Les Frères Karamazov (trad. Henri Mongault)/XII/04

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Traduction par Henri Mongault.
NRF (2p. 674-682).

IV

La chance sourit à Mitia

Cela se passa à l’improviste. Aliocha, qui n’avait pas prêté serment, fut dès le début l’objet d’une vive sympathie, tant d’un côté que de l’autre. On voyait que sa bonne renommée le précédait. Il se montra modeste et réservé, mais son affection pour son malheureux frère perçait dans sa déposition. Il le caractérisa comme un être sans doute violent et entraîné par ses passions, mais noble, fier, généreux, capable de se sacrifier si on le lui demandait. Il reconnut d’ailleurs que, vers la fin, la passion de Mitia pour Grouchegnka et sa rivalité avec son père l’avaient mis dans une position intolérable. Mais il repoussa avec indignation l’hypothèse que son frère avait pu tuer pour voler, tout en convenant que ces trois mille roubles étaient devenus une obsession dans l’esprit de Mitia, qui les considérait comme une partie de son héritage frauduleusement détournée par son père et ne pouvait en parler sans se mettre en fureur. Quant à la rivalité des deux « personnes », comme disait le procureur, il s’exprima évasivement et refusa même de répondre à une ou deux questions.

« Votre frère vous a-t-il dit qu’il avait l’intention de tuer son père ? demanda le procureur. Vous pouvez ne pas répondre si cela vous convient.

— Directement, il ne me l’a pas dit.

— Indirectement, alors ?

— Il m’a parlé une fois de sa haine pour son père. Il craignait… d’être capable de le tuer dans un moment d’exaspération.

— Et vous l’avez cru ?

— Je n’ose l’affirmer. J’ai toujours pensé qu’un sentiment élevé le sauverait au moment fatal, comme c’est arrivé en effet, car ce n’est pas lui qui a tué mon père », dit Aliocha d’une voix forte qui résonna.

Le procureur tressaillit comme un cheval de bataille au son de la trompette.

« Soyez sûr que je ne mets pas en doute la sincérité de votre conviction, et la crois indépendante de votre amour fraternel pour ce malheureux. L’instruction nous a déjà révélé votre opinion originale sur le tragique épisode qui s’est déroulé dans votre famille. Mais je ne vous cache pas qu’elle est isolée et contredite par les autres dépositions. Aussi j’estime nécessaire d’insister pour connaître les données qui vous ont convaincu définitivement de l’innocence de votre frère et de la culpabilité d’une autre personne que vous avez désignée à l’instruction.

— J’ai seulement répondu aux questions, dit Aliocha avec calme ; je n’ai pas formulé d’accusation contre Smerdiakov.

— Pourtant, vous l’avez désigné ?

— D’après les paroles de mon frère Dmitri. Je savais que, lors de son arrestation, il avait accusé Smerdiakov. Je suis persuadé de l’innocence de mon frère. Et si ce n’est pas lui qui a tué, alors…

— C’est Smerdiakov ? Pourquoi précisément lui ? Et pourquoi êtes-vous si convaincu de l’innocence de votre frère ?

— Je ne peux pas douter de lui. Je sais qu’il ne ment pas. J’ai vu, d’après son visage, qu’il me disait la vérité.

— Seulement d’après son visage ? Ce sont là toutes vos preuves ?

— Je n’en ai pas d’autres.

— Et vous n’avez pas d’autres preuves de la culpabilité de Smerdiakov que les paroles de votre frère et l’expression de son visage ?

— Non. »

Le procureur n’insista pas. Les réponses d’Aliocha déçurent profondément le public. On avait parlé de Smerdiakov ; le bruit courait qu’Aliocha rassemblait des preuves décisives en faveur de son frère et contre le valet. Or, il n’apportait rien, sinon une conviction morale bien naturelle chez le frère de l’accusé. À son tour Fétioukovitch demanda à Aliocha à quel moment l’accusé lui avait parlé de sa haine pour son père et de ses velléités de meurtre, et si c’était, par exemple, lors de leur dernière entrevue avant le drame. Aliocha tressaillit comme si un souvenir lui revenait.

« Je me rappelle maintenant une circonstance que j’avais complètement oubliée ; ce n’était pas clair alors, mais maintenant… »

Et Aliocha raconta avec animation que, lorsqu’il vit son frère pour la dernière fois, le soir, sous un arbre, en rentrant au monastère, Mitia, en se frappant la poitrine, lui avait répété à plusieurs reprises qu’il possédait le moyen de relever son honneur, que ce moyen était là, sur sa poitrine…

« Je crus alors, poursuivit Aliocha, qu’en se frappant la poitrine, il parlait de son cœur, des forces qu’il pourrait y puiser pour échapper à une honte affreuse qui le menaçait et qu’il n’osait même pas m’avouer. À vrai dire, je pensai d’abord qu’il parlait de notre père, qu’il frémissait de honte à l’idée de se livrer sur lui à quelque violence ; cependant il semblait désigner quelque chose sur sa poitrine, et l’idée me vint que le cœur se trouve plus bas, tandis qu’il se frappait bien plus haut, ici, au-dessous du cou. Mon idée me parut absurde, mais il désignait peut-être précisément le sachet où étaient cousus les quinze cents roubles !…

— Précisément, cria soudain Mitia. C’est ça, Aliocha, c’est sur lui que je frappais. »

Fétioukovitch le supplia de se calmer, puis revint à Aliocha. Celui-ci, entraîné par son souvenir, émit chaleureusement l’hypothèse que cette honte provenait sans doute de ce que, ayant sur lui ces quinze cents roubles qu’il aurait pu restituer à Catherine Ivanovna comme la moitié de sa dette, Mitia avait pourtant décidé d’en faire un autre usage et de partir avec Grouchegnka, si elle y consentait…

« C’est cela, c’est bien cela, s’écria-t-il très animé, mon frère m’a dit à ce moment qu’il pourrait effacer la moitié de sa honte (il a dit plusieurs fois : la moitié ! ), mais que, par malheur, la faiblesse de son caractère l’en empêchait… Il savait par avance qu’il en était incapable !

— Et vous vous rappelez nettement qu’il se frappait à cet endroit de la poitrine ? demanda Fétioukovitch.

— Très nettement, car je me demandais alors : « pourquoi se frappe-t-il si haut, le cœur est plus bas ? « Mon idée me parut absurde… Voilà pourquoi ce souvenir m’est revenu. Comment ai-je pu l’oublier jusqu’à présent ! Son geste désignait bien ce sachet, ces quinze cents roubles qu’il ne voulait pas rendre ! Et lors de son arrestation, à Mokroïé, n’a-t-il pas crié, à ce que l’on m’a dit, que l’action la plus honteuse de sa vie c’était que, tout en ayant la faculté de rendre à Catherine Ivanovna la moitié de sa dette (précisément la moitié), il avait préféré garder l’argent et passer pour un voleur à ses yeux. Et comme cette dette le tourmentait ! » conclut Aliocha.

Bien entendu, le procureur intervint. Il pria Aliocha de décrire à nouveau la scène et insista pour savoir si l’accusé, en se frappant la poitrine, semblait désigner quelque chose. Peut-être se frappait-il au hasard avec le poing ?

« Non, pas avec le poing ! s’exclama Aliocha. Il désignait avec les doigts une place, ici, très haut… Comment ai-je pu l’oublier jusqu’ici ! »

Le président demanda à Mitia ce qu’il pouvait dire au sujet de cette déposition. Mitia confirma qu’il avait désigné les quinze cents roubles qu’il portait sur sa poitrine, au-dessous du cou, et que c’était une honte, « une honte que je ne conteste pas, l’acte le plus vil de ma vie ! J’aurais pu les rendre, et je ne l’ai pas fait. J’ai préféré passer pour un voleur à ses yeux, et, le pire, c’est que je savais à l’avance que j’agirais ainsi ! Tu as raison, Aliocha, merci. »

