Lettre de Chapelle au marquis d’Effiat (« Vous mander qu’on est accueilli »)

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Deuxième lettre au marquis d’Effiat
Chapelle


LETTRE À MONSIEUR LE MARQUIS D’EFFIAT.

Vous mander qu’on est accueilli
Et traité des mieux à Sulli,
La chose vous est trop notoire,
Illustre marquis de Chilli.
Puis la chanson rôti, bouilli,
En est preuve si péremptoire,
Que l’on peut, sans avoir failli
Contre les maîtres de Sulli,
N’en rafraîchir point la mémoire.

Aussi nous ne vous écrivons
Et ne prenons notre écritoire
Que pour, ainsi que nous devons,
Vous souhaiter prompte victoire,
Vous mandant qu’à vous nous buvons
Tout aussi frais qu’on sauroit boire ;
Et, suivant l’antique grimoire,
Prions Dieu qu’ainsi soit de vous,
Chose assez difficile à croire.
C’est pourquoi nous pensons bien tous
Que bien mieux seriez sur la Loire
Que sur le Rhin ; avecque nous
Qu’avec tous ces friands de coups,
Et de louanges dans l’histoire,
Mais qui, pour être fous de gloire,
N’en sont, par ma foi, pas moins fous.

Ainsi que l’avez ordonné,
La belle, sage et trop prudente
Madame de Valentiné
A lu votre lettre, et contente
De cette manière obligeante
Dont il vous a plu me gronder,
A jugé devoir seconder
Votre bonne amitié grondante ;
Et si bien encor m’a grondé,
Que, si grondeuse aussi touchante
Qui vous a si bien secondé
N’est sur mon cœur assez puissante ;
Pour vaincre son foible et sa pente,
L’ami Ménil est bien fondé
De dire qu’il en perd l’attente,
Mais non pas ce dévergondé
Qui va perdre en un coup de dé
Plus qu’il n’a de fonds et de rente.

Mais vous connoissez trop mon cœur
Et moi trop cette bienveillance
Dont vous procurez mon bonheur
En tous lieux, en toute occurrence,
Pour ni moi ni vous avoir peur
Que je manque de déférence
Pour si notable remontrance,
Et que même je crois, seigneur,
De telle et si grande importance,
Que je prétends m’en faire honneur.

Sur moi vous avez un empire
Qui seul de moi s’est pu saisir ;
Je sens dans mon cœur introduire
Cet honnête et sage désir
Pour la campagne et son loisir.
Dieu veuille encor qu’il me retire
Des lieux où je verrois moisir
Le peu d’esprit qu’on a cru luire
Dans quelques brouillons qu’à vrai dire
Personne ne m’a vu choisir
Ni pour réciter ni pour lire,
Et que le vin et le plaisir
M’ont à peine permis d’écrire1.

Mais si jamais, bien desyvré
Et parfaitement délivré
De la Croix Blanche et de la Sphère,
Même d’un brelandier outré
Et tout à fait désespéré
Qu’on devroit remettre en galère,
Je suis, cet hiver, retiré
Dans votre beau château, j’espère
Pour lors enfin vous pouvoir faire
Peu de chose, mais à mon gré,
Et qui soit digne de vous plaire
Autant que, même avec colère,
Vous l’avez toujours désiré.
En quoi je ne vous saurois taire
Combien vous m’avez honoré.

Vous pouvez donc bien, cher marquis,
Me croire et tenir pour acquis
Plus que jamais ne fut personne.
Aussi vous tiens-je un don exquis
Du ciel, qui dans vous seul me donne
Le tout dont je l’avois requis.
Mais sur quelques vers que je fis
Dans l’âge où le sang nous bouillonne,
Et qu’à l’âge aussi l’on pardonne,
Auriez-vous bien cru qu’on m’eût mis
Entre ces Messieurs qu’on a pris
Et qu’à bon droit on pensionne
Pour bien savoir donner le prix
Aux grands progrès de la couronne2.

Que j’aime la douce incurie
Où je laisse couler mes jours !
Qu’ai-je affaire de l’industrie,
De l’intrigue et des faux détours,
Dont usent, même avec furie,
Ces rimailleurs suivant les cours,
Et ceux encor que. . . . . . . . crie,
Et que. . . . . . . . . . . . renchérie
Aide de tous ses beaux atours ?
Quelques contes d’hôtellerie,
Des lettres de galanterie,
Du vin et de folles amours,
Ont fait jusques ici toujours
Ma plus heureuse rêverie ;
Et bientôt ma veine tarie,
Se sentant des fins de ma vie,
En saura bien borner le cours.

