Les Récentes Explorations des naturalistes en Chine/03

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LES


RÉCENTES EXPLORATIONS


DE LA CHINE




voyage dans les provinces centrales et occidentales de la chine.




I.[modifier]

Le réseau de montagnes situé au nord de la Chine et tout le pays qui entoure la capitale de l’empire du Milieu venaient d’être étudiés d’une manière remarquable. Un voyageur français avait mis aux mains des naturalistes les plantes et les animaux d’une contrée particulièrement intéressante qui jusqu’alors était demeurée soustraite à l’investigation scientifique[1]. La lumière se faisait enfin sur la vaste région de l’Asie, demeurée si longtemps impénétrable. Les parties orientales de la Chine étaient explorées depuis un certain nombre d’années ; de ce côté, on ne pouvait plus espérer faire de grandes découvertes. Aussi nous indiquions au missionnaire qui servait la science avec une merveilleuse sagacité et un dévoûment inaltérable les provinces occidentales du céleste empire comme la région où désormais il devrait porter ses efforts. L’abbé Armand David avait pris la résolution de visiter le Kan-sou, et d’atteindre le Thibet. Nous allons le suivre dans sa nouvelle campagne ; mais, pour en apprécier l’importance, il est indispensable de prendre un aperçu des résultats acquis par les explorations des savans anglais dans les provinces orientales.

Les Anglais profitèrent bientôt des avantages obtenus par le traité de 1842. Plusieurs ports ayant été ouverts au commerce européen et l’accès du pays ayant cessé d’être interdit aux étrangers, la Chine devint pour quelques voyageurs un champ d’études sérieuses. On explora les parties voisines de la côte, et sur divers points on entreprit des excursions dans l’intérieur. De la rivière de Canton à l’embouchure du Yang-tse-kiang, soit du 22e au 32e degré de latitude, les recherches furent actives. De la sorte se trouve acquise aujourd’hui une connaissance déjà assez satisfaisante des conditions de la nature dans la région orientale de la Chine : les provinces de Quang-tong, de Fou-kien, de Tche-kiang, ainsi que les îles de Hong-kong, de Formose, d’Amoy, de Chusan. M. Robert Fortune[2] a étudié la flore de ces pays avec une extrême persévérance, et l’on peut voir maintenant dans les jardins d’Europe plusieurs des belles plantes qu’il a découvertes. Depuis une douzaine d’années, M. Swinhoe, consul d’Angleterre à Formose, se livre à d’incessantes recherches sur les animaux et en particulier sur les oiseaux. Beaucoup d’investigateurs se sont signalés par des études sur les productions naturelles en certains endroits déterminés[3].

Les voyageurs qui se rendent à Canton, après avoir admiré la riche végétation de l’île de Ceylan et de l’île de Java, éprouvent un sentiment de tristesse en apercevant les côtes de la Chine. Aussi loin que la vue peut s’étendre, les collines nues ont un aspect désolé. Sur le sol aride se montrent à peine en quelques endroits des pins misérables, réduits à la dimension de simples arbrisseaux. La première impression est défavorable ; mais celui qui doit parcourir le pays en observateur va bientôt rencontrer ou des scènes charmantes, ou des sujets dignes d’attention.

La rivière de Canton offre un caractère imposant : près de l’embouchure, des îles couvertes d’une argile jaunâtre et semées de roches énormes sont d’un effet étrange ; la Bogue franchie, la nappe d’eau étalée sur une immense surface donne l’idée d’une mer intérieure. Le paysage est vraiment grandiose : le sol, cultivé près des rivages, forme un saisissant contraste avec les collines nues, et les montagnes lointaines, bien qu’elles soient dépouillées, se dressant comme pour limiter l’espace, complètent le tableau. Les rizières couvrent la plus grande partie de la plaine, ainsi que les îles disséminées sur le fleuve, et du côté de Wampou de vastes champs de cannes à sucre se dessinent au milieu des autres cultures. De nombreux groupes d’arbres fruitiers rompent la monotonie : ce sont des manguiers, des goyaviers, des orangers, des bananiers, des figuiers de diverses sortes, qui annoncent la région tropicale. Des bambous et des saules, des cyprès, des thuias, une espèce de pin prospérant au bord des canaux, se distinguent aussi dans l’ensemble de la végétation. Une chose bien curieuse encore attire les regards : ce sont, sur les côtés de la rivière, de grands espaces couverts de nélombo[4], cultivé comme plante alimentaire et comme objet d’ornement pour les temples et les habitations. Dans la belle saison, lorsque s’ouvrent les magnifiques fleurs blanches, les yeux sont ravis ; mais l’attrait a disparu quand, à la fin de l’automne, les tiges brisées, les feuilles flétries, demeurent éparses sur l’eau stagnante. Souvent on a parlé des jardins situés dans les environs de Canton ; ce sont en effet des endroits remarquables où se trouvent associées aux végétaux propres au pays des espèces originaires ou de l’Inde, ou du nord de l’empire, ou du Japon. Des orangers et des citronniers de plusieurs espèces forment des masses touffues : l’olivier odorant embaume l’air ; les magnolias, les justiciers, les clérodendrons[5], atteignent le plus beau développement ; des palmiers tranchent au milieu des autres arbres. Puis ce sont des camellias, des azaléas, des roses à profusion, puis encore les ixores et les lagerstrœmies, dont on voit des échantillons dans nos serres, et les jolis arbrisseaux de la famille des orangers, les murrayas et l’aglaia odorante, qui croissent sous les climats les plus favorisés de l’Asie. Dans ces jardins, les pivoines importées du nord sont cultivées avec autant de succès que les végétaux des tropiques, et l’Européen contemple avec étonnement une foule de plantes réduites aux proportions les plus exiguës. Le goût des plantes naines est très prononcé chez les Chinois, l’art de les obtenir très perfectionné, et c’est avec orgueil qu’un horticulteur de Canton montre des orangers, des rosiers ou d’autres arbustes donnant leurs fleurs, bien qu’ils atteignent seulement la hauteur de quelques centimètres.

