Les crimes de l’amour, Nouvelles héroïques et tragiques/Ernestine.

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ERNESTINE,

NOUVELLE SUÉDOISE.






Après l’Italie, l’Angleterre et la Russie, peu de pays en Europe me paraissaient aussi curieux que la Suède ; mais si mon imagination s’allumait au desir de voir les contrées célèbres dont sortirent autrefois les Alaric, les Attila, les Théodoric, tous ces héros enfin qui, suivis d’une foule innombrable de soldats, surent apprécier l’aigle impérieux dont les ailes aspiraient à couvrir le monde, et faire trembler les Romains aux portes même de leur capitale ; si d’autre part mon âme brûlait du desir de s’enflammer dans la patrie des Gustave-Vasa, des Christine et des Charles XII… tous trois fameux dans un genre bien différens sans doute, puisque l’un[1] s’illustra par cette philosophie rare et précieuse dans un souverain, par cette prudence estimable qui fait fouler aux pieds les systêmes religieux, quand ils contrarient et l’autorité du gouvernement, à laquelle ils doivent être subordonnés, et le bonheur des peuples, unique objet de la législation : la seconde par cette grandeur d’âme, qui fait préférer la solitude et les lettres au vain éclat du trône… et le troisième par ces vertus héroïques, qui lui méritèrent à jamais le surnom d’Alexandre ; si tous ces différens objets m’animaient, dis-je, combien ne desirais-je pas avec plus d’ardeur encore, d’admirer ce peuple sage, vertueux, sobre et magnanime, qu’on peut appeller le modèle du nord.

Ce fut dans cette intention que je partis de Paris le 20 juillet 1774, et après avoir traversé la Hollande, la Westphalie et le Dannemark, j’arrivai en Suède vers le milieu de l’année suivante.

Au bout d’un séjour de trois mois à Stockholm, mon premier objet de curiosité se porta sur ces fameuses mines, dont j’avais tant lu de descriptions, et dans lesquelles j’imaginais rencontrer peut-être quelques aventures semblables à celles que nous rapporte l’abbé Prévot, dans le premier volume de ses anecdotes ; j’y réussis… mais quelle différence !…

Je me rendis donc d’abord à Upsal, située sur le fleuve de Fyris, et qui partage cette ville en deux. Long-temps la capitale de la Suède, Upsal en est encore aujourd’hui la ville la plus importante, après Stockholm. Après y avoir séjourné trois semaines, je me rendis à Falhum, ancien berceau des Scythes, dont ces habitans de la capitale de la Dalécarlie conservent encore les mœurs et le costume. Au sortir de Falhum, je gagnai la mine de Taperg, l’une des plus considérables de la Suède.

Ces mines, long-temps la plus grande ressource de l’état, tombèrent bientôt dans la dépendance des Anglais, à cause des dettes contractées par les propriétaires avec cette nation, toujours prête à servir ceux qu’elle imagine pouvoir engloutir un jour, après avoir dérangé leur commerce ou flétri leur puissance, au moyen de ses prêts usuraires.

Arrivé à Taperg, mon imagination travailla avant que de descendre dans ces souterrains, où le luxe et l’avarice de quelques hommes savent en engloutir tant d’autres.

Nouvellement revenu d’Italie, je me figurais d’abord que ces carrières devaient ressembler aux catacombes de Rome ou de Naples ; je me trompais ; avec beaucoup plus de profondeur, j’y devais trouver une solitude moins effrayante.

On m’avait donné à Upsal un homme fort instruit pour me conduire, cultivant les lettres et les connaissant bien. Heureusement pour moi, Falkeneim (c’était son nom) parlait on ne saurait mieux l’allemand et l’anglais, seuls idiômes du nord, par lesquels je pus correspondre avec lui ; au moyen de la première de ces langues, que nous préférâmes l’un et l’autre, nous pûmes converser sur tous les objets, et il me devint facile d’apprendre de lui l’anecdote, que je vais incessamment rapporter.

À l’aide d’un panier et d’une corde, machine disposée de façon à ce que le trajet se fasse sans aucun danger, nous arrivâmes au fond de cette mine, et nous nous trouvâmes en un instant à cent-vingt toises de la surface du sol. Ce ne fut pas sans étonnement que je vis là, des rues, des maisons, des temples, des auberges, du mouvement, des travaux, de la police, des juges, tout ce que peut offrir enfin le bourg le plus civilisé de l’Europe.

Après avoir parcouru ces habitations singulières, nous entrâmes dans une taverne, où Falkeneim obtint de l’hôte tout ce qu’il fallait pour se rafraîchir ; d’assez bonne bierre, du poisson sec, et une sorte de pain suédois fort en usage à la campagne, fait avec les écorces du sapin et du bouleau, mêlées à de la paille, à quelques racines sauvages, et pétries avec de la farine d’avoine ; en faut-il plus pour satisfaire au véritable besoin ? Le philosophe qui court le monde pour s’instruire, doit s’accommoder de toutes les mœurs, de toutes les religions, de tous les temps, de tous les climats, de tous les lits, de toutes les nourritures, et laisser au voluptueux indolent de la capitale ses préjugés… son luxe… ce luxe indécent qui, ne contentant jamais les besoins réels, en crée chaque jour de factices aux dépends de la fortune et de la santé.

Nous étions sur la fin de notre repas frugal, lorsqu’un des ouvriers de la mine, en veste et culotte bleues, le chef couvert d’une mauvaise petite perruque blonde, vint saluer Falkeneim en suédois ; mon guide ayant répondu en allemand par politesse pour moi, le prisonnier (car c’en était un) s’entretint aussitôt dans cette langue. Ce malheureux voyant que le procédé n’avait que moi pour objet, et croyant reconnaître ma patrie, me fit un compliment français, qu’il débita très-correctement, puis il s’informa de Falkeneim, s’il y avait quelques nouvelles à Stockholm ; il nomma plusieurs personnes de la cour, parla du roi, et tout cela avec une sorte d’aisance et de liberté qui me le firent considérer avec plus d’attention. Il demanda à Falkeneim s’il n’imaginait pas qu’il y eût un jour quelque rémission pour lui, à quoi mon conducteur lui répondit d’une façon négative, en lui serrant la main avec affliction ; aussi-tôt le prisonnier s’éloigna, le chagrin dans les yeux, et sans vouloir rien accepter de nos mets, quelques instances que nous lui en fissions. Un instant après il revint, et demanda à Falkeneim s’il voudrait bien se charger d’une lettre qu’il allait se presser d’écrire ; mon compagnon promit tout, et le prisonnier sortit.

Dès qu’il fut dehors ; quel est cet homme, dis-je à Falkeneim ? Un des premiers gentilshommes de Suède, me répondit-il. — Vous m’étonnez. — Il est bien heureux d’être ici, cette tolérance de notre souverain pourrait se comparer à la générosité d’Auguste envers Cinna. Cet homme que vous venez de voir, est le comte Oxtiern, l’un des sénateurs le plus contraire au roi dans la révolution de 1772[2]. Il s’est rendu depuis que tout est calme, coupable de crimes sans exemple. Dès que les loix l’eurent condamné, le roi se ressouvenant de la haine qu’il lui avait montré jadis, le fit venir, et lui dit : « Comte, mes juges vous livrent à la mort… vous me proscrivîtes aussi il y a quelques années, c’est ce qui fait que je vous sauve la vie ; je veux, vous faire voir que le cœur de celui que vous ne trouviez pas digne du trône, n’était pourtant pas sans vertu ». Oxtiern tombe aux pieds de Gustave, en versant un torrent de larmes ; je voudrais qu’il me fût possible de vous sauver tout-à-fait, dit le prince en le relevant, l’énormité de vos actions ne le permet pas ; je vous envoye aux mines, vous ne serez pas heureux, mais au moins vous existerez… retirez-vous ; on amena Oxtiern en ces lieux, vous venez de l’y voir ; partons, ajouta Falkeneim, il est tard, nous prendrons sa lettre en passant. O monsieur, dis-je alors à mon guide, dussions-nous passer huit jours ici, vous avez trop irrité ma curiosité, je ne quitte point les entrailles de la terre, que vous ne m’ayez appris le sujet qui y plonge à jamais ce malheureux ; quoique criminel, sa figure est intéressante ; il n’a pas quarante ans cet homme ?… je voudrais le voir libre, il peut redevenir honnête. — Honnête, lui ?… jamais… jamais. — De grâce, monsieur, satisfaite-moi. — J’y consens, reprit Falkeneim, aussi bien ce délai lui donnera le temps de faire ses dépêches ; faisons lui dire de ne se point presser, et passons dans cette chambre du fond, nous y serons plus tranquilles qu’au bord de la rue… je suis pourtant fâché de vous apprendre ces choses, elles nuiront au sentiment de pitié que ce scélérat vous inspire, j’aimerais mieux qu’il n’en perdît rien, et que vous restassiez dans l’ignorance. Monsieur, dis-je à Falkeneim, les fautes de l’homme m’apprennent à le connaître, je ne voyage que pour l’étudier ; plus il s’est écarté des digues que lui imposent les loix ou la nature, plus son étude est intéressante, et plus il est digne de mon examen et de ma compassion. La vertu n’a besoin que de culte, sa carrière est celle du bonheur… elle doit l’être, mille bras s’ouvrent pour recevoir ses sectateurs, si l’adversité les poursuit. Mais tout le monde abandonne le coupable… on rougit de lui tenir, ou de lui donner des larmes, la contagion effraye, il est proscrit de tous les cœurs, et on accable par orgueil, celui qu’on devrait secourir par humanité. Où donc peut être, monsieur, un mortel plus intéressant, que celui, qui du faîte des grandeurs, est tombé tout-à-coup dans un abîme de maux, qui né pour les faveurs de la fortune, n’en éprouve plus que les disgrâces… n’a plus autour de lui que les calamités de l’indigence, et dans son cœur que les pointes acérées du remords, ou les serpens du désespoir ? Celui-là seul, mon cher, est digne de ma pitié ; je ne dirai point comme les sots… c’est sa faute, ou comme les cœurs froids qui veulent justifier leur endurcissement, il est trop coupable. Eh ! que m’importe ce qu’il a franchi, ce qu’il a méprisé, ce qu’il a fait, il est homme, il dut être faible… il est criminel, il est malheureux, je le plains… Parlez Falkeneim, parlez, je brûle de vous entendre ; et mon honnête ami prit la parole dans les termes suivans :

« Vers les premières années de ce siècle, un gentilhomme de religion romaine, et de nation Allemande, pour une affaire qui était bien loin de le déshonorer, fut obligé de fuir sa patrie ; sachant que quoique nous ayons abjuré les erreurs du papisme, elles sont néanmoins tolérées dans nos provinces, il arriva à Stockholm. Jeune et bien fait, aimant le militaire, plein d’ardeur pour la gloire, il plut à Charles XII, et eut l’honneur de l’accompagner dans plusieurs de ses expéditions ; il était à la malheureuse affaire de Pultava, suivit le roi dans sa retraite de Bender, y partagea sa détention chez le Turc, et repassa en Suède avec lui. En 1718, lorsque l’état perdit ce héros sous les murs de Frédérikshall, en Norvège, Sanders (c’est le nom du gentilhomme dont je vous parle) avait obtenu le brevet de colonel, et c’est en cette qualité qu’il se retira à Nordkoping, ville de commerce, située à quinze lieues de Stockholm, sur le canal qui joint le lac Véter, à la mer Baltique, dans la province d’Ostrogothie. Sanders se maria, et eut un fils que Frédéric Ier. et Adolphe Frédéric, accueillirent de même ; il s’avança par son propre mérite, obtint le grade de son père, et se retira, quoique jeune encore, également à Nordkoping, lieu de sa naissance, où il épousa comme son père, la fille d’un négociant peu riche, et qui mourut douze années après avoir mis au monde Ernestine, qui fait le sujet de cette anecdote. Il y a trois ans que Sanders pouvait en avoir environ quarante-deux, sa fille en avait seize alors, et passait avec juste raison pour une des plus belles créatures qu’on eût encore vu en Suède ; elle était grande, faite à peindre ; l’air noble et fier, les plus beaux yeux noirs, les plus vifs, de très-grands cheveux de la même couleur, qualité rare dans nos climats ; et malgré cela, la peau la plus belle et la plus blanche ; on lui trouvait un peu de ressemblance avec la belle comtesse de Sparre, l’illustre amie de notre savante Christine, et cela était vrai.

La jeune Sanders n’était pas arrivée à l’âge qu’elle avait, sans que son cœur eût déjà fait un choix ; mais ayant souvent entendu dire à sa mère combien il était cruel pour une jeune femme qui adore son mari, d’en être à tout instant séparée par les devoirs d’un état qui l’enchaîne, tantôt dans une ville, et tantôt dans une autre, Ernestine avec l’approbation de son père, s’était déterminée en faveur du jeune Herman[3] de la même religion qu’elle, et qui se destinant au commerce, se formait à cet état dans les comptoirs du sieur Scholtz, le plus fameux négociant de Nordkoping, et l’un des plus riches de la Suède.

Herman était d’une famille de ce même état ; mais il avait perdu ses parens fort jeune, et son père en mourant l’avait recommandé à Scholtz son ancien associé ; il habitait donc ce logis, et en ayant mérité la confiance par sa sagesse et son assiduité, il était, quoiqu’il n’eût encore que vingt-deux ans, à la tête des fonds et des livres de cette maison, lorsque le chef mourut sans enfans. Le jeune Herman se trouva dès-lors sous la dépendance de la veuve ; femme arrogante, impérieuse, et qui, malgré toutes les recommandations de son époux, relatives à Herman, paraissait très-résolue à se défaire de ce jeune homme, s’il ne répondait pas incessamment aux vues qu’elle avait formées sur lui. Herman absolument fait pour Ernestine, aussi bel homme pour le moins qu’elle était belle femme, l’adorant autant qu’il en était chéri, pouvait sans doute inspirer de l’amour à la veuve Scholtz, femme de quarante ans, et très-fraîche encore : mais ayant le cœur engagé, rien de plus simple qu’il ne répondit point à cette prévention de sa patrone, et que quoiqu’il se doutât de l’amour qu’elle avait pour lui, il affecta prudemment de ne s’en point appercevoir.

Cependant cette passion alarmait Ernestine Sanders ; elle connaissait madame Scholtz pour une femme hardie, entreprenante, d’un caractère jaloux, emporté ; une telle rivale l’inquiétait prodigieusement. Il s’en fallait bien d’ailleurs qu’elle fût pour Herman un aussi bon parti que la Scholtz, rien de la part du colonel Sanders, quelque chose à la vérité du côté de la mère ; mais cela pouvait-il se comparer à la fortune considérable que la Scholtz pouvait faire à son jeune caissier ?

Sanders approuvait le choix de sa fille ; n’ayant d’autre enfant qu’elle, il l’adorait, et sachant qu’Herman avait du bien, de l’intelligence, de la conduite, et que de plus il possédait le cœur d’Ernestine, il était loin d’apporter obstacle à un arrangement aussi convenable ; mais la fortune ne veut pas toujours ce qui est bien. Il semble que son plaisir soit de troubler les plus sages projets de l’homme, afin qu’il puisse retirer de cette inconséquence, des leçons faites, pour lui apprendre à ne jamais compter sur rien dans un monde, dont l’instabilité et le désordre sont les loix les plus sûres.

Herman, dit un jour la veuve Scholtz au jeune amant d’Ernestine, vous voilà suffisamment formé dans le commerce pour prendre un parti ; les fonds que vos parens vous laissèrent, ont, par les soins de mon époux et les miens, profité plus qu’il ne faut pour vous mettre maintenant à votre aise ; prenez une maison, mon ami, je veux me retirer bientôt, nous ferons nos comptes au premier moment. À vos ordres, madame, dit Herman ; vous connaissez ma probité, mon désintéressement, je suis aussi tranquille sur les fonds que vous avez à moi, que vous devez l’être sur ceux que je régis chez vous. — Mais, Herman, n’avez-vous donc aucun projet d’établissement ? — Je suis jeune encore, madame. — Vous n’en êtes que plus propre à convenir une femme sensée ; je suis certaine qu’il en est dont vous feriez bien sûrement le bonheur. — Je veux avoir une fortune plus considérable avant que d’en venir là. — Une femme vous aiderait à la faire. — Quand je me marierai, je veux qu’elle soit faite, afin de n’avoir plus à m’occuper que de mon épouse et de mes enfans. — C’est-à-dire qu’il n’est aucune femme que vous ayez distinguée d’une autre ? — Il en est une dans le monde que je chéris comme ma mère, et mes services sont voués à celle-là, aussi long-temps qu’elle daignera les accepter. — Je ne vous parle point de ces sentimens, mon ami, j’en suis reconnaissante, mais ce ne sont pas ceux-là qu’il faut en mariage, Herman, je vous demande si vous n’avez pas en vue quelque personne avec laquelle vous vouliez partager votre sort ? — Non, madame. — Pourquoi donc toujours chez Sanders ? qu’allez-vous éternellement faire dans la maison de cet homme ? il est militaire, vous êtes commerçant ; voyez les gens de votre état, mon ami, et laissez ceux qui ne le sont pas. — Madame sait que je suis catholique, le colonel l’est aussi, nous nous réunissons pour prier… pour aller ensemble aux chapelles qui nous sont permises. — Je n’ai jamais blâmé votre religion ; quoique je n’en soie pas ; parfaitement convaincue de l’inutilité de toutes ces fadaises, de quelque genre qu’elles pussent être, vous savez, Herman, que je vous ai toujours laissé très-en paix sur cet article. — Eh bien ! madame, la religion… voilà pourquoi je vais quelquefois chez le colonel. — Herman, il est une autre cause à ces visites fréquente, et vous me la cachez, vous aimez Ernestine… cette petite fille qui, selon moi, n’a ni figure ni esprit, quoique toute la ville en parle comme d’une des merveilles de la Suède… oui, Herman, vous l’aimez… vous l’aimez, vous dis-je, je le sais. — Mademoiselle Ernestine Sanders pense bien à moi, je crois, madame… sa naissance… son état… Savez-vous, madame, que son ayeul, le colonel Sanders, ami de Charles XII, était un très-bon gentilhomme de Westphalie. — Je le sais. — Eh bien ! madame, ce parti-là saurait-il donc me convenir ? — Aussi vous assurai-je, Herman, qu’il ne vous convient nullement ; il vous faut une femme faite, une femme qui pense à votre fortune, et qui la soigne, une femme de mon âge et de mon état en un mot. Herman rougit, il se détourne… Comme dans ce moment on apportait le thé, la conversation fut interrompue, et Herman, après le déjeûner, va reprendre ses occupations.

Ô ! ma chère Ernestine, dit le lendemain Herman à la jeune Sanders, il n’est que trop vrai que cette cruelle femme a des vues sur moi, je n’en puis plus douter ; vous connaissez son humeur, sa jalousie, son crédit dans la ville[4] ; Ernestine, je crains tout, et comme le colonel entrait, les deux amans lui firent part de leurs appréhensions.

Sanders était un ancien militaire, un homme de fort bon sens, qui ne se souciant pas de se faire des tracasseries dans la ville, et voyant bien que la protection qu’il accordait à Herman allait attirer contre lui la Scholtz et tous les amis de cette femme, crut devoir conseiller amen jeunes gens de céder aux circonstances ; il fit entrevoir à Herman que la veuve dont il dépendait, devenait au fond un bien meilleur parti qu’Ernestine, et qu’à son âge, il devait estimer infiniment plus les richesses que la figure. Ce n’est pas, mon cher, continua le colonel, que je Vous refuse ma fille… je vous connais… je vous estime, vous avez le cœur de celle que vous adorez, je consens donc à tout, sans doute, mais je serais désolé de vous avoir préparé des regrets ; vous êtes jeunes tous deux, on ne voit que l’amour à votre âge, on s’imagine qu’il doit nous faire vivre ; on se trompe, l’amour languit sans la richesse, et le choix qu’il a dirigé seul, est bientôt suivi de remords. Mon père, dit Ernestine, en se jetant aux pieds de Sanders… respectable auteur de mes jours, ne m’enlevez pas l’espérance d’être à mon cher Herman, vous me promîtes sa main dès l’enfance… cette idée fait toute ma joie, vous ne me l’arracheriez pas sans me causer la mort ; je me suis livrée à cet attachement, il est si doux de voir ses sentimens approuvés de son père ; Herman trouvera dans l’amour qu’il a pour moi, toute la force nécessaire à résister aux séductions de la Scholtz… Ô mon père, ne nous abandonnez pas. Relève-toi, ma fille, dit le colonel, je t’aime… je t’adore… puisqu’Herman fait ton bonheur, et que vous vous convenez tous deux, rassure-toi, chère fille, tu n’auras jamais d’autre époux… et dans le fait, il ne doit rien à cette femme ; la probité… le zèle d’Herman, l’acquittent du côté de la reconnaissance, il n’est pas obligé de se sacrifier pour lui plaire… mais il faudrait tâcher de ne se brouiller avec personne… Monsieur, dit Herman, en pressant le colonel dans ses bras, vous qui me permettez de vous nommer mon père, que ne vous dois-je pas pour les promesses qui viennent d’émaner de votre cœur ?… oui, je mériterai ce que vous faites pour moi ; perpétuellement occupé de vous et de votre chère fille, les plus doux instans de ma vie s’emploieront à consoler votre vieillesse… mon père, ne vous inquiétez pas… nous ne nous ferons point d’ennemis, je n’ai contracté aucun engagement avec la Scholtz ; en lui rendant ses comptes dans le meilleur ordre, et lui redemandant les miens, que peut-elle dire ?… Ah ! mon ami, tu ne connais pas les individus que tu prétends braver, reprenait le colonel agité d’une sorte d’inquiétude dont il n’était pas le maître ; il n’y a pas une seule espèce de crime qu’une méchante femme ne se permette quand il s’agit de venger ses charmes des dédains d’un amant ; cette malheureuse fera retomber jusques sur nous, les traits envenimés de sa rage, et ce seront des cyprès qu’elle nous fera cueillir, Herman, au lieu des roses que tu espères.

Ernestine et celui qu’elle aimait, passèrent le reste du jour à tranquilliser Sanders, à détruire ses craintes, à lui promettre le bonheur, à lui en présenter sans cesse les douces images ; rien n’est persuasif comme l’éloquence des amans, ils ont une logique du cœur que n’égala jamais celle de l’esprit. Herman soupa chez ses tendres amis, et se retira de bonne heure, l’âme enivrée d’espérance et de joie.

Environ trois mois se passèrent ainsi, sans que la veuve s’expliquât davantage, et sans qu’Herman osât prendre sur lui de proposer une séparation ; le colonel faisait entendre au jeune homme que ces délais n’avaient aucun inconvénient ; Ernestine était jeune, et son père n’était pas fâché de réunir à la petite dot qu’elle devait avoir, la succession d’une certaine veuve Plorman, sa tante, qui demeurait à Stockholm, et qui déjà d’un certain âge, pouvait mourir à chaque instant.

Cependant la Scholtz impatiente, et trop adroite pour ne pas démêler l’embarras de son jeune caissier, prit la parole la première, et lui demanda s’il avait réfléchi sur ce qu’elle lui avait dit, la dernière fois qu’ils avaient causé ensemble. Oui, répondit l’amant d’Ernestine, et si c’est d’une reddition de compte et d’une séparation dont madame veut parler, je suis à ses ordres. — Il me semble, Herman, que ce n’était pas tout-à-fait cela dont il s’agissait. — Et de quoi donc, madame ? — Je vous demandais si vous ne desiriez pas de vous établir, et si vous n’aviez pas fait choix d’une femme qui pût vous aider à tenir votre maison ? — Je croyais avoir répondu que je voulais une certaine fortune avant de me marier. — Vous l’avez dit, Herman, mais je ne l’ai pas cru ; et dans ce moment-ci, toutes les impressions de votre figure annoncent le mensonge dans votre âme. — Ah ! jamais la fausseté ne la souilla, madame, et vous le savez bien. Je suis près de vous depuis mon enfance, vous avez daigné me tenir lieu de la mère que j’ai perdue, ne craignez point que ma reconnaissance ne puisse ou s’éteindre ou s’affaiblir. — Toujours de la reconnaissance, Herman, j’aurais voulu de vous un sentiment plus tendre. — Mais, madame, dépend-il de moi…… — Traître, est-ce là ce qu’avaient mérité mes soins ? ton ingratitude m’éclaire, je le vois… je n’ai travaillé que pour un monstre… je ne le cache plus, Herman, c’est à ta main que j’aspirais depuis que je suis veuve… l’ordre que j’ai mis dans tes affaires… la façon dont j’ai fait fructifier tes fonds… ma conduite envers toi… mes yeux qui m’ont trahi sans doute, tout… tout, perfide, tout te convainquait assez de ma passion, et voilà donc comme elle sera payée ? par de l’indifférence et des mépris !… Herman, tu ne connais pas la femme que tu outrages… Non tu ne sais pas de quoi elle est capable… tu l’apprendras peut-être trop tard… Sors à l’instant… oui, sors… prépare tes comptes, Herman, je vais te rendre les miens, et nous nous séparerons… oui, nous nous séparerons… tu ne seras point en peine d’un logements, la maison de Sanders est déjà sans doute préparée pour toi.

Les dispositions dans lesquelles paraissait madame Scholtz, firent aisément sentir à notre jeune amant, qu’il était essentiel de cacher sa flamme, pour ne pas attirer sur le colonel, le courroux et la vengeance de cette créature dangereuse. Herman se contenta donc de répondre avec douceur, que sa protectrice se trompait, et que le desir qu’il, avait de ne point se marier avant d’être plus riche, n’annonçait assurément nul projet sur la fille du colonel. Mon ami, dit à cela madame Scholtz, je connais votre cœur comme vous-même ; il serait impossible que votre éloignement pour moi fût aussi marqué, si vous ne brûliez pas pour une autre ; quoique je ne sois plus de la première jeunesse, croyez-vous qu’il ne me reste pas encore assez d’attraits pour trouver un époux ? Oui, Herman, oui, vous m’aimeriez sans cette créature que j’abhorre, et sur laquelle je me vengerai de vos dédains. Herman frémit.

Il s’en fallait bien que le colonel Sanders, peu à son aise, et retiré du service, eût autant de prépondérance dans Nordkoping que la veuve Scholtz ; la considération de celle-ci s’étendait fort loin, pendant que l’autre déjà oublié n’était plus vu, parmi des hommes qui, en Suède comme partout, n’estiment les gens qu’en raison de leur faveur ou de leur richesse, n’était plus regardé, dis-je, que comme un simple particulier que le crédit et l’or pouvaient facilement écraser, et madame Scholtz, comme toutes les âmes basses, avait eu bientôt fait ce calcul.

Herman prit donc sur lui, bien plus encore qu’il n’avait fait ; il se jeta aux genoux de madame Scholtz, il la conjura de s’appaiser, l’assura qu’il n’avait aucun sentiment dans le cœur qui pût nuire à ce qu’il devait à celle dont il avait reçu tant de biens, et qu’il la suppliait de ne point penser encore à cette séparation dont elle le menaçait. Dans l’état actuel où la Scholtz savait qu’était l’âme de ce jeune homme, il était difficile qu’elle pût en attendre mieux, elle espéra donc tout du temps, du pouvoir de ses charmes, et se calma.

Herman ne manqua point de faire part au colonel de cette dernière conversation, et cet homme sage redoutant toujours les tracasseries et le caractère dangereux de la Scholtz, essaya de persuader encore au jeune homme qu’il ferait mieux de céder aux intentions de sa patrone, que de persister pour Ernestine ; mais les deux amans mirent en usage de nouveau tout ce qu’ils crurent de plus capable de rappeller au colonel les promesses qu’il leur avait faites, et pour l’engager à ne s’en jamais relâcher.

Il y avait environ six mois que les choses étaient en cet état, lorsque le comte Oxtiern, ce scélérat que vous venez de voir dans les fers, où il gémit depuis plus d’un an, et où il est pour toute sa vie, fut obligé de venir de Stockholm à Nordkoping, pour répéter des fonds considérables placés chez madame Scholtz, par son père, dont il venait d’hériter. Celle-ci connaissant l’état du comte, fils d’un sénateur, et sénateur lui-même, lui avait préparé le plus bel appartement de sa maison, et se disposait à le recevoir avec tout le luxe que lui permettaient ses richesses.

Le comte arriva ; et dès le lendemain son élégante hôtesse lui donna le plus grand souper, suivi d’un bal, où devaient être les plus jolies personnes de la ville ; on, n’oublia point Ernestine ; ce n’était pas sans quelqu’inquiétude qu’Herman la vit décidée à y venir ; le comte verrait-il une aussi belle personne, sans lui rendre à l’instant l’hommage qui lui était dû ; que n’aurait point Herman à redouter d’un tel rival ; dans la supposition de ce malheur, Ernestine aurait-elle plus de force, refuserait-elle de devenir l’épouse d’un des plus grands seigneurs de Suède ? De ce fatal arrangement ne naîtrait-il pas une ligue décidée contre Herman et contre Ernestine, dont les chefs puissans seraient Oxtiern et la Scholtz ? et quels malheurs n’en devait pas redouter Herman, lui faible et malheureux, résisterait-il aux armes de tant d’ennemis conjurés contre sa frêle existence ? Il fit part de ces réflexions à sa maîtresse ; et cette fille honnête, sensible et délicate, prête à sacrifier de si frivoles plaisirs aux sentimens qui l’embrâsaient, proposa à Herman de refuser la Scholtz ; le jeune homme était assez de cet avis ; mais comme dans ce petit cercle d’honnêtes gens, rien ne se faisait sans l’aveu de Sanders, on le consulta, et il fut loin de cette opinion. Il représenta que le refus de l’agitation de la Scholtz, entraînait inévitablement une rupture avec elle ; que cette femme adroite, ne serait pas long-temps à dévoiler les raisons d’un tel procédé, et que dans la circonstance où il paraissait le plus essentiel de la ménager davantage, c’était l’irriter le plus certainement.

Ernestine ose demander alors à celui qu’elle aime, ce qu’il peut donc appréhender, et elle ne lui cache point la douleur où la plongent de pareils soupçons. Ô mon ami ! dit cette intéressante fille, en pressant les mains d’Herman, les individus les plus puissans de l’Europe, fussent-ils tous à cette assemblée, dussent-ils tous s’enflammer pour ta chère Ernestine, doutes-tu que la réunion de ces cultes pût former autre chose qu’un hommage de plus à son vainqueur ? Ah ! ne crains rien, Herman, celle que tu as séduite ne saurait brûler pour un autre ; fallut-il vivre avec toi dans l’esclavage, je préférerais ce sort à celui du trône même ; toutes les prospérités de la terre peuvent-elles exister pour moi dans d’autres bras que ceux de mon amant !… Herman, rends-toi donc justice, peux-tu soupçonner que mes yeux apperçoivent à ce bal, aucun mortel qui puisse te valoir ; laisse à mon cœur le soin de t’apprécier, mon ami, et tu seras toujours le plus aimable des êtres comme tu en es le plus aimé. Herman baisa mille fois les mains de sa maîtresse, il cessa de témoigner des craintes, mais il n’en guérit pas ; il est dans le cœur d’un homme qui aime, de certains pressentimens trompent bien peu ; Herman les éprouva, il les fit taire, et la belle Ernestine parut au cercle de madame Scholtz, comme la rose au milieu des fleurs ; elle avait pris l’ajustement des anciennes femmes de sa patrie ; elle était vêtue à la manière des Scites, ses traits nobles et fiers, singulièrement rehaussés par cette parure, sa taille fine et souple infiniment mieux marquée sous ce juste sans pli, qui dessinait ses formes, ses beaux cheveux flottans sur son carquois, cet arc qu’elle tenait à la main… tout lui donnait l’air de l’amour déguisé sous les traits de Bellonne, et l’on eut dit que chacune des flèches qu’elle portait avec tant de grâce, devait en atteignant les cœurs, les enchaîner bientôt sous son céleste empire.

Si le malheureux Herman ne vit pas Ernestine entrer sans frémir, Oxtiern de son côté ne l’apperçut pas sans une émotion si vive, qu’il fut quelques minutes sans pouvoir s’exprimer. Vous avez vu Oxtiern, il est assez bel homme ; mais quelle âme enveloppa la nature sous cette trompeuse écorce. Le comte fort riche, et maître depuis peu de toute sa fortune, ne soupçonnait aucunes bornes à ses fougueux désirs, tout ce que la raison ou les circonstances pouvaient leur apporter d’obstacles, ne devenait qu’un aliment de plus à leur impétuosité ; sans principes comme sans vertu, encore imbu des préjugés d’un corps dont l’orgueil venait de lutter contre le souverain même, Oxtiern s’imaginait que rien au monde ne pouvait imposer de frein à ses passions ; or, de toutes celles qui l’enflammaient, l’amour était la plus impétueuse ; mais ce sentiment, presqu’une vertu dans une belle âme, doit devenir la source de bien des crimes dans un cœur corrompu comme celui d’Oxtiern.

