Les Éblouissements/Jardin d’enfance

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 290-291).

JARDIN D’ENFANCE



J’ai respiré le miel, le hashish des étés,
Des fleurs lourdes et peintes,
Dans un parterre empli de fruits et de clartés
Comme un jardin des Indes !

Les colombes, les paons, les cygnes, les agneaux
Interrompaient leur somme
Pour suivre lentement, d’un regard calme et beau,
La présence des hommes.

Ces bêtes emplissaient de leurs claires couleurs
Les soyeuses allées,
On les voyait marcher, et glisser dans les fleurs
Leurs faces étoilées.

Les parfums des buissons, des calices trempés,
Montaient, flamme infinie,
Et l’on sentait, sur l’air suave, se grouper
Leur douce compagnie.


– Que de matins passés sur les bords du lac chaud
Où flottaient, ballotées,
Miroirs glauques et doux, fruit écailleux de l’eau,
Des carpes argentées !

La bleuâtre chaleur, de ses fortes cloisons,
Pressait ma joue ardente,
Le sifflet des bateaux jetait à l’horizon
Sa plainte haletante.

La nue avait parfois tant de sainte douceur
Pour les yeux qui s’y plongent,
Que l’on pensait pouvoir appuyer sur son cœur
Ce visage des songes.

Avoir été la vie éparse sous les cieux,
L’azur, la sève, l’onde !
Hélas ! se pourrait-il que vous brisiez mes yeux,
Ô Sagesse du monde ?