Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870/05

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Les Relations de la France et de la Prusse de 1867 à 1870
Revue des Deux Mondes3e période, tome 74 (p. 762-788).
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LES RELATIONS
DE
LA FRANCE ET DE LA PRUSSE
DE 1867 A 1870

VI.[1]
L’ITALIE EN 1887. — LA DIPLOMATIE FRANÇAISE EN ITALIE. — LA COUR DE ROME ET LA CONVENTION DU 15 SEPTEMBRE. — MAZZINI ET GARIBALDI.


I. — L’ITALIE EN 1867.

Par la cession de la Vénétie, l’Italie avait constitué son unité territoriale ; le quadrilatère n’était plus une menace pour sa sécurité, mais un boulevard pour sa défense. La foi aveugle qu’elle avait en son étoile s’était justifiée ; tout lui avait réussi ; jamais les destinées d’un peuple ne s’étaient si rapidement accomplies. Du rêve elle avait, sans transition appréciable, passé à une glorieuse réalité. Tout avait conspiré en sa faveur, ses défaites l’avaient servie à l’égal d’éclatantes victoires. Il ne manquait à une aussi prodigieuse fortune, pour être à l’abri des retours, que la consécration du temps. Les œuvres hâtives souvent portent en elles les germes d’une inévitable décomposition. L’Italie, en 1867, inquiétait ses amis ; elle souffrait d’une trop rapide croissance, elle avait des emportemens, des nervosités qui témoignaient de la fragilité de sa constitution. La transformation s’était accomplie sans être préparée par l’assimilation des idées, des intérêts et des coutumes. L’unité, au lieu de suivre l’union, l’avait précédée[2]. L’Italie en subissait les conséquences ; elle traversait une crise périlleuse, des symptômes de désagrégation éclataient de toutes parts : l’anarchie régnait dans les provinces, la sécurité y était précaire, les transactions chômaient, l’indiscipline pénétrait dans l’armée, la banqueroute semblait inévitable, les rivalités s’accentuaient entre les capitales dépossédées, le roi était atteint dans sa popularité et le parti révolutionnaire redoublait d’audace, Garibaldi bravait le gouvernement publiquement, tandis que Mazzini le minait sourdement. La translation de la capitale à Florence et la cession de la Vénétie, qui devaient tout concilier, n’avaient rien résolu. « Rome capitale » était devenue, en 1867, avec plus ou moins d’intensité, le cri de ralliement de tous les partis ; on y voyait le salut de l’Italie, un dérivatif à tous les maux, la dernière étape pour arriver au couronnement de l’unité.

L’empereur apprenait tardivement ce qu’il en coûte de se consacrer à la délivrance des peuples. Il avait rêvé une alliance fraternelle indissoluble avec l’Italie et, sans le vouloir, il froissait son amour-propre et se mettait en conflit avec ses aspirations dès qu’il affirmait l’intérêt français. La convention du 15 septembre, qui, dans sa pensée, devait prémunir la péninsule contre les entraînemens révolutionnaires et sauver la papauté, loin de réconcilier le saint-siège avec les Italiens, avait fait éclater entre eux une irrémédiable dissidence. En consacrant le principe de la non-intervention et en proclamant la nécessité d’une entente entre l’état et l’église libres, elle livrait, en réalité, Rome à l’Italie. Personne dans la péninsule n’avait accepté Florence comme capitale définitive ; ce n’était, disait-on, qu’une étape qui conduirait plus vite et plus sûrement à Rome. Le roi en était le premier convaincu. « Si nous allons à Florence, disait-il lorsque dans ses conseils on discutait le choix de la capitale, il nous sera aisé de plier bagage et de fausser compagnie aux Florentins, mais si nous nous installons à Naples, les Napolitains ne nous permettront plus de lever le pied. » Il était manifeste pour tout le monde que l’arrangement international du 15 septembre 1864 amènerait plus ou moins rapidement la chute du pouvoir temporel. On comptait sur la propagande des comités secrets pour soulever les populations romaines ; on ne doutait pas que, l’armée française partie, le mécontentement ne provoquât contre le régime pontifical une révolution qui fournirait au cabinet de Florence un prétexte pour intervenir et pénétrer dans Rome. Ce n’était plus qu’une question d’opportunité. Les ardens s’appliquaient à précipiter le mouvement, les politiques le laissaient se produire, bien décidés à en profiter. Ils spéculaient sur un conflit éventuel entre la France et la Prusse, surtout sur la faiblesse de l’empereur ; ils comptaient aussi sur l’assistance morale du cabinet de Berlin. Le langage des agens prussiens, secrets ou officiels, n’était pas de nature à les décourager : le comte d’Usedom affichait ses sympathies pour Garibaldi, il pactisait ouvertement avec ses amis. On savait aussi qu’un officier détaché de l’armée prussienne, M. Bernardi, que nous devions retrouver en 1870 à Madrid, mêlé à l’incident espagnol, avait de secrètes connivences avec la presse radicale et le parti révolutionnaire.

La politique et les sentimens de l’Italie s’étaient transformés depuis 1866 ; elle ne se retournait plus vers la France, elle cherchait son point d’appui à Berlin. Pour colorer son évolution, elle s’en prenait à nos procédés ; elle se disait humiliée, elle nous reprochait de l’avoir empêchée de conquérir la Vénétie à la pointe de son épée pour nous réserver la mince satisfaction d’amour-propre de la lui rétrocéder ; elle nous rendait responsables de la convention du 15 septembre, qu’elle considérait comme un obstacle à ses revendications nationales. Ses griefs étaient imaginaires, mal fondés. L’empereur ne méritait pas les reproches dont l’Italie l’abreuvait. S’il avait péché, c’était par excès de sollicitude pour ses destinées ; il ne s’était préoccupé que d’elle à la veille de la guerre de Bohême, il lui avait subordonné l’intérêt de la France. Il avait obtenu de l’Autriche, en échange de notre neutralité, qu’en tout état de cause, quelle que fût l’issue de la lutte, elle lui abandonnerait la Vénétie pour la rétrocéder à l’Italie. Aucune arrière-pensée humiliante pour l’amour-propre italien n’avait inspiré la convention du 12 juin 1866, signée avec l’empereur François-Joseph ; et le cabinet de Florence, certes, eût accepté Venise de nos mains avec reconnaissance si, aux défaites de l’Italie, s’étaient ajoutées celles de la Prusse. Quant à la convention du 15 septembre, elle était moins notre œuvre que celle du cabinet de Turin. Le marquis de Pepoli était venu la proposer à l’empereur ; elle devait apaiser la question romaine et donner de la force au roi pour réagir contre les menées révolutionnaires. Elle devait aussi, en plaçant le siège du gouvernement au centre du royaume, au pied des Apennins, protéger l’Italie contre une agression éventuelle de l’Autriche et conjurer un second Aspromonte. « Changer de capitale, disait le négociateur italien, est une entreprise coûteuse, périlleuse ; la recommencer serait une résolution mortelle. »

Napoléon III croyait aux moyens moraux ; il ne se doutait pas, en cédant aux instances de son cousin, que l’acte auquel il adhérait provoquerait, à peine conclu, de funestes déchiremens entre les deux pays. S’il avait daigné consulter sa diplomatie officielle, elle l’eût dissuadé de se lier les mains sans urgence, de se prêter à un traité équivoque qui, sous prétexte de garantir au pape ce qui restait de son pouvoir temporel, consacrait implicitement les droits de l’Italie sur Rome. Elle l’eût renseigné sur le véritable état des esprits dans la péninsule, dont le marquis de Pepoli lui traçait un tableau si alarmant ; elle lui eût appris que l’arrangement qu’on lui soumettait était un expédient, et que le ministère aux abois espérait, en remettant la question romaine à l’ordre du jour, y trouver, à la veille des élections, un dérivatif à ses embarras financiers et administratifs. Mais on ne consultait personne ; on attachait plus de prix au dire des diplomates étrangers qu’aux renseignemens et aux appréciations des agens français. La politique cesse d’être une science lorsqu’elle ne fonde pas ses actes sur des données sévèrement contrôlées, et que, pour complaire à tout le monde et se dispenser de vouloir, elle soumet ses principes et ses intérêts à de fâcheuses compromissions.

« Il est des questions latentes, il en est qui sont pendantes, d’autres sont ouvertes, » disait en 1863 le comte de Sartiges, le prédécesseur de M. de Malaret à Turin, lorsqu’on lui parlait de « Rome capitale ; » il n’admettait pas que déjà la question romaine fût « ouverte ; » elle s’imposait assurément aux méditations des gouvernemens, mais elle ne comportait pas un arrangement contractuel portant en germe les plus graves complications, et dont la conséquence immédiate était de mécontenter la France, d’irriter les Italiens, d’exaspérer les catholiques de tous les pays, et de nous aliéner le Vatican.

Notre diplomatie, en Italie, avait peu d’autorité ; on savait qu’elle n’était ni écoutée ni renseignée par son gouvernement. Les affaires italiennes étaient le luxe trompeur de la politique impériale ; l’empereur les traitait directement dans l’ombre et le mystère, souvent avec d’étranges intermédiaires. Une lettre du comte de Cavour, publiée dans le temps par un journal de Rome, montrait que ce ministre, pour faire prévaloir ses idées à la cour des Tuileries, ne reculait devant aucun genre de séduction. L’histoire réserve des surprises ; elle pénètre jusque dans les alcôves pour saisir les causes et les mobiles qui ont présidé aux événemens. Un écrivain de race nous a fait connaître « le secret du roi ; » une plume autorisée nous révélera peut-être un jour « le secret de l’empereur. »

L’empereur avait vivement ressenti la mort du comte de Cavour ; il déplorait sa disparition, plus que jamais, depuis que l’Italie méconnaissait ses intentions et le payait d’ingratitude. Il se plaisait à croire que ce grand esprit eût compati à ses embarras, qu’il eût contenu les passions et trouvé une solution au problème romain si intempestivement soulevé par sa politique. Napoléon III mêlait le sentiment à la diplomatie et se préparait ainsi de pénibles désenchantemens. Victor-Emmanuel, si rond d’allures, si démonstratif, si prodigue d’assurances, lui inspirait une égale confiance. Il se persuadait qu’il resterait fidèle aux souvenirs de Solférino et que jamais il ne démentirait sa parole ; il lui prêchait la modération et s’adressait à sa sagesse. Il s’exagérait son autorité en s’imaginant qu’il pouvait, comme lui, décider de tout sans contrôle. Il oubliait qu’en sa qualité de souverain constitutionnel il ne lui était pas permis d’engager l’état sans l’assentiment de ses ministres et de son parlement.

Le roi avait d’ailleurs perdu de son prestige ; on rendait toujours hommage à sa vaillance, sa bravoure était légendaire, mais on discutait ses actes, sa conduite, on se plaignait de sa condescendance envers la France, on lui reprochait de trop se désintéresser des affaires, de subordonner la politique à la chasse et à des distractions équivoques. On ne le connaissait guère ; son effacement n’était qu’apparent. Il disparaissait et rentrait en scène toujours à propos, lorsqu’il s’agissait de faire prévaloir les intérêts de sa couronne. Il avait peu de culture, mais de l’esprit naturel. Il variait ses plaisirs « et les choisissait assez bas pour qu’ils n’eussent pas d’empire sur son âme. » Volontiers il faisait passer pour siennes les conceptions de ses ministres. Il savait ce qu’il voulait, et, lorsque ses résolutions étaient prises, il n’éprouvait ni les indécisions ni les regrets qui les affaiblissent. Sa politique était celle de sa maison. « Je me rappelle l’histoire de mes ancêtres, » disait-il au général Pepe, qui lui recommandait de prendre exemple sur Léopold Ier, le roi des Belges. Or ses ancêtres tiraient parti de tout, des revers et des succès ; leur fidélité était intermittente, elle ne s’attardait pas dans les alliances incommodes. « La cour de Turin, disait le chevalier de Walpole dans son Testament, ne fait d’alliance qu’avec le plus offrant ; sa politique a la subtilité de l’air qu’elle respire[3]. » Marcher d’accord avec l’opinion ; tenir hardiment levé le drapeau des espérances nationales ; accueillir, grouper autour de son gouvernement les libéraux bannis qui se réfugiaient en Piémont ; attendre, chercher patiemment les occasions pour recommencer la lutte contre l’Autriche, s’y préparer par des alliances, par la réorganisation de l’armée et des finances, tel était le programme qu’avec l’aide et sous l’inspiration du comte de Cavour il s’était tracé.

Victor-Emmanuel ne s’est interdit aucun des moyens qui devaient faire triompher ce programme : ni les subterfuges diplomatiques, ni l’achat des consciences, ni les compromissions avec la révolution, ni la spoliation de l’église, malgré le respect qu’il affectait pour la personne de son chef. « Son habileté a été de persuader aux Italiens que leurs intérêts se confondaient avec ceux du Piémont et de lier la cause de la monarchie de Savoie à la cause italienne[4]. » Il a en aussi, comme le roi de Prusse, l’habileté de donner le change, sur la portée de sa politique, à un souverain dont le cœur était sensible et l’esprit chimérique.

Victor-Emmanuel se trouvait, en 1867[5], à une heure critique de ce règne qui marque aujourd’hui si glorieusement dans les annales de l’Italie. Il s’était aliéné l’affection du Piémont et n’avait pas conquis l’attachement de ses nouvelles provinces. Il s’était arraché du sol où sa dynastie avait de profondes racines, et il n’était encore pour les Lombards, les Toscans et les Napolitains qu’un étranger, bien qu’il personnifiât leurs aspirations. Les liens du passé, formés par de longues et de communes épreuves, n’existaient pas entre eux. Le Piémont, au contraire, qui depuis des siècles avait soutenu la maison de Savoie dans la bonne et la mauvaise fortune, cédait aux ressentimens. Il ne pouvait oublier qu’on avait répondu aux manifestations de ses plaintes, de sa stupeur, par des coups de fusil, le jour où le gouvernement, par un simple entrefilet de l’Opinione, notifiait brutalement à la ville de Turin qu’elle avait cessé d’être la capitale du royaume. Les Piémontais n’avaient jamais marchandé les sacrifices à la dynastie ; ils se seraient soumis sans murmurer à leur dépossession, si le roi, au lieu de se retirer à la Mandria, dans une de ses maisons de plaisance, avait fait un généreux appel à leur dévoûment. Ils avaient été à la peine, ils méritaient qu’on rendît du moins un éclatant hommage à leur abnégation, à leur vaillant dévoûment à la cause italienne, lorsqu’on les frappait dans leurs intérêts et leur amour-propre.

L’étrange attitude du roi et les sanglans procédés de ses ministres avaient ulcéré les cœurs et les esprits[6]. La convention du 15 septembre était, aux yeux des Piémontais, un acte odieux ; sans faire le serment d’Annibal, ils s’étaient promis de la combattre en toute rencontre, de ne pas pardonner à ceux qui l’avaient conclue et de s’opposer, par tous les moyens, à une installation définitive à Florence. Ils n’admettaient pas que Florence pût supplanter Turin ; ils réclamaient Rome comme capitale, résolus à ne désarmer que lorsque la formule du comte de Cavour serait une vérité.

L’avenir de la maison de Savoie apparaissait précaire. Il lui fallait son bonheur et son habileté pour se tirer des fautes qu’on avait laissées s’accumuler.

La péninsule était profondément troublée au printemps de 1867. Rome était le mot d’ordre des révolutionnaires, ils annonçaient que le drapeau national ne tarderait pas à flotter sur les sept collines. Le roi était perplexe, il ne savait quel parti prendre, à quels conseils s’arrêter devant les manifestations patriotiques qui éclataient sur tous les points du royaume. Il était partagé entre son ambition et la crainte de se brouiller avec la France. L’opinion le poussait à Rome ; il lui était difficile de lutter, sans engager son prestige, contre le courant qui entraînait tous les partis, et cependant il n’ignorait pas que jamais l’empereur ne lui permettrait de toucher au pape. Le gouvernement français témoignait, par l’active surveillance qu’il exerçait dans la péninsule, que sa résolution de protéger le saint-siège contre toute agression était inébranlablement arrêtée. Sa diplomatie signalait, avec une infatigable sollicitude, au cabinet de Florence, toutes les menées du parti révolutionnaire ; elle le rappelait, sans se lasser, à l’exécution de ses engagemens.

Après la chute du général de La Marmora, le partisan le plus loyal et le plus résolu de l’alliance française, le roi avait appelé le comte de San-Martino. C’était un patriote peu fait aux mœurs des cours : il disait ce qu’il pensait. Il conseilla à son souverain de faire une part à la gauche dans la composition du cabinet ; son programme écartait les solutions violentes, il comportait une étroite entente avec la France, une alliance offensive et défensive en échange de l’occupation des états pontificaux : Rome seule pouvait réconcilier le Piémont et conserver Naples à l’Italie. Il recommandait aussi un changement radical dans la façon de gouverner et d’administrer le pays. M. de San-Martino poussa le franc-parler jusqu’à faire comprendre à sa majesté la nécessité d’apporter des modifications à ses habitudes. Le roi le remercia de sa franchise, il l’embrassa même, mais il ne lui confia pas la mission de former un ministère. Le lendemain, il s’adressait à M. Rattazzi, qui, loin de se préoccuper de sa manière de voir et d’agir, se servait de ses faiblesses pour maintenir et fortifier son crédit. Sans principes et sans préjugés, il cherchait ses points d’appui là où il les trouvait. La France a connu de ces ministres ; Bernis, autrefois, n’a dû son élévation qu’à des influences qui s’exerçaient sur les passions de son maître.

M. Rattazzi était souple, insinuant, habile à flairer le vent ; il était « ondoyant et divers. » Il avait poursuivi autrefois une indissoluble union avec la France, et il nous avait donné des gages manifestes de sa sincérité en frappant Garibaldi à Aspromonte. Sa rentrée au pouvoir semblait être une garantie pour notre politique. Le gouvernement de l’empereur ne pouvait pas se douter que le ministre qui naguère combattait si énergiquement la révolution, entrerait cette fois dans de secrètes compromissions avec le parti qui affichait la prétention de déchirer la convention de septembre et d’entraîner le gouvernement du roi à Rome.


II. — LA DIPLOMATIE FRANÇAISE EN ITALIE.

Lorsqu’au mois de novembre 1864, les troupes françaises quittèrent, pour la seconde fois, les états pontificaux, tout autorisait à croire qu’elles ne reviendraient jamais. La sécurité du saint-siège paraissait pleinement et définitivement assurée. N’était-elle pas placée sous la solennelle garantie d’un acte international sollicité et sanctionné par le cabinet de Turin ? Le gouvernement du roi, heureux de ne plus voir le drapeau français flotter sur le sol italien, nous prodiguait les témoignages de son contentement ; il les rehaussait par les déclarations les plus rassurantes pour le sort futur de la papauté ; si le problème romain n’était pas résolu, sa solution paraissait du moins pour longtemps écartée. Le gouvernement impérial se flattait de s’être prêté à un acte de haute sagesse. C’était un mirage : les peuples brisent, dès qu’ils le peuvent, les liens qui compriment leurs sentimens et entravent leur expansion. La question romaine devait reparaître menaçante aux heures les plus inopportunes pour la politique de l’empire au moment où la fortune, lasse de ses erreurs et de ses faiblesses, la trahissait de tous côtés.