Mais, bien que votre bienveillance
Aille pour moi jusqu’à déchoir
De cette fine intelligence
Qui vous fait pénétrer et voir
Tout, hormis mon insuffisance,
Lettre n’est pas de conséquence ;
Il faut subir votre vouloir.
Et qu’importe ce que j’avance,
Si ce n’est que pour émouvoir
Les Muses à résipiscence ?
Filles de la reconnoissance
Et du roi du tonnant manoir,
Qui de cette haute naissance
N’avez eu pour toute chevance
Que parler en votre pouvoir,
Qu’en faites-vous, quand pour la France
Tout parle et passe notre espoir ?
Quel ingrat, quel honteux silence !
Quoi ! ces auteurs par excellence
Doivent-ils mettre à nonchaloir
Cette mémorable occurrence,
Et peuvent-ils en conscience
Vous dire bonjour et bonsoir
Sans implorer votre assistance ?
Dites, Muses, en confidence,
Est-ce qu’entre gens de savoir
Rien qu’à se louer on ne pense ?
Quant à moi, que ma négligence,
Tout comme un auteur d’importance,
Porte assez à ne rien valoir,
De grâce, force remontrance,
Et faites-moi bien concevoir
Que toujours quelque extravagance
M’arrache à mon juste devoir.

Vous savez trop bien que je dois
Le peu que j’ai d’art et de voix
À ce grand frère qui seconde
Si dignement les fiers exploits
D’un roi qui sur la terre et l’onde
Vient d’étendre le nom françois
Si loin, que pour eux tout le monde
Oubliera la tige féconde
Qui nous donne soixante rois.

De cette éclatante origine,
Du ciel et des dieux si voisine,
Qui des plus hardis potentats
Sut mieux qu’eux, dans les fâcheux pas,
Pour peu que l’honneur y domine,
Descendre aux emplois les plus bas ?
Qui, sans horreur, les imagine,
Moindres que leurs moindres soldats,
Des périls faire leurs ébats
À la tranchée, à la fascine,
Et sûrs aux plus sanglants combats ?
Confessons donc que ce n’est pas
Sans quelque assistance divine
Qu’ils sont rendus à leurs états.

Revenez, princes généreux,
Dont les hauts faits, tous merveilleux,
N’eurent et n’auront point d’exemples.
Partagez-vous entre nos vœux
Et le laurier qui ceint vos temples3.
Un peuple fidèle et nombreux
Éclaire nos places de feux
Et d’encens obscurcit nos temples.
Contentez-vous que jamais ceux
Qu’y mirent leurs exploits fameux
N’ont laissé des sujets plus amples
À faire parler leurs neveux.

Rendez-vous donc à votre France,
Qui, grand roi, par votre vaillance
Voit tous les jours plus de François.
Croyez la Meuse en assurance,
Qui mit sa plus ferme défense
Dans l’honneur d’être sous vos lois.
Regardez la triple alliance
Sur ses fins et comme aux abois ;
L’Espagne dans une indigence
Qui ne pourra pas de vingt mois
Remandier une puissance
Qui pour une dernière fois
Mérite encor votre présence.

Et vous, suivez l’auguste frère,
Pour qui désormais nos autels
Fumeront d’encens éternels
Sur l’un et sur l’autre hémisphère,
Qui n’en virent jamais de tels.
Soyez, moins par vaincre et tant faire
Que par gagner les cœurs et plaire,
L’honneur et l’amour des mortels.

Dauphin, qui, ne faisant que naître,
Trouvâtes l’univers soumis,
Qui depuis avez fait paroître
Tant de qualités dignes d’être
Au rang où le Ciel vous a mis,
Les destins vous ont tout promis ;
Mais il faut prier notre maitre
Qu’il vous laisse des ennemis.

J’étois auprès d’un prince aimable
Pour être autant brave que bon4,
Ce qui se trouve inséparable
De l’auguste sang de Bourbon,
Quand d’ennui ma muse opprimée,
Par son bon accueil ranimée,
M’inspira ceci près ces bains
Que, pour fuir un peuple profane
Et se donner tout à Diane,
Bâtirent de royales mains5.

Et pour vous expliquer plus net,
Illustre marquis, où j’ait fait
Ces vers, qui bientôt à la Halle
Passeront de mon cabinet,
Si votre bonté les étale,
C’est dans cette maison royale
Où d’anis, où de serpolet,
De thym, marjolaine et genêt,
Une si douce odeur s’exhale
Qu’elle en a pris le nom d’Anet.



1. Voilà quelques vers qui confirment pleinement ce que nous avons dit dans la notice, que Chapelle devint auteur sans le savoir et sans le vouloir.

2. Il résulte de ce qu’on lit ici que Louis XIV pensionna Chapelle. L’éditeur de 1732 semble croire que ce fut à l’occasion des stances qui suivent ; mais Saint-Marc, après avoir remarqué que ces stances ne sauroient guère se rapporter qu’aux événements de l’année 1668, époque à laquelle notre auteur étoit âgé de quarante-deux ans, et qu’il ne pouvoit par conséquent pas citer comme celle de sa grande jeunesse, en conclut assez judicieusement qu’on doit plutôt penser que la réputation d’homme de talent que Chapelle dut à ses premiers essais, notamment à son Voyage, l’avoit tout naturellement fait comprendre plusieurs années auparavant parmi les beaux esprits à qui le roi donnoit des pensions.

3. Mauvaise locution de l’époque, pour tempes.

4. Le duc de Vendôme.

5. Henri II, qui fit bâtir Anet pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois.