Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, volume 2

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LETTRES
DE
MADAME DE SÉVIGNÉ,
DE SA FAMILLE ET DE SES AMIS.


109. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 25e juin.

Vous m’avez écrit la plus aimable lettre du monde ; j’y1670 aurois fait plus tôt réponse, sans que j’ai su que vous couriez par votre Provence[1]. Je voulois d’ailleurs vous envoyer les motets que vous m’aviez demandés[2] : je n’ai pu encore les avoir ; de sorte qu’en attendant, je veux vous dire que je vous aime toujours très-tendrement, et que si cela peut vous donner quelque joie, comme vous me le dites, vous devez être l’homme du monde le plus content. Vous le serez sans doute beaucoup du commerce que vous avez avec ma fille : il me paroît très-vif de sa part. Je ne crois point qu’on puisse plus vous aimer qu’elle vous aime. Pour moi, j’espère que je vous la rendrai saine et entière, avec un petit enfant de même, ou j’y brûlerai mes livres. Il est vrai que je ne suis pas habile, mais je sais bien demander conseil, et le suivre ; et ma fille de son côté contribue fort à sa conservation.

J’ai mille compliments à vous faire de M. de la Rochefoucauld et de son fils[3] ; ils ont reçu tous les vôtres. Mme de la Fayette vous rend mille grâces de votre souvenir, aussi bien que ma tante[4], et mon abbé[5], qui aime votre femme de tout son cœur : ce n’est pas peu, car si elle n’étoit pas bien raisonnable, il la haïroit le plus franchement du monde.

Si l’occasion vous vient de rendre quelque service à un gentilhomme de votre pays, qui s’appelle Valcroissant[6], je vous conjure de le faire : vous ne me sauriez donner une marque plus agréable de votre amitié. Vous m’avez promis un canonicat pour son frère[7] ; vous connoissez toute sa famille. Ce pauvre garçon étoit attaché à M. Foucquet ; il a été convaincu d’avoir servi à faire tenir une de ses lettres à sa femme ; sur cela il a été condamné aux galères pour cinq ans : c’est une chose un peu extraordinaire. Vous savez que c’est un des plus honnêtes garçons qu’on puisse voir, et propre aux galères comme à prendre la lune avec les dents.

Brancas[8] est fort content de vous, et ne prétend pas vous épargner quand il aura besoin de votre service. Il est persuadé qu’il vous a donné une si jolie femme, et qui vous aime si tendrement, que vous ne pouvez jamais en faire assez pour vous acquitter envers lui. Adieu, mon très-cher Comte, je vous embrasse de toute la tendresse de mon cœur.


110. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 6e juillet 1670.

Je me presse de vous écrire, afin d’effacer promptement de votre esprit le chagrin que ma dernière lettre y a mis[9]. Je ne l’eus pas plus tôt écrite que je m’en repentis. M.  de Corbinelli me voulut empêcher de vous l’envoyer ; mais je ne voulus pas perdre ma lettre, toute méchante qu’elle étoit, et je crus que je ne vous perdrois pas pour cela, puisque vous ne m’aviez pas perdue pour quelque chose de plus. Nous ne nous perdons point, de notre race : nos liens s’allongent quelquefois, mais ils ne se rompent jamais. Je sais ce qu’en vaut l’aune : après mon expérience, je pouvois bien hasarder le paquet. Il est vrai que j’étois de méchante humeur d’avoir retrouvé dans mes paperasses ces lettres que je vous dis. Je n’eus pas la docilité de démonter mon esprit pour vous écrire. Je trempai ma plume dans mon fiel, et cela composa une sotte lettre amère, dont je vous fais mille excuses. Je le dis à notre homme[10]. Si vous fussiez entré une heure après dans ma chambre, nous nous fussions moqués de moi ensemble. Nous voilà donc raccommodés. Vous seriez bien heureux si nous étions quittes ; mais, bon Dieu ! que je vous en dois encore de reste, que je ne vous payerai jamais !

Vous me donnez un trait en me disant que j’ai des ennemis et qu’on vous a mandé que ma conduite étoit dégingandée. Vous feignez qu’on vous l’a écrit ; je parie que cela n’est pas vrai. Hélas ! mon cousin, je n’ai point d’ennemis, ma vie est tout unie, ma conduite n’est point dégingandée (puisque dégingandée y a). Il n’est point question de moi : j’ai une bonne réputation, mes amis m’aiment, les autres ne songent pas que je sois au monde. Je ne suis plus ni jeune ni jolie, on ne m’envie point ; je suis quasi grand-mère, c’est un état où l’on n’est guère l’objet de la médisance : quand on a été jusque-là sans se décrier, on se peut vanter d’avoir achevé sa carrière.

M. de Corbinelli vous dira comme je suis, et malgré mes cheveux blancs[11], il vous redonnera peut-être du goût pour moi. Il m’aime de tout son cœur, et je vous jure aussi que je n’aime personne plus que lui. Son esprit, son cœur et ses sentiments me plaisent au dernier point. C’est un bien que je vous dois : sans vous je ne l’aurois jamais vu. Vous l’aurez bientôt ; vous serez bien aise de causer avec lui. Il vous dira la mort de Madame[12], c’est-à-dire, l’étonnement où l’on a été en apprenant qu’elle a été malade et morte en huit heures, et qu’on perdoit avec elle toute la joie, tout l’agrément et tous les plaisirs de la cour. Je crois que vous aurez été aussi surpris que les autres.

Adieu, Comte, point de rancune ; ne nous tracassons plus. J’ai un peu de tort ; mais qui n’en a point en ce monde ?

Je suis bien aise que vous reveniez pour ma fille. Demandez à M. de Corbinelli combien elle est jolie. Montrez-lui ma lettre, afin qu’il voie que

Si je fais les maux, je fais les médecines[13].


111. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Chaseu, ce 10e juillet 1670.

Je reçus hier votre lettre du 6e de ce mois, ma belle cousine. Je suis bien aise que vous confessiez que vous avez eu tort : cela me marque un bon cœur, et m’oblige de trouver que vous n’en avez pas tant que j’avois d’abord pensé. La lettre que je viens de recevoir de vous est aussi agréable que la précédente l’étoit peu. Votre retour me paroît si plaisant, que je vous permets encore de m’offenser, pourvu que vous me promettiez une pareille satisfaction : aussi bien me mandez-vous que vous m’en devez encore de reste. Hâtez-vous donc de me payer, afin que nous soyons bientôt quittes. Je meurs d’impatience d’être assuré que je n’essuierai jamais de mauvaise humeur de vous.

Je ne vous ai point menti quand je vous ai mandé que je savois que vous aviez des ennemis : premièrement, vous me l’aviez écrit dans votre Épitre chagrine[14] ; mais, outre cela, on me l’a mandé d’ailleurs. Quoique votre modestie vous fasse dire que vous n’êtes ni jeune ni belle, et quoique vous ne vous puissiez sauver par là si vous donniez lieu de parler, ce n’est pas sur cela qu’on a parlé de vous ; mais je suis bien ridicule de vouloir vous apprendre ce qu’assurément vous savez avant moi : on ne manque pas de gens, au pays où vous êtes, qui avertissent leurs amis des calomnies aussi bien que des vérités qu’on dit d’eux. Je ne vous en dirai donc pas davantage, sinon qu’à quelques petits reproches près, dont vous m’avez un peu trop souvent fatigué, je vous trouve vous-même une dame sans reproche, et j’ai la meilleure opinion du monde de vous.

Cependant je vous assure que la mort de Madame m’a surpris[15] et affligé au dernier point. Vous savez combien agréablement j’étois autrefois avec elle. Toutes mes persécutions m’avoient encore attiré de sa part mille amitiés extraordinaires, que je vous conterai un jour. Si quelque chose est capable de détacher du monde les gens qui y sont les plus attachés, ce sont les réflexions que fait faire cette mort. Pour moi, elle me console fort de l’état de ma fortune, quand je vois que ceux qui font enrager les autres, et qui par leur grandeur sont à couvert des représailles, ne le sont pas des coups du ciel. Vivons seulement, ma belle cousine, et nous en verrons bien d’autres.

Je suis tout revenu pour Mme de Grignan, et ce que m’en dira Corbinelli ne peut augmenter la tendresse que j’ai pour elle, à moins qu’il ne m’assurât qu’elle est brouillée avec son mari ; car en ce cas-là je l’aimerois plus que ma vie.

Adieu, ma belle cousine, ne nous tracassons plus. Quoique vous m’assuriez que nos liens s’allongent, de notre race, et qu’ils ne se rompent point, ne vous y fiez pas trop : il arrive en une heure ce qui n’arrive pas en cent. Pour moi, j’aime la douceur : je suis comme le frère d’Arnolphe, tout sucre et tout miel[16].


112. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 6e août 1670.

Est-ce qu’en vérité je ne vous ai pas donné la plus jolie femme du monde ? Peut-on être plus honnête, plus régulière ? Peut-on vous aimer plus tendrement ? Peut-on avoir des sentiments plus chrétiens ? Peut-on souhaiter plus passionnément d’être avec vous ? Et peut-on avoir pus d’attachement à tous ses devoirs ? Cela est assez ridicule que je dise tant de bien de ma fille ; mais c’est que j’admire sa conduite comme les autres ; et d’autant plus que je la vois de plus près, et qu’en vérité, quelque bonne opinion que j’eusse d’elle sur les choses principales, je ne croyois point du tout qu’elle dût être exacte sur toutes les autres au point qu’elle l’est. Je vous assure que le monde aussi lui rend bien justice, et qu’elle ne perd aucune des louanges qui lui sont dues. Voilà mon ancienne thèse, qui me fera lapider un jour : c’est que le public n’est ni fou ni injuste ; Mme de Grignan en doit être trop contente pour disputer contre moi présentement. Elle a été dans des peines de votre santé qui ne sont pas concevables ; je me réjouis que vous soyez guéri, pour l’amour de vous, et pour l’amour d’elle. Je vous prie que si vous avez encore quelque bourrasque à essuyer de votre bile, vous obteniez d’elle d’attendre que ma fille soit accouchée. Elle se plaint encore tous les jours de ce qu’on l’a retenue ici, et dit tout sérieusement que cela est bien cruel de l’avoir séparée de vous. Il semble que ce soit par plaisir que nous vous ayons mis à deux cents lieues d’elle. Je vous prie sur cela de calmer son esprit, et de lui témoigner la joie que vous avez d’espérer qu’elle accouchera heureusement ici. Rien n’étoit plus impossible que de l’emmener dans l’état où elle étoit ; et rien ne sera si bon pour sa santé, et même pour sa réputation, que d’y accoucher au milieu de ce qu’il y a de plus habile, et d’y être demeurée avec la conduite qu’elle a. Si elle vouloit après cela devenir folle et coquette, elle le seroit plus d’un an avant qu’on le pût croire, tant elle a donné bonne opinion de sa sagesse. Je prends à témoin tous les Grignans qui sont ici, de la vérité de tout ce que je dis. La joie que j’en ai a bien du rapport à vous ; car je vous aime de tout mon cœur, et suis ravie que la suite ait si bien justifié votre goût. Je ne vous dis aucune nouvelle ; ce seroit aller sur les droits de ma fille. Je vous conjure seulement de croire qu’on ne peut s’intéresser plus tendrement que je fais à ce qui vous touche.


113. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 15e août.

Si je vous écris souvent, vous n’avez pas oublié que c’est à condition que vous ne me ferez point de réponse ; et dans cette confiance, je vous dirai que je me réjouis de tous les honneurs dont vous êtes accablé. Il me paroît que Monsieur le commandant n’y a pas plus de part que Monsieur de Grignan ; et je vois, ce rne semble, un fonds pour vous qui ne seroit point pour un autre. Je vois un commerce si vif entre vous et une certaine dame, qu’il seroit ridicule de prétendre vous rien mander. Il n’y a pas seulement la moindre espérance de vous apprendre qu’elle vous aime : toutes ses actions, toute sa conduite, tous ses soins, toute sa tristesse, vous le disent assez. Je suis fort délicate en amitié, et ne m’y connois pas trop mal. Je vous avoue que je suis contente de celle que je vois, et que je n’en souhaiterois pas davantage. Jouissez de ce plaisir, et n’en soyez pas ingrat. S’il y a une petite place de reste dans votre cœur, vous me ferez un plaisir extrême de me la donner ; car vous en avez une très-grande dans le mien. Je ne vous dis point si j’ai soin de votre chère moitié, si j’ai la dernière application pour sa santé, et si je souhaite que toute la barque arrive à bon port : si vous savez aimer, vous jugerez aisément de tous mes sentiments.

Plût à Dieu que votre pauvre femme fût aussi heureuse que la petite Deville[17] ! Elle vient d’accoucher d’un garçon qui paroît avoir trois mois. Ma fille disoit tout à l’heure : « Ah ! que je suis fâchée ! la petite Deville a pris mon garçon ; il n’en vient point deux dans une même maison. » Je lui ai donné, c’est-à-dire à ma fille, un livre pour vous ; vous le trouverez d’une extrême beauté ; il est de l’ami intime de Pascal[18] ; il ne vient rien de là que de parfait : lisez-le avec attention. Voilà aussi de très-beaux airs, en attendant des motets. N’abandonnez point votre voix, n’abandonnez point votre taille ; enfin ne cessez point d’être aimable, puisque vous êtes aimé.


114. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET D’EMMANUEL DE COULANGES[19] AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 12e septembre.
DE MADAME DE SÉVIGNÉ

Ce n’est point pour entretenir un commerce avec vous : j’en ferois scrupule, sachant de quelle sorte vous êtes accablé de celui de Mme de Grignan. Je vous plains d’avoir à lire de si grandes lettres : je n’ai jamais rien vu de si vif, et je crois que pour en être délivré vous voudriez qu’elle fût avec vous : voilà où vous réduit son importunité. Elle est présentement séparée de nous au coin de sa chambre, avec une petite table et une écritoire à part, ne trouvant pas que M. de Coulanges et moi, nous soyons dignes d’approcher d’elle. Elle a été au désespoir que vous m’ayez écrit : je n’ai jamais vu une femme si jalouse ni si envieuse. Elle a beau faire, je la défie d’empêcher notre amitié. Vous avez une grande part aux soins que j’ai de sa santé ; et quand je songe au plaisir que vous aurez d’avoir une femme et un enfant gais et gaillards, je redouble toute l’application que j’ai à vous donner cette joie. J’espère que tout ira bien ; il nous semble même que depuis quelques jours cet enfant est devenu un garçon. Adieu, mon très-cher ; je vous défends de m’écrire, mais je vous conjure de m’aimer. Pour moi, je vous aime il y a si longtemps, que je ne crois plus qu’il soit besoin de vous le dire.

D’EMMANUEL DE COULANGES.

Vous avez beau dire et beau faire, si faut-il que je vous dise ici, Monsieur, que je suis très-aise que vous soyez content de l’intendant et de l’intendante de Lyon[20]. Ils sont charmés de vous l’un et l’autre, et n’est pas jusques à ma petite belle-sœur[21] qui ne nous écrive mille belles choses de vous. Ne vous mettez point en peine jamais de me faire réponse ; mais trouvez bon seulement que me trouvant ici quand on vous écrit, je vous assure toujours que vous n’avez point de serviteur plus acquis que moi.

Madame votre femme est belle comme un ange, Madame votre femme vit comme un ange, et s’il plaît à Dieu, elle accouchera heureusement d’un ange. Voilà tout ce que j’ai à vous dire pour aujourd’hui. Puisque vous êtes content de ma belle-sœur, trouvez-lui un peu quelque bon parti dans votre province : elle est nièce de M. le Tellier, et cousine germaine de M. de Louvois.


115. — DE MESDAMES DE SÉVIGNÉ ET DE GRIGNAN AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 19e novembre.
* DE MADAME DE GRIGNAN.

Si ma bonne santé peut vous consoler de n’avoir qu’une fille[22], je ne vous demanderai point pardon de ne vous avoir pas donné un fils. Je suis hors de tout péril, et ne songe qu’à vous aller trouver. Ma mère vous dira le reste.

DE MADAME DE SÉVIGNÉ.

Madame de Puisieux[23] dit que si vous avez envie d’avoir un fils, vous preniez la peine de le faire : je trouve ce discours le plus juste et le meilleur du monde. Vous nous avez laissé une petite fille, nous vous la rendons. Jamais il n’y eut un accouchement si heureux. Vous saurez que ma fille et moi nous allâmes samedi dernier nous promener à l’Arsenal[24] ; elle sentit de petites douleurs : je voulus au retour envoyer querir Mme Robinet ; elle ne le voulut jamais. On soupa, elle mangea très-bien. 1670 M. le Coadjuteur[25] et moi nous voulûmes donner à cette chambre un air d’accouchement ; elle s’y opposa encore avec un air qui nous persuadoit qu’elle n’avoit qu’une colique de fille. Enfin, comme j’allois malgré elle querir la Robinette, voilà des douleurs si vives, si extrêmes, si redoublées, si continuelles ; des cris si violents, si perçants, que nous comprîmes très-bien qu’elle alloit accoucher. La difficulté est qu’il n’y avoit point de sage-femme : nous ne savions tous où nous en étions ; j’étois au désespoir. Elle demandoit du secours et une sage-femme ; c’étoit alors qu’elle la souhaitoit, ce n’étoit pas sans raison ; car comme nous eûmes fait venir en diligence la sage-femme de la Deville, elle reçut l’enfant un quart d’heure après. Dans ce moment Pecquet[26] arriva, qui aida à la délivrer. Quand tout fut fait, la Robinette arriva, un peu étonnée ; c’est qu’elle s’étoit amusée à accommoder Madame la Duchesse[27], pensant en avoir pour toute la nuit. D’abord Hélène[28] me dit : « Madame, c’est un petit garçon. » Je le dis au Coadjuteur ; et puis quand nous le regardâmes de plus près, nous trouvâmes que c’étoit une petite fille. Nous en sommes un peu honteuses, quand nous songeons que tout l’été nous avons fait des béguins au saint père, et qu’après de si belles espérances

La signora met au monde une fille[29].

Je vous assure que cela rabaisse le caquet. Rien ne console que la parfaite santé de ma fille ; elle n’a pas eu la fièvre de son lait. Sa fille a été baptisée et nommée Marie-Blanche[30] ; M. le Coadjuteur pour Monsieur d’Arles[31], et moi pour moi. Voilà un détail qu’on haïroit bien pour des choses indifférentes ; mais on l’aime fort pour celles qui tiennent au cœur. M. le premier président de Provence[32] est revenu exprès de Saint-Germain pour faire son compliment ici : jamais je n’ai vu de si grandes apparences d’une véritable amitié. Que vous dirai-je encore ? Oserai-je le dire ? Je crois que la santé de votre chère épouse vous en consolera : c’est que notre aimable duchesse de Saint-Simon[33] a la petite vérole si dangereusement que l’on craint pour sa vie. Adieu, mon cher ; je laisse à votre pauvre cœur à démêler tous ces divers sentiments ; vous savez les miens il y a longtemps sur votre sujet.

