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Les Mamelles de Tirésias

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Les Mamelles de Tirésias
1917


PRÉFACE


Sans réclamer d’indulgence, je fais remarquer que ceci est une œuvre de jeunesse, car sauf le Prologue et la dernière scène du deuxième acte qui sont de 1916, cet ouvrage a été fait en 1903, c’est-à-dire quatorze ans avant qu’on ne le représentât.

Je l’ai appelé drame qui signifie action pour établir ce qui le sépare de ces comédies de mœurs, comédies dramatiques, comédies légères qui depuis plus d’un demi-siècle fournissent à la scène des œuvres dont beaucoup sont excellentes mais de second ordre et que l’on appelle tout simplement des pièces.

Pour caractériser mon drame je me suis servi d’un néologisme qu’on me pardonnera car cela m’arrive rarement et j’ai forgé l’adjectif surréaliste qui ne signifie pas du tout symbolique comme l’a supposé M. Victor Basch, dans son feuilleton dramatique; mais définit assez bien une tendance de l’art qui si elle n’est pas plus nouvelle que tout ce qui se trouve sous le soleil n’a du moins jamais servi à formuler aucun credo, aucune affirmation artistique et littéraire.

L’idéalisme vulgaire des dramaturges qui ont succédé à Victor Hugo a cherché la vraisemblance dans une couleur locale de convention qui fait pendant au naturalisme en trompe-l’œil des pièces de mœurs dont on trouverait l’origine bien avant Scribe, dans la comédie larmoyante de Nivelle de la Chaussée.

Et pour tenter, sinon une rénovation du théâtre, du moins un effort personnel, j’ai pensé qu’il fallait revenir à la nature même, mais sans l’imiter à la manière des photographes.

Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir.

Au demeurant, il m’est impossible de décider si ce drame est sérieux ou non. Il a comme but d’intéresser et d’amuser. C’est le but de toute œuvre théâtrale. Il a également pour but de mettre en relief une question vitale pour ceux qui entendent la langue dans laquelle il est écrit : le problème de la repopulation.

J’aurais pu faire sur ce sujet qui n’a jamais été traité une pièce selon le ton sarcastico-mélodramatique qu’ont mis à la mode les faiseurs de « pièces à thèse ».

J’ai préféré un ton moins sombre, car je ne pense pas que le théâtre doive désespérer qui que ce soit.

J’aurais pu aussi écrire un drame d’idées et flatter le goût du public actuel qui aime à se donner l’illusion de penser.

J’ai mieux aimé donner un libre cours à cette fantaisie qui est ma façon d’interpréter la nature, fantaisie, qui selon les jours, se manifeste avec plus ou moins de mélancolie, de satire et de lyrisme, mais toujours, et autant qu’il m’est possible, avec un bon sens où il y a parfois assez de nouveauté pour qu’il puisse choquer et indigner, mais qui apparaîtra aux gens de bonne foi.

Le sujet est si émouvant à mon avis, qu’il permet même que l’on donne au mot drame son sens le plus tragique ; mais il tient aux Français que, s’ils se remettent à faire des enfants, l’ouvrage puisse être appelé, désormais, une farce. Rien ne saurait me causer une joie aussi patriotique. N’en doutez pas, la réputation dont jouirait justement, si on savait son nom, l’auteur de la Farce de Maistre Pierre Pathelin m’empêche de dormir.

On a dit que je m’étais servi de moyens dont on use dans les revues ; je ne vois pas bien à quel moment. Ce reproche toutefois n’a rien qui puisse me gêner, car l’art populaire est un fonds excellent et je m’honorerais d’y avoir puisé si toutes mes scènes ne s’enchaînaient naturellement selon la fable que j’ai imaginée et où la situation principale : un homme qui fait des enfants, est neuve au théâtre et dans les lettres en général, mais ne doit pas plus choquer que certaines inventions impossibles des romanciers dont la vogue est fondée sur le merveilleux dit scientifique.

Pour le surplus, il n’y a aucun symbole dans ma pièce qui est fort claire, mais on est libre d’y voir tous les symboles que l’on voudra et d’y démêler mille sens comme dans les oracles sybillins.

M. Victor Basch qui n’a pas compris, ou n’a pas voulu comprendre, qu’il s’agissait de la repopulation, tient à ce que mon ouvrage soit symbolique ; libre à lui. Mais il ajoute : « que la première condition d’un drame symbolique c’est que le rapport entre le symbole qui est toujours un signe et la chose signifiée soit immédiatement discernable ».

Pas toujours cependant et il y a des œuvres remarquables dont le symbolisme justement prête à de nombreuses interprétations qui parfois se contrarient.

J’ai écrit mon drame surréaliste avant tout pour les Français comme Aristophane composait ses comédies pour les Athéniens.

Je leur ai signalé le grave danger reconnu de tous qu’il y a pour une nation qui veut être prospère et puissante à ne pas faire d’enfants, et pour y remédier je leur ai indiqué qu’il suffisait d’en faire.

M. Deffoux, écrivain spirituel, mais qui m’a l’air d’être un malthusien attardé fait je ne sais quel rapprochement saugrenu entre le caoutchouc[1] dont sont faits les ballons et les balles qui figurent les mamelles (c’est peut-être là que M. Basch voit un symbole) et certains vêtements recommandés par le néo-malthusianisme. Pour parler franc, ils n’ont rien à faire dans la question, car il n’y a pas de pays où l’on s’en serve moins qu’en France, tandis qu’à Berlin, par exemple, il ne se passe pas de jour qu'il ne manque vous en tomber sur la tête pendant qu’on se promène dans les rues, tant les Allemands, race encore prolifique, en font un grand usage.

Les autres causes auxquelles avec la limitation des grossesses par moyens hygiéniques on attribue la dépopulation, l’alcoolisme par exemple, existe partout ailleurs et dans des proportions bien plus vastes qu’en France.

Dans un livre récent sur l’alcool, M. Yves Guyot ne remarquait-il pas que si dans les statistiques de l’alcoolisme, la France venait au premier rang, l’Italie, pays notoirement sobre, venait au second rang ! Cela permet de mesurer la foi que l’on peut accorder aux statistiques ; elles sont menteuses et bien fol est qui s’y fie. D’autre part n’est-il pas remarquable que les provinces où l’on fait en France le plus d’enfants soient justement celles qui viennent au premier rang dans les statistiques de l’alcoolisme !

La faute est plus grave, le vice est plus profond, car la vérité est celle-ci : on ne fait plus d’enfants en France parce qu’on n’y fait pas assez l’amour. Tout est là.

