Les contes choisis (Aulnoy)/La Princesse Rosette

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Les contes choisisBelin-Leprieur et Morizot (p. ill.-150).


LA PRINCESSE ROSETTE.

LA PRINCESSE ROSETTE.



I
l était une fois un roi et une reine qui avaient deux beaux garçons. La reine n’avait jamais d’enfant qu’elle n’envoyât convier les fées à leur naissance ; elle les priait toujours de lui dire ce qui leur devait arriver.

Un jour que la reine avait mis au monde une belle petite fille, qui était si jolie, qu’on ne la pouvait voir sans l’aimer, elle régala toutes les fées qui étaient venues la voir, et leur dit, quand elles furent prêtes à s’en aller : N’oubliez pas votre bonne coutume et dites-moi ce qui arrivera à Rosette (C’est ainsi que l’on appelait la petite princesse.) Les fées lui dirent qu’elles avaient oublié leur grimoire à la maison, qu’elles reviendraient une autre fois la voir. Ah ! dit la reine, cela ne m’annonce rien de bon, vous ne voulez pas m’affliger par une mauvaise prédiction ; mais, je vous en prie, que je sache tout ; ne me cachez rien. Elles s’en excusaient bien fort ; et la reine avait encore bien plus envie de savoir ce que c’était. Enfin, la principale lui dit : Nous craignons, madame, que Rosette ne cause un grand malheur à ses frères ; qu’ils ne meurent dans quelque affaire pour elle. Voilà tout ce que nous pouvons deviner sur cette belle petite fille. Elles s’en allèrent ; et la reine resta si triste, si triste, que le roi s’en aperçut. Il lui demanda ce qu’elle avait ? elle répondit qu’elle s’était approchée trop près du feu, et qu’elle avait brûlé tout le lin qui était sur la quenouille. N’est-ce que cela ? dit le roi. Il monta dans son grenier, et lui apporta plus de lin qu’elle n’en pouvait filer en cent ans.

La reine continua d’être triste : il lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui dit qu’étant au bord de la rivière, elle avait laissé tomber sa pantoufle de satin vert dans le cours d’eau. N’est-ce que cela ? dit le roi. Il envoya quérir tous les cordonniers de son royaume, et lui apporta dix mille pantoufles de satin vert.

Elle continua d’être triste : il lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui dit qu’en mangeant de trop bon appétit, elle avait avalé sa bague de noce, qui était à son doigt. Le roi découvrit qu’elle mentait car il avait caché cette bague, et lui dit : Ma chère femme, vous mentez ; voilà votre bague que j’ai serrée dans ma bourse. Dame ! elle fut bien attrapée d’être prise à mentir (car c’est la chose la plus laide du monde), et elle vit que le roi boudait ; c’est pourquoi elle lui dit ce que les fées avaient prédit de la petite Rosette, et que s’il savait quelque bon remède, il le dît. Le roi s’attrista beaucoup ; jusque-là il dit une fois à la reine : Je ne sais point d’autre moyen de sauver nos deux fils, qu’en faisant mourir la petite pendant qu’elle est au maillot. Mais la reine s’écria qu’elle souffrirait plutôt la mort elle-même ; qu’elle ne consentirait point à une si grande cruauté, et qu’il pensât à une autre chose.

Comme le roi et la reine n’avaient que cela dans l’esprit, on apprit à la reine qu’il y avait dans un grand bois proche de la ville un vieil ermite, qui couchait dans le tronc d’un arbre, que l’on allait consulter de partout. Elle dit : il faut que j’y aille aussi ; les fées m’ont dit le mal, mais elles ont oublié le remède. Elle monta de bon matin sur une belle petite mule blanche toute ferrée d’or, avec deux de ses demoiselles, qui avaient chacune un joli cheval. Quand elles furent près du bois, la reine et ses demoiselles descendirent par respect de cheval, et furent à l’arbre où l’ermite demeurait. Il n’aimait guère à voir des femmes ; mais quand il vit que c’était la reine, il lui dit : Vous, soyez la bienvenue ; que me voulez-vous ? Elle lui conta ce que les fées avaient dit de Rosette, et lui demanda conseil. Il lui dit qu’il fallait mettre la princesse dans une tour, sans qu’elle en sortît jamais. La reine le remercia, lui fit une bonne aumône, et revint tout dire au roi.

