publiés le 26.

Le premier ordonne de représenter, dans le délai de deux mois, à Paris par-devant des commissaires du conseil, et dans les provinces par-devant les intendans et leurs subdélégués, tous les effets tant du roi que de la compagnie, dont on est propriétaire, savoir : contrats de rentes, — récépissés du Trésor, — actions, — billets de banque, — certificats de comptes en banque, — actions rentières, ou contrats de rentes viagères sur la compagnie ; cette représentation sera faite, sans frais, par l’entremise des notaires, et tous les effets qui n’auront pas été présentés dans le délai de deux mois seront nuls et supprimés ; — chacun doit certifier sur les effets qu’il dépose qu’il en est propriétaire et y joindre deux mémoires : l’un, sous le nom de Bordereau, contenant ses noms,.. avec le détail, la date, le numéro et le montant des effets, et certifiant qu’on n’en a pas d’autres sujets au visa ; — l’autre, appelé Déclaration, expliquant à quel titre on possède les effets présentés et quelles valeurs on a fournies pour les avoir ; et chacun doit affirmer n’avoir fait aucun autre usage des deniers provenant des remboursemens ou ventes qui y sont énoncés. — La demande de cette Déclaration révèle toute la pensée du système de la liquidation : La Houssaye l’avait expliquée au conseil, en insistant sur l’injustice qu’il y aurait à faire peser également sur tous les charges et les réductions ; il fallait, au contraire, distinguer les actionnaires de bonne foi et les agioteurs, atteindre ceux qui avaient vendu à des prix énormes, remonter à l’origine des biens et rendre à chacun l’équivalent de sa fortune première : cette pensée, il suffit quant à présent de la constater; elle sera plus utilement appréciée, quand elle sera définitivement appliquée.

Le second arrêt règle la situation de la banque et celle de la compagnie. La Houssaye avait rappelé au conseil les termes formels de la déclaration du 23 février, qui avait accordé à la compagnie, sur sa demande, l’administration de la banque et le bénéfice de ses profits, et il en avait conclu qu’elle était responsable d’une gestion qu’elle avait acceptée, et débitrice envers le roi des dettes de la banque. Cette proposition, combattue par le duc de Bourbon, et soutenue par le duc d’Orléans, provoqua entre les deux princes de vives récriminations qui ne les grandirent ni l’un ni l’autre. « Tous deux, dit Saint-Simon, y firent un mauvais personnage. » Elle fut ensuite adoptée par la presque unanimité du conseil. « La banque est donc déclarée réunie à la compagnie, qui sera chargée de compter de tous les billets qui ont été faits : toutes les négociations d’actions, même antérieures à l’arrêt du 5 mars, seront pour la compagnie et à ses risques. Les directeurs remettront incessamment un état signé et certifié véritable de tous ses effets. »

Cette décision jeta l’inquiétude et l’irritation parmi les actionnaires : ils s’empressèrent de se pourvoir par opposition, et dans une requête, qu’ils rendirent publique, ils soutinrent avec une grande vivacité qu’ils avaient supprimé le bureau d’achat des actions par un article de leur délibération du 22 février, que la déclaration royale du lendemain avait eu soin d’omettre; que, bien qu’il fut expressément interdit, et par leur délibération, et par la déclaration, de faire aucuns billets sans l’autorisation de l’assemblée générale, il en avait été ordonné pour 1,496 millions par des arrêts du conseil et par le roi; que, par ces deux motifs, ils ne pouvaient encourir aucune responsabilité. Ce débat agita et passionna l’opinion pendant plus de deux mois ; mais l’arrêt du 7 avril, qui le termina en rejetant la requête de la compagnie, n’eut pas pour elle les conséquences qu’elle redoutait. L’état était directement responsable envers ses anciens créanciers et envers les porteurs de billets dont le roi était garant. La responsabilité de la compagnie ne faisait pas cesser celle du trésor royal, auquel elle permettait seulement d’exercer un recours pour une partie des dettes qu’il aurait liquidées et payées. Quand le moment d’exercer ce recours arriva, la disposition des esprits s’était modifiée[19] : le gouvernement, préoccupé alors de la reconstitution de la compagnie comme société de commerce, loin de diminuer les ressources qu’elle avait pu conserver, songea plutôt à les accroître.

Pendant que le second arrêt du 26 janvier était contesté et confirmé, l’opération prescrite par le premier avait commencé : elle ressemblait à celle qui, en 1715, avait eu pour objet la recherche et la liquidation des effets royaux et fut appelée, comme elle, visa ; mais elle portait sur un nombre infiniment plus considérable d’effets et sur des sommes bien autrement importantes.

