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Les vertus du républicain/12

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Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 60-64).


xii.

LE PATRIOTISME.


Frères, amis, citoyens,

L’État, c’est nous ; parlons un peu comme Louis XIV. À chacun son tour.

Ce qu’il y a de terrible et d’admirable dans la forme républicaine, c’est que tout le mondé a sa part du gouvernement, c’est que, bon gré, mal gré, il faut que tous mettent la main à la chose publique. Ignorants, peureux, égoïstes, il n’importe : il faut apprendre, il faut oser, il faut se sacrifier au besoin. L’honneur est grand : mais on le paie. On le paie en monnaie de vertus, et qui n’en a pas doit s’en procurer. Aussi le gouvernement républicain, que l’on dise ou non le contraire, est-il éminemment moralisateur, et l’amour de la patrie n’y est pas facultatif ; il est de stricte obligation.

À ce compte, je n’avais pas cru d’abord qu’il fût à propos de faire figurer le patriotisme sur une liste des vertus d’un républicain.

Cependant, saint amour de la patrie, tu existais hier ! Je ne saurais te réduire à n’être plus autre chose qu’une triste nécessité.

Oui, tu restes une vertu, une vertu de famille, de cette grande famille française, où les femmes timides, et les vieillards morts à l’émotion, et les méchants eux-mêmes, ne sauraient commander à leur sang de race, quand on remue chez eux la fibre patriotique.

Ah ! tu n’avais pas besoin de devenir une nécessité. Mourir pour la patrie ! le chant d’aujourd’hui, c’est le chant d’hier.

Or, il ne s’agit pas de mourir, il s’agit de vivre pour la patrie.

Mourir c’est l’affaire d’un quart d’heure d’exaltation. Vivre, cela dure plus longtemps, et demande une plus grande dépense de patriotisme.

Citoyens, c’est le moment de montrer si la patrie est autre chose qu’un vain mot pour nous ; c’est le moment de faire honneur aux traditions glorieuses de nos pères en République. Nous aussi nous allons être des hommes historiques.

Ne faisons pas du patriotisme en allant redemander à tous les échos du dehors les souvenirs irritants de nos luttes, de nos triomphes et de nos défaites. Soyons patriotes chez nous en servant bien la patrie.

Soyons patriotes.

En respectant les droits de nos frères pour servir la cause de la liberté ;

En nous méprisant le moins possible, pour servir la cause de l’égalité ;

En serrant une main qui fut celle d’un ennemi, pour servir la cause de la fraternité.

Liberté, égalité, fraternité, les trois mots sacrés de la grande Révolution française, rendons-les si vrais, si beaux et si grands que l’univers entier s’agenouille, et les adore avec nous. On les avait écrits en lettres de fer, écrivons-les en lettres d’or. Et gare ensuite à qui viendra les toucher !

Citoyens, j’attends cela de votre patriotisme. Le canon pouvait bien être la dernière raison des rois ; la vertu est la dernière raison des peuples. Or, qui dit la vertu, dit toutes les vertus.

Ce sera là notre propagande à nous, une propagande aimée de Dieu, qui se rira des forteresses et narguera les cabinets. Le vent qui passera sur la France se chargera d’emporter par delà les fleuves et les montagnes les germes fécondants, destinés à faire éclore les républiques. Nous ferons la conquête du monde, sans quitter nos femmes, ni nos enfants ; et si l’étranger reparaît dans nos murs, ce sera le myrte et l’olivier à la main, pour fêter en famille le salut de l’humanité.

Mon Dieu, si j’ai fait un rêve, n’attendez pas pour me faire sortir d’ici, n’attendez pas que je sois réveillé.


fin.