Mais je ne m’étendrai pas d’avantage sur ce sujet. Il faudrait un livre tout entier et changer les mœurs. C’est aux gouvernants à agir, à faciliter les mariages, à encourager avant tout l’amour fécond, les autres points importants comme celui du travail des enfants seront ensuite facilement résolus pour le bien et l’honneur du pays.

Pour en revenir à l’art théâtral, on trouvera dans le prologue de cet ouvrage, les traits essentiels de la dramaturgie que je propose.

J’ajoute qu’à mon gré cet art sera moderne, simple, rapide avec les raccourcis ou les grossissements qui s’imposent si l’on veut frapper le spectacteur. Le sujet sera assez général pour que l’ouvrage dramatique dont il formera le fond puisse avoir une influence sur les esprits et sur les mœurs dans le sens du devoir et de l’honneur.

Selon le cas, le tragique l’emportera sur le comique ou inversement. Mais je ne pense pas que désormais, l’on puisse supporter, sans impatience, une œuvre théâtrale où ces éléments ne s’opposeraient pas, car il y a une telle énergie dans l’humanité d’aujourd’hui et dans les jeunes lettres contemporaines, que le plus grand malheur apparaît aussitôt comme ayant sa raison d’être, comme pouvant être regardé non seulement sous l’angle d’une ironie bienveillante qui permet de rire, mais encore sous l’angle d’un optimisme véritable qui console aussitôt et laisse grandir l’espérance.

Au demeurant, le théâtre n’est pas plus la vie qu’il interprète que la roue n’est une jambe. Par conséquent, il est légitime, à mon sens, de porter au théâtre des esthétiques nouvelles et frappantes qui accentuent le caractère scénique des personnages et augmentent la pompe de la mise en scène, sans modifier toutefois le pathétique ou le comique des situations qui doivent se suffire à elles-mêmes.

Pour terminer, j’ajoute que, dégageant des velléités littéraires contemporaines une certaine tendance qui est la mienne, je ne prétends nullement fonder une école, mais avant tout protester contre ce théâtre en trompe-l’œil qui forme le plus clair de l’art théâtral d’aujourd’hui. Ce trompe-l’œil qui convient, sans doute, au cinéma, est, je crois, ce qu’il y a de plus contraire à l’art dramatique.

J’ajoute, qu’à mon avis, le vers qui seul convient au théâtre, est un vers souple, fondé sur le rythme, le sujet, le souffle et pouvant s’adapter à toutes les nécessités théâtrales. Le dramaturge ne dédaignera pas la musique de la rime, qui ne doit pas être une sujétion dont l’auteur et l’auditeur se fatiguent vite désormais, mais peut ajouter quelque beauté au pathétique, au comique, dans les chœurs, dans certaines répliques, à la fin de certaines tirades, ou pour clore dignement un acte.

Les ressources de cet art dramatique ne sont-elles pas infinies ? Il ouvre carrière à l’imagination du dramaturge, qui rejetant tous les liens qui avaient paru nécessaires ou parfois renouant avec une tradition négligée, ne juge pas utile de renier les plus grands d’entre ses devanciers. Il leur rend ici l’hommage que l’on doit à ceux qui ont élevé l’humanité au-dessus des pauvres apparences dont, livrée à elle-même, si elle n’avait pas eu les génies qui la dépassent et la dirigent, elle devrait se contenter. Mais eux, font paraître à ses yeux des mondes nouveaux qui élargissant les horizons, multipliant sans cesse sa vision, lui fournissent la joie et l’honneur de procéder sans cesse aux découvertes les plus surprenantes.


À LOUISE-MARION


Louise Marion vous fûtes admirable
Gonflant d’esprit tout neuf vos multiples tétons

La féconde raison a jailli de ma fable
Plus de femme stérile et non plus d’avortons
Votre voix a changé l’avenir de la France
Et les ventres partout tressaillent d’espérance


À MARCEL HERRAND


Vous fûtes le mari sublime ingénieux
Qui faisant des enfants nous suscite des dieux
Mieux armés plus unis plus savants plus dociles
Plus forts et plus hardis que nous n avons été
La Victoire sourit à leurs destins habiles
Et célébrant dans l’ordre et la prospérité
Votre civique sens votre fécondité
Ils seront tous un jour l’orgueil de la Cité


À YETA DAESSLÉ


Étiez-vous bien à Zanzibar Monsieur Lacouf
Qui mourûtes et remourûtes sans dire ouf

Kiosque remuant qui portiez les nouvelles
Vous étiez un cerveau pour toutes les cervelles
Des pauvres spectateurs qui ne le savaient pas
Qu il leur faut des enfants ou marcher au trépas
 
Vous fûtes par deux fois la presse qui féconde
Le bon sens en Europe ainsi qu’au Nouveau Monde
Déjà l’écho répète à Venvi vos échos

Merci chère Daesslé
Merci chère Daesslé Les petits moricauds
Qui pullulaient au 2e acte de mon drame
Grâce à vous deviendront de bons petits Français
Blancs et roses ainsi que vous êtes madame
Ce sera là notre succès


À JULIETTE NORVILLE


Voici le temps Madame cù parlent les gens d’armes
J’en suis et c’est pourquoi suscitant les alarmes
J’ai parlé
J’ai parlé Vous étiez, sur votre beau cheval
Vous représentiez l’ordre et par mont et par val
Nous faisions que revint dans la race française
Le goût d’être nombreuse afin de vivre à l’aise
Ainsi que les enfants du mari de Thérèse


À HOWARD


Vous étiez tout le peuple et gardiez le silence



Peuple de Zanzibar ou plutôt de la France
Il faut laisser le goût et garder la raison
Il faut voyager loin en aimant sa maison
Il faut chérir l’audace et chercher l’aventure
Il faut toujours penser à la France future
N’espérez nul repos risquez iout votre avo*r
Apprenez du nouveau car il faut tout savoir
Lorsque crie un prophète il faut que l’alliez voir
Et faites des enfants cest le but de mon conte
L’enfant est la richesse et la seule qui compte

==Personnages==

  • Le directeur
  • Thérèse-Tirésias et la cartomancienne
  • Le mari
  • Le gendarme
  • Le journaliste parisien
  • Le fils
  • Le kiosque
  • Lacouf
  • Presto
  • Le peuple de Zanzibar
  • Une dame
  • Les chœurs

À Zanzibar de nos jours.

A la première représentation les décors et les costumes étaient de M. Serge Férat, Mlle Niny Guyard était au piano, la partition d’orchestre n’ayant pu être exécutée à cause de la rareté des musiciens en temps de

guerre.
PROLOGUE


Devant le rideau baissé, le Directeur de la Troupe, en habit, une canne de tranchée à la main, sort du trou du souffleur.

