Les Récentes Explorations des naturalistes en Chine/01

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LES


RÉCENTES EXPLORATIONS


DE LA CHINE




I.[modifier]

Après la découverte de l’Amérique, du cap de Bonne-Espérance, de la route des Indes, les peuples de la vieille Europe songèrent tout de suite à s’approprier les richesses des pays lointains et à donner un grand essor au commerce. L’esprit humain devait profiter du mouvement occasionné par l’amour du lucre. On visita les parties du monde les plus favorisées de la nature : pour les voyageurs, c’était partout sujet de surprise ou d’admiration. Des végétaux propres à certaines régions étaient remarqués pour les produits qu’ils fournissent ; sous les tropiques, des plantes et des animaux frappaient les regards par des proportions extraordinaires, par des beautés étranges, par des formes singulières aux yeux des hommes nés sous d’autres climats. Plantes et animaux, apportés en Europe à titre de curiosités et devenus l’objet de descriptions ou de représentations plus ou moins fidèles, inspirèrent le goût de l’étude du monde physique. Au milieu des jardins de plusieurs grandes villes, des arbres ou des fleurs apprenaient que chaque contrée se distingue par le caractère de la végétation. C’était l’origine de notions toutes nouvelles ; on commençait à prendre une idée de l’extrême diversité des êtres, à juger des pays par les productions naturelles qui en sont l’ornement, et qui en font la richesse. Au xvie et au xviie siècle, la botanique et la zoologie étaient des sciences bien imparfaitement constituées ; mais déjà la pensée de recueillir et d’observer les espèces végétales et animales donnant à toute région une physionomie particulière préoccupait quelques esprits éclairés. Des voyages scientifiques s’accomplirent, et bientôt on eut entre les mains des moyens de comparaison du plus haut intérêt. Le jour où l’histoire naturelle s’est trouvée en possession de méthodes rigoureuses, il a été plus facile d’entrevoir ce que l’exploration des différentes parties du monde pourrait procurer de connaissances précieuses pour des peuples civilisés. Avec l’accroissement du savoir, l’importance des découvertes étant mieux comprise, la tentation de traverser les mers, afin d’étudier la nature sur les terres lointaines, s’empara souvent des hommes instruits. Les résultats obtenus par les investigateurs furent considérables, et, dès le début de notre siècle, il était possible de mettre dans une saisissante opposition les principaux caractères de la flore et de la faune de beaucoup de régions du globe.

À ce moment même, un souffle puissant animait l’esprit de recherche. On méditait chaque jour davantage sur la distribution géographique des plantes et des animaux. Alexandre de Humboldt parcourait l’Amérique, et observait sur les montagnes les zones que dessinent les espèces végétales. Le célèbre voyageur, s’appliquant à reconnaître les lois des climats, à rapporter à des moyennes les températures des divers lieux, traçait les lignes qui expriment l’égalité dans la somme de chaleur, ce qu’on appelle les lignes isothermes. La relation entre le climat et l’existence d’une infinité de végétaux, d’un grand nombre d’animaux, étant plus ou moins manifeste, on avait désormais un nouvel élément pour apprécier les particularités de la distribution de la vie à la surface du globe. Plus la science a grandi, plus les efforts ont été considérables pour sortir de l’ignorance à l’égard des pays qui restaient inexplorés. Maintenant la géographie, comme on l’entendait autrefois, a bien peu de valeur. Si l’attention se porte sur une contrée, il s’agit non pas seulement de considérer la place qu’elle occupe dans le monde, d’apprendre le chiffre de la population des villes, mais de voir la région sous tous les aspects. Les résultats acquis par les investigations modernes sont vraiment admirables : en jetant les yeux sur une carte, l’homme quelque peu familiarisé avec les études scientifiques peut, dans la plupart des circonstances, se former l’image exacte de la physionomie d’une contrée. En rapprochant des notions encore trop souvent éparses, il aura l’impression juste du climat, il verra les détails de la configuration du sol, les diverses sortes de végétaux couvrant la terre, disséminées ou réunies en masses épaisses sur de grands espaces, les insectes grimpant sur les plantes ou voltigeant sur les fleurs, les oiseaux animant le paysage, les mammifères errant au milieu des forêts ou courant à travers la campagne, les poissons s’agitant dans les eaux. Posséder ainsi le tableau de toutes les parties du monde avec les caractères physiques et les multiples manifestations de la vie, c’est avoir la faculté d’apprécier les ressources et les conditions d’existence des peuples, comme le moyen de s’élever aux comparaisons les plus instructives pour l’histoire de l’humanité et pour la philosophie ; mais le tableau n’est pas encore achevé, et, jusque dans ces dernières années, une immense région de l’Asie était restée presque entièrement inconnue sous le rapport des productions naturelles. Pour les savans, de même que pour le vulgaire, la Chine était restée le pays du thé, des mûriers, du ver à soie, du faisan doré, et l’horizon ne s’étendait pas beaucoup plus loin. Les plantes et les animaux, choisis parmi les plus communs ou les plus brillans et répandus depuis longtemps en Europe par les voyageurs qui se rendent à Canton, provenant d’une seule province méridionale, toute lumière avait disparu quand nous portions le regard vers le nord ou vers l’intérieur du vaste empire.

Autrefois les missionnaires de la célèbre compagnie de Jésus, parfaitement accueillis en Chine, avaient habité la capitale et parcouru les provinces ; pourtant c’est à peine s’ils ont fait quelques remarques sur la nature des contrées où ils ont séjourné. Les jésuites les plus instruits, attirés à la cour, installés dans le palais impérial, chargés de dresser des cartes ou d’exécuter quelque travail relatif à l’astronomie, songeaient avant tout à gagner la faveur du souverain et à connaître la nation qu’ils voulaient convertir à la foi chrétienne. Ils ont appris à l’Europe une infinité de détails sur l’état de la civilisation, sur la forme du gouvernement, sur les coutumes et l’industrie des Chinois ; mais ils ont négligé d’étudier le pays sur lequel vit le peuple dont ils ont vanté le caractère et les mœurs au-delà de toute expression. Lui-même, l’auteur de l’intéressante Description de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, le père Du Halde, se contente de nous renseigner sur l’agriculture et sur certaines pratiques industrielles des Chinois.

À la suite de désordres survenus dans la province de Fou-Kien en 1723, les missionnaires, à l’exception de ceux qui résidaient à Pékin, reçurent l’ordre de se retirer à Macao ; la défiance était alors au comble envers les étrangers, et la Chine, rendue inaccessible dans le temps où se multiplièrent les voyages d’exploration, devait jusqu’à nos jours demeurer une terre presque inconnue pour l’Europe.

