Les Suites d’un premier lit
LES
SUITES D’UN PREMIER LIT
COMÉDIE
EN UN ACTE, MÊLÉE DE CHANT
Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, le 8 mai 1852.
COLLABORATEUR : M. MARC-MICHEL
Acteurs qui ont créé les rôles.
Trébuchard, 29 ans : MM. Félix
Prudenval, propriétaire à Reims : Delannoy
Piquoiseau, capitaine d’infanterie : Gil-Pérès
Blanche, fille de Trébuchard, 48 ans : Mmes Astruc
Claire, fille de Prudenval, 18 ans : Clary
Ragufine, bonne chez Trébuchard : Estelle Pluck
Scène première
Un salon octogone. — Au fond, en face du spectateur, une porte-fenêtre ouvrant sur un balcon et donnant sur la rue. — Une porte dans chaque pan coupé : celle de droite conduit au dehors. — Deux autres portes latérales, une cave à liqueurs sur un petit guéridon, à gauche. Chaises, fauteuils.
À qui en as-tu ?… Qu’est-ce qu’il y a, Ragufine ?…
Monsieur, il y a… quatorze bouts depuis ce matin !…
Quatorze !… Hier, ce n’était que treize… ça augmente… Ah ! çà ! ce Chinois-là prend-il mon balcon pour un plancher de tabagie… Je vais lui parler ! (S’élançant sur le balcon et appelant vers l’étage supérieur.) Hé ! monsieur !… Capitaine !… capitaine !…
Eh bien, quoi ?… Qu’est-ce que vous voulez ?
Monsieur, vous êtes militaire… et je respecte beaucoup l’armée… Mais je vous prie de ne pas jeter vos bouts de cigare sur ma terrasse…
Pourquoi ça ?
Comment, pourquoi ça ?… Il est charmant !… Parce que c’est malpropre ; ça m’incommode… Flanquez-les dans la rue !
Non… ça pourrait tomber sur des militaires.
Alors, il faut que je les reçoive, moi ?… Je vous trouve joli !
Il redescend en scène.
Aïe !… encore un… Ca fait quinze !
Elle revient en scène.
Capitaine ! (À Ragufine.) Ramasse-les ! (Sur le balcon, à Piquoiseau.) Je vais les porter à l’instant même au commandant de la 1re division militaire.
Il revient en scène.
Vous m’ennuyez.
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Il dit que vous l’ennuyez.
Est-il encore là ?
Non, il est rentré.
Il a bien fait !… Ragufine !
Monsieur Trébuchard ?
As-tu religieusement suivi mes instructions ? As-tu clandestinement préparé ma valise ?
Oui, monsieur… Elle est là dans votre porte.
Non, monsieur… Elle m’a déjà campé une gifle à ce matin.
Bah !
À cause que son corset ne voulait pas joindre !
C’est vrai… Elle épaissit beaucoup… Qu’est-ce qu’elle fait en ce moment ?
Elle dessine sa tête de Romulus… ça la fait soupirer comme ça. (Elle imite un gros soupir.) Heue !…
Elle est amoureuse de Romulus !… la semaine dernière c’était de Bélisaire !
Faut-il l’avertir que Monsieur va partir pour Reims ?
Non pas, sapredié !… Je lui écrirai de là-bas… ça m’épargnera les embêtements des adieux !…
Vous ne l’emmenez donc pas ?
Non.
Et vous allez nous laisser toutes seules ?… Elle va me taper.
Sans compter que Mam’zelle est peureuse quand vous n’êtes pas là…
Je ne peux pourtant pas la mettre dans mon gousset !… Une fille de quarante-huit ans !… je reste bien tout seul… et je n’en ai que vingt-neuf… moi, son père !
La voici !
Pristi ! tant pis.
Scène II
Bonjour, papa !
Hein !… papa !… (Haut.) Bonjour, mademoiselle.
"Mademoiselle !…" est-ce que vous êtes fâché contre moi ?
Non, (Avec effort.) ma fille… non, ma chère enfant… (À part.) Comme c’est agréable !
Quoi ?
La permission de sortir…
Voilà tout !… Allez… sortez… tant que vous voudrez !…
Comment ! vous ne me demandez même pas où je vais ?…
Moi ?… je m’en fiche !… (Se reprenant.) Non ! (Se posant.) Et où allez-vous, mademoiselle, s’il vous plaît ?
Au marché aux fleurs… chercher des tulipes pour mes vases.
Ah ! très bien !… allez chercher des tulipes… (Tirant sa montre.) Je vous donne cinq heures !
Vous ne n’accompagnez pas ?…
Impossible !… Une affaire de la plus haute importance !… J’attends mon tailleur.
Et c’est pour ça ?… (Avec dépit.) Je comprends… je vous importune… je vous suis à charge…
Si je vous gêne… vous avez un moyen bien simple de vous débarrasser de moi…
Lequel ?
C’est de me marier…
Ah oui ! (À part.) Comme c’est facile !… Allez donc offrir ça !… Après ça, je ne peux pas lui dire… (Haut.) Eh bien, plus tard… nous verrons… nous chercherons…
Egoïste ! je vois votre calcul… vous voulez me garder.
Moi ?… (À part.) Sapristi ! (Au public.) Qu’est-ce qui en veut ?… Personne ?… Voilà ! (À Blanche.) Allez chercher des tulipes… Ragufine vous escortera.
Une bonne !… Vous me confiez à des mains mercenaires !
Il n’y a pas de danger !
Ah ! si !…
Air : Un homme pour faire un tableau
Les demoiselles, en sortant,
Ont besoin d’appuis tutélaires…
Car auprès d’elles, trop souvent,
Les hommes sont si téméraires !
As-tu fini ?
Haut, achevant l’air.
Oui, la nuit, quand on ne voit rien,
Ce danger-là peut vous atteindre…
Mais le jour… on y voit trop bien
Pour que vous ayez rien à caindre
Allons, votre châle ! votre chapeau !
Mais, papa…
Je le veux… (À part.) Elle me fera manquer le chemin de fer !…
J’obéis, c’est mon devoir… (Brusquement, à Ragufine.) Marchez, lourdaude !
Oui, mam’zelle. (Bas à Trébuchard.) Hein ?
Défends-toi !…
Adieu, papa.
Adieu !
Vous ne m’embrassez même pas ?…
Si fait !… (Il l’embrasse. À part.) Cré nom !
Chœur
Air : Adieu, caressant pot-au-feu (Chapeau de paille)
Trébuchard
Allez, partez, ma chère enfant,
Et prenez le temps nécessaire.
À part.
Je crois toujours, en l’embrassant,
Embrasser ma vieille grand’mère !
Blanche
Ah ! vous êtes bien peu galant
Et bien peu tendre pour un père !
Je ne vous en veux pas, pourtant,
Car j’ai le meilleur caractère.
Ragufine, à part
À son âge, comme un enfant,
Faut la conduire à la lisière !
Et toujours, j’attrape, en passant,
Quelque taloche pour salaire.
Blanche et Ragufine sortent par le fond à droite.
Scène III
Eh bien, vous avez-vous vu l’objet… Qu’est-ce que vous en dites ? Plaît-il ?… - Ça votre fille ? Oui, monsieur. (Tirant sa montre.) J’ai cinq minutes, permettez-moi de vous raconter cette lamentable histoire… Je suis né de parents riches… mais crasseux. J’étudiais à Paris la médecine et le carambolage depuis cinq ans… On ne sait pas ce que coûtent ces deux sciences… jumelles ! Un beau matin, je résolus pour la première fois de ma vie, de faire ma caisse, opération solennelle qui me présenta tout d’abord un passif de neuf mille huit cent trente-deux francs soixante-quinze centimes… Quant à l’actif, je le néglige… Deux pipes de terre, un cahier de papier à cigarettes… et pas de tabac ! J’allais me recoucher… on frappe trois petits coup à la porte… Entrez !… C’était la veuve Arthur, limonadière, très mûre, que je payais depuis six trimestres en œillades électriques… dont elle me rendait la monnaie… Fichue monnaie ! "Monsieur Trébuchard, me dit-elle, avec une palpitation que j’attribuai d’abord à mes cent quinze marches, monsieur Trébuchard, je viens d’acheter toutes vos créances. — Ah bah ! c’est une excellente opération ! — Depuis longtemps, vous avez porté le trouble dans mon cœur… et je viens vous offrir ma main… (Faisant la grimace.) - Cristi !… Certainement, mère Arthur, ce serait avec plaisir… mais je ne me marie pas… je suis chevalier de Malte ! — Alors, je me vois dans la nécessité de vous mettre à Clichy ! — Comment ?
Air : Nous nous marierons dimanche
Ma main ou Clichy ! vite entre les deux
Choisissez, car je l’exige !
Hésiteriez-vous ? - Pas du tout, grands dieux !
Partons pour Clichy, lui dis-je !
Quoi ! prendre une résolution pareille ?
Eh ! mais, parbleu, pourquoi crier merveille ?
Tiens, j’aimais bien mieux, sans comparaison,
Aller en prison…
Qu’en vieille.