Me voici donc revenu parmi vous
J’ai retrouvé ma troupe ardente
J’ai trouvé aussi une scène
Mais j’ai retrouvé avec douleur
L’art théâtral sans grandeur sans vertu
Qui tuait les longs soirs d’avant la guerre
Art calomniateur et délétère
Qui montrait le péché non le rédempteur

Puis le temps est venu le temps des hommes
J’ai fait la guerre ainsi que tous les hommes

C’était au temps où j’étais dans l’artillerie
Je commandais au front du nord ma batterie

Un soir que dans le ciel le regard des étoiles
Palpitait comme le regard des nouveau-nés
Mille fusées issues de là tranchée adverse
Réveillèrent soudain les canons ennemis

Je m’en souviens comme si cela s’était passé hier

J’entendais les départs mais non les arrivées
Lorsque de l’observatoire d’artillerie
Le trompette vint à cheval nous annoncer
Que le maréchal des logis qui pointait
Là-bas sur les lueurs des canons ennemis
L’alidade de triangle de visée faisait savoir
Que la portée de ces canons étaient si grande
Que l’on n’entendait plus aucun éclatement
Et tous mes canonniers attentifs à leurs postes
Annoncèrent que les étoiles s’éteignaient une à une
Puis l’on entendit de grands cris parmi toute l’armée

ILS ÉTEIGNENT LES ÉTOILES À COUPS DE CANON


Les étoiles mouraient dans ce beau ciel d’automne
Comme la mémoire s’éteint dans le cerveau
De ces pauvres vieillards qui tentent de se souvenir
Nous étions là mourant de la mort des étoiles
Et sur le front ténébreux aux livides lueurs
Nous ne savions plus que dire avec désespoir

ILS ONT MÊME ASSASSINÉ LES CONSTELLATIONS

Mais une grande voix venue d’un mégaphone
Dont le pavillon sortait
De je ne sais quel unanime poste de commandement
La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria

IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ÉTOILES

Et ce ne fut qu’un cri sur le grand front français

AU COLLIMATEUR À VOLONTÉ

Les servants se hâtèrent
Les pointeurs pointèrent

Les tireurs tirèrent
Et les astres sublimes se rallumèrent l’un après l’autre
Nos obus enflammaient leur ardeur éternelle
L’artillerie ennemie se taisait éblouie
Par le scintillement de toutes les étoiles

Voilà voilà l’histoire de toutes les étoiles

Et depuis ce soir-là j’allume aussi l’un après l’autre
Tous les astres intérieurs que l’on avait éteints

Me voici donc revenu parmi vous

Ma troupe ne vous impatientez pas

Public attendez sans impatience

Je vous apporte une pièce dont le but est de réformer les mœurs
Il s’agit des enfants dans la famille
C’est un sujet domestique
Et c’est pourquoi il est traité sur un ton familier


Les acteurs ne prendront pas de ton sinistre
Ils feront appel tout simplement à votre bon sens
Et se préoccuperont avant tout de vous amuser
Afin que bien disposés vous mettiez à profit
Tous les enseignements contenus dans la pièce
Et que le sol partout s’étoile de regards de nouveau-nés
Plus nombreux encore que les scintillements d’étoiles

Écoutez ô Français la leçon de la guerre
Et faites des enfants vous qui n’en faisiez guère
On tente ici d’infuser un esprit nouveau au théâtre
Une joie une volupté une vertu
Pour remplacer ce pessimisme vieux de plus d’un siècle
Ce qui est bien ancien pour une chose si ennuyeuse
La pièce a été faite pour une scène ancienne
Car on ne nous aurait pas construit de théâtre nouveau
Un théâtre rond à deux scènes
Une au centre l’autre formant comme un anneau
Autour des spectateurs et qui permettra

Le grand déploiement de notre art moderne
Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie
Les sons les gestes les couleurs les cris les bruits
La musique la danse l’acrobatie la poésie la peinture
Les chœurs les actions et les décors multiples

Vous trouverez ici des actions
Qui s’ajoutent au drame principal et l’ornent
Les changements de ton du pathétique au burlesque
Et l’usage raisonnable des invraisemblances
Ainsi que des acteurs collectifs ou non
Qui ne sont pas forcément extraits de l’humanité
Mais de l’univers entier

Car le théâtre ne doit pas être un art en trompe-l’œil

Il est juste que le dramaturge se serve
De tous les mirages qu’il a à sa disposition
Comme faisait Morgane sur le Mont-Gibel

Il est juste qu’il fasse parler les foules les objets inanimés
S’il lui plaît
Et qu’il ne tienne pas plus compte du temps
Que de l’espace

Son univers est sa pièce
À l’intérieur de laquelle il est le dieu créateur
Qui dispose à son gré
Les sons les gestes les démarches les masses les couleurs
Non pas dans le seul but
De photographier ce que l’on appelle une tranche de vie
Mais pour faire surgir la vie même dans toute sa vérité
Car la pièce doit être un univers complet
Avec son créateur
C’est-à-dire la nature même
Et non pas seulement
La représentation d’un petit morceau
De ce qui nous entoure ou de ce qui s’est jadis passé


Pardonnez-moi mes amis ma troupe

Pardonnez-moi cher Public
De vous avoir parlé un peu longuement
Il y a si longtemps que je m’étais retrouvé parmi vous

Mais il y a encore là-bas un brasier
Où l’on abat des étoiles toutes fumantes
Et ceux qui les rallument vous demandent
De vous hausser jusqu’à ces flammes sublimes
Et de flamber aussi

Ô public
Soyez la torche inextinguible du feu nouveau

ACTE PREMIER


La place du marché de Zanzibar, le matin. Le décor représente des maisons, une échappée sur le port et aussi ce qui peut évoquer aux Français l’idée du jeu de zanzibar. Un mégaphone en forme de cornet à dés et orné de dés est sur le devant de la scène. Du côté cour, entrée d’une maison ; du côté jardin, un kiosque de journaux avec une nombreuse marchandise étalée et sa marchande figurée dont le bras peut s’animer ; il est encore orné d’une glace sur le côté qui donne sur la scène. Au fond, le personnage collectif et muet qui représente le peuple de Zanzibar est présent dés le lever du rideau. Il est assis sur un banc. Une table est à sa droite et il a sous la main les instruments qui lui serviront à mener tel bruit au moment opportun : revolver, musette, grosse caisse, accordéon, tambour, tonnerre, grelots, castagnettes, trompette d’enfant, vaisselle cassée. Tous les bruits indiqués comme devant être produits au moyen d’un instrument sont menés par le peuple de Zanzibar et tout ce qui est indiqué comme devant être dit au mégaphone doit être crié au public.


