Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870/02

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Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870
Revue des Deux Mondes3e période, tome 73 (p. 369-395).
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LES RELATIONS
DE
LA FRANCE ET DE LA PRUSSE
DE 1867 A 1870

II.[1]
L'ALLEMAGNE, AU LENDEMAIN DE L’AFFAIRE DU LUXEMBOURG. — l’ARTICLE 5 DU TRAITÉ DE PRAGUE.


I.

Tandis qu'à Paris on célébrait la concorde et l’indépendance des peuples, à Berlin on ne s’inspirait que de l’esprit de conquête et d'asservissement. Le contraste était frappant, on ne manquait pas de le faire ressortir avec amertume en Allemagne. Les passions s'agitaient plus véhémentes que jamais au nord et au midi. Les opprimés et les violentés relevaient la tête; depuis que l’évacuation du Luxembourg avait tourné à la confusion du parti militaire en Prusse, elle servait de thème à leurs attaques et de prétexte à leurs ressentimens. Ils disaient qu'on avait livré une place allemande depuis cinquante ans, que l’Autriche avec son armée de 700,000 hommes n’était plus là pour défendre le territoire d’une confédération qui n’existait plus. Ils ajoutaient que Rastadt, Ulm n'étaient plus protégés et que l’occupation de Mayence par des régimens prussiens, sujette à contestation, pouvait fournir des prétextes à une guerre qui trouverait les frontières de l’Ouest les plus menacées entièrement à découvert.

Il était temps que le comte de Bismarck revînt pour tenir tête aux mécontens et rendre au gouvernement son autorité et son prestige. Il était attendu impatiemment. Ses amis sentaient que seul il était capable de mener à bonne fin l’œuvre qu'il avait improvisée, et ses adversaires, si nombreux alors à la cour et dans les sphères officielles, tenaient à lui en laisser l’entière responsabilité. Comment ne pas croire à la sincérité des protestations pacifiques dont il s'était montré si prodigue à Paris en voyant les difficultés avec lesquelles il allait se trouver aux prises à son retour?

Depuis son départ, comme dans l’automne 1866, lors de sa longue retraite à Varzin, les rouages du gouvernement, qui se compliquaient de l’annexion des nouvelles provinces et de la création de la Confédération du Nord, avaient peine à fonctionner. On ne savait quelle direction prendre en face des résistances qui se manifestaient de toutes parts. Il semblait que la tâche qu'on avait entreprise eût dépassé le but, qu'on eût trop auguré de la force d'assimilation de la Prusse. On constatait qu'on ne faisait aucun progrès dans les états violemment incorporés dans la monarchie, que les esprits restaient montés au même diapason, frondeurs, méprisans pour les avances de l’administration[2]. Des manifestations hostiles se produisaient partout, passives ou turbulentes, suivant le tempérament des populations. Le Hanovre refusait de faire litière de son passé et de rompre les liens séculaires qui l’attachaient à sa dynastie ; ses officiers et ses soldats attendaient, embrigadés par milliers à l’étranger, une occasion de venger Langensalza. La Hesse ressentait l’injure de la conquête, au point de regretter l’électeur, le plus impopulaire des souverains; dans le Nassau et à Francfort, les fonctionnaires étaient comme des parias, voués à l’isolement. Partout restait vivant le souvenir de la guerre fratricide.

En face de ces ressentimens, les esprits éclairés déploraient que la politique de conquête eût prévalu dans les conseils du gouvernement. Ils regrettaient que la Prusse, sous le coup de l’émotion produite par ses immenses succès militaires, n’eût pas maintenu la Confédération germanique. Entourée comme elle l’était du prestige de ses victoires, elle aurait pu faire accepter cette œuvre d’enthousiasme par l’Allemagne tout entière. L’élan eût été unanime, la prépondérance de la Prusse reconnue, et l’union accomplie en harmonie avec le sentiment général. On aurait pu dire, sans soulever d’inquiétantes protestations en Europe, que rien n’était changé dans la Confédération germanique, si ce n’est que l’Autriche y était en moins. La Prusse pouvait prétendre à venir au lieu et place de l’ancienne diète et éviter ainsi les discussions irritantes qui s’étaient élevées dès le lendemain de la guerre et qui pouvaient s’élever encore à propos des places fortes. C’était la politique poursuivie en 1849 par le général de Radowitz; la Prusse formait une union restreinte avec les états du Nord et, sous son hégémonie, une confédération de tous les états allemands, alliés à l’Autriche. C’est ce qu'on appelait la grande union de l’Allemagne.

On se méprenait étrangement sur la pensée qui avait présidé à la guerre de Bohême. C’est à la Prusse seule qu'on songeait alors pour l’organiser compacte, centralisée; le gouvernement et les partis n’étaient soucieux que de sa grandeur : ils exploitaient l’idée allemande au profit de l’idée prussienne. « Je suis plus Prussien qu'Allemand, » disait le comte de Bismarck au général de Govone, à la veille de la guerre. Le roi, après ses victoires, ne pensait plus qu'à s’arrondir aux dépens de ses anciens confédérés, certain que personne ne serait en état de l’empêcher « de faire un tout de ses possessions. » — « Je ne connais pas de plaisir plus grand pour un mortel, disait Frédéric II après la campagne de Silésie, que de réunir et de joindre des domaines pour faire un tout de ses états. » On tenait à se rembourser des frais de la guerre et à reconstituer le trésor militaire qui avait permis d’entrer en campagne sans demander de crédits aux chambres. Il fallait aussi des dotations aux généraux, des places à la bureaucratie, et le parti féodal se souciait peu du parlement allemand, que M. de Bismarck, avant de rompre avec l’Autriche, réclamait à la diète dans son projet de réformes. Les conservateurs ne voyaient pas sans appréhension l’extension de la Prusse au-delà du Main, il leur répugnait d’entrer dans une union avec le Sud dépassant les limites d’une alliance militaire et économique. Ils sentaient qu'une fusion plus intime nécessiterait un organe central dangereux pour leurs prérogatives ; ils prévoyaient qu'ils seraient débordés, que leur influence serait paralysée par l'appoint considérable que les députés du Midi apporteraient au parti libéral prussien. Leur programme était bien moins ambitieux que celui du premier ministre, qui, pour accomplir son œuvre, n'hésitait pas à rompre avec ses principes réactionnaires et à pactiser avec la révolution.

Du reste, dans ce fatal mois de juillet 1866, le gouvernement de l'empereur avait perdu le sang-froid et la clairvoyance. Il ne se serait pas prêté à la reconstitution de la Confédération germanique, sous l’hégémonie de la Prusse et sous le contrôle de l’Europe ; il songeait à réclamer, aussitôt la paix conclue, Mayence et le Palatinat, sans avoir une armée au service de ses revendications. n’avait-il pas refusé de s’associer à la Russie, qui, dès le lendemain de Sadowa, demandait un congrès en déclarant qu'elle ne reconnaîtrait pas les transformations territoriales que la Prusse poursuivait en Allemagne[3] ?

Le cœur saigne au souvenir de ces temps néfastes, où s’est écroulée, en un clin d’œil, la fortune de la France, si laborieusement édifiée par son génie et la persévérance de son patriotisme.

Le comte de Bismarck était un politique réaliste. Il tenait la guerre pour inévitable, malgré les assurances pacifiques qu'il rapportait de Paris ; il entendait avoir tous les atouts dans son jeu le jour où se résoudrait sur les champs de bataille la question de prépondérance posée entre la France et la Prusse depuis 1866. Il se remit à l’œuvre sans désemparer avec son indomptable énergie. Il pouvait s’en rapporter au ministre de l’intérieur pour réorganiser et apaiser les provinces conquises, c’était affaire de patience, de tact et de procédés. Mais seul il était capable d’imposer à des souverains alliés, qui s’étaient fidèlement et vaillamment comportés dans les rangs de l’armée prussienne en face de l’ennemi, une constitution qui limitait leurs droits régaliens et les réduisait au rang de vassaux. Il savait colorer les sacrifices et vaincre les résistances; il avait l’esprit qui persuade et la volonté qui commande. Il se montrait d’ailleurs très large sur les questions qui touchent à l’amour-propre, il laissait à ses confédérés tout ce qui est apparent dans l'exercice de la souveraineté.

Il était plus malaisé d’obtenir des cours méridionales, dont l’existence indépendante était solennellement garantie par le traité de Prague, de renoncer à leurs prérogatives diplomatiques, de céder l'administration de leurs postes et de leurs télégraphes, de placer leurs armées sous les ordres de la Prusse et de les réorganiser suivant ses exigences. Elles pouvaient motiver leurs fins de non-recevoir par l’hostilité du sentiment public et des chambres. Malheureusement il ne leur était pas permis d’oublier les traités d’alliance offensive et défensive qu'elles avaient signés dans une heure d’affolement, au mois d’août 1866. Elles se trouvaient en face d’un créancier intraitable qui avait su se prémunir contre l’oubli de la foi jurée. En imposant au grand-duché de Bade, à la Hesse, au Wurtemberg et à la Bavière des contributions de guerre, des cessions de territoires et des traités d’alliance impliquant des conventions militaires, M. de Bismarck n’avait pas perdu de vue les intérêts économiques qui les rattachaient à la Prusse. Il avait déclaré le Zollverein dissous par le fait de la guerre et s’était réservé, dans une pensée facile à saisir, la faculté de les exclure de l’union douanière, à bref délai, suivant son bon plaisir, en suite d’une simple dénonciation semestrielle. C’est avec cette épée de Damoclès, suspendue sur la tête des gouvernemens du Sud, qu'il comptait avoir raison de leurs dernières résistances. Le Zollverein était pour eux une question d’existence, ils en retiraient pour l’alimentation de leur budget les ressources les plus importantes. Ce n’était pas au moment où ils avaient à payer des contributions de guerre et à recourir à des emprunts pour satisfaire aux exigences du vainqueur qu'il leur était permis de discuter la légalité de la dénonciation que le cabinet de Berlin s’était réservée, et de protester contre la violence qui leur était faite. Ils auraient pu, il est vrai, s’entendre, pour constituer entre eux une association douanière séparée. Mais, indépendamment du contre-coup qu'une résolution aussi grave n’eût pas manqué d’exercer sur leurs finances et leur industrie, ils se seraient trouvés en face d’obstacles géographiques presque insurmontables, depuis que la Prusse avait refait la carte de l’Allemagne à son profit.

Telle était la situation que les événemens de 1866 avaient faite aux cours du Midi. Le Cyclope consolait Ulysse en lui disant qu'il serait dévoré le dernier: c’est la consolation que leur laissait le comte de Bismarck. Leur sort n’était pas enviable. Privées par la dissolution de la Confédération germanique des points d’appui qu'elles étaient habituées à trouver à Vienne et à la diète de Francfort, elles étaient entraînées à la dérive sans direction, sans plan de conduite, se méfiant les unes des autres, en proie à leurs jalousies traditionnelles, au point de préférer subir la tutelle de la Prusse plutôt que de constituer une union indépendante qui aurait pu assurer à la Bavière une situation prépondérante. D’ailleurs le grand-duc de Hesse faisait déjà partie pour un tiers de la Confédération du Nord, et le grand-duc de Bade, sous l’influence du roi Guillaume, son beau-père, était le dissolvant naturel pour faire échouer toutes les tentatives d’une confédération séparée avec un parlement fonctionnant parallèlement avec celui du Nord. Au fond ces cours spéculaient secrètement sur une entente entre la France et l’Autriche pour les relever de leur abaissement. C’est avec leur aide, sans oser ouvertement l’invoquer, de peur d’ameuter les passions populaires, qu'elles espéraient reconquérir un jour leur indépendance[4]. Voici, du reste, le tableau qu'une correspondance d’Allemagne, adressée au ministère des affaires étrangères, traçait au lendemain de la guerre : « Les gouvernemens du Midi présentent, pour l’heure, le spectacle le plus attristant. On pourrait leur appliquer le mot de Tacite : Ruere in servitutem. Tout les porte à se jeter dans les bras de la Prusse : leurs intérêts économiques menacés, la peur de la révolution et la crainte que leur ont laissée nos demandes de compensations territoriales.

« Le Wurtemberg, à en juger par les débats de son parlement, paraît particulièrement soucieux de son autonomie. Mais le parti démocratique y grandit chaque jour, ses idées pénètrent jusque dans les rangs de l’armée, et la cour, préoccupée de la révolution, au lieu de s’associer aux sentimens des masses et de lutter pour le maintien de ses prérogatives, se montre disposée, pour l'heure, à resserrer plutôt qu'à détendre les liens qu'elle a contractés à Berlin. C’est d’ailleurs à Pétersbourg que le roi et la reine Olga puisent leurs inspirations, et ce n’est pas le prince Gortchakof[5] qui les détournera de leurs tendances prussiennes, au moment où les relations entre l’empereur Alexandre et le roi Guillaume paraissent empreintes de tant de cordialité.

« La situation de la Bavière ne diffère guère de celle du Wurtemberg. C’est le même désarroi, plus marqué encore avec un souverain qui sacrifie au culte de l’art les devoirs de sa couronne. Ce sont les mêmes perplexités chez les hommes politiques, les mêmes tiraillemens, avec cette différence, toutefois, que le mouvement antiprussien part d’en haut, au lieu de se manifester, comme en Wurtemberg, dans les classes inférieures, mêlé à l’élément républicain.

« La cour de Darmstadt accepte dans la forme, avec les apparences de la résignation, le sort que les événemens lui ont imposé ; mais, dans ses épanchemens intimes, le grand-duc se plaindrait amèrement des blessures faites à sa dignité et des atteintes portées à ses prérogatives ; il ne se ferait d’ailleurs aucune illusion sur les épreuves qui l’attendent encore et dont les gazettes prussiennes le menacent journellement. Son premier ministre, plus exubérant, ne cache pas ses ressentimens et ne craint pas d’invoquer « les pantalons rouges ; » il prétend qu’ils ne sauraient tarder longtemps.

« Quant à la cour de Bade, elle est entièrement inféodée à la politique prussienne ; s’il ne dépendait que du grand-duc, il sacrifierait sa couronne sans hésitation et sans scrupules à l’ambition de son beau-père. On peut être certain qu’en toute circonstance il jouera le jeu du cabinet de Berlin et qu’il ne négligera aucun effort pour rendre illusoires les stipulations du traité de Prague.

« En résumé, si, dans le nord de l’Allemagne, on procède énergiquement, et sans perdre une seconde, à l’assimilation politique et surtout militaire des nouvelles provinces, dans le Midi, au contraire, on vit au jour le jour, sans boussole, sans initiative, embarrassé d’une indépendance à laquelle on n’est pas habitué et dont on ne sait pas tirer parti. Il importerait de trouver une formule qui permettrait de se grouper et d’agir en commun contre les empiètemens de la Prusse, mais c’est à qui ne subordonnera pas ses intérêts à ceux de son voisin. »

Les plaintes et les récriminations qui se manifestaient des deux côtés du Main n’avaient pas le don d’impressionner le comte de Bismarck. Il ne s’attendrissait sur le sort de personne, il ne sacrifiait qu’à la raison d’état ; il avait foi en son œuvre et il était convaincu que, le jour où elle serait glorieusement accomplie, ceux qui, aujourd’hui, le vouaient aux gémonies, seraient les premiers à lui élever des statues. Il estimait que les regrets affichés bruyamment pour les dynasties dépossédées n’étaient pas bien profonds, car ils juraient, disait-il, avec l’indifférence que, la veille encore, les populations manifestaient à leurs princes. Il était convaincu que les annexés finiraient, tôt ou tard, par reconnaître l’avantage de faire partie d’un grand état de même nationalité, et, qu’après une transition trop brusque pour n’être pas douloureuse, ils s’habitueraient peu à peu au nouvel état de choses en voyant leurs intérêts locaux et leurs habitudes plus ou moins ménagés.

Les idées du roi Guillaume n’étaient pas aussi rigides : il était humain, compatissant ; son patriotisme n’était ni étroit, ni tyrannique ; il comprenait les regrets de ses nouveaux sujets, il adoucissait leurs amertumes par son aménité. Mais ses conseillers et sa bureaucratie n’avaient pas, sur les devoirs des gouvernemens envers les populations conquises, les sentimens qu'en France on professait déjà au XVIe et au XVIIe siècles. « La manière d’entretenir et retenir pays nouvellement conquestés, disait Rabelais dans un naïf et touchant langage, n’est comme a esté l’opinion erronée de certains esprits tyranniques à leur dam et déshonneur, les peuples pillant, forçant, tourmentant, ruinant, mal vexant et régissant avec verge de fer... Comme enfant nouvellement né, les fault allaicter, bercer, esjouir, les choyer, espargner, restaurer. Ce sont les philtres, les charmes, les attraicts d’amour moyennant lesquels, pacifiquement, l’on retient ce que l’on a péniblement conquesté[6]. »

Le comte de Bismarck se souciait peu de la philosophie de Rabelais, des préceptes de La Bruyère, de Bossuet et de Montesquieu. La générosité manquait à ce merveilleux esprit. Il ne voyait que le but : l’unification et la germanisation; il n’admettait pas les résistances, il réclamait les soumissions aveugles, immédiates; il poursuivait l’assimilation des provinces conquises par les voies rapides. Il invoque aujourd'hui des exigences gouvernementales[7] pour recourir aux mesures d’un autre âge, il procède systématiquement à de véritables exodes, sans s’arrêter aux plaintes de ceux qu'il arrache à leur sol natal :


Nos patriam fugimus, nos dulcia linquimus arva.


L'Europe, jadis si prompte à s’émouvoir, assiste à ces exécutions sommaires, attristée, silencieuse. Les gouvernemens évitent de protester et les parlemens restent muets; mais l’histoire manquerait à ses devoirs si elle bornait sa tâche à la glorification du succès. Elle ne saurait sanctionner des théories gouvernementales incompatibles avec l’esprit et les mœurs des temps modernes.

Si le comte de Bismarck restait insensible aux plaintes que ses mesures soulevaient au nord, il ne compatissait pas davantage aux mécontentemens et aux inquiétudes qui se manifestaient au midi. L'anarchie morale qui régnait au-delà du Main n’avait rien qui pût l'effrayer ; elle ne pouvait que faciliter et hâter sa tâche. Le sentiment de la peur était son plus utile auxiliaire auprès des souverains, et il ne doutait pas que, s’ils hésitaient encore à se plier sous sa volonté, leur parti ne fût pris bien vite entre l’hégémonie de la Prusse, qui ne leur enlevait qu'une partie de leur indépendance, et la révolution, qui les renverserait de leurs trônes. Mais il entendait ne rien précipiter ; il était trop avisé pour abuser de ses avantages, il préférait temporiser, négocier, plutôt que de provoquer des situations violentes qui, en le mettant en contradiction avec ses déclarations officielles, auraient soulevé peut-être des difficultés internationales. Sa politique lui commandait de se montrer conciliant avec les gouvernemens disposés à respecter leurs engagemens. Il avait trop pratiqué les cours allemandes pour ne pas connaître leurs susceptibilités et leurs méfiances; c’est en ménageant leur amour-propre, en évitant toute pression ostensible, en colorant ses exigences de l’idée nationale, qu'il comptait les amener à ajouter aux sacrifices que leur avait coûtés la guerre le plus grand de tous : celui de leur indépendance. Imposer aux ministres convertis à sa politique des conditions trop dures ne pouvait servir qu'à fournir des armes à leurs adversaires et à précipiter leur chute.