Les médisants disent que Blanche d’Adhémar ne sera pas d’une beauté surprenante ; et les mêmes gens ajoutent qu’elle vous ressemble : si cela est, vous ne doutez pas que je ne l’aime fort.


116. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 26e novembre.

Vous avez une lettre de votre chère femme ; n’est-ce pas une folie de se mêler de vous écrire ? Ce n’est aussi que pour vous dire que Mme la duchesse de Saint-Simon est hors de tout danger. Le jour que je vous écrivis, elle avoit reçu tous ses sacrements, et l’on ne croyoit pas qu’elle dût vivre deux jours. Présentement, vous pouvez sentir toute la joie que vous donne la bonne santé de ma fille. Elle a reçu tantôt une nouvelle qui lui donne beaucoup de déplaisir : elle croyoit que le petit de Noirmoutier[34] dût être aveugle ; elle avoit fait là-dessus toutes ses réflexions morales et chrétiennes ; elle en avoit eu toute la pitié que méritoit un tel accident. Tout d’un coup on lui vient dire qu’il verra clair, et que ses pauvres yeux que la fluxion avoit mis hors de la tête y étoient rentrés heureusement comme si de rien n’étoit. Là-dessus, elle demande ce qu’on veut qu’elle fasse de ses réflexions, et dit qu’on lui vient déranger ses pensées ; qu’on a bien peu de considération pour elle de lui dire cette nouvelle avant que les neuf jours soient passés. Enfin nous avons tant ri de cette folie, que nous avions peur qu’elle ne fût malade.

Monsieur le Grand[35] et le maréchal de Bellefonds courent lundi dans le bois de Boulogne sur des chevaux vites comme des éclairs : il y a trois mille pistoles de pari pour cette course.


117. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 28e novembre.

Ne parlons plus de cette femme, nous l’aimons au delà de toute raison. Elle se porte très-bien, et je vous écris en mon propre et privé nom. Je veux vous parler de Monsieur de Marseille[36], et vous conjurer, par toute la confiance que vous pouvez avoir en moi, de suivre mes conseils sur votre conduite avec lui. Je connois les manières des provinces, et je sais le plaisir qu’on y prend à nourrir les divisions ; en sorte qu’à moins que d’être toujours en garde contre les discours de ces messieurs, on prend insensiblement leurs sentiments, et très-souvent c’est une injustice. Je vous assure que le temps ou d’autres raisons ont changé l’esprit de Monsieur de Marseille. Depuis quelques jours il est fort adouci ; et pourvu que vous ne vouliez pas le traiter comme un ennemi, vous trouverez qu’il ne l’est pas. Prenons-le sur ses paroles, jusqu’à ce qu’il ait fait quelque chose de contraire. Rien n’est plus capable d’ôter tous les bons sentiments, que de marquer de la défiance ; il suffit souvent d’être soupçonné comme ennemi, pour le devenir : la dépense en est toute faite, on n’a plus rien à ménager.

Au contraire, la confiance engage à bien faire : on est touché de la bonne opinion des autres, et on ne se résout pas facilement à la perdre. Au nom de Dieu, desserrez votre cœur, et vous serez peut-être surpris par un procédé que vous n’attendez pas. Je ne puis croire qu’il y ait du venin caché dans son cœur, avec toutes les démonstrations qu’il nous fait, et dont il seroit honnête d’être la dupe, plutôt que d’être capable de le soupçonner injustement. Suivez mes avis, ils ne sont pas de moi seule : plusieurs bonnes têtes vous demandent cette conduite, et vous assurent que vous n’y serez pas trompé. Votre famille en est persuadée : nous voyons les choses de plus près que vous ; tant de personnes qui vous aiment, et qui ont un peu de bon sens, ne peuvent guère s’y méprendre.

Je vous mandai l’autre jour que M. le premier président de Provence étoit venu de Saint-Germain exprès, aussitôt que ma fille fut accouchée, pour lui faire son compliment : on ne peut témoigner plus d’honnêteté, ni prendre plus d’intérêt à ce qui vous touche. Nous l’avons revu aujourd’hui ; il nous a parlé le plus franchement et le mieux du monde sur l’affaire que vous ferez proposer à l’assemblée[37].

Il nous a dit qu’on vous avoit envoyé des ordres pour la convoquer, et qu’il vous écrivoit pour vous faire part de ses conseils, que nous avons trouvés très-bons. Comme on ne connoît d’abord les hommes que par les paroles, il faut les croire jusqu’à ce que les actions les détruisent. On trouve quelquefois que les gens qu’on croit ennemis, ne le sont point ; on est alors fort honteux de s’être trompé ; il suffit qu’on soit toujours reçu à se haïr, quand on y est autorisé. Adieu, mon cher Comte, je me fonde en raison, et je vous importune.

Mme de Coulanges[38] m’a mandé que vous m’aimiez ; quoique ce ne me soit pas une nouvelle, je dois être fort aise que cette amitié résiste à l’absence et à la Provence, et qu’elle se fasse sentir dans les occasions.

J’ai bien à vous remercier des bontés que vous avez eues pour Valcroissant[39] ; il m’en est revenu de grands compliments. Le Roi a eu pitié de lui ; il n’est plus sur les galères, il n’a plus de chaîne, et demeure à Marseille en liberté.

On ne peut trop louer le Roi de cette justice et de cette bonté.


118. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 3e décembre.

Hélas ! c’est donc à moi à vous mander la mort de Mme la duchesse de Saint-Simon, après dix-huit jours de petite vérole, tantôt sauvée, tantôt à l’extrémité. Enfin elle mourut hier, et sa mort laisse presque tout le monde affligé de la perte d’une si aimable personne. Pour moi, j’en suis touchée au dernier point. Vous savez l’inclination naturelle que j’avois pour elle ; si vous en avez conservé autant, vous serez fâché d’apprendre une si triste nouvelle.

Au reste, le P. Bourdaloue prêche divinement bien aux Tuileries[40]. Nous nous trompions dans la pensée qu’il ne joueroit bien que dans son tripot[41] : il passe infiniment tout ce que nous avons ouï.

Adieu, mon très-cher Comte. Votre frère[42] a prêché tantôt avec une approbation générale et sincère.


1670

119. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 10e décembre.

Madame de Coulanges[43] m’a mandé plus de quatre fois que vous m’aimiez de tout votre cœur, que vous parliez de moi, que vous me souhaitiez. Comme j’ai fait toutes les avances de cette amitié, et que je vous ai aimé la première, vous pouvez juger à quel point mon cœur est content d’apprendre que vous répondez à cette inclination que j’ai pour vous depuis si longtemps. Tout ce que vous écrivez de votre fille est admirable. Je n’ai point douté que la bonne santé de la mienne ne vous consolât de tout. J’aurois eu trop de joie de vous apprendre la naissance d’un petit garçon ; mais c’eût été trop de biens tout à la fois, et ce plaisir que j’ai naturellement à dire de bonnes nouvelles, eût été jusqu’à l’excès. Je serai bientôt dans l’état où vous me vîtes l’année passée[44]. Il faut que je vous aime bien pour vous envoyer ma fille par un si mauvais temps. Quelle folie de quitter une si bonne mère, dont vous m’assurez qu’elle est si contente, pour aller chercher un homme au bout de la France ! Je vous assure qu’il n’y a rien qui choque tant la bienséance que ces sortes de conduites. Je crois que vous aurez été touché de la mort de cette aimable duchesse. J’étois si affligée moi-même, que j’aurois eu besoin de consolation en vous écrivant.

Ma fille me prie de vous mander le mariage de M. de Nevers[45] : ce M. de Nevers si difficile à ferrer, ce M. de Nevers si extraordinaire, qui glisse des mains alors qu’on y pense le moins, il épouse enfin, devinez qui ? Ce n’est point Mlle d’Houdancourt, ni Mlle de Grancey[46] ; c’est Mlle de Thianges[47], jeune, jolie, modeste, élevée à l’Abbaye-aux-Bois[48]. Mme de Montespan[49] en fait les noces dimanche ; elle en fait comme la mère, et en reçoit tous les honneurs[50]. Le Roi rend à M. de Nevers toutes ses charges ; de sorte que cette belle qui n’a pas un sou, lui vaut mieux que la plus grande héritière de France. Mme de Montespan fait des merveilles partout.

Je vous défends de m’écrire : écrivez à ma fille, et laissez-moi la liberté de vous écrire, sans vous embarquer dans des réponses qui m’ôteroient le plaisir de vous mander des bagatelles. Aimez-moi toujours, mon cher Comte : je vous quitte d’honorer ma grand’maternité ; mais il faut m’aimer, et vous assurer que vous n’êtes aimé en nul lieu du monde si chèrement qu’ici.

Ne manquez pas d’écrire à Mme de Brissac[51]. Je l’ai vue aujourd’hui ; elle est très-affligée : elle m’a parlé du déplaisir qu’elle croit que vous aurez en apprenant la mort de sa mère.

M. de Foix[52] est quelquefois à l’extrémité, quelquefois mieux ; je ne répondrai point cette année de la vie de ceux qui ont la petite vérole.

Il y a ici un jeune fils[53] du landgrave de Hesse qui est mort de la fièvre continue sans avoir été saigné. Sa mère lui avoit recommandé en partant de ne se point faire saigner à Paris : il ne s’est point fait saigner, il est mort.

Noirmoutier est aveugle sans ressource ; Mme de Grignan peut reprendre toutes les vieilles réflexions qu’elle avoit faites là-dessus.

La cour est ici, et le Roi s’y ennuie à tel point, qu’il ira toutes les semaines trois ou quatre jours à Versailles.

Le maréchal de la Ferté dit ici des choses nompareilles ; il a présenté à sa femme le comte de Saint-Paul[54] et le petit Bon[55], en qualité de jeunes gens qu’il faut présenter aux dames. Il fit des reproches au comte de Saint-Paul d’avoir été si longtemps sans l’être venu voir. Le comte a répondu qu’il étoit venu plusieurs fois chez lui, qu’il falloit donc qu’on ne lui eût pas dit[56].


1670

120. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Je fus six mois sans avoir de commerce avec Mme de Sévigné, après lesquels je lui écrivis cette lettre.

À Chaseu, ce 12e décembre[57].

Je ne fais que d’apprendre l’heureux accouchement de Mme de Grignan, dont je vous félicite, ma chère cousine. Ce n’est pas que vous ne m’ayez fort abandonné depuis six mois ; mais j’aime à faire toujours mon devoir avec mes amis, quand même ils se relâchent avec moi. Vous savez bien que je vous ai écrit le dernier. M. de Corbinelli a été à Bussy depuis : nous avons été fort aises de nous revoir, et vous jugez bien que la conversation ne languissoit pas trop entre nous ; vous en avez été le sujet souvent. J’ai reçu de ses nouvelles depuis peu, et j’espère de le revoir l’été prochain en Bourgogne. Cependant je m’amuse à mille occupations, les unes agréables, les autres utiles, et j’envisage d’un esprit clair et net ce qui se passe à la cour, c’est-à-dire les coups extraordinaires de l’amour et de la fortune. Tout cela, ma chère cousine, fait assez d’honneur aux gens malheureux du reste. Je vous avoue que cet honneur n’est pas un bien trop solide ; mais nous autres pauvres diables, nous nous consolons de ce que nous pouvons attraper.

Un de mes amusements, c’est de recueillir tout ce que je puis trouver de nos pères[58], et d’en faire une petite histoire généalogique qui ne vous déplaira pas.


1670

121. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Paris, ce lundi 15e décembre.

Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie : enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n’est-il pas juste[59] ; une chose que l’on ne peut pas croire à Paris (comment la pourroit-on croire à Lyon[60] ?) ; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d’Hauterive[61] ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-la : je vous le donne en trois.

Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun[62] épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner ; c’est Mme de la Vallière[63]. — Point du tout, Madame. — C’est donc Mlle de Retz[64] ? — Point du tout, vous êtes bien provinciale. — Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c’est Mlle Colbert. — Encore moins. — C’est assurément Mlle de Créquy. — Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de… Mademoiselle… devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée !

Mademoiselle, la grande Mademoiselle ; Mademoiselle, fille de feu Monsieur[65] ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur[66]. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.

Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.


1670

122. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Paris, ce vendredi 19e décembre.

Ce qui s’appelle tomber du haut des nues, c’est ce qui arriva hier au soir aux Tuileries ; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, aux ravissements de la princesse et de son bienheureux amant. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme vous avez su. Le mardi se passa à parler, à s’étonner, à complimenter. Le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessein de lui donner les titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommés dans le contrat de mariage, qui fut fait le même jour. Elle lui donna donc, en attendant mieux, quatre duchés : le premier, c’est le comté d’Eu, qui est la première pairie de France et qui donne le premier rang ; le duché de Montpensier, dont il porta hier le nom toute la journée ; le duché de Saint-Fargeau, le duché de Châtellerault : tout cela estimé vingt-deux millions. Le contrat fut fait ensuite, où il prit le nom de Montpensier. Le jeudi matin, qui étoit hier, Mademoiselle espéra que le Roi signeroit, comme il l’avoit dit ; mais sur les sept heures du soir, Sa Majesté étant persuadée par la Reine, Monsieur, et plusieurs barbons[67], que cette affaire faisoit tort à sa réputation, il se résolut de la rompre, et après avoir fait venir Mademoiselle et M. de Lauzun, il leur déclara, devant Monsieur le Prince, qu’il leur défendoit de plus songer à ce mariage.

M. de Lauzun reçut cet ordre avec tout le respect, toute la soumission, toute la fermeté, et tout le désespoir que méritoit une si grande chute. Pour Mademoiselle, suivant son humeur, elle éclata en pleurs, en cris, en douleurs violentes, en plaintes excessives ; et tout le jour elle n’a pas sorti de son lit, sans rien avaler que des bouillons. Voilà un beau songe, voilà un beau sujet de roman[68] ou de tragédie, mais surtout un beau sujet de raisonner et de parler éternellement : c’est ce que nous faisons jour et nuit, soir et matin, sans fin, sans cesse. Nous espérons que vous en ferez autant, e fra tanto vi bacio le mani[69]


1670

123. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 19e décembre 1670.

Voilà M. de Plombières[70] à qui je parlois de vous avec plaisir et déplaisir. Je ne vous fais pas valoir, mon cher cousin, la douleur que j’ai de l’état de votre fortune : ce seroit vouloir escroquer des reconnoissances. Quand je vois des gens fort heureux, je suis au désespoir : cela n’est pas d’une belle âme ; mais le moyen aussi de souffrir des coups de tonnerre de bonheur comme il y en a, dit-on, pour les inclinations !

Je vous remercie de votre compliment sur l’accouchement de ma fille ; c’en est trop pour une troisième fille de Grignan[71]. Mais que dites-vous de la charge de grand maréchal des logis qu’on vient de donner à votre cousin de Thianges ?

Chimène, qui l’eût cru ? — Rodrigue, qui l’eût dit[72] ?

Je me tais tout court : j’irois trop loin si je ne me retenois[73]. Je dirai encore pourtant que je suis au désespoir

quand je vois des gens heureux sans raison, et vous en l’état où vous êtes. Je trouve mon intérêt si mêlé avec le vôtre, et l’amour-propre si confondu avec l’amitié, qu’il est impossible de les démêler[74].

Adieu, Comte ; c’est grand dommage que nos étoiles nous aient séparés. Nous étions bien propres à vivre dans une même ville : nous nous entendons, ce me semble, à demi-mot. Je ne me réjouis pas bien sans vous ; et quand je ris, cela ne passe pas le nœud de la gorge. M. de Plombières me paroît passionné pour vous. Je voudrois bien, comme dit le maréchal de Gramont, que ce qu’il a dans la tête pour vous pût passer dans une autre tête que je dirois bien[75]



1670

124. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Deux jours après que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 23e décembre 1670.

De la manière que je vois que ma mauvaise fortune vous touche, Madame, c’est à moi à vous consoler ; car pour mon particulier, je vous assure que j’en suis tout consolé, et plus je vois de choses extraordinaires sur la bonne fortune des autres, plus j’ai l’esprit en repos. Comme je vous disois l’autre jour, ces coups-là honorent les honnêtes malheureux, et font croire que le même caprice qui fait faire des fortunes prodigieuses à de certaines gens, fait faire à d’autres de grandes disgrâces sans fondement. Telles et semblables réflexions, jointes à la nécessité, m’ont fait prendre le parti de ne me plus affliger de rien. Je vous conseille, ma chère cousine, d’en user de même, et je vous supplie de croire que la manière dont je soutiens les persécutions qu’on me fait depuis cinq ans, me doit faire autant d’honneur que les plus belles campagnes que j’aie jamais faites.

Mon cousin de Thianges a bien du mérite ; mais il faut dire le vrai, il est bien heureux.

Il est vrai, ma chère cousine, que nous étions assez faits l’un pour l’autre ; mais je ne désespère pas encore que nous ne passions une bonne partie de notre vie ensemble. Songeons seulement à vivre, et nous verrons bien des choses. Pour moi, j’ai une santé que je n’ai point eue depuis trente ans. Je vous veux surprendre quand je retournerai à Paris : je m’en irai un beau matin chez vous sans livrées ; je vous ferai dire que c’est un gentilhomme breton dont vous ne connoissez pas le nom seulement ; il se terminera en ec. J’entrerai dans votre chambre, je déguiserai ma voix ; je suis assuré que vous ne me connoîtrez pas, et que quand je me découvrirai, vous serez surprise de mon air jeune et de ma fraîcheur. On diroit à me voir que Dieu me veut remplacer en une longue vie, ce qu’il m’ôte de fortune : ce n’est pas tout perdre au moins.

Je crois que si ce qui est dans la tête de Plombières pour moi étoit dans celle que vous diriez bien, je serois un exemple de grande fortune aux siècles présents et à venir.


1670

125. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Paris, ce mercredi 24e décembre.

Vous savez présentement l’histoire romanesque de Mademoiselle et de M. de Lauzun. C’est le juste sujet d’une tragédie dans toutes les règles du théâtre. Nous en réglions les actes et les scènes l’autre jour ; nous prenions quatre jours au lieu de vingt-quatre heures, et c’étoit une pièce parfaite. Jamais il ne s’est vu de tels changements en si peu de temps ; jamais vous n’avez vu une émotion si générale ; jamais vous n’avez ouï une si extraordinaire nouvelle. M. de Lauzun a joué son personnage en perfection ; il a soutenu ce malheur avec une fermeté, un courage, et pourtant une douleur mêlée d’un profond respect, qui l’ont fait admirer de tout le monde[76]. Ce qu’il a perdu est sans prix ; mais les bonnes grâces du Roi, qu’il a conservées, sont sans prix aussi, et sa fortune ne paroît pas déplorée. Mademoiselle a fort bien fait aussi ; elle a bien pleuré ; elle a recommencé aujourd’hui à rendre ses devoirs au Louvre, dont elle avoit reçu toutes les visites. Voilà qui est fini. Adieu.