Me voilà donc à Clichy avec mes deux pipes de terre, mon papier à cigarettes, et toujours pas de tabac !… Le premier mois se passa assez bien… J’apprivoisais des araignées et je composais des quatrains féroces contre la veuve Arthur… Le second mois, l’absence prolongée de toute espèce de tabac me fit faire des réflexions. "Après tout, me disais-je, cette femme-là n’est pas si mal… Elle est grande, elle est brune, elle est sèche… En lui défendant de se décolleter…" Alors, je pris la plume et je lui écrivis ce billet fade : "Mon ange ! je ne peux pas vivre plus longtemps… sans tabac… mon amour est à son comble !… Dépêchez-vous ! " Huit jours après, nous étions mariés, et le soir de mes noces… j’intriguai près de mon sergent-major pour obtenir un billet de garde ! (D’une voix émue.) Deux ans après, ma femme remonta vers les cieux… du moins je me plais à le croire. Je respirais fortement… j’étais libre !… Ah bien, oui ! ma défunte m’avait légué une grande diablesse de fille d’un premier lit… qui a dix-neuf ans de plus que moi… qui m’appelle papa… devant les dames !… et qui grogne du matin au soir pour que je la promène… Me voyez-vous sur le boulevard avec cette machine-là à mon bras ?… Impossible de m’en dépêtrer ! c’est un boulet… un boulet de quarante-huit ! elle a quarante-huit ans, juste !… J’ai voulu la marier à un de mes amis… il m’a flanqué un coup d’épée… Il était dans son droit… je l’avais insulté !… Encore si sa maturité ne nuisait qu’à son établissement !… mais elle m’a déjà fait craquer sept mariages !… Dès qu’on me voit, il n’y a qu’un cri : "Ah ! il est très bien, ce jeune homme !… de belles dents, de l’esprit et des cheveux ! " Je présente ma fille et patatras !… l’exhibition de ce produit de 1804 fait tout manquer ! Aussi, cette fois, j’ai agi avec une duplicité infernale… J’ai manigancé un petit mariage, loin d’ici, à Reims… je n’ai pas soufflé mot de mon infirmité… On me croit veuf, mais sans enfants… et, samedi prochain, j’épouse sournoisement mademoiselle Claire Prudenval, une jeune personne charmante, dont je raffole… Dix-huit ans… de l’innocence… et pas de premier lit !… La noce doit se faire à Reims. Le père, une agréable brute… voulait consommer la chose à Paris, mais je m’y suis véhémentement opposé ! Ma satanée moutarde serait encore venue se mettre en travers !… Tandis qu’une fois marié, je lui envoie une lettre de faire-part, et je la prie de me laisser tranquille… Elle a la fortune de sa mère… Ainsi… (Regardant sa montre.) Bigre ! je vais manquer le chemin de fer ! vite… ma valise !
Il remonte et la prend.
Scène IV
Merci, portier… merci… nous y voilà !
Hein ! cette voix de mirliton… (Il court regarder au fond et revient effrayé.) Sapristi ! ce sont eux !… ma future et son père !… j’étais sûr que ce vieux maniaque me jouerait quelque tour… Sapristi !
M. Trébuchard, s’il vous plaît ?… Eh ! le voilà lui-même… Bonjour, mon gendre… c’est moi… et ma fille…
Beau-père… Mademoiselle… (À part.) Heureusement que l’autre est sortie !…
Je voudrais bien poser mes paquets. (À Trébuchard.) Nous arrivons de Reims…
J’y partais… (Remontant.) Partons !
Vous ne vous attendiez pas !
J’avoue…
On dirait que vous êtes fâché…
Fâché ?… Oh ! Dieu !… Mais nous étions convenus…
Effectivement… effectivement… mais voilà la chose… Ma fille, conte la chose à ton futur…
Non… vous !
Et Blanche, qui va rentrer…
Vous savez bien que je suis malade ?
Ma foi, non !
Mais si… je vous l’ai dit lors de vos trois voyages à Reims !…
Ah ! c’est possible… tant mieux !
Comment, tant mieux ?
Figurez-vous que, quand je mange… et même quand je ne mange pas… je sens là… et puis là… dites-moi quoi ?… je n’en sais absolument rien… ni ma fille non plus… ni mon médecin non plus…
Ni moi non plus !
Alors ma fille m’a dit…
"Il faut aller à Paris pour consulter…" (À Trébuchard.) N’ai-je pas bien fait ?
Comment donc ?… Vous n’avez que de bonnes idées ! (À part.) Petite bête !…
Nous ferons d’une pierre deux coups… Je consulterai… et nous célébrerons la noce à Paris.
Ca sera charmant !
Air du Charlatanisme
Chevet fournira le festin,
À notre choix, il a des titres !
De l’avis de mon médecin
J’y veux consommer beaucoup d’huîtres.
Ce mollusque par ses vertus,
Pour moi, dit-on, est héroïque.
Pour vous, je crois à ses vertus,
Similia similibus…
C’est le mode homéopathique.
Je voudrais bien poser mes paquets !
C’est facile ! je vais vous conduire à l’hôtel des Trois Pintades.
Il remonte.
Des Trois Pintades ?… Mais du tout… du tout… nous logeons chez vous…
Chez moi ?
Pourtant, si cela vous gêne…
Me gêner ?… Mademoiselle, j’allais vous en prier… (À part.) ça va bien !… Et cette grande cathédrale qui va rentrer !…
À propos, mon gendre… j’ai à vous gronder… Vous êtes un sournois.
Moi ?
Oh ! oui.
V’lan ! ça y est ! (Haut.) Un détail… je l’avais oublié.
Il n’y a pas de mal à ça… ça ne sera pas un obstacle…
Certainement.
Tiens ! ils prennent bien la chose.
Ma fille et moi, nous adorons les enfants… Où est la petite ?
La… la petite ?… Elle… elle dort !…
Est-elle sevrée ?
Un peu… on est en train !
Combien de dents ?
1804 !… Non, je me trompe !
Je disais aussi… dix-huit cent quatre dents… à cet âge-là…
Je veux l’embrasser dès qu’elle sera réveillée…
Je lui ai brodé un petit bonnet avec une ruche.
Comment ! vous avez eu la bonté ?… (À part.) Il n’entrera pas…
Et moi, de mon côté…
Vous avez aussi brodé quelque chose ?
Non… je lui ai apporté un petit bonhomme de pain d’épice de Reims.
Ah ! que c’est aimable ! (À part.) Du pain d’épice à cette grande schabraque !
Nous jouerons ensemble… Je lui apprendrai à envoyer des baisers… Ce sera ma poupée…
Cristi ! je boirais bien un verre de kirsch !
Je voudrais pourtant bien poser mes paquets !
Voici votre appartement. (À Claire, en la débarrassant de son ombrelle et de son chapeau.) Mademoiselle, permettez-moi de vous conduire…
Ensemble
Air du Chapeau de paille d’Italie
Claire et Prudenval
D’embrasser la chère petite
Je me fais un plaisir déjà.
Vous viendrez m’avertir bien vite,
Sitôt qu’elle s’éveillera.
Trébuchard
Puisse la tendresse subite
Que votre cœur ressent déjà
Persister, lorsque la petite
À vos yeux se présentera.
Trébuchard et Claire sortent à gauche.
Scène V
Je vais être grand-papa… tout de suite !… Pauvre petite… je la ferai sauter sur mes genoux… J’adore les enfants… jusqu’à six ans… Après, c’est insupportable !
Il est chargé de ses paquets, et va pour rentrer.
Doucement, donc, godiche !
N’craignez point !… n’craignez point !
Une dame ?
Un monsieur !
Quoi que c’est que ça ?
Pendant ces apartés, Blanche et Prudenval se sont fait quelques saluts.Madame demande M. Trébuchard ?
À qui ai-je l’honneur ?…
Ce n’est pas moi, madame… Je suis Prudenval… de Reims…
Plaît-il ?…
Quoi ?… Donnez-vous la peine de vous asseoir… je vais l’appeler… (Criant.) Trébuchard ?
Ragufine, portez ces fleurs dans ma chambre.
Ragufine entre à droite, premier plan.
Sa chambre !… elle est de la maison !… (Appelant.) Trébuchard ! (À part.) C’est sa mère, sans doute… il y a le nez… l’autre est la nourrice…
Scène VI
Vous m’appelez ! (À part.) Blanche !… patatras !
Ah ! tant mieux !… parce que… le réséda… (À part.) S’est-elle nommée ?
Elle est très bien, madame votre mère…
Ma mère ?
J’ai deviné tout de suite… j’ai été guidé par le nez.
Oui, oui… (Bas à Blanche.) Rentrez…
Quel est ce monsieur ?
Un ami intime… mon tailleur…
Présentez-moi.
Moi ! à qui ?
À madame votre mère.
Oui.
Monsieur… les boutons de son dernier gilet…
Rien…
Présentez-moi.
Oui. (À part.) Quel cauchemar ! (Haut à Blanche.) Mon amie, je te présente… M. Prudenval… de Reims… (Bas.) Rentrez !…
Enchanté, madame…
Madame !…
J’ai apporté des joujoux pour la petite…
La petite ?…
Les grands-papas et les grand’-mamans peuvent se donner la main… et…
Il tend la main à Blanche ; Trébuchard la lui serre.
Quoi ?
C’est une maxime…
Peut-on vous offrir une prise ?
Trébuchard prend la prise et éloigne Blanche.Monsieur !…
Mais rentrez donc !
Quel mystère !… (Saluant.) Monsieur…
Madame !… (À part.) Elle a encore de très beaux vestiges.
Blanche entre à droite.
Scène VII
J’ai chaud !
Vous ne m’aviez pas parlé non plus de madame votre mère.
Vous croyez ?… un détail.
Elle est très bien. Joue-t-elle le whist ?
Comme un Turc.
Charmante femme ! Ah çà, mon cher, je vous laisse. (Il reprend ses paquets.) Je vais faire ma barbe… pour aller consulter une lumière de la faculté… sur ma singulière affection…
Il va sortir… bravo !…
Figurez-vous, mon ami, que, quand je mange… et même quand je ne mange pas…
Oui, oui… c’est très grave…
Ca m’inquiète beaucoup !… (Désignant la chambre de gauche, deuxième plan.) C’est par là, n’est-ce pas ?
Oui, tout au fond.
Mes respects à madame votre mère… Ce soir, nous ferons un whist… et je lui parlerai de mon affection…
Ce sera charmant !…
Prudenval sort à gauche avec ses paquets.
Scène VIII
Un whist ! que le diable l’emporte !… Ca ne peut pas durer longtemps comme ça… ils vont me redemander à voir la petite… et, quand je leur présenterai une nourrissonne de quarante-huit ans !… Voilà encore mon mariage flambé !… Ca fait huit ! mais que faire ?… Si je pouvais la marier… à un voyageur… à un courrier de la malle… de l’Inde ! je dirais : "Eh bien, oui ! c’est vrai ! j’ai une fille… une vieille fille… mais elle se promène dans l’Indoustan… c’est un cheveu blanc qui court le monde… je ne l’ai plus… je me suis épilé…" On n’aurait rien à répondre à ça ! Malheureusement, je ne connais pas le courrier de la malle. (Se promenant.) Sapristi ! sapristi !
À ce moment, une pipe tombe sur la terrasse et se brise.
Ah ! nom d’un nom ! une pipe culottée !
Crebleu ! (S’élançant vers la terrasse.) Ah çà ! monsieur, avez-vous bientôt fini de jeter vos pipes sur ma terrasse ?
Pourquoi mettez-vous votre terrasse sous mes pipes ?
Ah ! mais il est à empailler, ce militaire !…
En voilà un oiseau !… il grogne toujours.
Capitaine, pas de gros mots.
Vous m’ennuyez…
Quoi ?
Capitaine, voulez-vous me faire le plaisir de descendre ?…
Est-ce pour un coup de sabre ?
Non. J’ai à vous faire une communication de la plus haute importance !…
Attendez, que j’allume ma bouffarde.
C’est une idée superbe… Un militaire… ça voyage, ça change de garnison… On les envoie en Afrique, et même plus loin !… J’ai trouvé mon courrier !
Scène IX
De quoi s’agit-il ?
Entrez donc, capitaine !… Capitaine, croyez que je suis désolé de la petite altercation…
Il n’a pas l’air commode à entamer. (Haut.) En vous voyant fumer tant de pipes et de cigares, je me suis dit : "Voilà un officier français qui doit bien s’ennuyer à sa fenêtre…"
J’attends Corinne.
Ou l’Italie ?
Non : une piqueuse de boutonnières de bretelles…
Ah ! satané capitaine ! (Sérieux.) Mais, comme père, je dois l’ignorer.
Serviteur !
Il remonte.
Un instant !
Quoi encore ?
Je voulais vous demander… Etes-vous marié ?
Non !
Nous partons dans quinze jours pour Oran ! Qu’est-ce que ça vous fait ?
Quelle chance ! (Haut.) Capitaine, peut-on vous offrir une chope de bière ?
Non, la bière, ça m’empâte… Je me suis mis au rhum.
Justement !… j’en ai… vrai Jamaïque.
Ah ! mais il est très caressant, ce petit…
Il s’assoit.
À votre santé !…
Et aux dames !
C’est étonnant comme votre physionomie me plaît !
Votre rhum aussi.
Dites donc… j’ai envie de vous marier…
Moi ?… Cornichon !
Je m’en fiche !…
Qui tape du piano…
Je m’en surfiche !…
Il boit.
Cent mille francs de dot…
Cristi ! cent mille francs !… Ah çà ! est-ce que vous avez envie de faire poser l’armée française, vous ?
Non, parole d’honneur !
Comment !… je pourrais épouser cent mille francs, moi ?
Peut-être…
Mâtin… je lâche Corinne…
Vous ne tenez pas, je pense, à une extrême beauté ?
Dame !…
Ah ! je vois ce que c’est… Vous voulez me faire épouser un laideron.
Mais non, mais non !… Un profil grec, antique ; et spirituelle… Et puis cent mille francs.
Crebleu ! Voyons la petite !…
Ce n’est pas précisément… une petite…
Elle est grande, tant mieux ! j’aime les femmes de haute futaie… Corinne a six pouces !
Chut ! comme père, je dois l’ignorer.
Ah çà, dites donc, vous me proposez cent mille francs et une jeune fille…
Une demoiselle… ne confondons pas !
Précisément. Il n’y a pas de gabegie là-dessous ?
Ah ! capitaine !…
Très bien… du moment que c’est garanti !
Pourquoi ça ?
Vous comprenez… une première entrevue…
C’est juste… Corinne la tolère.
Chut ! ne parlez donc pas de Corinne !
Suffit… on sera roué.
Trébuchard entre dans la chambre de Blanche.
Scène X
Cristi ! cristi ! cristi ! En voilà une particularité ! Cent mille francs ! cinq mille livres de rente, et ma solde ! J’ai le moyen d’avoir deux enfants !… J’en mettrai un dans le notariat, et l’autre, dans la cavalerie… à moins que ça ne soit une fille !… Alors, je mettrais le premier dans la cavalerie, et le second… Non, ça ne va pas encore ! (Se versant et buvant.) La petite m’aura vu fumer des cigares à mon balcon… ça l’aura allumée… Il ne revient pas, ce bourgeois… Il y a longtemps que je n’ai vu des militaires… ça me prive.
Il se mire dans la glace.
Scène XI
Tiens-toi droite… et mets-toi de profil… Tu gagnes cinquante pour cent à être vue de moitié.
La voici !
Il lisse sa moustache et prend une pose séduisante.
Capitaine ! (À part.) Il va me flanquer un second coup d’épée…
Déchirons la cartouche ! (Haut à Blanche.) Bel astre, mon cœur ardent… (Il regarde et bondit. À part.) C’est ça ?… cré nom !
Remettez-vous… Je vous présente mademoiselle Blanche, ma fille…
Sa fille ! (Bas à Trébuchard.) Fichtre ! vous avez commencé de bonne heure.
Cent mille francs… Dites-lui quelque chose d’aimable !
Il est ému ! il est ému !… Je vais parler pour lui… (Avec solennité.) Blanche, le moment est venu où j’ai dû songer à vous établir…
Il est en retard.
Et voici ce brave capitaine… (Bas.) Votre nom ?
Piquoiseau…
Voici ce brave Piquoiseau…
Le joli nom !
Qui n’a pu maîtriser ses sentiments…
Minute !
C’est un homme rangé… qui ne sort jamais de chez lui. Il est toujours à son balcon… la pipe… non ! le cigare… non !… le sourire… sur les lèvres… sourire de l’espérance !
Minute !
Il se verse du rhum et boit.
Quelle platine !
Capitaine… les volontés de mon père seront toujours sacrées pour moi… J’accepte…
O bonheur ! (À Blanche.) Tu viens de l’entendre, il a dit : "O bonheur ! "
Moi ?… permettez…
Faites votre demande… Chaud ! chaud !
C’est que… (À part, la regardant.) Fichtre ! (À Trébuchard.) Franchement, quel âge a-t-elle ?
Cent mille francs !
Et ma solde, crebleu ! (Se décidant.) Allons ! Bel astre… certainement… le respect vénérable et les charmes si majeurs… font que j’ai l’honneur… (Tout à coup.) Non ! je demande à réfléchir !
Comment ?
Il est ému ! il est ému ! (À Piquoiseau qui remonte.) Où allez-vous donc ?
Faire une partie de billard… avec des militaires… Je vous l’offre…
Je l’accepte. (À part.) Il est ébranlé, je ne le lâche pas.
Ensemble
Air de la Chanteuse voilée (Victor Massé)
Piquoiseau, à part
Cent mille francs
Sont attrayants,
Morbleu ! j’en conviens sans peine,
Mais ce tendron,
Triple escadron !
Fait flotter mon âme incertaine.
Trébuchard, à part
Cent mille francs,
Sont bien tentants,
Pour le cœur d’un capitaine.
Cet hameçon
Aura raison
De son âme encore incertaine.
Blanche, à part
Hélas ! je sens,
Dans tous mes sens,
Une émotion soudaine,
Je serai donc,
Tout m’en répond,
L’épouse du beau capitaine
Rentrez !…
Piquoiseau et Trébuchard sortent par le fond.
Scène XII
Il est bien, ce capitaine… l’air distingué et une barbiche ! Toute la tête de mon Romulus !…
Prudenval sort de sa chambre avec Claire ; il tient des jouets d’enfant et un grand bonhomme de pain d’épice ; Claire tient à la main un petit bonnet d’enfant.
Viens !… la petite doit être éveillée ; nous allons lui offrir notre cadeau…
J’ai mon petit bonnet…
Encore ce monsieur !…
C’est la bonne-maman… Elle est très forte au whist… Je vais te présenter…(Saluant Blanche.) Madame…
Monsieur… (À part.) Quelle rage a-t-il de m’appeler madame ?
Peut-on vous offrir une prise ?
Merci…
Ah ! (Saluant.) Mademoiselle…
Ma fille… Claire Prudenval… de Reims… la future…
Plaît-il ?
La future…
La future de qui ?…
Eh bien, de monsieur votre fils.
Je n’ai pas de fils, monsieur !
Comment ?
Je suis demoiselle !
Ah bah !… Je vous demande pardon… Nous vous avons prise pour la grand-mère…
La grand’mère !
Excusez une erreur… bien naturelle…
Malhonnête !
Quelle marmotte ?
Elle ne comprend rien, cette femme-là. (Haut.) La fille de Trébuchard, mon gendre…
Sa fille !… Mais c’est moi, monsieur !
Ah ! par exemple !
Comment ! la marmotte, c’est vous ? (À part, la regardant ébahi.) Ah diable ! ah bigre ! ah ! sapristi !…
C’est trop fort !
Et moi qui vous apportais… (Il mord dedans.) Et ma fille qui vous avait brodé…
Quoi ?
Rien !
C’est bizarre ! vous paraissez plus vieille… non ! moins jeune que monsieur votre père…
Oh ! de très peu !…
Je suis d’un premier lit…
C’est donc ça… (À Claire.) Tout s’explique…
Oui, c’est bien agréable…
Mais, j’y pense, vous allez être la fille de ma fille !
Moi ?
Je ne veux pas !
Dame ! puisque tu épouses son papa… tu ne peux pas te dispenser d’être sa maman.
Sa maman ?
C’est très curieux… nous le ferons mettre dans le journal de Reims.
Il ne manquerait plus que ça !
Midi !… je vous laisse… je cours chez mon médecin… (À Claire.) Adieu !
Non… tu me gênerais pour ma consultation… je compte entrer dans des détails… Causez… faites connaissance…
Mais, papa…
Puisqu’elle va être ta fille… causez !…
C’est inutile !
Elle remonte et redescend à gauche.
Est-ce que papa m’aurait donné une marâtre ?
Chœur
Air de la Vicomtesse Lolotte
Prudenval
Toutes deux pour bien vous connaître,
Causez ici bien tendrement ;
Puisque bientôt vous allez être,
Vous, sa fille, et toi, sa maman.
Claire, à part
Est-il besoin de mieux connaître
Cette aimable et charmante enfant !