Les premiers renseignemens exacts sur la végétation et sur les animaux de la province de Quang-Tong nous sont parvenus au milieu du siècle dernier. Un navire de la compagnie suédoise des Indes orientales arriva en 1751 à Canton, et, par une heureuse circonstance, se trouvait sur ce navire un chapelain, Peter Osbeck, qui était un élève de Linné. Osbeck parcourut les environs de la fameuse ville de commerce en véritable observateur, et il put apprendre que sur ce coin de terre les productions naturelles, offrant une assez grande ressemblance avec celles du nord de l’Inde, ont cependant une physionomie particulière. Un peu plus tard, notre voyageur Sonnerat visita également la ville de Canton ; il recueillit quelques plantes et plusieurs oiseaux, mais il considéra surtout les hommes. Ce naturaliste a combattu avec une ardeur extrême les idées propagées par les jésuites touchant la sagesse et les vertus des Chinois, et il a voulu prouver que le peuple du céleste empire est également méprisable par le caractère et par l’ignorance. Maintenant une longue période s’écoulera avant que la Chine puisse être le théâtre d’études sérieuses.

La guerre soutenue par les Anglais pour le commerce de l’opium eut l’avantage de procurer aux Européens le droit de s’établir sur plusieurs points du littoral de la Chine et la possibilité d’entreprendre des excursions dans l’intérieur du pays. Des investigateurs ne manquèrent pas de profiter au plus vite d’une aussi favorable occasion pour faire des découvertes, et bientôt on acquit certaines notions sur la nature dans les parties du nord, principalement aux alentours de Shang-Haï.

Un intéressant contraste se produisait aux yeux du botaniste et du zoologiste. On était familiarisé avec les productions du territoire de Canton, qui portent le cachet d’un climat des tropiques ; on était inévitablement conduit à comparer les espèces végétales et animales rencontrées dans les campagnes de Wou-Sung et de Shang-Haï sous le 31e degré de latitude boréale, qui dénotent l’influence d’un climat tempéré, même un peu froid. M. Robert Fortune, commissionné par la Société d’horticulture de Londres, a la première part dans l’exploration scientifique des provinces du nord-est de la Chine. De 1843 à 1845 et de 1853 à 1856, il a vraiment étudié le pays. Les recherches de plusieurs autres voyageurs ont appris de nouveaux détails, et la connaissance réelle d’une certaine portion du vaste empire asiatique s’est trouvée acquise ; mais on n’avait encore visité que des districts plus ou moins voisins de la côte, et les résultats obtenus faisaient désirer d’autant plus de voir l’œuvre commencée se poursuivre dans les provinces centrales et vers les frontières de cette terre de Chine si rebelle aux investigations de la science. On ne devait plus longtemps attendre la réalisation d’un pareil vœu. En 1860, l’expédition franco-anglaise avait traversé la province de Pe-tche-li et s’était rendue à Pékin. M. Swinhoe, attaché au service consulaire de la Grande-Bretagne, déjà connu par des écrits sur les oiseaux de Canton, de Macao, de Hong-Kong et d’Amoy, accompagnait l’armée anglaise. Ce naturaliste s’empressa de mettre les circonstances à profit pour recueillir des observations sur les animaux de la contrée envahie. Depuis cette époque, M. Swinhoe a beaucoup voyagé dans l’intérieur de la Chine, et, partout où il a été, il s’est appliqué avec succès à l’étude de la faune. D’autre part, un investigateur plein de sagacité et de résolution ayant accepté la tâche d’explorer le fameux empire sous le rapport de l’histoire naturelle, et ayant admirablement réussi dans l’entreprise, nous avons vu cesser un état d’ignorance des plus regrettables.


II.[modifier]

En 1861, le père Armand David, de la congrégation des lazaristes, partait pour la Chine avec la pensée de servir Dieu et la science. Le digne missionnaire avait autrefois enseigné l’histoire naturelle dans la petite ville de Savone ; profondément versé dans la botanique et dans la zoologie, il devait pour de longues années, sans jamais craindre ou le péril ou la fatigue, se consacrer entièrement à des recherches dont le résultat a dépassé les espérances qu’on pouvait concevoir des efforts d’un seul homme. « Quand je suis venu en Chine, écrivait un jour l’abbé David, ma grande ambition était de partager les rudes et méritoires travaux des missionnaires qui depuis trois siècles essaient de gagner à la civilisation chrétienne les immenses populations, de l’extrême Orient ; mais, ajoutait-il, toutes les sciences qui ont pour objet les œuvres de la création tendent à la gloire de leur auteur ; elles sont louables en elles-mêmes et saintes par le but… » C’est sous l’impression de ce noble sentiment que le religieux est devenu l’intelligent scrutateur de la nature ; par une faveur dont on ne saurait trop remercier les supérieurs de la congrégation des lazaristes, le père Armand David, à raison des services qu’il rendait à la science, avait été dispensé de l’œuvre de la propagation de la foi.

Tout semblait attirer l’intérêt sur la province de Pe-tche-li, et en particulier sur le territoire où s’élève la ville de Pékin. Si rien dans les récits des voyageurs n’autorisait à compter le pays au nombre des plus beaux, la situation géographique de la contrée laissait pressentir des particularités curieuses dans la flore et dans la faune. On se rappelait les études des savans russes dans la Tartane sur les rives du fleuve Amour, comme dans une partie de la Mongolie, et l’on songeait à la possibilité de comparaisons instructives. L’abbé David, s’étant rendu tout d’abord dans la capitale de l’empire de la Chine, fit de nombreuses excursions aux alentours pendant plusieurs années ; d’après les notes qu’il a transmises et d’après les collections qu’il a formées, on peut aujourd’hui tracer fidèlement le tableau d’une région dont les divers aspects n’ont point encore été décrits.

Comme l’apprennent les cartes et les dictionnaires de géographie, Pékin se trouve par le 40e degré de latitude septentrionale (39° 54′ 13″). C’est à peu près la latitude de Smyrne, de Naples, de Cagliari, de Valence en Espagne, de Lisbonne ; mais le climat des plaines du Pe-tche-li est tout différent de celui de l’Europe méridionale. Durant quatre ou cinq mois de l’année, la terre reste gelée, et il n’est pas rare de voir le thermomètre descendre à 18 ou 20 degrés au-dessous de zéro, Comme l’air est ordinairement calme, on ne souffre pas autant du froid qu’on pourrait le croire en France ; il neige peu, et le ciel demeure pur presque tant l’hiver. Le printemps et l’automne sont de belles saisons dont les limites offrent une fixité inconnue en Occident. Parfois néanmoins il y a dans le mois d’avril de terribles ouragans, des orages de poussière, comme on appelle dans le pays ces tempêtes redoutables. Le père A. David a été témoin d’une tourmente de ce genre : pendant deux ou trois jours, le soleil fut complètement obscurci par la poussière, surtout du côté de Tien-tsing et de Takou, et cette poussière, poussée par un vent impétueux, alla si loin en mer qu’un navire à vapeur se trouva dans la nécessité de suspendre sa marche plus de vingt-quatre heures. L’été est très chaud dans les plaines du Pe-tche-li ; le thermomètre monte souvent jusqu’à 40°. Les pluies ne sont pas fréquentes ; elles ne viennent en général que vers la fin de l’été, à la suite d’orages, et ne suffisent pas d’ordinaire aux besoins de l’agriculture. Autrefois, assurent des livres chinois et rapportent également des missionnaires dans les Lettres édifiantes, il pleuvait beaucoup dans le nord de la Chine, et le peuple vivait dans la crainte des inondations. Si l’on en croit la tradition, le pays était très boisé, quand sur l’ordre d’un empereur on abattit toutes les forêts ; aussitôt un grand changement s’opéra dans le climat. Aujourd’hui la sécheresse très persistante n’est interrompue en été que par quelques orages, et la régularité des saisons est proverbiale à Pékin. On dit que le vent souffle du nord en hiver, de l’est au printemps, du sud en été et de l’ouest en automne. Les grands froids commencent presque sans transition en novembre, mais les fleuves et la mer ne sont pris par les glaces qu’en décembre, et le dégel arrive en mars.

