Les députés de la région des Trois-Rivières (1841-1867)/VIGER, Denis-Benjamin

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XVII

L’Hon. Denis-Benj. Viger


(1774 – 1861)




La famille Viger est originaire de la paroisse Saint-Sauveur de Rouen. Le premier de ce nom qui s’établit au Canada se prénommait Désiré. Il était le fils de Nicolas Viger et de Robine Fessart. Désiré épousa, à Montréal, le 19 mars 1667, Catherine, fille de Jacques Moitié et de Françoise Langevin, de Sainte-Marguerite, évêché de La Rochelle. Il mourut le 6 mars 1688 et sa veuve se remaria, à Boucherville, le 22 novembre 1688, avec Jean Poirier. Elle décéda en cet endroit le 21 octobre 1727. Désiré laissait quatre fils et cinq filles.

Denis-Benjamin Viger était l’arrière-petit-fils de Désiré.

Fils de Denis Viger et de Charlotte Périnne Cherrier, il naquit à Montréal le 19 août 1774. Il était cousin germain de Jacques Viger, premier maire de Montréal. Il épousa, en cette ville, le 21 novembre 1808, Marie-Amable, fille de Pierre Foretier, riche marchand de Montréal, et de Thérèse Legrand.

Après avoir fait ses classes au collège de Montréal, il commença l’étude du droit sous l’honorable Louis-Charles Foucher et la termina chez M. Jean-Antoine Panet, de Québec. Il fut admis au barreau le 9 mars 1799.

M. Viger fut député de Montréal-Ouest à l’Assemblée législative, du 18 juin 1808 au 1er  mars 1810 ; du comté de Leinster, du 21 avril suivant au 29 février 1816 ; du comté de Kent, du 25 avril suivant au 6 avril 1830, lorsqu’il fut appelé par sir James Kempt à faire partie du Conseil législatif en vertu d’un mandamus du 30 novembre précédent.

M. Viger accompagna Louis-Joseph Papineau dans sa mission de 1828 en Angleterre afin de soumettre aux ministres anglais les vues de l’Assemblée législative. Il fut de nouveau délégué à Londres en 1831 pour les mêmes motifs. C’est au cours de ce voyage qu’il retint les services du jeune François-Xavier Garneau et en fit son secrétaire.

M. Viger avait été très actif à l’Assemblée et avait constamment appuyé son cousin Louis-Joseph Papineau dans sa politique de revendication des droits de ses compatriotes. Il continua de soutenir cette politique au Conseil tout en sauvegardant les droits et privilèges de la Chambre haute. Il s’opposa, dès la session de 1831 à certaines résolutions de cette chambre qui semblaient vouloir accorder des privilèges spéciaux au Conseil au détriment de l’Assemblée.

Après son retour d’Angleterre et jusqu’à la suspension de la législature, M. Viger exprima en maintes occasions son dissentiment aux actes et aux opinions de ce corps et continua de soutenir les prétentions populaires. Il se prononça aussi contre l’établissement de bureaux d’enregistrement qu’il regardait comme non nécessaires. Il maintint aussi avec fermeté le droit de la législature de voter comme bon lui semblerait l’argent nécessaire à l’administration de la province et s’opposa aux prétentions du gouverneur qui voulait se faire rembourser l’argent emprunté au coffre militaire et dépensé sans l’assentiment des Chambres.

M. Viger siégea à la Chambre haute jusqu’au 27 mars 1838.

Durant ses trente premières années de vie politique, M. Viger fut l’un des hommes marquants du parti populaire. Après le départ de Papineau de la province, il devint l’un des leaders, avec MM. La Fontaine et Morin.

Sous l’Union, M. Viger fut élu, le 8 avril 1841, dans le comté de Richelieu, qu’il représenta jusqu’à la fin de ce parlement. Le 12 décembre 1843, il acceptait de former un ministère avec M. W.-H. Draper, chef des tories du Haut-Canada, et il devint président du Conseil exécutif. M. Viger occupa ce poste jusqu’au 17 juin 1846, lorsque le ministère donna sa démission. Il avait été élu, le 14 juillet 1845, dans la ville des Trois-Rivières et il conserva ce mandat jusqu’au 6 décembre 1847. Le 17 février suivant, M. Viger était nommé membre du Conseil législatif et il en fit partie jusqu’au 17 mars 1858 lorsqu’il se retira de la vie publique, après cinquante ans de services méritoires. Il mourut à Montréal, le 13 février 1861, âgé de quatre-vingt-six ans.

