Lettre 346, 1673 (Sévigné)

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 275-277).
◄  345
347  ►

1673

346. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 17e novembre.

Nous faisons valoir ici le donjon d’Orange[1]. M. de Gordes[2], qui le connoît, craint que cela ne dure plus longtemps qu’on ne pense ; en sorte que si M. de Grignan a bientôt expédié ce siége, il en sera loué ; et s’il a besoin de plus de troupes qu’il n’en a, on ne sera point surpris du retardement, et il ne sera point blâmé. On parle aussi de la dépense, qui ne sera pas médiocre ; et enfin tous vos amis, qui ne sont pas en petit nombre, font parfaitement bien leur devoir, sans qu’il leur en coûte autre chose que de dire la vérité toute pure. Le premier président de la cour des aides[3] étoit au coin de mon feu, quand l’abbé de Grignan arriva de Versailles : je voudrois que vous eussiez pu voir de quelle manière il entre dans tous nos intérêts ; il s’en faut bien qu’il ne soit la dupe de la Grêle[4].

J’ai soupé avec Dangeau chez Mme de Coulanges ; nous parlâmes extrêmement de vous. Il jure que, s’il ne vous eût trouvée à Aix, il eût mené à Grignan la princesse qu’il gouverne[5]. Il avoit parlé de vous dès Modène. Cette princesse est toujours très-mal de la dyssenterie. Les affaires d’Angleterre ne vont pas à souhait ; le parlement ne veut point de cette alliance, et veut désunir l’Angleterre de la France[6] : c’est présentement la grande pétoffe[7] de l’Europe. On parle fort d’une trêve ; si cela est, il ne faudra pas balancer à venir. Votre premier président[8] s’en ira ce carême. Monsieur le Prince et Monsieur le Duc sont revenus, et Gourville en même temps. On vous fait mille amitiés chez Mme de la Fayette ; vous êtes fort aimée et fort estimée dans cette maison ; on y est entré le plus follement du monde dans la vision du saboulage[9] ; nous en avons trouvé de cinq façons différentes : ce fut une conversation digne d’être comparée à celle des petits docteurs.


  1. Lettre 346. — 1. Voyez les lettres des 23 et 24 novembre suivants, p. 285 et 288.
  2. 2. François de Simiane, marquis de Gordes, grand sénéchal de Provence.
  3. 3. Nicolas le Camus, qui mourut en 1715 à quatre-vingt-dix ans ; il était frère du lieutenant civil et du cardinal. Voyez tome II, p. 139, note 16.
  4. 4. L’évêque de Marseille. — Perrin, sans traduire le mot, se contente de mettre en note : « chiffre. »
  5. 5. M. de Dangeau, après avoir conclu le mariage de la princesse de Modène avec le duc d’York, fut chargé de la conduire en Angleterre. (Note de Perrin.)
  6. 6. Charles Il fit la paix le 19 février 1674 avec la Hollande ; mais il refusa à son parlement de se déclarer contre la France. (Note de Perrin.)
  7. 7. Terme de la langue d’oc, signifiant « médisance, tracasserie, » sujet de vains propos ; et particulièrement au pluriel (petofias, patofias) « sornettes, entretiens sur des riens ou sur des inutilités. » Voyez le Dictionnaire d’Honnorat, déjà cité plus haut.
  8. 8. Marin. Voyez les lettres précédentes, p. 267 et 273.
  9. 9. Voyez sur cette expression, la lettre du 29 décembre 1675 et la note.