Cet homme dangereux n’eut pas plutôt remarqué notre belle héroïne, qu’il conçut aussi-tôt le perfide dessein de la séduire ; il dansa beaucoup avec elle, se plaça près d’elle au souper, et témoigna si clairement enfin les sentimens qu’elle lui inspirait, que toute la ville ne douta plus qu’elle ne devint bientôt ou la femme, ou la maîtresse d’Oxtiern.

On ne rend point la cruelle situation d’Herman pendant que toutes ces choses se passaient ; il avait été au bal ; mais voyant sa maîtresse dans une faveur si éclatante, lui avait-il été possible d’oser même un instant l’aborder ? Ernestine n’avait assurément point changé pour Herman, mais une jeune fille peut-elle se défendre de l’orgueil ? Peut-elle ne pas s’énivrer un instant des hommages publics, et cette vanité que l’on caresse en elle, en lui prouvant qu’elle peut être adorée de tous, n’affaiblit-elle pas le desir qu’elle avait avant, de n’être sensible qu’aux flatteries d’un seul ? Ernestine vit bien qu’Herman était inquiet ; mais Oxtiern était à son char, toute l’assemblée la louait, et l’orgueilleuse Ernestine ne sentit pas comme elle l’aurait dû, le chagrin dont elle accablait son malheureux amant. Le colonel fut également comblé d’honneurs, le comte lui parla beaucoup, il lui offrit ses services à Stockholm, l’assura que trop jeune encore pour se retirer, il devait se faire attacher à quelques corps, et achever de courir les grades, auxquels ses talens et sa naissance devaient le faire aspirer, qu’il le servirait en cela comme dans tout ce qu’il pourrait desirer à la cour, qu’il le suppliait de ne le pas ménager, et qu’il regarderait comme autant de jouissances personnelles à lui, chacun des services qu’un si brave homme le mettrait à même de lui rendre. Le bal cessa avec la nuit, et l’on se retira.

Dès le lendemain le sénateur Oxtiern pria madame Scholtz de lui donner les plus grands détails sur cette jeune Scithe dont l’image avait, été toujours présente à ses sens depuis qu’il l’avait apperçue. C’est la plus belle fille que nous ayons à Nordkoping, dit la négociante enchantée de voir que le comte en traversant les amours d’Herman, lui rendrait peut-être le cœur de ce jeune homme ; en vérité, sénateur, il n’est point dans tout le pays une fille qu’on puisse comparer à celle-là. Dans le pays, s’écria le comte, il n’y en a pas dans l’Europe, madame… et que fait-elle ? que pense-t-elle… qui l’aime… qui l’adore cette créature céleste ? quel est celui qui prétendra me disputer la possession de ses charmes ? — Je ne vous parlerai point de sa naissance, vous savez qu’elle est fille du colonel Sanders, homme de mérite et de qualité ; mais ce que vous ignorez peut-être, et ce qui vous affligera, d’après les sentimens que vous montrez pour elle, c’est qu’elle est à la veille d’épouser un jeune caissier de ma maison dont elle est éperduement amoureuse, et qui la chérit pour le moins autant. — Une telle alliance pour Ernestine, s’écria le sénateur !… cet ange devenir la femme d’un caissier !… cela ne sera point, madame, cela ne sera point, vous devez vous réunir à moi pour qu’une alliance aussi ridicule n’ait pas lieu. Ernestine est faite pour briller à la cour, et je veux l’y faire paraître sous mon nom. — Mais point de bien, comte… la fille d’un pauvre gentilhomme… d’un officier de fortune. Elle est la fille des Dieux, dit Oxtiern hors de lui, elle doit habiter leur séjour. — Ah ! sénateur, vous mettrez au désespoir le jeune homme dont je vous ai parlé, peu de tendresses sont aussi vives… peu de sentimens aussi sincères. — La chose du monde qui m’embarrasse le moins, madame, est un rival de cette espèce, des êtres de cette infériorité, doivent-ils alarmer mon amour ; vous m’aiderez à trouver les moyens d’éloigner cet homme, et s’il n’y consent pas de bonne grâce… laissez-moi faire, madame Scholtz, laissez-moi faire, nous nous débarrasserons de ce faquin. La Scholtz applaudit, et bien loin de refroidir le comte, elle ne lui présente que de ces sortes d’obstacles, faciles à vaincre, et dont le triomphe irrite l’amour.

Mais pendant que tout ceci se passe chez la veuve, Herman est aux pieds de sa maîtresse. — Eh ! ne l’avais-je pas dit, Ernestine, s’écrie-t-il en larmes, ne l’avais-je pas prévu, que ce maudit bal nous coûterait bien des peines ; chacun des éloges que vous prodiguait le comte, était autant de coups de poignards, dont il déchirait mon cœur, doutez-vous maintenant qu’il ne vous adore, et ne s’est-il pas assez déclaré ? — Que m’importe, homme injuste, reprit la jeune Sanders en appaisant de son mieux l’objet de son unique amour, que m’importe l’encens qu’il plaît à cet homme de m’offrir, dès que mon cœur n’appartient qu’à toi ; as-tu donc cru que j’étais flattée de son hommage ? — Oui, Ernestine, je l’ai cru, et je ne me suis pas trompé, vos yeux brillaient de l’orgueil de lui plaire, vous n’étiez occupée que de lui. — Ces reproches me fâchent, Herman, ils m’affligent dans vous, je vous croyais assez de délicatesse, pour ne devoir pas même être effrayé ; eh bien, confiez vos craintes à mon père, et que notre hymen se célèbre dès demain, j’y consens.

Herman saisit promptement ce projet ; il entre chez Sanders avec Ernestine, et se jetant dans les bras du colonel, il le conjure, par tout ce qu’il a de plus cher, de vouloir bien ne plus mettre d’obstacles à son bonheur.

Moins balancé par d’autres sentimens, l’orgueil avait fait sur le cœur de Sanders, bien plus de progrès encore que dans celui d’Ernestine ; le colonel rempli d’honneur et de franchise était bien loin de vouloir manquer aux engagemens qu’il avait pris avec Herman ; mais la protection d’Oxtiern l’éblouissait. Il s’était fort bien apperçu du triomphe de sa fille sur l’âme du sénateur ; ses amis lui avaient fait entendre que si cette passion avait les suites légitimes qu’il en devait espérer, sa fortune en deviendrait le prix infaillible. Tout cela l’avait tracassé pendant la nuit, il avait bâti des projets, il s’était livré à l’ambition ; le moment, en un mot, était mal choisi, Herman n’en pouvait prendre un plus mauvais ; Sanders se garda pourtant bien de refuser ce jeune homme, de tels procédés étaient loin de son cœur ; ne pouvait-il pas d’ailleurs avoir bâti sur le sable ? Qui lui garantissait la réalité des chimères dont il venait de se nourrir ? il se rejeta donc sur ce qu’il avait coutume d’alléguer… la jeunesse de sa fille, la succession attendue de la tante Plorman, la crainte d’attirer contre Ernestine et lui, toute la vengeance de la Scholtz, qui maintenant étayée par le sénateur Oxtiern, n’en deviendrait que plus à redouter. Le moment où le comte était dans la ville était-il d’ailleurs celui qu’il fallait choisir ? Il semblait inutile de se donner en spectacle, et si vraiment la Scholtz devait s’irriter de ce parti, l’instant où elle se trouvait soutenue des faveurs du comte serait assurément celui où elle pourrait être la plus dangereuse. Ernestine fut plus pressante que jamais, son cœur lui faisait quelques reproches de la conduite de la veille, elle était bien aise de prouver à son ami, que le réfroidissement n’entrait pour rien dans ses torts ; le colonel en suspens, peu accoutumé à résister aux instances de sa fille ne lui demanda que d’attendre le départ du sénateur, et promit qu’après, il serait le premier à lever toutes les difficultés et à voir même la Scholtz si cela devenait nécessaire, pour la calmer, ou pour l’engager à l’épurement des comptes, sans la reddition desquels le jeune Herman, ne pouvait pas décemment se séparer de sa patrone.

Herman se retira peu content, rassuré néanmoins sur les sentimens de sa maîtresse, mais dévoré d’une sombre inquiétude que rien ne pouvait adoucir ; à peine était-il sorti, que le sénateur parut chez Sanders ; il était conduit par la Scholtz, et venait, disait-il, rendre ses devoirs au respectable militaire, qu’il se félicitait d’avoir connu dans son voyage, et lui demander la permission de saluer l’aimable Ernestine. Le colonel et sa fille reçurent ces politesses comme ils le devaient ; la Scholtz déguisant sa rage et sa jalousie, parce qu’elle voyait naître en foule tous les moyens de servir ces cruels sentimens de son cœur, combla le colonel d’éloges, caressa beaucoup Ernestine, et la conversation fut aussi agréable qu’elle pouvait l’être dans les circonstances.

Plusieurs jours se passèrent ainsi, pendant lesquels Sanders et sa fille, la Scholtz et le comte, se firent de mutuelles visites, mangèrent réciproquement les uns chez les autres, et tout cela sans que le malheureux Herman fut jamais d’aucune de ces parties de plaisir.

Oxtiern, pendant cet intervalle, n’avait perdu aucune occasion de parler de son amour, et il devenait impossible à mademoiselle Sanders de douter que le comte ne brûlât pour elle de la plus ardente passion ; mais le cœur d’Ernestine l’avait garanti, et son extrême amour pour Herman ne lui permettait plus de se laisser prendre une seconde fois aux pièges de l’orgueil ; elle rejetait tout, se refusait à tout, ne paraissait que contrainte et rêveuse, aux fêtes où elle était entraînée, et ne revenait jamais des unes, sans supplier son père de ne plus l’entraîner aux autres ; il n’était plus temps, Sanders qui, comme je vous l’ai dit, n’avait pas les mêmes raisons que sa fille pour résister aux appâts d’Oxtiern, s’y laissa prendre avec facilité ; il y avait eu des conversations secrètes entre la Scholtz, le sénateur et le colonel, on avait achevé d’éblouir le malheureux Sanders, et l’adroit Oxtiern, sans jamais trop se compromettre, sans-jamais assurer sa main, faisant seulement appercevoir qu’il faudrait bien qu’un jour les choses en vinssent là, avait tellement séduit Sanders, que non-seulement il avait obtenu de lui de se refuser aux poursuites d’Herman, mais qu’il l’avait même décidé à quitter le séjour solitaire de Nordkoping, pour venir jouir à Stockholm du crédit qu’il lui assurait, et des faveurs dont il avait dessein de le combler.

Ernestine qui voyait bien moins son amant depuis tout cela, ne cessait pourtant de lui écrire ; mais comme elle le connaissait capable d’un éclat, et qu’elle voulait éviter des scènes, elle lui déguisait de son mieux tout ce qui se passait ; elle n’était pas encore bien certaine d’ailleurs de la faiblesse de son père ; avant que de rien assurer à Herman, elle se résolut d’éclaircir.

Elle entre un matin chez le colonel ; mon père, dit-elle avec respect, il paraît que le sénateur est pour long-temps à Nordkoping ; cependant vous avez promis à Herman que vous nous réuniriez bientôt ; me permettez-vous de vous demander si vos résolutions sont les mêmes ?… et de quelle nécessité il est d’attendre le départ du comte pour célébrer un hymen que nous desirons tous avec autant d’ardeur ? Ernestine, dit le colonel, asseyez-vous, et écoutez-moi.

Tant que j’ai cru, ma fille, dit le colonel, que votre bonheur et votre fortune pouvaient se rencontrer avec le jeune Herman, loin de m’y opposer sans doute, vous avez vu avec quel empressement je me suis prêté à vos desirs ; mais dès qu’un sort plus heureux vous attend, Ernestine, pourquoi voulez-vous que je vous sacrifie ? — Un sort plus heureux, dites-vous ? si c’est mon bonheur que vous cherchez, mon père, ne le supposez jamais ailleurs qu’avec mon cher Herman, il ne peut être certain qu’avec lui : n’importe, je crois démêler vos projets… j’en frémis… ah ! daignez ne pas m’en rendre la victime. — Mais, ma fille, mon avancement tient à ces projets. — Oh ! mon père, si le comte ne se charge de votre fortune qu’en obtenant ma main… soit, vous jouirez, j’en conviens, des honneurs que l’on vous promet, mais celui qui vous les vend, ne jouira pas de ce qu’il en espère, je mourrai avant que d’être à lui. — Ernestine, je vous supposais l’âme plus tendre… je croyais que vous saviez mieux aimer votre père. — Ah ! cher auteur de mes jours, je croyais que votre fille vous était plus précieuse, que… Malheureux voyage !… infâme séducteur !… nous étions tous heureux avant que cet homme ne parût ici… un seul obstacle se présentait, nous l’aurions vaincu ; je ne redoutais rien, tant que mon père était pour moi ; il m’abandonne, il ne me reste plus qu’à mourir… et la malheureuse Ernestine plongée dans sa douleur, poussait des gémissemens qui eussent attendri les âmes les plus dures. Écoute, ma fille, écoute, avant que de t’affliger, dit le colonel, en essuyant par ses caresses les larmes qui couvraient Ernestine, le comte veut faire mon bonheur, et quoiqu’il ne m’ait pas dit positivement qu’il en exigeait ta main pour prix, il est pourtant facile de comprendre que tel est son unique objet. Il est sûr, à ce qu’il prétend, de me rattacher au service, il exige que nous allions habiter Stockholm, il nous y promet le sort le plus flatteur, et dès mon arrivée dans cette ville, lui-même veut, dit-il, venir au-devant de moi avec un brevet de mille ducats[5] de pension dû à mes services… à ceux de mon père, et que la cour, ajoute-t-il, m’aurait accordé depuis long-temps, si nous eussions eu le moindre ami dans la capitale qui eût parlé pour nous. Ernestine… veux-tu perdre toutes ces faveurs ? prétends-tu donc manquer ta fortune et la mienne ? Non, mon père, répondit fermement la fille de Sanders, non ; mais j’exige de vous une grâce, c’est de mettre, avant tout, le comte à une épreuve à laquelle je suis sûre qu’il ne résistera pas ; s’il veut vous faire tout le bien qu’il dit, et qu’il soit honnête, il doit vous continuer son amitié sans le plus léger intérêt ; s’il y met des conditions, il y a tout à craindre dans sa conduite ; de ce moment, elle est personnelle, de ce moment, elle peut être fausse ; ce n’est plus votre ami qu’il est, c’est mon séducteur. — Il t’épouse. Il n’en fera rien ; d’ailleurs, écoutez-moi, mon père, si les sentimens qu’a pour vous le comte, sont réels, ils doivent être indépendans de ceux qu’il a pu concevoir pour moi ; il ne doit point vouloir vous faire plaisir, dans la certitude de me faire de la peine ; il doit, s’il est vertueux et sensible, vous faire tout le bien qu’il vous promet, sans exiger que j’en soie le prix ; pour sonder sa façon de penser, dites-lui que vous acceptez toutes ces promesses, mais que vous lui demandez pour premier effet de sa générosité envers moi, de faire lui-même ici, avant que de quitter la ville, le mariage de votre fille avec le seul homme qu’elle puisse aimer au monde. Si le comte est loyal, s’il est franc, s’il est désintéressé, il acceptera ; s’il n’a dessein que de m’immoler en vous servant, il se dévoilera ; il faut qu’il réponde à votre proposition, et cette proposition de votre part ne doit point l’étonner, puisqu’il ne vous a point encore, dites-vous, ouvertement demandé ma main ; si sa réponse est de la demander pour prix de ses bienfaits, il a plus d’envie de s’obliger lui-même, qu’il n’en a de vous servir, puisqu’il saura que je suis engagée, et que, malgré mon cœur, il voudra me contraindre ; dès-lors, son âme est mal-honnête, et vous devez vous défier de toutes ses offres, quelque soit le vernis dont il les colore. Un homme d’honneur ne peut vouloir de la main d’une femme dont il sait qu’il n’aura point l’amour, ce ne doit pas être aux dépends de la fille qu’il doit obliger le père. L’épreuve est sûre, je vous conjure de la tenter ; si elle réussit… je veux dire, si nous devenons certains que le comte n’ait que des vues légitimes, il faudra se prêter à tout, et alors, il aura fait votre avancement sans nuire à ma félicité, nous serons tous heureux… nous le serons tous, mon père, sans que vous ayez de remords. Ernestine, dit le colonel, il est très-possible que le comte soit un honnête homme, quoiqu’il ne veuille m’obliger qu’aux conditions de t’avoir pour femme. — Oui, s’il ne me savait pas engagée ; mais lui disant que je le suis, s’il persiste à ne vouloir vous servir qu’en me contraignant, il n’y a plus que de l’égoïsme dans ses procédés, la délicatesse en est totalement exclue ; dès-lors ses promesses doivent nous devenir suspectes… et Ernestine se jetant dans les bras du colonel, ô, mon père, s’écria-t-elle en larmes, ne me refusez pas l’épreuve que j’exige, ne me la refusez pas, mon père, je vous en conjure, ne sacrifiez pas aussi cruellement une fille qui vous adore, et qui ne veut vivre que pour vous ; ce malheureux Herman en mourrait de douleur, il mourrait en nous haïssant, je le suivrais de près au tombeau, et vous auriez perdu les deux plus chers amis de votre cœur. Le colonel aimait sa fille, il était généreux et noble ; on ne pouvait lui reprocher que cette sorte de bonne-foi, qui quoiqu’elle rende l’honnête homme si facilement la dupe des fripons, n’en dévoile pas moins toute la candeur et toute la franchise d’une belle âme ; il promit à sa fille de faire tout ce qu’elle exigeait, et dès le lendemain, il parla au sénateur.