Ainsi prit fin la déclaration d’Aliocha, caractérisée par un fait nouveau, si minime fût-il, un commencement de preuve démontrant l’existence du sachet aux quinze cents roubles et la véracité de l’accusé, lorsqu’il déclarait, à Mokroïé, que cet argent lui appartenait. Aliocha était radieux, il s’assit tout rouge à la place qu’on lui indiqua, répétant à part lui : « Comment ai-je pu oublier cela ! Comment ne me le suis-je rappelé que maintenant ? »

Catherine Ivanovna fut ensuite entendue. Son entrée fit sensation. Les dames prirent leur lorgnette, les hommes se trémoussaient, quelques-uns se levèrent pour mieux voir. On affirma, par la suite, que Mitia était devenu blanc « comme un linge » lorsqu’elle parut. Tout en noir, elle s’avança à la barre d’une démarche modeste, presque timide. Son visage ne trahissait aucune émotion, mais la résolution brillait dans ses yeux sombres. Elle était fort belle à ce moment. Elle parla d’une voix douce, mais nette, avec un grand calme, ou tout au moins s’y efforçant. Le président l’interrogea avec beaucoup d’égards, comme s’il craignait de toucher « certaines cordes ». Dès les premiers mots, Catherine Ivanovna déclara qu’elle avait été la fiancée de l’accusé « jusqu’au moment où il m’abandonna lui-même… » Quand on l’interrogea au sujet des trois mille roubles confiés à Mitia pour être envoyés par la poste à ses parents, elle répondit avec fermeté : « Je ne lui avais pas donné cette somme pour l’expédier aussitôt ; je savais qu’il était très gêné… à ce moment… Je lui remis ces trois mille roubles à condition de les envoyer à Moscou, s’il voulait, dans le délai d’un mois. Il a eu tort de se tourmenter à propos de cette dette… »

Je ne rapporte pas les questions et les réponses intégralement, me bornant à l’essentiel de sa déposition.

« J’étais sûre qu’il ferait parvenir cette somme aussitôt qu’il l’aurait reçue de son père, poursuivit-elle. J’ai toujours eu confiance en sa loyauté… sa parfaite loyauté… dans les affaires d’argent. Il comptait recevoir trois mille roubles de son père et m’en a parlé à plusieurs reprises. Je savais qu’ils étaient en conflit et j’ai toujours cru que son père l’avait lésé. Je ne me souviens pas qu’il ait proféré des menaces contre son père, du moins en ma présence. S’il était venu me trouver, je l’aurais aussitôt rassuré au sujet de ces malheureux trois mille roubles, mais il n’est pas revenu… et moi-même… je me trouvais dans une situation… qui ne me permettait pas de le faire venir… D’ailleurs, je n’avais nullement le droit de me montrer exigeante pour cette dette, ajouta-t-elle d’un ton résolu, j’ai reçu moi-même de lui, un jour, une somme supérieure, et je l’ai acceptée sans savoir quand je serais en état de m’acquitter. »

Sa voix avait quelque chose de provocant. À ce moment, ce fut au tour de Fétioukovitch de l’interroger.

« Ce n’était pas ici, mais au début de vos relations ? » demanda avec ménagement le défenseur, qui pressentait quelque chose en faveur de son client. (Par parenthèse, bien qu’appelé de Pétersbourg en partie par Catherine Ivanovna elle-même, il ignorait tout de l’épisode des cinq mille roubles donnés par Mitia et du « salut jusqu’à terre ». Elle le lui avait dissimulé ! Silence étrange. On peut supposer que, jusqu’au dernier moment, elle hésita à en parler, attendant quelque inspiration.)

