Lettre 782, 1680 (Sévigné)

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1680

782. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 16e février.

Je suis toujours occupée avec raison de votre santé, ma chère enfant j’ai envoyé à Montgobert une


1680 consultation que je fis l’autre jour avec le frère Ange. Il me semble qu’elle aura mieux pris son temps, que n auroit pu faire ma lettre, pour vous proposer les remèdes dont il s’agit. J’attendrai la réponse de Montgobert, c’est-à-dire la vôtre ; mais c’est en cas que vous ne vous accommodiez point du lait : il se peut que vous en soyez trop peu nourrie, ou que votre sang soit encore trop échauffé, pour pouvoir s’unir à la fraîcheur du lait ; car s’il vous étoit bon, vous seriez guérie. Le frère Ange comprit parfaitement l’effet de cette contrariété, qui fait comme de l’eau sur une pelle trop chaude. Voilà ce que disoit Fagon, et ce que vous avez expérimenté ; c’est donc à vous à juger si votre sang est toujours dans le même degré de chaleur, parce qu’alors les remèdes du frère Ange, qui sont doux, et fortifiants, et rafraîchissants, pourroient vous disposer au lait, et peut-être vous guérir, comme il a guéri le maréchal de Bellefonds, la reine de Pologne, et mille autres personnes. Ils sont aisés, agréables à prendre ; et si par malheur ils ne vous faisoient point de bien, ils ne peuvent jamais vous faire de mal. Du Chesne hait toujours le café ; le Frère n’en dit point de mal. Il est vrai que Mme de la Sablière prenoit du thé avec son lait ; elle me le disoit l’autre jour : c’étoit son goût ; car elle trouvoit le café aussi utile. Le médecin que vous estimez, et qui par là me parott le mériter, vous le conseille ; ah ! ma fille, que puis-je dire là-dessus ? et que sais-je ce que je dis ? on blâme quelquefois ce qui seroit bon, on choisit ce qui est mauvais, on marche en aveugle. J’ai sur le cœur que le café ne vous a point fait de bien dans le temps que vous en avez pris : est-ce qu’il faut avoir l’intention de le prendre comme un remède ? Caderousse s’en loue toujours ; le café engraisse l’un, il emmaigrit l’autre : voilà toutes les extravagances du monde. Je ne crois pas 1680 qu’on puisse parler plus positivement d’une chose où il y a tant d’expériences contraires. Ainsi, ma chère enfant, suivez votre goût, raisonnez avec votre bon médecin ; je lui demande une chose : pourquoi, si votre poitrine n’est point attaquée, vous avez toujours ce poids et cette chaleur au même côté ? pourquoi vous êtes si pénétrée du froid ? et pourquoi vous êtes si maigre, surtout à la poitrine ? Voilà ce qui m’a fait craindre qu’il n’y eût quelque chose de plus que l’intempérie de votre sang. Faites-moi répondre à cela par Mme du Janet ; car Montgobert aura d’autres choses à me dire, outre qu’elle est votre secrétaire. Vous me parlez de ma santé ; elle est parfaite : je n’ai point passé de décours sans prendre au moins deux pilules avec la petite eau. Je me suis accoutumée à prendre tous les matins un verre ou deux d’eau de lin ; avec ce remède, je n’aurai jamais de néphrétique ; c’est à cette eau merveilleuse que la France doit la conservation de M. Colbert. Je ne vous trompe point, je n’use point de styles différents avec vous : continuez donc à me parler sincèrement de votre état ; en vérité, tout le reste est bien loin de moi.

Mme de Bouillon s’est si bien vantée des réponses qu’elle a faites aux juges, qu’elle s’est attiré une bonne lettre de cachet pour aller à Nérac près des Pyrénées[1] : elle partit hier avec beaucoup de douleur. Il y a bien à méditer sur ce départ : si elle est innocente, elle perd infiniment de n’avoir pas le plaisir de triompher ; si elle est coupable, elle est heureuse d’éviter les confrontations infâmes et les convictions. Toute sa famille l’a conduite 1680 jusqu’à une demi-journée d’ici, comme Psyché[2]. La voilà où étoit autrefois la bonne reine Marguerite[3]. Voyez un peu les quatre sœurs, quelle étoile errante les domine ! en Espagne, en Angleterre, en Flandre, au fond de la Guienne[4]. On fait le procès par contumace à la comtesse de Soissons. M. d’Alluye est exilé à Amboise : il parloit trop. On ne dit rien de M. de Luxembourg, quoiqu’il ait été confronté ; les juges sont muets. Je m’en vais faire vos compliments à Mme de Meckelbourg[5], qui pleure et se tourmente fort.