Tout est triste et monotone aux environs de Pékin : c’est la plaine immense sans horizon, le terrain uni et découvert. Nulle part on aperçoit une haie, une broussaille, un bois ; on ne découvre des arbres qu’au milieu des habitations et autour des tombeaux. Les villes, les villages, les hameaux, répandus à profusion dans la plaine, n’égaient nullement le paysage. Ce sont des groupes irréguliers de maisons basses n’ayant qu’un rez-de-chaussée et ordinairement construites avec de la boue mêlée d’un peu de paille ; en Europe, on les appellerait des cabanes. Le sol, sans ondulations, un peu sablonneux, résulte des alluvions déposées par les rivières qui en se réunissant forment le Peï-ho. Ces alluvions menacent de combler le golfe de Pe-tche-li, comme elles ont déjà envahi une portion du littoral. On a des preuves qu’il y eut un temps où la mer venait à Tien-tsing, situé aujourd’hui à la distance d’une douzaine de lieues de la côte ; le fait est attesté par les vieux livres des Chinois, et la certitude en est fournie par les coquilles marines qui se trouvent dans cette localité, et que le père Armand David a rencontrées beaucoup plus loin encore dans l’intérieur des terres. Un phénomène bien souvent décrit par les voyageurs qui ont traversé les déserts d’Afrique, le mirage, est fréquent dans les campagnes du Pe-tche-li en hiver et au printemps, surtout vers le milieu du jour. En tournant les yeux vers le soleil, on croit apercevoir près de la ligne où le ciel se sépare de la terre une multitude de lacs sur lesquels se reflètent tremblotantes les cimes des arbres et les maisons des villages ; on s’imagine même qu’on distingue le mouvement d’une eau limpide s’écoulant dans des fleuves. À l’approche du voyageur, la scène change d’aspect, et bientôt le magnifique spectacle s’évanouit entièrement : c’est un effet d’optique dont la cause a été mille fois expliquée.

Le pays entre Tien-tsing et Pékin est généralement bien cultivé, et partout on ne voit que champs de sorgho, de maïs, de millet, de fèves, de courges. Tout près de Tien-tsing s’étend une grande plaine verdoyante ; mais, entre cette ville et Takou, au bord de la mer, le terrain sans culture, parsemé de marais et d’étangs où croissent des joncs, n’offre qu’une très pauvre végétation. Néanmoins des lièvres et des oiseaux aquatiques se montrent en assez grande abondance dans la contrée. Sur les rives du Peï-ho seulement, des monticules de sable rompent quelque peu l’uniformité du terrain, qui s’élève d’une manière insensible depuis Takou jusqu’à Pékin. C’est à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de la grande capitale qu’on atteint les premières montagnes d’une chaîne contournant la province vers le sud et finissant dans le nord au désert de la Mongolie. L’aspect de cette région n’offre rien encore de très séduisant. Les montagnes qui bordent la grande plaine du Pe-tche-li qu’on aperçoit du haut des remparts de la grande ville, le plus souvent voilées par une légère vapeur, sont des pics d’une hauteur de 1,000 à 1,200 mètres formés de roches calcaires d’un gris bleuâtre ; celles qui s’étendent jusqu’en Mongolie, composées principalement de roches granitiques, ressemblent au contraire à des mamelons. Depuis une époque sans doute fort ancienne, on extrait de l’anthracite de plusieurs des montagnes voisines de Pékin. On sait combien il est difficile d’allumer ce charbon minéral ; mais il brûle fort bien, paraît-il, dans les poêles des Chinois. À la distance d’une trentaine de lieues de la capitale, il existe un gisement de houille de très bonne qualité, seulement, à cause du mauvais état des routes, les habitans de la grande ville en profitent peu.

Le botaniste ne trouve à faire qu’une bien pauvre moisson dans les plaines cultivées du Pe-tche-li ; il reste trop peu d’espace pour les plantes sauvages. On trouve principalement : une violette, une sorte de pissenlit, l’astragale de Sibérie, une espèce de digitale, un corydalis à petites fleurs, une jolie androsace, une passerage, une borraginée (Tournefortia arguzia), la bourse du pasteur, quelques graminées. Les arbres qui embellissent les habitations appartiennent la plupart à des types très connus en Europe. Partout on voit l’orme, le mûrier, un sophora de proportions magnifiques, pareil à celui qui croît au Japon ; en beaucoup d’endroits, il existe des peupliers, des saules, des allantes, le cedrela de Chine, dont les jeunes pousses fournissent un condiment agréable aux Chinois, une espèce de pin remarquable par l’écorce lisse et d’un blanc argenté (Pinus bungeana). Chez les anciens, le cyprès était consacré à la parure du champ des morts ; en Chine, le cyprès (Cupressus funebris) est encore l’ornement habituel des tombeaux et des pagodes, avec l’arbre parfois gigantesque depuis longtemps cultivé en France, le gingko (Salisburia adiantifolia), avec des pins, et le grand genévrier à bois odorant qui, réduit en poudre, sert à faire les bâtonnets que les Chinois brûlent devant les idoles. Les sépultures des riches, disséminées dans la campagne, sont cachées sous des massifs de conifères.

Sur les montagnes, la végétation est abondante, mais d’un aspect uniforme. Les arbres, très clair-semés, surtout vers la Mongolie, sont des chênes, des châtaigniers, des érables, des noisetiers, quelques peupliers, des allantes. L’abricotier sauvage est répandu à profusion ; un tout petit cerisier à fruit aigrelet attire l’attention du naturaliste, ainsi qu’un jujubier d’espèce naine, un gattilier des plus communs, une vigne sauvage, la magnifique glycine de Chine et un Cissus, grimpant sur les arbres on rampant sur les murailles. En parcourant les montagnes voisines de la grande muraille, le père Armand David a remarqué l’abondance des armoises que tous les voyageurs russes ont signalée comme caractéristique de la flore de la Tartarie et de la Sibérie, et il a constaté avec surprise l’absence des bruyères et des saxifrages, ainsi que l’extrême rareté des ronces.