M. Viger avait servi sous les drapeaux pendant la guerre de 1812, en qualité de capitaine au troisième bataillon de milice de la ville et banlieue de Montréal. Il fut aussi l’un des membres de la Cour Spéciale des Sessions de la Paix, qui administra les affaires municipales de Montréal, de 1836 à 1840, après l’expiration de la première charte qui n’avait pas été renouvelée.

M. Viger avait été emprisonné en 1838 et retenu dix-neuf mois en captivité, comme étant l’un des chefs du mouvement insurrectionnel. Il fut vertement critiqué lors de son alliance avec M. Draper, en 1843, mais nul n’osa lui imputer des motifs deshonnêtes. Il publia à Kingston, en 1844, une brochure intitulée : « La Crise Ministérielle », dans laquelle il expliquait les motifs qui l’avaient induit à agir apparemment en contravention des idées de ses compatriotes, mais ceux-ci, oubliant son long dévouement à la cause populaire, lui gardèrent rancune ; on était alors au plus fort de la crise provoquée par la conduite inconstitutionnelle de sir Charles Metcalfe.

M. Viger a laissé plusieurs ouvrages, dont M. H.-J. Morgan donne la liste dans « Bibliotheca Canadensis ».

Voici ce que disait M. Benjamin Sulte dans son Histoire des Canadiens français, vol. VIII, p. 74 :

« Denis-Benjamin Viger, orateur, avocat, publiciste, homme politique, né à Montréal le 19 août 1774, a fourni une carrière active et utile, faisant honneur au nom canadien dont il était fier. Il étudia au collège Saint-Raphaël de Montréal et dès 1792 commença à répandre des essais de sa plume qui le firent remarquer. Élu par la ville de Montréal, en 1808, il arriva en Chambre avec son cousin, Louis-Joseph Papineau, tous deux armés contre les mesures arbitraires du gouverneur Craig. En 1809, il publia une brochure invoquant la conservation des mœurs, institutions, etc., des Canadiens-Français, dans l’intérêt de la Grande-Bretagne. On le menaça de la prison. Sa science et son patriotisme se révèlent par la lecture des journaux du temps, c’est-à-dire de 1800 à peu près jusqu’à 1838, époque où il collabora aux publications les plus en vogue et toujours dans nos intérêts nationaux. Délégué deux fois en Angleterre pour y conférer avec les ministres et obtenir des adoucissements au régime que l’on nous imposait, il remplit ces missions avec courage et dignité sans s’attirer le moindre reproche. Le 4 novembre 1838 il fut emprisonné et resta dix-neuf mois sous les verrous. Son rôle politique, en 1844, alors qu’étant premier ministre, il consentit à ce que le gouverneur nommât aux emplois, lui valut la perte de presque toute sa popularité, aussi eut-il la prudence de s’effacer, à un âge où il lui était permis de prendre du repos. Il n’en reste pas moins l’une des grandes figures de nos luttes politiques et l’un des hommes les plus respectés de nos compatriotes ».

Voici, en partie, la belle appréciation de ce grand patriote, que fit M. Joseph Royal, en 1861.

« Le Bas-Canada a perdu en l’honorable Denis-Benjamin Viger l’un de ses plus grands citoyens.

C’était l’un des derniers chefs survivants de cette glorieuse phalange de patriotes, qui ont rempli du bruit de leurs paroles et de leurs actes, plus d’un demi siècle de notre histoire. Sa vie, comme celle des Bédard, des Panet et des Papineau, se trouve liée à ces luttes héroïques, où l’existence de la nationalité canadienne fut tant de fois mise en jeu, et fut autant de fois sauvée par ces nobles soutiens de la liberté.