Aux alentours de la capitale de la province de Quang-tung, la végétation a les plus grands rapports avec celle de l’Inde, et les animaux du pays offrent également pour la plupart les signes caractéristiques des êtres destinés à vivre sous les tropiques. Dans les massifs de bambous se réfugient des oiseaux assez voisins des pies-grièches, les garrulax, au plumage d’un vert plombé ; sur le sommet des arbres se pose le rolle oriental[6], qui se fait admirer par des couleurs où dominent le vert et le bleu et par un bec rouge bien luisant. Un joli gobe-mouches vole en rasant la terre à la poursuite des insectes[7] ; des pies, des merles, des étourneaux, une petite mésange, un loriot d’espèces particulières, sont répandus dans les campagnes. Une fauvette d’un type tout asiatique[8], variée de vert et de jaune avec un cercle blanc entourant des yeux noirs, se distingue parmi les chanteurs. Un coucou fort bruyant[9], ainsi que d’autres oiseaux du même groupe, sont encore des représentans d’une faune tropicale, et ce caractère général de la faune de la Chine méridionale est tout à fait marqué par la présence des perruches. Dans la foule des oiseaux qui se plaisent sur les rivières et les étangs, on admire surtout les canards mandarins, devenus en Europe l’un des ornemens des ménageries, et dans les lieux tranquilles et passablement abrités on rencontre le faisan à collier, que l’on peut voir aujourd’hui dans nos volières à côté des autres espèces du même genre. Les insectes de la province de Quang-tung offrent aussi un singulier intérêt pour l’étude comparative des différentes parties de l’Asie. On observe à la fois des espèces propres à la contrée et des espèces de l’Inde, les premières ayant souvent tout l’éclat de celles qui vivent dans les régions équatoriales. Plusieurs papillons de grande taille en fournissent l’exemple, et mieux encore peut-être b splendide bupreste de la Chine[10] : le corps de l’insecte est en entier d’un vert doré éblouissant ; sur le corselet dsux espaces prennent les tons du cuivre, et sur les élytres, finement gravées, une large bande d’un rouge doré se fond avec la teinte verte métallique.

Les savans de la Grande-Bretagne se sont beaucoup occupés de l’île de Hong-kong[11]. Sur un petit théâtre assez facile à explorer, ils pouvaient trouver la plupart des productions naturelles de la province de Quang-tung. Située près de l’embouchure de la rivière de Canton, avec une baie bien abritée contre les vents, la possession de l’île de Hong-kong était un bienfait pour l’Angleterre, et les naturalistes de ces pays devaient prendre plaisir à en étudier les ressources. L’île est couverte de montagnes qui en certains endroits descendent jusqu’à la mer. D’immenses blocs de granit, lavés par les torrens après les grandes pluies, sont disséminés depuis les sommets jusqu’à la base, et de profonds ravins d’où s’élance une végétation abondante oflrent des aspects étranges. Le climat de Hong-kong, assurent les voyageurs, est peu agréable. Pendant les mois de juillet et d’août, la température monte au milieu du jour à 34 ou 35 degrés, et ne descend pas au-dessous de 26 à 27. En hiver, le thermomètre tombe parfois presque au point de congélation, mais le cas est rare, et d’ordinaire, quand le soleil luit. Chinois et Européens aiment encore à se garantir avec une ombrelle.

Le pin de la Chine constitue la plus grande part de la végétation de l’île, et un autre arbre vert, qui depuis longtemps a été introduit en Europe, le cunninghamia, l’accompagne dans beaucoup de localités. Des chênes et une espèce de châtaignier prospèrent sur les montagnes, ainsi que la myrica rouge, autrefois découverte au Japon. Les plantes de la famille des euphorbes sont nombreuses à Hong-kong, et parmi elles on remarque l’arbre à suif (Stillingia sebifera), d’autres espèces du même genre et les rotleras, dont on obtient une teinture, qui croissent dans les bois et les ravins. Il y a une abondance de figuiers ; le plus commun est le figuier luisant (Ficus nitida), et dans le lit des cours d’eau végète le figuier pyriforme, habituellement tout couvert de fruits quand aux mêmes lieux l’azaléa indienne étale ses belles fleurs. Des bambous de diverses sortes, groupés sur quelques points, sont d’un effet tout gracieux dans l’ensemble de la végétation. Pendant l’été, l’attention de l’observateur est encore singulièrement éveillée par la présence de certains végétaux. Les sommets des montagnes se couvrent de magnifiques orchidées, appartenant à des genres dont il existe beaucoup d’espèces dans l’Inde : fleurs pourpres et fleurs jaunes aux formes toujours bizarres[12] qui semblent créées pour causer l’étonnement des contemplateurs de la nature.

Un fait intéressant, constaté par M. R. Fortune, est en harmonie complète avec le mode de distribution de plusieurs de nos végétaux d’Europe. Les plantes qui croissent à une grande élévation sur les montagnes de Hong-kong se retrouvent à une moindre hauteur vers le nord, comme à Ning-po et dans l’île de Chusan ; répandues sous différentes latitudes, elles demeurent néanmoins attachées au même climat : azaléas, roses et violettes sauvages en offrent des exemples. À Hong-Kong, les azaîéas se montrent à environ 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, les gordonias (Cordonia anomala), qui sont de la famille des camellias, se rencontrent aux mêmes stations, ainsi qu’une autre plante de la famille des éricées, peut-être la plus belle entre toutes (Enkyanthus reticulatus). Celle-ci fleurit pendant les mois de février et de mars, et à cette époque les Chinois grimpent les collines pour couper des branches et composer de délicieux bouquets. Sur le terrain plat, les yeux sont charmés par les jolis arbrisseaux du genre lagerstrœmie chargés de fleurs rouges ou blanches, qui, suivant la remarque de plusieurs voyageurs, sont les aubépines de la Chine. Sur les premières plantes des collines, les ixores écarlates, dont on voit des échantillons dans nos serres, étaient à profusion des fleurs qui aux rayons du soleil prennent un éclat éblouissant. Les ravins sont remplis de fougères et d’arbrisseaux d’espèces variées appartenant à des genres propres aux régions chaudes de l’Asie. Dans le nombre, M. Fortune a découvert une espèce aux fleurs lilas, pleines d’élégance, la chirita de la Chine (Chiritas sinensis), qui a été introduite dans les jardins d’Europe.