La végétation du nord de la Chine, qu’on aurait peut-être imaginée fort différente de celle de l’Europe centrale, si l’on avait voulu porter un jugement d’après la distance des lieux et d’après la latitude, présente en réalité un aspect très analogue. Des espèces de nos champs et de nos montagnes croissent, dans la province de Pe-tche-li, à côté de plantes répandues jusqu’en Sibérie, distinctes, il est vrai, de celles de l’Europe, mais néanmoins de même aspect. Seuls, quelques types asiatiques apparaissent dans l’ensemble, et donnent à la flore de la Chine septentrionale un caractère singulier. Lorsqu’on a franchi la grande muraille, la végétation rappelle beaucoup plus encore celle de l’Europe centrale. Les mélèzes et les bouleaux contribuent à produire la ressemblance ; plusieurs arbrisseaux et diverses plantes herbacées feraient croire aisément que les Alpes de la Suisse et du Jura sont au voisinage. Sur les montagnes de la frontière du grand empire, on voit des gentianes, des aconits, des pieds-d’alouette, des œillets, un pavot à fleur jaune, la jusquiame noire, des fraisiers, des groseilliers, des églantines. Cependant la pivoine cultivée en Europe, se montrant à l’état sauvage, annonce au botaniste la véritable situation géographique du lieu d’exploration, comme les lilas, formant de gracieux buissons que la main de l’homme n’a pas touchés, témoignent de l’Orient.

Les plaines du Pe-tche-li sont cultivées avec beaucoup d’activité et de bon sens, le moindre coin de terre est utilisé, rapporte le père David, On voit dans les champs le blé, le riz, l’orge, le maïs, le sorgho, plusieurs sortes de millet, les pois et les haricots, la batate douce, l’igname, le sésame, l’arachis, le ricin, le coton et la plupart de nos plantes potagères. Dans les marécages et dans les étangs croissent une macre (Trapabicornis) et un scirpe (Scirpus tuberosus) dont on sert les tubercules sur les meilleures tables de Pékin, et le nélombo brillant (Nelumbium speciosum), qui porte les fleurs magnifiques employées dans les cérémonies religieuses. La culture des arbres fruitiers est assez négligée.

Les jardins et les parterres des habitations chinoises ont été décrits autrefois de façon à inspirer les rêves les plus poétiques ; à côté des descriptions, la réalité a paru triste aux voyageurs de notre temps, Les missionnaires devaient peut-être admirer ce que l’on a aujourd’hui raison de dédaigner ; on juge toujours par comparaison, et les termes de comparaison ne sont plus les mêmes. Un parterre que les contemporains de Louis XIV trouvaient délicieux serait à présent fort misérable aux yeux du propriétaire de quelque chétive habitation de campagne. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder toutes les belles plantes cultivées, assez récemment introduites et pourtant devenues communes, de voir avec quel succès on a obtenu une foule de variétés dans les formes, dans ce volume, dans les nuances de certaines fleurs. En Europe, pour la satisfaction du goût, pour le plaisir des sens, l’horticulture a fait de merveilleux progrès ; en Chine, elle est restée dans cet état stationnaire commun à toutes les industries et à tous les arts du céleste empire. Au milieu des plus beaux jardins de la grande capitale et des environs, les plantes d’ornement, les unes indigènes, les autres étrangères, n’offrent pas une bien grande diversité. On cite la reine-marguerite et les chrysanthèmes, ou plus exactement les pyranthèmes, avec de nombreuses variétés ; l’hémérocalle jaune et l’hémérocalle du Japon, la belle de nuit, la capucine, la rose-trémière, le soleil, la balsamine, le basilic et la menthe poivrée, des œillets que la culture des Chinois n’a pas rendus magnifiques, la gomphrène violette, des amarantes et des célosies (la crête-de-coq, originaire de l’Asie et cultivée dans tous nos jardins), la pensée, le coréopsis, le narcisse jaune, la zinnie rouge de la Louisiane, dont l’importation est due probablement aux jésuites. La liste, nous assure-t-on, est à peu près complète ; elle serait bien courte à côté de l’énumération des plantes cultivées dans les jardins de Londres ou de Paris. À Pékin, comme en Europe, on voit dans des caisses ou des vases des arbrisseaux tels que des orangers, le grenadier, le laurier-rose, un arbuste originaire des provinces méridionales de l’empire, le corsythia à fleurs jaunes. Dans la demeure des personnages riches se trouve encore le palmier à chanvre de la Chine méridionale (Chamœreps excelsa) qui a besoin d’être maintenu dans une atmosphère chaude durant l’hiver. Pour cet objet, il y a des serres construites d’une manière assez intelligente.

La faune du Pe-tche-li n’offre pas une grande richesse, comme on le pensera sans peine d’après la rigueur du climat et d’après la nature de la végétation. Les grandes plaines cultivées ne sont pas favorables à la vie de la plupart des animaux, et les montagnes qui forment la ceinture du nord de la Chine fournissent trop peu d’abris pour être habitées par un grand nombre d’insectes ou d’oiseaux. L’ensemble des êtres de la contrée offre néanmoins un extrême intérêt par suite du mélange des formes européennes et des formes asiatiques, et à cause de la présence de certaines espèces particulières au pays, très peu différentes de celles de l’Europe centrale.

Les insectes fournissent un saisissant exemple de l’association curieuse déjà signalée à l’égard des végétaux. Dans la foule, les groupes se dessinent de la manière la plus nette : il y a les espèces communes aux environs de Paris et sur une grande étendue de l’Europe centrale, les insectes tout voisins des nôtres, et cependant bien distincts, qui semblent représenter ces derniers dans une autre partie du monde, ceux qu’on observe en Sibérie, ceux en petit nombre qui appartiennent à la faune de l’Asie centrale, enfin quelques formes propres à la région. Chacun pourra sans peine avoir une juste idée du mélange, si nous attirons le regard sur les gracieux lépidoptères qui n’échappent à l’attention de personne. Ainsi les papillons blancs ou les piérides, les vanesses aux ailes diversement colorées, les argynnes aux ailes nacrées, les jolis petits polyommates que les jeunes amateurs poursuivent dans nos champs et dans nos bois, voltigent dans les plaines et les montagnes du Pe-tche-li ; seulement avec eux se trouvent des espèces ayant une physionomie analogue qui n’ont encore été vues nulle part ailleurs. En outre un superbe lépidoptère de la Sibérie (Papilio xutkus), du même type que l’insecte si connu sous le nom de grand-machaon, habite les alentours de Pékin en compagnie de deux splendides papillons (P. bianor et paris) aux ailes d’un noir de velours, saupoudrées d’atomes d’un vert doré, qu’on supposait confinés dans les provinces les plus méridionales de la Chine, parce qu’ils ressemblent à d’autres papillons de l’Inde et des îles Moluques. Pour compléter l’aperçu, il faut citer une forme toute caractéristique, spéciale aux provinces du nord de la Chine : celle d’un ravissant lépidoptère (Sericinus telamon), découvert il y a plus de vingt ans par M. Fortune à peu de distance de Shang-Haï. Si la figure seule de l’animal était connue, on la croirait produite par l’imagination, tant les sinuosités des ailes et le contraste des couleurs paraissent dans le goût des Chinois. Les insectes, particulièrement les lépidoptères du Pe-tche-li, où l’hiver a des rigueurs excessives, donnent lieu à une remarque sur les climats. Les individus de la contrée ont en général des couleurs plus vives ou plus intenses que les individus de même espèce pris en Europe ; c’est l’indice de chaleurs plus fortes dans le pays, encore indiquées par la présence d’espèces tropicales. Les animaux qui s’engourdissent pendant la mauvaise saison souffrent peu de l’intensité du froid, tandis qu’à l’époque du développement ils éprouvent les effets du degré de chaleur. Pour apprécier l’influence de la température sur certains êtres, il importe donc de ne pas moins tenir compte des extrêmes que des moyennes thermométriques.

Les reptiles n’abondent pas au nord de la Chine ; le père A. David en énumère à peine une dizaine : un petit lézard gris facile à confondre avec celui des murailles d’Europe, un gecko, quatre ou cinq couleuvres, une seule vipère, confinée dans les montagnes, et une tortue fluviatile. Pour les batraciens, le chiffre est plus restreint encore, et il paraît n’exister ni salamandres ni tritons.

Les oiseaux du Pe-tche-li ont été recherchés et observés avec un tel soin par notre savant missionnaire et par M. Swinhoe qu’aujourd’hui on en a assurément une connaissance à peu près complète. Les espèces sédentaires sont en petit nombre dans l’ingrate contrée ; mais les oiseaux de passage se montrent en abondance à des époques régulières, Plusieurs grands rapaces fréquentent le pays : le vautour arian a été rencontré sur les montagnes du nord-ouest, et plusieurs fois on a vu le gypaète dans cette région où l’aigle fauve réside d’une manière permanente. D’autres aigles, parcourant l’Europe, l’Asie et la côte orientale d’Afrique, viennent aux mêmes lieux ; le géant des pygargues (Haliætus pelagicus), propre à l’Asie orientale, a été remarqué, ainsi que des buses déjà observées soit en Sibérie, soit au Japon. Notre autour, de même que notre épervier, n’est pas rare dans les montagnes et journellement il est employé par les Chinois pour chasser le lièvre. Un petit épervier récemment découvert (Micronisus Stevensonii) plus loin que la grande muraille vole en grandes troupes à la poursuite des sauterelles, dont il.se nourrit. Un milan, d’abord signalé au Japon (Milvus melanotis), est très commun dans les environs de Pékin, et continuellement on le voit planer au-dessus de la grande ville.

Parmi les oiseaux du groupe des gros-becs qui traversent le Pe-tche-li au printemps et à l’automne, il y a bon nombre d’espèces de bruans et de bouvreuils, la plupart déjà observés en Sibérie par le célèbre naturaliste Pallas, qui visita ce pays au commencement du siècle ; il y a encore notre tarin, le verdier de Chine qu’on voit à Macao, plusieurs espèces qu’on n’avait pas signalées jusqu’à présent. Dans les villes et les villages, on rencontre un moineau presque semblable à notre friquet ; il remplace le moineau ordinaire qui n’existe pas en Chine. L’alouette huppée est sédentaire dans la contrée, l’alouette des champs y arrive en automne pour repartir au mois d’avril, et l’alouette des Alpes paraît au moment des grands froids.

Plusieurs gentils oiseaux du groupe des mésanges se montrent dans le Pe-tche-li, et l’un d’eux qu’on avait découvert au Kamtschatka (Pœcilia kamtschakensis) est sédentaire aux environs de Pékin. Les fauvettes de la Sibérie fréquentent également le nord de la Chine, ainsi que nos bergeronnettes et notre traquet qui va jusque dans l’Inde. Des roitelets et des pouillots passent dans le pays, et l’un d’eux qu’on ne connaissait pas jusqu’à présent (Abrornis Armandii) niche dans les hautes montagnes de la Mongolie[1]. L’étourneau cendré fait son nid sur les grands arbres dans des trous, et dès le mois de juillet il part en troupes nombreuses se dirigeant vers l’ouest ; puis viennent des gobe-mouches qu’on trouve dans la Sibérie ou dans l’Inde, ainsi que plusieurs sortes de merles, et le loriot des provinces méridionales de la Chine. Ce dernier niche sur tous les grands arbres de la plaine. Les jaseurs de Bohême passent par grandes bandes au commencement de l’hiver ; très confians, ils se laissent prendre avec une extrême facilité, et les Chinois, qui les appellent les oiseaux de la paix, les dressent à divers exercices. Le jaseur du Japon (Ampelis phœnicoptera) vient aussi dans le pays, mais en moins grande abondance. On rencontre les corbeaux, les corneilles, les choucas dans toutes les plaines du Pe-tche-li ; la pie d’Europe et la pie bleue, que Pallas a découverte autrefois dans la Daourie et dans la Mongolie, sont communes aux alentours de Pékin ; la pie de la Chine (Calocitta sinensis), un magnifique oiseau qui est très répandu dans l’Asie centrale, est sédentaire dans les montagnes voisines de la grande capitale. Plusieurs charmans grimpereaux se font remarquer dans le pays, et l’un d’eux, qu’on ne connaissait en aucune façon avant les recherches du père Armand David, vit dans les bosquets d’arbres verts qui entourent les pagodes et les tombeaux[2]. Toutes nos hirondelles font des séjours au nord de la Chine : celle des fenêtres construit son nid sur toutes les maisons ; celle des villes, par une singularité, se tient exclusivement au milieu des rochers. L’hirondelle de la Daourie, très abondante dans les villages, ne se montre pas dans les villes ; l’hirondelle de rivages, assez rare, se voit toujours près des torrens. L’hirondelle alpestre est répandue dans toutes les montagnes, et pendant l’hiver on la trouve engourdie dans les cavernes ; mais, si la température s’adoucit, elle se réveille et voltige près des roches escarpées. Les martinets arrivent dès le mois d’avril.

La huppe d’Europe paraît en grandes masses dans la province de Pe-tche-li, et on la voit en hiver jusque dans les rues de la capitale ; mais ce sont des martins-pêcheurs de l’Inde (Alcedo bengalensis et A. atricapillus) qui visitent la contrée. Notre coucou vient à Pékin à la fin du mois d’août, le torcol ordinaire passe quelquefois dans le pays, et ce sont des pics d’espèces particulières qu’on trouve sédentaires dans les environs de Pékin.

