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Lettre du 25 juin 1670 (Sévigné)

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 562-564).

108. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Huit jours après que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse :

À Chaseu, ce 25e juin 1670.

Je ne sais, ma belle cousine, quelle idée vous vous êtes faite de ma régularité ; mais ceux qui en ont eu avec moi se sont toujours loués de la mienne, et pour nos conduites, je ne vois pas qu’elles soient si dégingandées que vous me mandez. Pour moi, je suis fort satisfait de la vôtre, et je crois bien que vous ne l’avez condamnée que pour avoir prétexte de dauber la mienne. Il est vrai que celle-ci est détestable si vous en jugez par le succès ; mais moi qui ne suis pas de ceux qui croient aveuglément qu’on a tort dès qu’on est malheureux, je ne trouve pas ma conduite si dégingandée que vous croyez.

Vous voulez bien que je vous dise franchement que votre lettre me paroît venir d’une personne intriguée, et à qui ses ennemis (comme vous dites que vous en avez) ont donné du chagrin. Ils vous ont même donné un peu d’aigreur contre moi, qui n’en puis mais ; car à quel propos, je vous prie, me venir reprocher l’argent que vous m’avez voulu avancer, et la satire que j’ai faite ? Est-il question de cela ? Vous ai-je obligée par mes lettres à me dire la moindre chose approchante de ces rudesses ? Vous avez peut-être reparle avec M. de Corbinelli de ces affaires, et toute pleine de la chaleur qu’elles vous ont donnée, vous m’écrivez des choses désagréables, à moi qui ne songe à rien de vous qu’à recevoir quelque lettre enjouée pour réponse à celle que je vous avois écrite sur ce ton. Je voudrois bien que vous me dissiez combien de temps ces recommencements-là doivent encore durer, afin que je m’y attende.

Je ne pense pas que vous vouliez dire que j’aie tort de me plaindre, puisque vous avez dit à Breban de me mander que je ne me fâchasse point de ce que vous m’écrivez. Il valoit mieux ne me pas offenser que de me faire, satisfaction. Vous deviez jeter cette lettre au feu, et attendre à me faire réponse que vous eussiez été en meilleure humeur ; mais vous avez mieux aimé hasarder de perdre votre ami que de perdre vos peines : cela n’est pas d’une bonne cousine. Si je cherchois noise, vous m’auriez fourni en cet endroit un beau sujet de garder contre vous quelque chose sur mon cœur ; mais après vous avoir dit mon grief, je vous déclare que je ne vous aime pas moins que je faisois. Je vous prie aussi de prendre un peu plus garde une autre fois à ne pas blesser l’amitié que vous me devez.

M. de Corbinelli a raison de m’aimer ; car il sait bien que je l’aime extrèmement. Je me réjouis fort de le voir, et je vous plains de ce que vous ne le verrez de longtemps.

Je ne doute pas que vous n’ayez des ennemis, je le sais par d’autres que par vous ; mais, quoi qu’on m’ait mandé, je ne crois pas votre conduite si dégingandée qu’on dit, et je ne condamne pas les gens sans les entendre[1].

Je rends mille grâces à votre Grignan de son souvenir ; je ne saurois bonnement dire le sujet que j’ai de me rattendrir pour elle ; mais elle me paroît plus aimable de jour en jour, et je sens que je l’aime beaucoup plus que je ne faisois il y a trois mois.

À CORBINELLI.

Grondez un peu notre amie, afin de m’épargner la peine de me plaindre jamais d’elle à elle-même. Un tiers a meilleure grâce de le faire que l’intéressé. Je vous promets à la pareille de lui laver la tête quand elle vous offensera. Ne croyez pas en être à couvert, car, quoique vous n’ayez pas, comme moi, de péché originel à son égard, défiez-vous de l’avenir : toute femme varie, comme disoit François Ier ; et puis, si elle vous écrivoit en méchante humeur, elle pourroit vous dire quelque rudesse, et alors je ferois merveille de la redresser. Si je ne suis pas encore à Bussy quand vous arriverez à Châtillon, écrivez-moi un mot par Gardien : je vous enverrai une chaise, car je ne présume pas si fort du plaisir que vous aurez de me voir, que je veuille vous le faire acheter par la moindre incommodité du monde. Pour moi, je meurs d’impatience de vous voir.


Nous terminons le tome Ier avec la première partie et ce qu’on peut appeler les préliminaires et le prélude de la Correspondance. Le second commencera là où commencent les éditions anciennes, c’est-à-dire aux lettres de Mme de Sévigné à son gendre, bientôt suivies de ses lettres à sa fille, où elle répand son âme tout entière, tout son esprit et tout son cœur. Nous avons mieux aimé faire le premier volume un peu fort que de nous arrêter avant cette division si naturelle et si tranchée.

fin du premier volume.

  1. Lettre 108. — i. Serait-ce une allusion aux bruits qui coururent après l’accident arrivé à Livry au chevalier de Grignan ? Voyez Walckenaer, tome II, p. 289, et la Notice, p. 110.