Scène première

Le peuple de Zanzibar, Thérèse


Thérèse

Visage bleu, longue robe bleue ornée de singes et de fruits peints. Elle entre dès que le rideau est levé, mais dès que le rideau commence à se lever, elle cherche à dominer le tumulte de l’orchestre

Non Monsieur mon mari
Vous ne me ferez pas faire ce que vous voulez
Chuintement
Je suis féministe et je ne reconnais pas l’autorité de l’homme
Chuintement
Du reste je veux agir à ma guise
Il y a assez longtemps que les hommes font ce qui leur plaît
Après tout je veux aussi aller me battre contre les ennemis
J’ai envie d’être soldat une deux une deux
Je veux faire la guerre - Tonnerre - et non pas faire des enfants
Non Monsieur mon mari vous ne me commanderez plus
Elle se courbe trois fois, derrière au public
Au mégaphone
Ce n’est pas parce que vous m’avez fait la cour dans le Connecticut
Que je dois vous faire la cuisine à Zanzibar

Voix du mari

Accent belge
Donnez-moi du lard je te dis donnez-moi du lard
Vaisselle cassée

Thérèse
Vous l’entendez il ne pense qu’à l’amour
Elle a une crise de nerfs
Mais tu ne te doutes pas imbécile
Éternuement
Qu’après avoir été soldat je veux être artiste
Éternuement
Parfaitement parfaitement
Éternuement
Je veux être aussi député avocat sénateur
Deux éternuements
Ministre président de la chose publique
Éternuement
Et je veux médecin physique ou bien psychique
Diafoirer à mon gré l’Europe et l’Amérique
Faire des enfants faire la cuisine non c’est trop
Elle caquette
Je veux être mathématicienne philosophe chimiste
Groom dans les restaurants petit télégraphiste
Et je veux s’il me plaît entretenir à l’an Cette vieille danseuse qui a tant de talent
Éternuement caquetage, après quoi elle imite le bruit du chemin de fer

Voix du mari
Accent belge
Donnez-moi du lard je te dis donnez-moi du lard

Thérèse
Vous l’entendez il ne pense qu’à l’amour
Petit air de musette
Mange-toi les pieds à la Sainte-Menehould
Grosse caisse
Mais il me semble que la barbe me pousse
Ma poitrine se détache
Elle pousse un grand cri et entr’ouvre sa blouse dont il en sort ses mamelles, l’une rouge, l’autre bleue et, comme elle les lâche, elles s’envolent,
ballons d’enfants, mais restent retenues par les fils
Envolez-vous oiseaux de ma faiblesse
      Et caetera
Comme c’est joli les appas féminins
C’est mignon tout plein
On en mangerait
Elle tire le fil des ballons et les fait danser
Mais trêve de bêtises
Ne nous livrons pas à l’aéronautique
Il y a toujours quelque avantage à pratiquer la vertu

Le vice est après tout une chose dangereuse
C’est pourquoi il vaut mieux sacrifier une beauté
Qui peut être une occasion de péché
Débarrassons-nous de nos mamelles
Elle allume un briquet et les fait exploser, puis elle fait une belle grimace avec double pied de nez aux spectateurs et leur jette des balles qu’elle a dans son corsage
Qu’est-ce à dire
Non seulement ma barbe pousse mais ma moustache aussi
Elle caresse sa barbe et retrousse sa moustache qui ont brusquement poussé
Eh diable
J’ai l’air d’un champ de blé qui attend la moissonneuse mécanique
Au mégaphone
Je me sens viril en diable
Je suis un étalon
De la tête aux talons
Me voilà taureau
Sans mégaphone
Me ferai-je torero
Mais n’étalons
Pas mon avenir au grand jour héros
Cache tes armes

Et toi mari moins viril que moi
Fais tout le vacarme
Que tu voudras
Tout en caquetant, elle va se mirer dans la glace placée sur le kiosque à journaux

Scène deuxième

Le peuple de Zanzibar, Thérèse, le mari

 
Le mari
Entre avec un gros bouquet de fleurs, voit qu’elle ne le regarde pas et jette les fleurs dans la salle. À partir d’ici le mari perd l’accent belge
Je veux du lard je te dis

Thérèse
Mange tes pieds à la Sainte-Menehould

Le mari
Pendant qu’il parle Thérèse hausse le ton de ses caquetages. Il s’approche comme pour la gifler puis en riant
Ah mais ce n’est pas Thérèse ma femme
Un temps puis sévèrement.
Au mégaphone
Quel malotru a mis ses vêtements

Il va l’examiner et revient. Au mégaphone
Aucun doute c’est un assassin et il l’a tuée
Sans mégaphone
Thérèse ma petite Thérèse où es-tu
Il réfléchit la tête dans les mains, puis campé, les poings sur les hanches
Mais toi vil personnage qui t’es déguisé en Thérèse je te tuerai
Ils se battent, elle a raison de lui

Thérèse
Tu as raison je ne suis plus ta femme

Le mari
Par exemple

Thérèse
Et cependant c’est moi qui suis Thérèse

Le mari
Par exemple

Thérèse
Mais Thérèse qui n’est plus femme

Le mari
C’est trop fort


Thérèse
Et comme je suis devenu un beau gars

Le mari
Détail que j’ignorais

Thérèse
Je porterai désormais un nom d’homme
Tirésias

Le mari
les mains jointes
Adiousias
Elle sort

Scène troisième

Le peuple de Zanzibar, le mari

 
Voix de Tirésias
Je déménage

Le mari
Adiousias
Elle jette successivement par la fenêtre un pot de chambre, un bassin et un urinal. Le mari ramasse le pot de chambre
Le piano
Il ramasse l’urinal
Le violon
Il ramasse le bassin
L’assiette au beurre la situation devient grave

Scène quatrième

Les même, Tirésias, Lacouf, Presto

Tirésias revient avec des vêtements, une corde, des objets hétéroclites. Elle jette tout, se précipite sur le mari. Sur la dernière réplique du mari, Presto et Lacouf armés de brownings en carton sont sortis gravement de dessous la scène et s’avancent dans la salle, cependant que Tirésias maîtrisant son mari, lui ôte son pantalon, se déshabille, lui passe sa jupe, le ligote, se pantalonne, se coupe les cheveux et met un chapeau haut de forme. Ce jeu de scène dure jusqu’au premier coup de revolver

<poem>
Presto

Avec vous vieux Lacouf j’ai perdu au zanzi
Tout ce que j’ai voulu

Lacouf
Monsieur Presto je n’ai rien gagné
Et d’abord Zanzibar n’est pas en question vous êtes à Paris

Presto
À Zanzibar

Lacouf
À Paris

Presto
C’en est trop,
Après dix ans d’amitié
Et tout le mal que je n’ai cessé de dire sur votre compte

