Lettre du 4 août 1657 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 420-422).
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1657

43. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ[1].

Au camp de Blécy[2], ce 4e août 1657.

Votre lettre est fort agréable, ma belle cousine ; elle m’a fort réjoui. Qu’on est heureux d’avoir une bonne amie qui ait autant d’esprit que vous ! Je ne vois rien de si juste que ce que vous écrivez, et l’on ne peut pas vous dire : « Ce mot-là seroit plus à propos que celui que vous avez mis. » Quelque complaisance que je vous doive, 1657 Madame, vous savez bien que je vous parle assez franchement pour ne vous pas dire ceci si je ne le croyois, et vous ne doutez pas que je ne m’y connoisse un peu, puisque j’ose bien juger des ouvrages de Chapelain[3], et que je censure quelquefois assez justement ses pensées et ses paroles.

Je vous envoie la copie de la lettre que j’ai écrite à la marquise d’Uxelles. Elle me mande que si j’aime les grands yeux et les dents blanches, elle aime de son côté les gens tendres et les amoureux transis, et que ne me trouvant pas comme cela, je me tienne pour éconduit. Elle revient après, et sur ce que je lui mande, comme vous verrez, que je la quitterai si elle me rebute, et qu’à moins que de se déguiser en maréchale pour me surprendre, elle ne m’y rattrapera plus, elle me répond que je ne me désespère point, et me promet de se donner à moi quand elle sera parvenue à la dignité pour laquelle, à ce qu’elle dit, on la mange jusqu’aux os[4] ; que mon poulet ne pouvoit lui être rendu plus à propos[5], et que n’ayant pas un denier, elle étoit dans la plus méchante humeur du monde.

J’écris à Corbinelli de vous dire ce qui s’est passé entre M.  de Turenne et moi depuis que je suis à l’armée, et qu’enfin nous avons fait une réconciliation qui me paroît sincère ; je ne sais si cette paix durera[6].

J’ai gagné huit cents louis d’or depuis quatre ou cinq jours. Si je n’en gagne pas davantage, c’est que l’on appréhende ma fortune : je ne trouve plus de gens qui veuillent jouer contre moi.

Voulez-vous savoir la vie que nous faisons, Madame ? Je m’en vais vous la dire. Quand l’armée marche, nous travaillons comme des chiens ; quand elle séjourne, il n’y a pas de fainéantise égale à la nôtre. Nous poussons toujours les affaires aux extrémités. On ne ferme pas l’œil trois ou quatre jours durant, ou bien on est trois ou quatre jours sans sortir du lit ; on fait bonne chère, ou l’on meurt de faim.

Les ennemis sont campés entre Béthune et la Bassée, attendant tranquillement la prise de Montmédy, qu’ils n’ont pas jugé d’assez grande conséquence pour hasarder un combat en voulant le secourir. Adieu, ma belle cousine.


  1. LETTRE 43. — Cette lettre manque dans notre manuscrit.
  2. Blécy est un village du département du Pas-de-Calais, arrondissement de Béthune.
  3. La Pucelle de Chapelain avait paru l’année précédente.
  4. Le mari de la marquise d’Uxelles, après avoir servi vingt-deux campagnes, finit par obtenir un brevet de maréchal de France ; mais il mourut, en 1558, avant d’être entré en possession de sa dignité.
  5. Nous avons suivi le texte des Mémoires. Dans les éditions antérieures des Lettres il y a « plus mal à propos. »
  6. Il y eut plusieurs ruptures entre Bussy et Turenne et plusieurs réconciliations. Bussy parle dans ses Mémoires (tome II, p. 31) d’un malentendu qui s’éleva vers ce temps-là entre le maréchal et lui, au sujet de Gassion, mestre de camp de cavalerie.