Le pigeon biset, fort commun dans tout le nord de la Chine, niche sur les tours et les hautes murailles ; la colombe rupicole est commune dans les bois et la colombe de Chine abonde sur les arbres des villages du côté de la Mongolie. Un curieux oiseau, se rattachant à la famille des pigeons, mais offrant beaucoup de ressemblance avec les gallinacés, le syrrhapte paradoxal, que Pallas découvrit dans le désert des Kirguises, se propage en Mongolie, et arrive dans la plaine de Pékin pendant les hivers rigoureux, ou, lorsqu’il neige beaucoup, dans l’Asie centrale ; continuellement, dit M. Swinhoe, on en voit passer d’un vol rapide des bandes de plusieurs centaines que l’on prendrait pour des troupes de pluviers dorés : le marché de Tien-tsing en est parfois encombré, et on les vend à très bas prix. Les Chinois nomment les syrrhaptes des poules de sable, et les prennent ordinairement avec des filets qui se rabattent. Après une chute de neige, la capture est facile : le filet est étendu à terre tout garni de petites graines vertes qui attirent presque sûrement les yeux des bandes en voyage et les font tomber dans le piège ; le chasseur, caché à quelque distance, tire une corde, et souvent la troupe entière se trouve prise. La Chine est le pays des beaux gallinacés, et, à l’égard de ces oiseaux, les explorations récentes du fameux empire ont procuré la connaissance de beaucoup de faits intéressans pour la zoologie et pour l’histoire de plusieurs contrées de l’Asie. Le magnifique faisan à collier de l’Inde qu’on voit aujourd’hui dans les ménageries, vit sédentaire dans les montagnes du Pe-tche-li, et se montre jusque dans le bassin du fleuve Amour ; le faisan de Reeves, de l’Asie centrale, se trouve quelquefois dans les montagnes du côté de l’est. Au Thibet avait été découverte une sorte de faisan devenu le type du genre crossoptilon, animal des plus remarquables par l’élégance et par la disposition des plumes de la queue. On croyait reconnaître l’espèce dans une description de Pallas, tracée d’après la dépouille d’un oiseau de la Chine ; mais on se trompait. Le faisan, ou plutôt le crossoptilon signalé par l’auteur russe (Crossoptilon auritum) est distinct du premier et paraît être confiné dans la région boisée de la Mongolie. Le crossoptilon auriculé, ainsi nommé parce qu’il porte en arrière de la tête deux petites houppes de plumes blanches, fut observé pour la première fois par l’abbé David dans les vallées situées à une quinzaine de lieues de Pékin. Il a été retrouvé dans quelques localités plus ou moins voisines ; mais il semble être rare partout. Les crossoptilons se nourrissent de feuillage, de racines, de fruits et même d’insectes ; tenus en captivité, ils sont doux et familiers. Aux lieux mêmes où l’on rencontre ces oiseaux superbes vivent des gallinacés d’un autre genre (Pucrasia) dont les autres représentans habitent les parties centrales de l’Asie, de telle sorte qu’on ne s’attendait pas à rencontrer le type au nord de la Chine. L’espèce (Pucrasia xanthos pila) observée par notre savant lazariste, plus grosse qu’une poule, d’un gris jaune et mouchetée de noir, avec les côtés de la tête verts, la nuque blanche et le cou jaune, porte une jolie petite aigrette. L’oiseau affectionne les bois touffus, et en particulier la forêt de Jehol, célèbre par les chasses des empereurs de la Chine. Chaque année, des individus amenés de la Mantchourie se vendent sur le marché de Pékin. Parmi les gallinacés, on voit encore dans la province de Pe-tche-li le tétras à queue fourchue des montagnes d’Europe, quelquefois la gelinotte, la bartavelle, et une perdrix presque semblable à notre perdrix grise ; la caille commune passe également dans la contrée, et en octobre M. Swinhoe en a remarqué d’immenses troupes qui tombaient dans les environs de Takou.

Les échassiers sont de grands voyageurs ; les grues, les cicognes, les hérons, la spatule, les courlis, les chevaliers, les pluviers, les vanneaux d’Europe, visitent la Chine septentrionale, et ils ne sont pas les seuls : l’ibis rose du Japon se montre dans quelques localités, par le temps le plus froid ; une sorte de courlis qu’on savait exister à l’Himalaya (Ibidorhynchus Struthersii) fréquente les bords des ruisseaux solitaires des montagnes du nord de la Chine ; un grand vanneau (Lobivanellus inornatus), qui niche dans les plaines humides de la Mongolie, vient quelquefois aux alentours de Pékin ; à nos bécassines européennes se mêlent d’autres bécassines propres à l’Asie. Le cormoran n’est pas rare à Takou, et il s’avance jusque sur les eaux du Yuen-min-yuen, tout près de la capitale ; le pélican frisé qu’on rencontre sur les rives de la Mer-Noire, vers l’embouchure du Danube, paraît assez régulièrement, soit à Tien-tsing, soit en d’autres endroits. Des mouettes, des cygnes, des canards, tous connus, soit dans nos pays, soit en Sibérie, passent chaque année sur les côtes ou sur les plaines du Pe-tche-li. Ainsi le gibier, au moins dans la saison d’automne et d’hiver, ne manque ni pour les habitans de Pékin, ni pour ceux des villes et des villages de la province.

Rien, semble-t-il, ne saurait donner meilleure idée du caractère de la faune du nord de la Chine que l’énumération des oiseaux observés par le père A. David et M. Swinhoe. Ici les types sont familiers à peu près de tout le monde, et chacun parviendra aisément à se figurer l’assemblage dont les plantes et les insectes ont déjà fourni des exemples. Pour les oiseaux du Pe-tche-li, l’association des formes européennes et des formes asiatiques où les premières l’emportent par le nombre est bien démontrée. Dans l’intérêt de la géographie physique, on devra remarquer que les formes sont représentées par des espèces bien connues d’ailleurs, et des espèces ou localisées dans la contrée ou répandues dans une région qui embrasse la Chine septentrionale, la Mongolie, la Tartarie et une portion de la Sibérie.

Les mammifères, sous les mêmes rapports que les plantes et les oiseaux, méritent d’être considérés. De même qu’il n’y a pas de perroquets dans le nord de la Chine, il n’y a point de singes. On trouve des chauves-souris dans la province de Pe-tche-li ; mais jusqu’à présent l’étude de ces animaux reste inachevée. Plusieurs insectivores habitent le pays : le hérisson d’Europe se montre jusque dans la capitale ; une taupe grise, répandant une odeur de musc très prononcée, un peu plus petite que notre taupe commune, et très différente par l’appareil dentaire, a été vue quelquefois[3].