Les mammifères de Hong-kong sont des chevreuils et des renards ; l’île est habitée ou visitée par les oiseaux du continent, et l’on remarque souvent les martins-pêcheurs, communs dans toute la Chine méridionale. La petite île d’Amoy, située entre le 24e et le 25e degré de latitude, a été comme Hong-kong très bien explorée par quelques Anglais. En se rendant de l’une à l’autre de ces îles, on navigue constamment en vue des côtes des provinces de Quangtung et de Foa-kien, et le voyageur est frappé de l’aridité du sol. Les collines, formées de débris de granit et parsemées de blocs plus ou moins volumineux, sont entièrement privées de verdure ; en quelques endroits se montrent des collines de sable, dont le voisinage est fort désagréable lorsque le vent souffle avec violence ; les particules ténues sont entraînées au loin, et viennent blanchir les cordages des navires. Cependant entre les collines apparaissent des plaines et des vallées fertiles où l’on cultive le riz et les patates douces. Des pagodes, bâties sur les plus hauts sommets, sont d’un effet assez pittoresque et fournissent d’excellentes marques aux marins. Sur l’île d’Amoy, les collines sont plus dénudées que partout ailleurs : ce sont des amas de roches et de gravier. La végétation, très pauvre, conserve en grande partie le caractère tropical de la flore des environs de Canton. Sur les bords des rochers et dans les crevasses abonde une petite plante rampante de la même famille que le café, la pédéria fétide, très gracieuse dans ses ondulations, mais d’une odeur désagréable, et se montrent éparses quelques roses de Chine. Les plaines sont bien cultivées, — le riz, le maïs, la canne à sucre, les cucurbitacées, une sorte d’épinard (Basella rubra), dominent dans l’ensemble. Au milieu des villages on voit des bananiers, dans les jardins l’olivier odorant, le jasmin sambac, des chrysanthèmes. Les oiseaux sont rares sur une terre où les abris font défaut ; cependant M. Swinhoe en a observé plusieurs espèces intéressantes, qui du reste vivent également sur le continent, comme des fauvettes et des pies-grièches[13], qui se tiennent dans les buissons, comme des courlis, une espèce du groupe des hérons[14] et une espèce du genre avocette. Notre faucon commun et l’autour d’Europe habitent les collines d’Amoy où viennent en hiver la buse du Japon et un milan de l’Inde[15]. Des hérons de l’Europe et de l’Asie se rencontrent également dans le pays, où nichent l’hirondelle de Daourie et un martinet de l’Asie centrale[16]. Sur les petites îles de Chimoo et de Chinchew, situées un peu au nord d’Amoy, l’aridité est la même ; la campanule aux grandes fleurs et l’abelia des rochers, une plante de la famille des chèvrefeuilles, forment le principal ornement des collines.

Avant de suivre les investigateurs dans leurs excursions vers le nord de la Chine, il convient de saluer Formose. La grande île, placée sous le tropique, a été le théâtre des recherches de plusieurs naturalistes ; elle ne possède peut-être aucune espèce végétale ou animale qui n’existe sur le continent ; mais cependant quelques découvertes botaniques et zoologiques ont été faites sur cette terre. Formose, on le sait, est couverte de gigantesques montagnes ; les plus voisines des côtes s’élèvent à environ 1,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et quelques-unes de celles de l’intérieur, hautes de plus de 3,000 mètres, ont leur cime couverte de neige. Sur les rivages et sur les coteaux les plus proches, quand on aborde dans la belle saison, la vue s’arrête sur des masses de grandes fleurs blanches et sur des arbrisseaux à tiges nues couronnées par de larges feuilles palmées. La fleur blanche est le lis du Japon (Lilium japonicum), l’arbrisseau est la plante qui sert à fabriquer le fameux papier de riz (Aralia papyrifera Hooker). Lorsque les yeux se portent sur les flancs des montagnes, d’immenses forêts de camphriers paraissent ne laisser de place pour aucune autre végétation. Dans les vallées, dans les ravins, près des rochers, on rencontre la plupart des végétaux qui croissent sur le continent et à Hong-kong. Au milieu des forêts de camphriers errent des chevreuils et des cerfs, et parmi ces derniers le consul britannique, M. Swinhoe, en a rencontré d’une espèce qui n’avait encore été observée nulle part[17]. Il a eu la même fortune pour un certain nombre d’oiseaux, de beaux gallinacés et entre autres un superbe faisan, plusieurs charmantes colombes, des mésanges, des espèces du groupe des moineaux, un merle à tête blanche (Tardus albiceps). Tout le monde connaît le loriot d’Europe, le bel oiseau qui l’été vient construire son nid dans les bois et part avec sa jeune famille dès qu’elle est en âge de voyager. En Asie, il existe un autre loriot très-commun (Oriolus siensis.) qui vit dans l’Inde, parcourt la Chine entière et remonte au nord jusque dans la vallée du fleuve Amour ; souvent dans la région du tropique il arrive au milieu des champs de bambous par bandes composées de plusieurs milliers d’individus. Les loriots en général se font remarquer par la couleur jaune d’or d’une portion plus ou moins grande de leur vêtement ; cependant sur l’île de Formose, M. Swinhoe a découvert une espèce du même genre (Psaropholus ardens) qui est d’un beau rouge écarlate, avec la tête, les ailes et les jambes d’un noir brillant. Celui-ci ne voyage pas à chaque saison pour trouver le climat qui lui convient, un simple déplacement suffit : en hiver, il habite les forêts de camphriers et il fréquente les buissons de la contrée qu’on appelle la Vallée heureuse ; en été, il disparaît et va couver dans les parties hautes et inaccessibles des montagnes. On ne voit point de perroquets dans l’île de Formose ; ces oiseaux ne se montrent pas au-delà des provinces méridionales et centrales de la Chine.