Quand le roi sut ces nouvelles, il fit vitement bâtir une grosse tour. Il y mit sa fille ; et pour qu’elle ne s’ennuyât point, le roi, la reine et les deux frères l’allaient voir tous les jours. L’aîné s’appelait le grand prince, et le cadet le petit prince. Ils aimaient leur sœur passionnément ; car elle était la plus belle et la plus gracieuse que l’on eût jamais vue, et le moindre de ses regards valait mieux que cent pistoles. Quand elle eut quinze ans, le grand prince disait au roi : Mon papa, ma sœur est assez grande pour être mariée ; n’irons-nous pas bientôt à la noce ? Le roi, prenant Rosette sur ses genoux, l’embrassait sans répondre aux deux jeunes princes.

Enfin le roi et la reine tombèrent bien malades, et moururent presque en un même jour. Voilà tout le monde fort triste ; l’on s’habille de noir, et l’on sonne les cloches partout. Rosette était inconsolable de la mort de sa bonne maman.

Quand le roi et la reine eurent été enterrés, les marquis et les ducs du royaume firent monter le grand prince sur un trône d’or et de diamants, avec une belle couronne sur sa tête, et des habits de velours violet, chamarrés de soleils et de lunes, et puis toute la cour cria trois fois : Vive le roi. L’on ne songea plus qu’à se réjouir.

Le roi et son frère s’entre-dirent : À présent que nous sommes les maîtres, il faut retirer notre sœur de la tour, où elle s’ennuie depuis longtemps. Ils n’eurent qu’à traverser le jardin pour aller à la tour qui était bâtie au coin, toute la plus haute que l’on avait pu ; car le roi et la reine défunts voulaient qu’elle y demeurât toujours. Rosette brodait une belle robe sur un métier qui était là devant elle ; mais quand elle vit ses frères, elle se leva, et fut prendre la main du roi, lui disant : Bonjour, sire, à présent vous êtes roi, et moi votre petite servante ; je vous prie de me retirer de la tour, où je m’ennuie bien fort. Et là-dessus elle se mit à pleurer. Le roi l’embrassa, et lui dit de ne point pleurer ; qu’il venait pour l’ôter de la tour, et la mener dans un beau château. Le prince avait tout plein ses poches de dragées, qu’il donna à Rosette : Allons, lui dit-il, sortons de cette vilaine tour, le roi te mariera bientôt, ne t’afflige point.

Quand Rosette vit le beau jardin tout rempli de fleurs, de fruits, de fontaines, elle demeura si étonnée, qu’elle ne pouvait pas dire un mot, car elle n’avait encore jamais rien vu. Elle regardait de tous côtés, elle marchait, elle s’arrêtait, elle cueillait des fruits sur les arbres, et des fleurs dans le parterre ; son petit chien, appelé Frétillon, qui était vert comme un perroquet, qui n’avait qu’une oreille, et qui dansait à ravir, allait devant elle, faisant jap, jap, jap, avec mille sauts et mille cabrioles.

Frétillon réjouissait fort la compagnie ; il se mit tout d’un coup à courir dans un petit bois. La princesse le suivit, et jamais l’on n’a été plus émerveillé qu’elle le fut, de voir dans ce bois un grand paon qui faisait la roue, et qui lui parut si beau, si beau, qu’elle n’en pouvait retirer ses yeux. Le roi et le prince arrivèrent auprès d’elle, et lui demandèrent à quoi elle s’amusait. Elle leur montra le paon, et leur demanda ce que c’était que cela. Ils lui dirent que c’était un oiseau dont on mangeait quelquefois. Quoi ! dit-elle, l’on ose tuer un si bel oiseau et le manger ? Je vous déclare que je ne me marierai jamais qu’au roi des paons, et quand j’en serai la reine, j’empêcherai bien que l’on en mange. L’on ne peut dire l’étonnement du roi. Mais, ma sœur, lui dit-il, où voulez-vous que nous trouvions le roi des paons ? — Où il vous plaira, sire, mais je ne me marierai qu’à lui.

Après avoir pris cette résolution, les deux frères l’emmenèrent à leur château, où il fallut apporter le paon, et le mettre dans sa chambre, car elle l’aimait beaucoup. Toutes les dames qui n’avaient point vu Rosette, accoururent pour la saluer et lui faire la cour ; les unes lui apportaient des confitures, les autres du sucre, les autres des robes d’or, de beaux rubans, des poupées, des souliers en broderie, des perles, des diamants, on la régalait partout ; et elle était si bien apprise, și civile, baisant la main, faisanț la révérence quand on lui donnait quelque belle chose, qu’il n’y avait personne qui ne s’en retournât content.