Lacouf
Tant pis vous ai-je demandé de la réclame vous êtes à Paris

Presto
À Zanzibar la preuve c’est que j’ai tout perdu


Lacouf
Monsieur Presto il faut nous battre

Presto
Il le faut

Ils montent gravement sur la scène et se rangent au fond l’un vis-à-vis de l’autre

Lacouf
À armes égales

Presto
À volonté
Tous les coups sont dans la nature

Ils se visent. Le peuple de Zanzibar tire deux coups de revolver et ils tombent

Tirésias
qui est prêt, tressaille au bruit et s’écrie
Ah chère liberté te voilà enfin conquise
Mais d’abord achetons un journal
Pour savoir ce qui vient de se passer
Elle achète un journal et le lit ; pendant ce temps le peuple de Zanzibar place une pancarte de chaque côté de la scène

PANCARTE POUR PRESTO
COMME IL PERDAIT AU ZANZIBAR
MONSIEUR PRESTO A PERDU SON PARI
PUISQUE NOUS SOMMES À PARIS


PANCARTE POUR LACOUF
MONSIEUR LACOUF N’A RIEN GAGNÉ
PUISQUE LA SCÈNE SE PASSE À ZANZIBAR
AUTANT QUE LA SEINE PASSE À PARIS

Dès que le peuple de Zanzibar est revenu à son poste, Presto et Lacouf se redressent, le peuple de Zanzibar tire un coup de revolver et les duellistes retombent. Tirésias étonné jette le journal
Au mégaphone
Maintenant à moi l’univers
À moi les femmes à moi l’administration
Je vais me faire conseiller municipal
Mais j’entends du bruit
Il vaut peut-être mieux s’en aller
Elle sort en caquetant tandis que le mari imite le bruit de la locomotive en marche

Scène cinquième

Le peuple de Zanzibar, le mari, le gendarme

 

Le gendarme
Tandis que le peuple de Zanzibar joue de l’accordéon le gendarme à cheval caracole, tire un mort dans la coulisse de façon à ce que ses pieds seuls restent visibles, fait le tour de la scène, agit de même avec l’autre mort, fait une seconde fois le tour de la scène et apercevant le mari ficelé sur le devant de la scène
Ça sent le crime ici


Le mari
Ah ! puisque enfin voici un agent de l’autorité
Zanzibarienne
Je vais l’interpeller
Eh Monsieur si c’est une affaire que vous me cherchez
Ayez donc l’obligeance de prendre
Mon livret militaire dans ma poche gauche

Le gendarme
Au mégaphone
La belle fille
Sans mégaphone
Dites ma belle enfant
Qui donc vous a traitée si méchamment

Le mari
à part
Il me prend pour une demoiselle
Au gendarme
Si c’est un mariage que vous me cherchez
Le gendarme met la main sur son cœur
Commencez donc par me détacher

Le gendarme
le délie en le chatouillant, ils rient et le gendarme répète toujours
Quelle belle fille

==Scène sixième==

Les mêmes, Presto, Lacouf

Dès que le gendarme commence à détacher le mari, Presto et Lacouf reviennent à l’endroit où ils sont tombés précédemment

 
Presto
Je commence à en avoir assez d’être mort
Dire qu’il y a des gens
Qui trouvent qu’il est plus honorable d’être mort que vif

Lacouf
Vous voyez bien que vous n’étiez pas à Zanzibar

Presto
C’est pourtant là que l’on voudrait vivre
Mais ça me dégoûte de nous être battus en duel
Décidément on regarde la mort
D’un œil trop complaisant

Lacouf
Que voulez-vous on a trop bonne opinion
De l’humanité et de ses restes
Est-ce que les selles des bijoutiers
Contiennent des perles et des diamants


Presto
On a vu des choses plus extraordinaires

Lacouf
Bref Monsieur Presto
Les paris ne nous réussissent pas
Mais vous voyez bien que vous étiez à Paris

Presto
À Zanzibar

Lacouf
En joue

Presto
Feu

Le peuple de Zanzibar tire un coup de revolver et ils tombent. Le gendarme a fini de délier le mari

Le gendarme
Je vous arrête

Presto et Lacouf se sauvent du côté opposé d’où ils sont revenus. Accordéon


Scène septième[modifier]

Le peuple de Zanzibar, le gendarme, lemari habillé en femme

Le gendarme
Les duellistes du paysage
Ne m’empêcheront pas de dire que je vous trouve
Agréable au toucher comme une balle en caoutchouc

Le mari
Atchou
Vaisselle cassée

Le gendarme
Un rhume c’est exquis

Le mari
Atchi
Tambour. Le mari relève sa jupe qui le gêne

Le gendarme
Femme légère
Il cligne de l’œil
Qu’importe puisque c’est une belle fille

Le mari
à part
Ma foi il a raison
Puisque ma femme est homme
Il est juste que je sois femme
Au gendarme pudiquement
Je suis une honnête femme-monsieur
Ma femme est un homme-madame
Elle a emporté le piano le violon l’assiette au beurre
Elle est soldat ministre merdecin

Le gendarme
Mère des seins

Le mari
Ils ont fait explosion mais elle est plutôt merdecine

Le gendarme
Elle est mère des cygnes
Ah ! combien chantent qui vont périr
Écoutez

Musette, air triste

Le mari
Il s’agit après tout de l’art de guérir les hommes

La musique s’en chargera
Aussi bien que toute autre panacée

Le gendarme
Ça va bien pas de rouspétance

Le mari
Je me refuse à continuer la conversation
Au mégaphone
Où est ma femme

Voix de femmes
dans les coulisses
Vive Tirésias
Plus d’enfants plus d’enfants

Tonnerre et grosse caisse
Le mari fait une grimace aux spectateurs et met à son oreille une main en cornet acoustique, tandis que le gendarme, tirant une pipe de sa poche, la lui offre. Grelots

Le gendarme
Eh ! fumez la pipe bergère
Moi je vous jouerai du pipeau

Le mari
Et cependant la Boulangère
Tous les sept ans changeait de peau

Le gendarme
Tous les sept ans elle exagère

Le peuple de Zanzibar accroche une pancarte contenant cette ritournelle qui reste là

EH ! FUMEZ LA PIPE BERGÈRE
MOI JE VOUS JOUERAI DU PIPEAU
ET CEPENDANT LA BOULANGÈRE
TOUS LES 7 ANS CHANGEAIT DE PEAU
TOUS LES 7 ANS ELLE EXAGÈRE

Le gendarme
Mademoiselle ou Madame je suis amoureux fou
De vous
Et je veux devenir votre époux

Le mari
Atchou
Mais ne voyez-vous pas que je ne suis qu’un homme

Le gendarme
Nonobstant quoi je pourrais vous épouser
Par procuration


Le mari
Sottises
Vous feriez mieux de faire des enfants

Le gendarme
Ah ! par exemple

Voix d’hommes
dans les coulisses
Vive Tirésias
Vive le général Tirésias
Vive le député Tirésias
L’accordéon joue une marche militaire