Je ne veux pas de cette ancêtre
Devenir jamais la maman !
Blanche, à part
Dans leurs regards je vois paraître
La froideur et l’étonnement.
Leur cœur se fait assez connaître,
Et m’éloigner est plus prudent.
C’est drôle ! comme demoiselle, je lui trouve de moins beaux vestiges. (Haut.) Peut-on vous offrir une prise ?
Monsieur !
Reprise du Chœur
Prudenval sort par le fond et Blanche rentre chez elle.
Scène XIII
Ah ! c’est trop fort !… M. Trébuchard s’est moqué de nous… il nous a dit ce matin qu’on était en train de la sevrer…
Air du Verre
C’est vraiment une indignité !
Cette mignonne-là, je pense
Atteignait sa majorité
Avant le jour de ma naissance !
Espère-t-on qu’ingénument,
Pour ma fille je reconnaisse
Une enfant qui, sur sa maman,
Peut invoquer le droit d’aînesse.
C’est fini… bien fini !… et sitôt que mon père rentrera…
Elle remonte vers sa chambre.
Ah ! vous voilà, monsieur !…
Mademoiselle Claire… Eh bien, êtes-vous installée ?
Pas pour longtemps, monsieur.
Ah ! c’est trop petit ?
Non, au contraire, monsieur, c’est trop grand !
La chambre ?
Non, monsieur, autre chose… (Avec un dépit très marqué.) Je viens de voir votre fille.
Sacrebleu ! la gamine a jasé.
Vous comprenez, monsieur, que je n’ai pas envie de m’entendre appeler maman par une grande femme de cet âge-là…
Soyez tranquille… je suis en train de la caser… à Oran.
Comment ?
Je m’occupe activement de la marier.
Pristi !… je n’y avais pas songé !
J’en suis bien fâchée, monsieur ; mais notre mariage, dans ces conditions, est tout à fait impossible !
Elle remonte.
Que faire ?
Je n’en sais rien… Mais ce qu’il y a de certain, c’est que je ne vous épouserai pas avec une pareille fille !
Je ne peux pourtant pas la supprimer.
Ca ne me regarde pas… J’aime mieux retourner à Reims.
Mademoiselle, je vous en prie…
Non, monsieur… jamais ! jamais ! jamais !
Elle entre vivement dans sa chambre.
Scène XIV
"Jamais ! jamais ! jamais !…" Me voilà bien !… Ah ! je comprends le sacrifice d’Iphigénie en Tauride ; mais nous n’y sommes pas, et ici, c’est prohibé par les règlements de police… malheureusement !… (Se promenant, très agité.) Ah çà ! cette fille majeure ne me lâchera donc pas ?… Au bout du compte, elle ne m’est rien !… elle est du lit Arthur… et je suis étranger à ce meuble !… C’est qu’il n’y a pas à dire, Claire s’est prononcée !… elle n’en veut pas comme fille… Blanche ne peut pourtant pas être sa mère !… (Tout à coup, et frappé d’une idée.) Hein ! sa mère ! pourquoi pas ? (Plus fort.) Pourquoi donc pas ?… Prudenval est veuf. (Avec force.) Il n’en a pas le droit !… D’ailleurs, j’ai besoin de lui !… il n’y a que lui de possible ! Il faut que mon beau-père devienne mon gendre ! Comment ? je ne le sais pas !… mais il le faut ! (Le voyant entrer.) Le voici.
Ah ! mon ami !… je n’en peux plus…
Qu’avez-vous donc ?
Je suis indigné ! je viens de chez mon médecin…
Eh bien ?
Un homme qui met sur ses cartes : "Consultations de midi à deux heures…"
Comment l’attaquer ?
Je sonne… Un domestique paraît. Où est ton maître ? — Il est parti pour Amiens depuis dimanche."
On ne se moque pas du monde comme ça… Et maintenant, je suis forcé d’attendre à demain… et, pendant ce temps-là, ma maladie fait des ravages !… Trébuchard… vous ne connaîtriez pas une lumière de la Faculté qui ne soit pas à Amiens ?
Tiens ! si je pouvais !… (Haut.) Je vous offrirais bien mes faibles talents… mais la confiance ne se commande pas.
Comment ! vous savez la médecine ?
Il demande si je sais la médecine !… je l’ai creusée neuf ans ! (À part.) J’ai failli être reçu dentiste !
C’est vrai… vous me l’aviez dit à l’époque de vos trois voyages à Reims…
Je m’occupe surtout des maladies… vagues !
Précisément… ma maladie est extrêmement vague… Figurez-vous que, quand je mange… et même quand je ne mange pas…
C’est très vague… Voyons le pouls ?
Voilà !
Il tire la langue.
À Reims, on commence toujours par là.
De la fréquence… de l’intermittence et même un peu d’indolence !
Saprebleu !
À quel âge vous êtes-vous marié ?
À vingt-neuf ans, neuf mois et seize jours.
Mauvais… mauvais !…
Je l’ai toujours cru… le mariage ne me réussit pas…
Ne dites pas ça ! ne dites pas ça !