Oxtiern, plus faux que mademoiselle Sanders n’était fine, et dont les mesures étaient déjà prises avec la Scholtz à tout événement sans doute, répondit au colonel de la manière la plus satisfaisante. Avez-vous donc cru, mon cher, lui dit-il, que je voulusse vous obliger par intérêt ? Connaissez mieux mon cœur ; le desir de vous être utile le remplit, abstraction faite de toute considération ; assurément j’aime votre fille, vous le cacher ne servirait à rien ; mais dès qu’elle ne me croit pas fait pour la rendre heureuse, je suis bien loin de la contraindre ; je ne me chargerai point de serrer ici les nœuds de son hymen, comme vous paraissez le vouloir, ce procédé coûterait trop à mon cœur ; en me sacrifiant au moins, puis-je bien désirer n’être pas immolé par ma propre main ; mais le mariage se fera, j’y donnerai mes soins, j’en chargerai la Scholtz, et puisque votre fille aime mieux devenir la femme d’un caissier que celle d’un des premiers sénateurs de Suède, elle est la maîtresse ; ne craignez point que ce choix nuise en rien au bien que je veux vous faire ; je pars incessamment ; à peine aurai-je arrangé quelques affaires, qu’une voiture à moi viendra chercher votre fille et vous. Vous arriverez à Stockholm avec Ernestine ; Herman pourra vous suivre, et l’épouser là, ou attendre, si cela lui convient mieux, qu’ayant le poste où je veux vous placer, son mariage en devienne meilleur.

Homme respectable, dit Sanders, en pressant les mains du comte, que d’obligations ! Les services que vous daignez nous rendre deviendront d’autant plus précieux, qu’ils seront désintéressés, et vous coûteront un sacrifice… ah ! sénateur, c’est le dernier degré de la générosité humaine ; une si belle action devrait vous valoir des temples, dans un siècle où toutes les vertus sont si rares. Mon ami, dit le comte, en répondant aux caresses du colonel, l’honnête homme jouit le premier des bienfaits qu’il répand ; n’est-ce pas ce qu’il faut à sa félicité ?

Le colonel n’eut rien de plus pressé que de rendre à sa fille l’importante conversation qu’il venait d’avoir avec Oxtiern. Ernestine en fut touchée jusqu’aux larmes, et crut tout sans difficultés ; les belles âmes sont confiantes, elles se persuadent facilement ce qu’elles sont capables de faire ; Herman ne fut pas tout-à-fait aussi crédule ; quelques propos imprudens échappés à la Scholtz, dans la joie où elle était sans doute de voir aussi-bien servir sa vengeance, lui firent naître des soupçons qu’il communiqua à sa maîtresse ; cette tendre fille le rassura ; elle lui fit sentir qu’un homme de la naissance et de l’état d’Oxtiern devait être incapable de tromper… L’innocente créature, elle ne savait pas que des vices, étayés de la naissance et de la richesse, enhardis dès-lors par l’impunité, n’en deviennent que plus dangereux. Herman dit qu’il voulait s’éclaircir avec le comte lui-même ; Ernestine lui interdit les voies de fait ; le jeune homme se défendit de les vouloir prendre ; mais n’écoutant au fond que sa fierté, son amour et son courage, il charge deux pistolets ; dès le lendemain matin, il s’introduit dans la chambre du comte, et le prenant au chevet du lit, monsieur, lui dit-il audacieusement, je vous crois un homme d’honneur ; votre nom, votre place, votre richesse, tout doit m’en convaincre ; j’exige donc votre parole, monsieur, votre parole par écrit, que vous renoncez absolument aux prétentions que vous avez témoigné pour Ernestine, ou j’attends, sans cela, de vous voir accepter l’une de ces deux armes, afin de nous brûler la cervelle ensemble.

Le sénateur, un peu étourdi du compliment, commença d’abord par demander à Herman s’il réfléchissait bien à la démarche qu’il faisait, et s’il croyait qu’un homme de son rang dût quelque réparation à un subalterne comme lui ?

Point d’invectives, monsieur, répondit Herman, je ne viens pas ici pour en recevoir, mais pour vous demander raison, au contraire, de l’outrage que vous me faites en voulant séduire ma maîtresse ; un subalterne, dites-vous ? Sénateur, tout homme à droit d’exiger d’un autre, la réparation ou du bien qu’on lui enlève, ou de l’offense qu’on lui fait ; le préjugé qui sépare les rangs est une chimère ; la nature a créé tous les hommes égaux, il n’en est pas un seul qui ne soit sorti de son sein pauvre et nud, pas un qu’elle conserve ou qu’elle anéantisse différemment d’un autre ; je ne connais entr’eux d’autre distinction que celle qu’y place la vertu ; le seul homme qui soit fait pour être méprisé, est celui qui n’use des droits que lui accordent de fausses conventions, que pour se livrer plus impunément au vice. Levez-vous, comte ; fussiez-vous un prince, j’exigerais de vous la satisfaction qui m’est due ; faites-la moi, vous dis-je, ou je vous brûle la cervelle, si vous ne vous hâtez de vous défendre. Un instant, dit Oxtiern, en s’habillant ; asseyez-vous, jeune homme, je veux que nous déjeûnions ensemble avant que de nous battre… Me refuserez-vous cette faveur ? À vos ordres, comte, répondit Herman, mais j’espère qu’après, vous vous rendrez de même à mon invitation… On sonne, le déjeûner se sert, et le sénateur ayant ordonné qu’on le laisse seul avec Herman, lui demande, après la première tasse de café, si ce qu’il entreprend est de concert avec Ernestine ? — Assurément non, sénateur, elle ignore que je suis chez vous, elle a mieux fait, elle a dit que vous vouliez me servir. — Si cela est, quel peut donc être le motif de votre imprudence ? — La crainte d’être trompé, la certitude que quand on aime Ernestine, il est impossible de renoncer à elle, le desir de m’éclaircir enfin. — Vous le serez bientôt, Herman, et quoique je ne vous ne dusse que des reproches pour l’indécence de votre action… que cette démarche inconsidérée dût peut-être, faire varier mes desseins en faveur de la fille du colonel, je tiendrai pourtant ma parole… oui, Herman, vous épouserez Ernestine, je l’ai promis, cela sera ; je ne vous la cède point, jeune homme, je ne suis fait pour vous rien céder, c’est Ernestine seule qui obtient tout de moi, et c’est à son bonheur que j’immole le mien. — Ô ! généreux mortel. — Vous ne me devez rien, vous dis-je, je n’ai travaillé que pour Ernestine, et ce n’est que d’elle, que j’attends de la reconnaissance. — Permettez que je la partage, sénateur, permettez qu’en même temps, je vous fasse mille excuses de ma vivacité… Mais, monsieur, puis-je compter sur votre parole, et si vous avez dessein de la tenir, vous refuserez-vous de me la donner par écrit ? — Moi, j’écrirai tout ce que vous voudrez, mais cela est inutile, et ces soupçons injustes ajoutent à la sottise que vous venez de vous permettre. — C’est pour tranquilliser Ernestine. — Elle est moins défiante que vous, elle me croit ; n’importe, je veux bien écrire, mais en lui adressant le billet ; tout autre manière serait déplacée, je ne puis à-la-fois vous servir et m’humilier devant vous… et le sénateur prenant une écritoire, traça les lignes suivantes :

Le comte Oxtiern promet à Ernestine Sanders de la laisser libre de son choix, et de prendre les meilleures mesures pour la faire incessamment jouir des plaisirs de l’hymen, quelque chose qu’il en puisse coûter à celui qui l’adore, et dont le sacrifice sera bientôt aussi certain qu’affreux.

Le malheureux Herman, bien loin d’entendre le cruel sens de ce billet, s’en saisit, le baise avec ardeur, renouvelle ses excuses au comte, et vole chez Ernestine lui apporter les tristes trophées de sa victoire.

Mademoiselle Sanders blâma beaucoup Herman, elle l’accusa de n’avoir aucune confiance en elle, elle ajouta qu’après ce qu’elle avait dit, jamais Herman n’aurait dû se porter à de telles extrémités avec un homme si fort au-dessus de lui, qu’il était à craindre que le comte n’ayant cédé que par prudence, la réflexion ne le portât ensuite à quelques extrémités peut-être bien fatales pour tous deux, et dans tous les cas sans doute, extrêmement nuisibles à son père. Herman rassura sa maîtresse, il lui fit valoir le billet… qu’elle avait également lu sans en comprendre l’ambiguïté ; on fit part de tout au colonel, qui désapprouva bien plus vivement encore que sa fille, la conduite du jeune Herman ; tout se concilia néanmoins, et nos trois amis plein de confiance dans les promesses du comte, se séparèrent assez tranquilles.

Cependant Oxtiern, après sa scène avec Herman, était aussi-tôt descendu dans l’appartement de la Scholtz, il lui avait raconté tout ce qui venait de se passer, et cette méchante femme, encore mieux convaincue par cette démarche du jeune homme, qu’il devenait impossible de prétendre à le séduire, s’engagea plus solidement que jamais dans la cause du comte, et lui promit de la servir jusqu’à l’entière destruction du malheureux Herman. Je possède des moyens sûrs de le perdre, dit cette cruelle mégère… j’ai des doubles clefs de sa caisse, il ne le sait pas ; avant peu je dois escompter pour cent mille ducats de lettres de change à des négocians d’Hambourg, il ne tient qu’à moi de le trouver en faute ; de ce moment, il faut qu’il m’épouse, ou il faut qu’il soit perdu. Dans ce dernier cas, dit le comte, vous me le ferez savoir sur-le-champ ; soyez certaine qu’alors j’agirai comme il convient à notre mutuelle vengeance. Ensuite les deux scélérats, trop cruellement unis d’intérêt, renouvellèrent leurs dernières mesures pour donner à leurs perfides desseins, toute la consistance et toute la noirceur qu’ils y desiraient.

Ces arrangemens décidés, Oxtiern vint prendre congé du colonel et de sa fille ; il se contraint devant celle-ci, lui témoigne au lieu de son amour et de ses véritables intentions, toute la noblesse et le désintéressement que sa fausseté lui permet d’employer, il renouvelle à Sanders ses plus grandes offres de service, et convient avec lui du voyage à Stockholm ; le comte voulait leur faire préparer un appartement chez lui ; mais le colonel répondit qu’il préférait d’aller chez sa cousine Plorman, dont il attendait la succession pour sa fille, et que cette marque d’amitié deviendrait un motif à Ernestine pour ménager cette femme qui pouvait beaucoup augmenter sa fortune ; Oxtiern approuva le projet, on convint d’une voiture, parce qu’Ernestine craignait la mer, et l’on se sépara avec les plus vives protestations de tendresse et d’estime réciproques, sans qu’il eût été question de la démarche du jeune homme.

La Scholtz continuait de feindre avec Herman ; sentant le besoin de se déguiser jusqu’à l’éclat qu’elle préparait, elle une lui parlait point de ses sentimens, et ne lui témoignait plus comme autrefois, que de la confiance et de l’intérêt ; elle lui déguisa qu’elle était instruite de son étourderie chez le sénateur, et notre bon jeune homme crut, que comme la scène ne s’était pas trouvée très à l’avantage du comte, il l’avait cachée soigneusement.

Cependant Herman n’ignorait pas que le colonel et sa fille allaient bientôt quitter Nordkoping ; mais plein de confiance dans le cœur de sa maîtresse, dans l’amitié du colonel et dans les promesses du comte, il ne doutait pas que le premier usage qu’Ernestine ferait à Stockholm de son crédit près du sénateur, serait de l’engager à les réunir incessamment ; la jeune Sanders ne cessait d’en assurer Herman, et c’était bien sincèrement son projet.

Quelques semaines se passèrent ainsi, lorsqu’on vit arriver dans Nordkoping, une voiture superbe accompagnée de plusieurs valets, auxquels il était recommandé de remettre une lettre au colonel Sanders de la part du comte Oxtiern, et de recevoir en même-temps les ordres de cet officier, relativement au voyage qu’il devait faire à Stockholm avec sa fille, et pour lequel était destinée la voiture que l’on envoyait chez lui. La lettre annonçait à Sanders que par les soins du sénateur, la veuve Plorman destinait à ses deux alliés le plus bel appartement de sa maison, qu’ils étaient l’un et l’autre les maîtres d’y arriver quand ils voudraient, et que le comte attendait cet instant, pour apprendre à son ami Sanders le succès des premières démarches qu’il avait entreprises pour lui ; à l’égard d’Herman, ajoutait le sénateur, il croyait qu’il fallait lui laisser finir en paix les affaires qu’il avait avec madame Scholtz, à la conclusion desquelles sa fortune étant mieux en ordre, il pourrait avec plus de bienséance encore, venir présenter sa main à la belle Ernestine ; que tout gagnerait à cet arrangement, pendant l’intervalle duquel le colonel lui-même honoré d’une pension, et peut-être d’un grade, n’en deviendroit que plus en état de faire du bien à sa fille.

Cette clause ne plut pas à Ernestine ; elle éveilla quelques soupçons, dont elle fit aussitôt part à son père. Le colonel prétendit n’avoir jamais conçu les projets d’Oxtiern, d’une manière différente de celle-là ; et quel moyen y aurait-il d’ailleurs, continuait Sanders, de faire quitter Nordkoping à Herman, avant qu’il n’eût fini ses comptes avec la Scholtz ; Ernestine versa quelques larmes, et toujours entre son amour et la crainte de nuire à son père, elle n’osa insister sur l’extrême envie qu’elle aurait eue de ne profiter des offres du sénateur qu’à l’instant où son cher Herman se serait trouvé libre.

Il fallut donc se déterminer au départ ; Herman fut invité par le colonel de venir souper chez lui pour se faire leurs mutuels adieux ; il s’y rendit, et cette cruelle scène ne se passa pas sans le plus vif attendrissement.

Ô ma chère Ernestine, dit Herman en pleurs, je vous quitte, et j’ignore quand je vous reverrai, vous me laissez avec une ennemie cruelle… avec une femme qui se déguise, mais dont les sentimens sont loin d’être anéantis ; qui me secourrera dans les tracasseries sans nombre dont va m’accabler cette mégère ?… Quand elle me verra surtout plus décidé que jamais à vous suivre, et que je lui aurai déclaré que je ne veux jamais être qu’à vous… et vous-même où allez-vous, grand dieu ?… sous la dépendance d’un homme qui vous a aimé… qui vous aime encore… et dont le sacrifice est bien douteux ; il vous séduira, Ernestine, il vous éblouira, et le mal-heureux Herman abandonné, n’aura plus pour lui que ses larmes. Herman aura toujours le cœur d’Ernestine, dit mademoiselle Sanders, en pressant les mains de son amant, peut-il jamais craindre d’être trompé avec la possession de ce bien ? Ah ! puissai-je ne le jamais perdre, dit Herman en se jetant aux pieds de sa belle maîtresse, puisse Ernestine, ne cédant jamais aux sollicitations qui vont lui être faites, se bien persuader, qu’il ne peut exister un seul homme sur la terre dont elle soit aimée comme de moi ; et l’infortuné jeune homme osa supplier Ernestine de lui laisser cueillir sur ses lèvres de rose, un baiser précieux qui pût lui tenir lieu du gage qu’il exigeait de ses promesses ; la sage et prudente Sanders qui n’en avait jamais tant accordé, crut devoir quelque chose aux circonstances, elle se pencha dans les bras d’Herman, qui brûlé d’amour et de desir, succombant à l’excès de cette joie sombre, qui ne s’exprime que par des pleurs, scella les sermens de sa flamme sur la plus belle bouche du monde, et reçut de cette bouche encore imprimée sur la sienne, les expressions les plus délicieuses et de l’amour et de la constance.