Voix de femmes
dans les coulisses
Plus d’enfants Plus d’enfants

Scène huitième[modifier]

Les mêmes, le kiosque

Le kiosque où s’anime le bras de la marchande se déplace lentement vers l’autre bout de la scène

 
Le mari
Fameux représentant de toute autorité
Vous l’entendez c’est dit je crois avec clarté
La femme à Zanzibar veut des droits politiques


Et renonce soudain aux amours prolifiques
Vous l’entendez crier Plus d’enfants Plus d’enfants
Pour peupler Zanzibar il suffit d’éléphants
De singes de serpents de moustiques d’autruches
Et stériles comme est l’habitante des ruches
Qui du moins fait la cire et butine le miel
La femme n’est qu’un neutre à la face du ciel
Et moi je vous le dis cher Monsieur le gendarme
Au mégaphone
Zanzibar a besoin d’enfants sans mégaphone donnez l’alarme
Criez au carrefour et sur le boulevard
Qu’il faut refaire des enfants à Zanzibar
La femme n’en fait plus Tant pis Que l’homme en fasse
Mais oui parfaitement je vous regarde en face
Et j’en ferai moi

Le gendarme et le kiosque
Vous

Le kiosque
au mégaphone que lui tend le mari
Elle sort un bobard
Bien digne qu’on l’entende ailleurs qu’à Zanzibar

Vous qui pleurez voyant la pièce
Souhaitez les enfants vainqueurs
Voyez l’impondérable ardeur
Naître du changement de sexe

Le mari
Revenez dès ce soir voir comment la nature
Me donnera sans femme une progéniture

Le gendarme
Je reviendrai ce soir voir comment la nature
Vous donnera sans femme une progéniture
Ne faites pas qu’en vain je croque le marmot
Je reviens dès ce soir et je vous prends au mot

Le kiosque
Comme est ignare le gendarme
Qui gouverne le Zanzibar
Le music-hall et le grand bar
N’ont-ils pas pour lui plus de charmes
Que repeupler le Zanzibar

==Scène huitième==

Les mêmes, Presto

 
Presto
chatouillant le mari
Comment faut-il que tu les nommes
Elles sont tout ce que nous sommes
Et cependant ne sont pas hommes

Le gendarme
Je reviendrai ce soir voir comment la nature
Vous donnera sans femme une progéniture

Le mari
Revenez donc ce soir voir comment la nature
Me donnera sans femme une progéniture

Tous
en chœur
Ils dansent, le mari et le gendarme accouplés, Presto et le kiosque accouplés et changeant parfois de compagnons. Le peuple de Zanzibar danse seul en jouant de l’accordéon
Eh ! fumez la pipe Bergère

Moi je vous jouerai du pipeau
Et cependant la Boulangère
Tous les sept ans changeait de peau
Tous les sept ans elle exagère

Rideau

==ACTE II==

Au même endroit, le même jour, au moment du coucher du soleil. Le même décor orné de nombreux berceaux où sont les nouveau-nés. Un berceau est vide auprès d’une bouteille d’encre énorme, d’un pot à colle gigantesque, d’un porteplume démesuré et d’une paire de ciseaux de bonne taille.

[Chœurs]

==Scène première==


Le peuple de Zanzibar, le mari

Le mari
Il tient un enfant dans chaque bras. Cris continus d’enfants sur la scène, dans les coulisses et dans la salle pendant toute la scène ad libitum. On indique seulement quand, et où ils redoublent
Ah ! c’est fou les joies de la paternité
40049 enfants en un seul jour
Mon bonheur est complet
Silence silence
Cris d’enfants au fond de la scène
Le bonheur en famille
Pas de femme sur les bras
Il laisse tomber les enfants
Silence
Cris d’enfants sur le côté gauche de la salle
C’est épatant la musique moderne
Presque aussi épatant que les décors des nouveaux peintres
Qui florissent loin des Barbares

arbares

À Zanzibar
Pas besoind’aller aux ballets russes ni au Vieux-Colombier
Silence silence
Cris d’enfants sur le côté droit de la salle
Grelots
Il faudrait peut-être les mener à la baguette
Mais il vaut mieux ne pas brusquer les choses
Je vais leur acheter des bicyclettes
Et tous ces virtuoses
Iront faire
Des concerts
En plein air
Peu à peu les enfants se taisent, il applaudit
Bravo bravo bravo
On frappe
Entrez

Scène deuxième[modifier]

Les mêmes, le journaliste parisien

Le journaliste
Sa figure est nue, il n’a que la bouche. Il entre en dansant
Accordéon

Hands up

Bonjour Monsieur le mari
Je suis correspondant d’un journal de Paris

Le mari
De Paris
Soyez le bienvenu

Le journaliste
fait le tour de la scène en dansant
Les journaux de Paris au mégaphone ville de l’Amérique
Sans mégaphone
Hourra
Un coup de revolver, le journaliste déploie le drapeau américain
Ont annoncé que vous avez trouvé
Le moyen pour les hommes
De faire des enfants
Le journaliste replie le drapeau et s’en fait une ceinture

Le mari
Cela est vrai

Le journaliste
Et comment ça

Le mari
La volonté Monsieur elle nous mène à tout

Le journaliste
Sont-ils nègres ou comme tout le monde

Le mari
Tout cela dépend du point de vue où l’on se place
Castagnettes

Le journaliste
Vous êtes riche sans doute
Il fait un tour de danse

Le mari
Point du tout

Le journaliste
Comment les élèverez-vous ?

Le mari
Après les avoir nourris au biberon
J’espère que ce sont eux qui me nourriront

Le journaliste
En somme vous êtes quelque chose comme une fille-père
Ne serait-ce pas chez vous instinct paternel maternisé

Le mari
Non c’est cher Monsieur tout à fait intéressé

L’enfant est la richesse des ménages
Bien plus que la monnaie et tous les héritages
Le journaliste note
Voyez ce tout petit qui dort dans son berceau
L’enfant crie. Le journaliste va le voir sur la pointe des pieds
Il se prénomme Arthur et m’a déjà gagné
Un million comme accapareur de lait caillé
Trompette d’enfant

Le journaliste
Avancé pour son âge

Le mari
Celui-là Joseph l’enfant crie est romancier
Le journaliste va voir Joseph
Son dernier roman s’est vendu à 600 000 exemplaires
Permettez que je vous en offre un
Descend un grand livre-pancarte à plusieurs feuillets sur lesquels on lit au premier feuillet :

QUELLE CHANCE !
ROMAN

Le mari
Lisez-le à votre aise

Le journaliste se couche, le mari tourne les autres feuillets sur lesquels on lit à raison d’un mot par feuillet

UNE DAME QUI S’APPELAIT CAMBRON

Le journaliste
se relève et au mégaphone
Une dame qui s’appelait Cambron
Il rit au mégaphone sur les quatre voyelles : a, é, i, o

Le mari
Il y a cependant là une manière polie de s’exprimer

Le journaliste
sans mégaphone
Ah ! ah ! ah ! ah !