Le travail était immense. Cinquante-quatre bureaux, composés de plus de cent commissaires du conseil et de deux mille commis furent installés au vieux Louvre : quatre de ces bureaux étaient plus particulièrement chargés de connaître des questions spéciales qui étaient soulevées et qui leur étaient rapportées par les autres bureaux ; un tribunal supérieur fut en outre institué, sous le nom de commission générale, pour prononcer, en dernier ressort, sur les difficultés plus graves. Les opérations commencèrent le 10 mars, et il fallut proroger deux fois le délai assigné pour la présentation des effets : le 21 mai, il fut décidé que les bureaux seraient fermés à la fin de juin. En effet, les trois mille registres du visa furent arrêtés le 30 juin, et un arrêt du 10 août annula tous les effets qui n’avaient pas été présentés.

Le procès-verbal des opérations constate que des feuilles de liquidation furent délivrées à 511,009 déclarans : il est vrai que ces feuilles représentaient non-seulement les actions de la compagnie et les billets de la banque, mais toutes les rentes constituées sur l’état, les dettes mobilières du règne précédent et la finance des offices supprimés depuis 1715 ; c’était une partie, la plus grande sans doute, de la propriété mobilière en France à cette époque.

Les commissaires du visa n’avaient pas tardé à s’apercevoir que les déclarations étaient souvent insuffisantes pour constater et faire reconnaître l’origine des effets présentés : ils pensèrent que les actes de vente et tous les contrats passés et déposés chez les notaires fourniraient un utile supplément d’information. Cette perquisition dans les archives et dans le secret des familles blessait des sentimens respectables; mais les scrupules de droit et de justice n’avaient pas arrêté le système dans tous les expédiens auxquels il avait eu recours pour se soutenir, ils n’arrêtèrent pas le visa dans l’accomplissement de l’œuvre qu’il avait entreprise. Malgré la résistance du chancelier, du duc de Noailles et de plusieurs autres membres importans du conseil de régence, un arrêt du 14 septembre prescrivit à tous les notaires de remettre aux commissaires du visa et aux intendans des extraits fidèles de vous les actes portant translation de propriété, constitution de créances ou quittance de remboursemens reçus et passés depuis le 1er juillet jusqu’au 31 décembre 1719.

Il ne restait plus qu’à poursuivre à l’aide de ces documens, le dépouillement, le classement, le bilan des effets visés dans les 511,009 feuilles de liquidation. Ce travail, qui exigea encore près de deux mois, fut clos le 23 novembre par deux arrêts séparés concernant, l’un les effets dont l’état était débiteur et l’autre les actions de la compagnie.

Le procès-verbal du visa constate avec certitude que la somme totale des effets présentés s’élève à 2,222,597,581 livres et comprend :


¬¬¬

Rentes perpétuelles sur la ville 1,020,087,608
Rentes viagères sur la ville 91,528,172
Rentes perpétuelles sur les tailles 30,759,124
Rentes viagères sur la compagnie 92,773,925
Récépissés du trésor, comptes en banque, billets et autres effets devant être convertis en actions rentières 987,448,752
2,222,597,581


Il n’est pas un de ces effets que l’état puisse refuser de payer: il est débiteur des rentes et des récépissés qui ne sont que des rentes ou des créances à rembourser ; il ne l’est pas moins des billets dont la transformation de la banque générale en banque royale a fait des effets royaux et dont le roi s’est déclaré garant ; il ne l’est pas moins aussi des rentes viagères et des actions rentières qu’il a fait émettre par la compagnie, pour employer des billets ou rembourser quelques parties de la dette publique. Mais l’arrêt du 23 novembre, qui concerne ces valeurs, explique que les revenus publics ont été considérablement diminués par la suppression du dixième et par celle de plusieurs autres droits ; la peste qui désole une partie du royaume et qui a interrompu le commerce, ne permet pas d’établir de nouveaux impôts ; et sur le produit net des recettes ordinaires, il n’est possible de prélever annuellement que 40 millions : en conséquence, il ordonne « qu’à compter du 1er janvier 1721 il sera fait un fonds annuel de 40 millions pour servir au paiement des dettes visées en exécution de l’arrêt du 26 janvier et qui seront liquidées suivant le règlement ci-annexé. » C’est la déclaration d’un négociant qui, ne pouvant payer intégralement ses créanciers, leur abandonne la partie de son actif qui n’est point indispensable à la marche de ses affaires, en leur demandant, et ici en les contraignant, de s’en contenter.