Le cabinet de Berlin désirait avant tout ménager et consolider le ministère bavarois, violemment battu en brèche par les partis extrêmes. Le prince de Hohenlohe était alors premier ministre en Bavière. Il avait hérité d’une lourde et pénible succession ; il remplaçait le baron de Pfordten, dont la politique ambiguë avait valu à son pays d’humiliantes défaites, une perte de territoire et une grosse rançon. Le président du conseil du roi Louis offrait à M. de Bismarck toutes les sécurités; ses attaches prussiennes, son talent et sa loyauté l’autorisaient à croire que, sans manquer de fidélité à son souverain et à son pays, il ne serait pas défaillant le jour où on lui demanderait d’exécuter les traités d’alliance souscrits par son prédécesseur.

La Bavière, dominée par les événemens, en était réduite, pour n'avoir pas su pressentir le vainqueur en 1866 et répondre à ses avances, à transiger avec d’implacables nécessités. Les temps étaient passés où un ministre ambitieux, M. de Montgelas, cherchait ses points d’appui à l’étranger. On ne pouvait plus aspirer à être la seconde puissance en Allemagne, l’arbitre écouté entre l’Autriche et la Prusse ; il ne restait plus qu'à se précautionner contre de dangereux empiétemens et à défendre les dernières prérogatives de la couronne. Il fallait, pour s’acquitter d’une tâche pareille, de l’abnégation, une rare souplesse d’esprit et surtout l’autorité que donne une grande situation personnelle. Incliner du côté de la Prusse, c'était exaspérer les particularistes ; réagir contre sa politique, c’était provoquer l’indignation des nationaux. Plus le parti patriotique, composé de catholiques et de démocrates, marquait des tendances exclusives, plus le parti libéral, par haine de l’ultramontanisme et du radicalisme, affirmait le sentiment de l’unité.

C'est dans ces conditions que le prince de Hohenlohe, dès son entrée au pouvoir, traça devant les chambres, dans un long discours, le programme de sa politique. Il évita toute allusion à une confédération séparée, prévue par le traité de Prague, il répudia tout protectorat étranger, soit autrichien, soit français, il proclama en revanche la nécessité d’une intime alliance politique et militaire avec la Prusse, fondée à la fois sur le sentiment national et sur les intérêts économiques de l’Allemagne.

Le langage que nous tenait le prince de Hohenlohe n’avait rien d'équivoque ; il nous disait, dès son avènement au pouvoir, qu'il considérait l’alliance de la Prusse comme une nécessité. Il ne se faisait pas d’illusions sur le sort de la Bavière, il ne doutait pas qu'elle ne fût absorbée un jour, mais il estimait que son existence serait maintenue longtemps encore si, au lieu de rester isolée, elle prenait résolument son point d’appui à Berlin. — Il en coûtait à notre diplomatie de s’incliner devant des idées aussi nettement formulées; elle faisait observer qu'un pays de cinq millions d’âmes n'était pas si faible qu'il ne pût, au moyen d’un système d’alliances virilement conçu, sauvegarder son autonomie ; elle pensait que c’était chose grave de s’engager dans une voie qui conduirait fatalement à la médiatisation et que, vis-à-vis d’un roi de vingt ans et d’une opinion si manifestement hostile à ces tendances, une telle résolution prenait une gravité exceptionnelle.

Le ministre dirigeant du roi Louis n’en maintenait pas moins son programme. Rester fidèle aux traités d’alliance signés avec la Prusse et se mettre en mesure de pouvoir les exécuter, le cas échéant; — chercher à créer un lien national entre le Nord et le Midi, sans aliéner l’autonomie du pays, — reconstituer l’association douanière sans s’exposer à une médiation économique, — et rattacher l’Autriche à l’Allemagne, — telles paraissaient être les lignes principales de sa politique. C’est tout ce qu'à Berlin on pouvait demander à un ministre, miné à la cour par des influences occultes, harcelé dans les chambres par une coalition passionnée et traîné chaque jour sur la claie par la presse cléricale et démocratique. Mais c’était plus que ne voulait la Bavière ; le parti ultramontain et le parti avancé protestaient à l’envi contre un programme qui plaçait, disaient-ils, les destinées du pays dans le cabinet militaire du roi de Prusse. Le président du conseil dut atténuer ses tendances, tant à la tribune que dans ses entretiens avec les chefs parlementaires. Il avait parlé en homme d’état qui compte avec les réalités, mais son langage dépassait la sagesse du pays et ne répondait pas à ses instincts.

Les masses en Bavière étaient moins passionnées pour le sentiment de l’unité que pour la liberté. Il en était de même dans tout le Midi. Dès le lendemain de 1815, des tribunes s’étaient élevées à Munich, à Stuttgart, à Carlsruhe, malgré les réclamations de la Prusse et de l’Autriche. En 1848, on avait protesté non-seulement contre la constitution que le parlement allemand venait de décréter à Francfort, mais une partie de l’assemblée constituante s’était retirée à Stuttgart pour se défendre contre l’hégémonie prussienne, et la république était proclamée dans le grand-duché de Bade.

Ces souvenirs, auxquels s’ajoutaient les ressentimens de 1866, étaient trop récens pour ne pas imposer au ministre dirigeant du roi Louis une grande circonspection dans ses négociations avec la Prusse. Il avait à se justifier du reproche d’être l’exécuteur complaisant des volontés du cabinet de Berlin. Et cependant ce n’était pas le prince de Hohenlohe qui avait signé les traités d’alliance, il les avait trouvés dans les archives de son ministère. Il avait en revanche sauvegardé, dans une mesure inespérée, les intérêts économiques de la Bavière lors de la reconstitution du Zollverein ; il avait refusé obstinément de livrer à la Prusse les postes et les télégraphes, et dans les pourparlers au sujet des places fortes et de la réorganisation de l’armée, il avait prouvé qu'il n’était pas homme à sacrifier l’autonomie militaire de son pays. Au lieu d’être secondé dans ses efforts par ses collègues du Midi, il n’avait rencontré que du mauvais vouloir ou des arrière-pensées mesquines à Stuttgart et à Carlsruhe. A l’intérieur, ses difficultés n’étaient pas moins grandes. Les affaires les plus urgentes restaient pendant des mois accumulées dans le cabinet du roi ; la présidence du conseil n’était qu'illusoire, car chaque ministre agissait à sa guise, la solidarité n'existant pas dans les actes du gouvernement[8]. Aussi le prince de Hohenlohe offrait-il souvent sa démission, impatient d’être délivré d’un fardeau aussi pénible et si peu digne de son nom. Sans les instances de son frère, le duc de Ratibor, et de son beau-frère, le duc d'Ujest, et sans son amour pour la cause publique, il eût abandonné un poste ingrat, pour laisser à d’autres le soin de se défendre contre des attaques passionnées. Mais la pénurie des hommes d’état était si grande en Bavière, qu'on ne savait par qui le remplacer[9].

Telle était la situation à Munich, et c’est parce que M. de Bismarck s’en rendait compte, qu'il avait pu à Paris, sans rien concéder, parler de son désintéressement à l’endroit du Midi. Il n’en poursuivait pas moins, sous-main, avec une ardeur infatigable," la réorganisation des armées méridionales et leur fusion avec les armées du Nord, et c’est pour permettre aux gouvernemens de Bavière et de Wurtemberg d’arracher aux chambres la sanction des traités d’alliance et des conventions militaires, qu'il évitait toute pression ostensible.


II.

L'exposition était dans son plein, lorsque dans les premiers jours de juillet la reine Augusta parut à la cour des Tuileries. Elle était venue sans apparat, suivant les habitudes de la maison de Prusse, avec une suite peu nombreuse, sous le voile de l’incognito. Elle s’effaçait volontiers, sans oublier son rang et son origine. Sa démarche révélait d’ailleurs sa race, elle n’avait pas besoin d’un trône pour mettre en relief sa royale distinction. Appliquée dès son enfance aux études, elle avait pris dans le contact des hommes éminens que son grand-père, le duc Charles-Auguste, attirait à la cour de Weimar, un goût marqué pour les belles-lettres. Sa conversation, d’où le sérieux n’excluait point l’agrément ni parfois un peu d’apprêt, dénotait des arrière-pensées littéraires. « Les princes, a dit La Bruyère, sans autre science ni autre règle, ont un goût de comparaison ; ils sont nés et élevés dans le centre des meilleures choses, à qui ils rapportent ce qu'ils lisent, ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent. » La reine Augusta avait vécu dans l’intimité du plus grand génie littéraire du siècle, et elle n’oubliait pas ce qu'elle avait vu, lu et entendu. Goethe l’avait initiée à la poésie, à la philosophie ; il lui avait appris que la force brutale ne primait pas la puissance intellectuelle. Exempte de préjugés, sa vie vouée aux œuvres de l’esprit, au culte de la charité, montrait qu'elle était digne d’un si grand enseignement. Elle avait les amitiés longues, sûres, fidèles, et le courage de ses pensées. Les ambitions de la politique, les rivalités et les haines qu'elle engendre n'avaient pas de prise sur son âme ; les sympathies qui dès sa jeunesse l’attiraient vers la France, si grande alors par l’éclat de sa littérature, de son éloquence, de sa science et de ses œuvres d’art, devaient résister à toutes nos vicissitudes[10]. La reine jouissait des élégances de Paris, elle admirait le faste que déployait la cour, sans toutefois l’envier; elle n’eût pas échangé la vie calme, réglée de son modeste palais de Coblentz contre les agitations et les splendeurs des Tuileries. Elle rendait hommage à la beauté de l’impératrice, en qui elle trouvait réunies à la noblesse d’une Espagnole l'aisance et la grâce d’une Française ; elle plaignait l’empereur, dont le front lui paraissait voilé de noirs soucis.

