Aller au contenu

Les vertus du républicain/02

La bibliothèque libre.
Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 9-13).


ii.

LE SENTIMENT DE LA DIGNITÉ HUMAINE.


Amis,

Écoutez bien ceci :

Celui qui a peur de moi, m’offense : il me croit méchant.

Celui qui pense une chose, et n’ose pas la dire devant moi, se fait une pauvre idée de ma personne : il me croit intolérant.

Celui qui souffre par moi et n’ose pas me le dire, celui-là me méprise : il me croit injuste.

Celui qui a envie de se moquer de moi, et qui fait rentrer son envie pour une autre peur que celle de me faire de la peine, celui-là est un insolent : il me croit bête.

L’amour ! le premier devoir de l’homme, il fait tout.

La dignité humaine ! son premier droit, elle donne tout.

Amis, venez ici, tenant d’une main la sainte bannière de l’amour, tenant de l’autre le noble drapeau de la dignité humaine. Ce drapeau-là, plantons-le d’une main triomphante, et sur-le-champ que nous sachions tous à quoi nous en tenir. L’homme qui se respecte lui-même, respecte ses frères ; il sait aussi s’en faire respecter, glorieux sentiment qui part et retourne sans cesse de lui à ses frères, de ses frères à lui, allant toujours grandissant.

Amis, nous avons été précipités en un jour sur un terrain nouveau. Nous essayons encore nos premiers pas. Tendons-nous la main en hommes qui se valent ; apprenons-nous mutuellement à nous respecter.

Ceux d’entre nous qui ont tremblé en voyant apparaître tout à coup la République, ignoraient, bien sûr, ce que c’est qu’un Républicain.

Pour moi, franc Républicain de vingt ans ou de deux jours, je n’en sais plus rien, j’ai oublié la date, je vous déclare qu’il n’y a plus qu’une crainte permise par ici, celle de la loi. Et encore, la loi, on la respecte, on ne la craint pas.

De la crainte, entre nous, amis ! Et qu’en ferions-nous de ces craintes qui nous déshonoreraient ? Allons, apprenez votre métier. Haut la tête, et la poitrine en avant ! Personne ici ne pense à faire peur. Oubliez les récits de vos nourrices. Il ne pleut pas d’insultes sur les terres de la République.

Je vous en conjure, vous tous, mes concitoyens, dans ces luttes solennelles de la parole et de la presse où nous entrons sans préparation, ne perdez jamais de vue le principe sauveur de la dignité humaine. Discutez et tâchez de convertir, n’injuriez jamais. Respect aux opinions ! C’est la plus sacrée de toutes les propriétés.

Avant tout, soyons sobres de ces mots qui appellent la foudre, de ces mots de traîtres, de factieux, de mauvais citoyens, après lesquels un frère devient un ennemi. Celui-là même qui, dans un moment d’égarement, a mis le pied sur la route du mal, va retourner de lui-même en arrière, si d’un geste amical vous lui montrez simplement où il va. Une menace, une insulte, c’est le coup de fouet qui pousse en avant un coursier généreux. Ces hommes qui se trompent sont des Français, et la France est un pays d’honneur, maintenant plus que jamais.

Voyez, quand des ouvriers égarés sont allés par la ville, brisant les machines qui travaillaient pour eux, pareils à des cavaliers maladroits qui tueraient leurs montures, d’autres ouvriers sont venus qui sans emportement, sans mépris, en hommes qui savent le langage qu’il faut parler à des hommes, ont écrit sur les murs ce simple mot : « Frères, ceci est un tort. » Ce mot, quand je l’ai lu, les larmes me sont montées aux yeux, et j’ai dit : « La République vivra ! »

Or, savez-vous ce qui est arrivé, c’est que le lendemain ces gens qui avaient effrayé la ville sont venus en pleurant signer à leur tour qu’ils avaient eu tort, et qu’eux aussi, nobles cœurs, l’ont écrit sur le mur. Dites, cela ne vaut-il pas une armée pour rassurer ceux qui étaient menacés ?

Frères, amis, concitoyens, écoutez-moi tous, et au nom de la patrie qu’il nous est ordonné de sauver, gravez tous au plus avant de votre cœur ce que je vous dis là : « Respectez, respectez les hommes ; même malgré eux, forcez-les de se respecter. Le méchant, c’est celui qui n’a pas le sentiment de la dignité humaine. Faites entrer ce sentiment dans son cœur : il n’y a pas de sentinelle, il n’y a pas de police qui le gardera mieux, puisqu’il emportera partout avec lui son gardien. »