« Depuis que nos troupes se sont embarquées, écrivait le baron de Malaret, l’idée de Rome capitale a repris un singulier ascendant. Ce n’est pas qu’on veuille aller à Rome, mais cela prouve qu’on se persuade qu’il n’y a plus de danger d’en parler et qu’on ne manquerait pas d’y aller si on était certain qu’il n’y eût pas de danger à le faire. Ces affirmations publiques et presque universelles de doctrines et de principes si contraires aux nôtres sont bien regrettables. Elles persuadent aux Italiens qu’il leur est permis de ne tenir aucun compte des intérêts et des exigences de notre politique, elles donnent du crédit à ceux qui accusent l’empereur d’avoir été ou dupe ou complice des ambitions italiennes en signant la convention du 15 septembre.

« En Italie, ajoutait notre envoyé, à titre de moralité, dans toutes les questions, les opinions dépendent du plus ou moins de sécurité qu’il peut y avoir à les manifester. On peut presque toujours expliquer telle ou telle évolution des chefs parlementaires et des partis par la peur de quelqu’un ou de quelque chose. Depuis que nous avons évacué les étais pontificaux, l’Italie n’a plus peur de nous à Rome ; le jour où elle se verra en face d’un danger réel, le parti de la conciliation, de la prudence l’emportera. Jusque-là, nos conseils seront écoutés avec déférence, mais je doute qu’ils soient suivis. »

L’Italie agissait et parlait comme si déjà elle était maîtresse de Rome. Le gouvernement s’associait plus ou moins ouvertement aux manifestations du sentiment public. On était convaincu que la France ne reviendrait plus dans les états romains et qu’après deux occupations qui ne lui avaient valu que des ennuis, elle se garderait bien d’en risquer une troisième. Elle s’était interdit, d’ailleurs, tout retour en consacrant le principe de la non-intervention, et les événemens de 1866 la mettaient sur le Rhin en présence de la Prusse.

Aussi les affirmations nationales à la tribune du parlement ne soulevaient-elles aucune objection sur les bancs des ministres. Le ministre de l’instruction publique trouvait naturel et légitime de s’attaquer, dans les discussions sur les biens ecclésiastiques, à la souveraineté temporelle du saint-siège et de répudier toute idée de transaction ; à ses yeux comme aux yeux de tous, Florence n’était qu’une halte. Notre envoyé protestait contre des théories aussi opposées aux arrangemens intervenus avec la France et que formulaient publiquement les membres du cabinet. Il n’obtenait d’autre satisfaction du président du conseil que des explications banales et la suppression dans le compte-rendu officiel des paroles d’un imprudent collègue.

Les beaux jours de notre diplomatie dans la péninsule étaient passés : elle n’était plus ni consultée, ni sollicitée, elle voyait son influence décroître, elle en était réduite à la tâche ingrate de relever des propos malsonnans, de gourmander les hommes politiques et, ce qu’on ne pardonne pas, de leur rappeler leurs engagemens et les services rendus. Bans le vouloir, elle froissait les susceptibilités d’un peuple impatient de secouer une tutelle gênante et de franchir le dernier obstacle qui s’opposait à la réalisation de son rêve. Elle voyait tristement s’accomplir ce qu’elle avait prévu et ce qu’elle n’avait pas craint d’écrire. Lorsque notre ministre à Florence disait, dans une de ses correspondances, « qu’on accusait l’empereur d’avoir été dupe ou complice des ambitions italiennes en signant la convention du 15 septembre, » il allait jusqu’à la dernière limite de la franchise autorisée vis-à-vis d’un souverain.

L’empereur ne pouvait plus se faire d’illusions : la pensée qu’il avait poursuivie obstinément se retournait contre lui. Il en ressentait un amer chagrin. Pouvait-il s’attendre à voir son dévoûment constant à la cause italienne méconnu à ce point ? Il n’était pas préparé à un changement si rapide, si profond dans les sentimens d’un pays qu’il avait soutenu dans les mauvais jours et relevé d’un humiliant destin. Il s’imaginait qu’il n’avait que des amis reconnaissans au-delà des Alpes, et il s’apercevait qu’on discutait ses actes et se méprenait sur sa pensée. Machiavel enseignait que ce qui fait le salut des princes, c’est d’avoir de bons amis et une bonne armée, et il ajoutait qu’un prince qui a une bonne armée n’a pas de peine à avoir de bons amis. Notre armée avait périclité et les amitiés que son prestige nous avait values cherchaient ailleurs leur point d’appui.

Cependant le passé, malgré notre déclin militaire, ne s’était pas effacé en Italie de tous les cœurs. Bien des sympathies, — et c’étaient celles des hommes les plus considérables par leur talent et leur caractère, — nous restaient fidèles. Il y avait deux Italies : l’une de convention, celle des journaux et de la tribune, surexcitée à froid, qui abusait de nos sympathies et faisait du patriotisme à nos dépens ; l’autre, sensée, pratique, reconnaissante, qui tenait compte, dans la bonne mesure, des nécessités de notre politique. Nos partisans s’appliquaient, au parlement et dans la presse, à conjurer les malentendus, à concilier les intérêts des deux pays. Ils affirmaient le maintien d’une étroite et indissoluble alliance avec la France. Mais que peuvent les sages lorsque les masses sont entraînées, subjuguées par une idée dominante ?

Garibaldi rentrait en scène au mois d’avril. Après une assez longue éclipse à Caprera, il se préparait à ressaisir la popularité qu’il avait laissée sur les champs de bataille de la Vénétie ; il annonçait urbi et orbi que les temps étaient proches, que Rome allait appartenir aux Italiens ; l’occasion lui semblait propice, la France était mal engagée dans l’affaire du Luxembourg, la guerre pouvait éclater d’un instant à l’autre ; il escomptait nos défaites.

Garibaldi avait le privilège de tout dire et de tout faire : il personnifiait les aspirations nationales. Il se plaçait au-dessus de la loi commune, il était une menace constante pour la sécurité publique et l’autorité royale. Sa puissance tenait en échec celle du gouvernement. Le sentiment qu’il avait de son pouvoir se traduisait par des actes d’une folle impertinence. Dans des notes adressées aux représentans de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, il protestait contre la souveraineté temporelle ; il rappelait qu’une élection populaire lui avait confié la dictature à Rome et que cette dictature ne pouvait lui être enlevée que par un nouveau plébiscite. Il prétendait être la seule autorité légale dans les états romains. Dans d’autres pays, ces manifestations eussent été réprimées comme des actes de rébellion, mais en Italie, où tout le monde a le génie du compromis, on ne s’en offusquait pas. Elles servaient à populariser la grande idée et à la faire prévaloir dans les provinces sur les sentimens catholiques des masses ; elles facilitaient le jeu de la politique italienne, elles lui permettaient de préparer l’Europe à la dépossession du pouvoir temporel. Le gouvernement ne pouvait s’emparer de Rome sans violer ses engagemens, mais en y pénétrant à la suite des bandes garibaldiennes, il avait un prétexte : il se constituait le défenseur des intérêts de l’église, il sauvait le pape et s’assurait la reconnaissance des puissances catholiques.

Le baron de Malaret n’était pas dupe de ces calculs, il s’en alarmait et s’en plaignait ; il voyait avec chagrin s’altérer les souvenirs de 1859 ; il suppliait le cabinet de Florence de combattre les tendances révolutionnaires et de ne pas aggraver la tâche de l’empereur. Mais, quand tout un pays conspire, il est bien difficile à un gouvernement de se désintéresser du complot. On s’étonnait, dans le monde officiel, de nous voir prendre au sérieux les manifestations d’un obsédé, d’un personnage « moquable » qu’on ramènerait à la raison le jour où ses provocations deviendraient un danger réel pour la paix et l’ordre public, lit, cependant, on enrôlait des volontaires ouvertement et les rassemblemens grossissaient tout le long des frontières pontificales. Les projets du parti révolutionnaire ne pouvaient échapper qu’à ceux qui avaient intérêt à ne pas voir et à laisser faire. Ils n’échappaient pas à notre envoyé, il les signalait avec persistance.

« Garibaldi, écrivait M. de Malaret, à la date du 23 avril, à notre ministre des affaires étrangères, à l’heure où l’affaire du Luxembourg était dans sa phase la plus aiguë, se proposerait de prendre le commandement d’une expédition qui, organisée à Gênes, irait débarquer sur le littoral romain, tandis qu’à la première nouvelle d’un mouvement insurrectionnel à Rome, des bandes d’émigrés se tiendraient prêtes à franchir la frontière méridionale. Il n’est pas douteux que le parti révolutionnaire redouble d’efforts, qu’il compte profiter des événemens pour provoquer un conflit avec le gouvernement pontifical, à l’insu ou de connivence avec le gouvernement italien. »

La révolution n’attendait, en effet, que le premier coup de canon tiré sur le Rhin pour pénétrer sur le territoire du saint-siège et soulever les populations romaines. Elle voulait faire au mois d’avril 1867 ce qu’elle fit au mois de septembre 1870. Le parti militaire prussien et le parti révolutionnaire italien poursuivaient le même but : consommer par la force l’unité de leur pays, l’un en l’affirmant victorieusement à Paris, le second en s’emparant subrepticement de Rome.