Pendant qu’elle causait avec bonne compagnie, le roi et le prince songeaient à trouver le roi des paons, s’il y en avait un au monde. Ils s’avisèrent qu’il fallait faire un portrait de la princesse Rosette ; et ils le firent faire si beau, qu’il ne lui manquait que la parole, et lui dirent : Puisque vous ne voulez épouser que le roi des paons, nous allons partir ensemble, et vous l’aller chercher par toute la terre. Si nous le trouvons, nous serons bien aises ; prenez soin de notre royaume en attendant que nous revenions.

Rosette les remercia de la peine qu’ils prenaient ; elle leur dit qu’elle gouvernerait bien le royaume, et qu’en leur absence tout son plaisir serait de regarder le beau paon, et de faire danser Frétillon. Ils ne purent s’empêcher de pleurer en se disant adieu.

Voilà les deux princes partis, qui demandaient à tout le monde : Ne connaissez-vous point le roi des paons ? Chacun disait : Non, non. Comme cela, ils allèrent si loin, si loin, que personne n’a jamais été si loin.

Ils arrivèrent au royaume des hannetons : il ne s’en est point encore tant vu ; ils faisaient un si grand bourdonnement que le roi avait peur de devenir sourd. Il demanda à celui de tous qui lui parut le plus raisonnable, s’il ne savait point en quel endroit il pourrait trouver le roi des paons. — Sire, lui dit le hanneton, son royaume est à trente mille lieues d’ici ; vous avez pris le plus long pour y aller. — Et comment savez-vous cela ? dit le roi. — C’est, répondit le hanneton, que nous vous connaissons bien, et que nous allons tous les ans passer deux ou trois mois dans vos jardins. Voilà le roi et son frère qui embrassent le hannetou bras dessus, bras dessous ; ils se firent grande amitié, et dînèrent ensemble ; ils virent avec admiration toutes les curiosités de ce pays-là, où la plus petite feuille d’arbre vaut une pistole. Après cela, ils partirent pour achever leur voyage ; et comme ils savaient le chemin, ils ne furent pas longtemps sans arriver. Ils voyaient tous les arbres chargés de paons ; et tout en était si rempli, qu’on les entendait crier et parler de deux lieues.

Le roi disait à son frère : Si le roi des paons est un paon lui-même, comment notre sœur prétend-elle l’épouser ? Il faudrait être fou pour y consentir. Voyez la belle alliance qu’elle nous donnerait ; des petits paonneaux pour neveux. Le prince n’était pas moins en peine. C’est là, dit-il, une malheureuse fantaisie qui lui est venue dans l’esprit, je ne sais où elle a été deviner qu’il y a dans le monde un roi des paons.

Quand ils arrivèrent à la grande ville, ils virent qu’elle était pleine d’hommes et de femmes ; mais qu’ils avaient des habits faits de plumes de paons, et qu’ils en mettaient partout comme une fort belle chose. Ils rencontrèrent le roi, qui sortait de son château dans un beau petit carrosse d’or et de diamants, que douze paons menaient à toute bride. Ce roi des paons était si beau, si beau, que le roi et le prince en furent charmés ; il avait de longs cheveux blonds et frisés, le visage blanc, une couronne de queue de paons. Quand il les vit, il jugea que puisqu’ils avaient des habits d’une autre façon que les gens du pays, il fallait qu’ils fussent étrangers ; et pour le savoir, il arrêta son carrosse, et les fit appeler.