En traversant le canal de Formose et en remontant un peu au nord, on atteint Fou-tcheou, la capitale de la province de Fou-kien, située par 25° 30′ de latitude sur la rivière Min. L’embouchure de la rivière et la ville composent une vue qui donnerait les plus grandes tentations aux peintres, si jamais ils allaient jusqu’en Chine pour trouver des sujets de tableaux. Élargi dans la plaine, resserre entre les montagnes, le fleuve présente aux regards du voyageur des aspects tout à fait inattendus. De nombreux temples bâtis sur les rives dans les situations les plus pittoresques et entourés de groupes de superbes figuiers[18] répandent un charme extrême sur la contrée. Des massifs de bananiers aux larges feuilles donnent un ombrage qui contraste heureusement avec la vive lumière répandue dans l’espace et qui est bien apprécié quand le soleil inonde le pays de ses rayons ardens. Les environs de Fou-tcheou ont été mieux explorés que toutes les autres parties du Fou-kien. Les productions naturelles de la région ne diffèrent pas sensiblement de celles de la province de Quang-tung ou de l’île de Hong-kong, cependant, remarque M. Fortune, la flore présente un caractère intermédiaire entre celle du sud et celle du nord. Les plantes du tropique se voient dans les vallées, et les plantes du nord sur les montagnes à environ 1,000 mètres d’élévation. Les plus grands arbres sont le sapin et le pin de la Chine[19]. La province de Fou-kien à une très nombreuse population ; elle est très bien cultivée, non-seulement dans les plaines, mais encore sur les collines, et, au moins pour les environs de Fou-tcheou, il est souvent difficile en observant la végétation de reconnaître où la main de l’homme n’a point passé. Autour de la ville, on voit les plus beaux camellias du monde, de magnifiques hortensias qui étalent des bouquets de fleurs bleues à côté des fleurs écarlates des ixoras. Les citronniers, les orangers et beaucoup d’autres arbres à fruits abondent dans la plaine. On rencontre également un arbre[20] nommé l’olivier de Chine à cause d’une ressemblance dans la forme du fruit avec l’olive qu’on récolte sur les rivages de la Méditerranée et le dattier de la Chine. Le tabac est cultivé dans une grande partie de la province, ainsi que la canne à sucre et le gingembre ; le thé occupe une grande place dans le pays, et, comme le constate M. Fortune, on n’en voit que d’une seule espèce : le thé vert (Thea viridis). Les différentes sortes de la précieuse plante qu’on expédie en Europe sont obtenues par divers modes de préparation. On cultive des arbrisseaux, comme i’aglaia odorante et la murraya exotique de la famille des orangers et d’autres encore, pour les fleurs, dont il est fait grand usage pour parfumer le thé. Le jasmia sambac, qui est répandu dans une grande partie de la Chine, abonde aux environs de Fou-tcheou, — il sert à parfumer la chevelure des belles Chinoises.

En continuant à suivre, vers le nord, le littoral du continent, on atteint la province de Tché-kiang et l’île de Chusan. Sous le 30° degré de latitude, la plupart des plantes et des animaux du tropique ont disparu. L’aspect du pays est tout autre que dans le sud. L’île de Chusan est l’une des plus belles îles du monde, s’écrient ceux qui l’ont visitée : c’est une succession de collines et de vallées qui rappelle au voyageur anglais les sites les plus aimés de l’Écosse. Les riches vallées sont arrosées par une multitude de cours d’eau, et dominées en beaucoup d’endroits par des montagnes couvertes d’un brillante végétation. Au printemps, c’est un séjour délicieux ; les collines sont chargées des jolies fleurs lilas d’une espèce de daphné et des fleurs fraîchement teintées de l’un des plus beaux azaléas que l’on connaisse[21]. Un arbrisseau de la famille des scrofulaires [22] paraît ravissant lorsque ses longues tiges tombent à profusion sur les pentes, souvent mêlées à la glycine, et les masses de fleurs roses d’un arbuste autrefois découvert au Japon (Dervillia rosea) excitent justement l’admiration. À Chusan, comme sur divers points de la province de Tché-kiang, la charmante glycine sauvage court sur les haies, grimpe sur les arbres, et ses tiges, alourdies par des grappes de fleurs, retombent en longues traînes sur les étroits sentiers qui conduisent dans les montagnes ; mais les azaléas que l’on a vus sur les montagnes du sud se trouvent ici attachés aux flancs des collines, et, rapportent tous les observateurs, il est difficile de se figurer la surprenante beauté des coteaux, où, si loin que la vue peut porter, les yeux s’arrêtent sur des champs de fleurs magnifiquement colorées. Et les azaléas ne sont pas les seuls : les clématites, les roses sauvages, les chèvrefeuilles, les glycines, se confondent au milieu d’arbrisseaux de la famille des myrtes ou de la famille des éricées. L’arbre à suif est abondant dans les vallées, ainsi que le camphrier ; le pin et le sapin de Chine (Cunninghamia lanceolata), si répandus dans les provinces du sud, sont également communs dans l’île ; mais le figuier luisant ne s’y trouve nulle part. Des forêts de bambous de diverses sortes sont encore à Chusan, ainsi que dans toute la province de Tché-kiang, de remarquables restes de la végétation des tropiques, et l’on assure que rien n’est joli comme le bambou jaune avec sa tige droite et lisse et sa tête verdoyante qu’agite le vent.

Le sol de l’île est extrêmement favorable aux cultures ; c’est un terrain d’alluvion qui dans les vallées est rendu très fertile par la grande quantité de matière végétale dont il est imprégné, et qui sur les collines, où il est moins imprégné d’eau, conserve un peu de gravier. Le blé, l’orge, le maïs, les pois, les fèves, couvrent de grandes surfaces. On cultive également le trèfle, et surtout, comme dans la province de Tché-kiang, une plante oléagineuse, le chou de la Chine, ayant des tiges hautes de plus de 1 mètre. Au mois d’avril, les fleurs étant épanouies, la contrée paraît vêtue d’un tapis d’or, et une délicieuse senteur est répandue dans l’atmosphère. Une grande ortie cultivée, mais que l’on trouve dans le pays à l’état sauvage, fournit un fil très bon pour fabriquer des cordages. Un palmier qu’on entretient sur les collines donne aussi une matière textile, et le palmier à chanvre une fibre extrêmement résistante, propre à confectionner des chapeaux et des vêtemens qui permettent de braver la pluie. — Dans le sud de la Chine, ce sont les feuilles de bambou qui sont employées à cet usage. — Les arbres à fruits, tels que les pêchers, les pruniers, les poiriers, les citronniers et la vigne, très répandus sur les parties voisines du continent, sont assez rares à Chusan. Comme on le voit, cette île est pleine de ressources et vraiment attrayante.

