Les heures de Paphos, contes moraux/05

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(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-28).
La Messe de quatre heures
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-28
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-28

La Messe de quatre heures.



Dans une Ville de Berri,
Qu’il ne faut pas nommer ici ;
Dix Prêtres forment un Chapitre,
Qu’on devrait à plus juste titre,
Nommer le Temple des Ribauds.
Chacun a dans son Presbitére
Jeune et gentille ménagère ;
Petits appartement bien chauds ;
Bibliotheque delabrée,
Mais Cave bonne et bien meublée,
Salon simple et voluptueux,
Lit plus mollet que somptueux,
Joli jardin, bonne cuisine :
Quelques uns ont leur cousine,
Ou leur niece, au moins de renom,
Qui régit toute la maison,
Et qui par esprit de ménage,
Pour épargner le blanchissage,
Avec l’Oncle ne fait qu’un Lit.
Toûjours même train, nous ennuie.
Pour égayer un peu la vie,
Un de ces lurons (vrai bandit.)
Se mit un soir en fantaisie
De se masquer, d’aller au bal ;
C’était au tems du Carnaval ;
Tems, où le plus sage s’oublie.
Il en fait part à Jeanneton ;
— Mais, Monsieur, le Qu’en dira ton

Le peuple à la langue mechante…
— Je le veux, allons, tes habits,
Et ce vieux masque, que jadis
Une docile penitente
Pour avoir l’absolution
Remit à ma discrétion.
— Mais l’idée est extravagante :
Quoi ! vous voulés vous déguiser ?
Ah ! vous allés vous épuiser !
Et puis après… non, sois tranquille,
Obéis. Jeanneton docile,
Dans son plus bel ajustement
L’accoutre assés coquettement
L’Oing du Seigneur est en Cornette,
En pet en l’air, en collerette,
En cotillon de beau bazin,
En fine mule de satin.
Moi, je vaix mettre la callotte,
Dit Jeannette, pour plaisanter
En homme je veux m’ajuster.
Ça, donnés moi vôtre culotte
Ah ! volontiers, tiens, la voila.
Prend ma soutane, mon rabat.
Bref, l’Abbé devint gouvernante ;
Et Jeannette devint abbé.
De l’habit la vertu puissante
Agit : et sur le canapé
La fille fit l’homme à merveille ;
Et le Prêtre baissant l’oreille,
Conservant la docilité

Qu’il avait étant chambriere
Tant par devant que par derriere.
Fût à quatre fois enfilé ;
Puis aussitot d’un pas agile
Le Chanoine encotilloné
Part, et se présente masqué
Dans une maison de la Ville,
Où gaillarde societé
Pour danser était assemblée.
L’ame de plaisirs enivrée
Oublie aisément son devoir :
Aussi sans s’en appercevoir
La nuit fut bientôt écoulée
Vers les quatre heures du matin,
Le trop vigilant Sacristain,
Sonne à L’ordinaire une messe,
Dont le Chanoine est chapelain.
La Contre-danse était entrain,
On la finit, mais le tems presse ;
Deja l’on n’entend plus sonner ;
Il se sauve, et pour ne donner
Aux dévots nulle impatience ;
Dans sa maison en diligence
De chaussure il vient changer.
Quitte seulement sa cornette,
Sur ses jupons met sa jaquette,
Vient à l’eglise tout courant,
S’habille, et devotement,
Offre le très saint sacrifice…
Par accident, où par malice

Le Polisson qui le servait,
Portant un regard indiscret
Dessous les ornements du Prêtre,
S’apperçoit du deshabillé.
Il le montre à son camarade…
Pour quelque légère incartade
Notre Abbé l’avait étrillé,
Deux jours avant, le petit traître
Saisit au crin l’occasion.
Dans sa poche il mit la clochette,
Et lors qu’à l’élevation
Il fallut tinter la sonnette,
On n’entend point drelin, drelin.
Veux tu sonner, petit gredin,
Lui dit le Chanoine en colere.
Non — j’irai me plaindre à ta mere :…
C’était l’instant où d’ordinaire
On souléve les ornements :
Tenés, regardés, braves gens,
De Monsieur voyés l’imposture ;
Dit nôtre espiegle aux assistans,
Le troussant jusqu’à la ceinture.
Faut-il pas être bien mechant ;
La clochette il veut que je tinte ;
Et veut à maman porter plainte ;
Tandis qu’il a pris le battant.