Lettre 295, 1672 (Sévigné)

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 138-140).
◄  294
296  ►

1672

295. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME LA COMTESSE DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 7e juillet.

J’avois résolu, je ne sais pourquoi, de pousser mon impertinence jusqu’au bout, et puisque j’avois manqué une fois à vous faire réponse[1], je croyois bien n’en pas demeurer là, et continuer, tant que vous me feriez l’honneur de m’écrire ; mais malgré cette belle résolution, je me sens forcée de le faire. Votre lettre me désarme, je ne sais plus où trouver de la brutalité, je n’eusse jamais cru voir en moi une telle foiblesse. J’ai trouvé très-plaisant tout ce que vous m’avez mandé, et j’ai plutôt manqué de vous faire réponse par la crainte de ne rien dire qui vaille, que par l’envie de vous faire un affront, comme j’ai déjà fait. Est-ce ainsi que vous écrivez, Madame la Comtesse ? Il y a du Rouville[2] et du Rabutin dans votre style, la province ne l’a point gâté ; et bien loin de vous apostropher dans la lettre de mon cousin, je lui écrirai dans celle-ci, si je m’en avise. Voilà un changement qui vous doit surprendre.

Vous me donnez une nouvelle envie d’avoir soin de mon petit rejeton[3], et je la passerois sans doute cette envie, si je ne m’en allois point en Provence. Mais je m’en vais voir cette pauvre Grignan. Je ne sais si je passerai en Bourgogne : quoi qu’il en soit, si je ne vous en donne avis, c’est que je passerai trop loin de vous, et que je ne veux point m’arrêter. Voilà un assez long temps que j’abandonnerai notre écolier. Je ne me dédis point de tout le bien que j’ai dit de lui : son esprit paroît doux et aimable.

J’ai perdu depuis huit jours ma pauvre tante de la Trousse, après une maladie de sept mois. Cette longue souffrance, et cette mort ensuite, m’a bien fait répandre des larmes. Je l’aimois et honorois parfaitement. Je ne lui ferai donc point vos compliments, mais bien à mon oncle l’abbé, qui vous honore toujours, et qui vous est trop obligé de votre souvenir.


  1. Lettre 295. — 1. Voyez la lettre de Mme de Sévigné au comte de Bussy, du 24 avril précédent, p. 33.
  2. 2. La comtesse de Bussy était, comme nous l’avons dit, fille de Jacques de Rouville.
  3. 3. Le fils aîné de Bussy était destiné à devenir l’aîné de tous les Rabutins, à monter au rang que Mme de Sévigné tenait dans la famille (voyez tome I, p. 357). On a vu plus haut (lettres 268 et 286) qu’il était à Paris pour y faire ses études.