« Je crois, disait-elle, que Napoléon III, le marquis de Moustier et M. Rouher désirent sincèrement vivre en paix avec nous et tout le monde, mais l’armée et les partis cachent à peine leurs ressentimens contre la Prusse et le désir de se mesurer avec elle. Cependant, ajoutait-elle, pour corriger cette impression, on s’efforce, même dans les cercles où l’on ne nous aime pas, à ne pas me le faire sentir, et partout on me ménage un accueil empressé et sympathique.» La reine pensait que, si l’empereur modifiait sa politique intérieure et inaugurait le régime représentatif, qu'elle tenait comme le meilleur pour les gouvernemens et les peuples, il pourrait sans guerre vaincre les difficultés croissantes qui menaçaient de fondre sur la France comme un orage. Notre armée lui laissait une bonne impression, bien qu'elle trouvât que l’armée prussienne ne le lui cédait en rien. Elle n’en souhaitait pas moins sincèrement la paix pour que la Prusse pût terminer en sécurité l’œuvre si glorieusement commencée : « Je tiens pour la paix, disait-elle; le dieu d’airain de la guerre n'a jamais eu de charme pour moi, même couronné de lauriers. »

Depuis l’évacuation du Luxembourg, la diplomatie prussienne avait constaté dans l’attitude des ministres dirigeans des états allemands un souci plus marqué de leur indépendance. Il lui revenait qu'ils se plaignaient de ses exigences et cherchaient à se soustraire à une pression parfois humiliante. C’étaient d’inquiétans symptômes pour une politique ombrageuse, bien que les velléités d’émancipation ne se fussent traduites encore qu'en paroles, et fort discrètement, sous le manteau de la cheminée. M. de Bismarck faisait semblant de ne rien entendre, il laissait aux princes alliés ou confédérés l’innocente satisfaction de se faire illusion sur leur situation et de paraître à la cour des Tuileries avec le prestige que donne la souveraineté lorsqu'elle est indépendante[11].

La reine cependant ne put s’empêcher de remarquer que le roi de Wurtemberg, qui se trouvait à Paris en même temps qu'elle, recevait d’un air dégagé et triomphant les attentions dont on le comblait : « Vous êtes donc venu à Paris, lui dit-elle sur un ton plaisant, pour comploter et fomenter des coalitions contre nous? » Le roi protesta, tout en se redressant, heureux sans doute qu'on pût le croire encore en état de nouer des alliances. » c’est égal, disait la reine, j’ai peine à comprendre que les princes du Midi se montrent si prévenans pour la France, tandis qu'ils nous dissimulent si peu leur mauvais vouloir. Soyons prêts, ajoutait-elle ; que l'esprit allemand se réveille et que le Midi, malgré ses sentimens particularistes, soit au jour des épreuves notre fidèle auxiliaire. »

Être prêt, telle était en effet la constante préoccupation de la cour de Prusse et de son gouvernement. Il y avait à peine quinze jours que le roi, à son débotté au château de Babelsberg, avait télégraphié à l’empereur « qu'il ne saurait oublier l’accueil plus qu'aimable et amical dont il avait été l’objet à Paris pendant son séjour à jamais mémorable, » et déjà, à Berlin, on était redevenu nerveux. On s’était flatté que des démarches de courtoisie et des protestations sympathiques feraient oublier à la cour des Tuileries d'amers déboires, et l’on croyait s’apercevoir que si l’accueil fait au roi avait été empreint d’une sincère cordialité, notre politique, en revanche, n’avait rien sacrifié de ses prétentions. Aussi la crainte commençait-elle à succéder à la sécurité dans laquelle on s’était complu. On redevenait soupçonneux, on se préoccupait des plus petits symptômes pour les commenter et y trouver la trace de nos arrière-pensées. Les esprits chagrins allaient jusqu'à prétendre que l’accueil fait au prince royal à son second voyage à Paris avait été marqué de moins d’abandon et de cordialité que le premier. On ne s’arrêtait pas en si bon chemin, on attribuait le revirement dans nos dispositions aux difficultés croissantes de notre situation intérieure. On voyait dans les attaques dont le gouvernement était l’objet dans la presse et au corps législatif le réveil irrésistible de passions longtemps comprimées, et l’on craignait que l’empereur, malgré ses sentimens concilians, ne fût, un jour ou l’autre, forcé de recourir à un puissant dérivatif, tout indiqué dans une guerre contre la Prusse. Les correspondances du comte de Goltz n’étaient pas de nature à atténuer ces appréhensions. Elles rapportaient des propos inconsidérés tenus dans nos salons et dans nos cercles militaires ; elles disaient que nos armemens se poursuivaient sans relâche ; elles appelaient surtout l’attention sur le développement inquiétant et mystérieux de notre artillerie. Il était revenu aussi à l’ambassadeur du roi que le cabinet des Tuileries comptait reprendre en main, avec une énergie nouvelle, la question du Schleswig, et que M. Béhic, — voire même le prince Napoléon[12], — serait envoyé à Copenhague pour encourager la résistance que le gouvernement danois opposait à la Prusse. L'empereur attachait, en effet, une importance exceptionnelle à l’article 5 du traité de Prague, lequel consacrait un principe qui lui était cher : celui des nationalités. Il y voyait comme la confirmation du vœu qu'il avait solennellement émis à la veille de la guerre, dans son manifeste du 11 juin 1866. Il avait à cœur aussi de venir en aide au Danemark et de racheter par une assistance, malheureusement tardive, les erreurs de sa politique qui avaient eu pour notre plus ancien et plus fidèle allié de si funestes conséquences. C’était pour lui un cas de conscience et presque de remords. Mais les démarches qu'il prescrivait à sa diplomatie n’avaient rien que de légitime et de pacifique ; c’était par la persuasion et non par une mise en demeure qu'il espérait amener le cabinet de Berlin à lui prouver que, sur cette question du moins, après l’oubli de tant de promesses, on tenait à le satisfaire et à ne pas méconnaître l’autorité de sa médiation. Il se refusait à comprendre que le gouvernement prussien était inaccessible à des considérations fondées sur les services rendus, que la reconnaissance en politique était pour lui un mot dénué de sens.

M. de Bismarck ne contestait pas la validité de l’article 5 du traité de Prague, mais l’ayant subi sous la pression de notre intervention, il entendait l’interpréter à sa guise, dans la mesure la plus restreinte. Il trouvait étrange que la diplomatie française intervînt ostensiblement dans ses pourparlers avec la cour de Copenhague après les assurances qu'il lui avait fournies. Il ne se l’expliquait qu'en nous prêtant l’intention d’exploiter la question danoise avec l’arrière-pensée de nous assurer un prétexte pour de futures agressions. Aussi, pour se mettre à l’abri des surprises, le gouvernement prussien invitait-il ses agens diplomatiques à surveiller plus que jamais les manifestations de notre politique et donnait-il l’ordre à ses états-majors de se tenir prêts à toutes les éventualités. On croyait les passions éteintes après les franches et cordiales explications échangées à Paris entre les souverains et déjà elles se ravivaient.

A Pétersbourg aussi, mais pour des motifs bien différens, les souvenirs rapportés de France commençaient à s’altérer. Le prince Gortchakof était redevenu défiant ; la présence du sultan à Paris lui causait des insomnies, et lui inspirait des réflexions sarcastiques. Il reprochait à M. de Moustier son faible pour les Turcs, déjà il le voyait converti à l’islamisme. Il craignait que le chef des croyans ne jetât sur lui quelque charme magique et ne lui fît oublier les sermens qu'ils avaient échangés dans un pro-memoria solennel. Il avait peur surtout que l’éclatant accueil fait à Abdul-Azis ne rehaussât son prestige en Orient, au détriment de l’influence européenne et que, par suite, l’entente de la France et de la Russie, si secourable aux chrétiens, ne perdît de son autorité. Il nous faisait entendre qu'il considérerait notre attitude vis-à-vis du sultan comme une pierre de touche pour les assurances qu’il avait rapportées de Paris, il se plaisait à croire que nous ne négligerions aucun effort pour déterminer la cession de la Crète à la Grèce. Il rappelait aussi, pour nous donner à réfléchir, qu’il avait été, dès son entrée aux affaires, le promoteur, l’instigateur de l’alliance si confiante qui avait uni les deux empereurs jusqu’aux événemens de Pologne. Ses goûts politiques, disait-il, n’avaient pas varié et son voyage en France n’avait pu que les fortifier. Toutefois, il ne se dissimulait pas que la tendance seule d’un rapprochement de la France et de la Russie avait déjà causé des ombrages, éveillé des susceptibilités, et que des influences jalouses chercheraient vraisemblablement à troubler l’accord qu’il avait su amener péniblement par l’entrevue des deux empereurs. « Il serait donc à désirer, ajoutait-il, pour nous stimuler, qu’il ne puisse rester dans l’âme de l’un et de l’autre des souverains aucun doute sur le désir de traduire en faits les paroles amicales qu’ils ont échangées. »