Pour dissimuler la perte que subiront en capital tous les porteurs d’effets visés, on capitalise à 2 1/2 pour 100 l’annuité de 40 millions qui peut être affectée à leur paiement, et le capital fictif de 1,600 millions, ainsi déterminé, laisse encore un déficit de 622 millions. Mais l’état n’a jamais emprunté à 2 1/2 : quand Colbert après le traité de Nimègue (1678) et Chamillart après celui de Ryswick (1697) ont converti les rentes émises pendant la guerre à des conditions onéreuses, en empruntant à 5 pour 100, cette opération fut considérée comme un succès financier : c’est arbitrairement que depuis, en 1713 et en 1715, ces rentes ont été réduites à A pour 100. Cependant, on peut admettre qu’il faut tenir compte du fait accompli, et qu’il n’y a pas de raison pour rendre aux rentiers en 1721 plus qu’ils n’avaient en 1719 quand on a entrepris la téméraire opération du remboursement. À 4 pour 100, l’annuité perpétuelle de 40 millions donne un capital de 1 milliard, et le déficit est, en chiffre rond, de 1,200 millions : 54 1/2 pour 100.

Mais ce qui donne à la liquidation du visa un caractère particulier, c’est que les créanciers ne supporteront pas cette réduction de plus de moitié proportionnellement à leurs créances. La pensée qui a inspiré l’arrêt du 26 janvier et les opérations du visa est expliquée ; il ne faut pas confondre et traiter également ceux que le système a enrichis et ceux qu’il a ruinés ou appauvris. L’arrêt du 23 novembre a pour complément un règlement qui indique comment un état de toutes les dettes sera dressé, avec des divisions et des subdivisions, déterminant des réductions plus ou moins fortes, en raison des origines des effets. « Les effets bien prouvés et les billets de 500 livres et au-dessous ne subiront aucune diminution ; les autres seront réduits de 1/5, l//4, 1/3, 2/5, 1/2, 2/3, ¾ ; et ceux qui ne pourront établir leur origine seront liquidés au vingtième ; au surplus, on aura aussi égard à l’importance des sommes ; les plus fortes souffriront plus de réduction que les fortes, et les petites n’en souffriront pas[20]. » En échange des effets ainsi liquidés, on délivrera à chacun des certificats de liquidation, fixant la somme à laquelle il est réduit. Ce procédé qui, suivant les auteurs et les directeurs du visa, est seul équitable[21], n’est cependant conforme ni aux lois ni à la justice. Si l’état distribuait une libéralité aux créanciers du système, il pourrait la répartir, à son gré, suivant l’intérêt que méritent les personnes; mais il acquitte ses dettes. Ses créanciers peuvent avoir des situations différentes, être riches ou pauvres, dignes de sympathie ou de mépris : ils ont tous le même droit.

Le second arrêt du 23 novembre applique les mêmes règles à la liquidation des actions de la compagnie. Leur nombre avait été fixé à 250,000 ; mais, en fait, il n’y’en avait que 194,000 entre les mains du public, et 125,024 seulement furent présentées au visa[22]. L’arrêt rappelle qu’un grand nombre de ses actions sont entre les mains de personnes de toutes conditions, auxquelles elles tiennent même lieu de patrimoine ; que d’ailleurs il est nécessaire de conserver une société de commerce qui, par le choix de ceux qui la composeront et sa bonne régie, puisse utiliser, pour le bien de l’état, des établissemens considérables fondés dans toutes les parties du monde : après les arrêts du 26 janvier et du 7 avril, il n’y a plus qu’à procéder à une répartition des actions sur les principes établis pour la liquidation et la réduction des autres dettes, relativement à leur origine ; en conséquence, « les actions et les dixièmes d’actions, visées, seront réduites à 50,000, suivant la réduction et la répartition qui en sera faite, relativement aux origines, et conformément au règlement arrêté en conseil. » Cette réduction arbitraire et inégale des actions d’une société privée, suivant des considérations d’équité et de personnes, est encore plus que la liquidation et la réduction des dettes de l’état un abus de pouvoir; car ici l’autorité publique n’a même pas qualité pour agir.

C’est une étrange destinée que celle des entreprises fondées par Law : leur développement prodigieux, le nombre et le prix des actions, l’énorme circulation des billets, les moyens violens employés pour les soutenir, leur chute rapide et profonde, ne sont pas plus extraordinaires que les procédés et les doctrines appliqués par les anciens adversaires du système à sa liquidation. Le droit que s’attribue l’état de réviser et de réduire les titres de la propriété mobilière et d’en modifier la répartition entre ceux qui la possèdent est plus excessif que la spéculation dont il a la prétention de réparer les effets et de corriger les injustices. C’est le principe même de la propriété mobilière qui est atteint et mis en question.