Le roi et le prince vinrent à lui ; ayant fait la révérence, ils lui dirent ; Sire, nous venons de bien loin pour vous montrer un beau portrait. Ils tirèrent de leur valise le grand portrait de Rosette. Lorsque le roi des paons l’eut bien regardé : Je ne peux croire, dit-il, qu’il y ait au monde une si belle fille. — Elle est encore cent fois plus belle, dit le roi. — Ah ! vous vous moquez, répliqua le roi des paons. — Sire, dit le prince, voilà mon frère qui est roi comme vous, il s’appelle le roi, et moi je me nomme le prince ; notre sœur, dont voici le portrait, est la princesse Rosette : nous vous venons demander si vous la voulez épouser ; elle est belle et bien sage, et nous lui donnerons un boisseau d’écus d’or. — Oui-dà, dit le roi, je l’épouserai de bon cœur ; elle ne manquera de rien avec moi, je l’aimerai beaucoup ; mais je vous assure que je veux qu’elle soit aussi belle que son portrait, et que s’il s’en manque la moindre petite chose, je vous ferai mourir. — Hé bien ! nous y consentons, dirent les deux frères de Rosette. — Yous y consentez, ajouta le roi ? Allez donc en prison, et vous y tenez jusqu’à ce que la princesse soit arrivée. Les princes le firent sans difficulté ; car ils étaient bien certains que Rosette était plus belle que son portrait.

Lorsqu’ils furent dans la prison, le roi les envoya servir à merveille ; il les allait voir souvent, et il avait dans son château le portrait de Rosette, dont il était si affolé, qu’il ne dormait ni jour ni nuit. Comme le roi et son frère étaient en prison, ils écrivirent par la poste à la princesse de faire son paquet, et de s’embarquer promptement parce qu’enfin le roi des paons l’attendait. Ils ne lui mandèrent pas qu’ils étaient prisonniers, de peur de l’inquiéter trop.

Quand elle reçut cette lettre, elle fut tellement transportée, qu’elle en pensa mourir ; elle dit à tout le monde que le roi des paons était trouvé, et qu’il voulait l’épouser. On alluma des feux de joie, on tira le canon, l’on mangea des dragées et du sucre partout : l’on donna à tous ceux qui vinrent voir la princesse, pendant trois jours, une beurrée de confitures et de l’hypocras. Après qu’elle eut fait ainsi des libéralités, elle laissa ses belles poupées à ses bonnes amies, et le royaume de son frère entre les mains des plus sages vieillards de la capitale. Elle leur recommanda bien d’avoir soin de tout, de ne guère dépenser, d’amasser de l’argent pour le retour du roi ; elle les pria de conserver son paon, et ne voulut mener avec elle que sa nourrice et sa sœur de lait, avec le petit chien vert Frétillon.

Elles se mirent dans un bateau sur la mer. Elles portaient le boisseau d’écus d’or, et des habits pour dix ans, à en changer deux fois par jour : elles ne faisaient que rire et chanter. La nourrice demandait au batelier : Approchons-nous, approchons-nous du royaume des paons ? Il lui disait : Non, non. Une autre fois elle lui demandait : Approchons-nous, approchons-nous ? Il lui disait : Bientôt, bientôt. Une autre fois elle lui dit : Approchons-nous, approchons-nous ? Il répliqua : Oui, oui. Et quand il eut dit cela, elle se mit au bout du bateau, assise auprès de lui, et lui dit : Si tu veux tu seras riche à jamais. Il répondit : Je le veux bien. Elle continua : Si tu veux, tu gagneras de bonnes pistoles. Il répondit : Je ne demande pas mieux. — Eh bien, dit-elle, il faut que cette nuit, pendant que la princesse dormira, tu m’aides à la jeter dans la mer. Après qu’elle sera noyée, j’habillerai ma fille de ses beaux habits, et nous la mènerons au roi des paons, qui sera bien aise de l’épouser ; et pour ta récompense, nous te donnerons ton plein cou chargé de diamants.

Le batelier fut bien étonné de ce que lui proposait la nourrice. Il lui dit que c’était dommage de noyer une si belle princesse, qu’elle lui faisait pitié ; mais elle prit une bouteille de vin, et le fit tant boire, qu’il ne savait plus la refuser.

La nuit étant venue, la princesse se coucha comme elle avait accoutumé ; son petit Frétillon était joliment couché au fond du lit, sans remuer ni pieds ni pattes. Rosette dormait de toute sa force, quand la méchante nourrice, qui ne dormait pas, s’en alla querir le batelier. Elle le fit entrer dans la chambre de la princesse ; puis sans la réveiller, ils la prirent avec son lit de plume, son matelas, ses draps, ses couvertures : la sœur de lait aidait de toute sa force. Ils jetèrent tout cela dans la mer ; et la princesse dormait de si bon sommeil, qu’elle ne se réveilla point.

