Les Fées (Anaïs Ségalas)

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Enfantines
(p. 79-86).




LES FÉES




I


L’enfant dormait ; déjà, sous ses rideaux de soie,
Gazouillaient doucement ces rêves pleins de joie,
Qui font des contes d’or à nos petits amis,
Qui voltigent légers sur leurs têtes vermeilles,

Et, gais oiseaux des nuits, vont chanter aux oreilles
Des enfants endormis.

Tout à coup flamboya, devant l’alcôve noire
Un palais d’escarboucle, aux fines tours d’ivoire,
Comme Armide ou Merlin en bâtissaient jadis ;
Un de ces beaux palais qui ne sont que mensonge,
Mais dont l’enfant qui dort, le poète qui songe,
Ont les clefs de rubis.

Puis ce fut un jardin plein d’enfants, plein de rondes,
D’oiseaux, ambassadeurs qui venaient des deux mondes :
L’Asie envoyait là son bengali chéri,
Un frais sénégali représentait l’Afrique,
Un rossignol, l’Europe, et l’écrin d’Amérique
Donnait un colibri.

Une fée apparut, mais presque imperceptible :

Les oeillets dépassaient son petit corps flexible ;
Son char frêle, où brillaient des perles pour essieux,
Allait glissant dans l’air, conduit par deux phalènes ;
Une araignée avait, pour leur servir de rênes,
Tissé deux fils soyeux.


II


Bonjour, enfant, dit-elle ; on m’appelle Mignonne :
J’ai pour couronne
Un bouton d’or ; j’ai pris pour sceptre et pour bouquet
Un fin muguet.

Je me suis fait hier ma tunique en dentelles
Avec les ailes
D’un papillon brillant, qui passait près de moi,
Mis comme un roi.


Dans le fond de la mer, c’est ma main qui satine
La perle fine ;
Je sors de sa coquille, et viens de la lustrer,
Pour t’en parer.

Vois encor par mon art les gouttes des rosées,
Cristallisées ;
J’en veux faire pour toi des colliers de brillants,
Tout scintillants.

Veux-tu que je te file une robe de fée,
Comme un trophée ?
J’ai du fil de la Vierge, et vais tourner encor
Mon fuseau d’or.

Veux-tu que je te mène à la cité fleurie
De la féerie ?

Suis-moi, nous passerons par le pont immortel
De l’arc-en-ciel.

Un buisson de jasmin s’entr’ouvrit par merveille,
Une fée en sortit, comme d’une corbeille.


III


Enfant, je suis Fleur de jasmin,
Dit-elle, entre mes soeurs, aucune
N’est si blanche que moi. Ma main
Tient la baguette et la fortune.
Aux nuages, en voyageant,
J’ai pris mon manteau voltigeant,
Et j’ai fait mon ruban d’argent
Avec un rayon de la lune.


Je veille à toute pureté ;
À la robe de la pervenche.
Au lac, à sa limpidité ;
Pour les protéger, je me penche
Sur l’enfant aux regards touchants,
Sur la marguerite des champs ;
J’empêche avec soin les méchants
D’effeuiller leur couronne blanche.

J’accours pour lever le filet,
Si la colombe est prise au piège ;
Et les cygnes, couleur du lait,
C’est encor moi qui les protège ;
Mais ce qui me charme le mieux,
C’est un nouveau-né gracieux,
Dont l’âme nous descend des cieux
Comme un petit flocon de neige.


Je vins, plus vive que les faons,
Pour te douer comme une reine,
Car c’est moi qui suis ta marraine ;
Dans ton berceau que je défends,
Toutes les grâces sont écloses.
Oh ! moi, j’aime les douces choses :
J’aime les corbeilles de roses,
Et j’aime les berceaux d’enfants !


IV


Mais un rayon du jour vint argenter la chambre ;
Alors, palais, char, fée au corps de lis et d’ambre,
Tout se fondit ensemble, et puis s’évanouit.
Et l’enfant, en cherchant son palais diaphane,
S’éveilla, quand le rêve, ainsi que la sultane,
Eut dit le conte de la nuit.


Mais la mère entendit des larmes étouffées…
Allez, petits rêveurs, il est encor des fées
Qui chantent au berceau pendant vos premiers ans ;
Qui vous jettent des fleurs, des robes veloutées,
Des fruits d’or, et vous font des maisons enchantées…
Ce sont vos mères, mes enfants !

Ce sont là, voyez-vous, les célestes marraines
Qui répandent sur vous leurs dons de souveraines ;
Le savoir et les arts, ces talismans humains.
Leur baguette magique est leur amour de flamme,
Et vous donne en jouant des vertus pour votre âme,
Avec des hochets pour vos mains.