La liquidation prescrite par les deux arrêts du 23 novembre nécessita un travail presque aussi considérable, mais bien plus difficile et bien plus arbitraire que le visa ordonné par les arrêts du 26 janvier. Il fallut encore organiser, pour préparer les liquidations, cinquante bureaux comprenant de nombreux commis et dirigés par des maîtres des requêtes : quatre bureaux supérieurs, composés chacun de deux conseillers d’état et de deux maîtres des requêtes, furent chargés de prononcer en dernier ressort sur les réclamations et de régler définitivement, suivant des appréciations qui n’avaient rien de juridique, les droits de propriété des 511,009 déclarans sur les effets qu’ils avaient présentés au visa. Un conseil suprême s’assembla en outre chez le chancelier et réunit à des conseillers d’état les membres du conseil de régence qui voulaient s’y rendre[23], pour interpréter les règlemens, et pourvoir même aux cas imprévus par des dispositions nouvelles. La liquidation devait réduire à 1,600 millions les 2,222 millions d’effets présentés au visa ; mais les difficultés et les embarras du travail déterminèrent les commissaires à délivrer des certificats de liquidation montant ensemble à 1,676 millions. Ces certificats étaient publiés au far et à mesure qu’ils étaient arrêtés. Dès le 15 février, une première liste put être connue : les 31e 32e et 33e listes parurent le 13 août. On assigna d’abord, comme emplois, aux certificats de liquidation les 25 millions de rentes à 2 1/2 pour 100 créées en juin 1720, les 4 millions de rentes viagères et les 8 millions de rentes perpétuelles sur les tailles constituées au mois d’août suivant : les certificats furent ensuite admis en paiement de la finance des offices municipaux rétablis par un arrêt d’août 1722, des surenchères de domaines engagés et des restes des taxes de la chambre de justice de 1716 (arrêts des 3 et 16 octobre 1722); ils furent aussi reçus aux hôtels des Monnaies pour 1/8, avec 7/8 d’espèces dans la refonte monétaire commencée en septembre 1720; enfin 200 millions de rentes viagères à 4 pour 100 sur les tailles, créées en juillet 1723 et en janvier 1724, achevèrent de libérer l’état.

Mais avant que les dernières listes de certificats eussent été publiées, la liquidation du système avait été complétée par une mesure nouvelle qui en fut comme le trait final. Soit qu’on eût reconnu que les fortunes des plus riches mississipiens n’étaient pas suffisamment réduites, soit qu’on se fût aperçu que ceux qui avaient plus entièrement réalisé leurs bénéfices en achetant des immeubles, ou en faisant passer leurs capitaux à l’étranger, n’étaient même pas atteints, un arrêt du 29 juillet ordonna « qu’il serait fait une imposition, à titre de capitation extraordinaire, sur ceux qui avaient fait des fortunes considérables à l’occasion du commerce de papier depuis 1719. » — Pour écarter le souvenir de la chambre de justice de 1716, ce fut le conseil lui-même qui, pendant les mois d’août et de septembre, secrètement et sans aucune information contradictoire, prépara et arrêta le rôle de cette imposition : l’arrêt ne fut publié que quand on put y joindre la liste de cent quatre-vingts personnes taxées à 187,893,661 livres. Triste temps que celui où quelques hommes peuvent enlever d’un trait de plume à ceux qui les possèdent près de 200 millions plus rapidement encore qu’ils n’ont été gagnés dans les mouvemens désordonnés de la spéculation et de l’agiotage !

La liquidation des actions, comme celle des effets, ne put se maintenir dans les limites du chiffre fixé par l’arrêt du 23 novembre; au lieu de 50,000, les certificats de liquidation en comprirent 55,316, qui furent délivrés par la compagnie. L’année suivante, le nombre en fut définitivement fixé à 56,000 par arrêt du 22 mars 1723, qui réorganisa la compagnie; on lui rend le privilège exclusif de la vente des tabacs, dont le profit annuel est estimé 2,500,000 livres, et on y réunit les droits du domaine d’Occident, évalués 500,000 liv., afin de lui assurer l’annuité de 3 millions qui lui est due pour l’intérêt des 100 millions de billets de l’état qui ont formé son premier fonds social; un conseil est institué pour l’administrer sous le nom de conseil des Indes, Deux édits de juin 1725 vinrent ensuite confirmer toutes ses concessions et lui accorder « une pleine et entière décharge pour toutes les opérations passées. » Ainsi réduite à un rôle purement commercial, la compagnie des Indes ne réussit pas mieux que les sociétés semblables qui l’avaient précédée, et, après avoir vu chaque année diminuer son capital et décroître son dividende, elle s’éteignit en 1769.

