Chansons du Chat noir/Les Souvenirs du populo

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Henri Heugel (p. 47-54).


No 5

LES SOUVENIRS DU POPULO


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LES SOUVENIRS DU POPULO[1]



    Devant la photographie
    D’un militaire à cheval,
    En habit de général,
Songeait une femme attendrie.
    Ses quatre petits enfants
    Disaient : « Quel est donc cet homme ?
    — Mes fils, ce fut, dans le temps,
    Un brave général comme
    On n’en voit plus aujourd’hui.
    Son image m’est bien chère ! »

— Parlez-nous de lui, grand’mère.
Grand’mère, parlez-nous de lui !


    — Il me souvient de sa gloire,
    Car, partout où l’on entrait.
    Était cloué son portrait.
Les chansons disaient son histoire.
    Il était sur les journaux,
    Dans les pièces d’artifice,
    Aux quatre points cardinaux.
    Je l’avais en pain d’épice…
    Mais où donc l’ai-je rangé ?
    Il n’est plus, sur l’étagère ! »

— Nous l’avons mangé, grand’mère,
Grand’mère, nous l’avons mangé !



    — De l’armée il fut le père,
    Donnant à chaque repas
    Bonne morue aux soldats ;
Ça rendit leur mine prospère.

    C’est lui qui des trois couleurs
    Orna les guérites blanches ;
    On eût dit de loin des fleurs
    Et ce n’étaient que des planches !
    Mais, depuis qu’il n’est plus là,
    Tout noircit sous la poussière. »

— On les repeindra, grand’mère,
Grand’mère, on les repeindra.

    — Quand on brisa son épée.
    Je disais : « Il reviendra
    Lorsque le tambour battra ! »
Mais comme je m’étais trompée !
    Dès ce jour, ô désespoir,
    On ne vit plus dans la plaine
    Galoper son cheval noir.
    Si profonde fut ma peine
    Que ma tête s’égara.
    Et depuis, je désespère… »

— Dieu vous la rendra, grand’mère.
Grand’mère, Dieu vous la rendra !

    — Un soir, oh, je l’ai vu presque,
    À la gare de Lyon ;
    Il a passé comme un lion !
Ce fut un tableau gigantesque :
    Chacun courait se coucher
    Devant la locomotive.
    Moi, je voulais le toucher,
    (J’étais plus morte que vive),
    Mais Paulus m’en empêcha ;
    Il me mit bien en colère… »

— Paulus était là, grand’mère,
Grand’mère, Paulus était là !




    — Un matin, dans notre rue,
    Avec Laguerre il passa.
    On se pressait pour voir ça,
J’étais aussi dans la cohue.
    Oh ! voir ses bottes de cuir,
    Oh ! contempler sa moustache,
    Sa barbe blonde… et mourir !
    On se bouscule, on se fâche.
    Et je laisse sous les coups
    Quatre dents, mais j’en suis fière ! »

— Quel beau jour pour vous, grand’mère,
Grand’mère, quel beau jour pour vous !

  1. Note Wikisource : Voir « Les Souvenirs du peuple » de Béranger.