M. de Moustier s’étonnait à bon droit des défiances que la présence du sultan en France et les honneurs qu’on lui témoignait inspiraient à la cour de Russie. Il avait pensé qu’à Pétersbourg on serait frappé comme à Paris du progrès que révélait dans le monde oriental un acte aussi considérable et aussi nouveau que le voyage en Europe du chef de l’islamisme. « Je n’y ai rien vu quant à moi, disait-il au baron de Budberg, qu’une occasion inespérée de faire prévaloir avec plus d’autorité et de succès les pensées de rénovation qui sont le but de notre commune politique. »

Le prince Gortchakof avait du goût pour M. de Moustier, il appréciait la distinction de ses manières, sa nature loyale, son esprit net et rapide : il passa du doute à la confiance. « Les Turcs, disait-il, entièrement tranquillisé, s’étaient bercés d’espérances, ils ont dû en rabattre en face de notre entente résolue et persistante. Vous leur avez tenu un langage excellent ; ils ont dû se convaincre que la Russie ne veut ni la destruction de leur empire, ni aucun agrandissement de territoire. j’espère qu’ils secoueront leur torpeur, qu’ils reconnaîtront que le moment de passer à l’action est venu et que nos efforts pour calmer et retenir les populations chrétiennes seraient insuffisans si nous n’arrivions pas à leur offrir la cession de la Crète comme un gage de l’intérêt que l’Europe porte à ses coreligionnaires d’Orient. »

Le vice-chancelier nous avait promis de faire entendre les conseils de la sagesse à Berlin en échange du concours que nous lui prêtions sur le Bosphore. M. de Moustier lui rappela que si la Russie était préoccupée de l’Orient, la France ne l’était pas moins de l’Occident et que s’il existait une question de Crète, les conquêtes de la Prusse avaient soulevé une question danoise, tout aussi digne d'éveiller la sollicitude du cabinet de Pétersbourg. Il s’efforça de lui faire comprendre qu'une démarche pressante de sa part auprès du comte de Bismarck, qui l’écoutait si volontiers, ne manquerait pas de l’impressionner et qu'il rendrait ainsi à la paix, et à la France en particulier, un signalé service.

Le prince Gortchakof ne se fit pas prier ; il adressa une dépêche officielle au gouvernement prussien et écrivit une lettre particulière à M. de Bismarck, qui se trouvait alors à Varzin[13]. Il intervenait volontiers entre Paris et Berlin ; il lui plaisait de recevoir les confidences de deux cours rivales et de leur donner des conseils. Le rôle de conciliateur lui offrait plus d’un avantage, flattait son amour-propre et lui permettait de régler le jeu de sa politique.

« Je tâcherai d’être bref, mon cher comte, écrivait-il au solitaire de Varzin dans un langage qui n’était pas exempt d’emphase, pour ne pas introduire dans votre retraite agreste un élément qui en troublerait la quiétude. Toutefois, ayant aperçu un écueil dans les eaux où nous naviguons en commun, je ne peux pas me dispenser de le signaler au pilote habile qui en a tourné tant d’autres.

« j’aime à croire que, comme moi, vous avez emporté de Paris l’impression que l’empereur Napoléon désire sincèrement la paix, mais qu'il reconnaît les difficultés de la maintenir durablement au milieu des passions qui s’agitent autour de lui et qu'il compte sur votre concours pour lui faciliter la tâche.

« Nous avons épuisé ce thème jusqu'à satiété. Vous vous rappelez que d’autres questions vous ont été signalées comme celles que les esprits ardens pourraient exploiter pour surexciter les passions : la question d’Allemagne et celle du Schleswig.

« Quant à la première, la lettre que j’ai adressée d’ordre de l’empereur à Budberg, le 28 juin, et dont la copie est entre vos mains, vous aura rendu compte de nos efforts pour rassurer la cour des Tuileries. Ils n’auront pas été infructueux, je l’espère.

« Mais la question danoise reste en souffrance et je ne vois pas d'issue dans la voie où l’on est entré. Je suis convaincu de l’équité et même de la générosité des sentimens du roi Guillaume. Je suis également pénétré de la hauteur de vos vues, de l’élévation d’une pensée qui n’embrasse que de vastes horizons et du jugement supérieur d’un homme d’état qui ne confond pas les petits intérêts avec les grands. Sous ce dernier rapport il n’y en a pas qui aient aux yeux de mon auguste maître plus de valeur que ceux de la conservation de la paix.

« Et certes, cette appréciation de Sa Majesté est désintéressée, au plus haut degré, car la Russie n’a rien à redouter d’un conflit entre vous et la France ; bien des gens croient même qu'elle pourrait en tirer de l’avantage.

« Si je suis bien informé, la cour des Tuileries s’est abstenue jusqu'à présent de toute insistance prématurée auprès de vous sur la question du Schleswig, pour ne pas blesser vos susceptibilités par une pression. Mais je sais que l’empereur Napoléon en est sérieusement préoccupé, surtout en vue de l’influence que la solution est appelée à exercer sur ses rapports avec la Prusse. Il désire que ces rapports conservent le caractère d’une bonne intelligence, mais il craint que si le statu quo d’incertitude actuelle se prolongeait, une surexcitation de l’opinion en France ne le mette dans un cruel embarras. Il nous l’a franchement confessé.

« Il nous semble qu'il serait grandement temps de venir à son secours pour l’aider à accomplir la noble tâche d’une paix durable.

« Vous n’ignorez pas nos sympathies pour le Danemark, mais nous désirons nous tenir à l’écart de toute immixtion qui aurait l'apparence d’une intervention dans une question qui devrait être résolue à l’amiable par les partis intéressés. Mieux que personne, vous pourrez trouver une solution acceptable.

« Laissez-moi finir en disant que lorsque vous paraîtrez personnellement sur la scène, alors je serai convaincu que de bonnes choses sont en train de s’accomplir. »

Il était difficile de mettre plus de bonne grâce et plus de chaleur à nous satisfaire. Le prince Gortchakof payait comptant, mais sa monnaie n’était pas sans alliage. Tout en se constituant notre avocat, il apprenait à M. de Bismarck qu'il n’avait rien à redouter de la Russie, qu'elle était décidée à ne pas entrer personnellement dans le débat. Il insinuait aussi, par une phrase équivoque dont le sens ne pouvait échapper, que, si un conflit devait éclater, « la Russie, au dire de bien des gens, ne pourrait qu'y trouver de l’avantage. » Sa politique était celle de la main libre et du plus offrant.

M. de Bismarck n’avait pas eu le dernier mot dans l’affaire du Luxembourg; ses adversaires ne cessaient de lui rappeler que l'Allemagne, vaincue sans combattre, avait été contrainte à reculer sinon ses frontières, du moins sa ligne de défense. Il comptait bien un jour ou l’autre prendre sa revanche et confondre ses détracteurs. Le roi venait de lui conférer le titre de chancelier de la Confédération du Nord avec de larges attributions[14]. Il allait tout absorber en ses mains, devenir le grand ressort et le balancier de la machine compliquée qu'il avait imaginée, dont il avait le secret et qui se serait détraquée s’il n’avait été là pour la surveiller et la faire aller[15]. Il n’attendait qu'une occasion pour affirmer sa toute-puissance et prouver à l’Allemagne que les intérêts de sa dignité et de sa grandeur étaient désormais en mains sûres. M. de Moustier, dont le jeu serré l’avait déconcerté au mois d’avril, devait lui fournir le prétexte de parler haut et de nous faire subir une défaite diplomatique.

Les négociations entre Berlin et Copenhague traînaient ; elles paraissaient sans issue. La Prusse réclamait pour les populations allemandes des districts du Schleswig septentrional, qu'elle se montrait disposée à rétrocéder, des garanties qui lui eussent constitué un véritable droit d’ingérence dans les affaires intérieures de la monarchie danoise. Au lieu de s’en remettre aux lois du pays, qui étaient fort libérales, pour la protection de ses nationaux, elle réclamait des clauses spéciales, leur assurant la liberté de leur langue, de leur culte et le droit de réunion. Les exigences émises en 1853 à Constantinople par le prince Menchikof n’étaient rien auprès des prétentions qu'inspirait au cabinet de Berlin l’amour de la nationalité allemande. M. de Bismarck déclarait, en outre, que le roi ne consentirait jamais à rendre ni Duppel ni l’île d’Alsen, qu'il considérait comme le prix du sang versé par son armée.

L'empereur attendait une solution avec impatience ; il avait foi dans les assurances qu'il avait recueillies, aux Tuileries, de la bouche de M. de Bismarck ; il s’en prenait aux lenteurs de sa diplomatie. M. de Moustier dut rappeler au gouvernement prussien les engagemens moraux qu'il avait contractés avec nous. Il était convaincu que le chancelier ne resterait pas insensible au plaidoyer que le prince Gortchakof avait soumis « à ses méditations agrestes » et ferait de son mieux pour nous satisfaire. Il jugea donc opportun de s’expliquer avec lui sur la note peu conciliante, adressée au cabinet de Copenhague. « Si la rétrocession, disait-il, était un acte de pure libéralité, la Prusse aurait le droit d’y mettre telle condition qui lui plairait, mais elle reconnaît que l'obligation de rétrocéder dérive d’un article du traité de Prague ; or l’article 5 ne stipule aucune réserve. Les conséquences de la demande du cabinet de Berlin seraient de créer, dans les districts rétrocédés, des communautés allemandes, spécialement protégées par la Prusse et de lui conférer un droit régalien d’intervenir dans les affaires intérieures du Danemark. M. de Bismarck sait, ajoutait la dépêche, de quels sentimens de conciliation nous nous sommes toujours montrés animés ; il ne saurait donc se méprendre sur le caractère de nos observations. »

Notre ministre des affaires étrangères transmettait ces instructions à M. Lefèvre de Béhaine, un agent expérimenté, plus enclin à la conciliation qu'aux témérités; il était certain qu'elles seraient interprétées avec tact.

