Lettre 26, 1654 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 387).

À MADAME DE LA TROUSSE.

Je vous suis extrêmement obligé, Madame, de l’avis que vous m’avez donné. Croyant que notre belle marquise eût lu mes lettres toute seule, je lui aurois peut-être écrit des choses que je ne voudrois pas que d’autres qu’elle vissent, et Dieu sait quelle vie vous m’auriez faite à mon retour, et quelle honte vous et moi en aurions eue. Votre prudence a détourné ce malheur, en m’apprenant que vous lisez tout ce que je lui écris, et a mis les choses en état que je vous donnerai toujours du plaisir, et jamais de chagrin ; mais, Madame, en vous rassurant sur les lettres trop tendres, j’ai honte d’en écrire de si folles, sachant que vous les devez lire, vous qui êtes si sage, et devant qui les précieuses[1] ne font que blanchir. Il n’importe, votre vertu n’est point farouche, et jamais personne n’a mieux accordé Dieu et le monde que vous.


  1. À cette époque, « le titre de précieuse était accepté par les femmes les plus distinguées du parti que j’appelle de la décence et de l’honnêteté. » (Rœderer, de la Société polie en France, chap. 14, p. 139.) La pièce de Molière (les Précieuses ridicules) ne fut jouée que le 18 novembre 1659, et il ne plaisantait que les précieuses ridicules. À la fin du siècle, le Dictionnaire de l’Académie ne donne plus au mot que le sens qu’il a aujourd’hui.