La France, attirée dans un piège, avait eu au printemps, au moment où s’ouvrait l’exposition universelle, la sensation frissonnante de la guerre. Sans l’énergique intervention de l’Autriche et de l’Angleterre, sans le sang-froid de son ministre des affaires étrangères et la clairvoyance de sa diplomatie, elle n’eût pas échappé à l’invasion.

Dans ces jours d’angoisses, l’Italie, sauf quelques démarches platoniques tentées à Berlin, avait fait la morte. Elle s’était dite l’amie de tout le monde en invoquant à la fois les souvenirs de 1859 et de 1866. Elle s’était dérobée en soutenant qu’il lui était difficile de s’engager soit d’un côté, soit de l’autre ; car si, avec l’aide de la France, elle avait commencé sa délivrance, c’était avec le concours de la Prusse qu’elle l’avait assurée. Le cabinet de Florence avait subordonné le sentiment à la raison d’état. « J’ai pu constater, écrivait le baron de Malaret à la date du 21 avril, chez les membres du gouvernement du roi, une sympathie que je crois réelle, mais qui est visiblement contenue par le désir de ne pas se compromettre. Tout en reconnaissant la modération de nos prétentions et tout en blâmant l’ambition excessive de la Prusse, on répète volontiers qu’en cas de conflit les intérêts de l’Italie ne se trouveraient pas directement menacés. Il n’est pas besoin d’une grande clairvoyance pour comprendre que le gouvernement italien, laissé à ses propres inspirations, ne songe pas à nous témoigner ses sympathies autrement que par des vœux. »

Ces appréciations étaient confirmées par une de nos correspondances d’Allemagne.

« Le cabinet de Berlin, écrivait-on, d’après ce qui me revient de bonne source, aurait tout lieu d’être satisfait du gouvernement italien. Il résulterait, en effet, de la correspondance du comte d’Usedom, toujours très influent à Florence, que, dans ses entretiens intimes avec le baron Ricasoli, ainsi qu’avec M. Rattazzi, il aurait pu se convaincre que, par reconnaissance pour la Prusse aussi bien que par intérêt, l’Italie ne sortirait pas, quelle que soit la marche des événemens, de la plus stricte neutralité. La cour de Prusse se montrerait fort rassurée par ces déclarations ; elle se plaît à les considérer comme un véritable succès pour sa politique. »

Les sympathies de l’Italie, cela n’était, pas douteux se reportaient de préférence vers la France, mais ses intérêts lui faisaient un devoir de ménager la Prusse. Son attitude ne pouvait surprendre que ceux qui ne se rendaient pas compte des nécessités impérieuses de sa politique. Elle s’irritait, non sans raison, des reproches d’ingratitude dont elle était l’objet ; elle n’admettait pas que la reconnaissance pût servir d’argument en politique.

La foi de l’empereur aurait dû être ébranlée par cette décevante épreuve : il n’en tira aucune moralité, il persista à servir de marchepied à la grandeur de l’Italie. Il consacra tous ses efforts à la faire admettre, malgré les observations du comte de Bismarck, à la conférence de Londres, bien qu’elle n’eût aucun titre pour réviser les actes de 1830, relatifs à la Belgique, intervenus à une époque où elle n’était qu’une expression géographique. Il tenait à lui assurer, par sa participation à l’œuvre de la paix, la consécration de grande puissance et la sanction implicite des faits accomplis dans la péninsule. Peut-être aussi ne voulait-il pas, par une politique de ressentiment, révéler ses désenchantemens et reconnaître l’irréparable faute qu’il avait commise en présidant à l’alliance de 1866 qui rivait l’Italie à la Prusse. Il espérait sans doute, en redoublant de prévenances, dissiper les préventions que la France soulevait au-delà des Alpes, donner de la force à ses partisans et empêcher la politique italienne de servir d’instrument au cabinet de Berlin. Au point où en étaient les choses, c’était le parti le plus sage ; ce n’est pas par de mauvais procédés qu’on ramène les amis infidèles. Mais Rome, malgré toutes les protestations de bonne entente, n’en restait pas moins l’insurmontable obstacle à tout rapprochement sincère.

Si Napoléon III, au lieu de se prêter à la violation du traité de Zurich et de laisser péricliter son armée, avait eu cinq cent mille hommes sous la main, la question romaine ne se serait pas « ouverte, » elle serait restée « latente, » à l’état de rêve. Frédéric II répondait à son envoyé à Londres, qui lui demandait une voiture et des chevaux pour représenter dignement son souverain : « Allez à pied ou en voiture, cela ne fait rien à la chose ; je n’ai pas d’argent à vous envoyer pour acheter un carrosse. Mais rappelez-vous bien que vous devez toujours tenir le langage d’un agent qui a derrière lui deux cent mille hommes et Frédéric II à leur tête. »


III. — LA COUR DE ROME ET LA CONVENTION DU 15 SEPTEMBRE 1864.

La convention du 15 septembre avait eu à la cour de Rome le plus douloureux retentissement. La curie l’avait interprétée comme une œuvre de damnation inspirée par la plus noire perfidie. Elle n’avait tenu aucun compte des nécessités qui avaient présidé à sa signature ; elle avait méconnu la loyauté des sentimens de l’empereur ; elle l’accusait de livrer Rome à la révolution. Pour le Vatican, Napoléon III, c’était l’ennemi.

Pie IX, cependant, à son avènement au trône pontifical, n’avait pas craint de caresser la fibre nationale et de donner le branle aux passions qui couvaient au fond des cœurs. Il avait laissé entrevoir une papauté libérale et italienne ; il avait appelé Rossi dans ses conseils ; comme Jules II, il s’était écrié : Fuori i barbari ! S’il avait eu l’esprit politique de son successeur, qui sait si la convention de Paris n’eût pas été entre ses mains une arme de défense et de salut ? Léon. XIII a montré ce que peut, une haute raison consacrée à une grande cause. Il a fait revivre le souvenir des temps héroïques de la papauté ; l’Europe surprise et l’Italie mortifiée ont vu un puissant de la terre, qui partout impose sa volonté, partir pour Canossa et en revenir paré de l’ordre du Christ.

Mais, mal conseillé par des entours passionnés qui ne songeaient qu’à faire pièce à l’empire, Pie IX se refusait à toute transaction. Le Non possumus était le dernier mot de sa sagesse pontificale. Il répondit à la notification de la convention par l’encyclique du 8 décembre ; elle flétrissait les idées modernes et faisait l’apologie de l’ancien régime.

C’était le réquisitoire le plus véhément contre nos institutions, contre la souveraineté nationale et la liberté de conscience. Le protégé bafouait le protecteur. L’Italie était encore moins ménagée ; l’encyclique lui appliquait d’outrageantes épithètes. Devant une agression aussi passionnée la France aurait pu, à la rigueur, se considérer dégagée de sa sollicitude envers le saint-siège. C’était l’avis du prince Napoléon et des adversaires de l’église dans les conseils du souverain. Ils soutenaient qu’il n’y avait que deux moyens de sortir d’une situation aussi ingrate : laisser le pape et l’Italie s’arranger au mieux de leurs intérêts, ou maintenir la puissance temporelle, la soutenir résolument envers et contre tous, en la restaurant telle qu’elle était avant 1859. Laisser le pape exposé aux surprises, et se condamner soi-même à des interventions intermittentes était à leurs yeux le moyen de ne satisfaire personne et de mécontenter tout le monde. Mais les solutions extrêmes répugnaient à l’empereur, il se borna à de stériles protestations. Il était pris dans un engrenage dont il ne pouvait plus sortir, il subissait la peine de ses fautes.

Pie IX, en lançant ses foudres, oubliait les espérances qu’il avait éveillées en 1847, l’impulsion qu’il avait donnée au mouvement national. Se croyant menacé et sous de tyranniques influences, il imposait silence à l’amour ardent que secrètement il portait à l’Italie et que souvent il avait peine à contenir[7]. Il se rappelait que sa pensée avait été payée d’ingratitude, que la révolution avait pénétré au Quirinal et qu’il n’avait dû son salut qu’à une fuite précipitée. En opposant le dédain aux exhortations de l’empereur, il rompait les ponts, et livrait ce qui restait du domaine de Saint-Pierre aux hasards des événemens. Ses vertus étaient grandes, sa foi ardente, il inspirait le respect et la vénération, il subjuguait les âmes. Il a étendu et fortifié le pouvoir spirituel de l’église, mais ses visions mystiques lui enlevaient la claire perception des réalités. Ses prédécesseurs avaient gagné et perdu des provinces, ils avaient subi les vicissitudes des souverainetés temporelles ; Pie IX se refusait à tenir compte des enseignemens de l’histoire, il aimait mieux tout perdre que de rien concéder.

La cour de Rome assurément ne pouvait applaudir à un arrangement qui tout en interdisant à l’Italie les entreprises violentes contre le saint-siège, l’autorisait à poursuivre la conciliation de ses intérêts avec ceux du pape sur le principe de la séparation de l’église et de l’état. La convention enlevait au Vatican sa quiétude, elle permettait la discussion de ses dogmes et l’exposait à la polémique irritante de la presse antireligieuse. Mais, en retour, elle lui assurait une garantie internationale que la France s’engageait solennellement à faire respecter. Les faiblesses de Napoléon III à l’égard de l’Italie étaient parfois excessives, mais jamais, à aucune heure de son règne, il n’avait en la pensée sacrilège de lui sacrifier le chef de l’église. Ne refusait-il pas à Metz, au mois d’août 1870, à la veille de ses défaites, le traité que lui apportait le comte Vimercati, parce qu’il ne conciliait pas ses devoirs envers la papauté avec les exigences italiennes ? Il avait déclaré d’ailleurs dans les termes les plus explicites en reconnaissant le nouveau royaume, au lendemain de la mort du comte de Cavour, dans une lettre à Victor-Emmanuel, que jamais il ne permettrait la dépossession temporelle du pape.

« J’ai été heureux, écrivait-il au roi, de reconnaître le royaume d’Italie au moment où Votre Majesté perdait l’homme qui avait contribué à la régénération de son pays. Par là j’ai voulu donner une nouvelle preuve de sympathie à une cause pour laquelle nous avons combattu ensemble. Mais, en réponse à nos rapports officiels, je suis obligé de faire mes réserves pour l’avenir. Un gouvernement est toujours lié par ses antécédens. Voilà onze ans que je soutiens à Rome le pouvoir du saint-père, malgré mon désir de ne pas occuper militairement une partie du sol italien.

« Les circonstances ont toujours été telles qu’il m’a été impossible d’évacuer Rome. En le faisant sans garanties sérieuses, j’aurais manqué à la confiance que le chef de la religion avait mise dans la protection de la France. La position est toujours la même. Je dois donc déclarer franchement à Votre Majesté que, tout en reconnaissant le nouveau royaume, je laisserai mes troupes à Rome tant qu’elle ne sera pas réconciliée avec le pape et que le saint-père sera menacé de voir les états qui lui restent envahis par une force régulière ou irrégulière. Dans cette circonstance, que Votre Majesté en soit persuadée, je suis mû uniquement par le sentiment du devoir. Je puis avoir des opinions opposées à celles de Votre Majesté, croire que les transformations politiques sont l’œuvre du temps, qu’une union complète ne peut être durable qu’autant qu’elle aura été préparée par l’assimilation des intérêts, des idées et des coutumes. En un mot, je pense que l’unité aurait dû suivre et non précéder l’union. Mais cette conviction n’influe en rien sur ma conduite. Les Italiens sont les meilleurs juges de ce qui leur convient et ce n’est pas à moi, issu de l’élection populaire, à prétendre peser sur les décisions d’un peuple libre. J’espère donc que Votre Majesté unira ses efforts aux miens pour que, dans l’avenir, rien ne vienne troubler la bonne harmonie si heureusement rétablie entre les deux gouvernemens. »

Les droits du saint-père étaient, on le voit, l’objet de la réserve la plus formelle, et la reconnaissance de l’Italie par la France ne modifiait en rien le point de vue auquel le gouvernement de l’empereur s’était placé. Cette décision ne constituait ni une approbation du passé, c’est-à-dire de l’envahissement de la Romagne, des Marches et de l’Ombrie, ni une garantie pour l’avenir.

M. Thouvenel, notre ministre des affaires étrangères, écrivait de son côté aux ambassadeurs d’Espagne et d’Autriche, le 6 juin 1861 : « Les plus hautes convenances, je me hâte de le proclamer, s’accordent avec les plus grands intérêts sociaux pour exiger que le chef de l’église puisse se maintenir sur le trône occupé par ses prédécesseurs depuis tant de siècles. »

Plus tard, dans une dépêche du 12 mai 1862, il disait au marquis de La Valette, notre ambassadeur à Rome : « Jamais l’empereur n’a prononcé une seule parole qui fût de nature à laisser espérer au cabinet de Turin que la capitale de la catholicité pût en même temps devenir du consentement de la France la capitale du royaume d’Italie. Tous nos actes, toutes nos déclarations s’accordent, au contraire, pour constater notre ferme et constante volonté de maintenir le pape en possession de la partie de ses états que la présence de notre drapeau lui a conservée. »

La première pensée de M. Drouyn de Lhuys, en succédant à M. Thouvenel, fut de se référer à ses déclarations. Répondant à la revendication faite par le général Durando, le ministre des affaires étrangères, au sujet de Rome, il prévint toute illusion dans une dépêche du 28 octobre 1862 : « Je le constate avec regret, disait-il, le gouvernement italien s’est placé par ses déclarations sur un terrain où les intérêts permanens de la France, non moins que les exigences de sa politique actuelle, nous interdisent de le suivre. »

Il ne fut pas moins explicite lorsqu’il signa la convention du 15 septembre. « Elle reconnaît, disait-il, deux souverainetés en Italie et, en attendant qu’un accord plus intime ait pu s’établir, elle assure leur coexistence. Voilà toute la convention ; au-delà il n’y a que spéculations vaines. »

Il ajoutait, dans une dépêche adressée à M. de Malaret, qu’on a appelée la dépêche des sept points : « La translation de la capitale est un gage sérieux donné à la France. Ce n’est ni un expédient provisoire, ni une étape vers Rome. C’est un acte international librement discuté et adopté par les deux parties, solennellement ratifié par les deux souverains des deux pays. Nul ne peut dire aujourd’hui avec assurance quel sera, dans sa forme diplomatique, l’avenir de l’Italie. Mais ce qui est évident, c’est que l’Italie a tout intérêt à préparer un rapprochement outre elle et la papauté et à ne pas exciter les résistances du monde catholique. »

Il est permis d’affirmer, après la lecture impartiale de ces documens, que l’empereur n’a jamais voulu sacrifier le pape. Il espérait le ramener à une saine appréciation des choses, lui faire comprendre la nécessité d’accepter tout ce qui pouvait le rattacher à l’Italie. Il se flattait que l’Italie, de son côté, ne se refuserait pas d’assurer au pape les garanties nécessaires à l’indépendance du souverain-pontife et au libre exercice de son pouvoir. Il croyait atteindre ce double but par une combinaison qui, laissant le pape maître chez lui, abaisserait les barrières qui séparaient ses états du reste de l’Italie. Il s’imaginait qu’un accord interviendrait entre le Vatican et le cabinet de Florence qui arrêterait la délimitation du domaine de Saint-Pierre et consacrerait les privilèges des municipalités et des provinces, de manière qu’elles s’administrassent pour ainsi dire d’elles-mêmes.

Tel était le rêve de Napoléon III. S’il ne l’a pas réalisé, il faut l’attribuer moins encore au mauvais vouloir de l’Italie qu’aux résistances passionnées du Vatican. Tous nos ambassadeurs s’usaient en vains efforts pour faire entrer la cour de Rome dans la voie des réformes et des transactions. Pie IX se bornait à leur montrer le Christ lorsqu’ils devenaient trop pressans et lui demandaient sur quelle force il s’appuierait si l’appui de la France venait à lui manquer. Toute leur éloquence restait impuissante devant une volonté sereine, immuable.

L’empereur était à plaindre. Pour se maintenir en équilibre entre des intérêts si discordans, et à plus forte raison pour les concilier, il épuisait inutilement les ressources de sa diplomatie. Au Vatican, on lui reprochait ses compromissions avec l’Italie, au palazzo Vecchio, ses tendances cléricales. Nos actes étaient commentés, souvent dénaturés, et dès que nous cédions à une parole ou à une démarche irréfléchie, nous étions pris à partie. C’est ainsi que la mission du général Dumont fournit matière au gouvernement italien à de vives récriminations. Le général avait été envoyé à Rome pour inspecter la légion d’Antibes, qui, au lendemain d Aspromonte, avait été formée par des soldats français libérés, à la solde et sous le commandement du saint-siège. Ces soldats ne pouvaient se sentir liés par la religion du patriotisme, sous les ordres et au service d’un souverain étranger. On leur avait parlé de sainte croisade et ils se trouvaient chargés de luire l’office de gendarmes, de réprimer des aspirations généreuses. Ils n’étaient pas, comme les zouaves pontificaux, inspirés par la foi céleste, ils représentaient les idées de 1789. De nombreuses désertions menaçaient l’existence de la légion, et le maréchal Niel avait jugé utile l’envoi d’un officier général pour remonter son moral et lui rendre la discipline[8]. La vue de l’uniforme français devait du même coup rassurer le Vatican et servir d’avertissement à l’Italie après les troubles qui avaient éclaté dans la péninsule. « Dites bien, écrivait le maréchal au colonel de la légion, que nous avons les yeux sur elle, que je souffre profondément de tout ce qui est une injure à son drapeau. » Le ministre de la guerre révélait par cette lettre la solidarité qui existait entre la légion d’Antibes et l’armée française. Il ne cachait pas l’intervention du gouvernement français entre le pape et ses sujets, entre Rome et l’Italie. Pour tranquilliser la cour de Rome, qui se plaignait d’être menacée, on froissait le sentiment italien. Il était difficile de remplir une tâche plus ingrate. La convention, qui devait tout concilier, devenait une source de récriminations. Elle troublait nos rapports avec l’Italie sans nous assurer l’appui et la reconnaissance du pape. Mieux eût valu évacuer les états pontificaux spontanément en nous réservant notre liberté d’action, que de nous exposer à d’acrimonieuses controverses. L’empereur s’était de gaîté de cœur engagé dans un cercle vicieux : il affirmait qu’il ne laisserait pas prendre Rome, et en même temps il discréditait le pouvoir temporel en le proclamant à la fois indispensable et détestable. Tout craindre, tout espérer, ménager tout le monde sans s’engager formellement avec personne, manquer toutes les occasions et se persuader qu’on est habile parce qu’on réserve l’avenir, telle était notre politique.

