Les Muses françaises/Victoire Babois

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Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 168-172).


VICTOIRE BABOIS




Jean-Baptiste Babois et Marguerite Lapoulide, sa femme, étaient d’aisés commerçants de Versailles. Ils eurent une fille, Marguerite-Victoire, qui naquit le 8 Octobre 1760.

L’éducation de la petite Victoire, selon ses propres expressions, fut bornée aux instructions convenables à son sexe. C’est-à-dire qu’elle n’apprit pas grand chose. Comme elle était sérieuse et restait volontiers à la maison, elle lisait. Son auteur favori était Racine.

Au demeurant. Victoire Babois n’était pas heureuse, elle ne devait d’ailleurs jamais l’être. — Jeune fille, ses parents contrarient ses goûts pour l’étude ; mariée, elle ne sera guère mieux partagée… mère, tout son besoin d’affection se portera sur sa fille, mais la mort jalouse lui ravira bientôt le doux objet de sa tendresse. Elle aura été vraiment, ainsi qu’elle l’a écrit :

Amie, épouse, fille et mère infortunée.

Elle avait épousé un certain M. Vict.

Ce fut la perte de sa fille qui lui dicta ses premières poésies, ces Élégies qui eurent, dans leur temps, un très grand retentissement.

Ducis lui écrivait :

« Née pour être amante, épouse, mère et patriote passionnée, pour être excellente fille, fidèle et généreuse amie, vous avez dû souffrir beaucoup. Telle a été votre destinée. Mais, votre douleur maternelle, confiée à vos éloquentes élégies, vivra longtemps dans vos vers ! »

Peut-être le bon Ducis s’exagérait-il quelque peu la durée de la réputation de celle dont il avait fait sa nièce adoptive. Mais, pour de vrai, ces élégies sont le meilleur de l’œuvre de Victoire Babois. On y rencontre des vers bien frappés, et le sentiment sincère qui les a inspirées leur donne le mouvement et l’émotion qui font trop souvent défaut aux autres pièces de l’auteur.

Victoire Babois mourut le 8 mars 1839.

BIBLIOGRAPHIE : Élégies et poésies diverses, Paris, 1810, in-8o, — même ouvrage, Paris 1828, 2 vol. in-12. — Élégie sur la mort de Ducis, Versailles, 1816 in-8o. — Deux romances (la petite Harpiste, ou l’Amour au Mont-Géant) Paris, 1816. — Élégies sur la mort de sa fille, Paris, an xiii, in-12. — Épître aux romantiques, Paris 1830, in-18.

Il faut encore ajouter à ces diverses éditions, une pièce, à Ma Muse, Insérée à la suite de la notice que Mlle Sophie Ulliac Tremadeure a consacrée à Mme Babois dans la Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises, Paris, 1836, in-8o.


ÉLÉGIE

Toi qui fis de mes jours le charme et le tourment,
Toi que tant de soupirs rappellent vainement,
Ma fille ! cher objet d’amour et de souffrance,

Oh ! laisse mes regards errer sur ton enfance :
Rends à mon cœur trompé ces jours remplis d’appas
Où mes plus tendres soins ne me rassuraient pas.
Tu croissais sous mes yeux quand tu me fus ravie ;
En naissant sur ton front la rose s’est flétrie,
Et la Mort s’avançait pour tromper mon espoir.
Quand mes yeux s’enivraient du plaisir de te voir.
Dans l’ombre de la nuit ma craintive tendresse.
Auprès de ton berceau me ramenait sans cesse.
Combien de fois, hélas ! le retour du soleil
Me vit pâle et tremblante attendre ton réveil,
Et mon âme attachée à ta paisible couche
S’ouvrir au doux souris qui naissait sur ta bouche ?
Tes baisers innocents faisaient passer mon cœur
Des pleurs de la tristesse aux larmes du bonheur ;
Sur mon sein ranimé quand tu puisais la vie,
Quand tes yeux se fixaient sur ta mère attendrie.
Quand ton front me peignait le naïf enjouement,
Ah ! qu’alors mes ennuis s’oubliaient aisément !

Dans ton cœur ingénu je me plaisais à lire ;
Souvent je t’écoutais pour apprendre à t’instruire ;
Tes caresses, ta voix, tes regards si touchants
A ta mère attendrie annonçaient tes penchants.
Conduite par mes soins, la raison, pour te plaire,
Se mêlant à tes jeux, perdait son air austère ;
Et si tous les talents venaient m’environner,
Je ne les cultivais que pour te les donner.
De toute fausse idée éloignant l’imposture,
J’aimais à conserver ton âme libre et pure :
Mais pour la vérité laissant mûrir ton cœur.
Je croyais faire assez en faisant ton bonheur ;
Et dans mes yeux charmés tort aimable innocence
En cherchant sa leçon trouvait sa récompense.