Cependant elle sonne cette heure funeste du départ ; pour deux cœurs véritablement épris, quelle différence y a-t-il entre celle-là et celle de la mort ? On dirait en quittant ce qu’on aime, que le cœur se brise, ou s’arrache ; nos organes, pour ainsi dire enchaînés à l’objet chéri dont on s’éloigne, paraissent se flétrir en ce moment cruel ; on veut fuir, on revient, on se quitte, on s’embrasse, on ne peut se résoudre ; le faut-il à la fin, toutes nos facultés s’anéantissent, c’est le principe même de notre vie qu’il semble que nous abandonnions, ce qui reste est inanimé, ce n’est plus que dans l’objet qui se sépare, qu’est encore pour nous l’existence.

On avait décidé de monter en voiture en sortant de table, Ernestine jette les yeux sur son amant, elle le voit en pleurs, son âme se déchire… Ô mon père, s’écrie-t-elle en fondant en larmes, voyez le sacrifice que je vous fais, et se rejetant dans les bras d’Herman, toi que je n’ai jamais cessé d’aimer, lui dit-elle, toi que j’adorerai jusqu’au tombeau, reçois en présence de mon père le serment que je te fais de n’être jamais qu’à toi ; écris-moi, pense à moi, n’écoute que ce que je te dirai, et regarde moi comme la plus vile des créatures, si jamais d’autre homme que toi reçoit ou ma main ou mon cœur. Herman est dans un état violent, courbé à terre, il baise les pieds de celle qu’il idolâtre, on eut dit qu’au moyen de ces baisers ardens, son âme qui les imprimait, son âme entière dans ces baisers de feu eût voulu captiver Ernestine… Je ne te verrai plus… je ne te verrai plus, lui disait-il au milieu des sanglots… Mon père, laissez-moi vous suivre, ne souffrez pas qu’on m’enlève Ernestine, ou si le sort m’y condamne, hélas ! plongez moi votre épée dans le sein ; le colonel calmait son ami, il lui engageait sa parole de ne jamais contraindre les intentions de sa fille ; mais rien ne rassure l’amour alarmé, peu d’amans se quittaient dans d’aussi cruelles circonstances, Herman le sentait trop bien, et son cœur se fendait malgré lui ; il faut enfin partir ; Ernestine accablée de sa douleur… les yeux inondés de larmes, s’élance à côté de son père, dans une voiture qui l’entraîne aux regards de celui qu’elle aime. Herman croit voir en cet instant la mort envelopper de ses voiles obscures le char funèbre qui lui ravit son plus doux bien, ses cris lugubres appellent Ernestine, son âme égarée la suit, mais il ne voit plus rien… tout échappe… tout se perd dans les ombres épaisses de la nuit, et l’infortuné revient chez la Scholtz dans un état assez violent pour irriter davantage encore la jalousie de ce dangereux monstre.

Le colonel arriva à Stockholm le lendemain d’assez bonne heure, et trouva à la porte de madame Plorman, où il descendit, le sénateur Oxtiern, qui présenta la main à Ernestine ; quoiqu’il y eût quelques années que le colonel n’eût vu sa parente, il n’en fut pas moins bien reçu ; mais il fut aisé de s’appercevoir que la protection du sénateur avait prodigieusement influé sur cet excellent accueil ; Ernestine fut admirée, caressée ; la tante assura que cette charmante nièce éclipserait toutes les beautés de la capitale, et dès le même jour, les arrangemens furent pris pour lui procurer tous les plaisirs possibles, afin de l’étourdir, de l’enivrer et de lui faire oublier son amant.

La maison de la Plorman était naturellement solitaire ; cette femme, déjà vieille, et naturellement avare, voyait assez peu de monde ; et c’était peut-être en raison de cela, que le comte, qui la connaissait, n’avait été nullement fâché du choix d’habitation que le colonel avait fait.

Il y avait chez madame Plorman un jeune officier du régiment des Gardes, qui lui appartenait d’un degré de plus près qu’Ernestine, et qui, par conséquent, avait plus de droit qu’elle à la succession ; on le nommait Sindersen, bon sujet, brave garçon, mais naturellement peu porté pour des parens qui, plus éloignés que lui de sa tante, paraissaient néanmoins former sur elle les mêmes prétentions. Ces raisons établirent un peu de froid entre lui et les Sanders ; cependant il fit politesse à Ernestine, vécut avec le colonel, et sut déguiser sous ce vernis du monde, qu’on nomme politesse, les sentimens peu tendres qui devaient tenir la première place dans son cœur.

Mais laissons le colonel s’établir, et retournons à Nordkoping, pendant qu’Oxtiern met tout en œuvre pour amuser le père, pour éblouir la fille, et pour réussir enfin aux perfides projets dont il espère son triomphe.

Huit jours après le départ d’Ernestine, les négocians d’Hambourg parurent, et réclamèrent les cent mille ducats dont la Scholtz leur était redevable ; cette somme, sans aucun doute, devait se trouver dans la caisse d’Herman ; mais la friponnerie était déjà faite, et par le moyen des doubles clefs, les fonds avaient disparus ; madame Scholtz, qui avait retenu les négocians à dîner, fait aussi-tôt avertir Herman de préparer les espèces, attendu que ses hôtes veulent s’embarquer dès le même soir pour Stockholm. Herman depuis long-temps n’avait visité cette caisse, mais sûr que les fonds doivent y être, il ouvre avec confiance, et tombe presqu’évanoui quand il s’apperçoit du larcin qu’on lui a fait ; il court chez sa protectrice… Oh ! madame, s’écrie-t-il éperdu, nous sommes volés. — Volés, mon ami… personne n’est entré chez moi, et je réponds de ma maison. — Il faut pourtant bien que quelqu’un soit entré, madame, il le faut bien, puisque les fonds n’y sont plus… et que vous devez être sûr de moi. — Je pouvais l’être autrefois, Herman, mais quand l’amour tourne l’esprit d’un garçon tel que vous, tous les vices, avec cette passion, doivent s’introduire dans son cœur… Malheureux jeune homme, prenez garde à ce que vous avez pu faire ; j’ai besoin de mes fonds dans l’instant ; si vous êtes coupable, avouez-le moi… mais si vous avez tort, et que vous ne vouliez rien dire, vous ne serez peut-être pas le seul que j’envelopperai dans cette fatale affaire… Ernestine partie pour Stockholm au moment où mes fonds disparaissent… qui sait si elle est encore dans le royaume ?… elle vous précède… c’est un enlèvement projeté. Non, madame, non, vous ne croyez pas ce que vous venez de dire, répond Herman avec fermeté… vous ne le croyez pas, madame, ce n’est point par une telle somme qu’un fripon débute ordinairement, et les grands crimes dans le cœur de l’homme, sont toujours précédés par des vices. Qu’avez-vous vu de moi jusqu’à présent qui doive vous faire croire que je puisse être capable d’une telle malversation ? Si je vous avais volé, serais-je encore dans Nordkoping ? ne m’avez-vous pas averti depuis huit jours que vous deviez escompter cet argent ? si je l’avais pris, aurais-je eu le front d’attendre paisiblement ici l’époque où ma honte se dévoilerait ? Cette conduite est-elle vraisemblable, et devez-vous me la supposer ? — Ce n’est pas à moi qu’il appartient de rechercher les raisons qui peuvent vous excuser quand je suis lésée de votre crime, Herman ; je n’établis qu’un fait, vous êtes chargé de ma caisse, vous seul en répondez, elle est vuide quand j’ai besoin des fonds qui doivent s’y trouver, les serrures ne sont point endommagées, aucun de mes gens ne disparaît, ce vol, sans effraction, sans vestiges, ne peut donc être l’ouvrage que de celui qui possède les clefs ; pour la dernière fois, consultez-vous, Herman, je retiendrai ces négocians encore vingt-quatre heures ; demain mes fonds… ou la justice me répond de vous.

Herman se retire dans un désespoir plus facile à sentir qu’à peindre ; il fondait en larmes, il accusait le ciel de le laisser vivre pour autant d’infortunes. Deux partis s’offrent à lui… fuir ou se brûler la cervelle… mais il ne les a pas plutôt formé, qu’il les rejette avec horreur… Mourir sans être justifié… sans avoir détruit des soupçons qui désoleraient Ernestine ; pourrait-elle jamais se consoler d’avoir donné son cœur à un homme capable d’une telle bassesse ? Son âme délicate ne soutiendrait pas le poids de cette infamie, elle en expirerait de douleur… Fuir était s’avouer coupable ; peut-on consentir à l’apparence d’un crime qu’on est aussi loin de commettre ? Herman aime mieux se livrer à son sort, et réclamer aussi-tôt par lettres la protection du sénateur et l’amitié du colonel ; il croyait être sûr du premier, et ne doutait sûrement pas du second. Il leur écrit le malheur affreux qui lui arrive, il les convainc de son innocence, fait sur-tout sentir au colonel combien une pareille aventure devient funeste pour lui, avec une femme dont le cœur paîtri de jalousie ne manquera pas de saisir cette occasion pour l’anéantir. Il lui demande les conseils les plus prompts dans cette fatale circonstance, et se livre aux décrets du ciel, osant se croire sûr que leur équité n’abandonnerait pas l’innocence.

Vous imaginez aisément que notre jeune homme dut passer une nuit affreuse ; dès le matin, la Scholtz le fit venir dans son appartement. Eh bien ! mon ami, lui dit-elle, avec l’air de la candeur et de l’aménité, êtes-vous prêt à confesser vos erreurs, et vous décidez-vous enfin à me dire la cause d’un procédé si singulier de votre part ? Je me présente, et livre ma personne pour toute justification, madame, répond le jeune homme avec courage ; je ne serais pas resté chez vous si j’étais coupable, vous m’avez laissé le temps de fuir, je l’aurais fait. — peut-être n’eussiez-vous pas été loin sans être suivi, et cette évasion d’ailleurs achevait de vous condamner ; votre fuite prouvait un fripon très-novice, votre fermeté m’en fait voir un qui n’est pas à son coup d’essai. Nous ferons nos comptes quand vous voudrez, madame, jusqu’à ce que vous y ayiez trouvé des erreurs, vous n’êtes pas en droit de me traiter ainsi, et moi je le suis de vous prier d’attendre des preuves plus sûres, avant de flétrir ma probité. — Herman, est-ce là ce que je devais espérer d’un jeune homme que j’avais élevé, et sur qui je fondais toutes mes espérances ? — Vous ne répondez point, madame ; ce subterfuge m’étonne, il me ferait presque naître des doutes. — Ne m’irritez pas, Herman, ne m’irritez pas, quand vous ne devez chercher qu’à m’attendrir… (et reprenant avec chaleur)… Ignores-tu, cruel, les sentimens que j’ai pour toi ? quel serait donc, d’après cela, l’être le plus disposé à cacher tes torts ?… T’en chercherais-je, quand je voudrais au prix de mon sang anéantir ceux que tu as ?… Écoute, Herman, je puis tout réparer, j’ai dans la banque de mes correspondans, dix fois plus qu’il n’est nécessaire pour couvrir cette faute… avoue-la, c’est tout ce que je te demande… consens à m’épouser, tout s’oublie. — Et j’achèterais le malheur de mes jours au prix d’un affreux mensonge ? — Le malheur de tes jours, perfide ? quoi ! c’est ainsi que tu regardes les nœuds où je prétends, quand je n’ai qu’un mot à dire pour te perdre à jamais ? — Vous n’ignorez pas que mon cœur n’est plus à moi, madame ; Ernestine le possède en entier ; tout ce qui troublerait le dessein que nous avons d’être l’un à l’autre, ne peut devenir qu’affreux pour moi. — Ernestine ?… n’y compte plus, elle est déjà l’épouse d’Oxtiern. — Elle ?… cela ne se peut, madame, j’ai sa parole et son cœur ; Ernestine ne saurait me tromper. — Tout ce qui s’est fait était convenu, le colonel s’y prêtait. — Juste ciel ! eh bien ! je vais donc m’éclaircir moi-même, je vole de ce pas à Stockholm… j’y verrai Ernestine, je saurai d’elle si vous m’en imposez ou non… que dis-je ? Ernestine avoir pu trahir son amant ! non, non… son cœur ne vous est pas connu, puisqu’il vous est possible de le croire ; l’astre du jour cesserait de nous éclairer, plutôt qu’un tel forfait eût pu souiller son âme. Et le jeune homme à ces mots veut s’élancer hors de la maison… madame Scholtz le retenant, Herman, vous allez vous perdre ; écoutez-moi, mon ami, c’est pour la dernière fois que je vous parle… Faut-il vous le dire ? six témoins déposent contre vous, on vous a vu sortir mes fonds du logis, on, sait l’emploi que vous en avez fait ; vous vous êtes méfié du comte Oxtiern, muni de ces cent mille ducats, vous deviez enlever Ernestine et la conduire en Angleterre… La procédure est commencée, je vous le répète, je puis tout arrêter d’un mot… voilà ma main, Herman, acceptez-la, tout est réparé. — Assemblage d’horreurs et de mensonge, s’écrie Herman, regarde comme la fraude et l’inconséquence éclatent dans tes paroles, si Ernestine est, comme tu le dis, épouse du sénateur, je n’ai donc pas dû voler pour elle les sommes qui te manquent, et si j’ai pris cet argent pour elle, il est donc faux qu’elle soit l’épouse du comte ; dès que tu peux mentir avec tant d’impudence, tout ceci n’est qu’un piège où ta méchanceté veut me prendre ; mais je trouverai… j’ose m’en flatter au moins, des moyens de rétablir l’honneur que tu veux m’enlever, et ceux qui convaincront de mon innocence, prouveront en même temps tous les crimes où tu te livres, pour te venger de mes dédains.

Il dit : et repoussant les bras de la Scholtz, qui s’ouvrent pour le retenir encore, il se jette aussi tôt dans la rue avec le projet d’aller à Stockholm… Le malheureux, il est loin d’imaginer que ses chaînes sont déjà tendues… dix hommes le saisissent à la porte du logis, et le traînent ignominieusement dans la prison des scélérats, aux regards même de la féroce créature qui le perd, et qui semble jouir, en le conduisant des yeux, de l’excès du malheur où sa rage effrénée vient d’engloutir ce misérable.

Eh bien ! dit Herman, en se voyant dans le séjour du crime… et trop souvent de l’injustice, puis-je défier le ciel à présent, d’inventer des maux qui puissent déchirer mon âme avec plus de fureur ? Oxtiern… perfide Oxtiern, toi seul a conduit cette trame, et je ne suis ici que la victime de la jalousie, de tes complices et de toi… Voilà donc comme les hommes peuvent passer en un instant, au dernier degré de l’humiliation et du malheur ! j’imaginais que le crime Seul pouvait les avilir jusqu’à ce point… Non… il ne s’agit que d’être soupçonné pour être déjà criminel, il ne s’agit que d’avoir des ennemis puissans pour être anéanti ! mais toi, mon Ernestine… toi dont les sermens consolent encore mon cœur, le tien me reste-t-il au moins dans l’infortune ? ton innocence égale-t-elle la mienne ?… et n’as-tu pas trempée dans tout ceci ?… Ô juste ciel ! quels odieux soupçons ! je suis plus oppressé d’avoir pu les former un instant, que je ne suis anéanti de tous mes autres maux… Ernestine coupable… Ernestine avoir trahi son amant !… jamais la fraude et l’imposture naquirent-elles au fond de cette âme sensible ?… et ce tendre baiser que je savoure encore… ce seul et doux baiser que j’ai reçu d’elle, peut-il avoir été cueilli sur une bouche qu’aurait avili le mensonge ?… Non, non chère âme, non… on nous trompe tous deux… comme ils vont profiter de ma situation, ces monstres, pour me dégrader dans ton esprit… Ange du ciel ne te laisse pas séduire à l’artifice des hommes, et que ton âme aussi pure que le dieu dont elle émane, soit à l’abri comme son modèle, des iniquités de la terre.

Une douleur muette et sombre s’empare de ce malheureux ; à mesure qu’il se pénètre de l’horreur de son sort, le chagrin qu’il éprouve devient d’une telle force, qu’il se débat bientôt au milieu de ses fers ; tantôt c’est à sa justification qu’il veut courir, l’instant d’après, c’est aux pieds d’Ernestine ; il se roule sur le plancher, en faisant retentir la voûte de ses cris aigus… il se relève, il se précipite contre les digues qui lui sont opposées, il veut les rompre de son poids, il se déchire, il est en sang, et retombant près des barrières qu’il n’a seulement point ébranlé, ce n’est plus que par des sanglots et des larmes… que par les secousses du désespoir, que son âme abattue tient encore à la vie.