Rien n’autorisait donc à prévoir qu'une démarche faite avec mesure par un diplomate de carrière, d’une prudence calculée, serait mal interprétée et que ses paroles et ses actes seraient travestis pour servir de thème à des attaques passionnées contre la France.

A peine M. Lefèvre de Béhaine eut-il manifesté l’intention de présenter quelques observations au sujet des communications faites au cabinet de Copenhague que M. de Thile, en proie à une vive émotion, réelle ou feinte, lui dit en l’interrompant : «Ceci est grave ; il ne m’est pas permis de vous écouter avant d’avoir pris les ordres du roi. »

Notre chargé d’affaires revit le sous-secrétaire d’état le lendemain. M. de Thile paraissait remis de son émotion, il était l’esclave de ses consignes ; il se montra cette fois disposé à écouter avec sérénité les observations que les affaires du Schleswig suggéraient au gouvernement de l’empereur, mais il se borna au rôle d’auditeur attentif. M. Lefèvre de Béhaine, pour mieux le convaincre de nos sentimens, ne crut pas se départir de ses instructions en lui laissant lire sa dépêche. M. de Thile prit des notes, il ne discuta pas, il ne contesta pas les engagemens moraux de la Prusse, mais il posa sèchement, comme un fait, sans le commenter, que le traité de Prague avait été conclu entre la Prusse et l’Autriche.

Au sortir de l’entretien, le sous-secrétaire d’état s’empressa de demander au ministre de Danemark si le chargé d’affaires de France lui avait parlé de sa démarche, sans doute pour s’assurer, s'il y avait connivence entre les deux gouvernemens. « La communication qu'il vient de me faire est d’une extrême gravité, lui dit-il, elle est de nature à frapper vivement l’esprit du comte de Bismarck ; tout ce qui aurait l’air d’une menace, ne l’oubliez pas, le poussera aux déterminations les plus contraires aux intérêts du Danemark. » Le lendemain, les journaux allemands parlaient en termes acerbes d'ingérence étrangère ; ils affirmaient que la France s’était permis de passer une note au cabinet de Berlin au sujet du Schleswig, qu'elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas, et qu'on ne lui permettrait pas d’invoquer un traité qu'elle n’avait pas signé.

On répétait sans cesse que le gouvernement prussien avait le désir le plus sincère d’entretenir avec le gouvernement de l’empereur les rapports les plus confians, et cependant, il suffisait de l'appréciation la plus modérée de notre part sur des questions qui nous touchaient de près pour qu'aussitôt les susceptibilités prussiennes s’affirmassent avec violence et que la presse officieuse surexcitât le sentiment national. Il semblait qu'on voulût appliquer dans le centre de l’Europe la doctrine de Monroe et faire de l’Allemagne une espèce d’arche sainte, placée en dehors de tout contrôle. Cette manière de procéder était pleine de dangers, elle avait l’inconvénient d’ébranler à chaque instant la confiance publique. Les esprits modérés en Prusse le déploraient vivement, ils craignaient que, malgré les intentions conciliantes qui se manifestaient à la cour, M. de Bismarck, dont ils redoutaient les emportemens, ne finît, avec de tels procédés, par lasser notre patience. Il pouvait lui convenir de tenir le patriotisme germanique sans cesse en haleine au profit de sa popularité et de ses exigences intérieures, mais cette manière d’agir, peu régulière, n’était pas de nature à faciliter les rapports internationaux.

M. de Moustier ne s’expliquait pas les violences de la presse allemande et l’inquiétude que sa démarche si mesurée provoquait soudainement en Europe.

« Les journaux, télégraphiait-il à notre chargé d’affaires, insistent sur la remise d’une note française au sujet du Schleswig. Comme vous n’avez donné lecture d’aucune note s ur cette question ni sur aucune autre, je regrette que le gouvernement prussien n’ait pas tenu à éclairer ses journaux qui affirment des faits aussi matériellement faux et qui pourraient donner au public les notions les plus erronées sur nos rapports avec la cour de Berlin. Je vous prie de ne rien négliger pour que ces assertions soient démenties. » M. Lefèvre de Béhaine interpella M. de Thile sur l’étrange interprétation que la presse prussienne donnait à sa communication. « Il n’y a pas eu de note passée, je le reconnais, lui répondit le sous-secrétaire d’état, mais vous m’avez donné à lire la dépêche. — c’est vrai, répliqua notre chargé d’affaires, je vous en ai laissé prendre connaissance à titre confidentiel, pour vous permettre d'être mieux à même d’apprécier l’esprit conciliant qui nous inspire, mais je ne vous en ai pas donné lecture officielle et j’ai eu bien soin de l’établir. » M. de Thile avait l’entendement capricieux et l’ouïe intermittente ; il prétendit n’avoir gardé aucun souvenir de cette réserve. L'attitude de notre chargé d’affaires ne pouvait cependant laisser aucun doute sur la nature amicale de nos observations verbales, et sur l’absence absolue de tout ce qui dans le langage diplomatique s'appelle une communication officielle. Ce n’est point en faire une que de laisser jeter confidentiellement les yeux sur des instructions confidentielles et un homme de l’importance de M. de Thile ne pouvait s’y tromper. De pareilles méprises étaient de nature à rendre bien difficiles avec le cabinet de Berlin des rapports qui doivent reposer avant tout sur une confiance mutuelle et sur des usages établis. « Surtout, tâchez de vous procurer quelque chose d’écrit, » disait Frédéric II à Podewils. A défaut de pièces écrites, le gouvernement prussien donnait à des communications officieuses, faites sous le manteau de la cheminée, le caractère de notifications officielles. Il faisait faire à la France, malgré elle, une communication qu'elle n’avait pas faite et qu'elle n’avait pas voulu faire.

La diplomatie russe restait spectatrice impassible de cet étrange incident. Elle aurait pu cependant, sans trop se compromettre, intervenir dans le débat et prier le chancelier fédéral de faire cesser une équivoque qui mettait derechef l’Europe en émoi. Mais le ministre de Russie à Berlin penchait plutôt du côté de la Prusse. Il se demandait s’il était sage de soulever une question qui pouvait conduire à la guerre. « c’est sur l’Eider, disait-il philosophiquement, que M. de Bismarck est venu pour la première fois affirmer la politique aventureuse qu'il a fait triompher ; c’est sur l’Eider que pourrait se décider cette fois la question s’il passera ou ne passera pas le Mein. »

Il est vrai qu'à Pétersbourg, dans ses épanchemens avec notre ambassadeur, le prince Gortchakof inclinait plutôt de notre côté. Il se posait en juge du camp. Il était d’avis que le droit de la France n'était pas douteux, que la négociation de Nikolsbourg s’était passée sous les yeux de notre ambassadeur, et qu'on n’avait inséré l’article 5 dans le traité de Prague que pour être personnellement agréable à l’empereur Napoléon. Il s’étonnait, en ravivant l’amertume de nos regrets, qu'à Berlin on pût oublier si vite les services que nous avions rendus à la Prusse, en 1866, en lui permettant de dégarnir les provinces rhénanes et de jeter toutes ses forces en Bohême. Il voyait avec regret germer une nouvelle semence de division entre la France et la Prusse. Les violens écarts auxquels se laissait aller la presse des deux pays lui inspiraient de vives inquiétudes. Il avait déjà fait entendre de sages avis au comte de Bismarck, il lui avait conseillé de se montrer moins nerveux et d’entrer plutôt dans une voie systématique de bons procédés à notre égard. Mais il craignait qu'une nouvelle pression ne produisît un résultat tout contraire.

Plus, en effet, on s’expliquait, plus on multipliait les efforts de conciliation et plus se faisait jour l’antagonisme sorti des événemens de 1866. Le moindre incident suffisait pour faire renaître les anxiétés, car il révélait un état aigu qui semblait ne plus laisser de place à aucune transaction. A Paris, on s’endormait volontiers dans une trompeuse tranquillité dès que les points noirs s'atténuaient; mais, en Prusse, on ne perdait pas de vue un seul instant la réalité des choses. L’éventualité d’une guerre avec la France s’imposait à toute heure aux préoccupations de la cour de Berlin.

Au moment où notre diplomatie interrogeait le gouvernement prussien sur ses intentions au sujet de l’article 5 du traité de Prague, le roi Guillaume se trouvait à Ems. Il avait l’habitude, lorsqu'il s’éloignait de sa capitale, d’emmener avec lui une partie de son cabinet politique et de son cabinet militaire. Il tenait aussi à s’entretenir, dans les stations thermales, durant les séjours qu'il faisait si volontiers, avec ses représentans à l’étranger. C’est en causant avec eux et en les mettant à leur aise qu'il cherchait à se renseigner, mieux encore que par leurs dépêches, sur l’opinion des pays où ils résidaient et sur les sentimens des cours auprès desquelles ils étaient accrédités. C’était, chez lui, un précepte d’état de se consacrer en quelque sorte exclusivement, sans permettre à son activité de s'éparpiller, aux soins de l’organisation de son armée et de sa politique extérieure. — Ora et labora était sa devise.