Les carnassiers sont nombreux dans les montagnes, surtout en dehors de la grande muraille : l’ours du Thibet est assez commun, le blaireau n’est pas rare, le loup ordinaire est de tous côtés répandu à l’excès de l’avis des Chinois et des voyageurs ; le renard ne vient que rarement dans la plaine ; le renard à ventre noir est connu partout dans le pays, le petit renard jaune (Canis corsac), qui vit en Sibérie et dans la Mongolie, se montre dans les montagnes du Pe-tche-li ; l’isatis (Canis lagopus), partout cité comme l’animal des plus froides régions de l’Europe et de l’Asie, descend de la Mantchourie dans les hivers rigoureux. Ce ne sont pas les plus redoutables carnassiers du nord de la Chine. Le tigre séjourne et se multiplie dans les forêts de la Mantchourie, et les visites de ce fauve sont toujours à craindre dans la province de Pe-tche-li. « Ces jours-ci, écrit le père David dans sa correspondance, il en parut six dans nos montagnes du nord, où ils ont exercé de grands ravages. Un de nos chrétiens qui leur donna l’éveil en tirant un coup de fusil a été dévoré. » La panthère et l’once viennent jusqu’à peu de distance de Pékin. Le putois de Sibérie est commun même dans les maisons de la ville, tandis que le putois ordinaire ne se trouve que vers la Mongolie. On voit encore par hasard la loutre du côté de Takou ; l’espèce a été presque détruite par les Chinois : on sait qu’elle n’a guère été plus épargnée en Europe.

Il existe un certain nombre de rongeurs dans le Pe-tche-li, et plusieurs de ces animaux diffèrent de ceux du même genre qu’on a observés en d’autres parties du monde. Dans la plaine, au voisinage même de Pékin, vivent des campagnols ; dans les endroits sablonneux et sur les collines, des gerboises et des gerbilles[4]. Des rongeurs d’une physionomie étrange, qui fouissent comme les taupes et qui sont aveugles comme elles, se rencontrent en Orient. Buffon a donné une longue description du rat-taupe répandu dans l’Europe méridionale et dans l’Asie-Mineure ; des espèces particulières du même groupe creusent leurs galeries aux environs de la grande capitale chinoise et sur les pentes des montagnes du côté de la Mongolie.

Aux mêmes lieux établit sa demeure un petit animal à pelage fauve, appartenant au genre des spermophiles. Plusieurs sortes d’écureuils se trouvent dans les localités un peu boisées ; notre espèce d’Europe se voit de temps à autre dans les massifs d’arbres verts de la sépulture impériale, et les individus vivans qui plaisent singulièrement aux Chinois se vendent à très haut prix dans la ville de Pékin ; un écureuil d’un gris cendré avec le bout de la queue blanc (Sciurus davidianus) semble confiné dans les montagnes les plus rapprochées de la capitale. Une espèce rayée du même genre (Sciurus striatus) est abondante du côté de la Mongolie ; enfin le joli petit écureuil volant, qui habite la Russie méridionale et la Sibérie, se montre dans les bois du nord, où il est toujours rare. Les rongeurs incommodes ne manquent pas dans la grande ville de Pékin ; on y trouve à la fois notre gros rat ou le surmulot, le rat noir, la souris, le rat nain commun en Sibérie et en Mongolie, qu’on élève en captivité comme objet d’amusement.

De même qu’il existe de beaux gallinacés au nord de la Chine, il y a des ruminans fort remarquables. Outre l’élan qui habite encore les confins de la Tartarie, le chevreuil de Tartarie commun sur toutes les montagnes boisées, et l’argali de Sibérie, qu’on ne voit plus que sur les hauts plateaux en dehors de la grande muraille, on rencontre encore des cerfs et des antilopes propres au pays. Les Chinois nomment cerf-chameau (Cervus cameloides) un animal de grande taille dont le bois diffère de celui de toutes les espèces connues ; mais jusqu’à présent les zoologistes le connaissent imparfaitement. Une antilope que les habitans de Pékin appellent la chèvre des montagnes, ayant le pelage d’un gris brunâtre avec la gorge jaune et portant une très longue queue (Antilope caudata), est commune sur toutes les montagnes rocheuses et personne ne l’avait signalée avant le père Armand David. Une autre antilope dont il a été fait mention par Gmelin et Pallas (Antilope gutturosa) vit en grandes troupes dans la Mongolie, et quelquefois elle visite les provinces du nord-ouest de la province de Pe-tche-li, C’est la chèvre jaune des Chinois, citée au commencement du siècle dernier par le père Du Halde, dans le récit d’une chasse impériale. Ces animaux étant fort agiles et très sauvages, les chasseurs formaient un cercle de façon à entourer un troupeau souvent composé de quatre ou cinq cents individus, et, resserrant peu à peu l’espace, ils parvenaient à les cribler de flèches. En dehors de la grande muraille, on rencontre parfois l’hémione, dont chacun a vu dans les ménageries des individus amenés de l’Asie centrale. Le sanglier est assez abondant sur les montagnes boisées, et vraisemblablement dans la forêt de Jehol plus que partout ailleurs.

Tous nos animaux domestiques sont en usage chez les Chinois du nord : le bœuf, la chèvre et le mouton, le cheval et l’âne. Le porc domestique à gros ventre est très répandu, mais la souche n’est pas mieux connue que celle du porc d’Europe. Le chameau de Bactriane est également domestique dans les environs de Pékin. Il y a une multitude de chiens et de chats dans la grande capitale. Parmi les premiers, on ne distingue pas plus de quatre races vraiment caractérisées : le chien mongol, un lévrier assez semblable au chien kurde, le carlin qui est, croyons-nous, très prisé dans le pays, enfin le chien de garde. On ne voit ni épagneuls, ni autres chiens de chasse. Le chat domestique ne diffère pas de celui d’Europe ; seulement on entretient aussi dans beaucoup de maisons de Pékin des chats d’Angora à longs poils.

Maintenant, ne semble-t-il pas que nous voyons réellement la province où s’élève la fameuse capitale du céleste empire ? Nous connaissons le climat, l’aspect du pays, les êtres qui trouvent l’existence sur cette terre peu favorisée de la nature. Nous pouvons apprécier les ressources de tout genre que les populations tirent du sol.


III.[modifier]

Le père Armand David paraissait avoir tout examiné dans le Pe-tche-li et dans les montagnes voisines, lorsque son attention fut éveillée par certains récits. À quelques pas au sud de la ville de Pékin, il existe un parc impérial entouré de murs qui n’a pas moins d’une douzaine de lieues de circonférence. Là vivent dans une paix profonde et se multiplient de temps immémorial des antilopes à goitre, les chèvres jaunes de Mongolie, et surtout des cerfs d’une espèce singulière. On avait entretenu notre missionnaire de ces animaux, qu’on ne voit nulle part ailleurs, de façon à bien tenter sa curiosité. Les Chinois les désignent souvent par un nom exprimant l’idée d’une réunion de caractères disparates, et ils disent que l’espèce tient du cerf par les bois, de la vache par les pieds, du chameau par le cou du mulet ou de l’âne par la queue ; mais l’accès du parc où l’on entretient ces bêtes curieuses est interdit aux étrangers, et obtenir la permission de le visiter eût été une chimère, — on sait si les autorités chinoises tiennent aux règlemens établis. Par bonheur, on se souvient toujours un peu des moyens de surprendre un secret. Un jour, l’instant paraît propice, le révérend père grimpe sur le mur, et, à sa grande joie mêlée de surprise, il distingue au loin un troupeau de plus d’une centaine de cerfs à longue queue. En voyant la magnifique et étrange ramure des mâles, il les prend pour des élans ou des rennes gigantesques ; mais il ne doute pas que l’espèce ne soit absolument inconnue des naturalistes, et la découverte d’un nouveau mammifère de grande taille est un événement rare à l’époque actuelle. Une semblable découverte paraît même vraiment extraordinaire, s’il s’agit d’un animal fort différent de tous les types déjà observés.