On ne peut arriver au terme de cette étude sans se demander quels furent, sur les dettes de l’état et la fortune publique, sur la fortune privée et la richesse nationale, les effets directs ou indirects du système et de sa liquidation.

La dette publique s’élevait, à la mort de Louis XIV, à 2 milliards 382 millions; elle avait été réduite à 2 milliards 32 millions par le visa de 1715, qui convertit 600 millions d’effets royaux en 250 millions de billets de l’état; mais, depuis, elle s’était accrue de la finance, non encore liquidée, d’un grand nombre d’offices supprimés. Les effets présentés au visa, et s’élevant à 2 milliards 222 millions, ne dépassent que de 190 millions le chiffre de la dette en 1715; il est vrai que, pour avoir le montant de toutes les valeurs que comprend la liquidation du système, il faut ajouter le prix des 125,000 actions, que les déclarans évaluaient à 899 millions et qui n’en valaient pas 100. Les effets présentés furent réduits de 546 millions et les certificats délivrés montèrent à 1 milliard 676 millions, en sorte que la dette publique de 1715 fut diminuée, en capital, de 356 millions. Mais les intérêts de cette dette réduite furent réglés à 2 1/2 pour 100, tandis que les intérêts de celle de 1715 avaient été réglés pour les rentes à 4 pour 100; et comme on aurait dû accorder le même intérêt au surplus de la dette (finances d’offices, augmentations de gages, etc.), si on en avait différé le remboursement, l’état aurait été, tôt ou tard, grevé d’une charge annuelle de 82 millions. Après le visa et la liquidation, l’état ne fut plus chargé que d’environ 41 millions par an[24], auxquels il faut ajouter les 3 millions de revenus abandonnés à la compagnie des Indes. Cet allégement considérable de la dette ne fut pas assurément l’effet direct du système, mais il fut le résultat de la liquidation générale, dans laquelle l’état trouva et saisit l’occasion de réduire de près de 50 pour 100 les arrérages annuels qu’il avait à payer à ses créanciers.

La compagnie ne disposa jamais de capitaux considérables pour ses opérations commerciales et coloniales. Quand elle se constitua, son fonds social fut formé en billets de l’état qui ne lui procurèrent qu’une rente annuelle de 4 millions; sa première création de 50,000 actions, les filles, émises à 550 liv., produisit 27,500,000 liv. dont la plus grande partie devait servir à payer les dettes de l’ancienne compagnie d’Orient, qui venait d’être réunie à celle d’Occident pour former la compagnie des Indes ; la seconde création de 50,000 actions, les petites-filles, émises à 1,000 livres, produisit 50 millions qui devaient être versés au trésor pour la concession des profits de la fabrication des monnaies ; on sait quelle fut la destination des 300,000 actions émises à la fin de 1719. La compagnie n’engagea donc pas plus d’une vingtaine de millions dans ses affaires de commerce, et ces capitaux ne furent pas perdus. Quant aux valeurs immenses qu’on vit naître, grandir et périr dans le mouvement désordonné de spéculation que provoquèrent l’émission des 300,000 actions et le projet téméraire de rembourser la dette publique, elles furent fictives et imaginaires. La France ne fut pas réellement plus riche qu’elle ne l’était auparavant, quand les 624,000 actions, se négociant à plus de 10,000 livres, paraissaient former 6 ou 7 milliards, et, par conséquent, elle ne fut pas plus pauvre quand le nombre et le prix des actions diminuèrent, et qu’en 1722 les 56,000 actions de la compagnie reconstituée, se négociant à 1,300 livres ou 1,400 livres, représentaient à peine un capital de 80 millions. Dans cette tourmente, la richesse nationale ne fut, à vrai dire, ni augmentée ni diminuée; mais les fortunes individuelles furent bouleversées et profondément troublées. Les ventes balançant les achats, la spéculation se borna, suivant l’expression de Saint-Simon, u à mettre le bien de Pierre dans la poche de Jean. » Les uns gagnèrent, les autres perdirent, et, les perdans étant plus nombreux que les gagnans, les gains, répartis entre un plus petit nombre de personnes, procurèrent à quelques-unes des fortunes colossales qui déchaînèrent l’envie. Si la somme totale des pertes dépassa celle des bénéfices, c’est que, dans la liquidation générale, l’état trouva le moyen de réduire le capital de la dette publique de 385 millions et les arrérages d’environ 40 millions. Sans cette circonstance, il n’y aurait eu ni déperdition sensible ni consommation, mais un énorme déplacement des richesses déjà créées par le travail et par l’épargne. Ce n’est pas que ce déplacement ne soit en lui-même un grand mal; il n’appauvrit pas une nation, mais il la démoralise : ceux que la chance favorable a enrichis deviennent rarement laborieux et économes; ceux que la chance contraire a ruinés ou rendus moins riches ont toujours au fond du cœur un sentiment d’amertume qui n’en fait pas de bons citoyens.


