Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Marc/05

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 191-195).
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saint Marc


CHAPITRE V


JÉSUS CHASSE D’UN POSSÉDÉ UNE LÉGION DE DÉMONS QUI ENTRENT DANS DES POURCEAUX (Matth. viii, 28 sv. Luc, viii 26 sv.) — IL GUÉRIT L’HÉMORRHOÏSSE ET RESSUSCITE LA FILLE DE JAÏRE (Matth. ix, 18 sv. Luc, viii, 41 sv.).


1 Ayant passé la mer, ils arrivèrent au pays des Géraséniens[1]. Et comme Jésus descendait de la barque, tout à coup vint à lui, du milieu des sépulcres, un homme[2]possédé d’un esprit impur. Il faisait sa demeure dans les sépulcres ; et nul ne le pouvait tenir lié, même avec des chaînes. Car ayant eu souvent les fers aux pieds et les mains enchaînées, il avait rompu ses chaînes et brisé ses fers, et personne ne le pouvait dompter. Sans cesse, le jour et la nuit, il errait au milieu des sépulcres et sur les montagnes, criant et se meurtrissant avec des pierres. Voyant de loin Jésus, il accourut et l’adora ; et jetant un grand cri, il dit : Qu’y a-t-il de commun entre vous et moi, Jésus, fils du Dieu très-haut ? Je vous adjure au nom de Dieu, ne me tourmentez point. Car Jésus lui disait : Esprit impur, sors de cet homme. Et il lui demanda : Quel est ton nom ? Et il lui dit : Mon nom est Légion, parce que nous sommes plusieurs ; et il le priait instamment de ne point le chasser hors de ce pays[3]. Or il y avait là, le long de la montagne, un grand troupeau de porcs qui paissaient. Et les esprits suppliaient Jésus, disant : Envoyez nous dans ces pourceaux, afin que nous y entrions. Il le leur permit aussitôt, et les esprits impurs, sortant du possédé, entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau, d’environ deux mille, courut impétueusement se précipiter dans la mer et s’y noya. Ceux qui les gardaient s’enfuirent, et allèrent tout raconter dans la ville et dans les champs, et on sortait pour voir ce qui était arrivé. Ils vinrent à Jésus, et virent celui que les démons tourmentaient, assis, habillé et sain d’esprit, et ils furent saisis de crainte. Et ceux qui avaient été témoins du prodige leur ayant raconté ce qui était arrivé au possédé et aux pourceaux, ils se mirent à prier Jésus de s’éloigner de leur pays[4]. Comme il montait dans la barque, celui que le démon avait tourmenté le conjura de lui permettre de le suivre. Jésus ne le lui permit point ; mais il lui dit : Allez dans votre maison, auprès des vôtres, et annoncez-leur les grandes choses que le Seigneur, dans sa compassion pour vous, a faites en votre faveur[5]. Il s’en alla, et se mit à publier dans la Décapole les grandes choses que Jésus avait faites pour lui : et tous étaient dans l’admiration.

21 Jésus ayant de nouveau traversé la mer dans la barque, comme il était près du rivage[6], une grande foule s’assembla autour de lui. Il vint un chef de synagogue[7], nommé Jaïre, qui, le voyant, se jeta à ses pieds ; et il le priait avec instance[8], disant : Ma fille est à l’extrémité ; venez, imposez votre main sur elle, afin qu’elle guérisse et qu’elle vive. Et il s’en alla avec lui, et une grande multitude le suivait et le pressait.

25 Alors une femme affligée d’un flux de sang depuis douze années, et qui, après avoir beaucoup souffert de plusieurs médecins, et dépensé tout son bien, n’en éprouvait aucun soulagement, mais se trouvait dans un état pire, ayant entendu parler de Jésus, vint dans la foule par derrière et toucha son vêtement. Car elle disait : Si je touche seulement son vêtement, je serai guérie. Et aussitôt la source du sang tarit, et elle sentit en son corps qu’elle était guérie de son infirmité. Au même moment, Jésus connaissant en lui-même qu’une vertu était sortie de lui, se retourna vers la foule et dit : Qui a touché mes vêtements ? Ses disciples lui dirent : Vous voyez la foule qui vous presse de tous côtés, et vous demandez : Qui m’a touché ? Et il regardait autour de lui pour voir celle qui l’avait touché. Cette femme, tremblante de crainte, sachant ce qui s’était passé en elle, vint se jeter à ses pieds, et lui dit toute la vérité. Et il lui dit : Ma fille, votre foi vous a sauvée ; allez en paix, et soyez guérie[9] de votre infirmité.