Parmi les diplomates accourus dans la vallée de la Lahn se trouvait le comte de Bernstorff, ambassadeur de Prusse à Londres. Le roi tenait à être exactement renseigné sur les dispositions de l’Angleterre en prévision d’une conflagration générale, qu'on était loin de souhaiter, mais qu'on semblait toujours considérer comme inévitable, sinon comme imminente.

Voici ce qu'on écrivait d’Allemagne sur les inquiétudes qui se manifestaient alors à la cour de Prusse : « Vous voudrez bien me permettre de vous résumer les considérations que l’ambassadeur du roi à Londres a émises, à son retour d’Ems, dans des entretiens dénués de tout caractère officiel. M. de Bernstorff aurait protesté contre les arrière-pensées belliqueuses que l’on prête si volontiers à son gouvernement. «Pourquoi la Prusse, aurait-il dit, poursuivrait-elle la guerre ? N’a-t-elle pas à s’assimiler ses conquêtes, à se préoccuper de son développement intérieur, et serait-il sage de risquer les avantages que lui ont valus la dernière guerre? Ses intérêts économiques et militaires sont aujourd'hui amplement satisfaits, elle peut s’en remettre au temps pour achever sa tâche. Elle a donné, d'ailleurs, et donne chaque jour, des preuves non équivoques de sa modération. Ne résiste-t-elle pas aux instances des états du Midi, qui voudraient forcer la barrière du Mein et entrer dans la confédération du Nord? Le voyage du roi et de la reine à Paris, l'initiative prise par le cabinet de Berlin à Copenhague, et l’appui qu'il prête à la France en Orient, ne sont-ils pas autant de gages de sa sincérité ? Mais ce qu'elle ne saurait admettre, c’est d’être le bouc émissaire des fautes d’autrui. Si le gouvernement français, l'an dernier, a été mal inspiré dans sa politique extérieure, mal servi par sa diplomatie, et s’il en est résulté des difficultés pour ses affaires intérieures, dont la Prusse est loin de méconnaître la gravité, est-il permis de l’en rendre responsable?

« Le gouvernement prussien n’en est pas moins disposé à faire à la paix toutes les concessions compatibles avec sa dignité. Reste à savoir si elles seraient suffisantes pour réconcilier la France avec les transformations sorties des événemens de 1866 et pour la rassurer sur notre action en Allemagne. Il est, d’ailleurs, des exigences auxquelles nous ne saurions satisfaire. Le roi peut-il céder Düppel et Alsen, que ses troupes ont conquises après des luttes sanglantes? Et cependant, c’est sur la question du Schleswig, depuis que la Belgique et le Luxembourg sont hors de cause, que la France paraît vouloir, en encourageant à Copenhague des prétentions excessives, engager la lutte. Les stratégistes français en sont déjà à parler d'une campagne d’hiver... Ce sont là de tristes perspectives.

« La Prusse ne provoquera certes pas la guerre, elle la subira à son corps défendant, mais elle la fera résolument, et l’on peut être certain qu'elle ne la prendra pas au dépourvu, ni diplomatiquement, ni militairement. Ses mesures sont prises. Elle peut compter sur la neutralité de l’Angleterre et peut-être même sur son intervention en cas de revers; la Russie est son alliée naturelle, et le voyage de l’empereur Alexandre à Paris, marqué de tant d’incidens fâcheux, n’a fait que resserrer d’une manière plus étroite la politique des deux gouvernemens. L’Autriche, sous la direction remuante de M. de Beust, ne demanderait pas mieux que de prendre une revanche, mais la Russie sera là, à l’heure voulue, pour tempérer ses velléités belliqueuses. La révolution est une force de nos jours, et nous n’hésiterions pas à la retourner contre l’Autriche si elle s’alliait à la France. Le terrain est tout préparé. La dépêche de M. de Werther sur le couronnement de l’empereur François-Joseph n’est rien moins qu'apocryphe ; elle est un avertissement. Qui nous empêcherait de nous ménager des intelligences dans les régimens tchèques et, s’il le fallait, de proclamer la république en Hongrie? Qui veut la fin veut les moyens. Nous pactiserions avec la révolution partout où il le faudrait, en France aussi bien qu'en Italie, et Garibaldi saurait bien arrêter Rattazzi si, comme on se l’imagine à Paris, le gouvernement italien, contrairement aux assurances qu'il nous a données, devait réunir un corps d’armée sur les frontières de la Bavière ou relayer les garnisons françaises en Algérie.

« Quant à l’armée prussienne, elle fera, comme toujours, bravement son devoir, et les contingens du Midi combattront vaillamment à ses côtés, alors même que certains gouvernemens seraient disposés à trahir la cause allemande. La partie sera rude, nous n’en disconvenons pas. Nos généraux connaissent les brillantes qualités de l’armée française, mais ils connaissent aussi ses défectuosités. Le soin constant des états-majors prussiens a été de les étudier et de les signaler aux troupes ; ils sauront, sur les champs de bataille, les faire tourner à notre avantage.

« Cela n’empêche, aurait dit le comte de Bernstorff à la personne qui m’a répété ses paroles, que la Prusse, malgré sa confiance absolue dans l’invincibilité de son armée, fera à la paix du monde tous les sacrifices qui ne seraient pas incompatibles avec son honneur et sa dignité. »

Ces réflexions, émises avec abandon dans des conversations familières, reflétaient fidèlement les idées dont s’inspirait la cour de Prusse. Elles montraient que sa diplomatie avait une notion claire, précise de la situation, que ses calculs reposaient sur des données certaines, qu'elle avait le sentiment de sa force et la connaissance de notre faiblesse, et que, soutenue par les passions nationales, elle marchait résolument, pas à pas, vers le but qu'elle s'était tracé. Elle ne désirait pas la guerre assurément, mais elle ne faisait aucune concession pour l’éviter. Le roi et son ministre étaient insensibles aux inquiétudes que des crises, sans cesse renouvelées, provoquaient en Europe, à la perturbation qu'elles jetaient dans les affaires, et qui ne pouvaient qu'ajouter aux difficultés dans lesquelles se débattait l’empire, décrié, harcelé par l’opposition vindicative des partis.

« Ce n’est pas la forme de vos observations, disait le ministre d'Angleterre à M. Lefèvre de Béhaine, qui a froissé le comte de Bismarck, mais le fait d’une intervention qui aurait pu rehausser le prestige de votre souverain, servir d’encouragement aux mécontens d'Allemagne et aux résistances qui s’opposent en Europe à la réalisation de ses desseins. » Peut-être aussi le gouvernement prussien n'avait-il provoqué l’incident que pour rejeter au second plan la question principale. Toujours est-il que, par le fait d’une intervention inopportune et par suite d’un acte de confiance, perfidement interprété, le gouvernement de l’empereur se trouvait encore une fois acculé dans une impasse. Relever le procédé du cabinet de Berlin et maintenir notre droit de veiller à l’exécution d’un traité qui ne portait pas notre signature, c’était fournir des argumens au parti militaire en Prusse et s’exposer à un conflit. Tout semblait indiquer qu'on cherchait, de propos délibéré, à nous pousser à des résolutions inconsidérées. « Les journaux prussiens, télégraphiait M. de Moustier, continuent la polémique la plus insultante. Je viens de lire dans la Correspondance de Berlin un article odieux. Quand tout cela finira-t-il? »

La sagesse fort heureusement prévalut dans les conseils de l’empereur. M. de Moustier, qui avait procédé à une évolution diplomatique si habile au mois d’avril, dut opérer cette fois une retraite peu glorieuse. « Nous n’avons pas voulu mettre la Prusse en demeure de s’expliquer sur ses intentions, télégraphiait-il à notre chargé d’affaires, nous avons voulu seulement lui faire connaître notre sentiment. Nous regretterions vivement que le comte de Bismarck pût se méprendre sur la nature de nos observations. Il doit être parfaitement rassuré sur nos intentions et demeurer convaincu qu'en aucune circonstance nous ne nous exposerions au reproche de blesser les susceptibilités d’une puissance voisine. » Le comte de Bismarck n’en demandait pas davantage. Le lendemain, la presse officieuse, la veille encore si agressive, s’indignait des bruits que faisaient courir les journaux de Paris et de Vienne sur un prétendu désaccord entre la France et la Prusse à propos du traité de Prague,

L'incident était clos, mais ce n’était qu'une trêve. L’entrevue de Salzbourg devait fournir, peu de jours après, au chancelier fédéral un prétexte nouveau pour raviver avec plus de violence les passions à peine assoupies.

L'empire était sur le chemin du Calvaire ; il était condamné à le gravir d’étape en étape jusqu'au jour de l’expiation finale des erreurs qu'il avait commises en altérant systématiquement tous les élémens qui avaient assuré à la France sa sécurité et son prestige.