L’apparition d’un général français à Rome, inspectant les troupes du saint-siège et leur adressant des allocutions à double entente, n’était pas, il faut le reconnaître, un acte de sagesse. Le gouvernement italien ne manqua pas de relever l’incident et de faire ressortir ce qu’il avait d’équivoque, de blessant. Il le considérait comme une infraction à l’esprit et au texte de la convention de septembre ; il soutenait que parmi les volontaires enrôlés se trouvaient quantité de soldats et d’officiers appartenant encore à l’armée française. Il prétendait que le gouvernement impérial violait nos lois militaires, qui ne lui permettaient pas de détourner nos effectifs au profit de l’étranger. Il se prévalait du mandement de l’évêque d’Avranches, qui disait à son clergé : « Nous sommes autorisés à vous demander cette propagande religieuse et patriotique, » pour prouver que nous avions transformé nos curés en recruteurs de l’armée pontificale. Pour le gouvernement italien, il n’était pas douteux que les soldats du pape étaient des soldats français déguisés, et que nous cherchions à perpétuer l’occupation.

Des notes et des explications déplaisantes furent échangées. Les ministres n’ont jamais de collaborateurs lorsque le succès couronne leurs efforts ; ils en ont toujours pour pallier leurs erreurs. M. Ratazzi s’en prenait à M. Nigra de ses mauvais rapports avec la France ; il lui reprochait la mollesse de son attitude, il trouvait que la familiarité de ses relations avec les Tuileries et le Palais-Royal nuisait à son autorité diplomatique. C’était méconnaître son habileté et son patriotisme. Son poste était l’objet d’ardentes convoitises et sa rapide fortune servait d’argument à ses détracteurs. Il était question de son rappel, on parlait aussi de celui de M. de Malaret. Le président du conseil se plaignait de l’intimité de notre envoyé avec les consortistes, les membres de l’ancien cabinet ; il le soupçonnait de comploter avec eux sa chute, il était convaincu que son attitude si nette n’interprétait pas les sentimens de son souverain. Il espérait qu’en rappelant M. Nigra on le rappellerait. Mais à la cour des Tuileries on tenait à M. Nigra ; il était l’ami du prince Napoléon, et l’empereur le considérait comme un legs de M. de Cavour. La diplomatie occulte sauva cette fois la diplomatie officielle. L’empereur fit plaider la cause de l’envoyé italien auprès du roi. M. Nigra fut maintenu à son poste, tandis que M. de Malaret fut pour longtemps, en vertu d’un congé, éloigné du sien ; il est vrai, que Victor-Emmanuel s’était bien gardé de plaider la cause de l’envoyé français auprès de l’empereur. Comme toujours, le dernier mot restait au gouvernement italien. Ce ne fut pas la seule concession. M. de Moustier promit qu’il veillerait pour, que dorénavant il n’y eût plus dans la légion romaine que des soldats libérés de tout engagement envers la France, et que le général Dumont serait rappelé. Il ne se borna pas à cette satisfaction. Une note justificative insérée dans le Moniteur montrait combien en toute occasion nous nous plaisions à pousser jusqu’aux dernières limites la condescendance envers notre alliée de 1859. Mais, malgré nos regrets et nos promesses, le ministère italien ne se tint pas pour satisfait ; il était poussé par la chambre qui, dans des ordres du jour motivés, réclamait de plus amples explications ; il se sentait d’ailleurs sur un bon terrain, il cherchait à prendre une revanche contre nos ingérences et à nous mettre au pied du mur ; il fallut que l’empereur, impatienté de cette persistance, fit de sérieuses observations au chargé d’affaires d’Italie pour couper court à de nouvelles obsessions. M. Rattazzi faisait de la popularité à nos dépens. Il s’appuyait sur un parti foncièrement hostile à notre politique : il allait bientôt nous soumettre à de pénibles épreuves et nous imposer de douloureuses résolutions.

La conférence de Londres, en neutralisant le Luxembourg, avait conjuré la guerre. Toute l’Europe s’en était réjouie, le parti militaire prussien et le parti révolutionnaire italien seuls avaient maudit la diplomatie, qui s’était malencontreusement jetée à la traverse de leurs sinistres projets. La France, grâce à une évolution savante, faite sous le coup du danger, était sortie, sans y laisser sa dignité, de l’impasse où une politique perfide l’avait acculée. L’Italie s’était sincèrement associée à l’allégresse générale, son souverain, ses princes et ses hommes d’état étaient venus à Paris admirer les œuvres de la paix et protester de leurs sympathies ; ses journaux avaient mis une sourdine à leurs polémiques ; les bandes garibaldiennes ne rôdaient plus autour des frontières romaines. Mais les comités révolutionnaires ne désarmaient pas, ils conspiraient dans l’ombre. Cependant les nouvelles de Rome n’étaient pas de nature à les encourager ; la population restait sourde à leurs appels, elle ne se souciait pas de s’associer aux mouvemens insurrectionnels du dehors[9].

Garibaldi était de mauvaise humeur, il maugréait contre son parti. M. Rattazzi parlait avec désinvolture du « héros des deux mondes, » il prétendait que ses amis s’étaient donné le mot pour le paralyser dans l’exécution de ses projets, que Mazzini le malmenait dans ses manifestes, qu’il le traitait de naïf, d’aventurier, que l’argent et les armes lui manquaient. M. de Malaret était mieux renseigné. Il savait que Garibaldi négociait avec la compagnie Rubattino la cession de bateaux, qu’il persistait dans l’intention de tenter une attaque sur les frontières romaines, qu’il entrait dans sa tactique d’éviter toute rencontre, tout engagement avec les troupes italiennes, et qu’il avait prescrit à ses volontaires de pénétrer isolément sur le territoire pontifical pour se réunir au premier signal sur des points déterminés. Il savait aussi que son fils Menotti parcourait le Midi pour y recruter des partisans.

Ces renseignemens, malgré leur précision, n’avaient pas le don d’émouvoir le président du conseil. M. Rattazzi persistait à dire que si le solitaire de Caprera excitait encore quelque curiosité, il avait perdu toute influence. Il cherchait à nous donner le change en le présentant comme un personnage démodé, perdu dans la faveur populaire. Garibaldi n’était pas pour l’Italie, comme il le prétendait, un révolutionnaire, un chef de bandes : il était la patrie italienne.

Le gouvernement de l’empereur était aussi surpris qu’inquiet de la sécurité qu’affectait le président du conseil. Nos renseignemens ne s’accordaient pas avec son optimisme. Comment pouvait-il ignorer les dépôts d’armes, les bureaux d’enrôlemens que notre diplomatie lui signalait ! Son attitude donnait à réfléchir.


IV. — MAZZINI ET GARIBALDI.

La révolution italienne avait deux chefs : Garibaldi et Mazzini ; l’un personnifiait l’Italie bruyante, théâtrale ; le second, l’Italie souterraine, celle qu’on ne voit pas. Ils tenaient les ressorts qui pouvaient à tout instant surprendre l’Europe par un coup de théâtre. Unis dans la défense de Rome, en 1849, ils avaient depuis suivi des marches différentes, ils étaient devenus rivaux. Leurs rôles ne pouvaient se concilier. Mazzini était prêt à céder la dictature militaire au général, mais il entendait tracer le programme du mouvement et le diriger. Leurs noms s’imposaient à l’opinion dans l’état où se trouvaient les esprits. La mort du comte de Cavour avait laissé un vide immense ; les ministres qui s’étaient partagé son héritage avaient perdu leur influence éphémère. L’Italie rompait avec la sagesse et se retournait vers la révolution : elle suivait ceux qui personnifiaient l’unité et prêchaient la croisade contre le pouvoir temporel.

Garibaldi, qu’on a appelé « le dernier des condottieri, » flattait les passions populaires par ses bravades, ses défis au pape et à la France. Il était brutalement hostile au clergé, il était possédé de l’idée de délivrer Rome à main armée, le Vatican était pour lui « une tanière de renards. » Il était prêt à faire l’Italie, même avec le diable, anche col diavolo. On ne parlait que de ses exploits ; il était toujours en scène. Mazzini, au contraire, apôtre et martyr de la grande idée, vivait insaisissable, dans d’obscures retraites. Répudié par le gouvernement, méconnu des masses, il était souvent proscrit ; il se réfugiait dans le Tessin ou en Angleterre lorsque la police, sur les réclamations de l’étranger, le serrait de trop près. Ses plans n’étaient pas ceux de Garibaldi ; il mêlait le mysticisme à la politique. Il voulait détruire le pouvoir temporel, non par haine de la religion, mais dans l’intérêt même du développement religieux de l’humanité ; il croyait, comme les catholiques, à une suprématie fatidique universelle de Rome. « Le nom de Rome, disait-il, en 1849, à la constituante romaine, a toujours été pour moi un talisman. Alors que toutes les nations grandissent et disparaissent, une seule ville a reçu de Dieu le privilège de pouvoir, après une mort apparente, ressusciter plus grande qu’avant pour remplir une mission supérieure. Il est impossible, ajoutait-il, qu’une ville qui seule a en dans le monde deux grandes vies, la seconde plus glorieuse que la première, n’en ait pas encore une troisième. Après la Rome des empereurs et la Rome des papes viendra la Rome du peuple. »

Mazzini n’était pas un sectaire vulgaire, c’était un philosophe ; « il avait le sentiment du devoir, stoïque, austère, sombre, inexorable ; il voyait, au-delà du tombeau, l’avenir qu’il préparait. » Nul n’a plus souffert que lui pour la régénération de son pays. Il s’était, dès sa jeunesse, à l’époque où l’Italie gémissait sous le joug étranger, voué au rôle ingrat, périlleux de conspirateur. Il avait poursuivi à travers mille tentatives avortées, sans jamais céder au découragement, la pensée transmise depuis Dante, de siècle en siècle, par des générations de patriotes illustres.