Entre nous, madame Prudenval était une excellente femme… mais elle me contrariait toujours… elle m’agaçait, cette pauvre amie… aussi j’ai juré de ne jamais me remarier… de mon vivant !
Ah ! vous avez juré ? (À part.) Ca tombe bien ! (Haut.) Vous allez peut-être me trouver un peu indiscret ?
Quand vous vous trouvez dans un salon près d’une jolie femme… quel sentiment éprouvez-vous ?
Moi ?… j’éprouve le besoin de faire un whist.
Voilà tout ?
Exactement !
Mon compliment ! (À part.) Il est bien froid. (Haut.) Permettez.
Il l’ausculte en appliquant sur la poitrine de Prudenval les doigts réunis de la main gauche, et en frappant dessus de petits coups secs avec trois doigts réunis de la main droite. À chaque coup, Prudenval sursaute, très inquiet.
Eh bien, voyez-vous quelque chose ?
Tout ! tout !
Ah ! voyons !
Mon ami… mon cher ami… du courage !…
Hein ?…
Du péritoine !… Où est-ce situé ?
Partout.
C’est bien ça. Mais le remède ?… Il y a un remède ?…
Sur huit malades… j’en ai perdu dix.
Et le onzième ?
Je l’ai sauvé.
Comment ?
Non… vous ne voudrez pas.
Je vous dis que si !
C’est une médecine de cheval…
Ah !… quelque chose d’amer ?…
Très amer !… Je l’ai marié ! v’lan !
Saprelotte !
Il prend vivement sa canne et son chapeau, et remonte en courant.Où allez-vous donc ?
À Reims… prendre médecine !
Comment ?
Je ne connais personne ici…
Chut !… j’ai votre affaire.
Ah ! bah ! Qui ça ?
Scène XV
Approchez, ma fille… (Bas.) Tiens-toi droite et mets-toi de profil… (Haut, avec solennité.) Blanche, le moment est venu de vous marier…
Est-il possible !
Mets-toi de profil ! (Haut.) Blanche… voici l’époux que je vous destine…
Il s’efface. Blanche et Prudenval se regardent et reculent en jetant un cri.
Hein ?
Tableau !
Il est trop vieux !
Dites donc… c’est bien amer…
Je vois que toutes les convenances y sont.
Arrêtez (À Prudenval.) Monsieur, je suis sensible à la recherche d’un galant homme, mais notre union est impossible…
Ah !
Blanche !
Il existe d’autres engagements avec un officier…
Très bien ! très bien !
Du tout ! (Bas à Prudenval.) Et votre santé, malheureux vieillard !
Le capitaine Piquoiseau est un coureur… qui a des intrigues… avec une Corinne… piqueuse de bretelles…
Vous le calomniez !
Et puis un militaire… ça voyage ! (S’attendrissant.) Tu serais séparée de moi… ô mon enfant !
Papa, je vous écrirai.
Mais, il ne t’aime pas… il ne reviendra pas !…
Oh ! que si !… Mon cœur me dit qu’il reviendra !
Ton cœur radote !
Arrosons-nous la dalle, la dalle,
Arrosons-nous…
Ah !… le voici !…
Elle est très émue.
Que le diable l’emporte !
Scène XVI
Ca y est ! je suis décidé.
Vous refusez ?
Non pas ! Cent mille francs ! un lingot d’or ! (Se posant près de Blanche.) Mademoiselle… bel astre !…
Capitaine !
Mets-toi de face !
Oh ! (Brusquement.) Non !… on me blaguerait trop !
Il va à la bouteille de rhum et se verse un verre.
Ah !
Qu’est-ce qu’il a dit ?
Rien ! (Gracieusement.) Monsieur Prudenval… voici ma main…
Avec plaisir !
Enfin, j’ai lancé mon boulet !
Scène XVII
Venez, papa, retournons à Reims.
Laissez vos paquets… tout est arrangé…
Oui, maman.
Encore !
Non ! non !… C’est ma fille qu’il faut dire… ma fille !
Que signifie ?
Je vous présente madame Prudenval… (Bas, gaiement.) Vous n’en vouliez pas pour enfant… Je vous l’ai donnée pour mère !…
Comment, papa ?…
Pardonne-moi… ma fille… c’est pour mon péritoine !…
Taisez-vous, mon gendre.
Son gendre !… Quel drôle de micmac !
Dites donc… c’est elle qui sera grand’mère !
Je ne comprends pas…
C’est juste !
Dites donc, vous !
Chut ! viens me voir !
Il boit.
Chœur
Air du Monsieur qui prend la mouche
La belle-fille en belle-mère
Se transforme, et chaque mari
Est beau-père de son beau-père,
Et gendre de son gendre aussi.
Trébuchard, au public
Air : le Beau Lucas
Dans les liens du mariage
Il faut des époux assortis :
Pour avoir enfreint cet adage,
Vous avez vu tous mes ennuis ;
Mais d’un hymen hétéroclite,
D’une union que j’ai maudite,
Messieurs, je bénirai le fruit,
Si ce soir, par votre crédit,
Un franc succès vient à la suite
Des suites de mon premier lit.
Tous <poem> Qu’un franc succès vienne à la suite Des suites de son premier lit. <poem>
RIDEAU