1670

126. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

À Paris, ce mercredi 31e décembre.

J’ai reçu vos réponses à mes lettres. Je comprends l’étonnement où vous avez été de tout ce qui s’est passé depuis le 15e jusqu’au 20e de ce mois : le sujet le méritoit bien. J’admire aussi votre bon esprit, et combien vous avez jugé droit, en croyant que cette grande machine ne pourroit point aller depuis le lundi jusqu’au dimanche. La modestie m’empêche de vous louer à bride abattue là-dessus, parce que j’ai dit et pensé toutes les mêmes choses que vous. Je le dis à ma fille le lundi : « Jamais ceci n’ira à bon port jusqu’à dimanche ; » et je voulus parier, quoique tout respirât la noce, qu’elle ne s’achèveroit pas. En effet, le jeudi le temps se brouilla, et la nuée creva le soir à dix heures, comme je vous l’ai mandé. Ce même jeudi, j’allai dès neuf heures du matin chez Mademoiselle, ayant eu avis qu’elle s’en alloit se marier à la campagne, et que le coadjuteur de Reims[77] faisoit la cérémonie. Cela étoit ainsi résolu le mercredi au soir ; car pour le Louvre, cela fut changé dès le mardi[78]. Mademoiselle écrivoit ; elle me fit entrer, elle acheva sa lettre, et puis me fit mettre à genoux auprès de son lit. Elle me dit à qui elle écrivoit, et pourquoi, et les beaux présents qu’elle avoit faits la veille, et le nom qu’elle avoit donné ; qu’il n’y avoit point de parti pour elle en Europe, et qu’elle vouloit se marier. Elle me conta une conversation mot à mot qu’elle avoit eue avec le Roi ; elle me parut transportée de joie de faire un homme bienheureux ; elle me parla avec tendresse du mérite et de la reconnoissance de M. de Lauzun ; et sur tout cela je lui dis : « Mon Dieu, Mademoiselle, vous voilà bien contente ; mais que n’avez-vous donc fini promptement cette affaire dès le lundi ? Savez-vous bien qu’un si grand retardement donne le temps à tout le royaume de parler, et que c’est tenter Dieu et le Roi que de vouloir conduire si loin une affaire si extraordinaire ? » Elle me dit que j’avois raison ; mais elle étoit si pleine de confiance, que ce discours ne lui fit alors qu’une légère impression. Elle retourna sur la maison et sur les bonnes qualités de M. de Lauzun. Je lui dis ces vers de Sévère dans Polyeucte :

Du moins ne la peut-on blâmer d’un mauvais choix :
Polyeucte a du nom, et sort du sang des rois[79].

Elle m’embrassa fort. Cette conversation dura une heure : il est impossible de la redire toute ; mais j’avois été assurément fort agréable durant ce temps, et je le puis dire sans vanité, car elle étoit aise de parler à quelqu’un : son cœur étoit trop plein. À dix heures, elle se donna au reste de la France, qui venoit lui faire sur cela son compliment. Elle attendoit tout le matin des nouvelles, et n’en eut point. L’après-dînée, elle s’amusa à faire ajuster elle-même l’appartement de M. de Montpensier. Le soir, vous savez ce qui arriva. Le lendemain, qui étoit vendredi, j’allai chez elle ; je la trouvai dans son lit ; elle redoubla ses cris en me voyant ; elle m’appela, m’embrassa, et me mouilla toute de ses larmes. Elle me dit : « Hélas ! vous souvient-il de ce que vous me dîtes hier ? Ah ! quelle cruelle prudence ! ah ! la prudence ! » Elle me fit pleurer à force de pleurer. J’y suis encore retournée deux fois ; elle est fort affligée, et m’a toujours traitée comme une personne qui sentoit ses douleurs ; elle ne s’est pas trompée. J’ai retrouvé dans cette occasion des sentiments qu’on ne sent guère pour des personnes d’un tel rang[80]. Ceci entre nous deux et Mme de Coulanges ; car vous jugez bien que cette causerie seroit entièrement ridicule avec d’autres. Adieu.


1670

127. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 16e janvier.

Hélas ! je l’ai encore cette pauvre enfant, et quoi qu’elle ait pu faire, il n’a pas été en son pouvoir de partir le 10e de ce mois, comme elle en avoit le dessein. Les pluies ont été et sont encore si excessives, qu’il y auroit eu de la folie à se hasarder. Toutes les rivières sont débordées ; tous les grands chemins sont noyés ; toutes les ornières cachées ; on peut fort bien verser dans tous les gués. Enfin la chose est au point que Mme de Rochefort[81], qui est chez elle a la campagne, qui brûle d’envie de revenir à Paris, où son mari la souhaite, et où sa mère[82] l’attend avec une impatience incroyable, ne peut pas se mettre en chemin, parce qu’il n’y a pas de sûreté, et qu’il est vrai que cet hiver est épouvantable. Il n’a pas gelé un moment, et il a plu tous les jours comme des pluies d’orage. Il ne passe plus aucun bateau sous les ponts ; les arches du Pont-Neuf sont quasi comblées. Enfin c’est une chose étrange. Je vous avoue que l’excès d’un si mauvais temps fait que je me suis opposée à son départ pendant quelques jours. Je ne prétends pas qu’elle évite le froid, ni les boues, ni les fatigues du voyage ; mais je ne veux pas qu’elle soit noyée. Cette raison, quoique très-forte, ne la retiendroit pas présentement, sans le Coadjuteur[83] qui part avec elle, et qui est engagé de marier sa cousine d’Harcourt[84]. Cette cérémonie se fait au Louvre ; M. de Lyonne est le procureur[85]. Le Roi lui a parlé (je dis à M. le Coadjuteur) sur ce sujet. Cette affaire s’est retardée d’un jour à l’autre, et ne se fera peut-être que dans huit jours. Cependant je vois ma fille dans une telle impatience de partir, que ce n’est pas vivre que le temps qu’elle passe ici présentement ; et si le Coadjuteur ne quitte là cette noce, je la vois disposée à faire une folie, qui est de partir sans lui. Ce seroit une chose si étrange d’aller seule, et c’est une chose si heureuse pour elle d’aller avec son beau-frère, que je ferai tous mes efforts pour qu’ils ne se quittent pas. Cependant les eaux s’écouleront un peu. Je veux vous dire de plus que je ne sens point le plaisir de l’avoir présentement : je sais qu’il faut qu’elle parte ; ce qu’elle fait ici ne consiste qu’en devoirs et en affaires. On ne s’attache à nulle société ; on ne prend aucun plaisir ; on a toujours le cœur serré ; on ne cesse de parler des chemins, des pluies, des histoires tragiques de ceux qui se sont hasardés. En un mot, quoique je l’aime comme vous savez, l’état où nous sommes à présent nous pèse et nous ennuie. Ces derniers jours-ci n’ont aucun agrément. Je vous suis très-obligée, mon cher Comte, de toutes vos amitiés pour moi, et de toute la pitié que je vous fais. Vous pouvez mieux que nul autre comprendre ce que je souffre, et ce que je souffrirai. Je suis fâchée pourtant que la joie que vous aurez de la voir puisse être troublée par cette pensée. Voilà les changements et les chagrins dont la vie est mêlée. Adieu, mon très-cher Comte, je vous tue par la longueur de mes lettres ; j’espère que vous verrez le fonds qui me les fait écrire.


1671

128. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 23e janvier 1671.

Voilà, mon cousin, tout ce que l’abbé de Coulanges sait de notre maison, dont vous avez dessein de faire une petite histoire. Je voudrois que vous n’eussiez jamais fait que celle-là. Nous sommes très-obligés à M. du Bouchet : il nous démêle fort et nous fait valoir en des occasions qui font plaisir. En vérité, c’est peu de n’avoir que moi pour représenter ici le corps des Rabutins. Je suis transplantée, et ce que l’on dit soi-même, outre qu’on ne voudroit guère souvent parler sur ce chapitre, ne fait pas un grand effet[86].

On me vient de conter une aventure extraordinaire qui s’est passée à l’hôtel de Condé, et qui mériteroit de vous être mandée, quand nous n’y aurions pas l’intérêt que nous y avons. La voici : Madame la Princesse[87] ayant pris il y a quelque temps de l’affection pour un de ses valets de pied nommé Duval[88], celui-ci fut assez fou pour souffrir impatiemment la bonne volonté qu’elle témoignoit aussi pour le jeune Rabutin, qui avoit été son page[89]. Un jour qu’ils se trouvoient tous deux dans sa chambre, Duval ayant dit quelque chose qui manquoit de respect à la princesse, Rabutin mit l’épée à la main pour l’en châtier ; Duval tira aussi la sienne, et la princesse se mettant entre-deux pour les séparer, elle fut blessée légèrement à la gorge. On a arrêté Duval[90], et Rabutin est en fuite ; cela fait grand bruit en ce pays-ci. Quoique le sujet de la noise soit honorable, je n’aime pas qu’on nomme un valet de pied avec Rabutin. Je vous avoue que je ne suis guère humble, et que j’aurois eu une grande joie que vous eussiez fait de notre nom tout ce qui étoit en vos mains. Adieu, mon pauvre Rabutin, non pas celui qui s’est battu contre Duval, mais un autre qui eût bien fait de l’honneur à ses parents, s’il avoit plu à la destinée. Je vous souhaite la continuation de votre philosophie, et à moi celle de votre amitié ; elle ne sauroit périr, quoi que nous puissions faire. Elle est d’une bonne trempe, et le fond en tient à nos os. Ma fille vous fait mille compliments, et mille adieux : elle s’en va au diantre en Provence ; je suis inconsolable de cette séparation. J’embrasse mes chères nièces.


1671

*129. — DE L’ABBÉ DE COULANGES À M. PRAT[91].

De Paris, ce 30e janvier 1671.
Monsieur,

J’ai reçu votre lettre de change de treize cents livres à laquelle je ne m’attendois pas, non plus qu’aux huit cents livres que vous me mandez que Monseigneur d’Uzès[92] a entre les mains, parce que depuis celle que je vous écrivis le mois passé touchant l’argent que Madame la comtesse de Grignan avoit besoin ici, Monsieur le Comte lui a fait payer ici deux mille livres par lettre de change de Marseille acquittée du jour d’hier. C’est ce que je démêlerai demain avec mondit seigneur d’Uzès, qui me dit, il y a bien un mois, qu’il payeroit une rente de onze cent cinquante livres que Monsieur le Comte a faite pour le surplus de sa charge de Provence, avec une autre de six cents livres que je payai des deniers que le sieur Chéraud fit tenir au sieur Héron, qui me les acquitta un mois après le protêt que je fis de la lettre de change. Je n’ai pas laissé pour cela d’envoyer accepter ma première de change de treize cents livres que je reçus hier, sur laquelle le sieur Goupil, qui la doit acquitter, répondit qu’il n’avoit point encore reçu avis du sieur Ferrier, son correspondant, de cette lettre tirée sur lui, et que l’on revînt le samedi, qui est demain, qu’il pourra l’avoir reçu, et qu’aussitôt il l’acceptera. Voilà le compte que je vous puis rendre présentement de cette affaire, jusqu’à ce qu’elle soit plus éclaircie avec Monseigneur d’Uzès. Cependant il n’y aura rien de perdu, et l’on vous en rendra bon compte.

Pour Madame la Comtesse, après avoir attendu Monseigneur le Coadjuteur, depuis trois semaines qu’elle étoit toute prête à partir, enfin elle s’est résolue de se mettre en chemin lundi ou mardi prochain au plus tard, soit qu’il vienne ou ne vienne pas. J’espère pourtant qu’il n’aura pas le courage de l’abandonner dans ce rencontre, et qu’il passera par-dessus quelque reste d’affaire qu’il auroit bien voulu terminer devant que quitter Paris et la cour. Au reste, Monsieur, j’apprends avec quelque sorte de douleur que vous méditez une retraite, que vous avez même déjà quitté le château de Grignan[93], et que vous êtes descendu dans la ville pour y établir votre demeure. Je n’ai rien à vous dire là-dessus ; car vous êtes plus à Dieu et à vous-même qu’à cette maison. Mais encore la charité, ce semble, demanderoit que vous l’eussiez remise entre les mains de Madame la Comtesse auparavant, et que vous l’eussiez pleinement instruite et conduite encore quelque temps dans un gouvernement d’aussi grande conséquence que celui-là.

Vous trouverez sans doute en elle tout une autre personne que celle que vous avez vue à son mariage. Elle comprend la nécessité qu’il y a qu’elle se mêle et prenne une entière connoissance des affaires. Elle apprend avec douleur comme la dépense va à bride abattue pendant son absence, et les dangereuses suites qu’elle peut apporter en peu d’années si elle continue. Elle a les meilleures intentions du monde, et de la force et de la fermeté pour les exécuter, pourvu qu’elle soit secourue. C’est pourquoi, mon cher Monsieur, comme vous avez toujours aimé avec passion les intérêts de cette maison, il faut que vous fassiez de nouveaux efforts et que vous concouriez avec elle pour y apporter quelque ordre[94]. Nous vous irons secourir et joindre à vous, Mme de Sévigné et moi, dans cet automne[95], et tous ensemble j’espère que nous en viendrons à bout. Je ne crois pas qu’elle arrête à Grignan en arrivant. Elle ira tout droit à Arles, comme je l’entends dire et qu’il est à propos de le faire, pour éviter un accablement de monde à cet abord, dont elle seroit fort embarrassée. Mais le plus tôt qu’elle pourra après, elle ira s’y établir avec Monsieur le Comte, pour faire cesser toutes ces courses de ville en ville qui l’engagent à de continuelles fêtes et dépenses extraordinaires, pendant que les revenus ne vont que leur train et avec beaucoup de peine, je m’assure, en ce temps-ci, comme on l’éprouve dans toutes les autres provinces.

Je ne pensois pas, Monsieur, vous en tant dire ; mais je me suis laissé aller à la passion vive que j’ai conçue pour cette digne et grande maison, que je serois ravi de garantir du naufrage que nous voyons arriver tous les jours aux plus grandes et plus puissantes du royaume, quand le désordre commence à s’y mettre et qu’il n’y a point de pilote pour conduire le vaisseau ; car ce ne fut jamais par le manque des biens, mais par le peu de conduite des grands seigneurs, que leurs maisons périssent. Adieu, je suis tout à vous de tout mon cœur, et pour vous le dire en forme, c’est,

Monsieur,
Votre très-humble et affectionné serviteur,
L’abbé de colanges.
Suscription : Au maître de la poste de Pierrelatte[96], pour faire tenir, s’il lui plaît, à M. Prat, sacristain de l’église collégiale de Grignan. À Pierrelatte.

1671

130. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Chaseu, ce 1er février 1671.

Je viens de recevoir votre lettre et le mémoire de notre maison, dont je vous rends mille grâces et à Monsieur l’abbé. Les pièces que vous avez avec les miennes font toutes les preuves que nous pouvons souhaiter ; car, quoique votre cadet, j’en ai bien plus que vous[97].

Je suis bien aise, ma chère cousine, que vous approuviez le dessein de mon histoire généalogique. Vous verrez un jour ce que j’en ai fait, et vous louerez encore plus mon entreprise que vous ne faites.

Mais ne sauriez-vous vous corriger de reparler toujours du passé quand il est désagréable ? Vous me mandez que vous voudriez que je n’eusse jamais fait d’autre histoire que celle de notre maison ; et ensuite du chagrin que vous témoignez du mélange des noms de Rabutin et de Duval, vous me dites que vous auriez eu une grande joie si j’avois voulu faire de mon nom tout ce qui étoit en mon pouvoir. Je n’ai que deux mots à vous dire là-dessus, sans entrer avec vous dans le détail de ma justification. Ou je suis coupable et me suis attiré ma mauvaise fortune, ou seulement malheureux. Si c’est celui-ci, vous êtes injuste de me rien reprocher ; et si je suis coupable, il est malhonnête à vous dans tous les temps de me le dire, mais particulièrement quand je suis accablé de persécutions.

Personne que vous ne me parle ainsi, et si mes ennemis le disent en quelque lieu, je suis assuré qu’ils ne le pensent pas.

Je vois bien que c’est le départ de Mme de Grignan qui vous met en méchante humeur ; mais je remarque que vous avez à point nommé, quand vous m’écrivez, des occasions de picoterie dont je me passerois fort bien. Regardez s’il vous seroit agréable que je vous redisse souvent que si vous aviez voulu, on n’auroit pas dit de vous et du surintendant Foucquet les sottises qui s’en dirent après qu’il fut arrêté. Je ne les ai jamais crues, mais aussi je ne vous ai pas donné le chagrin de les entendre. Je vous prie donc, ma chère cousine, d’avoir les mêmes égards pour moi que j’ai pour vous ; car quoique je ne puisse jamais m’empêcher de vous aimer, je n’aimerois pas que toute notre vie se passât en reproches, et en éclaircissements : c’est tout ce que nous pourrions faire, s’il y avoit de l’amour sur le jeu.

L’aventure de notre cousin n’est ni belle ni laide : la maîtresse lui fait honneur, et le rival de la honte.


1671

131. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 6e février.

Ma douleur seroit bien médiocre si je pouvois vous la dépeindre ; je ne l’entreprendrai pas aussi. J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie[98], toujours pleurant et toujours mourant : il me sembloit qu’on m’arrachoit le cœur et l’âme ; et en effet, quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d’être seule ; on me mena dans la chambre de Mme du Housset, on me fit du feu ; Agnès me regardoit[99] sans me parler, c’étoit notre marché ; j’y passai jusqu’à cinq heures sans cesser de sangloter : toutes mes pensées me faisoient mourir. J’écrivis à M. de Grignan, vous pouvez penser sur quel ton. J’allai ensuite chez Mme de la Fayette[100], qui redoubla mes douleurs par la part qu’elle y prit. Elle étoit seule, et malade, et triste de la mort d’une sœur religieuse : elle étoit comme je la pouvois desirer. M. de la Rochefoucauld y vint ; on ne parla que de vous, de la raison que j’avois d’être touchée, et du dessein de parler comme il faut à Merlusine[101]. Je vous réponds qu’elle sera bien re lancée. D’Hacqueville[102] vous rendra un bon compte de cette affaire. Je revins enfin à huit heures de chez Mme de la Fayette ; mais en entrant ici, bon Dieu ! comprenez-vous bien ce que je sentis en montant ce degré ? Cette chambre où j’entrois toujours, hélas ! j’en trouvai les portes ouvertes ; mais je vis tout démeublé, tout dérangé, et votre pauvre petite fille qui me représentoit la mienne. Comprenez-vous bien tout ce que je souffris ? Les réveils de la nuit ont été noirs, et le matin je n’étois point avancée d’un pas pour le repos de mon esprit. L’après-dînée se passa avec Mme de la Troche à l’Arsenal[103]. Le soir, je reçus votre lettre, qui me remit dans les premiers transports, et ce soir j’achèverai celle-ci chez M. de Coulanges, où j’apprendrai des nouvelles ; car pour moi, voilà ce que je sais, avec les douleurs de tous ceux que vous avez laissés ici. Toute ma lettre seroit pleine de compliments, si je voulois.