G. ROTHAN.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.
  2. Dépêche d’Allemagne. — « Les populations des nouvelles provinces sont loin d'être pénétrées encore de cet amour filial que le roi Guillaume a l’ambition d’inspirer à tous ses sujets anciens ou nouveaux. Ce ne sont pas les procédés de sa bureaucratie, les mesures vexatoires qu'elle leur applique et les lourdes charges qu'elle leur impose qui les réconcilieront de sitôt avec leur sort. Aussi les difficultés que la Prusse rencontre dans son œuvre d’assimilation ne font-elles qu'augmenter de jour en jour; l’avantage de faire partie d’une grande agglomération, qui a pu séduire les masses, ne les émeut plus. Les violences qu'elles endurent ne sont pas de nature à leur faire oublier leur histoire et le bien-être insouciant dont elles jouissaient autrefois. »
  3. La Politique française en 1866, ch. V, p. 239. — M. Benedetti au quartier-général prussien.
  4. Dépêche d’Allemagne. — « Depuis la confédération du Rhin, a dit M. de Dalwigh, les petits états avaient vu dans la France une protectrice intéressée peut-être, mais sûre. La guerre désastreuse de l’an dernier les a mis à la merci du cabinet de Berlin. Nous savons que les concessions que nous avons dû faire à M. de Bismarck sont un large pont jeté sur le Mein, un acheminement marqué vers l’unité. Nous n’avons aucune confiance dans sa bonne foi, la situation qu'il nous a faite n’est pas tenable, et, à moins d’une intervention victorieuse de la France et de l’Autriche, nous serons forcés d’entrer dans la Confédération du Nord. Bade ne demande qu'à être étranglé, le Wurtemberg le sera malgré lui ; il n’y a que la Bavière qui conservera une ombre d’indépendance. M. de Bismarck, il est vrai, a déclaré hautement qu'il ne nous demanderait pas de nouveaux sacrifices; mais, lorsque j’ai voulu prendre acte de ses paroles, les considérant comme une renonciation à l’idée de faire entrer Hesse-Darmstadt dans la confédération du Nord, il m’a fait entendre que j’exagérais la portée de ses déclarations. Il a ajouté : « Quand le moment viendra, nous saurons ce que nous aurons à dire à l’Autriche; quant à la France, nous l’attendrons, nous sommes prêts. » Ce langage, a dit M. de Dalwigh, M. de Bismarck me le tenait la veille du jour où il partait pour Paris avec le roi. Il ne l’eût pas tenu, sans doute, s’il croyait à votre supériorité militaire, mais ici tout le monde affirme que votre armée est en mauvais état et qu'on aura l’avantage sur vous. »
  5. Le prince Gortchakof, à son retour de Paris, s’était arrêté à Stuttgart. Loin d'encourager la cour dans ses résistances aux empiétemens de la Prusse, il lui donnait le conseil de s’en accommoder. « La Prusse, disait-il, ne nous a donné que des satisfactions, elle a été d’une correction irréprochable dans la question polonaise, et jamais elle ne suscitera d’ennuis à notre politique. »
  6. Voir le remarquable ouvrage de M. Albert Sorel, l’Europe et la Révolution française, livre Ier, les Mœurs politiques.
  7. Le prince de Bismarck est assez sûr de sa puissance et de sa volonté pour annoncer longtemps à l’avance à qui veut l’entendre les projets qu'il médite et qu'à un jour donné il mettra à exécution. Il disait, il y a quelques années déjà, qu'aussitôt sorti du Culturkampf, il procéderait dans les nouvelles provinces à l’expulsion violente des élémens étrangers, qui, par leur présence, entretiennent les regrets du passé et retardent l’assimilation. Le chancelier ne se préoccupe pas des représailles; il reconnaît à tout état le droit de dénoncer l’hospitalité à ceux qui lui portent ombrage; il trouve que les Allemands qui vivent à l’étranger sans remplir leurs devoirs envers la mère patrie ne sont pas digues de la sollicitude de leur gouvernement.
  8. Dépêche d’Allemagne. — « Le pont en pierre construit sur le Rhin, entre Manheim et Ludwig-hafen, destiné à relier les lignes ferrées du grand-duché de Bade et de la Bavière rhénane, sera inauguré dans le courant du mois d’août. On s’était flatté que le roi Louis rehausserait par sa présence l’éclat de cette fête. On y comptait d'autant plus qu'il s’est refusé, depuis son avènement au trône, à visiter le Palatinat, qu'on a aujourd'hui un véritable intérêt à ménager, car les populations de cette province se montrent particulièrement mécontentes de l’impôt projeté sur le tabac et de l'aggravation des charges que leur vaut le nouvel état de choses en Allemagne. Le baron Charles de Rothschild s’était rendu à Munich, au nom de la compagnie du chemin de fer de Ludwig-hafen, dont il est le président, pour inviter Sa Majesté bavaroise. Mais, , malgré sa grande situation financière et l’appui qu'il a prêté récemment au crédit de la Bavière, il n’a pas pu, bien qu'appuyé par le président du conseil, arriver jusqu'au roi, qui, depuis sa brouille avec l’auteur du Tannhaüser, serait moins accessible que jamais. M. de Rothschild est revenu de Munich assez mortifié de l'insuccès de sa démarche. Il m’a fait de la cour de Bavière un tableau peu édifiant. Il m’a dit que le roi était inaccessible à ses ministres, qu'il fallait la croix et la bannière pour lui enlever une signature, qu'il subordonnait les affaires de l’état aux rêves de son imagination. Ces détails, et d’autres encore que m’a donnés M. de Rothschild, montrent dans quelles conditions difficiles s’exerce le pouvoir en Bavière; ils expliquent aussi l’affaissement politique d’un pays jadis ambitieux et qui perd insensiblement le souvenir de son indépendance passée et les traditions de son histoire. »
  9. Dépêche d’Allemagne. — « Ce qui fait la force du prince de Hohenlohe et le maintiendra au pouvoir, malgré l’hostilité des partis, les dissentimens au sein du conseil et les intrigues de la cour, c’est la difficulté de le remplacer. C’est aussi, indépendamment de la pénurie d’hommes politiques, le caractère du roi qui, bien que volontaire et ombrageux, est flatté d’avoir un grand seigneur à la tête de son cabinet ; il attache plus d’importance aux dehors de la royauté qu'aux devoirs qu'elle impose.»
  10. La reine Augusta a témoigné pendant la guerre à nos blessés et à nos prisonniers la plus touchante sollicitude.
  11. Dépêche d’Allemagne. Juillet 1867. — « On ne saurait être trop circonspect en caractérisant la politique des cours du Midi, si tant est qu'elles aient une ligne de conduite nettement tracée. Leurs tendances étaient déjà bien difficiles à définir du temps de la diète, elles variaient selon le cours momentané de leurs passions et de leurs intérêts. La tâche s’est compliquée encore pour notre diplomatie depuis qu'elles ont été forcées d’aliéner malgré elles, entre les mains de la Prusse, leur liberté d’action et de se rendre solidaires de ses résolutions. Elles n’ont plus en effet les points d’appui si commodes qu'elles trouvaient à Vienne et à Francfort ; elles ne sont plus en nombre suffisant pour se coaliser utilement, comme elles le faisaient si volontiers sous l’inspiration de M. de Beust et de M. de Pfordten ; et elles ne sont pas encore arrivées, il s’en faut de beaucoup, à oser publiquement tourner leurs regards vers la France, bien qu'au fond du cœur elles suivent avec une certaine satisfaction le développement que prennent nos arméniens.
    « Toutefois, on ne saurait le méconnaître, leur condition s’est sensiblement améliorée dans ces derniers mois. Elles se sont émancipées quelque peu de la pression que le cabinet de Berlin exerçait sur elles; elles commencent à discuter au lieu d'obéir aveuglément. L’opinion publique, qui s’est manifestée si énergiquement dans tout le Midi, devait réagir forcément sur l’attitude des gouvernans. M. de Varnbühler et le prince de Hohenlohe ont compris, en temps opportun, qu'ils compromettaient leur popularité et leurs portefeuilles en sacrifiant trop ouvertement à la Prusse. Ils ont déclaré, pour tranquilliser l’opinion, qu'ils n’avaient nullement l’intention d’entrer avec armes et bagages dans la Confédération du Nord, et ils ont cherché une formule qui permît au Sud de se grouper et de s’organiser militairement pour constituer ensuite, dans des conditions plus avantageuses, le lien national avec le Nord, prévu par le traité de Prague. Mais la Prusse n’a aucun intérêt à laisser le Midi sortir de sa situation précaire pour former une union militaire distincte qui conduirait fatalement à une confédération des états du Midi, avec laquelle on aurait à compter plus sérieusement qu'avec des gouvernemens isolés, divisés. Les ministres actuels peuvent bien être personnellement de bonne foi et offrir toute sécurité au cabinet de Berlin; mais, au-dessus d’eux, se trouvent des cours jalouses, et, derrière eux, des partis passionnés, impatiens de secouer le joug et peu soucieux d’exécuter des engagemens contractés sous l’empire de la nécessité. »
  12. « On parle d'une mission du prince Napoléon à Copenhague, écrivait le 18 juillet la Gazette de l’Allemagne du Nord. De quelle nature est cette mission? On ne le dit pas. La presse danoise ne manquera pas d’exploiter cette nouvelle pour éveiller des espérances qui resteront aussi chimériques que celles dont on se berçait en 1866.»
  13. Papiers de M. de Moustier. — Le prince Gortchakof fit remettre à M. de Moustier, par le baron de Budberg, une copie de sa lettre au comte de Bismarck pour lui administrer une preuve manifeste de son désir de nous être utile.
  14. Il fut nommé le 18 juillet 1867.
  15. « Le chancelier, qui tient si peu de place dans la constitution, en tient beaucoup dans la Confédération du Nord; il en est l’âme, la cheville ouvrière; tout passe par ses mains et tout y revient; c’est par lui que tous les rouages de la machine s’engrènent; il préside, il dirige, il parle, il agit, il propose et il dispose. Il y a dans sa situation quelque chose d’indéfinissable, de savantes obscurités, de mystérieuses complications. Il répond de la politique étrangère, des finances, de l’administration militaire et des affaires intérieures; en réalité, il ne répond de rien parce qu'il répond de tout, il n’est responsable qu'envers son roi, auquel il a donné cinq provinces. La constitution aurait dû stipuler que le chancelier fédéral est tenu d’être un homme universel, un génie. » (M. Victor Cherbuliez, l’Allemagne nouvelle.)