Il n’y a point de situation dans le monde qui puisse se comparer à celle d’un prisonnier, dont l’amour embrase le cœur ; l’impossibilité de s’éclaircir, réalise à l’instant d’une manière affreuse tous les maux de ce sentiment ; les traits d’un Dieu si doux dans le monde, ne sont plus pour lui que des couleuvres qui le déchirent ; mille chimères l’offusquent à la fois ; tour-à-tour inquiet et tranquille, tour-à-tour crédule et soupçonneux, craignant et desirant la vérité, détestant… adorant l’objet de ses feux, l’excusant, et le croyant perfide, son âme, semblable aux flots de la mer en courroux, n’est plus qu’une substance molle, où toutes les passions ne s’empreignent que pour la consumer plutôt.

On accourut au secours d’Herman ; mais quel funeste service lui rendait-on, en ramenant sur ses tristes lèvres, la coupe amère de la vie, dont il ne lui restait plus que le fiel.

Sentant la nécessité de se défendre, reconnaissant que l’extrême désir qui le brûlait de revoir Ernestine, ne pouvait être satisfait qu’en faisant éclater son innocence, il prit sur lui ; l’instruction commença ; mais la cause trop importante pour un tribunal inférieur comme celui de Nordkoping, fut évoquée par devant les juges de Stockholm. On y transféra le prisonnier… content… s’il est possible de l’être dans sa cruelle situation, consolé de respirer l’air dont s’animait Ernestine ; je serai dans la même ville, se disait-il avec satisfaction, peut-être pourrai-je l’instruire de mon sort… on le lui cache sans doute !… peut-être pourrai-je la voir ; mais quoiqu’il en puisse arriver, je serai là, moins en but aux traits dirigés contre moi ; il est impossible que tout ce qui approche Ernestine ne soit épuré comme sa belle âme, l’éclat de ses vertus se répand sur tout ce qui l’entoure… ce sont les rayons de l’astre dont la terre est vivifiée… je ne dois rien craindre où elle est. Malheureux amans voilà vos chimères… elles vous consolent, c’est beaucoup ; abandonnons-y le triste Herman pour voir ce qui se passait à Stockholm parmi les gens qui nous intéressent.

Ernestine toujours dissipée, toujours promenée de fête en fête, était bien loin d’oublier son cher Herman, elle ne livrait que ses yeux aux nouveaux spectacles dont on tâchait de l’enivrer ; mais son cœur toujours rempli de son amant, ne respirait que pour lui seul ; elle aurait voulu qu’il partageât ses plaisirs, ils lui devenaient insipides sans Herman, elle le désirait, elle le voyait partout, et la perte de son illusion ne lui rendait la vérité que plus cruelle. L’infortunée était loin de savoir dans quel affreux état se trouvait réduit celui qui l’occupait aussi despotiquement, elle n’en avait reçu qu’une lettre, écrite avant l’arrivée des négocians de Hambourg, et les mesures étaient prises de manière à ce que depuis lors, elle n’en pût avoir davantage. Quand elle en témoignait son inquiétude, son père et le sénateur rejetaient ces retards sur l’immensité des affaires dont se trouvait chargé le jeune homme, et la tendre Ernestine, dont l’âme délicate craignait la douleur, se laissait doucement aller à ce qui semblait la calmer un peu. De nouvelles réflexions survenaient-elles ? on l’appaisait encore de même, le colonel de bien bonne foi, le sénateur en la trompant ; mais, on la tranquillisait, et l’abîme, en attendant, se creusait toujours sous ses pas.

Oxtiern amusait également Sanders, il l’avait introduit chez quelques ministres ; cette considération flattait son orgueil, elle le faisait patienter sur les promesses du comte, qui ne cessait de lui dire que quelque bonne volonté qu’il eût de l’obliger, tout était fort long à la cour.

Ce dangereux suborneur qui, s’il eût pu réussir d’une autre manière que par les crimes qu’il méditait, se les fût peut-être épargné, essayait de revenir de tems-en-tems au langage de l’amour, avec celle qu’il brûlait de corrompre.

Je me repens quelquefois de mes démarches, disait-il un jour à Ernestine, je sens que le pouvoir de vos yeux détruit insensiblement mon courage ; ma probité veut vous unir à Herman, et mon cœur s’y oppose ; ô juste ciel ! pourquoi la main de la nature plaça-t-elle à la fois tant de grâces dans l’adorable Ernestine, et tant de faiblesse dans le cœur d’Oxtiern, je vous servirais mieux si vous êtiez moins belle, ou peut-être aurais-je moins d’amour, si vous n’aviez pas tant de rigueur. Comte, dit Ernestine allarmée, je croyais ces sentimens déjà loin de vous, et je ne conçois pas qu’ils vous occupent encore ! — C’est rendre à la fois bien peu de justice à tous deux, ou que de croire que les impressions que vous produisez puissent s’affaiblir, ou que d’imaginer que quand c’est mon cœur qui les reçoit, elles puissent n’y pas être éternelles. — Peuvent-elles donc s’accorder avec l’honneur ? et n’est-ce point par ce serment sacré, que vous m’avez promis de ne me conduire à Stockholm, que pour l’avancement de mon père et ma réunion à Herman ? — Toujours Herman, Ernestine ; eh quoi ! ce nom fatal ne sortira point de votre mémoire ? — Assurément non, sénateur, il sera prononcé par moi, aussi long-tems que l’image chérie de celui qui le porte, embrâsera l’âme d’Ernestine, et c’est vous avertir que la mort, en deviendra l’unique terme ; mais, comte, pourquoi retardez-vous les promesses que vous m’avez faites ?… je devais, selon vous, revoir bientôt ce tendre et unique objet de ma flamme, pourquoi donc ne paraît-il pas ? — Ses comptes avec la Scholtz, voilà le motif assurément de ce retard qui vous affecte. — L’aurons-nous dès-après cela ? — Oui… vous le verrez, Ernestine… je vous promets de vous le faire voir, à quelque point qu’il puisse m’en coûter… dans quelque lieu que ce puisse être… vous le verrez certainement… et quelle sera la récompense de mes services ? — Vous jouirez du charme de les avoir rendu, comte, c’est la plus flatteuse de toutes pour une âme sensible. — L’acheter au prix du sacrifice que vous exigez, est la payer bien cher, Ernestine ; croyez-vous qu’il soit beaucoup d’âmes capables d’un tel effort ? — Plus il vous aura coûté, plus vous serez estimable à mes yeux. Ah ! combien l’estime est froide pour acquitter le sentiment que j’ai pour vous. — Mais si c’est le seul que vous puissiez obtenir de moi, ne doit-il pas vous contenter ? — Jamais… jamais, dit alors le comte, en lançant des regards furieux sur cette malheureuse créature… et se levant aussi-tôt pour la quitter, tu ne connais pas l’âme que tu désespères… Ernestine… fille trop aveuglée… non tu ne la connais pas cette âme, tu ne sais pas jusqu’où peuvent la conduire et ton mépris et tes dédains.

Il est facile de croire que ces dernières paroles alarmèrent Ernestine, elle les rapporta bien vîte au colonel, qui toujours plein de confiance en la probité du sénateur, fut loin d’y voir le sens dont Ernestine les interprêtait ; le crédule Sanders toujours ambitieux, revenait quelquefois au projet de préférer le comte à Herman ; mais sa fille lui rappelait sa parole ; l’honnête et franc colonel en était esclave, il cédait aux larmes d’Ernestine, et lui promettait de continuer à rappeler au sénateur les promesses qu’il leur avait faites à tous deux, ou de ramener sa fille à Nordkoping, s’il croyait démêler qu’Oxtiern n’eût pas envie d’être sincère.

Ce fut alors que l’un et l’autre de ces honnêtes gens, trop malheureusement trompés, reçurent des lettres de la Scholtz, dont ils s’étaient séparé le mieux du monde. Ces lettres excusaient Herman de son silence, il se portait à merveille ; mais accablé d’une reddition de comptes où se rencontrait un peu de désordre, qu’il ne fallait attribuer qu’au chagrin qu’éprouvait Herman d’être séparé de ce qu’il aimait, il était obligé d’emprunter la main de sa bienfaitrice pour donner de ses nouvelles à ses meilleurs amis ; il les suppliait de n’être pas inquiets, parce qu’avant huit jours madame Scholtz elle-même, amènerait à Stockholm, Herman aux pieds d’Ernestine.

Ces écrits calmèrent un peu cette chère amante, mais ils ne la rassurèrent pourtant pas tout-à-fait… une lettre est bientôt écrite, disait-elle, pourquoi Herman n’en prenait-il donc pas la peine ? Il devait bien se douter, que j’aurais plus de foi en un seul mot de lui, qu’en vingt épitres d’une femme dont on avait tant de raisons de se méfier. Sanders rassurait sa fille, Ernestine confiante cédait un instant aux soins que prenait le colonel pour la calmer, et l’inquiétude en traits de feux revenait aussitôt déchirer son âme.

Cependant L’affaire d’Herman se suivait toujours ; mais le sénateur qui voyait les juges, leur avait recommandé la plus extrême discrétion, il leur avait prouvé que si la poursuite de ce procès venait à se savoir, les complices d’Herman, ceux qui étaient muni des sommes, passeraient en pays étrangers, s’ils n’y étaient pas encore, et qu’au moyen des sûretés qu’ils prendraient, on ne pourrait plus rien recouvrer ; cette raison spécieuse engageait les magistrats au plus grand silence ; ainsi tout se faisait dans la ville même qu’habitaient Ernestine et son père, sans que l’un et l’autre le sussent, et sans qu’il fut possible que rien en pût venir à leur connaissance.

Telle était à-peu-près la situation des choses, lorsque le colonel pour la première fois de sa vie, se trouva engagé à dîner chez le ministre de la guerre. Oxtiern ne pouvait l’y conduire ; il avait, disait-il, vingt personnes lui-même ce jour-la, mais-il ne laissa pas ignorer à Sanders, que cette faveur était son ouvrage, et ne manqua pas en le lui disant, de l’exhorter à ne pas se soustraire à une telle invitation ; le colonel était loin de l’envie d’être inexact, quoiqu’il s’en fallut pourtant bien, que ce perfide dîner dût contribuer à son bonheur ; il s’habille donc le plus proprement qu’il peut, recommande sa fille à la Plorman, et se rend chez le ministre.

Il n’y avait pas une heure qu’il y était, lors qu’Ernestine vit entrer madame Scholtz chez elle, les complimens furent courts ; pressez-vous, lui dit la négociante, et volons ensemble chez le comte Oxtiern, je viens d’y descendre Herman, je suis venu vous avertir à la hâte, que votre protecteur et votre amant vous attendent tous deux avec une égale impatience. — Herman ? — Lui-même. — Que ne vous a-t-il suivi jusqu’ici ? — Ses premiers soins ont été pour le comte, il les lui devait sans doute ; le sénateur qui vous aime, s’immole pour ce jeune homme ; Herman ne lui doit-il pas de la reconnaissance ?… Ne serait-il pas ingrat d’y manquer mais vous voyez comme tous deux m’envoient vers vous avec précipitation… c’est le jour des sacrifices, mademoiselle, continua la Scholtz, lançant un regard faux sur Ernestine, venez les voir consommer tous.

Cette malheureuse fille partagée entre le desir extrême de voler où on lui disait qu’était Herman, et la crainte d’une démarche hasardée, en allant chez le comte pendant l’absence de son père, reste en suspens sur le parti qu’elle doit prendre ; et comme la Scholtz pressait toujours, Ernestine crut devoir s’appuyer dans un tel cas, du conseil de sa tante Plorman, et lui demander d’être accompagnée d’elle ou au moins de son cousin Sindersen ; mais celui-ci ne se trouva point à la maison, et la veuve Plorman consultée, répondit que le palais du sénateur était trop honnête, pour qu’une jeune personne eût rien à risquer en y allant ; elle ajouta, que sa nièce devait connaître cette maison, puisqu’elle y avait été plusieurs fois avec son père, et que d’ailleurs, dès qu’Ernestine y allait avec une dame de l’état et de l’âge de madame Scholtz, il n’y avait certainement aucun danger, qu’elle s’y joindrait assurément bien volontiers, si depuis dix ans, d’horribles douleurs ne la captivaient chez elle, sans en pouvoir sortir ; mais vous ne risquez rien, ma nièce, continua la Plorman. Allez en toute sûreté où l’on vous desire, je préviendrai le colonel dès qu’il paraîtra, afin qu’il vous aille aussitôt retrouver.

Ernestine, enchantée d’un conseil, qui s’accordait aussi-bien avec ses vues, s’élance dans la voiture de la Scholtz, et toutes deux arrivent chez le sénateur, qui vient les recevoir à la porte même de son hôtel. Accourez, charmante Ernestine, dit-il, en lui donnant la main, venez jouir de votre triomphe, du sacrifice de madame, et du mien, venez vous convaincre, que la générosité dans des âmes sensibles, l’emporte sur tous les sentimens… Ernestine ne se contenait plus, son cœur palpitait d’impatience, et si l’espoir du bonheur embellit, jamais Ernestine sans doute n’avait été plus digne des hommages de l’Univers entier… Quelques circonstances l’alarmèrent pourtant, et ralentirent la douce émotion dont elle était saisie ; quoiqu’il fît grand jour, pas un valet ne paraissait dans cette maison… un silence lugubre y régnait ; on ne disait mot, les portes se refermaient avec soin aussitôt, qu’on les avait dépassées ; l’obscurité devenait toujours plus profonde, à mesure que l’on avançait ; et ces précautions effrayèrent tellement Ernestine, qu’elle était presque évanouie, quand elle entra dans la pièce où l’on voulait la recevoir ; elle y arrive enfin ; ce salon assez vaste donnait sur la place publique ; mais les fenêtres étaient closes absolument de ce côté, une seule sur les derrières faiblement entr’ouverte, laissait pénétrer quelques rayons à travers les jalousies baissées sur elle, et personne n’était dans cette pièce quand Ernestine y parut. L’infortunée respirait à peine : voyant bien pourtant que sa sûreté dépendait de son courage, monsieur, dit-elle, avec sang-froid, que signifient cette solitude, ce silence effrayant… Ces portes que l’on ferme avec tant de soin, ces fenêtres qui laissent un léger accès à la lumière ? tant de précautions sont faites pour m’alarmer ; où est Herman ? Asseyez-vous, Ernestine, dit le sénateur, en la plaçant entre la Scholtz et lui… calmez-vous, et écoutez-moi.