Il avait recruté, avec l’attraction du mystère, des affidés dans tous les rangs et sur tous les points de la péninsule. Il avait formé tout un réseau de sociétés secrètes, savamment reliées entre elles, qui, sous son impulsion, entretenaient la haine de l’Autriche et minaient sourdement les princes italiens ses protégés[10]. On disait qu’il avait la folie des insurrections patriotiques ; il les encouragerait par tous les moyens, certain que la répression se retournerait contre les gouvernemens en soulevant la colère et l’esprit de rébellion.

Dans son système, l’unité était la condition de l’indépendance, et la république la condition de l’unité. Il ne croyait pas la monarchie capable de se sacrifier à une grande idée, mais, plus politique que Garibaldi, il ajournait la réalisation de son rêve dans l’espoir de s’assurer le concours de Victor-Emmanuel. Il ne craignait pas de lui offrir ses services, il lui soumettait ses plans par des intermédiaires. C’est ainsi qu’après la guerre de 1859 il lui conseillait de délivrer Venise et s’engageait à fournir des prétextes à sa politique, qui lui permettraient de dire à l’Europe, comme Charles-Albert en 1848 : « Il faut que je marche. » Il lui offrait de soulever la Vénétie et de mettre l’Autriche aux prises avec toutes les nationalités soumises à sa domination. Le roi écoutait ces ouvertures sans les décourager ; en traînant les pourparlers, il gagnait du temps et endormait la révolution. Il ne lui déplaisait pas de savoir Mazzini et Garibaldi occupés à fomenter des soulèvemens en Hongrie, en Pologne, en Serbie, jusqu’au jour où il se serait assuré des alliés. Il ne croyait pas comme les révolutionnaires au triomphe des idées sur les baïonnettes ; il tenait à se prémunir contre toutes les mauvaises chances par l’alliance militaire de la Prusse et la garantie morale de la France ; il tâtait le pouls à M. de Bismarck et sondait l’empereur.

Le comte de Cavour et le comte de Bismarck se servaient de leurs souverains, mais leurs procédés étaient différens. M. de Bismarck se chargeait lui-même des entreprises douteuses, il était censé agir à l’insu de son roi, auquel il réservait les suprêmes décisions. M. de Cavour, au contraire, laissait au roi la tâche de négocier secrètement avec la révolution, il était censé tout ignorer, ce qui lui permettait de se prévaloir auprès de la diplomatie de la correction de sa politique[11].

Mazzini déconseillait l’alliance française ; il avait la haine de l’empereur, il ne lui pardonnait pas le siège de Rome et le coup qu’il avait porté à la république. — « Si le roi a du cœur, disait-il, il se passera de la France. » Il se refusait à croire à la sincérité de Napoléon III ; il n’admettait pas que, souverain français, il pût se prêter à l’unité de l’Italie. « Personne ne croira, écrivait-il le 15 décembre 1858, à moins d’avoir perdu le bon sens, que Louis-Napoléon veuille ou puisse créer avec l’unité italienne une puissance rivale de la France, puisse ou veuille, par une longue guerre et par la dissolution de l’Autriche, laisser le champ libre aux nationalités révolutionnaires. » Il ne se doutait pas de l’accord intervenu à Plombières au mois de septembre, il ne pressentait pas « le compliment du jour de l’art » que méditait l’empereur et qui devait nous coûter si cher. Il n’était pas seul à conspirer !

L’Angleterre avait, en revanche, toutes les prédilections de Mazzini. Il était certain de ses sympathies, il ne doutait pas qu’elle ne vint en aide à l’Italie le jour où la France, éconduite, cesserait d’être prépondérante dans la péninsule. Ses exigences dépassaient souvent la mesure ; dans son orgueil, il se considérait comme une puissance ; il avait la prétention de traiter d’égal à égal avec le roi, il lui demandait de changer ses ministres et de donner des gages écrits à la révolution.

Si Victor-Emmanuel se prêtait à d’obscurs pourparlers, c’était pour conjurer les mouvemens prématurés dans la péninsule et n’être pas entraîné, par des coups de tête, dans de périlleuses entreprises. Il était prudent, dissimulé ; il poursuivait son but avec l’égoïsme national qui est le devoir et le patriotisme des princes. Tenu, vis-à-vis de l’Europe, au respect du statu quo, il ne pouvait lui convenir de céder à des entraînemens révolutionnaires avant d’être prêt diplomatiquement et militairement. Il ne se souciait pas de jouer un jeu à tout perdre.

Mazzini avait promis à Victor-Emmanuel de subordonner son idéal politique à l’unité. Lorsqu’il s’aperçut que ses conseils restaient sans effet, il lui notifia qu’il reprendrait son programme : « La maison de Savoie, écrivait-il avec humeur, n’a jamais pu renoncer aux intrigues diplomatiques, signe manifeste du sentiment qu’elle a de sa faiblesse. Transformée en maison d’Italie, j’espérais qu’elle changerait sa tactique ; si elle n’en est pas capable, il est impossible que nous marchions d’accord ! »

Après cet incident, Mazzini revint à ses idées premières : fonder l’unité par la république ; il fit des avances à M. de Bismarck au nom du parti d’action pour renverser, au besoin, Victor-Emmanuel. Des révélations récentes le montrent en pourparlers avec le comte d’Usedom et des officiers prussiens[12]. « Je ne partage en rien, disait Mazzini le 17 novembre 1867 dans une des notes passées au comte d’Usedom, les vues politiques du comte de Bismarck, sa méthode d’unification n’a pas mes sympathies ; mais j’admire sa ténacité, son énergie et son esprit d’indépendance en face de l’étranger. Je crois à l’unité de l’Allemagne et je la désire comme je désire celle de ma patrie. Je déteste l’empire et la suprématie que la France s’arroge sur l’Europe. Je crois que l’alliance de l’Italie avec la France contre la Prusse, dont les victoires nous ont donné la Vénétie, serait un crime qui imprimerait une tache ineffaçable à notre jeune drapeau. Tout en conservant notre indépendance réciproque pour l’avenir, je pense donc qu’il y a lieu à une alliance stratégique contre l’ennemi commun entre le gouvernement prussien et notre parti d’action. La Prusse fournirait un million de francs et deux mille fusils à aiguille. Je m’engagerais, en retour, sur l’honneur, à rendre impossible toute alliance entre l’Italie et la France, et à renverser, s’il persistait dans ses desseins, le gouvernement du roi. »

Mazzini alarmait le cabinet de Berlin pour le gagner à ses projets ; il exagérait à plaisir l’entente entre la cour de Florence et celle des Tuileries. Il surprenait la bonne foi de la diplomatie prussienne en lui exposant dans des notes les projets qui, d’après lui, se tramaient entre les alliés de 1859. Il troublait son sommeil en affirmant que dans une des armoires du ministère des affaires étrangères se trouvait « un rouleau de huit pages de papier anglais, et que ce rouleau, recouvert de velours bleu, contenait un protocole secret joint à la convention du 15 septembre 1864. » Il prétendait que la guerre contre la Prusse était résolue, que les troupes françaises seraient retirées de Rome et qu’en échange de cette concession, l’Italie mettrait une armée au service de notre politique. Le rouleau fatidique n’existait malheureusement que dans l’imagination fiévreuse du conspirateur italien. Mazzini connaissait mal les hommes. Il se trompait en accusant Victor-Emmanuel de s’être lié per fus et nefas à Napoléon III, comme il s’était mépris en 1858 en affirmant que jamais un souverain français ne se prêterait à l’unité italienne.

Le cabinet de Berlin n’était pas éloigné de croire aux projets qu’on lui dénonçait, mais il n’en avait pas la preuve, et c’est cette preuve qu’il désirait avoir. Le comte d’Usedom demandait à Mazzini de la lui fournir ; il aurait voulu qu’il lui procurât une copie authentique du mystérieux protocole contenu dans « le rouleau bleu. » — « Ce n’est qu’à cette condition, disait-il, que son gouvernement traiterait avec lui pour faire échec à la politique des Tuileries. » Pour lui faciliter la constatation de la vérité, il lui ouvrait une piste ; il lui apprenait que le général Cialdini et le général Durando prétendaient avoir la des lettres échangées entre les deux souverains en vue d’une guerre contre la Prusse[13].

Mazzini, mis au pied du mur, disparut dans les brouillards de Londres. Il n’avait pas de preuves à fournir. « Je suis malade, disait-il, il m’est impossible d’écrire longuement. » Il proposait au comte d’Usedom de s’entendre de vive voix. Les pourparlers furent suspendus, mais non pas rompus.

Du reste, tous les cabinets et tous les souverains conspiraient dans les années troublées qui ont précédé la catastrophe de 1870. Jamais les gouvernemens ne donnèrent par leurs actes de plus éclatans démentis à leurs déclarations officielles. Des agens secrets de toutes qualités et de toutes nationalités parcouraient l’Europe en tous sens ; ils servaient d’interprètes à d’inavouables desseins ; sous le prétexte de concilier des intérêts divergens, ils disaient ce qui honnêtement ne pouvait s’écrire. Ils apparaissaient dans les capitales comme les précurseurs de la tempête. Ils pénétraient par des portes cachées chez les princes et les ministres ; ils s’appliquaient, souvent inconsciemment, à leur donner le change sur la pensée et les dispositions des gouvernemens dont ils étaient les organes équivoques. Napoléon III croyait tenir dans sa main les fils de ce réseau d’intrigues et les diriger au gré de sa politique changeante ; il se flattait d’en être l’âme, il n’en était que le jouet, et la France, hélas ! la victime.