L’écrire serait une belle tâche.

Ces grandes figures de la patrie nous semblent mal à l’aise dans le cadre forcément rétréci d’une histoire générale ; elles demandent plus de lumière, plus d’exposition pour ressortir dans toute leur gloire.

On comprendra dès lors que ce n’est pas le but que nous nous proposons ici. En attendant que ce pieux devoir s’accomplisse, nous voulons mêler quelques fleurs à la couronne civique, que la nation en deuil dépose sur cette illustre tombe ; nous voulons esquisser à grands traits le profil de cette belle vie, où la Providence nous a permis de tant admirer et de tant apprendre ».

Fils d’une mère pieuse, neveu de Messire Cherrier, curé de Saint-Denis, Grand-Vicaire et prêtre de beaucoup d’esprit, qui fréquentait assidûment sa famille ; ayant pour père un homme d’un caractère franc, sérieux et entreprenant ; parent de la célèbre famille Papineau, le jeune Denis-Benjamin ne pouvait manquer de puiser dans ce commerce distingué une foi vive, des principes d’honnêteté proverbiale, et une vieille politesse qui a fait dire de lui qu’il était l’un des derniers types du gentilhomme français ».

Parlant du premier ouvrage de M. Viger : « Considérations, sur les effets produits en Canada, la conservation des établissements du pays, les mœurs, l’éducation, etc., de ses habitants ; et les conséquences qu’entraînerait leur décadence par rapport aux intérêts de la Grande-Bretagne », paru à Montréal en 1809, M. Royal dit que :

« C’était le premier ouvrage de cette liste nombreuse de brochures, de mémoires, d’articles de journaux qui font de M. D.-B. Viger le père de la presse canadienne et l’un de nos premiers publicistes, sinon le premier, par la pensée, la logique, l’érudition, la bonne foi et la modération de sa plume.

Il ne sera pas hors de propos de tracer ici quelques lignes du caractère politique de M. D.-B. Viger.

C’est l’histoire de l’Irlande et de la Révolution Française qui m’ont fait politique », nous disait-il un jour. Toute sa vie publique se trouve dans ces simples paroles et dans cette autre belle vérité sociale qu’il aimait à répéter souvent : — « La vérité ne meurt point ; tôt ou tard elle est entendue des hommes, et son prix est indépendant de l’opinion ». Cette pensée profonde termine sa brochure de 1809.

L’histoire lui apprenait tout ce que peut l’égoïsme de l’homme servi par le succès ; mais en même temps il sut distinguer les époques de réaction, et apprécier à sa juste durée le rôle éphémère et violent des passions humaines. À côté de l’histoire des faits il démêla et suivit l’histoire des idées ; la puissance féconde de celle-ci ne lui échappa nullement. Dans la noble lutte qu’il soutint il comprit que les ennemis du nom canadien nous laissaient encore trop libres pour nous anéantir sans résistance. Le peuple faisait son devoir ; M. Viger se dit que ce qui fait la force d’une nation, c’est la connaissance qu’elle a de ses droits et la liberté qui lui est laissée dans l’accomplissement de ses devoirs civils et politiques.

Admirateur éclairé de la constitution anglaise, il ne fit jamais la guerre à l’homme mais aux abus ; fort des droits qu’elle nous accordait, il lui demandait les armes dont il se servit pour battre en brèche le machiavélisme de certaines coteries puissantes. C’est au nom de la constitution qu’il a toujours et partout réclamé justice pour le peuple canadien…

Il s’éleva avec force en Chambre contre le système au moyen duquel les shérifs ne tiraient des jurés que des villes et mettaient par là même la vie et l’honneur de la masse du peuple à la merci de quelques individus.

C’est en 1826 que parut l’analyse d’un entretien sur la conservation des établissent du Bas-Canada. Par un canadien, dans une lettre à un de ses amis. M. Maxîmilien Bibaud range à juste titre cette magnifique épitre sur la nationalité canadienne parmi les écrits les plus remarquables de M. Viger.