Vendredi au soir.

J’ai appris chez Mme de Lavardin[104] les nouvelles que je vous mande ; et j’ai su par Mme de la Fayette qu’ils

eurent hier[105] une conversation avec Merlusine, dont le détail n’est pas aisé à écrire ; mais enfin elle fut confondue et poussée à bout par l’horreur de son procédé, qui lui fut reproché sans aucun ménagement. Elle est fort heureuse du parti qu’on lui offre, et dont elle est demeurée d’accord : c’est de se taire très-religieusement, et moyennant cela on ne la poussera pas à bout[106]. Vous avez des amis qui ont pris vos intérêts avec beaucoup de chaleur ; je ne vois que des gens qui vous aiment et vous estiment, et qui entrent bien aisément dans ma douleur. Je n’ai voulu aller encore que chez Mme de la Fayette. On s’empresse fort de me chercher, et de me vouloir prendre, et je crains cela comme la mort. Je vous conjure, ma chère fille, d’avoir soin de votre santé : conservez-la pour l’amour de moi, et ne vous abandonnez pas à ces cruelles négligences, dont il ne me semble pas qu’on puisse jamais revenir. Je vous embrasse avec une tendresse qui ne sauroit avoir d’égale, n’en déplaise à toutes les autres.

Le mariage de Mlle d’Houdancourt[107] et de M. de Ventadour a été signé ce matin. L’abbé de Chambonnas[108] a été nommé aussi ce matin à l’évêché de Lodève. Madame la Princesse partira le mercredi des Cendres pour Châteauroux, où Monsieur le Prince desire qu’elle fasse quelque séjour[109]. M. de la Marguerie a la place du conseil de M. d’Estampes[110] qui est mort. Mme de Mazarin[111] arrive ce soir à Paris ; le Roi s’est déclaré son protecteur, et l’a envoyé querir au Lys avec un exempt et huit gardes, et un carrosse bien attelé.

Voici un trait d’ingratitude qui ne vous déplaira pas[112] et dont je veux faire mon profit, quand je ferai mon livre sur les grandes ingratitudes. Le maréchal d’Albret a

convaincu Mme d’Heudicourt[113], non-seulement d’une bonne galanterie avec M. de Béthune, dont il avoit toujours voulu douter ; mais d’avoir dit de lui et de Mme Scarron[114] tous les maux qu’on peut s’imaginer. Il n’y a point de mauvais offices qu’elle n’ait tâché de rendre à l’un et à l’autre, et cela est tellement avéré, que Mme Scarron ne la voit plus, ni tout l’hôtel de Richelieu[115]. Voilà une femme bien abîmée ; mais elle a cette consolation de n’y avoir pas contribué[116].



1671

132. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 9e février.

Je reçois vos lettres, ma bonne, comme vous avez reçu ma bague ; je fonds en larmes en les lisant ; il semble que mon cœur veuille se fendre par la moitié ; il semble que vous m’écriviez des injures ou que vous soyez malade, ou qu’il vous soit arrivé quelque accident, et c’est tout le contraire : vous m’aimez, ma chère enfant, et vous me le dites d’une manière que je ne puis soutenir sans des pleurs en abondance. Vous continuez votre voyage sans aucune aventure fâcheuse, et lorsque j’apprends tout cela, qui est justement tout ce qui me peut être le plus agréable, voilà l’état où je suis. Vous vous avisez donc de penser à moi, vous en parlez, et vous aimez mieux m’écrire vos sentiments que vous n’aimez à me les dire. De quelque façon qu’ils me viennent, ils sont reçus avec une tendresse et une sensibilité qui n’est comprise que de ceux qui savent aimer comme je fais. Vous me faites sentir pour vous tout ce qu’il est possible de sentir de tendresse ; mais si vous songez à moi, ma pauvre bonne, soyez assurée aussi que je pense continuellement à vous : c’est ce que les dévots appellent une pensée habituelle ; c’est ce qu’il faudroit avoir pour Dieu, si l’on faisoit son devoir. Rien ne me donne de distraction ; je suis toujours avec vous ; je vois ce carrosse qui avance toujours, et qui n’approchera jamais de moi : je suis toujours dans les grands chemins ; il me semble même que j’ai quelquefois peur qu’il ne verse ; les pluies qu’il fait depuis trois jours me mettent au désespoir ; le Rhône me fait une peur étrange. J’ai une carte devant les yeux ; je sais tous les lieux où vous couchez : vous êtes ce soir à Nevers, et vous serez dimanche à Lyon, où vous recevrez cette lettre. Je n’ai pu vous écrire qu’à Moulins par Mme de Guénégaud. Je n’ai reçu que deux de vos lettres ; peut-être que la troisième viendra ; c’est la seule consolation que je souhaite ; pour d’autres, je n’en cherche pas. Je suis entièrement incapable de voir beaucoup de monde ensemble ; cela viendra peut-être, mais il n’est pas venu. Les duchesses de Verneuil[117] et d’Arpajon[118] me veulent réjouir ; je les prie de m’excuser : je n’ai jamais vu de si belles âmes qu’il y en a en ce pays-ci. Je fus samedi tout le jour chez Mme de Villars[119] à parler de vous, et à pleurer ; elle entre bien dans mes sentiments. Hier je fus au sermon de Monsieur d’Agen[120] et au salut ; chez Mme de Puisieux, chez Monsieur d’Uzès[121], et chez Mme du Puy-du-Fou[122], qui vous fait mille amitiés. Si vous aviez un petit manteau fourré, elle auroit l’esprit en repos. Aujourd’hui je m’en vais souper au faubourg, tête à tête[123]. Voilà les fêtes de mon carnaval. Je fais tous les jours dire une messe pour vous : c’est une dévotion qui n’est pas chimérique. Je n’ai vu Adhémar[124]

qu’un moment ; je m’en vais lui écrire pour le remercier de son lit ; je lui en suis plus obligée que vous. Si vous voulez me faire un véritable plaisir, ayez soin de votre santé, dormez dans ce joli petit lit, mangez du potage, et servez-vous de tout le courage qui me manque. Je ferai savoir des nouvelles de votre santé. Continuez de m’écrire. Tout ce que vous avez laissé d’amitié ici est augmenté : je ne finirois point à vous faire des baisemains, et à vous dire l’inquiétude où l’on est de votre santé.

Mlle d’Harcourt fut mariée avant-hier ; il y eut un grand souper maigre à toute la famille ; hier un grand bal et un grand souper au Roi, à la Reine, à toutes les dames parées : c’étoit une des plus belles fêtes qu’on puisse voir.

Mme d’Heudicourt est partie avec un désespoir inconcevable, ayant perdu toutes ses amies, convaincue de tout ce que Mme Scarron avoit toujours défendu, et de toutes les trahisons du monde[125]. Mandez-moi quand vous aurez reçu mes lettres. Je fermerai tantôt celle-ci, avant que d’aller au faubourg.

Lundi au soir.

Je fais mon paquet, et l’adresse à M. l’intendant à Lyon[126]. La distinction de vos lettres m’a charmée : hélas ! je la méritois bien par la distinction de mon amitié pour vous.

Mme de Fontevrault[127] fut bénite hier ; MM. les prélats furent un peu fâchés de n’y avoir que des tabourets.

Voici ce que j’ai su de la fête d’hier[128] : toutes les cours[129] de l’hôtel de Guise[130] étoient éclairées de deux mille lanternes. La Reine entra d’abord dans l’appartement de Mlle de Guise[131], fort éclairé, fort paré ; toutes les dames

parées se mirent à genoux autour d’elle, sans distinction de tabourets : on soupa dans cet appartement. Il y avoit quarante dames à table ; le souper fut magnifique. Le Roi vint, et fort gravement regarda tout sans se mettre à table ; on monta en haut, où tout étoit préparé pour le bal. Le Roi mena la Reine, et honora l’assemblée de trois ou quatre courantes, et puis s’en alla souper au Louvre avec la compagnie ordinaire. Mademoiselle ne voulut point venir à l’hôtel de Guise[132]. Voilà tout ce que je sais.

Je veux voir le paysan de Sully[133] qui m’apporta hier votre lettre ; je lui donnerai de quoi boire : je le trouve bien heureux de vous avoir vue. Hélas ! comme un moment me paroîtroit, et que j’ai de regret à tous ceux que j’ai perdus ! Je me fais des dragons[134] aussi bien que les autres. D’Irval[135] a ouï parler de Merlusine : il dit que c’est bien employé, qu’il vous avoit avertie de toutes les plaisanteries qu’elle avoit faites à votre première couche[136] ; que vous ne daignâtes pas l’écouter ; que depuis ce temps-là il n’a pas été chez vous. Il y a longtemps que cette créature-là parloit très-mal de vous ; mais il falloit que vous en fussiez persuadée par vos yeux. Et notre Coadjuteur[137], ne voulez-vous pas bien l’embrasser pour l’amour de moi ? N’est-il pas encore Seigneur Corbeau pour vous ? Je desire avec passion que vous soyez remise comme vous étiez. Hé, ma pauvre fille ! hé ! mon Dieu ! a-t-on bien du soin de vous ? Il ne faut jamais vous croire sur votre santé : voyez ce lit que vous ne vouliez point ; tout cela est comme Mme Robinet[138]. Adieu, ma chère enfant, l’unique passion de mon cœur, le plaisir et la douleur de ma vie. Aimez-moi toujours, c’est la seule chose qui peut me donner de la consolation.


133. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

1671

À Paris, mercredi 11e février.

Je n’en ai reçu que trois de ces aimables lettres qui me pénètrent le cœur ; il y en a une qui me manque. Sans que je les aime toutes, et que je n’aime point à perdre ce qui me vient de vous, je croirois n’avoir rien perdu ; je trouve qu’on ne peut rien souhaiter qui ne soit dans celles que j’ai reçues. Elles sont premièrement très-bien écrites ; et de plus si tendres et si naturelles qu’il est impossible de ne les pas croire ; la défiance même en seroit convaincue : elles ont ce caractère de vérité que je maintiens toujours, qui se fait voir avec autorité, pendant que la fausseté et la menterie demeurent accablées sous les paroles sans pouvoir persuader ; plus elles s’efforcent de paroître, plus elles sont enveloppées. Les vôtres sont vraies et le paroissent. Vos paroles ne servent tout au plus qu’à vous expliquer ; et dans cette noble simplicité, elles ont une force à quoi l’on ne peut résister. Voilà, ma bonne, comme vos lettres m’ont paru. Mais quel effet elles me font, et quelle sorte de larmes je répands, en me trouvant persuadée de la vérité de toutes les vérités que je souhaite le plus sans exception ! Vous pourrez juger par là de ce que m’ont fait les choses qui m’ont donné autrefois des sentiments contraires[139]. Si mes paroles ont la même puissance que les vôtres, il ne faut pas vous en dire davantage : je suis assurée que mes vérités ont fait en vous leur effet ordinaire ; mais je ne veux point que vous disiez que j’étois un rideau qui vous cachoit : tant pis si je vous cachois, vous êtes encore plus aimable quand on a tiré le rideau ; il faut que vous soyez à découvert pour être dans votre perfection ; nous l’avons dit mille fois. Pour moi, il me semble que je suis toute nue, qu’on m’a dépouillée de tout ce qui me rendoit aimable. Je n’ose plus voir le monde, et quoi qu’on ait fait pour m’y remettre, j’ai passé tous ces jours-ci comme un loup-garou, ne pouvant faire autrement. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens ; j’ai cherché ceux qui sont de ce petit nombre, et j’ai évité les autres. J’ai vu Guitaut et sa femme[140] ; ils vous aiment : mandez-moi un petit mot pour eux. Deux ou trois Grignan me vinrent voir hier matin. J’ai remercié mille fois Adhémar de vous avoir prêté son lit. Nous ne voulûmes point examiner s’il n’eût pas été meilleur pour lui de troubler votre repos, que d’en être cause ; nous n’eûmes pas la force de pousser cette folie, et nous fûmes ravis de ce que le lit étoit bon. Il nous semble que vous êtes à Moulins aujourd’hui ; vous y recevrez une de mes lettres. Je ne vous ai point écrit à Briare ; c’étoit ce cruel mercredi qu’il falloit écrire ; c’étoit le propre jour de votre départ : j’étois si affligée et si accablée, que j’étois même incapable de chercher de la consolation en vous écrivant. Voici donc ma troisième, et ma seconde à Lyon ; ayez soin de me mander si vous les avez reçues : quand on est fort éloignés, on ne se moque plus des lettres qui commencent par J’ai reçu la vôtre… La pensée que vous aviez de vous éloigner toujours, et de voir que ce carrosse alloit toujours en delà, est une de celles qui me tourmentent le plus. Vous allez toujours, et, comme vous dites, vous vous trouverez à deux cents lieues de moi. Alors, ne pouvant plus souffrir les injustices sans en faire à mon tour, je me mettrai à m’éloigner aussi de mon côté, et j’en ferai tant, que je me trouverai à trois cents : ce sera une belle distance, et ce sera une chose digne de mon amitié, que d’entreprendre de traverser la France pour vous aller voir. Je suis touchée du retour de vos cœurs entre le Coadjuteur et vous : vous savez combien j’ai toujours trouvé que cela étoit nécessaire au bonheur de votre vie. Conservez bien ce trésor, ma pauvre bonne ; vous êtes vous-même charmée de sa bonté, faites-lui voir que vous n’êtes pas ingrate.

Je finirai tantôt ma lettre. Peut-être qu’à Lyon vous serez si étourdie de tous les honneurs qu’on vous y fera, que vous n’aurez pas le temps de lire tout ceci ; ayez au moins celui de me mander toujours de vos nouvelles, et comme vous vous portez, et votre aimable visage que j’aime tant, et si vous vous mettez sur ce diable de Rhône.

Vous aurez à Lyon Monsieur de Marseille[141].

Mercredi au soir.

Je viens de recevoir tout présentement votre lettre de Nogent[142]. Elle m’a été donnée par un fort honnête homme, que j’ai questionné tant que j’ai pu ; mais votre lettre vaut mieux que tout ce qui se peut dire. Il étoit bien juste, ma bonne, que ce fût vous la première qui me fissiez rire, après m’avoir tant fait pleurer. Ce que vous mandez de M. Busche[143] est original : cela s’appelle des traits dans le style de l’éloquence ; j’en ai donc ri, je vous l’avoue, et j’en serois honteuse, si depuis huit jours j’avois fait autre chose que pleurer. Hélas ! je le rencontrai dans la rue ce M. Busche, qui amenoit vos chevaux ; je l’arrêtai, et toute en pleurs je lui demandai son nom ; il me le dit. Je lui dis en sanglotant : « Monsieur Busche, je vous recommande ma fille, ne la versez point ; et quand vous l’aurez menée heureusement à Lyon, venez me voir et me dire de ses nouvelles ; je vous donnerai de quoi boire. » Je le ferai assurément, et ce que vous m’en mandez augmente beaucoup le respect que j’avois déjà pour lui. Mais vous ne vous portez point bien, vous n’avez point dormi. Le chocolat vous remettra ; mais vous n’avez point de chocolatière, j’y ai pensé mille fois ; comment ferez-vous ? Hélas ! ma bonne, vous ne vous trompez pas, quand vous pensez que je suis occupée de vous encore plus que vous ne l’êtes de moi, quoique vous me le paroissiez beaucoup. Si vous me voyiez, vous me verriez chercher ceux qui m’en veulent parler ; si vous m’écoutiez, vous entendriez bien que j’en parle. C’est assez vous dire que j’ai fait une visite d’une heure à l’abbé Guéton[144], pour parler seulement des chemins et de la route de Lyon. Je n’ai encore vu aucuns de ceux qui veulent, disent-ils, me divertir ; parce qu’en paroles couvertes, c’est vouloir m’empêcher de penser à vous, et cela m’offense. Adieu, ma très-aimable bonne, continuez à m’écrire et à m’aimer ; pour moi, mon ange, je suis tout entière à vous. Ma petite Deville, ma pauvre Golier[145], bonjour. J’ai un soin extrême de votre enfant. Je n’ai point de lettres de M. de Grignan ; je ne laisse pas de lui écrire.


1671

134. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, jeudi 12e février.

Ceci est un peu de provision, car je ne vous écrirai que demain[146] : mais je veux vous écrire présentement ce que je viens d’apprendre. Le président Amelot[147], après avoir fait hier mille visites, se trouva un peu embarrassé sur le soir, et tomba dans une apoplexie épouvantable, dont il est mort ce matin à huit heures. Je vous conseille d’écrire à sa femme : c’est une affliction extrême dans toute la famille.

La duchesse de la Vallière[148] manda au Roi, par le maréchal de Bellefonds, outre cette lettre que l’on n’a point vue : « Qu’elle auroit plus tôt quitté la cour, après avoir perdu l’honneur de ses bonnes grâces[149], si elle avoit pu obtenir d’elle de ne le plus voir ; que cette foiblesse avoit été si forte en elle, qu’à peine étoit-elle capable présentement d’en faire un sacrifice à Dieu ; qu’elle vouloit pourtant que le reste de la passion qu’elle a eue pour lui servît à sa pénitence, et qu’après lui avoir donné toute sa jeunesse, ce n’étoit pas trop encore du reste de sa vie pour le soin de son salut. » Le Roi pleura fort, et envoya M. Colbert à Chaillot[150], la prier instamment de venir à Versailles, et qu’il pût lui parler encore. M. Colbert l’y a conduite ; le Roi a causé une heure avec elle, et a fort pleuré ; et Mme de Montespan fut au-devant d’elle, les bras ouverts et les larmes aux yeux. Tout cela ne se comprend point. Les uns disent qu’elle demeurera à Versailles, et à la cour ; les autres qu’elle reviendra à Chaillot. Nous verrons.

Vendredi, chez M. de Coulanges.

M. de Coulanges veut que je vous écrive encore à Lyon. Je vous conjure, ma chère enfant, si vous vous embarquez, de descendre au Pont[151]. Ayez pitié de moi ; conservez-vous, si vous voulez que je vive. Vous m’avez si bien persuadée que vous m’aimez, qu’il me semble que dans la vue de me plaire vous ne vous hasarderez point. Mandez-moi bien comme vous conduirez votre barque. Hélas ! qu’elle m’est chère et précieuse cette petite barque que le Rhône m’emporte si cruellement ! J’ai ouï dire qu’il y avoit eu un dimanche gras, mais ce n’est que par ouï-dire, et je ne l’ai point vu. J’ai été farouche au point de ne pouvoir pas souffrir quatre personnes ensemble. J’étois au coin du feu de Mme de la Fayette. L’affaire de Merlusine est entre les mains de Langlade[152], après avoir passé par celles de M. de la Rochefoucauld et de d’Hacqueville. Je vous assure qu’elle est bien confondue et bien méprisée par ceux qui ont l’honneur de la connoître. Je n’ai pas encore vu Mme d’Arpajon[153] : elle a une mine satisfaite qui m’importune. Le bal du mardi gras pensa être renvoyé ; jamais il ne fut une telle tristesse[154]. Je crois que c’étoit votre absence qui en étoit la cause. Bon Dieu, que de compliments j’ai à vous faire ! que d’amitiés ! que de soins de savoir de vos nouvelles ! que de louanges l’on vous donne ! Je n’aurois jamais fait si je voulois nommer tous ceux et celles dont vous êtes aimée, estimée, adorée ; mais quand vous aurez mis tout cela ensemble, soyez assurée, ma fille, que ce n’est rien en comparaison de ce que j’ai pour vous. Je ne vous quitte pas un moment ; je pense à vous sans relâche, et de quelle façon ! J’ai embrassé votre fille, et elle m’a baisée, et très-bien baisée de votre part. Savez-vous bien que je l’aime cette petite, quand je songe de qui elle vient ?