Non, jamais je n’oublierai ce moment ! Elle raconta tout, tout cet épisode, communiqué par Mitia à Aliocha, et « le salut jusqu’à terre », les causes, le rôle de son père, sa visite chez Mitia, et ne fit aucune allusion à la proposition de Mitia « de lui envoyer Catherine Ivanovna pour chercher l’argent ». Elle garda là-dessus un silence magnanime et ne rougit pas de révéler que c’était elle qui avait couru, de son propre élan, chez le jeune officier, espérant on ne sait quoi… pour en obtenir de l’argent. C’était émouvant. Je frissonnais en l’écoutant, l’assistance était tout oreilles. Il y avait là quelque chose d’inouï ; jamais on n’aurait attendu, même d’une jeune fille aussi fière et impérieuse, une telle franchise et une pareille immolation. Et pour qui, pour quoi ? Pour sauver celui qui l’avait trahie et offensée, pour contribuer, si peu que ce fût, à le tirer d’affaire, en produisant une bonne impression ! En effet, l’image de l’officier, donnant ses cinq mille roubles, tout ce qui lui restait, et s’inclinant respectueusement devant une innocente jeune fille, apparaissait des plus sympathiques, mais… mon cœur se serra ! Je sentis la possibilité d’une calomnie par la suite (et c’est ce qui arriva). Avec une ironie méchante, on répéta en ville que le récit n’était peut-être pas tout à fait exact sur un point, à savoir celui où l’officier laissait partir la jeune fille « soi-disant rien qu’avec un respectueux salut ». On fit allusion à une « lacune ». « Si même les choses se sont vraiment passées ainsi, disaient les plus respectables de nos dames, on peut encore faire des réserves sur la conduite de la jeune fille, s’agît-il de sauver son père. » Catherine Ivanovna, avec sa pénétration maladive, n’avait donc point pressenti de tels propos ? Certes si, et elle s’était pourtant décidée à tout dire ! Naturellement, ces doutes insultants sur la véracité du récit ne se manifestèrent que plus tard, au premier moment tout le monde fut ému. Quant aux membres du tribunal, ils écoutaient dans un silence respectueux. Le procureur ne se permit aucune question sur ce sujet. Fétioukovitch fit à Catherine un profond salut. Oh ! il triomphait presque. Que le même homme ait pu, dans un élan de générosité, donner ses cinq derniers mille roubles, et ensuite tuer son père pour lui en voler trois mille, cela ne tenait guère debout. Fétioukovitch pouvait tout au moins écarter l’accusation de vol. « L’affaire » s’éclairait d’un jour nouveau. La sympathie tournait en faveur de Mitia. Une ou deux fois, durant la déposition de Catherine Ivanovna, il voulut se lever, mais retomba sur son banc, en se couvrant le visage de ses mains. Quand elle eut fini, il s’écria en lui tendant les bras :

« Katia, pourquoi as-tu causé ma perte ? »

Il éclata en sanglots, mais se remit vite et cria encore :

« Maintenant, je suis condamné ! »

Puis il se raidit à sa place les dents serrées, les bras croisés sur sa poitrine. Catherine Ivanovna demeura dans la salle ; elle était pâle, les yeux baissés. Ses voisins racontèrent qu’elle tremblait, comme en proie à la fièvre. Ce fut le tour de Grouchegnka.

Je vais aborder la catastrophe qui causa peut-être, en effet, la perte de Mitia. Car je suis persuadé, et tous les juristes le dirent ensuite, que, sans cet épisode, le criminel eût obtenu au moins les circonstances atténuantes. Mais il en sera question tout à l’heure. Parlons d’abord de Grouchegnka.

Elle parut aussi tout en noir, les épaules couvertes de son magnifique châle. Elle s’avança vers la barre de sa démarche silencieuse, en se dandinant légèrement, comme font parfois les femmes corpulentes, les yeux fixés sur le président. À mon avis, elle était très bien, et nullement pâle, comme les dames le prétendirent ensuite. On assura aussi qu’elle avait l’air absorbé, méchant. Je crois seulement qu’elle était irritée et sentait lourdement peser sur elle les regards méprisants, curieux de notre public, friand de scandale. C’était une de ces natures fières, incapables de supporter le mépris qui, dès qu’elles le soupçonnent chez les autres, les enflamme de colère et les pousse à la résistance. Il y avait aussi, assurément, de la timidité et la pudeur de cette timidité, ce qui explique l’inégalité de son langage, tantôt courroucé, tantôt dédaigneux et grossier, dans lequel on sentait soudain une note sincère quand elle s’accusait elle-même. Parfois, elle parlait sans se soucier des suites : « Tant pis pour ce qui arrivera, je le dirai pourtant… » À propos de ses relations avec Fiodor Pavlovitch, elle observa d’un ton tranchant : « Bagatelle que tout cela ! Est-ce ma faute s’il s’est attaché à moi ? » Un instant après, elle ajouta : « Tout ça est ma faute, je me moquais du vieillard et de son fils, et je les ai poussés à bout tous les deux. Je suis la cause de ce drame. » On en vint à parler de Samsonov : « Ça ne regarde personne, répliqua-t-elle avec violence, il était mon bienfaiteur, c’est lui qui m’a recueillie nu-pieds, quand les miens m’ont jetée hors de chez eux. » Le président lui rappela qu’elle devait répondre directement aux questions, sans entrer dans des détails superflus. Grouchegnka rougit, ses yeux étincelèrent. Elle n’avait pas vu l’enveloppe aux trois mille roubles et en connaissait seulement l’existence par le « scélérat ». « Mais tout ça, c’est des bêtises, à aucun prix je ne serais allée chez Fiodor Pavlovitch… »