35 Il parlait encore, lorsqu’on vint dire au chef de synagogue : Votre fille est morte, pourquoi fatiguer davantage le Maître ? Mais Jésus, ayant entendu cette parole, dit au chef de synagogue : Ne craignez point, croyez seulement. Et il ne permit pas que personne le suivît, si ce n’est Pierre, Jacques et Jean, frère de Jacques. Comme ils arrivaient à la maison du chef de synagogue, il vit une troupe confuse de gens qui pleuraient et qui poussaient de grands cris ; et, étant entré, il leur dit : Pourquoi tout ce bruit et ces pleurs ? La jeune fille n’est pas morte, mais elle dort[10]. Et ils se riaient de lui. Mais lui, les ayant tous renvoyés, prit le père et la mère de la jeune fille et ceux qui étaient avec lui, et entra dans le lieu où la jeune fille était couchée. Et lui prenant la main, il lui dit[11] : Talitha cumi, c’est-à-dire, jeune fille, lève-toi (je te le commande). Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher, car elle avait douze ans ; et ils furent frappés de stupeur. Et Jésus leur défendit fortement d’en rien dire à personne ; puis il ordonna de donner à manger à la jeune fille[12].

  1. Ici et Matth. viii, 28 ; Luc, viii, 26, le texte grec offre une triple leçon : Gergéséniens, Géraséniens et Gadaréniens. Gadara, capitale de la Pérée, au S.-E. de la pointe méridionale du lac de Génésareth, à 11 kilomètres de Tibériade, célèbre par ses thermes et habitée en majeure partie par des païens, appartenait à la Décapole : c’est certainement dans le voisinage et sur le territoire de cette ville qu’eut lieu la guérison des possédés racontée par les synoptiques. La ville de Gérasa (Gazer), aux limites orientales de la Pérée, semble trop éloignée du lac de Génésareth pour que les expressions de l’Évangile puissent lui convenir : cette leçon paraît donc fautive. Origène seul parle d’une ville de Gergésa, située dans le voisinage de Gadara ; le témoignage de ce Père, fondé sans doute sur une tradition plus ancienne, fait croire au savant Griesbach qu’il faut lire Gadaréniens dans saint Matthieu, et Gergéséniens dans saint Marc et saint Luc.
  2. Saint Matthieu dit deux. L’un se présenta aussitôt que Jésus sortit de la barque, et l’autre un peu après. C’est du premier seulement que parle saint Marc, ainsi que saint Luc.
  3. De ne point l’empêcher d’exercer sa puissance dans ce pays.
  4. À cause de la terreur qu’il leur inspirait.
  5. Jésus évite le bruit et l’éclat quand il fait un miracle au milieu des Juifs ; mais dans le pays des Géraséniens, peuple idolâtre, il commande de publier le prodige qu’il vient d’opérer : pour nous apprendre, dit le père Patrizzi, à fuir la célébrité, si ce n’est quand l’honneur de Dieu demande le contraire.
  6. Probablement à Capharnaüm : comp. Luc, viii, 40.
  7. On appelait ainsi, non-seulement le président ou chef de la synagogue, mais encore ceux qui formaient son conseil. Jaïre était probablement un de ces derniers.
  8. Le récit de saint Marc est plus détaillé que celui de saint Matthieu, mais ne lui est point contraire.
  9. Pour toujours.
  10. Sa mort, qui va cesser dans un instant, est semblable à un sommeil.
  11. En syro-chaldéen. Talitha, propr. jeune fille de trois ans, dans l’usage ordinaire, jeune fille en général.
  12. Pour que nul ne doutât de sa résurrection.