Il s’est passé bien des choses, ma chère, depuis que vous avez quitté Nordkoping ; celui à qui vous aviez donné votre cœur, a malheureusement prouvé qu’il n’était pas digne de le posséder. — Oh ciel ! vous m’effrayez. — Votre Herman n’est qu’un scélérat, Ernestine, il s’agit de savoir si vous n’avez point participé au vol considérable qu’il a fait à madame Scholtz ; on vous soupçonne. Comte, dit Ernestine en se levant, avec autant de noblesse que de fermeté, votre artifice est découvert, je sens mon imprudence… je suis une fille perdue… je suis dans les mains de mes plus grands ennemis… je n’éviterai pas le malheur qui m’attend… et tombant à genoux les bras élevés vers le ciel… Être Suprême, s’écria-t-elle, je n’ai plus que toi pour protecteur, n’abandonne pas l’innocence aux mains dangereuses du crime et de la scélératesse ! Ernestine, dit madame Scholtz en la relevant, et l’asseyant malgré elle sur le siége qu’elle venait de quitter, il ne s’agit pas de prier Dieu ici, il est question de répondre ; le sénateur ne vous en impose point, votre Herman m’a volé cent mille ducats, et qu’il était à la veille de venir vous enlever, lorsque tout s’est heureusement su. Herman est arrêté, mais les fonds ne se trouvent pas, il nie de les avoir distrait ; voilà ce qui a fait croire que ces fonds étaient déjà dans vos mains ; cependant l’affaire d’Herman prend la plus mauvaise tournure, des témoins déposent contre lui ; plusieurs particuliers de Nordkoping l’ont vu sortir la nuit de ma maison avec des sacs sous son manteau ; le délit enfin est plus que prouvé, et votre amant est dans les mains de la justice. — Ernestine : Herman coupable, Ernestine soupçonnée, et vous l’avez cru, monsieur ?… vous avez pu le croire ? — Le comte : nous n’avons, Ernestine, ni le temps de discuter cette affaire, ni celui de songer à autre chose, qu’à y porter le plus prompt remède ; sans vous en parler, sans vous affliger en vain, j’ai tout voulu voir avant que d’en venir à la démarche que vous me voyez faire aujourd’hui ; il n’y a contre vous que des soupçons, voilà pourquoi je vous ai garanti l’horreur d’une humiliante captivité ; je le devais à votre père, à vous, je l’ai fait ; mais pour Herman, il est coupable… il y a pis, ma chère, je ne vous dis ce mot qu’en tremblant… il est condamné… (et Ernestine pâlissant.) — Condamné, lui… Herman… l’innocence même… ô juste ciel ! Tout peut se réparer, Ernestine, reprend vivement le sénateur, en la soutenant dans ses bras, tout peut se réparer, vous dis-je… ne résistez point à ma flamme, accordez-moi sur-le-champ les faveurs que j’exige de vous, je cours trouver les juges… ils sont là, Ernestine, dit Oxtiern, en montrant le côté de la place, ils sont assemblés pour terminer cette cruelle affaire… j’y vole… je leur porte les cent mille ducats, j’atteste que l’erreur vient de moi, et madame Scholtz, qui se désiste de toute poursuite envers Herman, certifie de même que c’est dans les comptes faits dernièrement ensemble, que cette somme a fait double emploi ; en un mot, je sauve votre amant… je fais plus, je vous tiens la parole que je vous ai donnée, huit jours après je vous rends son épouse… Prononcez, Ernestine, et sur-tout ne perdons pas de temps… songez à la somme que je sacrifie… au crime dont vous êtes soupçonnée… à l’affreuse position d’Herman… au bonheur qui vous attend enfin, si vous satisfaites mes desirs. — Ernestine : moi, me livrer à de telles horreurs ! acheter à ce prix, la rémission d’un crime dont Herman ni moi, ne furent jamais coupables ! — Le comte : Ernestine, vous êtes en ma puissance ; ce que vous craignez peut avoir lieu sans capitulation ; je fais donc plus pour vous que je ne devrais faire, en vous rendant celui que vous aimez, aux conditions d’une faveur que je puis obtenir sans cette clause… Le moment presse… dans une heure, il ne sera plus temps… dans une heure, Herman sera mort, sans que vous en soyez moins déshonorée… songez que vos refus perdent votre amant, sans sauver votre pudeur, et que le sacrifice de cette pudeur, dont l’estime est imaginaire, redonne la vie à celui qui vous est précieux… que dis-je, le rend dans vos bras à l’instant… Fille crédule et faussement vertueuse, tu ne peux balancer sans une faiblesse condamnable… tu ne le peux sans un crime certain ; en accordant, tu ne perds qu’un bien illusoire… en refusant, tu sacrifies un homme, et cet homme immolé par toi, c’est celui qui t’est le plus cher au monde… Détermine-toi, Ernestine, détermine-toi, je ne te donne plus que cinq minutes. — Ernestine : toutes mes réflexions sont faites, monsieur ; jamais il n’est permis de commettre un crime pour en empêcher un autre. Je connais assez mon amant pour être certaine qu’il ne voudrait pas jouir d’une vie qui m’aurait coûté l’honneur, à plus forte raison ne l’épouserait-il pas après ma flétrissure ; je me serais donc rendue coupable, sans qu’il en devînt plus heureux, je le serais devenue sans le sauver, puisqu’il ne survivrait assurément pas à un tel comble d’horreur et de calomnie ; laissez-moi donc sortir, monsieur, ne vous rendez pas plus criminel que je ne vous soupçonne de l’être déjà… j’irai mourir près de mon amant, j’irai partager son effroyable sort, je périrai du moins digne d’Herman, et j’aime mieux mourir vertueuse que de vivre dans l’ignominie… Alors le comte entre en fureur… Sortir de chez moi, dit-il, embrâsé d’amour et de rage, t’en échapper avant que je ne sois satisfait, ne l’espère pas, ne t’en flatte pas, farouche créature… la foudre écraserait plutôt la terre, que je ne te rendisse libre avant que t’avoir fait servir à ma flamme, et tenant cette infortunée dans ses bras… Ernestine veut se défendre… mais en vain… Oxtiern est un frénétique dont les entreprises font horreur… Un moment… un moment… dit la Scholtz, sa résistance vient peut-être de ses doutes. Cela se peut, dit le sénateur, il faut la convaincre, et prenant Ernestine par la main, il la traîne vers une des fenêtres qui donnaient sur la place, ouvre avec précipitation cette fenêtre. Tiens, perfide, lui dit-il, vois Herman et son échafaud ; là se trouvait effectivement dressé ce théâtre sanglant, et le misérable Herman prêt à perdre la vie, y paraissait aux pieds d’un confesseur… Ernestine le reconnaît… elle veut faire un cri… elle s’élance… ses organes s’affaiblissent… tous ses sens l’abandonnent, elle tombe comme une masse.

Tout précipite alors les perfides projets d’Oxtiern… il saisit cette malheureuse, et sans effroi pour l’état où elle est, il ose consommer son crime, il ose faire servir à l’excès de sa rage la respectable créature que l’abandon du ciel, soumet injustement au plus affreux délire. Ernestine est déshonorée sans avoir recouvré ses sens ; le même instant a soumis au glaive des loix l’infortuné rival d’Oxtiern, Herman n’est plus.

À force de soins, Ernestine ouvre enfin les yeux ; le premier mot qu’elle prononce, est Herman ; son premier desir est un poignard… elle se lève, elle retourne à cette horrible fenêtre, encore entr’ouverte, elle veut s’y précipiter, on s’y oppose ; elle demande son amant, on lui dit qu’il n’existe plus, et qu’elle est seule coupable de sa mort… elle frémit… elle s’égare, des mots sans suite sortent de sa bouche… des sanglots les interrompent… il n’y a que ses pleurs qui ne peuvent couler… ce n’est qu’alors qu’elle s’apperçoit qu’elle vient d’être la proie d’Oxtiern… elle lance sur lui des regards furieux. C’est donc toi, scélérat, dit-elle, c’est donc toi qui viens de me ravir à-la-fois l’honneur et mon amant ? Ernestine, tout peut se réparer, dit le comte… Je le sais, dit Ernestine, et tout se réparera sans doute ; mais puis-je sortir enfin, ta rage est-elle assouvie ? Sénateur, s’écrie la Scholtz, ne laissons pas échapper cette fille… elle nous perdra ; que nous importe la Vie de cette créature ?… qu’elle la perde, et que sa mort mette nos jours en sûreté. Non, dit le comte, Ernestine sent qu’avec nous les plaintes ne serviraient à rien ; elle a perdu son amant, mais elle peut tout pour la fortune de son père ; qu’elle se taise, et le bonheur encore peut luire pour elle. — Des plaintes, sénateur, moi des plaintes… madame peut imaginer que j’en veuille faire ; oh ! non, il est une sorte d’outrage dont une femme ne doit jamais se plaindre… elle ne le pourrait sans s’avilir elle-même, et des aveux dont elle serait forcé de rougir, alarmeraient bien plus sa pudeur, que les réparations qu’elle en recevrait ne satisferaient sa vengeance. Ouvrez-moi, sénateur, ouvrez-moi, et comptez sur ma discrétion. — Ernestine, vous allez être libre… je vous le répète, votre sort est entre vos mains. Je le sais, reprit fièrement Ernestine, ce sont elles qui vont me l’assurer. Quelle imprudence, s’écria la Scholtz ; oh ! comte, je n’aurais jamais consenti de partager un crime avec vous, si je vous avais cru tant de faiblesse. Ernestine ne nous trahira point, dit le comte, elle sait que je l’aime encore… elle sait que l’hymen peut être le prix de son silence. Ah ! ne craignez rien, ne craignez rien, dit Ernestine, en montant dans la voiture qui l’attendait, j’ai trop d’envie de réparer mon honneur, pour m’avilir par des moyens si bas… vous serez content de ceux que j’employerai, comte, ils nous honoreront l’un et l’autre. Adieu.

Ernestine se rend chez elle… elle s’y rend au milieu de cette place où son amant vient de périr, elle y traverse la foule qui vient de repaître ses yeux de cet effrayant spectacle ; son courage la soutient, ses résolutions lui donnent des forces, elle arrive ; son père rentrait au même instant ; le perfide Oxtiern avait eu soin de le faire retenir tout le temps utile à son crime… Il voit sa fille échevelée… pâle, le désespoir dans l’âme, mais l’œil sec néanmoins, la contenance fière et la parole ferme. — Enfermons-nous, mon père, j’ai à vous parler. — Ma fille, tu me fais frémir… qu’est-il arrivé ? tu es sortie pendant mon absence… on parle de l’exécution d’un jeune homme de Nordkoping… je suis rentré dans un trouble… dans une agitation, explique-toi… la mort est dans mon sein. — Écoutez-moi, mon père… retenez vos larmes… (et se jetant dans les bras du colonel) : nous n’étions pas nés pour être heureux, mon père ; il est de certains êtres que la nature ne crée que pour les laisser flotter de malheurs en malheurs, le peu d’instans qu’ils doivent exister sur la terre ; tous les individus ne doivent pas prétendre à la même portion de félicité, il faut se soumettre aux volontés du ciel ; votre fille vous reste au moins, elle consolera votre vieillesse, elle en sera l’appui… Le malheureux jeune homme de Nordkoping dont vous venez d’entendre parler, est Herman, il vient de périr sur un échafaud, sous mes yeux… oui, mon père, sous mes yeux… on a voulu que je le visse… je l’ai vu… il est mort victime de la jalousie de la Scholtz et de la frénésie d’Oxtiern… Ce n’est pas tout mon père, je voudrais n’avoir à vous apprendre que la perte de mon amant, j’en ai fait une plus cruelle encore… votre fille ne vous est rendue que déshonorée… Oxtiern… pendant qu’on immolait une de ses victimes… le scélérat flétrissait l’autre. Sanders se levant ici avec fureur, c’en est assez, dit-il, je sais mon devoir ; le fils du brave ami de Charles XII n’a pas besoin qu’on lui apprenne comment il faut se venger d’un traître ; dans une heure, je serai mort, ma fille, où tu seras satisfaite. Non, mon père, non, dit Ernestine, en empêchant le colonel de sortir, j’exige, au nom de tout ce qui peut vous être le plus cher, que vous n’embrassiez pas vous-même cette vengeance ; si j’avais le malheur de vous perdre, pensez-vous à l’horreur de mon sort ? restée seule sans appui… aux mains perfides de ces monstres, croyez-vous qu’ils ne m’auraient pas bientôt immolée ?… Vivez donc pour moi, mon père, pour votre chère fille, qui dans l’excès de sa douleur, n’a plus que vous pour secours et pour consolation… n’a plus que vos mains dans le monde qui puissent essuyer ses larmes… Écoutez mon projet ; il s’agit ici d’un léger sacrifice, qui peut-être même deviendra superflu, si mon cousin Sindersen a de l’âme : la crainte que ma tante ne nous préfère dans son testament, est la seule raison qui met un peu de froid entre lui et nous ; je vais dissiper sa frayeur, je vais lui signer une entière renonciation à ce legs, je vais l’intéresser à ma cause ; il est jeune, il est brave… il est militaire comme vous, il ira trouver Oxtiern, il lavera mon injure dans le sang de ce traître, et comme il faut que nous soyons satisfaits, s’il succombe, mon père, je ne retiendrai plus votre bras ; vous irez à votre tour chercher le sénateur, et vous vengerez à-la-fois l’honneur de votre fille et la mort de son neveu ; de cette manière, le scélérat qui m’a trompé, aurait deux ennemis au lieu d’un ; saurions-nous trop les multiplier contre lui ? — Ma fille, Sindersen est bien jeune pour un ennemi tel qu’Oxtiern. — Ne craignez rien, mon père, les traîtres sont toujours des lâches, la victoire n’est pas difficile… ah ! qu’il s’en faut que je la regarde comme telle !… cet arrangement… je l’exige… j’ai quelques droits sur vous, mon père, mon malheur me les donne, ne me refusez pas la grâce que j’implore… c’est à vos pieds que je la demande. Tu le veux, j’y consens, dit le colonel, en relevant sa fille, et ce qui me fait céder à tes desirs, c’est la certitude de multiplier par-là, comme tu le dis, les ennemis de celui qui nous déshonore. Ernestine embrasse son père, et vole aussi-tôt vers son parent ; elle revient peu après. Sindersen est tout prêt, mon père, dit-elle au colonel ; mais à cause de sa tante, il vous prie instamment de ne rien dire ; cette parente ne se consolerait pas du conseil qu’elle m’a donné d’aller chez le comte, elle était dans la bonne-foi ; Sindersen est donc d’avis de cacher tout à la Plorman, lui-même vous évitera jusqu’à la conclusion ; vous l’imiterez. Bon, dit le colonel, qu’il vole à la vengeance… je le suivrai de près… Tout se calme… Ernestine se couche tranquille en apparence, et le lendemain, de bonne heure, le comte Oxtiern reçoit une lettre d’une main étrangère, où se trouvaient seulement ces mots.

Un crime atroce ne se commet pas sans punition, une injustice odieuse ne se consomme pas sans vengeance, une fille honnête ne se déshonore pas qu’il n’en coûte la vie au séducteur ou à celui qui doit la venger. À dix heures, ce soir, un officier vêtu de rouge, se promènera près du port, l’épée sous le bras, il espère vous rencontrer ; si vous n’y venez pas, ce même officier demain ira vous brûler la cervelle chez vous.

Un valet sans livrée porte la lettre, et comme il avait ordre de rapporter une réponse, il rend le même billet, avec simplement au bas ces trois mots : on y sera.

Mais le perfide Oxtiern avait trop d’intérêt de savoir ce qui s’était passé chez la Plorman depuis le retour d’Ernestine, pour n’avoir pas employé à prix d’or tous les moyens qui devaient l’en instruire ; il apprend quel doit être l’officier vêtu de rouge ; il sait de même que le colonel a dit à son valet de confiance, de lui préparer un uniforme anglais, parce qu’il veut se déguiser, pour suivre celui qui doit venger sa fille, afin de n’être point reconnu de ce vengeur et de prendre sur-le-champ sa défense si par hasard il est vaincu ; en voilà plus qu’il n’en faut à Oxtiern pour construire un nouvel édifice d’horreur.

La nuit vient, elle était extrêmement sombre, Ernestine avertit son père que Sindersen sortira dans une heure, et que dans l’accablement où elle est, elle lui demande la permission de se retirer ; le colonel bien aise d’être seul, donne le bon soir sa fille, et se prépare à suivre celui qui doit se battre pour elle ; il sort… il ignore comme sera vêtu Sindersen, Ernestine n’a pas montré le cartel ; pour ne pas manquer au mystère exigé par ce jeune homme, et ne donner aucun soupçon à sa fille, il n’a voulu faire aucunes demandes, que lui importe, il avance toujours, il sait le lieu du combat, il est bien sûr d’y reconnaître son neveu. Il arrive à l’endroit indiqué, personne ne paraît encore, il se promène ; en ce moment un inconnu l’aborde, sans armes, et le chapeau bas ; monsieur, lui dit cet homme, n’êtes-vous pas le colonel Sanders ? — Je le suis. — Préparez-vous donc, Sindersen vous a trahi, il ne se battra point contre le comte ; mais ce dernier me suit, et c’est contre vous seul qu’il aura affaire. Dieu soit loué, dit le colonel avec un cri de joie, c’est tout ce que je desirais dans le monde. Vous ne direz mot, monsieur, s’il vous plaît, reprend l’inconnu, cet endroit-ci n’est pas très-sûr, le sénateur a beaucoup d’amis, peut-être accourrait-on pour vous séparer… il ne veut pas l’être, il veut vous faire une pleine satisfaction… attaquez-donc vivement et sans dire un mot l’officier vêtu de rouge qui s’avancera vers vous de ce côté. Bon, dit le colonel, éloignez-vous promptement, je brûle d’être aux mains… L’inconnu se retire, Sanders fait encore deux tours, il distingue enfin au milieu des ténèbres l’officier vêtu de rouge s’avançant fièrement vers lui, il ne doute point que ce ne soit Oxtiern, il fond sur lui l’épée à la main, sans dire un mot, de peur d’être séparé ; le militaire se défend de même sans prononcer une parole, et avec une incroyable bravoure ; sa valeur cède enfin aux vigoureuses attaques du colonel, et le malheureux tombe expirant sur la poussière ; un cri de femme échappe en cet instant, ce funeste cri perce l’âme de Sanders… il approche… il distingue des traits bien différens de l’homme qu’il croit combattre… Juste ciel… il reconnaît sa fille… c’est elle, c’est la courageuse Ernestine qui a voulu périr ou se venger elle-même, et qui déjà noyée dans son sang, expire de la main de son père. Jour affreux pour moi, s’écrie le colonel… Ernestine, c’est toi que j’immole ! quelle méprise !… quel en est l’auteur ?… Mon père, dit Ernestine d’une voix faible, en pressant le colonel dans ses bras, je ne vous ai pas connu, excusez-moi, mon père, j’ai osé m’armer contre vous… daignerez-vous me pardonner ? — Grand dieu ! quand c’est ma main qui te plonge au tombeau ! ô chère âme par combien de traits envenimés le ciel veut-il donc nous écraser à la fois. — Tout ceci est encore l’ouvrage du perfide Oxtiern… Un inconnu m’a abordé, il m’a dit de la part de ce monstre, d’observer le plus grand silence, de crainte d’être séparé, et d’attaquer celui qui serait vêtu comme vous l’êtes, que celui-là seul serait le comte… Je l’ai cru, ô comble affreux de perfidie !… j’expire… mais je meurs au moins dans vos bras, cette mort est la plus douce que je pus recevoir après tous les maux qui viennent de m’accabler ; embrassez-moi mon père, et recevez les adieux de votre malheureuse Ernestine.