Quand on passe de Chusan sur la terre ferme, c’est-à-dire dans le nord de la province de Tché-kiang, où dominent les grandes villes de Ning-po et de Hang-tcheou, tout semble pareil dans la nature. On retrouve absolument la même végétation, on voit les mêmes insectes sur les fleurs, on entend chanter les mêmes oiseaux sur les arbres et dans les buissons, on est en présence de cultures du même genre. C’est toujours le pays des daphnés, des roses, de la glycine, des pivoines en arbres, des azaléas, au milieu desquels se montre en certains endroits la charmante espèce aux fleurs jaunes[23] : pays plein d’enchantement, comme on n’en peut douter d’après les impressions des voyageurs. Ning-po est situé dans une vaste plaine coupée en partie par des rizières et des champs de trèfle ; une ceinture de collines ouverte seulement du côté de la mer entoure l’espace uni à la façon d’un immense amphithéâtre, où serpentent de nombreux cours d’eau, utilisés pour le transport des marchandises. Le district, célèbre par la production du thé, a donné lieu à de séduisantes descriptions. Placé sur un point élevé, l’observateur, pouvant étendre le regard sur toute la vallée, demeure ravi. Se rappelant un jour de contemplation sur une colline des environs de Ning-po, M. R. Fortune s’écrie : « La vue surpassait en beauté tout ce que nous avions observé jusqu’alors en Chine ; au matin, c’était délicieux. » À l’extrémité de la vallée s’élève un temple précédé d’une longue avenue ayant une bordure de pins qui près de l’édifice s’écarte de chaque côté, laissant apercevoir deux lacs artificiels ; des rivières et des ruisseaux descendent des montagnes et parcourent la plaine cultivée ; les buissons de thé, également espacés, forment de sombres bouquets sur les pentes des collines les plus fertiles. Partout dans le lointain apparaissent des montagnes irrégulièrement découpées, couvertes presque jusqu’au sommet d’arbres et d’arbrisseaux qui indiquent encore le climat du tropique. Ce sont des camphriers, des pins et des sapins[24], des cyprès[25], des chênes, l’arbre à suif. Des camellias croissent dans les bois, et des bambous, des plus beaux parmi tous ceux que l’on rencontre en Chine, poussent dans les ravins.

En remontant la rivière de Ning-po jusqu’à la distance de 25 à 30 kilomètres, où il existe un lieu de pèlerinage célèbre dans la contrée, le temple de Ayu-ka, on arrive au pied de collines d’un aspect curieux. De tous côtés, ce sont des fermes bordées de massifs de genévriers et d’autres arbres verts, où l’on s’occupe spécialement de la culture du thé, et aux alentours des tombes plus ou moins en ruine. Les pentes des collines sont cultivées, mais au-delà, de même qu’au bord des sentiers, il n’y a plus que de longues herbes, des arbrisseaux, une foule de plantes sauvages ; au printemps, la forsythia verte[26], les clématites, les spirées[27], les églantiers, la glycine, sont en pleine floraison. Si le regard se porte un peu plus haut, ce sont des amélanchiers aux fleurs blanches[28], des azaléas de toutes nuances avec des gerbes de fleurs plus larges qu’on n’en vit jamais dans les expositions d’horticulture en Europe. Par une belle matinée, nous dit-on, lorsque du côté de l’orient le soleil s’élève sur les montagnes, que les gouttes de rosée tremblent sur les herbes et les fleurs, que les oiseaux font entendre leurs notes argentines, la scène porte aux rêves les plus poétiques. À quelques lieues au nord-ouest de Ning-po se trouve la vieille cité de Tse-ki, assise sur un bras de la rivière dans une plaine entourée de collines. La hauteur des sommets varie de 100 à 300 mètres, et plusieurs d’entre eux sont couronnés par des temples d’un effet imposant et pittoresque. Du côté du nord, entre la porte de la ville et les collines s’étend un joli lac, traversé par une digue conduisant à une série de temples bâtis au pied des coteaux. Le pont, avec ses arches arrondies, vu par le profil, la nappe d’eau reflétant mille objets, la riche végétation des rivages, les monumens épars, forment un tableau qui dépasse toute description. Les pentes des collines sont couvertes d’arbres d’un aspect charmant : ce sont des groupes de pins de la Chine de proportions magnifiques, puis des châtaigniers donnant des fruits estimés, et des chênes, les uns à feuilles persistantes, les autres à feuilles caduques, puis des camphriers au port majestueux, qui parmi tous les autres attirent surtout l’attention. Près des tombeaux, outre les pins, les genévriers, les cyprès, se montrent aussi des saules pleureurs et un arbre de la famille des pommiers[29] qui, en hiver, se couvre de grappes de baies du plus beau rouge.

Dans le district de Mou-yuen, bien connu par les thés verts qu’on exporte en Europe et en Amérique, les châtaigniers et les cèdres du Japon (Cryptomeria japonica) dominent sur les collines. La province de Tché-kiang offre des ressources de tout genre ; on trouve en divers endroits l’arbre à vernis, une espèce de sumac dont on tire la substance qui donne aux meubles un brillant incomparable ; les laques de Canton sont faites de cette matière, dont la préparation réclame des soins attentifs à cause de ses propriétés vénéneuses. Au bord des étangs et des rivières croît un frêne sur lequel vit un insecte de la famille des cochenilles[30] produisant en abondance une cire blanche comme l’albâtre ; lorsque l’insecte est en plein développement, les arbres semblent couverts de plaques de neige. Un arbrisseau de la famille des légumineuses et du genre Cæsalpinia, qu’on rencontre dans différentes localités, a des cosses charnues dont on fait grand usage pour la table. Une plante du groupe des acanthes, cultivée en plusieurs endroits, fournit une belle teinture bleue[31].

Il est dans le nord du Tché-kiang, à 20 ou 25 lieues au sud-ouest de Ning-po, une localité célèbre qui s’appelle la Vallée neigeuse. Sur le trajet, on rencontre une belle montagne, où, parmi les arbres ordinaires au pays, de grandes masses de cyprès funèbres donnent au paysage un aspect tout nouveau. Le sol est riche en minerai de fer, qu’on exploite avec beaucoup d’activité. À quelques kilomètres plus loin, le voyageur côtoie un torrent, et dans toutes les directions il aperçoit des villages, puis, s’engageant dans un sentier qui s’élève entre des collines et des montagnes, il découvre bientôt la Vallée neigeuse. Au centre, on remarque un temple en ruines, au bord, une nappe d’eau tombant sur des roches aiguës qui donne des flots d’écume : c’est la neige de la vallée. Aux alentours, la plupart des collines sont boisées ; le pin de la Chine, le cèdre du Japon (Cryptomeria japonica), le sapin aux feuilles aiguës (Cunninghamia lanceolata), forment des forêts belles et pittoresques. De petits palmiers du genre des chamærops couvrent le sol en divers endroits, et des bambous, d’une espèce différente de celles des provinces méridionales, sont cultivés sur les pentes des montagnes. Aux environs de la ville Ning-kang-jou, au milieu d’une plaine, dans une situation plus élevée que la plaine de Ning-po, il y a des champs d’ortie blanche (Urtica nivea) dont les fibres servent dans une grande partie de la Chine à fabriquer des vêtemens. La plante croît naturellement sur les terrains escarpés, sur les murs des villes, sur les constructions en ruine ; mais à l’état sauvage elle n’a pas les qualités qui lui viennent par la culture. Il y a encore d’autres plantes textiles. La jute (Corchorus capsularis), qu’on emploie à la confection des sacs destinés à contenir le riz, et une grande espèce de palmier, dont les fibres sont excellentes pour faire les cordages avec lesquels on tire les bateaux.

En remontant le cours de la rivière de Ning-po, on atteint des montagnes de plus de 1,000 mètres, et là, parmi des chênes, des châtaigniers, des pins, se distingue l’un des plus beaux arbres verts, le sapin ou mélèze du Japon (Abies Kœmpferi). Les Chinois le nomment le pin doré, probablement à cause de la couleur que le feuillage et les cônes prennent vers l’automne. Souvent l’arbre dépasse la hauteur de 40 mètres ; le tronc droit et les branches symétriques, horizontales, seulement un peu inclinées vers le bout, rappelant à la fois certaines apparences du cèdre et du mélèze d’Europe, sont du plus bel effet. Sur les sommets des montagnes, il existe, à côté de cèdres du Japon, des ifs d’un genre particulier[32]. M. Fortune a observé dans les vallons une espèce de rhododendron qui avait été découverte précédemment sur les collines de Hongkong [33].

Après la conclusion du traité qui donnait au commerce européen l’entrée de plusieurs ports, un des points le plus tôt visités fut Chang-haï, ville littorale de la province de Kiang-sou, limitrophe du Tché-kiang. Le pays est la vallée du cours inférieur du Fleuve-Bleu : une vaste plaine coupée par des rivières et des canaux. À Chang-hai, par 31° 20’ de latitude, le thermomètre monte jusqu’à 38 degrés pendant les mois de juillet et d’août, tandis qu’en hiver les cours d’eau et les étangs gèlent fortement. Néanmoins la contrée est riche. « Sous le rapport de l’agriculture, dit M. Robert Fortune, la plaine de Chang-hai est la plus belle que j’aie vue en Chine ; elle n’est peut-être égalée dans le monde par aucun district d’une grande étendue ; c’est un immense et magnifique jardin. » Le coton est particulièrement cultivé dans le Kiang-sou, qui a pour capitale, comme on le sait, la ville célèbre de Nan-king. Les cotonniers sont des arbustes hauts de plus d’un mètre, portant des fleurs d’un jaune foncé[34].

En différentes parties de la Chine, on s’occupe d’une manière spéciale de la production de la soie ; mais, sous ce rapport, il n’est point de contrée plus renommée que le district situé à l’ouest de la grande plaine du Yang-tse-kiang. Dans le voyage de Chang-haï au pays de la soie, on passe près de plusieurs lacs bizarrement découpés et en général très ornés de plantes aquatiques. Les nénufars, les macres (Trapa bicornis) les scirpes abondent, et en quelques endroits on remarque, étendues à la surface de l’eau, les larges feuilles piquantes, et, dans la saison, les fleurs blanches légèrement empourprées de l’euryale (Euryale ferox). Bientôt après, aux approches de Hou-tcheou et de Nan-tsin, le pays offre un aspect particulier. Le terrain est une alluvion jaunâtre rendue très fertile par l’abondance de matière végétale. L’espace uni est immense, les collines n’apparaissent que dans le lointain ; les champs cultivés et surtout les rizières couvrent une grande partie du sol ; mais ce qui attire le regard, ce sont les mûriers hauts et touffus qui forment la seule végétation arborescente de la contrée. Ici, les mûriers et les vers à soie constituent la richesse, et une bonne partie de la population est adonnée aux soins de la plante et de l’insecte.

Près de Chang-haï, la végétation naturelle est presque semblable à celle des environs de Ning-po ; cependant on n’y voit pas, d’azalées, de sorte que Chusan et la province de Tché-kiang paraissent être au nord l’extrême limite de ces belles plantes. Autour des villages et des fermes, on voit encore de petits massifs de bambous ; mais c’est le seul vestige de la flore des tropiques qu’on observe dans cette région. Sur les collines, en général peu élevées et très différentes de celles du sud, croissent différens arbres verts : des pins, des cèdres du Japon, de superbes araucarias et des ginhkos (Salisburia adiantifolia), qui seuls atteignent de grandes proportions.

La faune de la région qui comprend le nord de la province de Tché-kiang et le sud de la province de Kiang-sou offre le même caractère général que la flore. Les animaux de toutes les classes appartiennent aux types des climats tempérés ; il n’y a que de rares représentans des formes tropicales, et, comme pour les végétaux, plusieurs espèces ne remontent pas vers le nord au-delà des environs de Ning-po et de l’île de Chusan. Les insectes permettent d’apprécier avec une remarquable précision de légères différences dans les conditions physiques du pays. À peu de distance de Chang-haï, on rencontre de gros coléoptères du genre des carabes, particulièrement abondans dans les régions froides ou tempérées de l’Europe et de l’Asie, et ces mêmes insectes ne paraissent exister ni à Chusan, ni dans le Tché-kiang. Les oiseaux du tropique ne viennent qu’en très petit nombre dans le Kiang-sou. Aux environs de Chang-haï, on observe en grande partie les espèces dont nous avons constaté la présence dans le Pe-tche-li et beaucoup d’espèces du Japon ; mais, on le sait, les oiseaux de passage dans leurs migrations régulières se montrent aux mêmes points en différentes saisons, les uns venant du nord et les autres du sud.