Le mari
Une certaine précocité

Le journaliste
Eh ! eh !

Le mari
Qui ne court point les rues

Le journaliste
Hands up

Le mari
Enfin tel qu’il est
Le roman m’a rapporté
Près de 200 000 francs
Plus un prix littéraire
Composé de 20 caisses de dynamite


Le journaliste
se retire à reculons
Au revoir

Le mari
N’ayez pas peur elles sont dans mon coffre-fort à la banque

Le journaliste
All right
Vous n’avez pas de fille

Le mari
Si fait celle-ci divorcée
Elle crie. Le journaliste va la voir
Du roi des pommes de terre
En reçoit une rente de 100 000 dollars
Et celle-ci (elle crie) plus artiste que quiconque à Zanzibar
Le journaliste s’exerce à boxer
Récite de beaux vers par les mornes soirées
Ses feux et ses cachets lui rapportent chaque an
Ce qu’un poète gagne en cinquante mille ans

Le journaliste
Je vous félicite my dear
Mais vous avez de la poussière

Sur votre cache-poussière
Le mari sourit comme pour remercier le journaliste qui tient le grain de poussière à la main
Puisque vous êtes si riche prêtez-moi cent sous

Le mari
Remettez la poussière
Tous les enfants crient. Le mari chasse le journaliste à coups de pied. Celui-ci sort en dansant

Scène troisième[modifier]

Le peuple de Zanzibar, le mari

Le mari
Eh oui c’est simple comme un périscope
Plus j’aurai d’enfants
Plus je serai riche et mieux je pourrai me nourrir
Nous disons que la morue produit assez d’œufs en un jour
Pour qu’éclos ils suffisent à nourrir de brandade et d’aïoli
Le monde entier pendant une année entière
N’est-ce pas que c’est épatant d’avoir une nombreuse famille
Quels sont donc ces économistes imbéciles

Qui nous ont fait croire que l’enfant
C’était la pauvreté
Tandis que c’est tout le contraire
Est-ce qu’on a jamais entendu parler de morue morte dans la misère
Aussi vais-je continuer à faire des enfants
Faisons d’abord un journaliste
Comme ça je saurai tout
Je devinerai le surplus
Et j’inventerai le reste
Il se met à déchirer avec la bouche et les mains des journaux, il trépigne. Son jeu doit étre très rapide
Il faut qu’il soit apte à toutes les besognes
Et puisse écrire pour tous les partis
Il met les journaux déchirés dans le berceau vide
Quel beau journaliste ce sera
Reportage articles de fond
Et cætera
Il lui faut un sang puisé dans l’encrier
Il prend la bouteille d’encre et la verse dans le berceau
Il lui faut une épine dorsale
Il met un énorme porte-plume dans le berceau
De la cervelle pour ne pas penser
Il verse le pot à colle dans le berceau

Une langue pour mieux baver
Il met les ciseaux dans le berceau
Il faut encore qu’il connaisse le chant
Allons chantez
Tonnerre

Scène quatrième[modifier]

Les mêmes, le fils

Le mari répète : «une, deux !» jusqu’à la fin du monologue du fils. Cette scène se passe très rapidement

Le fils
se dressant dans le berceau
Mon cher papa si vous voulez savoir enfin
Tout ce qu’ont fait les aigrefins
Faut me donner un petit peu d’argent de poche
L’arbre d’imprimerie étend feuilles et feuilles
Qui vous claquent au vent comme des étendards
Les journaux ont poussé faut bien que tu les cueilles
Fais-en de la salade à nourrir tes moutards
Si vous me donnez cinq cents francs
Je ne dis rien de vos affaires
Sinon je dis tout je suis franc

Et je compromets père sœurs et frères
J’écrirai que vous avez épousé
Une femme triplement enceinte
Je vous compromettrai je dirai
Que vous avez volé tué donné sonné barbé

Le mari
Bravo voilà un maître chanteur
Le fils sort du berceau

Le fils
Mes chers parents en un seul homme
Si vous voulez savoir ce qui s’est passé hier soir
Voici
Un grand incendie a détruit les chutes du Niagara

Le mari
Tant pis

Le fils
Le beau constructeur Alcindor
Masqué comme les fantassins
Jusqu’à minuit joua du cor
Pour un parterre d’assassins

Et je suis sûr qu’il sonne encore

Le mari
Pourvu que ce ne soit pas dans cette salle

Le fils
Mais la Princesse de Bergame
Épouse demain une dame
Simple rencontre de métro
Castagnettes

Le mari
Que m’importe est-ce que je connais ces gens-là
Je veux de bonnes informations qui me parlent de mes amis

Le fils
Il fait remuer un berceau
On apprend de Montrouge
Que Monsieur Picasso
Fait un tableau qui bouge
Ainsi que ce berceau

Le mari
Et vive le pinceau
De l’ami Picasso

Ô mon fils
À une autre fois je connais maintenant
Suffisamment
La journée d’hier

Le fils
Je m’en vais afin d’imaginer celle de demain

Le mari
Bon voyage
Exit le fils

Scène cinquième[modifier]

Le peuple de Zanzibar, le mari

Le mari
Celui-ci n’est pas réussi
J’ai envie de le déshériter
À ce moment arrivent des radios-pancartes

OTTAWA
INCENDIE ÉTABLISSEMENTS J. C. B. stop 20 000 POÈMES EN PROSE CONSUMÉS stop PRÉSIDENT ENVOIE CONDOLÉANCES

ROME
H. NR. M. T. SS. DIRECTEUR VILLA MÉDICIS ACHÈVE PORTRAIT SS

AVIGNON
GRAND ARTISTE G.. RG. S BRAQUE VIENT INVENTER PROCÉDÉ CULTURE INTENSIVE DES PINCEAUX

VANCOUVER RETARDÉ DANS LA TRANSMISSION
CHIENS MONSIEUR LÉAUT..D EN GRÈVE

Le mari
Assez assez
Quelle fichue idée j’ai eue de me fier à la Presse
Je vais être dérangé
Toute la sainte journée
Il faut que ça cesse
Au mégaphone
Allô allô Mademoiselle
Je ne suis plus abonné au téléphone
Je me désabonne
Sans mégaphone
Je change de programme pas de bouches inutiles
Économisons économisons
Avant tout je vais faire un enfant tailleur

Je pourrai bien vêtu aller en promenade
Et n’étant pas trop mal de ma personne
Plaire à mainte jolie personne

Scène sixième[modifier]

Les mêmes, le gendarme

Le gendarme
Il paraît que vous en faites de belles
Vous avez tenu parole
40 050 enfants en un jour
Vous secouez le pot-de-fleurs

Le mari
Je m’enrichis

Le gendarme
Mais la population Zanzibarienne
Affamée par ce surcroît de bouches à nourrir
Est en passe de mourir de faim


Le mari
Donnez-lui des cartes ça remplace tout

Le gendarme
Où se les procure-t-on ?