L’infortunée expire après ces mots ; Sanders la baigne de ses larmes… mais la vengeance appaise la douleur. Il quitte ce cadavre sanglant pour implorer les loix… mourir… ou perdre Oxtiern… ce n’est qu’aux juges qu’il veut avoir recours ;… il ne doit plus… il ne peut plus se compromettre avec un scélérat, qui le ferait assassiner, sans doute, plutôt que de se mesurer à lui ; encore couvert du sang de sa fille, le colonel tombe aux pieds des magistrats, il leur expose l’affreux enchaînement de ses malheurs, il leur dévoile les infamies du comte… il les émeut, il les intéresse, il ne néglige pas, sur-tout, de leur faire voir combien les stratagêmes du traître dont il se plaint, les ont abusé dans le jugement d’Herman… On lui promet qu’il sera vengé.

Malgré tout le crédit dont s’était flatté le sénateur, il est arrêté dès la même nuit. Se croyant sûr de l’effet de ses crimes, ou mal instruit sans doute par ses espions, il reposait avec tranquillité ; on le trouve dans les bras de la Scholtz, les deux monstres se félicitaient ensemble de la manière affreuse dont ils croyaient s’être vengés ; ils sont conduits l’un et l’autre dans les prisons de la justice. Le procès s’instruit avec la plus grande rigueur… l’intégrité la plus entière y préside, les deux coupables se coupent dans leur interrogatoire… ils se condamnent mutuellement l’un et l’autre… la mémoire d’Herman est réhabilitée, la Scholtz va payer l’horreur de ses forfaits, sur le même échafaut où elle avait fait mourir l’innocent.

Le sénateur fut condamné à la même peine ; mais le roi en adoucit l’horreur par un bannissement perpétuel au fond des mines.

Gustave offrit sur le bien des coupables dix mille ducats de pension au colonel, et le grade de général à son service ; mais Sanders n’accepta rien. Sire, dit-il au monarque, vous êtes trop bon ; si c’est en raison de mes services que vous daignez m’offrir ces faveurs, elles sont trop grandes, je ne les mérite point ;… si c’est pour acquitter les pertes que j’ai faites, elles ne suffiraient pas, Sire ; les blessures de l’âme ne se guérissent ni avec de l’or, ni avec des honneurs… Je prie votre majesté de me laisser quelque temps à mon désespoir ; dans peu, je solliciterai près d’elle, la seule grâce qui puisse me convenir.

Voilà, monsieur, interrompit Falkeneim, le détail que vous m’avez demandé ; je suis fâché de l’obligation où nous allons être, de revoir encore une fois cet Oxtiern, il va vous faire horreur. Personne n’est plus indulgent que moi, monsieur, répondis-je, pour toutes les fautes où notre organisation nous entraîne ; je regarde les malfaiteurs au milieu des honnêtes gens, comme ces irrégularités dont la nature mélange les beautés qui décorent l’Univers ; mais votre Oxtiern, et particulièrement la Scholtz, abusent du droit que les faiblesses de l’homme doivent obtenir des philosophes. Il est impossible de porter le crime plus loin ; il y a dans la conduite de l’un et de l’autre des circonstances qui font frissonner. Abuser de cette malheureuse, pendant qu’il fait immoler son amant… la faire assassiner ensuite par son père, sont des raffinemens d’horreur, qui font repentir d’être homme, quand on est assez malheureux, pour partager ce titre avec d’aussi grands scélérats.

À peine avais-je dit ces mots, qu’Oxtiern parut, en apportant sa lettre ; il avait le coup-d’œil trop fin pour ne pas démêler sur mon visage que je venais d’être instruit de ses aventures… il me regarde. Monsieur, me dit-il en français, plaignez-moi ; des richesses immenses… un beau nom… du crédit, voilà les sirènes qui m’ont égaré ; instruit par le malheur, j’ai pourtant connu les remords, et je puis vivre maintenant avec les hommes, sans leur nuire ou les effrayer. L’infortuné comte accompagna ces mots de quelques larmes, qu’il me fût impossible de partager ; mon guide prit sa lettre, lui promit ses services, et nous nous préparions à partir, lorsque nous vîmes la rue embarrassée par une foule qui approchait du lieu où nous étions… nous nous arrêtâmes ; Oxtiern était encore avec nous ; peu-à-peu nous démêlons deux hommes qui parlent avec chaleur, et qui nous appercevant, se dirigent aussi-tôt de notre côté ; Oxtiern reconnaît ces deux personnages ; oh ciel ! s’écria-t-il, qu’est ceci ?… le colonel Sanders amené par le ministre de la mine… oui, c’est notre pasteur qui s’avance, en nous conduisant le colonel… ceci me regarde, messieurs… Eh quoi ! cet irréconciliable ennemi vient-il donc me chercher jusques dans les entrailles de la terre !… mes cruelles peines ne suffisent-elles donc pas à le satisfaire encore !… Oxtiern n’avait pas fini, que le colonel l’aborde. Vous êtes libre, monsieur, lui dit-il, dès qu’il est près de lui, et c’est à l’homme de l’Univers le plus grièvement offensé par vous, que votre grace est due… la voilà, sénateur, je l’apporte ; le roi m’a offert des grades, des honneurs, j’ai tout refusé, je n’ai voulu que votre liberté… je l’ai obtenue, vous pouvez me suivre. Ô généreux mortel, s’écria Oxtiern, se peut-il… moi libre… et libre par vous ?… par vous qui, m’arrachant la vie, ne me puniriez pas encore comme je mérite de l’être ? J’ai bien cru que vous le sentiriez, dit le colonel, voilà pourquoi j’ai imaginé qu’il n’y avait plus de risques à vous rendre un bien dont il devient impossible que vous abusiez davantage… vos maux, d’ailleurs, réparent-ils les miens ? puis-je être heureux de vos douleurs ? votre détention acquitte-t-elle le sang que vos barbaries ont fait répandre ? je serais aussi cruel que vous… aussi injuste si je le pensais ; la prison d’un homme dédommage-t-elle la société des maux qu’il lui a fait ?… il faut le rendre libre cet homme, si l’on veut qu’il répare, et dans ce cas, il n’en est aucun qui ne le fasse, il n’en est pas un seul qui ne préfère le bien, à l’obligation de vivre dans les fers ; ce que peut inventer sur cela le despotisme, chez quelques nations, ou la rigueur des loix chez d’autres, le cœur de l’honnête homme le désavoue… Partez, comte, partez, je vous le répète, vous êtes libre… Oxtiern veut se jeter dans les bras de son bienfaiteur. Monsieur, lui dit froidement Sanders, en résistant au mouvement… votre reconnaissance est inutile, et je ne veux pas que vous me sachiez tant de gré d’une chose où je n’ai eu que moi pour objet… Quittons aussi-tôt ces lieux, j’ai plus d’empressement que vous, de vous en voir dehors, afin de vous expliquer tout.

Sanders nous voyant avec Oxtiern, et ayant appris qui nous étions, nous pria de remonter avec le comte et lui ; nous acceptâmes ; Oxtiern fut remplir avec le colonel quelques formalités nécessaires à sa délivrance ; on nous rendit nos armes à tous, et nous remontâmes.

Messieurs, nous dit Sanders, dès que nous fûmes dehors, ayez la bonté de me servir de témoins dans ce qui me reste à apprendre au comte Oxtiern ; vous avez vu que je ne lui avais pas tout dit dans la mine, il y avait là trop de spectateurs… et comme nous avancions toujours, nous nous trouvâmes bientôt aux environs d’une haie qui nous dérobait à tous les yeux ; alors le colonel saisissant le comte au colet, sénateur, lui dit-il… il s’agit maintenant de me faire raison, j’espère que vous êtes assez brave pour ne pas me refuser, et que vous avez assez d’esprit pour être convaincu, que le plus puissant motif qui m’ait fait agir dans ce que je viens de faire, était l’espoir de me couper la gorge avec vous. Falkeneim voulut servir de médiateur et séparer ces deux adversaires. Monsieur, lui dit sèchement le colonel, vous savez les outrages que j’ai reçus de cet homme ; les mânes de ma fille exigent du sang, il faut qu’un de nous deux reste sur la place ; Gustave est instruit, il sait mon projet ; en m’accordant la liberté de ce malheureux, il ne l’a point désapprouvé ; laissez nous donc faire, monsieur, et le colonel jetant son habit bas, met aussi-tôt l’épée à la main… Oxtiern la met aussi, mais à peine est-il en garde, que prenant son épée par le bout, en saisissant de la main gauche la pointe de celle du colonel, il lui présente la poignée de son arme, et fléchissant un genou en terre, messieurs, dit-il, en nous regardant, je vous prends à témoins tous deux de mon action, je veux que vous sachiez l’un et l’autre que je n’ai pas mérité l’honneur de me battre contre cet honnête homme, mais que je le laisse libre de ma vie, et que je le supplie de me l’arracher… « Prenez mon épée, colonel, prenez-là, je vous la rends, voilà mon cœur, plongez-y la vôtre, je vais moi-même en diriger les coups ; ne balancez pas, je l’exige, délivrez à l’instant la terre d’un monstre qui l’a trop long-temps souillé ». Sanders étonné du mouvement d’Oxtiern, lui crie de se défendre. Je ne le ferai pas, et si vous ne vous servez du fer que je tiens, répond fermement Oxtiern en dirigeant sur sa poitrine nue, la pointe de l’arme de Sanders, si vous ne vous en servez pour me ravir le jour, je vous le déclare, colonel, je vais m’en percer à vos yeux. — Comte, il faut du sang… il en faut, il en faut, vous dis-je. Je le sais, dit Oxtiern, et c’est pourquoi je vous tends ma poitrine, pressez-vous de l’entr’ouvrir… il ne doit couler que de-là. Ce n’est point ainsi qu’il faut que je me comporte, reprend Sanders en cherchant toujours à dégager sa lame, c’est par les loix de l’honneur que je veux vous punir de vos scélératesses. Je ne suis pas digne de les accepter, respectable homme, réplique Oxtiern, et puisque vous ne voulez pas vous satisfaire, comme vous le devez, je vais donc vous en épargner le soin… il dit : et s’élançant sur l’épée du colonel qu’il n’a cessé de tenir à sa main, il fait jaillir le sang de ses entrailles, mais le colonel retirant aussi-tôt son épée… c’en est assez, comte, s’écria-t-il… votre sang coule, je suis satisfait… que le ciel achève votre correction, je ne veux pas vous servir de bourreau. Embrassons-nous donc monsieur, dit Oxtiern qui perdait beaucoup de sang. Non, dit Sanders, je peux pardonner vos crimes, mais je ne puis être votre ami ; nous nous hâtâmes de bander la blessure du comte, le généreux Sanders nous aida, allez, dit-il alors au sénateur, allez jouir de la liberté que je vous rends ; tâchez, s’il vous est possible, de réparer par quelques belles actions, tous les crimes où vous vous êtes livré ; ou sinon je répondrai à toute la Suède du forfait que j’aurai moi-même commis, en lui rendant un monstre dont elle s’était déjà délivré. Messieurs, continua Sanders, en regardant Falkeneim et moi, j’ai pourvu à tout, la voiture qui est dans l’auberge où nous nous dirigions, n’est destinée que pour Oxtiern, mais il peut vous y ramener l’un et l’autre, mes chevaux m’attendent d’un autre côté, je vous salue ; j’exige votre parole, d’honneur, que vous rendrez compte au roi de ce que vous venez de voir. Oxtiern veut se jeter encore une fois dans les bras de son libérateur, il le conjure de lui rendre son amitié, de venir habiter sa maison et de partager sa fortune. Monsieur, dit le colonel en le repoussant, je vous l’ai dit, je ne puis accepter de vous, ni bienfaits, ni amitié, mais j’en exige de la vertu, ne me faites pas repentir de ce que j’ai fait… Vous voulez, dites vous, me consoler de mes chagrins ; la plus sûre façon est de changer de conduite ; chaque beau trait que j’apprendrai de vous dans ma retraite, effacera peut-être de mon âme les profondes impressions de douleurs que vos forfaits y ont gravé ; si vous continuez d’être un scélérat, vous ne commettrez pas un seul crime qui ne replace aussi-tôt sous mes yeux l’image de celle que vous avez fait mourir de ma main, et vous me plongerez au désespoir ; adieu, quittons-nous, Oxtiern, et surtout ne nous voyons jamais… À ces mots le colonel s’éloigne… Oxtiern en larmes veut le suivre, il se traîne vers lui… nous l’arrêtons, nous l’emportons presqu’évanoui dans la voiture qui nous rend bientôt à Stockholm ; le malheureux fut un mois entre la vie et la mort ; au bout de ce tems, il nous pria de l’accompagner chez le roi, qui nous fit rendre compte de tout ce qui s’était passé. Oxtiern, dit Gustave au sénateur, vous voyez comme le crime humilie l’homme, et comme il le rabaisse, votre rang… votre fortune… votre naissance, tout vous plaçait au-dessus de Sanders, et ses vertus l’élèvent où vous n’atteindrez jamais. Jouissez des faveurs qu’il vous a fait rendre, Oxtiern, j’y ai consenti certain après une telle leçon, ou que vous vous punirez vous-même avant que je ne sache vos nouveaux crimes, ou que vous ne vous rendrez plus assez vil pour en commettre encore ; le comte se jette aux pieds de son souverain, et lui fait le serment d’une conduite irréprochable.

Il a tenu parole : mille actions plus généreuses et plus belles les unes que les autres ont réparé ses erreurs, aux yeux de toute la Suède ; et son exemple a prouvé à cette sage nation, que ce n’est pas toujours par les voies tyranniques, et par d’affreuses vengeances que l’on peut ramener et contenir les hommes. Sanders était retourné à Nordkoping, il y acheva sa carrière dans la solitude, donnant chaque jour des larmes à la malheureuse fille qu’il avait adorée, et ne se consolant de sa perte, que par les éloges qu’il entendait journellement faire de celui dont il avait brisé les chaînes.

Ô vertu ! s’écriait-il quelquefois, peut-être que l’accomplissement, de toutes ces choses était nécessaire pour ramener Oxtiern à ton temple ; si cela est, je me console, les crimes de cet homme n’auront affligé que moi, ses bienfaits seront pour les autres.


Fin du tome troisième.

  1. Gustave Vasa, ayant vu que le clergé romain naturellement despote et séditieux, empiétait sur l’autorité royale, et ruinait le peuple par ses vexations ordinaires, quand on ne le morigène pas, introduisit le luthérianisme en Suède, après avoir fait rendre au peuple les biens immenses que lui avaient dérobés les prêtres.
  2. Il est bon de se rappeller ici, que dans cette révolution le roi était du parti populaire, et que les sénateurs étaient contre le peuple et le roi.
  3. Il est essentiel de prévenir que toutes les lettres se prononcent dans les noms du Nord, que l’on ne dit point négligemment Herman, Sander, Scholt, mais qu’il faut dire comme s’il y avait Hermane, Sander-ce, Scholt-ce, etc.
  4. Nordkoping est une ville absolument de commerce, où par conséquent une femme comme madame Scholtz à la tête d’une des plus riches maisons de la Suède, devait tenir le premier rang.
  5. Le ducat en Suède, vaut quelques sols de moins que notre gros écu.