Les Muses françaises/Mme de la Suze

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Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 106-110).




MADAME DE LA SUZE




Henriette de Coligny qui, sous le nom de Madame de la Suze, fut célèbre par sa beauté, par ses aventures et par ses vers, était fille de Gaspard de Coligny, seigneur de Châtillon, maréchal de France. Née à Paris, en 1618, elle épousa, en 1643, Thomas Hamilton, comte de Hadington, seigneur écossais, qu’elle suivit à Oxford puis à Edimbourg. Veuve au bout d’un an de mariage elle revint à Paris et épousa, en 1647, Gaspard de Champagne, comte de la Suze, « huguenot, borgne, ivrogne et endetté ». Une fois remariée, la vie d’Henriette de Coligny est loin d’être édifiante — et on a peine à lui accorder les circonstances atténuantes, malgré que sa répugnance pour son légitime mari soit bien naturelle. — En 1653, autant pour se débarrasser de ce mari gênant que pour se livrer plus aisément à ses goûts de galanterie, c’est-à-dire, pour jouir de sa complète liberté, elle abjure le protestantisme pour la religion catholique.

Elle ne sera cependant libérée de Gaspard de Champagne que le jour où celui-ci passera en Allemagne pour éviter le châtiment que lui aurait mérité son rôle dans le parti de la Fronde.

Elle emploie dès lors tout son temps à rimer et à tenir salon. Sa maison, ouverte à tous venants, devient comme une succursale de l’hôtel de Rambouillet et les auteurs du temps le célébrèrent à l’envi :

Nul d’entre les mortels ne la peut égaler.
Le maître des neuf Sœurs ne serait pas son maître.
Pour faire des captifs, elle n’a qu’à paraître
Et pour faire des vers elle n’a qu’à parler.

Bois-Robert, lui adresse sa IXe Épître, Ménage et Cotin on font une déesse.

Mlle de Scudéry, dans sa Clélie, trace d’elle ce portrait « Elle avait la taille de Palas et sa beauté et je ne sais quoi de doux, de languissant et de passionné qui ressemble assez à cet air charmant que les peintres donnent à Vénus ».

Largillière l’a représentée dans une de ses toiles, assise dans un char roulant sur des nuages.

Le Louvre en fait tout son plaisir
Et le Parnasse en fait sa gloire :


rimait Charleval de son côté.

Tant de louanges devaient griser d’orgueil la belle Doralise, comme Saumalze la désigne dans son Dictionnaire des Précieuses. Aujourd’hui, il nous faut quelque peu rabattre de cet enthousiasme, du moins pour ce qui concerne les vers de Mme de la Suze. On trouve, en effet, parfois un sentiment assez vif dans ses élégies, ses madrigaux et ses chansons, mais son style manque de relief. On ne peut nier une certaine habileté de métier, mais il n’y a pas d’originalité et, dans l’instant même où elle montre le plus de naturel, on sent encore la recherche.

Du reste, dans les nombreuses et diverses éditions des Recueils de poésies, publiées sous son nom et sous celui de Pellisson qui fut son ami combien de pièces lui appartenaient en propre ? Il a fallu l’érudition et la patience de M. Émile Magne pour nous fixer sur ce point. Aussi bien, renvoyons-nous à son ouvrage les lecteurs curieux d’aller au fond de cette question.

Un détail qui vaut la peine d’être rapporté nous est donné par un contemporain sur la manière dont Mme de la Suze écrivait : on la trouvait quelquefois parée de grand matin et elle répondait à ceux qui s’en étonnaient : C’est que j’ai à écrire. Mme de la Suze avait, en effet, bien avant Buffon, pour habitude de s’habiller avec soin avant de prendre la plume.

Elle mourut au mois de mars 1673 et fut inhumée dans l’église Saint-Paul.

Portant un jugement sur l’œuvre et l’influence de Mme de la Suze M. Émile Magne conclut ainsi : « Elle écrit pour se distraire, parce que la mode ou parce que l’amour lui commande d’écrire. Mais, dans la société qui l’environne, elle exerce une influence bienfaisante. Sa ruelle perpétue l’atmosphère de Rambouillet. Les contemporains la comprennent parmi celles où se rénovent le sentiment de l’élégance et le raffinement du langage. Elle est un centre d’émulation poétique. Les plus délicats esprits s’y conjoignent. Molière l’excepte des vindictes de la raison et de la clarté. Elle se différencie totalement des alcôves où vivent en communauté des péronnelles façonnières. Il en demeure, à travers le temps, un rayon de grâce et de politesse… »

CONSULTER : Émile Magne : Madame de la Suze et la société précieuse, 1 vol. in-18, Paris, 1908.

On trouvera dans ce remarquable travail tous les renseignements désirables sur Mme de la Suze, son milieu, son œuvre. Ce livre nous dispense d’indiquer d’autres références.

LÉGIE

Belle et sage Daphné, merveille de nos jours,
Que toutes les vertus accompagnent toujours,
Et qui connais si bien leurs grâces naturelles,
Que tu n’as jamais pris leur fantôme pour elles ;
Illustre et chère amie, à qui dans mes malheurs
J’ai toujours découvert mes secrètes douleurs,
Qui sais ce que l’on doit ou désirer ou craindre.
Et qui ne blâmes pas ce qu’on ne doit que plaindre.
Écoute mes ennuis, soulages-en le faix,
J’ai bien plus à te dire aujourd’hui que jamais,
Et tes prudents conseils, tant de fois salutaires,
Ne me sauraient jamais être plus nécessaires.
Défends ma liberté, ma Daphné, je combats
Un dieu dont j’ai souvent méprisé les appas,
Qui, lassé de me voir insensible à ses charmes,

A pris pour m’asservir ses plus puissantes armes,
Ah ! que je l’appréhende avecque tant d’attraits !
C’est le jeune Tircis qui lui fournit ses traits,
Tircis, de tous les cœurs le charme inévitable,
Tircis, en qui reluit tout ce qui rend aimable.
Et dont le ciel prodigue, à verser ses trésors,
Ne forma que trop bien et l’esprit et le corps :
Ce mérite pourtant dont la force est si douce,
N’est pas le seul sujet des soupirs que je pousse ;
Avec ses qualités, je l’aurais estimé
Mais je n’aimerais point, s’il n’avait point aimé ;
Pour tout autre que lui je serais invincible.
Jamais autre que lui ne me rendit sensible,
Et je ne croyais pas l’amour contagieux.
Lorsque, sans y penser, je le vis dans ses yeux
D’un péril si charmant mon âme fut surprise.
Et dès ce premier coup craignit pour sa franchise ;
Son courage ordinaire alors se démentit
Et mon cœur soupira des maux qu’il pressentit ;
Il a par mille efforts tâché de se défendre.
Mais je sens bien qu’enfin il est près de se rendre.
Et ma faible raison, dans ce mortel danger,
Le trahit elle-même et sert à l’engager.
Si mon repos, est cher, si ma gloire t’est chère.
En l’état où je suis, dis-moi, que dois-je faire ?
Quand je croirai Tircis plus fort que mon devoir.
Me faudra-t-il résoudre à ne jamais le voir ?
Par un effet cruel, dont le penser me tue,
Priverai-je mes yeux d’une si douce vue ?…
Mais, Dieux ! Ce ne serait qu’une vaine rigueur,
Et je ne puis jamais l’arracher de mon cœur !
Hélas ! en tous endroits tu sauras que sans cesse,
Cet aimable gardon me tourmente et me presse,
Les amours, diligents à servir ses désirs,
À toute heure, en tous lieux m’apportent ses soupirs.
M’expriment ses ennuis, ses transports et ses craintes.
Et d’un air languissant me redisent ses plaintes.
Enfin, il suit partout la trace de mes ]ms.
Et je le trouve même où je ne le vois pas.
Quand j’espérais encor de l’ôter de mon âme.
Souvent dans le désir de surmonter sa flamme,
J’évitais ses regards comme un charme fatal ;
Car je me doutais bien qu’aimer était un mal ;
Mais, aimable Daphné, j’avais beau me défendre,

Ces subtils enchanteurs savaient bien me surprendre ;
Et c’est ainsi qu’Amour, renversant mes projets,
Va réduire mon cœur au rang de ses sujets.
Dans un si triste état, de mon sort, incertaine,
Ah ! que j’ai dit de fois, en levant à ma peine :
Désirable repos, aimable liberté
Unique fondement de la félicité,
Sans qui l’on ne vit pas, pour qui chacun soupire,
Faut-il donc qu’un tyran usurpe votre empire ?
Qu’il me fasse oublier vos charmes les plus doux ?
Et que ses seuls tourments me plaisent plus que vous ?
Faut-il que je m’expose à ces Esprits sévères,
Qui ne connaissent pas les amoureux mystères ?
Qui répandent sur tout leur venin dangereux
Et ne sauraient souffrir ce qu’on n’a pas pour eux ?
Et qui pis est, disais-je, hélas ! Si je m’engage,
Peut-être un jour Tircis infidèle et volage.
Fera dedans mon cœur naître autant de soupirs
Que j’aurai pris de soins à flatter ses désirs.
On sait de cent beautés les tristes aventures.
Et l’empire amoureux est rempli de parjures ;
C’est ce que j’opposais à ses plus doux poisons.
Mais l’amour est plus fort que toutes les raisons.
Le destin veut que j’aime, il faut le satisfaire,
Il n’y résiste plus, hé î qu’y pourrais-je faire ?
Ces maîtres des mortels, les Dieux, lui cèdent bien.
Tes conseils seraient vains, Daphné, ne me dis rien ;
Laisse-moi soupirer, ma peine est sans remède,
Mon cœur est trop charme du feu qui me possède.
Une douce langueur occupe mes esprits.
Et, perdant tout espoir, je sens que je t’écris.
Non pour chercher la fin de ma douleur extrême.
Mais plutôt, ma Daphné, pour t’ apprendre que j’aime.
Si tu blâmes un mal où je vois tant d’appas,
Plains une malheureuse, et ne l’accuse pas.


MADRIGAL.

Non, non, quoiqu’il ait quelques charmes.
Ce n'est point pour Lisis que je verse des larmes ;
L’auteur de mes ennuis n’est pas mal avec vous ;
Sans le nommer, je peut vous dire
Que vous avez grand tort de paraître jaloux
De celui pour qui je soupire.