1671

135. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 16e février 1671.

Mon Dieu, mon cousin, que votre lettre[155] est raisonnable, et que je suis impertinente de vous attaquer toujours ! Vous me faites voir si clairement que j’ai tort, que je n’ai pas le mot à dire ; mais je suis tellement résolue de m’en corriger, que quand vos lettres désormais devroient être aussi froides qu’elles sont vives, il est certain que je ne vous donnerois jamais sujet de m’écrire sur ce ton-là. Au milieu de mon repentir, à l’heure que je vous parle, il vient encore des aigreurs au bout de ma plume : ce sont des tentations du diable que je renvoie d’où elles viennent. Le départ de ma fille m’a causé des vapeurs noires : je prendrai mieux mon temps quand je vous écrirai une autre fois, et de bonne foi je ne vous fâcherai de ma vie.

Encore une fois, j’aime fort que vous vous amusiez à notre belle et ancienne chevalerie ; cela me fait un plaisir extrême. L’abbé[156] vous prie de lui faire part de votre dessein : il a fait une litanie des Sévignés, il veut travailler à nos Rabutins ; écrivez-lui quelque chose qui puisse embellir son histoire[157]. Je ne trouve rien de si proche que d’être d’une même maison ; il ne faut pas s’étonner si l’on s’y intéresse, cela tient dans la moelle des os, au moins à moi. C’est fort bien fait à vous d’avoir tous nos titres ; je suis hors de la famille, et c’est vous qui devez tout soutenir.

Adieu, mon cher cousin ; écrivons-nous un peu sans nous gronder, pour voir comment nous nous en trouverons. Si cela nous ennuie, nous serons toujours sur nos pieds pour nous faire quelque petite querelle d’Allemand : sur d’autres sujets, cela s’entend. Ce qui me plaît de tout ceci, c’est que nous éprouvons la bonté de nos cœurs, qui est inépuisable.


1671

136. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, le mercredi 18e février.

Je vous conjure, ma chère bonne, de conserver vos yeux ; pour les miens, vous savez qu’ils doivent finir à votre service. Vous comprenez bien, ma belle, que de la manière dont vous m’écrivez, il faut bien que je pleure en lisant vos lettres. Pour comprendre quelque chose de l’état où je suis pour vous, joignez, ma bonne, à la tendresse et à l’inclination naturelle que j’ai pour votre personne, la petite circonstance d’être persuadée que vous m’aimez, et jugez de l’excès de mes sentiments. Méchante ! pourquoi me cachez-vous quelquefois de si précieux trésors ? Vous avez peur que je ne meure de joie ; mais ne craignez-vous point aussi que je meure du plaisir de croire voir le contraire ? Je prends d’Hacqueville à témoin de l’état où il m’a vue autrefois. Mais quittons ces tristes souvenirs[158], et laissez-moi jouir d’un bien sans lequel la vie m’est dure et fâcheuse ; ce ne sont point des paroles, ce sont des vérités. Mme de Guénégaud m’a mandé de quelle manière elle vous a vue pour moi : je vous conjure d’en conserver le fond ; mais plus de larmes, je vous en conjure : elles ne vous sont pas si saines qu’à moi. Je suis présentement assez raisonnable ; je me soutiens au besoin, et quelquefois je suis quatre ou cinq heures tout comme un autre ; mais peu de chose me remet à mon premier état : un souvenir, un lieu, une parole, une pensée un peu trop arrêtée, vos lettres surtout, les miennes même en les écrivant, quelqu’un qui me parle de vous, voilà des écueils à ma constance, et ces écueils se rencontrent souvent. J’ai vu Raymond[159] chez la comtesse du Lude ; elle me chanta un nouveau récit du ballet[160], il est admirable ; mais si vous voulez qu’on le chante, chantez-le. Je vois Mme de Villars, je m’y plais, parce qu’elle entre dans mes sentiments ; elle vous dit mille amitiés. Mme de la Fayette comprend aussi fort bien les tendresses que j’ai pour vous ; elle est touchée de l’amitié que vous me témoignez. Je suis assez souvent dans ma famille, quelquefois ici le soir par lassitude, mais rarement.

J’ai vu cette pauvre Mme Amelot ; elle pleure bien, je m’y connois. Faites quelque mention de certaines gens dans vos lettres, afin que je leur puisse dire. J’ai vu une unique fois les Verneuil et les Arpajon. Je vais aux sermons des Mascaron[161] et des Bourdaloue ; ils se surpassent à l’envi.

Voilà bien de mes nouvelles ; j’ai fort envie de savoir des vôtres, et comme vous vous serez trouvée à Lyon ; si vous y avez été belle, et quelle route vous aurez prise ; si vous y aurez dit l’oraison pour M. le marquis[162], et si elle aura été heureuse pour votre embarquement. Pour vous dire le vrai, je ne pense à nulle autre chose. Je sais votre route, et où vous avez couché tous les jours : vous étiez dimanche à Lyon ; vous auriez bien fait de vous y reposer quelques jours. Vous m’avez donné envie de m’enquérir de la mascarade du mardi gras : j’ai su qu’un grand homme, plus grand de trois doigts qu’un autre, avoit fait faire un habit admirable ; il ne vouloit point le mettre, et il se trouva hasardeusement qu’une dame qu’il ne connoît point du tout, à qui il n’a jamais parlé, n’étoit point à l’assemblée[163]. Du reste, il faut que je dise comme Voiture : personne n’est encore mort de votre absence, hormis moi. Ce n’est pas que le carnaval n’ait été d’une tristesse excessive, vous pouvez vous en faire honneur ; pour moi, j’ai cru que c’étoit à cause de vous ; mais ce n’est point assez pour une absence comme la vôtre. J’envoie pour cette fois cette lettre en Provence ; j’embrasse M. de Grignan, et je meurs d’envie de savoir de vos nouvelles. Dès que j’ai reçu une lettre, j’en voudrois tout à l’heure une autre, je ne respire que d’en recevoir.

Vous me dites des merveilles du tombeau de M. de Montmorency[164], et de la beauté de Mlles  de Valençay[165]. Vous écrivez extrêmement bien, personne n’écrit mieux : ne quittez jamais le naturel, votre tour s’y est formé, et cela compose un style parfait. J’ai fait vos compliments à M. de la Rochefoucauld et à Mme de la Fayette et à Langlade : tout cela vous estime, vous aime et vous sert en toute occasion. Pour d’Hacqueville, nous ne parlons que de vous. J’ai ri de votre folie sur la confiance ; je la comprends bien : mais quel hasard, et que cela est malheureux, qu’il se soit trouvé que tout ce que vous avez voulu savoir du Coadjuteur et lui de vous ait été précisément des choses dont vous n’étiez point les maîtres ! Vos chansons m’ont paru jolies ; j’en ai reconnu les styles.

Ah ! ma bonne, que je voudrois bien vous voir un peu, vous entendre, vous embrasser, vous voir passer, si c’est trop que le reste ! Eh bien, par exemple, voilà de ces pensées à quoi je ne résiste pas. Je sens qu’il m’ennuie de ne vous plus avoir : cette séparation me fait une douleur au cœur et à l’âme, que je sens comme un mal du corps. Je ne puis assez vous remercier de toutes les lettres que vous m’avez écrites sur le chemin : ces soins sont trop aimables, et font bien leur effet aussi ; rien n’est perdu avec moi. Vous m’avez écrit de partout ; j’ai admiré votre bonté ; cela ne se fait point sans beaucoup d’amitié ; sans cela on seroit plus aise de se reposer et de se coucher ; ce m’a été une consolation grande. L’impatience que j’ai d’en avoir encore et de Rouane et de

Lyon et de votre embarquement, n’est pas médiocre ; et si vous avez descendu au Pont[166], et de votre arrivée à Arles, et comme vous avez trouvé ce furieux Rhône en comparaison de notre pauvre Loire, à qui vous avez tant fait de civilités. Que vous êtes honnête de vous en être souvenue comme d’une de vos anciennes amies ! Hélas ! de quoi ne me souviens-je point ? Les moindres choses me sont chères ; j’ai mille dragons. Quelle différence ! je ne revenois jamais ici sans impatience et sans plaisir : présentement j’ai beau chercher, je ne vous trouve plus ; mais comment peut-on vivre quand on sait que quoi qu’on fasse, on ne retrouvera plus une si chère enfant ? Je vous ferai bien voir si je la souhaite, par le chemin que je ferai pour la retrouver. J’ai reçu une lettre de M. de Grignan. Il n’y en a point pour vous. Il me mande qu’il reviendra cet hiver : vous quittera-t-il, ou le suivrez-vous ? Mais dans cette incertitude louerai-je votre appartement ? On est tous les jours sur le point d’en conclure le marché. Faites-moi réponse.

Monsieur le Dauphin[167] étoit malade, il se porte mieux. On sera à Versailles jusqu’à lundi. Mme de la Vallière est toute rétablie à la cour. Le Roi la reçut avec des larmes de joie, et Mme de Montespan avec des larmes… devinez de quoi. L’on a eu avec l’une et l’autre des conversations tendres[168] : tout cela est. difficile à comprendre, il faut se taire. Les nouvelles de cette année ne tiennent pas d’un ordinaire à l’autre. Mme de Verneuil, Mme d’Arpajon, Mmes  de Villars, de Saint-Géran[169], M. de Guitaut, sa femme[170], la Comtesse[171], M. de la Rochefoucauld, M. de Langlade, Mme de la Fayette, ma tante, ma cousine, mes oncles, mes cousins, mes cousines, Mme de Vauvineux, tout cela vous baise les mains mille et mille fois[172].

Je vois tous les jours votre fille, ce qui s’appelle à l’âtre[173]. Je veux qu’elle soit droite, voilà mon soin : cela seroit plaisant d’être votre fille et de M. de Grignan, et qu’elle ne fût pas bien faite. Je suis habile, j’ai même des précautions inutiles.

Je vis hier Mme du Puy-du-Fou, qui vous salue ; j’ai vu aussi Mme de Janson[174] et une Mme le Blanc[175]. Ce qui a rapport à vous de cent lieues loin m’est plus agréable qu’autre chose. Mon Dieu ! le Rhône ! vous y êtes présentement. Je ne pense à autre chose ! J’embrasse vos pauvres filles.


1671

137. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Vendredi 20e février.

Je vous avoue que j’ai une extraordinaire envie de savoir de vos nouvelles ; songez, ma chère bonne, que je n’en ai point eu depuis la Palice. Je ne sais rien du reste de votre voyage jusqu’à Lyon, ni de votre route jusqu’en Provence : je me dévore, en un mot ; j’ai une impatience qui trouble mon repos. Je suis bien assurée qu’il me viendra des lettres ; je ne doute point que vous n’ayez écrit ; mais je les attends, et je ne les ai pas : il faut se consoler, et s’amuser en vous écrivant.

Vous saurez, ma petite, qu’avant-hier, mercredi, après être revenue de chez Mme de Coulanges, où nous faisons nos paquets les jours d’ordinaire, je songeai à me coucher. Cela n’est pas extraordinaire ; mais ce qui l’est beaucoup, c’est qu’à trois heures après minuit j’entendis crier au voleur, au feu, et ces cris si près de moi et si blés, que je ne doutai point que ce fût ici ; je crus même entendre qu’on parloit de ma petite-fille ; je ne doutai pas qu’elle ne fût brûlée. Je me levai dans cette crainte, sans lumière, avec un tremblement qui m’empêchoit quasi de me soutenir. Je courus à son appartement, qui est le vôtre : je trouvai tout dans une grande tranquillité ; mais je vis la maison de Guitaut[176] toute en feu ; les flammes passoient par-dessus la maison de Mme de Vauvineux[177]. On voyoit dans nos cours, et surtout chez M. de Guitaut, une clarté qui faisoit horreur : c’étoient des cris, c’étoit une confusion, c’étoient des bruits épouvantables des poutres et des solives qui tomboient. Je fis ouvrir ma porte, j’envoyai mes gens au secours. M. de Guitaut m’envoya une cassette de ce qu’il a de plus précieux ; je la mis dans mon cabinet, et puis je voulus aller dans la rue[178] pour bayer comme les autres ; j’y trouvai M. et Mme de Guitaut quasi nus, Mme de Vauvineux, l’ambassadeur de Venise[179], tous ses gens, la petite vineux[180] qu’on portoit tout endormie chez l’ambassadeur, plusieurs meubles et vaisselles d’argent qu’on sauvoit chez lui. Mme de Vauvineux faisoit démeubler. Pour moi, j’étois comme dans une île, mais j’avois grand’pitié de mes pauvres voisins. Mme Guéton et son frère[181] donnoient de très-bons conseils ; nous étions tous dans la consternation : le feu étoit si allumé qu’on n’osoit en approcher, et l’on n’espéroit la fin de cet embrasement qu’avec la fin de la maison de ce pauvre Guitaut. Il faisoit pitié ; il vouloit aller sauver sa mère qui brùloit au troisième étage ; sa femme s’attachoit à lui, qui le retenoit avec violence ; il étoit entre la douleur de ne pas secourir sa mère, et la crainte de blesser sa femme, grosse de cinq mois : il faisoit pitié. Enfin il me pria de tenir sa femme, je le fis : il trouva que sa mère avoit passé au travers de la flamme, et qu’elle étoit sauvée. Il voulut aller retirer quelques papiers ; il ne put approcher du lieu où ils étoient. Enfin il revint à nous dans cette rue où j’avois fait asseoir sa femme. Des capucins, pleins de charité et d’adresse, travaillèrent si bien, qu’ils coupèrent le feu[182]. On jeta de l’eau sur les restes de l’embrasement, et enfin

Le combat finit faute de combattants[183] ;

c’est-à-dire, après que le premier et second étage de l’antichambre et de la petite chambre et du cabinet, qui sont à main droite du salon, eurent été entièrement consumés[184]. On appela bonheur ce qui restoit de la maison, quoiqu’il y ait pour le pauvre Guitaut pour plus de dix mille écus de perte ; car on compte de faire rétablir cet appartement, qui étoit peint et doré. Il y avoit aussi plusieurs beaux tableaux à M. le Blanc, à qui est la maison : il y avoit aussi plusieurs tables, et miroirs, miniatures, meubles, tapisseries. Ils ont grand regret à des lettres : je me suis imaginé que c’étoient des lettres de Monsieur le Prince[185]. Cependant, vers les cinq heures du matin, il fallut songer à Mme de Guitaut : je lui offris mon lit ; mais Mme Guéton la mit dans le sien, parce qu’elle a plusieurs chambres meublées. Nous la fîmes saigner ; nous envoyâmes quérir Boucher : il craint bien que cette grande émotion ne la fasse accoucher devant les neuf jours[186]. Elle est donc chez cette pauvre Mme Guéton ; tout le monde les vient voir, et moi je continue mes soins, parce que je l’ai trop bien commencé pour ne pas achever.

Vous m’allez demander comment le feu s’étoit mis à cette maison : on n’en sait rien ; il n’y en avoit point dans l’appartement où il a pris. Mais si on avoit pu rire dans une si triste occasion, quels portraits n’auroit-on point faits de l’état où nous étions tous ? Guitaut étoit nu en chemise, avec des chausses ; Mme de Guitaut étoit nu-jambes, et avoit perdu une de ses mules de chambre ; Mme de Vauvineux étoit en petite jupe, sans robe de chambre ; tous les valets, tous les voisins, en bonnets de nuit. L’ambassadeur étoit en robe de chambre et en perruque, et conserva fort bien la gravité de la Sérénissime. Mais son secrétaire étoit admirable ; vous parlez de la poitrine d’Hercule ; vraiment celle-ci étoit bien autre chose ; on la voyoit tout entière : elle est blanche, grasse, potelée, et surtout sans aucune chemise, car le cordon qui la devoit attacher avoit été perdu à la bataille. Voilà les tristes nouvelles de notre quartier. Je prie M. Deville[187] de faire tous les soirs une ronde pour voir si le feu est éteint partout ; on ne sauroit avoir trop de précautions pour éviter ce malheur. Je souhaite, ma bonne, que l’eau vous ait été favorable ; en un mot, je vous souhaite tous les biens, et prie Dieu qu’il vous garantisse de tous les maux.

M. de Ventadour devoit être marié jeudi, c’est-à-dire hier[188] ; il a la fièvre. La maréchale de la Mothe a perdu cinq cents écus de poisson.

Mérinville[189] se marie avec la fille de feu Launay Gravé[190] et de Mme de Piennes. Elle a deux cent mille francs ; Monsieur d’Alby nous assuroit qu’il en méritoit cinq cent mille[191] ; mais il est vrai qu’il aura la protection de M. et de Mme de Piennes, qui assurément ne se brouilleront pas à la cour.

Tantôt, à table chez Monsieur du Mans[192], Courcelles[193] a dit qu’il avoit deux bosses à la tête, qui l’empêchoient de mettre une perruque : cette sottise nous a tous fait sortir de table, avant qu’on eût achevé de manger les fruits, de peur d’éclater à son nez. Un peu après, d’Olonne[194] est arrivé ; M. de la Rochefoucauld m’a dit : « Madame, ils ne peuvent pas tenir tous deux dans cette chambre ; » et en effet, Courcelles est sorti. Voilà bien des lanternes, ma chère enfant ; mais toujours vous dire que je vous aime, que je ne songe qu’à vous, que je ne suis occupée que de ce qui vous touche, que vous êtes le charme de ma vie, que jamais personne n’a été aimée si chèrement que vous, cette répétition vous ennuieroit. J’embrasse mon cher Grignan et mon Coadjuteur[195].


1671

138. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Chaseu, ce 23e février 1671.

Si votre lettre du mois de janvier me donna du chagrin contre vous, ma chère cousine, celle que je viens de recevoir m’a donné bien de l’estime et de l’amitié pour vous. Je n’ai jamais vu un retour si sincère et si honnête que le vôtre, ni qui marquât un cœur si bien fait. Je ne doute pas après cela que vous n’ayez plus d’égards pour moi que vous n’en avez eu, et vous savez bien que depuis ma faute contre vous et votre amnistie on ne peut être plus net que je l’ai été.