Mais le fait général qui se dégage le plus nettement du désordre financier de la fin du règne de Louis XIV, comme de la crise qui troubla le commencement du règne de Louis XV, des premières taxes imposées aux traitans en 1701, de la réduction arbitraire des rentes en 1713 et 1715, du visa de 1715, de la chambre de justice de 1716, du visa et de la banqueroute de 1721, c’est qu’à cette époque le gouvernement ne se croit pas tenu d’accomplir les obligations résultant des contrats qu’il a consentis. Le principe du respect des engagemens de l’état n’est point encore entré dans le droit public financier. Il en est autrement aujourd’hui. Depuis qu’en 1814 un ministre des finances, homme d’état, triomphant de passions ardentes, mais respectables, non-seulement a fait reconnaître par la restauration les dettes de l’empire, mais a obtenu qu’elles fussent payées en valeurs réelles et sincères, l’état, en France, a toujours scrupuleusement rempli ses engagemens financiers; dans nos révolutions si fréquentes, jamais le gouvernement nouveau ne s’est dérobé au devoir d’acquitter les dettes liquidées ou non liquidées du gouvernement qu’il remplaçait. Les engagemens de l’état sont aujourd’hui protégés par la conscience publique et la solidarité générale. C’est, dans l’ordre financier, un progrès qui mérite d’autant plus d’être signalé qu’il ne s’étend pas malheureusement à toutes les questions d’économie publique qu’a touchées cette étude. On ne pourrait affirmer que de nos jours l’ordre ne cesse pas de régner dans les finances et que la spéculation ne commet jamais d’excès. Cependant, à cet égard encore, on ne peut regretter le passé : si au XIXe siècle le désordre financier affaiblit la puissance de la France, il n’a pas du moins pour cortège, comme à la fin du règne de Louis XIV, les affaires extraordinaires, la vente des offices, la variation arbitraire des monnaies; si des excès de spéculation bouleversent et troublent les fortunes privées, ils ne sont pas, comme au commencement du règne de Louis XV, l’œuvre de l’autorité publique; ils ne sont que l’abus de la liberté.


AD. VUITRY.

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. D’Argenson, d’un caractère absolu, ne s’était pas contenté longtemps d’un rôle subordonné dans l’administration des finances; c’était malgré sa résistance que la compagnie des Indes avait obtenu le bail des fermes générales et la régie des recettes générales. On dit même que, dès le mois de septembre 1718, il s’était séparé de Law en favorisant secrètement la formation de la société imaginée pour faire concurrence à la compagnie d’Occident, et qu’Aymard Lambert, sous le nom duquel les frères Pâris s’étaient rendus adjudicataires des fermes générales, était le valet de chambre du garde des sceaux.
  3. Law, édition Guillaumin, p. 640.
  4. La compagnie pourra faire des perquisitions dans toutes les maisons, même dans les maisons religieuses et privilégiées ; les espèces seront confisquées en entier, et sans aucune diminution au profit des dénonciateurs. Tous les dépositaires de ces espèces devront les porter aux hôtels des Monnaies, dans les délais prescrits, sous peine d’être responsables envers les déposans de la perte que la confiscation leur fera éprouver. — Un arrêt du 29 janvier ordonne que les espèces et les matières portées aux Monnaies dans les provinces seront employées à fabriquer des pièces de 20 sols et de 10 sols, jusqu’à ce que les affinages soient suffisamment établis pour ne fabriquer que des livres d’argent, qui sont au titre de 12 deniers et valent aussi 20 sols. — Un autre arrêt du 7 février réduit les pièces de 20 sols et même les livres d’argent (ordonnées en décembre 1719 et dont la fabrication est lente) à 18 sols et les pièces de 10 sols à 9 sols ; elles n’étaient point comprises dans les diminutions prescrites le 28 janvier.
  5. Montesquieu rappelle, à cette occasion, dans l’Esprit des lois (liv. XIX, chap. XXVI), que César défendit aux Romains de garder plus de 60 sesterces, et, après avoir indiqué les circonstances et le but de cette défense, il ajoute : « César fit sa loi pour que l’argent circulât parmi le peuple : le ministre de France fit la sienne pour que l’argent fût mis dans une seule main. Le premier donna pour de l’argent des fonds de terre ou des hypothèques sur des particuliers; le second proposa pour de l’argent des effets qui n’avaient point de valeur et qui n’en pouvaient avoir par leur nature et par la raison que sa loi obligeait de les prendre. »
  6. On ne saurait trouver un témoignage plus autorisé de l’effet produit par la déclaration du 23 février et une appréciation plus judicieuse de la situation que ce passage de Forbonnais (t. II, p. 614) : « L’effet de la délibération du 22 ne fut favorable au système que jusqu’à l’impression de la déclaration du 23 qui l’autorisait. Le discrédit des billets de banque continua, et l’action continua de baisser journellement. Plus la banque payait lentement, plus on s’efforçait de réaliser. L’augmentation des espèces, le 25, ne parut qu’un expédient dont on voulait couvrir la disette des caisses, et la défense de prendre 5 pour 100 pour échanger les espèces en billets ne fit pas meilleur effet. — Le 27, on fit monter la défiance au plus haut point par la défense de garder plus de 500 livres en espèces. — La défense e fabriquer et de vendre de la vaisselle d’argent ne fut qu’une imprudence de plus et fit monter sa valeur à des sommes excessives, sans diminuer l’ardeur qu’on avait pour l’enlever. Le contrôleur-général, après avoir éprouvé si souvent que c’est compromettre l’autorité que de s’opposer au torrent des passions, se trouva dans un étrange embarras. Il se détermina à rendre le fameux arrêt du 5 mars qui décida la chute du système. »
  7. ¬ Arrêt du 26 mars.
    18,000 billets de 10,000 livres 180,000,000
    120,000 billets de 1,000 livres 120,000,000
    5 avril.