Mais ce qu’il y eut d’heureux, c’est que son lit de plume était fait de plumes de phénix, qui sont fort rares, et qui ont cette propriété, qu’elles ne vont jamais au fond de l’eau ; de sorte qu’elle nageait dans son lit, comme si elle eût été dans un bateau. L’eau pourtant mouillait peu à peu son lit de plume, puis le matelas ; et Rosette sentant de l’eau, ne savait ce que cela voulait dire.

Comme elle se tournait d’un côté sur l’autre, Frétillon s’éveilla. Il avait le nez excellent ; il sentait les soles et les morues de si près, qu’il se mit à japper, à japper tant, qu’il éveilla tous les autres poissons. Ils commencèrent à nager ; les gros poissons donnaient de la tête contre le lit de la princesse, qui ne tenant à rien, tournait et retournait comme une pirouette. Dame ! elle était bien étonnée. Est-ce que notre bateau danse sur l’eau ? disait-elle. Je n’ai point habitude d’être si mal à mon aise que je suis cette nuit. Et toujours Frétillon qui jappait, et qui faisait une vie de désespéré. La méchante nourrice et le batelier l’entendaient de bien loin, et disaient : Voilà ce petit drôle de chien qui boit avec sa maîtresse à notre santé. Dépêchons-nous d’arriver ! Car ils étaient tout près de la ville du roi des paons.

Il avait envoyé au bord de la mer cent carrosses tirés par toutes sortes de bêtes rares : il y avait des lions, des ours, des cerfs, des loups, des chevaux, des bœufs, des ânes, des aigles, des paons. Le carrosse où la princesse Rosette devait prendre place était traîné par six singes bleus, qui sautaient, qui dansaient sur la corde, qui faisaient mille tours agréables : ils avaient de beaux harnais de velours cramoisi, avec des plaques d’or. On voyait soixante jeunes demoiselles que le roi avait choisies pour la divertir. Elles étaient habillées de toutes sortes de couleurs, et l’or et l’argent étaient la moindre chose.

La nourrice avait pris grand soin de parer sa fille ; elle lui mit les diamants de Rosette à la tête et partout, ainsi que sa plus plus belle robe. Mais elle était avec ses ajustements plus laide qu’une guenon ; ses cheveux d’un noir gras, les yeux de travers, les jambes tortues, une grosse bosse au milieu du dos, de méchante humeur et maussade, qui grognait toujours.

Quand tous les gens du roi des paons la virent sortir du bateau, ils demeurèrent si surpris, qu’ils ne pouvaient parler. Qu’est-ce que cela ? dit-elle. Est-ce que vous dormez ? Allons, allons, que l’on m’apporte à manger ; vous êtes de bonnes canailles, je vous ferai tous pendre. À cette nouvelle ils se disaient : Quelle vilaine bête ! Elle est aussi méchante que laide. Voilà notre roi bien marié, je ne m’étonne point ; ce n’était pas la peine de la faire venir du bout du monde. Elle faisait toujours la maîtresse ; et pour moins que rien, elle donnait des soufflets et des coups de poing à tout le monde.

Comme son équipage était fort grand, elle allait doucement : elle se carrait comme une reine dans son carrosse. Mais tous les paons qui s’étaient mis sur les arbres pour la saluer en passant, et qui avaient résolu de crier : Vive la belle reine Rosette ; quand ils l’àperçurent si horrible, ils criaient : Fi, fi, qu’elle est laide ! Elle enrageait de dépit, et disait à ses gardes : Tuez ces coquins de paons qui me chantent injures. Les paons s’envolaient bien vite, et se moquaient d’elle.

Le fripon de batelier qui voyait tout cela, disait tout bas à la nourrice : Commère, nous ne sommes pas bien ; votre fille devrait être plus jolie. Elle lui répondit : Tais-toi, étourdi, tu nous porteras malheur.

L’on alla avertir le roi que la princesse approchait. Eh bien, dit-il, ses frères m’ont-ils dit vrai ? Est-elle plus belle que son portrait ? — Sire, dit-on, c’est bien assez qu’elle soit aussi belle. — Oui, dit le roi, j’en serai bien content : allons la voir. Car il entendit, par le grand bruit que l’on faisait dans la cour, qu’elle arrivait, et il ne pouvait rien distinguer de ce que l’on disait, sinon, fi, fi, qu’elle est laide ! Il crut qu’on parlait de quelque naine ou de quelque bête qu’elle avait peut-être amenée avec elle, car il ne pouvait lui entrer dans l’esprit que ce fût effectivement d’elle-même.

L’on portait le portrait de Rosette au bout d’un grand bâton tout découvert, et le roi marchait gravement après, avec tous ses barons et tous ses paons, puis les ambassadeurs des royaumes voisins. Le roi des paons était impatient de voir sa chère Rosette ; dame ! quand il l’aperçut, il faillit mourir sur place ; il se mit dans la plus grande colère du monde ; il déchira ses habits ; il ne voulait pas l’approcher : elle lui faisait peur.

Comment, dit-il, ces deux marauds que je tiens dans mes prisons ont bien de la hardiesse de s’être moqués de moi et de m’avoir proposé d’épouser une magotte comme cela : je les ferai mourir. Allons, que l’on enferme tout à l’heure cette pimbêche, sa nourrice et celui qui les amène ! Qu’on les mette au fond de ma grande tour !

D’un autre côté, le roi et son frère, qui étaient prisonniers, et qui savaient que leur sœur devait arriver, s’étaient habillés de beau pour la recevoir. Au lieu de venir ouvrir la prison et les mettre en liberté, ainsi qu’ils l’espéraient, le geôlier vint avec des soldats, et les fit descendre dans une cave toute noire, pleine de vilaines bêtes, où ils avaient de l’eau jusqu’au cou : l’on n’a jamais été plus étonné, ni plus triste. Hélas ! disaient-ils l’un à l’autre, voilà de tristes noces pour nous ! Qu’est-ce qui peut nous procurer un si grand malheur ? Ils ne savaient au monde que penser, sinon qu’on voulait les faire mourir.

Trois jours se passèrent sans qu’ils entendissent parler de rien. Au bout de trois jours, le roi des paons vint leur. dire des injures par un trou. Vous avez pris le titre de roi et de prince, leur cria-t-il, pour m’attraper, et pour m’engager à épouser votre sœur ; mais vous n’êtes tous que des misérables, qui ne valez pas l’eau que vous buvez. Je vais vous donner des juges, qui feront bien vite votre procès ; l’on file déjà la corde dont je vous ferai pendre. — Roi des paons, répondit le roi en colère, n’allez pas si vite dans cette affaire, car vous pourriez vous en repentir. Je suis roi comme vous, j’ai un beau royaume, des habits et des couronnes, et de bons écus ; vous êtes bien plaisant de nous vouloir faire pendre ; est-ce que nous avons volé quelque chose ?

Quand le roi l’entendit parler si résolument il ne savait où il en était, et il avait quelquefois envie de les laisser aller avec leur sœur, sans les faire mourir ; mais son confident, qui était un vrai flatteur, l’encouragea ; lui disant que s’il ne se vengeait, tout le monde se moquerait de lui, et qu’on le prendrait pour un petit roitelet. Il jura de ne leur point pardonner, et il commanda que l’on fit leur procès. Cela ne dura guère ; il n’y eut qu’à voir le portrait de la véritable princesse Rosette auprès de celle qui était venue, et qui disait l’être ; de sorte qu’on les condamna d’avoir le col coupé, comme étant menteurs, puisqu’ils avaient promis une belle princesse au roi, et qu’ils ne lui avaient donné qu’une laide paysanne.

L’on fut à la prison en grand appareil leur lire cet arrêt, et ils s’écrièrent qu’ils n’avaient point menti ; que leur sœur était princesse, et plus belle que le jour ; qu’il y avait quelque chose là-dessous qu’ils n’entendaient pas, et qu’ils demandaient encore sept jours, avant qu’on les fît mourir. Le roi des paons, qui était fort en colère, eut bien de la peine à leur accorder cette grâce ; mais enfin il y consentit.

Pendant que toutes ces affaires se passaient à la cour, il faut dire quelque chose de la pauvre princesse Rosette. Dès qu’il fut jour, elle demeura bien étonnée, et Frétillon aussi, de se voir au milieu de la mer sans bateau et sans secours. Elle se prit tant à pleurer, qu’elle faisait pitié à tous les poissons. Assurément, disait-elle, j’ai été jetée dans la mer par l’ordre du roi des paons ; il s’est repenti de m’épouser, et pour se défaire de moi, il m’a fait noyer. Là-dessus elle pleurait plus fort ; car elle ne pouvait s’empêcher de penser à ses frères qui l’aimaient tant.