Au reste, ma chère cousine, ne craignez pas que mes lettres soient moins vives, quand vous ne serez pas aigre. Je ne laisse pas d’être assez animé avec ceux dont je suis content ; mais si enfin vous me trouviez un peu fade, nous trouverons assez de gens qui méritent des coups de patte, sans nous en donner l’un à l’autre.

L’approbation que vous donnez à l’histoire de notre maison[196], m’oblige de vous faire confidence de quelque chose plus important à quoi je m’amuse ; mais je vous demande le secret.

Pendant que j’étois dans la Bastille, je me mis dans la tête d’écrire mes campagnes. Il y a trois ans que je trouvai ce travail assez beau pour me convier de l’étendre davantage, et faire ce qu’on appelle des mémoires.

Le Roi sait ceci et, que je retourne à la cour ou non, le verra infailliblement. Peut-être que les actions de guerre qui sont diversifiées d’autres événements, et tout cela conté avec des tours assez singuliers, divertira[197] ce grand prince ; tant y a qu’en l’amusant je lui apprendrai, à n’en pouvoir douter, ce que j’ai fait pour son service ; et c’est là mon principal dessein. Comme il y a un an que cela est achevé, il m’a pris fantaisie d’écrire la vie de mon père, dont j’ai vu la fin et dont j’ai appris le commencement par ses papiers : j’en suis venu à bout, et de celle de mon grand-père ; de sorte que je remonte présentement jusqu’à mon aïeul, c’est-à-dire par la droite ligne ; car pour les collatéraux, je ne les nommerai qu’en passant. Ce sera donc une histoire généalogique de notre maison, qui sera aussi exacte, moins flatteuse, et plus agréablement écrite, que si les gens du métier l’avoient faite. Dites ce que vous jugerez à propos à M. l’abbé de Coulanges : vous le connoissez mieux que moi. Cependant comme il me paroît un homme sage, je pense que vous lui pouvez confier ce secret, et pour moi j’en serai bien aise, quand ce ne seroit que pour lui témoigner ma reconnoissance sur le dessein qu’il a de travailler à nos Rabutins. Adieu[198].


1671

139. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Mercredi 25e février.

Je n’ai point encore reçu une lettre que je suis persuadée que vous m’avez écrite de Lyon avant que de partir : je croirai difficilement qu’ayant pu m’écrire, et ayant écrit à M. de Coulanges, vous m’ayez oubliée. Je fais un grand bruit pour retrouver ce paquet. J’ai reçu la première lettre que vous m’écrivîtes le lendemain que vous y fûtes arrivée. Je ne suis pas encore à l’épreuve de tout ce que vous me mandez. J’ai transi de vous voir passer de nuit cette montagne[199] que l’on ne passe jamais qu’entre deux soleils, et en litière. Je ne m’étonne pas, ma chère fille, si vos parties nobles ont été si culbutées. M. de Coulanges avoit mandé au secrétaire de M. du Gué[200] qu’on envoyât une litière à Rouane ; si vous aviez écrit un mot du jour que vous croyiez arriver, vous l’auriez trouvée infailliblement. Jamais personne comme vous ne s’est conduite comme vous avez fait, et jamais aussi on n’a laissé mourir de faim une pauvre femme. La prévoyance de la fourmi nous apprend qu’il faut faire des provisions où l’on en trouve, pour quand on n’en trouve point. Ma chère enfant, comme vous avez été traitée ! Si j’avois été là, il n’en eût pas été de même, et je n’aurois pas pris votre courage pour de la force, comme on a fait. L’aventure de Mme Robinet[201] m’auroit bien appris à ne vous pas consulter sur ce qui regarde votre personne. En un mot, vos fatigues ont été grandes ; il n’en est plus question présentement ; mais tout ce qui vous touche ne me passe pas légèrement dans l’esprit.

J’écris au Coadjuteur sur sa bonne tête : qu’il vous montre ma lettre. En voilà une de Guitaut qui vous réjouira. J’ai fait vos compliments à Mmes  de Villars et de Saint-Géran. La première vous aime tendrement ; elle vous écrira. Faites mention dans vos lettres, de ma tante[202], de la Troche, et de la Vauvinette[203] et de la d’Escars[204] : tout cela ne parle que de vous. Mme du Gué a mandé à M. de Coulanges que vous êtes belle comme un ange ; elle est charmée de vous et contente de vos politesses. Elle mande qu’elle vous a mise dans votre bateau par un temps et par un calme admirables. Tout cela me donne de l’espérance ; mais je ne serai point contente que je ne sache que vous êtes arrivée à Arles. J’espère que Rippert[205] vous aura fait descendre aux endroits périlleux. Pour Seigneur Corbeau[206], je ne m’y fie plus. Je n’ai point sur mon cœur de m’être divertie, ni même de m’être distraite pendant votre voyage. Je vous ai suivie pas à pas, et quand vous avez été mal, je n’ai point été en repos. Je vous suis aussi fidèle sur l’eau que sur la terre. Nous avons compté vos journées : il nous semble que vous arrivâtes dimanche à Arles. M. de la Rochefoucauld dit que je contente son idée sur l’amitié, avec toutes ses circonstances et dépendances. Il a eu encore des conversations avec Merlusine, qui sont incomparables ; on ne peut les écrire, mais en gros elles sont comme vous les souhaitez. Votre enfant embellit tous les jours ; elle rit, elle connoît ; j’en prends beaucoup de soin. Pecquet vient voir la nourrice très-souvent. Je ne suis point si sotte sur cela que vous pensez. Je fais comme vous ; quand je ne me fie à personne, je fais des merveilles. Votre frère revint avant-hier. Je ne l’ai quasi pas vu ; il est à Saint-Germain ; ses yeux se portent bien ; il nous faisoit peur de sa santé, parce qu’il s’ennuyoit à Nancy depuis le départ de Mme Madruche[207].


Je reçois donc votre lettre du mercredi, que vous m’écrivîtes de Lyon un peu à la hâte ; mais cela fait plaisir. Il en coûte des renouvellements de tendresse dont on est fort aise. Je ne comprends point ceux qui veulent les éviter. Vous alliez vous embarquer, ma chère fille ; je recevrai de vos lettres de tous les endroits d’où vous pourrez m’écrire. J’en suis persuadée. Mon Dieu, que j’ai envie de savoir de vos nouvelles, et que vous m’êtes chère ! Il me semble que je fais tort à mes sentiments, de vouloir les expliquer avec des paroles : il faudroit voir ce qui se passe dans mon cœur sur votre sujet.

Le comte de Saint-Paul[208] est présentement M. de Longueville : son frère lui fit la donation de tout son bien lundi au soir. C’est environ trois cent mille livres de rente ; tous ses meubles, toutes ses pierreries, l’hôtel de Longueville[209] ; en un mot, c’est le plus grand parti de France. Si Mme de Marans le peut épouser, elle fera une très-bonne affaire. J’embrasse de tout mon cœur M. de Grignan ; je ne fais point de réponse à sa dernière lettre : a-t-il besoin de quelque chose, puisque vous êtes avec lui ? Je vous aime, mon enfant, et vous embrasse avec la dernière tendresse. M. Vallot[210] est mort ce matin.


1671

140. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi 27e février.

Rien ne dure cette année, pas même la mort de M. Vallot[211] ; il se porte bien, et au lieu d’être mort, comme on me l’avoit dit, il a pris une pilule qui l’a ressuscité. Il a dit au Roi que le plus habile homme qu’il connût pour la médecine, c’étoit M. du Chesnay du Mans.

Mme de Mazarin partit il y a deux jours pour Rome. M. de Nevers n’ira que cet été avec sa femme. M. de Mazarin[212] se plaignit au Roi de ce qu’on envoyoit sa femme à Rome sans son consentement ; que c’étoit une chose inouïe qu’on ôtât ainsi une femme de la domination de son mari, et qu’on lui fit donner vingt-quatre mille francs de pension par an, et douze mille francs présentement, pour un voyage qu’il n’approuvoit pas, et qui le déshonoroit. Sa Majesté l’écouta ; mais tout étant réglé, et le voyage résolu, il n’en fut autre chose. Sur tout ce qu’on disoit ici à Mme de Mazarin pour l’obliger de se remettre avec son mari, elle répondoit toujours en riant, comme pendant la guerre civile : « Point de Mazarin, point de Mazarin. »

Pour Mme de la Vallière, nous sommes au désespoir de ne pouvoir vous la remener à Chaillot ; car elle est à la cour beaucoup mieux qu’elle n’a été depuis longtemps ; il faut vous résoudre de l’y laisser.

On appelle à présent le duc de Longueville l’abbé d’Orléans, et le comte de Saint-Paul, duc de Longueville. M. de Ventadour a la fièvre double-tierce, de sorte que le mariage est retardé. On dit mille belles choses là-dessus. Cette petite d’Houdancourt[213] est bien jolie. L’abbé de la Victoire[214] lui disoit l’autre jour : « Mademoiselle, il n’y a pas d’apparence que vous refusiez à d’autres ce que vous accorderez à M. de Ventadour. » Et Benserade[215] disoit : « Je voudrois bien voir qu’une mère, une tante, une amie s’avisât de gronder une femme comme celle-là, parce qu’elle haïroit son mari et qu’elle auroit un galant ; ma foi elles auroient bonne grâce[216]. »

M. de Duras[217] a cette année, pendant le voyage de Flandre, le même commandement général qu’avoit M. de Lauzun l’année passée, et d’autant plus beau qu’il y aura une fois plus de troupes.

Le Roi a donné à Mlle de la Mothe[218], fille de la Reine, deux cent mille francs : avec cela elle pourra trouver un bon parti. Le Roi a voulu faire M. de Lauzun

maréchal de France ; il n’a pas voulu l’accepter, disant qu’il ne le méritoit pas, et que s’il avoit assez servi, ce seroit un honneur qu’il tiendroit fort cher, mais qu’il ne vouloit l’avoir que par le bon chemin. M. d’Hacqueville par ses soins a fait avoir à M. le cardinal de Retz six mille livres de rente sur le même fonds qu’on a donné au cardinal de Bouillon[219], hormis qu’il n’en a pas l’obligation à Messieurs du clergé.

Vendredi au soir.

Le Rhône, ma chère fille, me tient fort au cœur. Je crois que vous êtes arrivée heureusement ; mais j’aimerois bien à le savoir par vous : j’attends cette nouvelle avec une impatience digne de tout le reste. Il nous semble que vous arrivâtes samedi à Arles ; il nous semble que M. de Grignan est venu au-devant de vous au Saint-Esprit ; il nous semble qu’il a été ravi de vous revoir et de vous ravoir ; il nous semble que vous avez fait comme mercredi votre entrée à Aix ; et puis il nous semble que vous êtes bien lasse, ma chère enfant. Reposez-vous, au nom de Dieu ; tenez-vous au lit, restaurez-vous, et contez-moi bien l’état où vous êtes. Savez-vous que votre souvenir fait ici la fortune de ceux que vous en favorisez ? Les autres languissent après. Le petit mot pour ma tante ne se peut payer ; on est encore fort loin de vous oublier. On m’a tantôt dit mille horreurs de cette montagne de Tarare : que je la hais ! Il y a un autre certain chemin où la roue est en l’air, et l’on tient le carrosse par l’impériale : je ne soutiens pas cette idée ; mais il n’est plus question de tout cela.

Réponse à la lettre de Vienne.

Je la reçois présentement cette aimable lettre ; ne voyez-vous point comme je la reçois, et avec quelle tendresse je la lis ? Je crois que vous ne me demandez pas que je puisse être de sang-froid en cette occasion.

Il est vrai que la dignité de beauté où vous avez été élevée n’est pas d’une petite fatigue. Si vous n’étiez point belle, vous vous reposeriez : il faut choisir. Votre paresse me fait peur ; ne la croyez pas sur ce choix : il n’y a rien de si aimable que d’être belle ; c’est un présent de Dieu qu’il faut conserver. Vous savez comme j’aime votre beauté ; mon amour-propre m’y fait prendre intérêt : je vous la recommande pour l’amour de moi. Il me semble qu’on me va trouver bien habile en Provence d’avoir fait un si joli visage, et si doux et si régulier. Vous êtes fâchée que votre nez ne soit pas de travers ; et moi, qui suis rangée, j’en suis ravie : je ne comprends pas ce que peuvent faire avec moi mes paupières bigarrées[220]. Mais ne croyez-vous point que M. de Coulanges et moi nous sommes sorciers, de deviner tout ce que vous faites ?

Mais parlons des bords de votre Rhône. Vous les trouvez beaux, et ce fleuve n’est composé que d’eau comme les autres. J’en suis surprise, j’en ai une idée extraordinaire ; il me semble qu’on devroit dire :

     Mille sources de sang forment cette rivière,
     Qui traînant des corps morts et de vieux ossements,
     Au lieu de murmurer, fait des gémissements[221].

Langlade vous rendra compte de sa visite chez Merlusine ; en attendant, ce qu’il avoit à faire n’étoit autre chose que d’avoir le plaisir de lui laver sa cornette ; il l’a fait plus volontiers qu’un autre. Elle est, je vous assure, bien mortifiée et bien décontenancée : je la vis l’autre jour, elle n’a pas le mot à dire. Votre absence a renouvelé la tendresse de tous vos amis ; mais il faut que cette absence ne soit pas infinie, et quelque aversion que vous ayez pour les fatigues d’un voyage, il ne faut songer qu’à vous mettre en état de les recommencer. J’ai dit à M. de la Rochefoucauld ce que vous trouvez des fatigues des autres, et l’application que vous en faites : il m’a chargée de mille amitiés pour vous, mais d’un si bon ton, et accompagnées de si agréables louanges, qu’il mérite d’être aimé de vous.

Je ferai vos compliments à Mme de Villars. Il y a presse à être nommé dans mes lettres. Je vous remercie d’avoir fait mention de Brancas. Vous aurez vu votre tante[222] au Saint-Esprit, et vous aurez été reçue comme une reine. Ma fille, je vous conjure de me bien mander tout cela, et de me parler de M. de Grignan, et de Monsieur d’Arles[223]. Vous savez que nous avons réglé que l’on hait autant les détails des gens que l’on n’aime guère, qu’on les aime de ceux que l’on aime beaucoup : c’est à vous à deviner de quel nombre vous êtes auprès de moi.

Mascaron, Bourdaloue, me donnent tour à tour des plaisirs et des satisfactions qui doivent pour le moins me rendre sainte. Dès que j’entends quelque chose de beau, je vous souhaite ; vous avez part à tout ce que je pense : j’admire en moi tous les jours les effets naturels d’une extrême amitié. Je vous embrasse tendrement, embrassez-moi aussi. Une petite amitié à mon Coadjuteur ; pour M. de Grignan, il me semble qu’il est si glorieux de vous avoir, qu’il n’écoute plus personne.


1671

141. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Mardi 3e mars.

Si vous étiez ici, ma chère bonne, vous vous moqueriez de moi ; j’écris de provision, mais c’est par une raison bien différente de celle que je vous donnois un jour, pour m’excuser d’écrire à quelqu’un une lettre qui ne devoit partir que dans deux jours : c’étoit parce que dans deux jours je n’aurois pas autre chose à lui dire. Voici tout le contraire ; c’est que j’aime à vous entretenir à toute heure, et que c’est la seule consolation que je puisse avoir présentement. Je suis aujourd’hui toute seule dans ma chambre par l’excès de ma mauvaise humeur. Je suis lasse de tout ; je me suis fait un plaisir de dîner ici, et je m’en fais un de vous écrire hors de propos : mais, hélas ! vous n’avez pas de ces loisirs-là. J’écris tranquillement, et je ne comprends pas que vous puissiez lire de même : je ne vois pas un moment où vous soyez à vous. Je vois un mari qui vous adore, qui ne peut se lasser d’être auprès de vous, et qui peut à peine comprendre son bonheur. Je vois des harangues, des infinités de compliments, de civilités, des visites ; on vous fait des honneurs extrêmes, il faut répondre à tout cela, vous êtes accablée ; moi-même, sur ma petite bonté[224], je n’y suffirois pas. Que fait votre paresse pendant tout ce tracas ? Elle souffre, elle se retire dans quelque petit cabinet, elle meurt de peur de ne plus retrouver sa place ; elle vous attend dans quelque moment perdu pour vous faire au moins souvenir d’elle, et vous dire un mot en passant. « Hélas ! dit-elle, mais vous m’oubliez : songez que je suis votre plus ancienne amie, celle qui ne vous ai jamais abandonnée, la fidèle compagne de vos plus beaux jours ; celle qui vous consolois de tous les plaisirs, et quelquefois vous les faisois haïr ; celle qui vous ai empêchée de mourir d’ennui et en Bretagne et dans votre grossesse. Quelquefois votre mère troubloit nos plaisirs, mais je savois bien où vous reprendre, et elle avoit des égards pour moi ; présentement je ne sais plus où j’en suis ; la dignité et l’éclat de votre mari me fera périr, si vous n’avez soin de moi. » Il me semble que vous lui dites en passant un petit mot d’amitié, vous lui donnez quelque espérance de la posséder à Grignan ; mais vous passez vite, et vous n’avez pas le loisir d’en dire davantage. Le devoir, et la raison sont autour de vous, qui ne vous donnent pas un moment de repos. Moi-même, qui les ai toujours tant honorés, je leur suis contraire, et ils me le sont ; le moyen qu’ils vous donnent le temps de lire de telles lanterneries ? Je vous assure, ma chère bonne, que je songe à vous continuellement, et je sens tous les jours ce que vous me dîtes une fois, qu’il ne falloit point appuyer sur ces pensées. Si l’on ne glissoit pas dessus, on seroit toujours en larmes, c’est-à-dire moi. Il n’y a lieu dans cette maison qui ne me blesse le cœur. Toute votre chambre me tue ; j’y ai fait mettre un paravent tout au milieu, pour rompre un peu la vue d’une fenêtre sur ce degré par où je vous vis monter dans le carrosse de d’Hacqueville, et par où je vous rappelai. Je me fais peur quand je pense combien alors j’étois capable de me jeter par la fenêtre, car je suis folle quelquefois : ce cabinet, où je vous embrassai sans savoir ce que je faisois ; ces Capucins[225], où j’allai entendre la messe ; ces larmes qui tomboient de mes yeux à terre, comme si c’eût été de l’eau qu’on eût répandue ; Sainte-Marie, Mme de la Fayette, mon retour dans cette maison, votre appartement, la nuit et le lendemain[226] ; et votre première lettre, et toutes les autres, et encore tous les jours, et tous les entretiens de ceux qui entrent dans mes sentiments : ce pauvre d’Hacqueville est le premier ; je n’oublierai jamais la pitié qu’il eut de moi. Voilà donc où j’en reviens : il faut glisser sur tout cela, et se bien garder de s’abandonner à ses pensées et aux mouvements de son cœur. J’aime mieux m’occuper de la vie que vous faites présentement ; cela me fait une diversion, sans m’éloigner pourtant de mon sujet et de mon objet, qui est ce qui s’appelle poétiquement l’objet aimé. Je songe donc à vous, et je souhaite toujours de vos lettres ; quand je viens d’en recevoir, j’en voudrois bien encore. J’en attends présentement, et reprendrai ma lettre quand j’en aurai reçu. J’abuse de vous, ma chère bonne ; j’ai voulu aujourd’hui me permettre cette lettre d’avance ; mon cœur en avoit besoin, je n’en ferai pas une coutume.