Dans cette partie de la Chine, le printemps est délicieux lorsque la végétation commence à paraître et les oiseaux à chanter dans les taillis. Beaucoup de plantes ont des boutons déjà très développés en automne, de sorte qu’on voit des fleurs avant la fin de l’hiver. Souvent les touffes de fleurs jaunes des jasmins[35] semblent s’échapper de la neige, et presque aussitôt une petite spirée[36] qui fait songer aux pâquerettes, les daphnés lilas, les forsythias jaunes se montrent dans la campagne, où l’arbre de Judée est aussi dans ses jours de fête. Les pêchers, couverts de masses de fleurs aussi grandes que des roses, sont comptés par les admirateurs de la nature au nombre des choses les plus gracieuses et les plus gaies du monde. À cette époque fleurissent également les camellias, mais sous ce climat, déjà un peu froid en hiver, on est obligé de donner des abris à ces charmans arbustes. Quand vient le mois de mai, ce sont des viornes portant une multitude de têtes blanches comme la neige, une spirée[37] plus belle que l’espèce du même genre qu’on appelle en France la reine des prés, des primevères[38], les charmantes plantes, la dervillia rose et la dielytra, introduites dans les jardins d’Europe depuis que la Chine a été explorée sous le rapport scientifique, les glycines et des rosacées, dont les espèces ont été observées plus anciennement au Japon[39].


II.[modifier]

Les explorations effectuées depuis vingt-cinq ans, et de nombreuses récoltes de plantes et d’animaux, avaient fait connaître l’état de la nature sur toute la bande orientale de la Chine. Les recherches récentes poursuivies avec un soin extrême dans le nord du céleste empire ne laissaient plus rien ignorer d’essentiel sur une contrée qui, sous divers rapports, offre un intérêt considérable ; mais sur la carte on voyait encore une immense étendue de territoire qui n’avait été foulée par aucun observateur. Les provinces centrales et occidentales de la Chine restaient pour les naturalistes une région à peu près inconnue. Seuls, quelques animaux originaires de cette partie du monde, et obtenus soit par des missionnaires, soit par le consul de France à Han-keou, M. Dabry, indiquaient l’existence d’un champ d’étude où l’observateur ferait certainement d’importantes découvertes.

L’abbé Armand David avait le plus grand désir d’explorer le Chen-si et le Kan-sou ; malheureusement ces provinces étaient au pouvoir des rebelles musulmans, qui menaçaient même la capitale. Les hordes de brigands pillaient et incendiaient les maisons, massacraient les habitans sans autre but que de faire le mal. Malgré tout, le savant lazariste ne renonce pas à son expédition. Après s’être convaincu de l’impossibilité d’un voyage par terre, il prend le parti de se rendre à Takou, de s’embarquer pour Chang-hai et de remonter le Fleuve-Bleu, afin de pénétrer dans le Kiang-si, le Hou-pé et le Hou-nan. Ces trois immenses provinces, ayant des montagnes et de nombreux cours d’eau, semblaient devoir être riches en productions naturelles. L’abbé David se met en route avec M. Chevrier, qui l’avait accompagné en Mongolie, et deux Chinois capables de l’aider dans ses travaux. Une fois dans le bassin du Yangtse-kiang, il espère, si les circonstances n’y mettent obstacle, passer à travers le Sse-tchouen, et atteindre les régions élevées du massif thibétain.

Au mois de février 1868, l’infatigable voyageur voulait employer encore trois années à recueillir les plantes et les animaux des parties les moins connues de la Chine ; il comptait pour peu de chose ses recherches dans le Pe-tche-li, et son exploration de la Mongolie. « Puisque des circonstances providentielles me le permettent, écrit-il, je voudrais faire quelque chose de mieux pour notre France et ne pas abandonner aux Anglais seuls l’exploration scientifique de l’extrême Orient ; je regretterais de prendre sur le ministère apostolique un temps précieux que je saui-ais ne pas profiter beaucoup à la science[40]. » Il eût été difficile de commencer une campagne avec de plus louables aspirations ; mais un véritable dévoûment était bien nécessaire pour s’assujettir aux fatigues et aux privations les plus pénibles, pour s’exposer à des dangers inséparables d’expéditions dans des pays où le voyageur ne peut espérer aucune protection et doit tout attendre de son courage.

Au moment du départ, les contrariétés viennent des intempéries de la saison. On a vu que la pluie est rare à Pékin et en général dans tout le nord de la Chine[41]. Pendant six années une sécheresse persistante avait produit des effets déplorables ; les lacs, les étangs, les ruisseaux n’existaient plus, les poissons avaient péri. En 1867, un grand changement était survenu ; l’automne avait été humide et l’hiver sans exemple pour les habitans : la neige tombait d’une manière presque continuelle. Ne se laissant point décourager, notre missionnaire se rend à Chang-hai, et remonte le Yang-tse-kiang jusqu’au Kiang-si avec l’intention de séjourner seulement quelques mois dans cette province. Déjà très persuadé que la plus belle contrée du centre de la Chine est la partie occidentale du Sse-tchouen, il tenait à voir promptement cette terre favorisée.

Le Kiang-si, au moins dans les environs de la ville de Kin-kiang, est une région pauvre, surchargée d’habitans. Le pays étant complètement déboisé, les mammifères et les oiseaux y sont très rares, au moins dans la saison d’été. La contrée, plus riche dans la partie du sud-est, ressemble beaucoup, par ses productions, à la province limitrophe de Fou-kien, que les savans anglais ont explorée.