Elle demeura deux jours ainsi flottante d’un côté et de l’autre de la mer, mouillée jusqu’aux os, enrhumée à mourir, et presque transie ; si ce n’avait été le petit Frétillon, qui lui réchauffait un peu le cœur, elle serait morte cent fois elle avait une faim épouvantable. Elle vit des huîtres, elle en prit tant qu’elle en voulut, et elle en mangea : Frétillon ne les aimait guère, il fallut pourtant bien qu’il s’en nourrit. Quand la nuit venait, la grande peur prenait à Rosette ; et elle disait à son chien : Frétillon, jappe toujours, de crainte que les soles ne nous mangent.

Il avait jappé toute la nuit, et le lit de la princesse n’était pas bien loin du bord de l’eau. En ce lieu-là il y avait un bon vieillard qui vivait tout seul dans une petite chaumière, où personne n’allait jamais : il était fort pauvre, et ne se souciait pas des biens du monde. Quand il entendit japper Frétillon, il fut tout étonné ; il crut que quelques voyageurs se seraient égarés, et sortit pour les remettre charitablement dans leur chemin. Tout d’un coup il aperçut la princesse et Frétillon qui flottaient sur la mer ; et la princesse le voyant, lui cria : Bon vieillard, sauvez-moi, car je périrai ici ; il y a deux jours que je languis.

Lorsqu’il l’entendit parler si tristement, il en eut grande pitié, et rentrà dans sa maison pour prendre un long crochet. Il s’avança dans l’eau jusqu’au cou, et pensa deux ou trois fois être noyé ; enfin il tira tant, qu’il amena le lit jusqu’au bord de l’eau. Rosette et Frétillon furent bien-aises d’être sur la terre ; elle remercia bien fort le bonhomme, et prit sa couverture, dont elle s’enveloppa ; puis toute nu-pieds elle entra dans la chaumière, où il lui alluma un petit feu de paille sèche, et tira de son coffre le plus bel habit de feu sa femme, avec des bas et des souliers, dont la princesse s’habilla. Ainsi vêtue en paysanne, elle était belle comme le jour.

Le vieillard voyait bien que Rosette était quelque grande dame car les couvertures de son lit étaient toutes d’or et d’argent, et son matelas de satin. Il la pria de lui conter son histoire, et qu’il n’en dirait mot si elle voulait. Elle lui apprit tout d’un bout à l’autre, pleurant bien fort ; car elle croyait toujours que c’était le roi des paons qui l’avait fait noyer. Comment ferons-nous, ma fille ? lui dit le vieillard. Vous êtes une si grande princesse, accoutumée à manger de bons morceaux, et moi je n’ai que du pain noir et des raves, vous allez faire méchante chère ; et si vous m’en vouliez croire, j’irais dire au roi des paons que vous êtes ici ; certainement s’il vous avait vue il vous épouserait. — Ah ! c’est un méchant, dit Rosette, il me ferait mourir ; mais si vous avez un petit panier, il faut l’attacher au cou de mon chien, et il y aura bien du malheur s’il ne rapporte la provision.

Le vieillard donna un panier à la princesse, elle l’attacha au cou de Frétillon, et lui dit : Va-t’en au meilleur pot de la ville, et me rapporte ce qu’il y a dedans. Frétillon court à la ville ; comme il n’y avait point de meilleur pot que celui du roi, il entre dans sa cuisine, il découvre le pot, prend adroitement tout ce qui était dedans, et revient à la maison. Rosette lui dit : Retourne à l’office, et prends ce qu’il y aura de meilleur. Frétillon retourne à l’office, et prend du pain blanc, du vin muscat, toutes sortes de fruits et de confitures : il était si chargé, qu’il n’en pouvait plus.

Quand le roi des paons voulut dîner, il n’y avait rien dans son pot ni dans son office ; chacun se regardait, et le roi était dans une colère horrible. Eh bien, dit-il, je ne dînerai point ; mais que ce soir on mette la broche au feu, et que j’aie de bons rôts. Le soir étant venu, la princesse dit à Frétillon : Va-t’en à la ville, entre dans la meilleure cuisine, et m’apporte de bons rôts. Frétillon fit comme sa maîtresse lui avait commandé ; et ne sachant point de meilleure cuisine que celle du roi, il y entra tout doucement, pendant que les cuisiniers avaient le dos tourné ; il prit tout le rôt qui était à la broche, d’une mine excellente, et à voir seulement, faisait appétit. Il rapporta son panier plein à la princesse ; elle le renvoya aussitôt à l’office, et il apporta toutes les compotes et toutes les dragées du roi.