Le mari
Chez la cartomancienne

Le gendarme
Extra-lucide

Le mari
Parbleu puisqu’il s’agit de prévoyance

Scène septième[modifier]

Les mêmes, la cartomancienne

La cartomancienne
Elle arrive du fond de la salle. Son crâne est éclairé électriquement
Chastes citoyens de Zanzibar me voici

Le mari
Encore quelqu’un
Je n’y suis pour personne

La cartomancienne
J’ai pensé que vous ne seriez pas fâchés
De savoir la bonne aventure

Le gendarme
Vous n’ignorez pas Madame
Que vous exercez un métier illicite
C’est étonnant ce que font les gens
Pour ne point travailler

Le mari
au gendarme
Pas de scandale chez moi

La cartomancienne
à un spectateur
Vous Monsieur prochainement
Vous accoucherez de trois jumeaux

Le mari
Déjà la concurrence

Une dame
(spectatrice dans la salle)
Madame la Cartomancienne
Je crois bien qu’il me trompe
Vaisselle cassée

La cartomancienne
Conservez-le dans la marmite norvégienne
Elle monte sur la scène, cris d’enfants, accordéon
Tiens une couveuse artificielle

Le mari
Seriez-vous le coiffeur coupez-moi les cheveux

La cartomancienne
Les demoiselles de New-York
Ne cueillent que les mirabelles
Ne mangent que du jambon d’York
C’est là ce qui les rend si belles

Le mari
Ma foi les dames de Paris
Sont bien plus belles que les autres
Si les chats aiment les souris
Mesdames nous aimons les vôtres

La cartomancienne
C’est-à-dire vos sourires

Tous
en chœur
Et puis chantez matin et soir

Grattez-vous si ça vous démange
Aimez le blanc ou bien le noir
C’est bien plus drôle quand ça change
Suffit de s’en apercevoir
Suffit de s’en apercevoir

La cartomancienne
Chastes citoyens de Zanzibar
Qui ne faites plus d’enfants
Sachez que la fortune et la gloire
Les forêts d’ananas les troupeaux d’éléphants
Appartiennent de droit
Dans un proche avenir
À ceux qui pour les prendre auront fait des enfants
Tous les enfants se mettent à crier sur la scène et dans la salle. La cartomancienne fait les cartes qui tombent du plafond. Puis les enfants se taisent
Vous qui êtes si fécond

Le mari et le gendarme
Fécond fécond

La cartomancienne
au mari
Vous deviendrez 10 fois milliardaire
Le mari tombe assis par terre

La cartomancienne
au gendarme
Vous qui ne faites pas d’enfants
Vous mourrez dans la plus affreuse des débines

Le gendarme
Vous m’insultez
Au nom de Zanzibar je vous arrête

La cartomancienne
Toucher une femme quelle honte
Elle le griffe et l’étrangle. Le mari lui tend une pipe

Le mari
Eh ! fumez la pipe Bergère
Moi je vous jouerai du pipeau
Et cependant la Boulangère
Tous les sept ans changeait de peau

La cartomancienne
Tous les sept ans elle exagère

Le mari
En attendant je vais vous livrer au commissaire
Assassine

Thérèse
se débarrassant de ses oripeaux de cartomancienne
Mon cher mari ne me reconnais-tu pas

Le mari
Thérèse ou bien Tirésias
Le gendarme ressuscite

Thérèse
Tirésias se trouve officiellement
À la tête de l’Armée à la Chambre à l’Hôtel de Ville
Mais sois tranquille
Je ramène dans une voiture de déménagement
Le piano le violon l’assiette au beurre
Ainsi que trois dames influentes dont je suis devenu l’amant

Le gendarme
Merci d’avoir pensé à moi

Le mari
Mon général mon député
Je me trompe Thérèse
Te voilà plate comme une punaise

Thérèse
Qu’importe viens cueillir la fraise

Avec la fleur du bananier
Chassons à la Zanzibaraise
Les éléphants et viens régner
Sur le grand cœur de ta Thérèse

Le mari
Thérèse

Thérèse
Qu’importe le trône ou la tombe
Il faut s’aimer ou je succombe
Avant que ce rideau ne tombe

Le mari
Chère Thérèse il ne faut plus
Que tu sois plate comme une punaise
Il prend dans la maison un bouquet de ballons et un panier de balles
En voici tout un stock

Thérèse
Nous nous en sommes passés l’un et l’autre
Continuons

Le mari
C’est vrai ne compliquons pas les choses

Allons plutôt tremper la soupe

Thérèse
Elle lâche les ballons et lance les balles aux spectateurs
Envolez-vous oiseaux de ma faiblesse
Allez nourrir tous les enfants
De la repopulation

Tous
en chœur
Le peuple de Zanzibar danse en secouant des grelots
Et puis chantez matin et soir
Grattez-vous si ça vous démange
Aimez le blanc ou bien le noir
C’est bien plus drôle quand ça change
Suffit de s’en apercevoir

Rideau

  1. Pour me laver de tout reproche touchant l’usage des mamelles en caoutchouc voici un extrait des journaux prouvant que ces organes étaient de la plus stricte légalité.
    « Interdiction de la vente des tétines autres que celles en caoutchouc pur, vulcanisé à chaud. — À la date du 28 février dernier, a été promulguée au « Journal officiel » la loi du 26 février 1917. modifiant l’article Ier de la loi du 6 avril 1910, qui ne visait que l’interdiction des biberons à tube.
    Le nouvel article Ier de cette loi est désormais ainsi conçu :
    « Sont interdites la vente, la mise en vente, l’exposition et l’importation :
    « 1o Des biberons à tube ;
    « 2o Des tétines et des sucettes fabriquées avec d’autres produits que le caoutchouc pur, vulcanisées par un autre procédé que la vulcanisation à chaud, et ne portant point, avec la marque du fabricant ou du commerçant, l’indication spéciale : « caoutchouc pur ».
    Sont donc seules autorisés les tétines et sucettes fabriquées avec du caoutchouc pur et vulcanisées à chaud.