La grande province de Kiang-si est comprise entre le 24e et le 30e degré de latitude. Au nord, le lac de Poyang en. occupe le centre, et d’innombrables montagnes forment une vaste enceinte ; les cours d’eau, alimentés surtout par les grandes pluies du printemps et de l’automne, se déchargent dans le lac. La seconde moitié de l’automne et l’hiver sont les époques des belles journées. Les montagnes sont en général peu élevées, et les plus considérables établissent la séparation entre le Fou-kien et de Kiang-si. Il y a de nombreux dépôts carbonifères qui sont exploités ; mais dans le district de Kin-kiang le charbon fait défaut, et, pour les habitans de la ville, le combustible ordinaire se réduit à de la paille, à des herbes sèches, à de misérables broussailles qu’on coupe au ras de terre sur les collines environnantes. On peut acheter, il est vrai, du charbon minéral amené de l’intérieur ou de la province de Hou-nan, mais l’emploi de ce combustible est un luxe qui n’est pas à la portée des pauvres gens. L’eau abonde dans les environs de Kin-kiang[42] ; partout ce sont des fleuves ou des rivières, des lacs et des étangs qui, pour la plupart, communiquent avec le Yang-tse-kiang. Le Fleuve-Bleu, qui coupe le nord de la province, a dans cet endroit une largeur d’environ 1,500 mètres ; quant à la profondeur, elle varie considérablement suivant les saisons. Un résident anglais à Kin-kiang, M. Hollinworth, a constaté une différence de niveau de 10 à 12 mètres. L’inondation envahit le pays presque chaque année, et sans bateau il serait impossible de sortir des maisons.

Aux environs de la ville, au sud du Yang-tse-kiang, le terrain est parsemé de petites collines très accidentées, tandis qu’au nord du grand fleuve la plaine s’étend à perte de vue. La montagne la plus remarquable, appelée Ly-chan, haute d’environ 1,200 mètres, est située à 4 lieues au sud de la ville. Dans toute la contrée apparaissent les roches sédimentaires, des grès schisteux, mêlés de quartz, des calcaires bleus, et une roche argileuse qui constitue la base de toutes les petites collines et le sous-sol du terrain meuble. Cette roche, variée de rouge et de jaune, est d’une dureté médiocre et très caverneuse, parce qu’elle contient une énorme quantité de géodes ferrugineuses qui se détruisent au contact de l’air. On tire des blocs de granit des rives du lac Poyang. Comme dans le Fou-kien, l’aspect de la végétation indique le voisinage du tropique, surtout parmi les plantes ligneuses. Les camphriers abondent dans le pays, et apprennent au voyageur qu’il est dans la grande région centrale de l’Asie. Sur les montagnes croissent des arbres appartenant aux mêmes genres que ceux de l’Europe ou du nord de l’Asie, mais d’espèces différentes de celles du Pe-tche-li et de la Mongolie. Il y a des châtaigniers nains qui portent des fruits de la grosseur d’une cerise, très recherchés par les femmes chinoises. Des chênes poussent aux mêmes lieux, ainsi que des charmes, un coudrier, des saules de plusieurs sortes.

Partout on rencontre un pin de petite taille, garni de longues feuilles extrêmement ténues, et, sur les points élevés, on admire le superbe pin doré qui se distingue par sa haute taille et son port magnifique (Abies Kœmpferi), à côté des autres arbres verts qui existent ici comme dans le Fou-kien et dans le Tché-kiang, mais qu’on ne voit pas au nord de l’empire[43]. En même temps, on remarque un aconit sarmenteux, un vérâtre à fleurs jaunes, une saxifrage, le polypode vulgaire, qui croissent également dans les montagnes des environs de Pékin. Autour de la ville, l’oxacide cornue, la verveine officinale d’origine européenne, et l’érigéron du Canada, semblent si bien prospérer qu’on pourrait les croire indigènes. L’ailanthe, qui est des plus communs dans le nord, ne se trouve point dans cette partie de la Chine, où l’acacia de Constantinople (Albizzia Julibrisii) est encore plus répandu.

Émile Blanchard.

(La suite au prochain numéro.)

  1. Voyez la Revue du 15 février et du 15 mars.
  2. Three years Wanderings in the northern provinces of China, London, 1847.Journey to the tea counlries of China 1852 et 1853. — A résidence among the Chinese inland, on the coast at sea, London, 1857.
  3. Les observations de M. Swinhoe sont publiées pour la plupart dans le recueil périodique intitulé The Ibis : Quarterly journal of Ornithology.
  4. Nelumbium speciosum.
  5. Justicia Adhatoda et Clerodendron flagrans.
  6. Eurystomus orientalis.
  7. Xanthopygia narcissina.
  8. Zosterops japonicus.
  9. Cuculus tenuirostris.
  10. Chrysochroa vittata.
  11. Depuis les recherches de M. R. Fortune, la flore de l’île de Hong-kong a été très étudiée par M. Hauce et le major Champion : Hooker’s Journal of Botany, 1850 à 1855.
  12. Arundina sinensis, Spathoglottis Fortuni et une foule d’autres espèces observées par M. R. Fortune et le major Champion.
  13. Garrulax rugillatus.
  14. Numenius Cassinii, Tantalus longimembris et Recurvirostra sinensis décrits par M. Swinhoe.
  15. Milvus Golvinda.
  16. Cypselus affinis.
  17. Le Cervus Swinhoi décrit par M. Sclater.
  18. Ficus nitida.
  19. Cunninghamia lanceolata.
  20. Du genro Canarium de la famille des burséracées.
  21. Daphne Fortunii et Azalea ovata.
  22. Buddlea Lindleyana.
  23. Azalea sinensis.
  24. Cunninghamia lanceolata.
  25. Cryptomeria japonica.
  26. Forsythia viridissima, du groupe des frênes.
  27. Spirœa Reevesiana.
  28. Amelanchier racemosa.
  29. Photinia glabra.
  30. Coccus pela Westwood.
  31. Ruellia indigotica.
  32. Cephlotaxus Fortunei,
  33. Rhododendron Championii.
  34. Gossypium herbaceum.
  35. Jasminum nudiflorum.
  36. Spirœa prunifolia.
  37. Spirœa Reevesiana.
  38. Primula cortusoides.
  39. Kerria japonica.
  40. Lettre adressée à M. Milne Edwards.
  41. Voyez la Revue du 15 février.
  42. Kin-kiang signifie les neuf fleuves.
  43. Cunninghamia lanceolata et Cryptomeria japonica.