Ce caractère de modération et de force qui caractérise les œuvres de M. Viger ne l’abandonna jamais à la tribune et dans les assemblées populaires, comme dans ses luttes les plus vives avec les administrations qui voulurent nous opprimer. Aussi, se fit-il souvent des amis au sein même du parti qu’il combattait avec le plus d’énergie ; nous connaissons des traits qui prouvent ce que nous disons en ce moment, et que l’histoire recueillera plus tard avec bonheur ; nous pouvons ajouter, que M. Viger fut honoré de l’estime de plusieurs gouverneurs et administrateurs.

Voici quel souvenir M. A. de Puibusque a emporté de M. D-B. Viger, dit M. Royal.

La vénération publique entoure encore dans le Conseil législatif le doyen des orateurs franco-canadiens, M. Denis-Benjamin Viger, noble vieillard, plein de verdeur, d’activité, de patience, initié avant tout autre à la science des précédents constitutionnels et à la pratique des formes parlementaires, il n’a jamais oublié pendant sa longue carrière, que le meilleur des enseignements est celui de l’exemple. Les débats des plus mauvais jours l’ont trouvé calme au fort de la tempête, et toujours poli en face de l’invective… Au fond même des cachots, il a su conserver l’urbanité de son caractère et l’inaltérable sérénité de son âme ».

Et l’honorable M. Royal poursuit :

« Viger gagna sa cause contre le Procureur général Stuart qui fit une défense d’un volume in-folio qu’il fallut réfuter ligne par ligne. Stuart fut destitué.

« Dans cette seconde mission le travail et le zèle qu’apporta Viger à défendre la cause dont il était chargé, les observations nombreuses qu’il soumit au bureau Colonial sur l’état de la Province, sont plus que suffisantes pour lui mériter cet hommage que l’avenir ne refuse jamais aux grands citoyens d’un pays.

« C’est pendant la courte durée de son administration qu’eut lieu le rappel des exilés Canadiens, que se fit la distribution des terres aux miliciens, que l’usage de la langue française fut rétabli dans les procédés de la Législature et qu’eut lieu l’abrogation de la liste civile votée par le parlement anglais.

« En 1844, parut le dernier ouvrage de M. Viger : La Crise ministérielle. Nous y trouvons défini le gouvernement responsable tel qu’on l’a toujours entendu depuis. La même modération et la même force de logique s’y font autant remarquer que dans ses écrits antérieurs.

« Il parut pour la dernière fois en public à la grande démonstration qui fut faite à S. E. le Nonce Bedini, dans la Cour du Collège de Montréal. Le discours qu’il adressa en cette circonstance au représentant du Saint-Père fut admirable de délicatesse et de dévouement. On a dit que c’était le chant du cygne.

« Viger n’eut qu’une petite fille morte à l’âge de huit mois. Mme  Viger, après avoir été la principale fondatrice de l’établissement du Bon-Pasteur et la mère des pauvres de cette ville, succomba aux atteintes du choléra, le 22 juillet 1854…

« Son portrait fait par M. Hamel est au salon de l’évêché de Montréal. Sa tête a conservé tous ses cheveux ; ils sont d’une grande blancheur ; son front est noble et révèle une belle intelligence ; toute sa figure respire une grande distinction, et ce calme, cette bonté, qui le rendaient d’un accès si facile à tous.

« Le jour de ses funérailles, les trois divisions de la Cour supérieure à Montréal se sont ajournées et ont donné ce témoignage de respect à la mémoire de M. Viger. L’illustre défunt était à la fois le doyen du Barreau et de la presse du Bas-Canada ».

M. Viger avait reçu le degré de LL. D. du St. John’s College, New-York.

M. Côme-Séraphin Cherrier, l’un des meilleurs avocat de Montréal, qui refusa le poste de juge en chef du Bas-Canada, était le cousin germain de M. Viger et il hérita de lui une belle fortune, composée en partie de terrains sis dans la partie est de Montréal. M. Cherrier sut se servir noblement de cet héritage et fit de nombreux et magnifiques cadeaux aux institutions de charité, à l’évêque de Montréal et à l’université de Montréal. M. Cherrier fut fait commandeur de l’Ordre de Saint-Grégoire.