    ¬¬¬

    39,600 billets de 10,000 livres 396,000,000
    15 avril.

    ¬¬¬

    240,000 billets de 1,000 livres 240,000,000
    1,810,000 billets de 100 livres 181,000,000
    1,700,000 billets de 10 livres 17,000,000

    (Bien qu’ils aient été supprimés par la déclaration du 23 février.)

    1er mai.

    ¬¬¬

    362,000 billets de 1,000 livres 362,000,000
    1,496,000,000

    On lit même dans le préambule de l’édit du 5 juin 1725 que la banque émit pour 3 milliards de billets.

  8. Dutot, édition Guillaumin, p. 845.
  9. Forbonnais, t. II, p. 619.
  10. Mémoires, t. XVII, p. 13.
  11. Lemontey, Histoire de la régence, p. 330.
  12. On lit dans les Mémoires de la régence, t. III, p. 1 : « Jusque-là, les Français avaient été bien éloignés de soupçonner le coup terrible dont ils venaient d’être accablés. Éblouis par les apparences brillantes du système qu’ils ne comprenaient pas, ils y avaient donné tête baissée, et ils étaient encore charmés des millions, en idée, que le papier produisait sans cesse. La compagnie du Mississipi était l’appât trompeur qui les attirait. On la regardait comme une source inépuisable de richesses et on croyait gagner en achetant d’un argent réel les trésors imaginaires qu’elle distribuait... On doit comprendre quels furent les sentimens du public à la vue de l’arrêt qui réduisait le papier à moitié. On ouvrit les yeux malgré soi et on vit avec une surprise douloureuse qu’on s’était, laissé tromper à des noms vides de réalité. Chacun eût bien voulu alors retirer l’argent et ses billets. On courut en. foule à la banque... Mais il n’était plus temps. »
  13. Journal de Barbier.
  14. L’abbé Millot, dans ses Mémoires rédigés d’après les papiers du duc de Noailles, est plus conservateur; mais il exprime le même sentiment. « 1720. C’est alors que le royaume fut abîmé dans un gouffre épouvantable : les opérations violentes, les lois injustes, le bouleversement des familles, le chaos des finances, tout semblait annoncer les plus funestes catastrophes : cependant la régence ne fut pas ébranlée. » (Mémoires, édition Poujoulat, p. 279.)
  15. Cet arrêt du 14 juin, quoique très important, n’est mentionné ni par Isambert, m par Du Hautchamp : il est rapporté par le manuscrit inédit du ministère des finances. Dans les propositions qui avaient servi de base à l’arrêt du 3 juin, la compagnie avait elle-même compris l’offre de rétrocéder à l’état une annuité de 12 millions 500,000 livres, pour créer une somme égale de rentes : c’est cette offre, alors ajournée, qui est portée à 25 millions, l’état voulant élever à un million le capital des rentes rétablies.
  16. « Cette augmentation des espèces a en même temps fait augmenter toutes les denrées; il n’y a plus de prix à rien; on n’a pas un seul moment de fixe, et cette incertitude des affaires marque celle du gouvernement. Le 3 août, les marchandises sont montées à un prix si excessif que le drap commun vaut 50 et 60 livres l’aune; la chandelle 30 sols la livre; la bougie 6 livres. » (Mémoires de M. Marais. — Août.) « Depuis l’augmentation des espèces, tout est augmenté de moitié ; cela fait un prix dont on n’a jamais entendu parler : la bougie vaut 9 livres ; le café 18 livres la livre ; ce qui valait autrefois 1 livre 12 sols l’un et l’autre 2 livres 10 sols. — Tous les revenus sont diminués de moitié, et bien des bourgeois ont perdu leurs fonds aux actions qu’ils ont achetées bien cher. Cela fait que chacun mange son fonds. » (Journal de Barbier.)