Mme de Vins est toujours aimable, et vous aime chèrement ; cela lui donne une sorte d’amitié pour moi, dont je profite et que je ménage beaucoup. M. de Pompone rentre dans notre commerce, comme autrefois : il va au faubourg, et on reparle du temps de l’hôtel de Nevers[6], avec toutes les réflexions que méritent les changements qui sont arrivés.

Mon fils est toujours dans la même passion de vendre, et nous toujours dans la même envie de l’empêcher de se mêler de ce marché ; cette affaire n’est point dans sa tête comme toutes les autres choses : c’est un fonds qui sent parfaitement le terroir de Bretagne. Je ne me suis que trop expliquée sur tous ses sentiments ; il croit bien que je vous l’ai mandé : il attend votre improbation, sans craindre qu’elle le fasse changer. Pour moi, ne pouvant faire mieux, je voudrois seulement un prétexte qui vînt de M. de la Trousse ; je vous manderai la suite de cette affaire. Adieu, ma chère enfant.


  1. Lettre 782. — 1. Bussy écrit le 6 février 1680 : « Je vous ai mandé l’interrogatoire de Mme de Bouillon ; elle dit qu’elle le va faire imprimer et l’envoyer dans les pays étrangers : cela a fort fâché e Roi contre elle, et en effet cela donne un grand ridicule à la chambre de justice. »
  2. 2. C’est une allusion à ce passage du livre I des Amours dé Psyché, publiés par la Fontaine en 1669 et dédiés à la duchesse de Bouillon : « On se résout à partir : on fait dresser un appareil de pompe funèbre… on part enfin, et Psyché se met en chemin sous la conduite de ses parents. »2. C’est une allusion à ce passage du livre I des Amours dé Psyché, publiés par la Fontaine en 1669 et dédiés à la duchesse de Bouillon : « On se résout à partir : on fait dresser un appareil de pompe funèbre… on part enfin, et Psyché se met en chemin sous la conduite de ses parents. »
  3. 3. Marguerite de Valois, femme de Henri d’Albret, roi de Navarre. Nérac était la capitale du duché d’Albret, qui appartenait au duc de Bouillon : voyez plus bas, p. 268, note 2.
  4. 4. Mme de Colonne était en Espagne, où elle avoit été obligée de chercher une retraite dans le couvent de San-Domingo, près de Madrid, afin de se soustraire aux poursuites du connétable. On peut voir, dans les lettres de Mme de Villars à Mme de Coulanges, le récit de la visite que Mme de Colonne fit à M. de Villars le 26 janvier 1680. La duchesse de Mazarin était toujours en Angleterre. (Note de l’édition de 1818.) — Mme de Soissons, comme nous l’avons vu plus d’une fois, s’était réfugiée en Flandre.4. Mme de Colonne était en Espagne, où elle avoit été obligée de chercher une retraite dans le couvent de San-Domingo, près de Madrid, afin de se soustraire aux poursuites du connétable. On peut voir, dans les lettres de Mme de Villars à Mme de Coulanges, le récit de la visite que Mme de Colonne fit à M. de Villars le 26 janvier 1680. La duchesse de Mazarin était toujours en Angleterre. (Note de l’édition de 1818.) — Mme de Soissons, comme nous l’avons vu plus d’une fois, s’était réfugiée en Flandre.
  5. 5. Sœur du maréchal de Luxembourg.
  6. 6. Voyez tome I, p. 455, note 1, et la lettre de Pompone à son père, du 4 février i665, publiée dans le volume des Mémoires de Coulanges, p. 382 et suivantes.