Mercredi.

Ah ! ma bonne, quelle peinture de l’état où vous avez été ! et que je vous aurois mal tenu ma parole, si je vous avois promis de n’être point effrayée d’un si grand péril ! Mais il est impossible de se représenter votre vie si proche de sa fin, sans frémir. Ce Rhône qui fait peur à tout le monde, ce pont d’Avignon où l’on a tort de passer même après avoir pris toutes ses mesures ! un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche. Par quel miracle n’avez-vous pas été brisés et noyés dans un moment ? Et M. de Grignan vous laisse embarquer pendant un orage ; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l’être encore plus que vous ; au lieu de vous faire attendre que l’orage soit passé, il veut bien vous exposer. Ah mon Dieu ! qu’il eût été bien mieux d’être timide, et de vous dire que si vous n’aviez point de peur, il en avoit lui, et de ne point souffrir que vous traversassiez le Rhône par un temps comme celui qu’il faisoit ! Que j’ai de peine à comprendre sa tendresse en cette occasion ! Je ne soutiens pas cette pensée, j’en frissonne, et je m’en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse. Trouvez-vous toujours que le Rhône ne soit que de l’eau ? De bonne foi, n’avez-vous point été effrayée d’une mort si proche et si inévitable ? Mais encore serois-je un peu consolée si cela vous rendoit moins hasardeuse à l’avenir, et si une aventure comme celle-là vous faisoit voir les dangers comme ils sont. Je vous prie de m’avouer ce qui vous en est resté ; je crois du moins que vous aurez rendu grâces à Dieu de vous avoir sauvée. Pour moi, je suis persuadée que les messes que j’ai fait dire tous les jours pour vous ont fait ce miracle, et je suis plus obligée à Dieu de vous avoir conservée dans cette occasion, que de m’avoir fait naître.

C’est à M. de Grignan que je m’en prends. Le Coadjuteur a bon temps : il n’a été grondé que pour la montagne de Tarare ; elle me paroît présentement comme les pentes de Nemours. M. Busche m’est venu voir tantôt, j’ai pensé l’embrasser en songeant comme il vous a bien menée ; je l’ai fort entretenu de vos faits et gestes, et puis je lui ai donné de quoi boire un peu à ma santé. Cette lettre vous paraîtra bien ridicule ; vous la recevrez dans un temps où vous ne songerez plus au pont d’Avignon. Faut-il que j’y pense, moi, présentement ? C’est le malheur des commerces si éloignés ; il faut s’y résoudre, et ne pas même se révolter contre cet inconvénient : cela est naturel, et la contrainte seroit trop grande d’étouffer toutes ses pensées. Il faut entrer dans l’état naturel où l’on est, en répondant à une chose qui tient au cœur : vous serez donc obligée de m’excuser souvent. J’attends des relations de votre séjour à Arles ; je sais que vous y aurez trouvé bien du monde. Ne m’aimez-vous point de vous avoir appris l’italien ? Voyez comme vous vous en êtes bien trouvée avec ce vice-légat[227] : ce que vous dites de cette scène est excellent ; mais que j’ai peu goûté le reste de votre lettre ! Je vous épargne mes éternels recommencements sur ce pont d’Avignon : je ne l’oublierai de ma vie.


1671

142. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 6e mars.

Il est aujourd’hui le 6e de mars ; je vous conjure de me mander comme vous vous portez. Si vous vous portez bien, vous êtes malade ; mais si vous êtes malade, vous vous portez bien. Je souhaite, ma fille, que vous soyez malade, afin que vous ayez de la santé au moins pour quelque temps. Voilà une énigme bien difficile à comprendre et à deviner ; j’espère que vous me l’expliquerez. Vous me faites une relation divine de votre entrée dans Arles ; mais il me semble que vous auriez grand besoin de vous reposer un peu. Vous avez toute la fatigue de votre voyage à digérer : quel temps prendrez-vous pour cela ? Vous êtes là comme la Reine : elle ne se repose jamais ; elle est toujours comme vous êtes depuis quelque temps. Il faut donc prendre son esprit, et avoir patience au milieu de toutes vos cérémonies. Je suis persuadée que M. de Grignan est bien charmé de la réception qu’on vous fait. Vous ne me parlez guère de lui, et c’est de ce détail que je serois curieuse. Je crois que le Coadjuteur a été noyé sous le pont d’Avignon. Ah mon Dieu ! cet endroit est encore bien noir dans ma tête. Dites-moi si cette expérience ne vous fera point un peu moins hardie. Il faut qu’il vous en coûte toujours, témoin votre première grossesse[228] : il a pensé m’en coûter bien cher cette fois, aussi bien qu’à vous. Voilà le Rhône passé ; mais j’ai peur que vous ne vouliez tâter de quelque précipice, et que personne ne vous en empêche : ma chère fille, ayez pitié de moi, si vous n’avez pitié de vous. Le cocher de Mme de Caderousse fait assez souvenir de celui du cardinal de Retz. Ah ! Monsieur Busche, que vous êtes divin ! Je vous ai conté comme je l’avois bien reçu.

Je suis persuadée que cette pauvre Caderousse mourra bientôt[229] ; à peine sait-on ici si elle est morte ou vive : j’en dirai des nouvelles, si on veut les écouter. Corbinelli m’écrit des merveilles de vous ; mais ce qui le charme, c’est qu’il croit et qu’il voit que vous m’aimez : il a tant d’amitié pour moi, qu’il est ravi que l’on soit dans son goût. Mais que je le trouve heureux de vous voir, de vous toucher, d’écrire auprès de vous ! Je crois que vous aurez eu aussi quelque joie de voir un de mes amis, et qui est le vôtre si véritablement.

de charles de sévigné.

Dans l’intervalle des deux reprises, je vous dirai que je sors d’une symphonie charmante, composée des deux Camus et d’Ytier[230]. Vous savez que l’effet ordinaire de la musique est d’attendrir. Quoique je n’aie pas besoin de l’éprouver sur votre sujet, elle n’a pas laissé de renouveler mille choses, que le temps qu’il y a que nous sommes séparés devroit avoir amorties. Mais savezvous en quelle compagnie j’étois[231] ? C’étoit Mlle de l’Enclos[232], Mme de la Sablière[233], Mme de Salins[234], Mlle de Fiennes[235], Mme de Montsoreau[236], et le tout chez Mlle de Raymond[237]. Après cela, si vous ne me trouvez pas joli garçon, vous aurez tort ; car vous n’avez pas les mêmes raisons qu’elles, et vous ne voyez pas d’où vous êtes ma perruque noire, qui me rend effroyable ; j’en aurai demain une autre qui les rassurera, et qui me rendra un cavaliero garbato[238]. Adieu ; vous soyez la bien échappée des périls du Rhône, et la bien reçue dans votre royaume d’Arles. À propos, j’ai fait transir M. de Condom[239] sur le récit de votre aventure ; il vous aime toujours de tout son cœur.

de madame de sévigné.

Nous sommes en peine de savoir si vous riez quand on vous harangue : c’est une incommodité à quoi je craignois que vous ne fussiez sujette. Si vous faites aussi bien que vous dites, ils font fort bien de vous adorer. Le nombre de ceux qui me font des compliments, et qui me prient de vous en faire, et qui me demandent de vos nouvelles, est infini : j’aurois le visage aussi las que vous, si je les embrassois tous. Je ferai part à Brancas de vos relations. Le P. Bourdaloue a prêché ce matin au delà de tous les plus beaux sermons qu’il ait jamais faits. La cour va et vient à Versailles. Monsieur le Dauphin et Monsieur d’Anjou[240] se portent mieux : voilà de belles nouvelles. Mme de la Fayette, et tout ce qui est ordinairement chez elle, vous fait souvenir de l’amitié qu’ils ont pour vous, et vous prie d’en avoir un peu pour eux. Mme de la Fayette dit qu’elle aimeroit fort à jouer le rôle que vous jouez, quand ce ne seroit que pour changer : vous savez comme elle est quelquefois lasse de la même chose. Monsieur d’Uzès[241] est ravi des honneurs qu’on vous rend. Il est persuadé, comme les autres, que depuis saint Trophime[242], il n’y a point eu de nièce pareille à vous. Votre fille est jolie ; je l’aime et j’en ai beaucoup de soin. Mme de Tourville[243] est morte, la Gouville pleure fort bien. Madame la Princesse[244] est à Châteauroux, ad multos annos[245]. Je suis à vous, ma très-chère, avec une tendresse qu’il n’est pas aisé d’expliquer, et j’embrasse M. de Grignan malgré le pont d’Avignon.


143. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 11e mars.

Je n’ai point encore reçu vos lettres ; j’en aurai peut-être avant que de fermer celle-ci : songez, ma chère enfant, qu’il y a huit jours que je n’ai eu de vos nouvelles ; c’est un siècle pour moi. Vous étiez à Arles ; mais je ne sais rien par vous de votre arrivée à Aix. Il me vint hier un gentilhomme[246] de ce pays-là, qui étoit présent à cette arrivée, et qui vous a vue jouer à petite prime[247] avec Vardes[248], Bandol[249] et un autre. Je voudrois pouvoir vous dire comme je l’ai reçu, et ce qu’il m’a paru, de vous avoir vue jeudi dernier. Vous admiriez tant l’abbé de Vins[250] d’avoir pu quitter M. de Grignan ; j’admire bien plus celui-ci de vous avoir quittée. Il m’a trouvée avec le P. Mascaron, à qui je donnois un très-beau dîner. Il prêche à ma paroisse[251] ; il me vint voir l’autre jour : j’ai trouvé que cela étoit d’une vraie petite dévote de lui donner un repas. Il est de Marseille, et a trouvé fort bon d’entendre parler de Provence. J’ai su encore par d’autres voies que vous avez eu trois ou quatre démêlés à votre avènement. Ma fille, l’humanité ne parvient pas à ne point avoir de ces malheurs en province. Je ne veux point vous dire mon avis sur ce qu’on m’a conté ; car peut-être qu’il n’y a rien de vrai.

J’ai demandé à ce gentilhomme si vous n’étiez point bien fatiguée ; il m’a dit que vous étiez très-belle ; mais vous savez que mes yeux pour vous sont plus justes que ceux des autres : je pourrois bien vous trouver abattue et fatiguée au travers de leurs approbations. J’ai été enrhumée ces jours-ci, et j’ai gardé ma chambre, presque tous vos amis ont pris ce temps-là pour me venir voir. L’abbé Têtu[252] m’a fort priée de le distinguer en vous écrivant. Je n’ai jamais vu une personne absente être si vive dans tous les cœurs ; c’étoit à vous qu’étoit réservé ce miracle. Vous savez comme nous avons toujours trouvé qu’on se passoit bien des gens ; on ne se passe point de vous. Je passe ma vie à parler de vous ; ceux qui m’écoutent le mieux sont ceux que je cherche le plus. N’allez point craindre que je sois ridicule ; car outre que le sujet ne l’est pas, c’est que je connois

parfaitement bien et les gens et le lieu, et ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire. Je dis un peu de bien de moi en passant ; j’en demande pardon au Bourdaloue et au Mascaron. J’entends tous les matins ou l’un ou l’autre ; un demi-quart des merveilles qu’ils disent devroit faire une sainte. Présentement que vous n’êtes plus ici pour me faire conserver mon pauvre corps, je ne lui donne ni paix ni trêve, non plus qu’à mon esprit.

Je vous avoue, de bonne foi, ma petite, que je ne puis du tout m’accoutumer à vous savoir à deux cents lieues de moi. Je suis plus touchée que je ne l’étois lorsque vous étiez en chemin ; je repleure sur nouveaux frais ; je ne vois goutte dans votre cœur ; je me représente cent choses désagréables que je ne vous puis dire ; je ne vois pas même ce que pense M. de Grignan ; et tout est brouillé, je ne sais comment, dans ma tête. Je vous vois accablée d’honneurs, et d’honneurs qui tiennent fort au nom que vous portez ; rien n’est plus grand ni plus considéré ; nulle famille ne peut être plus aimable : vous y êtes adorée, à ce que je crois, car le Coadjuteur ne m’écrit plus ; mais j’ignore comment vous vous portez dans tout ce tracas ; c’est une sorte de vie étrange que celle des provinces : on fait des affaires de tout. Je m’imagine que vous faites des merveilles, et je voudrois bien savoir ce que ces merveilles vous coûtent, soit pour vous plaindre, soit pour ne vous plaindre pas.

Je reçois votre lettre, ma chère enfant, et j’y fais réponse avec précipitation parce qu’il est tard : cela me fait approuver les avances de provision. Je vois bien que tout ce qu’on m’a dit de vos aventures à votre arrivée n’est pas vrai ; j’en suis très-aise. Ces sortes de petits procès dans un lieu où l’on n’a rien autre chose dans la tête, font une éternité d’éclaircissements qui font mourir d’ennui. Je sais assez la manière des provinces pour ne vous point souhaiter ce tracas.

Mais vous êtes bien plaisante, Madame la Comtesse, de montrer mes lettres. Où est donc ce principe de cachoterie pour ce que vous aimez ? Vous souvient-il avec quelle peine nous attrapions les dates de celles de M. de Grignan ? Vous pensez m’apaiser par vos louanges, et me traiter toujours comme la gazette de Hollande ; je m’en vengerai. Vous cachez les tendresses que je vous mande, friponne ; et moi je montre quelquefois, et à certaines gens, celles que vous m’écrivez. Je ne veux pas qu’on croie que j’ai pensé mourir, et que je pleure tous les jours, pour qui ? pour une ingrate. Je veux qu’on voie que vous m’aimez, et que si vous avez mon cœur tout entier, j’ai une place dans le vôtre. Je ferai tous vos compliments. Chacun me demande : « Ne suis-je point nommé ? » Et je dis : « Non, pas encore, mais vous le serez. » Par exemple, nommez-moi un peu M. d’Ormesson[253], et les Mesmes[254] ; il y a presse à votre souvenir ; ce que vous envoyez ici est tout aussitôt enlevé : ils ont raison, ma fille, vous êtes aimable, et rien n’est comme vous. Voilà du moins ce que vous cacherez ; car, depuis Niobé, jamais une mère n’a parlé comme je fais. Pour M. de Grignan, il peut bien s’assurer que si je puis quelque jour avoir sa femme, je ne la lui rendrai pas. Comment ! ne me pas remercier d’un tel présent, ne me point dire qu’il est transporté ! Il m’écrit pour me la demander, et ne me remercie point quand je la lui donne. Je comprends pourtant qu’il peut fort bien être accablé ainsi que vous ; ma colère ne tient à guère, et ma tendresse pour vous deux tient à beaucoup. Tout ce que vous me mandez est très-plaisant ; c’est dommage que vous n’ayez eu le temps d’en dire davantage. Mon Dieu, que j’ai d’envie de recevoir de vos lettres ! Il y a déjà près d’une demi-heure que je n’en ai reçu. Je ne sais aucune nouvelle. Le Roi se porte fort bien ; il va de Versailles à Saint-Germain, de Saint-Germain à Versailles. Tout est comme il étoit. La Reine fait souvent ses dévotions, et va au salut du saint sacrement[255]. Le P. Bourdaloue prêche : bon Dieu ! tout est au-dessous des louanges qu’il mérite. L’autre jour notre abbé y[256] eut un démêlé avec Monsieur de Noyon[257], qui lui dit qu’il devoit bien quitter sa place à un homme de la maison de Clermont. On a fort ri de ce titre, pour avoir la place d’un abbé à l’église. On a bien reconté là-dessus toutes les clefs[258] de la maison de Tonnerre, et toute la science sur la pairie.

Je dîne tous les vendredis chez le Mans[259] avec M. de la Rochefoucauld, Mme de Brissac et Benserade[260], qui toujours y fait la joie de la compagnie. Votre santé y est toujours bue, et votre absence toujours regrettée. Si la Provence m’aime, je suis fort sa servante aussi. Conservez-moi l’honneur de ses bonnes grâces ; je lui ferai mes compliments quand vous voudrez. Je vous ai donné un voyage, c’est à vous de le placer. Je ne dis rien à M. de Vardes ni à mon ami Corbinelli ; je les crois retournés en Languedoc. J’aime votre fille à cause de vous ; mes entrailles n’ont point encore pris le train des tendresses d’une grand’mère.


144. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi 13e mars.

Me voici à la joie de mon cœur, toute seule dans ma chambre à vous écrire paisiblement ; rien ne m’est si agréable que cet état. J’ai dîné aujourd’hui chez Mme de Lavardin[261], après avoir été en Bourdaloue[262], où étoient les Mères de l’Église : c’est ainsi que j’appelle les princesses de Conti et de Longueville[263]. Tout ce qui est au monde étoit à ce sermon, et ce sermon étoit digne de tout ce qui l’écoutoit. J’ai songé vingt fois à vous, et vous ai souhaitée autant de fois auprès de moi ; vous auriez été ravie de l’entendre, et moi encore plus ravie de vous le voir entendre.

M. de la Rochefoucauld a reçu très-plaisamment, chez Mme de Lavardin, le compliment que vous lui faites ; on a fort parlé de vous. M. d’Ambres[264] y étoit avec sa cousine de Brissac ; il a paru s’intéresser beaucoup à votre prétendu naufrage. On a parlé de votre hardiesse ; M. de la Rochefoucauld a dit que vous aviez voulu paroître brave, dans l’espérance que quelque charitable personne vous en empêcheroit ; et que n’en ayant point trouvé, vous aviez dû être dans le même embarras que Scaramouche.

Nous avons été voir à la foire[265] une grande diablesse de femme, plus grande que Riberpré de toute la tête ; elle accoucha l’autre jour de deux gros enfants qui vinrent de front, les bras aux côtés : c’est une grande femme tout à fait. J’ai été faire des compliments pour vous à l’hôtel de Rambouillet ; on vous en rend mille. Mme de

Montausier est au désespoir de ne vous pouvoir venir voir. J’ai été chez Mme du Puy-du-Fou ; j’ai été pour la troisième fois chez Mme de Maillanes[266]. Je me fais rire en observant le plaisir que j’ai de faire toutes ces choses.