G. ROTHAN.

  1. Voyez la Revue du 15 mars.
  2. « Je considère l’unité comme une chimère, disait Gioberti au parlement piémontais ; nous devons nous contenter de l’union. » Il semblait impossible à tous les esprits sages de faire d’un coup de baguette table rase des préjugés, des traditions séculaires, « de changer en un jour la tête et le cœur de vingt-quatre millions d’habitans. » Le roi et le comte de Cavour n’avaient entrevu qu’une fédération d’états, dominée par l’Italie centrale. Le parti républicain seul avait eu une claire perception de l’avenir de la Péninsule. (A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini. Paris ; Plon.)
  3. Testament politique du chevalier Walpole, comte d’Oxford, 1767. — Si le prince montre de temps en temps de l’ardeur pour s’agrandir, ce n’est jamais qu’en prétendant se défendre. Entre deux puissances également fortes et inquiètes, il est tantôt ami et tantôt ennemi de l’une et de l’autre ; il ne se range d’un parti qu’après avoir fait ses conditions… D’après ce système, point d’allié qui lui soit onéreux… Chez une puissance ainsi constituée, il n’est point de lien du sang que le tranchant de l’intérêt ne coupe. Aussi les égards qu’elle a pour les alliances qu’elle forme par les mariages sont-ils toujours subordonnés aux intérêts présens de l’étal. Dans la situation où se trouvent présentement les puissances de l’Italie, elles peuvent se considérer comme l’huître disputée par la maison d’Autriche et par la maison de Bourbon ; ne se pourrait-il pas que le roi de Sardaigne devint juge et partie, et laissât les écailles à ces deux puissances rivales ?
  4. A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini.
  5. Dépêche du baron de Malaret, Floronce, juillet 1807. — « La situation générale de l’Italie laisse à désirer : elle s’aggrave chaque jour. Il y a le mal apparent, qui tient à l’état des finances ; il y a le mal latent, qui tient à l’esprit et au caractère de la nation. Il y a aussi le mal qui vient d’en haut, l’attitude de la cour, l’exemple qu’elle donne et la déconsidération qui en rejaillit sur le principe d’autorité. On se plaint du peu d’intérêt que le roi semble prendre aux affaires du royaume, on lui reproche de lâcher la bride à ses ministres et d’en médire lorsqu’ils ne sont plus au pouvoir ; on attribue bien à tort à son indifférence, plus apparente que réelle, la crise que traverse l’Italie et les maux dont elle souffre.
    « La question romaine est agitée dans la presse et au parlement. Lorsqu’elle est abordée à la tribune, elle est traitée à un point de vue qui ne se concilie ni avec nos doctrines ni avec l’interprétation que nous donnons à la convention du 15 septembre. Autrefois, on évitait de se prononcer sur la solution de ce redoutable problème ; on admettait volontiers qu’il était difficile de subordonner les intérêts de la catholicité à ceux de l’Italie. Les politiques exempts de passions convenaient dans le tête-à-tête, lorsqu’ils croyaient n’être pas entendus du dehors, que la devise de Cavour : « Rome capitale, » était, dans le domaine pratique, une absurdité, une utopie. Ils n’admettaient la translation du siège du gouvernement à Rome qu’avec l’assentiment de la France et des puissances catholiques. Leur langage s’est bien modifié depuis. Les plus modérés parlent d’aller à Rome comme de la chose la plus simple. Non-seulement ils ne se préoccupent plus d’un accord avec le saint-siège, mais ils se défendent d’en avoir jamais en la pensée. Ils n’admettent plus, à un titre quelconque, le maintien de la souveraineté temporelle du pape. »
  6. « Sire, écrivait Carlo Boggio au roi, on vous a écarté du droit chemin qui conduisait à l’unification en vous faisant répondre par la fusillade à ceux qui s’impatientaient de cruels retards ; on vous a représenté comme un témoignage de municipalisme étroit l’émotion de Turin, qui, à tort ou à raison, croyait l’avenir compromis par la convention franco-italienne. Sire, vos conseillers vous trompent. »
    M. A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini : « La noblesse bouda et se plaignit du roi, non sans aigreur. Dans la bourgeoisie on s’exprima plus librement, plus acrimonieusement. Le sentiment monarchique parut s’affaiblir, et beaucoup de personnes semblaient prêtes à sacrifier la forme du gouvernement à l’achèvement de l’unité nationale, »
  7. Pie IX, en apprenant ma présence à Rome que je traversais à la fin du mois d’avril 1871, après mon départ de Florence, me fit savoir par M. Lefebvre de Béhaine, sans que j’eusse sollicité d’audience, qu’il tenait à me remercier pour le zèle que j’avais consacré à la défenses des intérêts de l’église pendant la mission que Jo venais de remplir auprès du gouvernement italien. Il me reçut à sept heures du soir dans son cabinet et me demanda de prendre place à ses côtés. Il daigna causer longuement avec moi des événemens de la guerre, de la politique européenne et de l’avenir de la France. La conversation étant tombée sur les atteintes portées au pouvoir temporel, je me permis d’appeler l’attention de sa sainteté sur les avantages que trouverait le gouvernement pontifical à reprendre le mot d’ordre donné au clergé de se désintéresser d’une façon absolue du mouvement électoral. Ce serait le moyen, disais-je, de s’assurer des défenseurs au parlement et de permettre au roi, animé de sentimens de déférence pour le pape, de réagir contre les ennemis du saint-siège. « Je connais Victor-Emmanuel, me répondit Pie IX, il n’est pas homme à subordonner son ambition à sa foi religieuse. D’ailleurs, ajouta Sa Sainteté, si je suis Italien et si j’aime l’Italie, je ne suis pas un pape italien ; j’appartiens à l’église universelle et je froisserais à juste titre les sentimens du monde catholique en cédant à des préoccupations exclusives. » L’heure de la prière s’annonçait. Le pape se leva. Il me congédia en ajoutant à sa bénédiction des paroles qui restent gravées dans mon cœur. C’était la seconde fois que les hasards de ma carrière m’avaient mis en présence de Pie IX, sans que j’eusse recherché un si grand honneur, et chaque fois, j’avais constaté que, malgré de cruelles épreuves, sa pensée n’était pas dégagée des souvenirs patriotiques de 1847. (Voir mon voyage à la suite du roi Victor-Emmanuel à travers l’Italie, en novembre 1863. — L’Allemagne et l’Italie en 1870, t. II, page 403.)
  8. Dépêche du comte Armand, chargé d’affaires de France à Rome. — « Les soldats étaient poussés à l’indiscipline par les agens du parti d’action. Beaucoup se sentaient troublés par le bruit des discussions politiques et religieuses qui, du mess de leurs officiers arrivaient jusque dans les casernes. Ils étaient dans des conditions d’existence différentes qu’en France, ils n’étaient plus régis par le même code de justice ; ils ne pactisaient avec personne, on les considérait comme des étrangers ; ils s’ennuyaient et la nostalgie s’emparait de leur esprit. »
  9. Dépêche du comte Armand, chargé d’affaires de France à Rome. — « Toutes les nouvelles s’accordent à considérer une agression comme imminente. Malgré cette unanimité, on ne constate ni à Rome ni dans les provinces le plus léger symptôme d’effervescence. Garibaldi n’a d’adhérens ni dans les basses classes, ni dans les classes moyennes. La balle d’Aspromonte l’a fait choir de son piédestal. Un émissaire de M. Rattazzi, arrivé à Rome pour observer l’esprit public, a été frappé de l’indifférence et du découragement des Romains. »
  10. Voir M. A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini.
  11. Valbert, Hommes et choses du temps ; Hachette.
  12. Mazzini : Scritti diti e inediti. — Politica segreta. — Massari : La vita e il regno di Vittorio Emanuele II. — De Mazade : le Comte de Cavour. — Bianchi : Storia documentale della diplomazia europea in Italia. Torino. — A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini.
  13. Réponse du comte d’Usedom, transmise à Mazzini, qui se trouvait à Lugano. — « Le gouvernement de Berlin craint qu’il n’y ait accord entre le roi Victor-Emmanuel et l’empereur Napoléon, accord qui serait contraire à ce que le roi de Prusse devait attendre du roi d’Italie. Mais il n’en a pas la preuve, et c’est cette preuve qu’il désirerait avoir. S’il l’avait, il consentirait immédiatement à traiter avec l’homme qui seul aujourd’hui peut faire échec à la politique des Tuileries. L’auteur de la note est donc intéressé à se procurer la preuve désirée et à donner tous les éclaircissemens nécessaires à l’officier prussien, afin qu’on puisse ensuite directement s’aboucher avec lui-même. Pour faciliter la voie à l’auteur de la note, on lui fait savoir que les généraux Cialdini et Durando ont dit avoir là les dépêches échangées entre Victor Emmanuel et Napoléon III dans lesquelles le roi s’engage à ne pas aller à Rome, dépêches qui auraient servi de préliminaires à l’accord Halo-français contre la Prusse. » (Voir M. A. Boullier : Victor-Emmanuel et Mazzini, page 249 ; Négociations secrètes entre M. de Bismarck et Mazzini, et la Politica segreta italiana. Turin ; Roux et Favale.)