Les Papillons (Nerval)

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Eugène Didier (p. 37-40).

LES PAPILLONS

I

Le papillon ! fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l’on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie
Harmonie
Entre la plante et l’oiseau !…

Quand revient l’été superbe,
Je m’en vais au bois tout seul :
Je m’étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour,
Passe, comme une pensée
De poésie ou d’amour !

Voici le papillon Faune,
Noir et jaune :

Voici le Mars azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D’un velours riche et moiré.

Voici le Vulcain rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le Soufré, dans l’espace,
Comme un éclair a relui…
Mais le joyeux Nacré passe,
Et je ne vois plus que lui !


II


Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d’argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D’un or verdâtre et changeant.


Voici le Machaon-Zèbre,
De fauve et de noir rayé ;
Le Deuil, en habit funèbre,
Et le Miroir bleu strié ;
Voici l’Argus, feuille-morte,
Le Morio, le Grand-Bleu,
Et le Paon-de-jour qui porte
Sur chaque aile un œil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les Phalènes
Prennent leur essor bruyant,
Et les Sphinx aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.

C’est le Grand-Paon à l’œil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu’à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le Bombice du troène,
Rayé de jaune et de vert,

Et le papillon du chêne,
Qui ne meurt pas en hiver !…


III


Malheur, papillons que j’aime,
Doux emblème,
À vous pour votre beauté !…
Un doigt de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !…

Une toute jeune fille,
Au cœur tendre, au doux souris,
Perçant vos cœurs d’une aiguille,
Vous contemple, l’œil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l’ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !…