Les Stratagèmes (Frontin)/Trad. Bailly, 1848/Livre III/Chapitre XIII

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Texte édité et traduit par Charles Bailly, 1848.
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XIII. Donner et recevoir des nouvelles.

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1. Les Romains, assiégés dans le Capitole, envoyèrent Pontius Cominius implorer le secours de Camille, qui était alors en exil. Cominius, pour éviter les postes gaulois, descendit par la roche Tarpéienne, traversa le Tibre à la nage, arriva jusqu’à Véies, et, s’étant acquitté de sa mission, retourna par le même chemin près de ses compagnons.

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2. Les habitants de Capoue, assiégés par les Romains, qui faisaient bonne garde autour de la place, envoyèrent dans le camp ennemi, comme déserteur, un soldat qui, moyennant une récompense, cacha une lettre dans son baudrier, et la porta aux Carthaginois aussitôt qu’il trouva l’occasion de s’échapper.

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3. Quelques-uns écrivirent des lettres sur des parchemins, qui furent cousus dans des pièces de gibier et dans le corps de certains animaux.

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4. D’autres ont introduit leurs dépêches dans le derrière de leurs bêtes de somme, pour traverser les postes ennemis.

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5. D’autres ont écrit sur la partie intérieure des fourreaux de leurs épées.

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6. L. Lucullus voulait informer de son arrivée les habitants de Cyzique, assiégés par Mithridate, dont les troupes occupaient le seul chemin qui conduisît à la ville : c’était un pont étroit, qui l’unissait au continent. Il chargea de ce message un soldat, bon nageur et habile nautonier, qui, porté sur l’eau par deux outres remplies d’air, contenant des lettres de Lucullus, et adaptées en dessous à deux traverses séparées l’une de l’autre, fit un trajet de sept milles. Telle fut l’adresse de ce simple soldat, que, se servant de ses jambes comme de rames, il trompa les sentinelles ennemies, qui crurent, en l’apercevant, que c’était quelque monstre marin.

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7. Le consul Hirtius envoya de temps en temps à Decimus Brutus, assiégé dans Mutine par Antoine, des lettres écrites sur des plaques de plomb, que l’on attachait aux bras de soldats qui traversaient à la nage la rivière de Scultenna.

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8. Le même consul avait des pigeons qu’il tenait quelque temps dans l’obscurité, sans leur donner à manger ; puis il leur attachait des lettres au cou, à l’aide d’un crin, et les lâchait le plus près possible des murailles. Ces oiseaux, avides de nourriture et de lumière, gagnaient les plus hauts édifices, et là étaient pris par Brutus, qui savait de cette manière tout ce qui se passait, surtout lorsqu’il les eut habitués à s’abattre en de certains lieux où il faisait déposer pour eux de la nourriture.


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58. Veios parvenit. On croirait, d’après le récit de Frontin, que Camille était à Véies ; mais Tite-Live et Plutarque s’accordent à dire qu’il était en exil à Ardée. Notre auteur se méprend aussi sur deux faits qui se sont accomplis presque en même temps. Fab. Doson descendit du Capitole pour aller sur le mont Quirinal s’acquitter d’un sacrifice, et revint après avoir traversé deux fois les postes ennemis. D’un autre côté, Pontius Cominius, jeune soldat de l’armée romaine réfugiée à Véies, s’offrit d’aller au Capitole pour obtenir du sénat que Camille fût rappelé, et nommé dictateur. Il s’acquitta de sa périlleuse mission. Voyez Tite-Live, liv. v, ch. 46.

59. Occultatam balteo epistolam.Voyez Tite-Live, liv. xxvi, ch. 4, 7, et surtout 12.

60. Marinæ specie belluæ deciperet. Cf. Salluste, Fragm. hist., liv. iii, ch. 6 ; et Florus, liv. iii, ch. 5.

Il n’est pas sans intérêt de rapprocher de cette histoire les deux faits suivants :

En 1626, l’île de Ré était assiégée par les Anglais, pendant que l’armée de Louis XIII accourait pour la délivrer ; et la garnison des forts, dénuée de vivres, était aux abois. C’est alors que trois soldats du régiment de Champagne offrent de passer à la nage le trajet de mer, qui est de deux lieues, et d’aller demander du secours dans le continent. Il fallait une force plus qu’ordinaire pour nager pendant un si long espace, et un courage héroïque pour oser, dans cet état, traverser la flotte anglaise ; mais rien n’étonnait de la part des soldats de Champagne. Nos trois guerriers, chargés de leurs dépêches renfermées dans des boîtes de fer-blanc, se jettent ensemble dans les flots. Le premier se noie ; mais il fut assez heureux pour servir l’État, même après sa mort : la mer, en effet, jeta son corps sur le rivage ; et des habitants de la côte l’ayant trouvé, prirent la lettre attachée à son cou et la remirent au cardinal de Richelieu. Le second fut pris par les Anglais. Le troisième, nommé Pierre Lanier, longtemps poursuivi par une barque ennemie, nageant presque toujours entre deux eaux, n’élevant la tête de temps en temps que pour respirer, souvent obligé de se défendre contre des poissons voraces, arrive enfin au rivage, couvert de sang, dans un état affreux. Il se traîna quelque temps, le long de la côte, sur ses pieds et sur ses mains, faible, abattu et presque mourant. Un paysan l’ayant enfin aperçu, lui donna le bras, le conduisit au fort Louis, et de là au camp du roi, qui lui fit l’accueil le plus flatteur, et lui assura une pension considérable sur la gabelle.

Pendant le blocus de Gènes, en 1800, le chef d’escadron Franceschi se chargea de porter des dépêches du premier consul à Masséna, enfermé dans cette ville. « Monté sur une embarcation que conduisaient trois rameurs seulement, il avait traversé, à la faveur de la nuit, la croisière anglaise, et était arrivé jusqu’à la chaîne des chaloupes les plus rapprochées de la place, lorsque le jour le surprit. Il se trouvait au milieu de la rade, à plus d’une lieue du rivage, et exposé au feu croisé des bâtiments. L’un des rameurs est tué, un autre est blessé : Franceschi ne peut plus éviter d’être pris sur son frôle esquif. Dans cette extrémité, il attache ses dépêches autour de son cou, au moyen d’un mouchoir, se dépouille de ses vêtements, et se jette à la mer pour gagner le rivage en nageant ; mais il pense bientôt qu’il a laissé ses armes, qui vont devenir un trophée pour l’ennemi : il retourne à l’embarcation, prend son sabre, qu’il serre entre ses dents, nage longtemps encore, lutte opiniâtrément contre les vagues, et aborde enfin, presque épuisé par la fatigue du trajet qu’il vient de faire. » (Victoires et conquêtes des Français, t. xii, p. 200.)

61. Litteras… misit plumbu scriptas. On trouve le même récit dans Dion Cassius, ch. xlvi.

62. Columbas illuc devolare instituerat. Pline le Naturaliste a cité ce fait (liv. x, ch. 37).


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