L’abbé David cherche aussitôt à se procurer la dépouille de quelques individus du fameux cerf à longue queue ; des tentatives répétées demeurent sans succès. Il met son espoir dans les bons offices de la légation de France à Pékin ; la légation n’attend aucun résultat favorable de démarches qui pourraient être faites auprès du gouvernement chinois. Le savant lazariste ne perd jamais courage. « Heureusement, écrit-il dans une de ses lettres, je connais des soldats tartares qui vont faire la garde dans ce parc, et je sais que, moyennant une somme plus ou moins ronde, j’obtiendrai avant l’hiver quelques peaux. » Il est bon, même en Chine, d’avoir des relations de tout genre. Cependant il y eut encore des difficultés à vaincre, car, dans une nouvelle lettre, notre missionnaire, revenant sur les particularités du beau cerf du parc impérial, ajoute : « Jusqu’à présent, je me donne des peines incroyables pour en avoir des dépouilles ; mais j’espère en obtenir deux ces jours-ci. » En effet, au mois de janvier 1866, il pouvait annoncer la réalisation de son désir. D’un autre côté, notre chargé d’affaires, M. Bellonet, un ami de la science, plus heureux près des ministres de l’empire qu’il n’aurait supposé, venait de recevoir à titre gracieux un beau couple d’individus vivans du fameux Cerf auquel les Chinois donnent le nom de Mi-lou. Il s’agissait de faire parvenir ces superbes animaux en France, où ils eussent vivement excité la curiosité ; mais ils moururent pendant le voyage.

Bientôt on reconnut à Paris que le mi-lou est un mammifère tout particulier de la famille des cerfs[5]. Par la forme générale, par le pelage, l’allure lourde, la manière dont le mâle porte ses bois, l’espèce ressemble au renne, dont elle s’éloigne par des caractères plus essentiels. Le mâle adulte mesure au garrot 1{{[[Modèle:{{{1}}}|{{{1}}}]]}},20 et environ 2{{[[Modèle:{{{1}}}|{{{1}}}]]}},20 de l’extrémité du museau à l’origine de la queue. Le mi-lou en réalité est long et bas sur pattes. La couleur du pelage est un mélange de gris et de fauve pâle distribués d’une manière assez uniforme, qui se rembrunit en certains endroits et devient plus clair sous le ventre. La tête ne diffère pas notablement de celle des cerfs ordinaires, et seuls les bois présentent des caractères remarquables. Très grands et robustes, couchés en arrière et assez écartés l’un de l’autre, ils n’offrent pas d’andouiller basilaire comme chez le renne ou notre cerf. Le merrain est gros, et, à une certaine distance au-dessus de la meule, il s’en détache une longue branche qui se dirige en arrière et descend jusqu’aux épaules lorsque l’animal tient la tête élevée ; cette branche porte, disposés sur le bord externe, plusieurs andouillers formant une sorte de palmure qui rappelle celle de l’andouiller basilaire des vieux rennes. Enfin la perche, très sinueuse et terminée par une fourche, est pourvue de deux grands andouillers qui vont en arrière et un peu en dedans. Tous les amateurs de vénerie seront frappés de la singularité de cette ramure. La femelle ou la biche est absolument dépourvue de bois. La queue, longue de 50 à 60 centimètres, contribue beaucoup à donner au mi-lou un aspect étrange quand on le compare aux autres espèces du groupe des cerfs. C’est donc non pas seulement une belle espèce nouvelle pour la science qu’a découverte le père A. David, mais une nouvelle forme animale.

Le cerf du parc des empereurs de la Chine a causé une surprise parce qu’il a des caractères exceptionnels ; il offre encore des sujets d’étonnement. Cet animal, devenu presque domestique, n’existe-t-il plus en liberté ? Cette supposition n’est pas très vraisemblable, et cependant jusqu’ici le mi-lou n’a été rencontré nulle part à l’état sauvage, malgré toutes les explorations faites en Asie. On a pensé qu’il habite quelque partie du Thibet où les Européens n’ont pas pénétré ; seulement, si le fait est réel, le mi-lou vit dans une région passablement circonscrite, car les grandes montagnes de l’Asie centrale ont été visitées par un grand nombre de voyageurs, et l’existence du fameux cerf n’a jamais été signalée. Les anciens missionnaires en Chine ne se sont occupés d’aucune question relative à l’histoire naturelle ; il est donc tout simple de n’attendre de ce côté aucun renseignement sur les animaux qu’on pouvait voir à Pékin ; mais ils ont tracé de minutieuses descriptions de la résidence impériale, et c’est en vain que nous avons cherché une mention de ce parc, si vaste qu’il faudrait marcher une journée pour en faire le tour. Seulement on lit dans les Voyages de M. de Guignes que, pendant le séjour à Pékin, en 1794 et 1795, de M. Titzing, l’ambassadeur de Hollande, l’empereur envoya entre autres présens des queues de cerf : c’étaient probablement des queues de mi-lou.

Lorsque le père Armand David fit la découverte du grand mammifère qui a tant intéressé les naturalistes, il était à Pékin depuis quatre ans, et, ne voyant plus d’utilité à demeurer davantage dans cette ville, il songeait à de nouveaux champs de recherche. Les provinces centrales de la Chine ne pouvaient manquer d’attirer celui qui avait complètement étudié l’état de la nature dans une province du nord. En effet, il ne tardera pas à les explorer, et d’avance nous comprenons que d’importans résultats vont exciter notre intérêt. Auparavant nous devons suivre le digne missionnaire dans une partie de la Mongolie qu’aucun Européen n’a visitée avant lui : ce sera l’occasion d’apprendre comment voyage un scrutateur de la nature très peu soucieux de son bien-être et très préoccupé par l’idée de conquérir des trésors scientifiques.

Émile Blanchard.
(La seconde partie à un prochain numéro.)
  1. Il a été décrit par M. Milne Edwards.
  2. Sitia villosa, décrite par M. Jules Verreaux.
  3. Cet animal a été décrit par M. Alphonse Milne Edwards sous le nom de Scaptochirus moschatus.
  4. Les espèces inconnues avant les recherches du père Armand David ont été décrites par M. Alphonse Milne Edwards.
  5. L’espèce a été très bien étudiée par M. Alphonse Milne Edwards ; elle porte aujourd’hui dans la science le nom d’Elaphurus davidianus.