Le roi, qui n’avait pas dîné, ayant grand faim, voulut souper de bonne heure, mais il n’y avait rien ; il se mit dans une colère effroyable, et s’alla coucher sans souper. Le lendemain au dîner et au souper, il en arriva tout autant ; de sorte que le roi resta trois jours sans boire ni manger, parce que, quand il allait se mettre à table, l’on trouvait que tout était pris. Son confident, fort en peine, craignant la mort du roi, se cacha dans un petit coin de la cuisine, et il avait toujours les yeux sur le pot qui bouillait. Il fut bien étonné de voir entrer tout doucement un petit chien vert, qui n’avait qu’une oreille, qui découvrait le pot, et mettait la viande dans son panier. Il le suivit, pour savoir où il irait ; il le vit sortir de la ville. Le suivant toujours, il fut chez le bon vieillard. Il revint en diligence tout conter au roi.

Le roi demeura bien étonné : il dit qu’on l’allât querir. Le confident, pour faire sa cour, y voulut aller lui-même, et mena des archers ; ils le trouvèrent qui dînait avec la princesse, et qu’ils mangeaient le bouilli du roi. Il les fit prendre, et lier de grosses cordes, et Frétillon aussi.

Quand ils furent arrivés, on l’alla dire au roi, qui répondit : C’est demain qu’expire le septième jour que j’ai accordé à ces affronteurs ; je les ferai mourir avec les voleurs de mon dîner. Puis il entra dans sa salle de justice. Le vieillard se mit à genoux, et dit qu’il allait lui conter tout. Pendant qu’il parlait, le roi regardait la belle princesse, et il avait pitié de la voir pleurer ; puis quand le bonhomme eut déclaré que c’était elle qui se nommait la princesse Rosette ; qu’on avait jetée dans la mer, malgré la faiblesse où il était d’avoir été si longtemps sans manger, il fit trois sauts tout de suite, et courut l’embrasser, et lui détacher les cordes dont elle était liée, lui disant qu’il l’aimait de tout son cœur.

On fut en même temps querir les princes, qui croyaient que c’était pour les faire mourir, et qui venaient fort tristes, baissant la tête : l’on alla de même querir la nourrice et sa fille. Quand ils se virent, ils se reconnurent tous ; Rosette sauta au cou de ses frères : la nourrice et sa fille avec le batelier se jetèrent à genoux, et demandèrent grâce. La joie était si grande, que le roi leur pardonna, et le bon vieillard fut récompensé largement. Il demeura toujours dans le palais.

Enfin le roi des paons fit toutes sortes de satisfactions au roi et à son frère, témoignant sa douleur de les avoir maltraités. La nourrice rendit à Rosette ses beaux habits et son boisseau d’écus d’or ; et la noce dura quinze jours. Tout fut content, jusqu’à Frétillon, qui ne mangeait plus que des ailes de perdrix. Le ciel veille pour nous ; et lorsque l'innocence
Se trouve en un pressant danger,
Il sait embrasser sa défense,
La délivrer et la venger.
A voir la timide Rosette,
Ainsi qu'un alcyon, dans son petit berceau,
Au gré des vents voguer sur l'eau,
On sent en sa faveur une pitié secrète ;
On craint qu'elle ne trouve une tragique fin
Au milieu des flots abîmée,
Et qu'elle n'aille faire un fort léger festin
A quelque baleine affamée.
Sans le secours du ciel, sans doute, elle eût péri.
Frétillon sut jouer son rôle
Contre la morue et la sole,
Et quand il s'agissait aussi
De nourrir sa chère maîtresse.
Il en est bien en ce temps-ci
Qui voudraient rencontrer des chiens de cette espèce.
Rosette échappée au naufrage,
Aux auteurs de ses maux accorde le pardon.
O vous à qui l'on fait outrage,
Qui voulez en tirer raison,
Apprenez qu'il est beau de pardonner l'offense
Après que l'on a su vaincre ses ennemis,
Et qu'on en peut tirer une juste vengeance :
C'est ce que notre siècle admire dans LOUIS.