« Qui traitez-vous de « scélérat » ? demanda le procureur.

— Le laquais Smerdiakov, qui a tué son maître et s’est pendu hier. »

On s’empressa de lui demander sur quoi elle basait une accusation si catégorique, mais elle non plus ne savait rien.

« C’est Dmitri Fiodorovitch qui me l’a dit, vous pouvez le croire. Cette personne l’a perdu, elle seule est cause de tout », ajouta Grouchegnka toute tremblante, d’un ton où perçait la haine.

On voulut savoir à qui elle faisait allusion.

« Mais cette demoiselle, cette Catherine Ivanovna. Elle m’avait fait venir chez elle, offert du chocolat, dans l’intention de me séduire. Elle est sans vergogne, ma parole… »

Le président l’interrompit, en la priant de modérer ses expressions. Mais enflammée par la jalousie, elle était prête à tout braver…

« Lors de l’arrestation, à Mokroïé, rappela le procureur, vous êtes accourue de la pièce voisine en criant : « Je suis coupable de tout, nous irons ensemble au bagne ! » Vous aussi le croyiez donc parricide, à ce moment ?

— Je ne me rappelle pas mes sentiments d’alors, répondit Grouchegnka, tout le monde l’accusait, j’ai senti que c’était moi la coupable, et qu’il avait tué à cause de moi. Mais dès qu’il a proclamé son innocence, je l’ai cru et le croirai toujours ; il n’est pas homme à mentir. »

Fétioukovitch, qui l’interrogea ensuite, s’informa de Rakitine et des vingt-cinq roubles « en récompense de ce qu’il vous avait amené Alexéi Fiodorovitch Karamazov ».

« Rien d’étonnant à ce qu’il ait pris cet argent, sourit dédaigneusement Grouchegnka ; il venait toujours quémander, recevant de moi jusqu’à trente roubles par mois, et le plus souvent pour s’amuser ; il avait de quoi boire et manger sans cela.

— Pour quelle raison étiez-vous si généreuse envers Mr Rakitine ? reprit Fétioukovitch, bien que le président s’agitât.

— C’est mon cousin. Ma mère et la sienne étaient sœurs. Mais il me suppliait de n’en parler à personne, tant je lui faisais honte. »

Ce fait nouveau fut une révélation pour tout le monde ; personne ne s’en doutait en ville et même au monastère. Rakitine, dit-on, était rouge de honte. Grouchegnka lui en voulait, sachant qu’il avait déposé contre Mitia. L’éloquence de Mr Rakitine, ses nobles tirades contre le servage et le désarroi civique de la Russie furent ainsi ruinées dans l’opinion. Fétioukovitch était satisfait, le ciel lui venait en aide. D’ailleurs, on ne retint pas longtemps Grouchegnka, qui ne pouvait rien communiquer de particulier. Elle laissa au public une impression des plus défavorables. Des centaines de regards méprisants la fixèrent, lorsque après sa déposition elle alla s’asseoir assez loin de Catherine Ivanovna. Tandis qu’on l’interrogeait, Mitia avait gardé le silence, comme pétrifié, les yeux baissés.

Ivan Fiodorovitch se présenta comme témoin.