Celui qui sait de Flore enchaîner la faveur
Dans le bouton qui naît prévoit déjà la fleur.
Ainsi, dans ton esprit avide de culture.
Mes désirs inquiets devinaient la nature ;
Et, dans ces doux travaux conduite par l’amour,
J’amassais en secret pour t’enrichir un jour.
En soins ingénieux la tendresse est fertile,
Et le cœur à l’esprit sait rendre tout facile.

Quel changement terrible hélas ! ces heureux jours,
En vain je les rappelle, ils ont fui pour toujours.

Depuis l’instant affreux où tu me fus ravie,
Et qui dut être, hélas ! le dernier de ma vie.
Ma jeunesse s’écoule en regrets impuissants.
Et toujours superflus et toujours renaissants.
Rien ne peut de mon cœur tromper l’inquiétude.
Rien ne peut de t’aimer remplacer l’habitude.
Mes vœux n’ont point d’objet, mon âme est sans désir.
Je n’ai plus devant moi qu’un éternel loisir ;
Et le sommeil suspend l’ennui qui me consume,
Pour me le rendre encore avec plus d’amertume.
Hélas ! les soins touchants, les pleurs de la pitié,
Tout aigrit ma douleur, et je fuis l’amitié.
Elle me cherche en vain, en vain toujours plus tendre.
Elle poursuit un cœur qui ne peut plus l’entendre.
Sa voix, sa douce voix, réclamant son pouvoir.
Vainement dans mon âme ouverte au désespoir,
De la froide raison rappelle la constance ;
Le courage n’est plus où n’est plus l’espérance.


LE SAULE DES REGRETS


Saule, cher à l’Amour et cher à la Sagesse,
Tu vis l’autre printemps sous ton heureux rameau.
Un chantre aimé des dieux moduler sa tristesse,
Et l’onde vint plus fière enfler ton doux ruisseau.
 
Sur le feuillage ému, sur le flot qui murmure.
L’Amour a conservé ses soupirs douloureux.
Moi, je te viens offrir les pleurs de la nature :
Ne dois-tu pas ton ombre à tous les malheureux ?

Dans ce même vallon, doux saule, j´étais mère !
Mon âme s’enivrait d’amour et de bonheur ;
Dans ce même vallon, seule avec ma misère.
Je n’ai que ton abri, mes regrets et mon cœur.

Ma fille a respiré l’air pur de ton rivage ;
Elle a cueilli des fleurs sur ces gazons touffus.
Les charmes innocents, les grâces de son âge
Ont embelli ces lieux : doux saule, elle n’est plus !

J’aimais à contempler sa touchante figure
Dans le cristal mouvant de ce faible ruisseau ;

J’y trouvais son souris, sa blonde chevelure !…
Hélas ! je cherche encore, et n’y vois qu’un tombeau.

Cesse de protéger la tranquille sagesse ;
A l’Amour étonné retire tes bienfaits ;
Je viens, loin des heureux t’ apporter ma détresse ;
Sois l’asile des pleurs, sois l’arbre des regrets.

Dérobe à tous les yeux ce douloureux mystère ;
Que ton ombre épaissie enveloppe mon sort ;
Sous tes pâles rameaux retombant vers la terre.
Enferme autour de moi le silence et la mort.

Dieux ! tu m’entends : déjà sur ta tige flétrie
La fleur perd son éclat, la feuille sa fraîcheur.
Doux saule, tu me peins le terme de la vie ;
Hélas ! tu veux aussi mourir de ma douleur.

Ton aspect dans mon cœur vient d’arrêter mes larmes !
Ah ! laisse-moi du moins le pouvoir de gémir ;
De mes regrets plaintifs rends-moi les tristes charmes :
Je le sens, il me faut ou pleurer ou mourir.

Lorsqu’assis à tes pieds, sous les vents en furie.
Le sage voit ton front se courber sans effort,
Il pardonne au destin, il supporte la vie :
Apprends-moi donc aussi qu’il faut céder au sort.

Ah ! rends-moi du printemps la fraîcheur renaissante ;
Rends à mon cœur flétri ses dons trop tôt perdus ;
Rends-moi les arts, la paix, l’amitié plus touchante…
Mais, non, ne me rends rien : doux saule, elle n’est plus !