  17. Forbonnais, qui écrivait trente ans après la chute de la banque, affirme que de son temps le souvenir du système jetait encore une grande défaveur sur les théories et sur les réformes : « Mais le plus grand des maux est peut-être l’odieux qui a été jeté sur le mot de système, le seul cependant par lequel il soit possible d’exprimer un projet conséquent à des principes donnés. Le vulgaire, c’est-à-dire le plus grand nombre, est parvenu à craindre tout ce qui présente une suite d’idées liées ensemble. Tout homme qui a le malheur de proposer un plan, soit pour opérer des réformes, Boit pour trouver des expédiens, se voit mépriser comme esprit systématique et rarement il sera employé. » (T. II, p. 642.)
  18. On sait que, pour tout ce qui concerne cette liquidation et les longues opérations qu’elle exigea, La Houssaye fut conseillé et même dirigé par les frères Paris, et surtout par Paris-Duverney, que leur opposition à Law et au système avait fait éloigner de Paris et qui venaient d’être rappelés de l’exil. Toutefois l’influence des Paris, hostile à la compagnie, fut tempérée par les puissans appuis qu’elle conserva et qui parvinrent à la faire reconstituer comme société privilégiée de commerce.
  19. Pâris-Duverney s’en plaint : «La compagnie succomba (7 avril); mais, par un retour singulier qui n’étonnera pas les habitans des cours, sa défaite ne fut qu’une victoire, et pendant qu’on la condamnait publiquement à rendre les comptes de la banque, on lui fournissait les moyens de les solder. »
  20. Manuscrit du ministère. — Mémoires de la régence, t. III.
  21. « Ainsi, dit Pâris-Duverney, on forma le projet de réduire les dettes publiques proportionnellement aux forces du royaume et à la justice. On résolut de ne conserver, s’il se pouvoit, qu’à peu près autant de capitaux hypothéqués sur les revenus du roi qu’il y en avoit avant 1719, indépendamment de ce qui en seroit admis sur la compagnie. Il eût été dangereux de charger le royaume d’une trop grande quantité de dettes ; elles seroient retombées dans le discrédit, au lieu que la sûreté et la régularité du paiement des arrérages en dévoient soutenir la valeur comme il est arrivé. D’ailleurs on se proposa de connoître les porteurs d’effets et d’établir des distinctions dans leurs titres, suivant les origines qu’ils pouvoient avoir, pour conserver les privilèges des créanciers légitimes et pour faire tomber la réduction plus ou moins forte sur les autres suivant les circonstances plus ou moins favorables, justifiées, » (Examen sur les finances, t. II, p. 150.)
  22. « La brutalité des moyens employés par Pâris-Duverney, les souvenirs encore récens du premier visa (en 1715), la perspective d’une entière spoliation, effrayèrent beaucoup de particuliers, qui n’osèrent pas porter leurs titres dans les bureaux et livrer le secret de leur fortune à l’inquisition des commissaires. » (Levasseur, p. 298.)
  23. L’appréciation du maréchal de Villars mérite d’être mentionnée : « Quant au conseil qui devoit s’assembler chez le chancelier, et à la tête duquel le régent avoit déclaré mettre les maréchaux d’Uxelles, de Bezons, le marquis de Canillac et moi, le régent se contenta de dire que ceux du conseil de régence qui voudroient se trouver chez le chancelier en seroient les maîtres. Je dis au chancelier : « Je ne connois aucun honnête homme qui veuille aller à ce conseil sans un ordre bien solide et bien exprès. Quant à moi, je désire très fort, ne pas le recevoir. Cette déclaration vague de la liberté d’alîer décider du sort de tant de familles n’est guère propre à tranquilliser le public. » Elle fut cependant donnée dans les mêmes termes que le régent l’avoit déclaré, et cet arrêt inspira quelques craintes de voir les fortunes de quelques favoris conservées et par conséquent les malheureux peu soulagés. » (Mémoires, p. 278.]
  24. Manuscrit du ministère.