Au reste, si vous croyez les filles de la Reine enragées, vous croirez bien. Il y a huit jours que Mme de Ludres, Coëtlogon et la petite de Rouvroy furent mordues d’une petite chienne, qui étoit à Théobon[267]. Cette petite chienne est morte enragée ; de sorte que Ludres, Coëtlogon et Rouvroy sont parties ce matin pour aller à Dieppe, et se faire jeter trois fois dans la mer[268]. Ce voyage est triste ; Benserade en étoit au désespoir. Théobon n’a pas voulu y aller, quoiqu’elle ait été mordillée. La Reine ne veut pas qu’elle la serve, qu’on ne sache ce qui arrivera de toute cette aventure. Ne trouvez-vous point, ma bonne, que Ludres ressemble à Andromède ? Pour moi, je la vois attachée au rocher, et Tréville[269] sur un cheval ailé, qui tue le monstre. « Ah, Zésu ! matame te Grignan, l’étranze sose t’être zetée toute nue tans la mer[270]. » En voici une, à mon sens, encore plus étrange : c’est de coucher demain avec M. de Ventadour, comme fera Mlle d’Houdancourt. Je craindrois plus ce monstre que celui d’Andromède, contra il quai non val’elmo ne scudo[271].

Voilà bien des lanternes, et je ne sais rien de vous. Vous croyez que je devine ce que vous faites ; mais j’y prends trop d’intérêt, et à votre santé, et à l’état de votre esprit, pour n’en savoir que ce que je m’imagine. Les moindres circonstances sont chères de ceux qu’on aime parfaitement, autant qu’elles sont ennuyeuses des autres : nous l’avons dit mille fois, et cela est vrai. La Vauvineux vous fait cent compliments ; sa fille a été bien malade ; Mme d’Arpajon l’a été aussi : nommez-moi tout cela, à votre loisir, avec Mme de Verneuil. Voilà une lettre de M. de Condom, qu’il m’a envoyée avec un billet fort joli. Votre frère entre sous les lois de Ninon ; je doute qu’elles lui soient bonnes. Il y a des esprits à qui elles ne valent rien ; elle avoit gâté son père[272]. Il faut le recommander à Dieu : quand on est chrétienne, ou du moins qu’on le veut être, on ne peut voir ces dérèglements sans chagrin. Ah ! Bourdaloue, quelles divines vérités nous avez-vous dites aujourd’hui sur la mort[273] ! Mme de la Fayette y étoit pour la première fois de sa vie, elle étoit transportée d’admiration. Elle est ravie de votre souvenir et vous embrasse de tout son cœur. Je lui ai donné une belle copie de votre portrait ; il pare sa chambre, où vous n’êtes jamais oubliée. Si vous êtes encore de l’humeur dont vous étiez à Sainte-Marie[274], et que vous gardiez mes lettres, voyez si vous n’avez pas reçu celle du 18e février. Adieu, ma très-aimable bonne. Vous dirai-je que je vous aime ? C’est se moquer d’en être encore là ; cependant, comme je suis ravie quand vous m’assurez de votre tendresse, je vous assure de la mienne, afin de vous donner de la joie, si vous êtes de mon humeur : et ce Grignan, mérite-t-il que je lui dise un mot ?

Je[275] vous écris peu de nouvelles, ma chère Comtesse ; je me repose sur M. d’Hacqueville, qui vous les mande toutes. D’ailleurs je n’en sais point ; je serois toute propre à vous dire que M. le chancelier[276] a pris un lavement.

Je vis hier une chose chez Mademoiselle qui me fit plaisir. La Gêvres[277] arrive, belle, charmante et de bonne grâce ; Mme d’Arpajon étoit au-dessus de moi. Je pense qu’elle s’attendoit que je lui dusse offrir ma place ; ma foi, je lui en devois de l’autre jour, je lui payai comptant, et ne branlai pas. Mademoiselle étoit au lit ; elle[278] fut donc contrainte de se mettre au bas de l’estrade ; cela est fâcheux. On apporte à boire à Mademoiselle, il faut donner la serviette. Je vois Mme de Gêvres qui dégante sa main maigre ; je pousse Mme d’Arpajon : elle m’entend et se dégante ; et d’une très-bonne grâce, elle avance un pas, coupe la Gêvres, et prend, et donne la serviette. La Gêvres en a toute la honte, et est demeurée toute penaude.

Elle étoit montée sur l’estrade, elle avoit ôté ses gants, et tout cela pour voir donner la serviette de plus près par Mme d’Arpajon. Ma bonne, je suis méchante, cela m’a réjouie ; c’est bien employé. A-t-on jamais vu accourir pour ôter à Mme d’Arpajon, qui est dans la ruelle, un petit honneur qui lui vient tout naturellement ? La Puisieux s’en est épanoui la rate. Mademoiselle n’osoit lever les yeux ; et moi, j’avois une mine qui ne valoit rien. Après cela on a dit cent mille biens de vous, et Mademoiselle m’a commandé de vous dire qu’elle étoit fort aise que vous ne fussiez point noyée, et que vous fussiez en bonne santé.

Nous fûmes de là chez Mme Colbert[279], qui me demanda de vos nouvelles. Voilà de terribles bagatelles ; mais je ne sais rien. Vous voyez que je ne suis plus dévote. Hélas ! j’aurois bien besoin des matines et de la solitude de Livry. Si est-ce que je vous donnerai ces deux livres de la Fontaine[280], quand vous devriez être en colère. Il y a des endroits jolis et très-jolis, et d’autres ennuyeux : on ne veut jamais se contenter d’avoir bien fait ; en croyant mieux faire, on fait mal.


145. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, dimanche 15e mars.

Monsieur de la Brosse veut que ma lettre l’introduise auprès de vous : n’est-ce pas se moquer des gens ? Vous savez l’estime et l’amitié que j’ai pour lui ; vous savez que son père est l’un de mes plus anciens amis ; vous savez vous-même le mérite de l’un et de l’autre, et vous avez pour eux tous les sentiments que je voudrois vous inspirer : vous voyez donc bien que ma lettre ne peut lui être utile. C’est à moi qu’elle est bonne ; car en vérité j’aime à vous écrire. C’est une chose plaisante à observer que le plaisir qu’on prend à parler, quoique de loin, à une personne que l’on aime, et l’étrange pesanteur qu’on trouve à écrire aux autres. Je me trouve heureuse d’avoir commencé ma journée par vous écrire. Le petit Pecquet[281] étoit au chevet de mon lit pour un épouvantable rhume, qui sera passé quand vous recevrez cette lettre ; nous parlions de vous, et de là je passe à vous écrire.

Je dois passer cette journée avec moins de chagrin que les autres. Pour hier au soir, j’avois assez de gens, et j’étois comme Benserade : je me faisois un plaisir de ne point coucher avec M. de Ventadour, comme cette pauvre fille qui a eu cet honneur. Vous savez que Benserade ne se consoloit de n’être pas M. d’Armagnac"[282], que parce qu’il n’étoit pas M. de Saint-Hérem[283]. Mais qui me consolera de ne point recevoir de vos lettres ? Je ne comprends rien aux postes ; elles sont déréglées, et ces gens si obligeants, qui partent à minuit pour porter mes lettres[284], n’ont point de soin de me rapporter les vôtres. Nous parlons sans cesse de vos affaires, l’abbé et moi ; il vous rend compte de tout, c’est pourquoi je ne vous dis rien[285]. Votre santé, votre repos, vos affaires, ce sont les trois points de mon esprit, d’où je tire une conclusion que je vous laisse à méditer.


146. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 18e mars.

Je reçois deux paquets ensemble qui ont été retardés considérablement, puisque j’ai reçu une lettre du 4e mars écrite depuis une de celles-là. Aussi, ma bonne, je ne comprenois point que vous ne me disiez pas un mot de votre entrée à Aix, ni de quelle manière on vous y avoit reçue. Vous deviez me dire si votre mari étoit avec vous, et de quelle manière Vardes honoroit votre triomphe. Du reste, vous me le représentez très-plaisamment, avec votre embarras et vos civilités déplacées. Bandol vous est d’un grand secours ; et moi, ma petite, hélas ! que je vous serois bonne ! Ce n’est pas que je fisse mieux que vous, car je n’ai pas le don de placer si vite les noms sur les visages ; au contraire, je fais tous les jours mille sottises là-dessus : mais je vous aiderois à faire des révérences. Ah ! que vous êtes lasse, mon pauvre cœur, et que ce métier est tuant pour Mademoiselle de Sévigné, et même pour Madame de Grignan, toute civile qu’elle est ! Je vois d’ici Mme du Canet. M. de Coulanges me l’avoit nommée, comme vous l’avez fait ; vous aurez trouvé sa chambre belle.

Vous me donnez une bonne espérance de votre affaire ; suivez-la constamment, et n’épargnez aucune civilité pour la faire réussir[286]. Si vous la faites, soyez assurée que cela vaudra mieux qu’une terre de dix mille livres de rente. Pour vos autres affaires, je n’ose y penser, et j’y pense pourtant toujours. Rendez vous la maîtresse de toutes choses : c’est ce qui vous peut sauver ; et mettez au premier rang de vos desseins, celui de ne vous point abîmer par une extrême dépense, et de vous mettre en état, autant que vous pourrez, de ne pas renoncer à ce pays-ci. J’espère beaucoup de votre habileté et de votre sagesse ; vous avez de l’application : c’est la meilleure qualité qu’on puisse avoir pour ce que vous avez à faire[287].

Je ne suis pas de votre avis pour votre manière d’écrire : elle est parfaite ; il y a des traits dans vos lettres où l’on ne souhaite rien. Si elles étoient de ce style à cinq sols que vous honorez tant, je doute qu’elles fussent si bonnes.

Vous me dites que vous êtes fort aise que je sois persuadée de votre amitié, et que c’est un bonheur que vous n’avez pas eu quand nous avons été ensemble. Hélas ! ma bonne, sans vouloir vous rien reprocher, tout le tort ne venoit pas de mon côté. À quel prix inestimable ai-je toujours mis les moindres marques de votre amitié ! En ai-je laissé passer aucune sans en être ravie ? Mais aussi combien me suis-je trouvée inconsolable quand j’ai cru voir le contraire ! Vous seule pouvez faire la joie et la douleur de ma vie ; je ne connois que vous, et hors de vous tout est loin de moi. La raison me rapproche plusieurs choses, mais mon cœur n’en connoît qu’une. Dans cette disposition, jugez de ma sensibilité et de ma délicatesse, et de ce que j’ai pu sentir pour ce qui m’a éloignée très-injustement de votre cœur. Mais laissons tous ces discours ; je suis contente au delà de tous mes desirs : ce que je souffre, c’est par rapport à vous, et point du tout par vous[288]. 1671 Il y a présentement une nouvelle qui fait l’entretien de Paris. Le Roi a commandé à M. de Cessac[289] de se défaire de sa charge, et tout de suite de sortir de Paris. Savez-vous pourquoi ? Pour avoir trompé au jeu, et avoir gagné cinq cent mille écus avec des cartes ajustées. Le cartier fut interrogé par le Roi même : il nia d’abord ; enfin, le Roi lui promettant son pardon, il avoua qu’il faisoit ce métier depuis longtemps, et même cela se répandra plus loin, car il y a plusieurs maisons où il fournissoit de ces bonnes cartes rangées. Le Roi a eu beaucoup de peine à se résoudre à déshonorer un homme de la qualité de Cessac, mais voyant depuis deux mois que tous ceux qu’il gagnoit étoient ruinés, il a cru qu’il y alloit de sa conscience à faire éclater cette friponnerie. Il[290] savoit si bien le jeu des autres, que toujours il faisoit va-tout sur la dame de pique, parce que les piques étoient dans les autres jeux, et le Roi perdoit toujours à trente-un de trèfle et disoit : « Le trèfle ne gagne point contre le pique en ce pays-ci. » Cessac avoit donné trente pistoles aux valets de chambre de Mme de la Vallière pour jeter dans la rivière des cartes qu’ils avoient, qu’il ne trouvoit point bonnes, et avoit introduit son cartier. Celui qui le conduisoit dans cette belle vie s’appelle Pradier, et s’est éclipsé aussitôt que le Roi défendit à Cessac de se trouver devant lui. S’il avoit été innocent, il se seroit mis en prison et auroit demandé qu’on lui fît son procès ; mais il n’a pas pris ce chemin, et a trouvé celui de Languedoc plus sûr. Plusieurs lui conseilloient celui de la Trappe[291], après un malheur comme celui-là. Voilà de quoi l’on parle uniquement.

J’ai vu enfin Mme de Janson[292] chez elle ; je la trouve une très-aimable et très-raisonnable personne. J’écrirois à son beau-frère, sans qu’il sembleroit qu’on espère tout de lui ; et comme il faut que M. le premier président croie la même chose, il me semble qu’il ne faut rien séparer. Je vous demande seulement des compliments à l’un et à l’autre, comme vous le jugerez à propos. Je ferai des merveilles de tous vos souvenirs.

Mme d’Humières[293] m’a chargée de mille amitiés pour vous ; elle s’en va à Lille, où elle sera honorée, comme vous l’êtes à Aix. Mon Dieu ! ma bonne, je songe à vous sans cesse, et toujours avec une tendresse infinie ; je vous vois faire toutes vos révérences et vos civilités : vous faites fort bien, je vous en assure. Tâchez, mon enfant, de vous accommoder un peu de ce qui n’est pas mauvais ; ne vous dégoûtez point de ce qui n’est que médiocre ; faites-vous un plaisir de ce qui n’est pas ridicule[294].

Les étoiles fixes et errantes de Mme du Canet m’ont fort réjouie. M. de Coulanges prétend que vous lui manderez votre avis des dames d’Aix. Il vient de m’apporter une relation admirable de tout votre voyage, que lui fait très-agréablement M. de Rippert[295]. Voilà justement ce que nous souhaitions. Il m’a montré aussi une lettre que vous lui écrivez, qui est très-aimable. Toutes vos lettres me plaisent ; je vois celles que je puis. La liaison de M. de Coulanges et de moi est extrême par le côté de la Provence. Il me semble qu’il m’est bien plus proche qu’il n’étoit ; nous en parlons sans cesse. Quand les lettres de Provence arrivent, c’est une joie parmi tous ceux qui m’aiment, comme c’est une tristesse quand je suis longtemps sans en avoir. Lire vos lettres et vous écrire font la première affaire de ma vie ; tout fait place à ce commerce : aussi les autres me paroissent plaisants. Aimer comme je vous aime fait trouver frivoles toutes les autres amitiés. Pour vous écrire, soyez assurée que je n’y manque point deux fois la semaine[296]. Si l’on pouvoit doubler, j’y serois tout aussi ponctuelle ; mais ponctuelle par le plaisir que j’y prends, et non point pour l’avoir promis. Il y a quelques lettres de traverse, comme par exemple par M. de la Brosse, qui partit lundi pour Aix. Faites-lui bien faire sa cour auprès de M. de Grignan.

Je reçus hier une lettre du Coadjuteur avec une que vous m’écrivîtes à Arles, avec Monsieur de Mende[297] et Vardes. Elle est en italien ; elle m’a divertie. Je ferai réponse au prélat dans la même langue, avec l’aide de mes amis.

M. le marquis de Saint-Andiol[298] m’est venu voir ; je le trouve fort honnête homme à voir ; il cause des mieux et n’a aucun air qui déplaise. Il m’a dit qu’il vous avoit vue en chemin, belle comme un vrai ange. Il m’a fait transir en me parlant des chemins que vous alliez passer. Je lui ai montré la relation de Rippert, dont il a été ravi pour l’honneur de la Provence. Vardes a écrit ici des merveilles de vous, de votre esprit, de votre beauté. J’attends la relation de Corbinelli. J’admire plus que jamais M. d’Harouys[299] ; je lui témoignerai vos sentiments et les miens ; mais un mot de vous vaut mieux que tout cela : adressez-le-moi, afin que je m’en fasse honneur.

J’ai distribué fort à propos tous vos compliments ; on vous en rend au centuple. La Comtesse[300] étoit ravie, et voulut voir son nom ; je n’ose hasarder vos civilités sans les avoir en poche, car quelquefois on me dit : « Que je voie mon nom. » J’en ai pourtant bien fait passer que je trouvois nécessaires.

Le maréchal de Bellefonds[301], par un pur sentiment de piété, s’est accommodé avec ses créanciers ; il leur a cédé le fonds de son bien, et donné plus de la moitié du revenu de sa charge[302], pour achever de payer les arrérages. Cette exécution est belle, et fait bien voir que ses voyages à la Trappe ne sont pas inutiles. Je fus voir l’autre jour cette duchesse de Ventadour ; elle étoit belle comme un ange. Mme de Nevers y vint coiffée à faire rire : il faut m’en croire, car vous savez comme j’aime la mode. La Martin[303] l’avoit bretaudée[304] par plaisir comme un patron de mode excessive. Elle avoit donc tous les cheveux coupés sur la tête, et frisés naturellement par cent papillotes qui lui font souffrir toute la nuit mort et passion. Tout cela fait une petite tête de chou ronde, sans nulle chose par les côtés : toute la tête nue et hurlupée. Ma fille, c’étoit la plus ridicule chose qu’on pût s’imaginer : elle n’avoit point de coiffe ; mais encore passe, elle est jeune et jolie ; mais toutes ces femmes de Saint-Germain, et cette la Mothe, se font testonner par la Martin. Cela est au point que le Roi et les dames en pâment de rire : elles en sont encore à cette jolie coiffure que Montgobert[305] sait si bien : les boucles renversées, voilà tout ; elles se divertissent à voir outrer cette mode jusqu’à la folie.

Je viens de recevoir une lettre très-tendre de Monsieur de Marseille, de sorte que contre ma résolution je lui viens d’écrire. Ayez soin de me mander des nouvelles de votre affaire. Conservez bien l’amitié du Coadjuteur ; il m’écrit des merveilles de vous.

L’abbé est fort content du soin que vous voulez prendre de vos affaires. Ne perdez point cette envie ; soyez seule maîtresse : c’est le salut de la maison de Grignan. Hélas ! que ne donnerois-je pas pour voir un peu dans votre cœur sur plusieurs chapitres, ce lieu où je desire tant d’être, et où je prends tant d’intérêt ; mais hélas ! je vous aime plus que vous ne sauriez le desirer, quand ce seroit le plus grand de vos desirs.

Votre frère est à Saint-Germain, et il est entre Ninon et une comédienne[306], Despréaux sur le tout : nous lui faisons une vie enragée. Dieux, quelle folie ! dieux, quelle folie !

D’Hacqueville vous adore, et toujours nous parlons de la petite.

(Du même jour, 18e mars.)

Avant que d’envoyer mon paquet, je fais réponse à votre lettre du 11e, que je reçois. Je suis plus désespérée que vous que l’on retarde[307]

1671

de m. de barillon.[308]

J’interromps la plus aimable mère du monde pour vous dire trois mots, qui ne seront guère bien arrangés, mais qui seront vrais. Sachez donc, Madame, que je vous ai toujours plus aimée que je ne vous l’ai dit, et que si jamais je gouverne, la Provence n’aura plus de gouvernante. En attendant, gouvernez-vous bien, et régnez doucement sur les peuples que Dieu a soumis à vos lois. Adieu, Madame, je quitte Paris sans regret.

de madame de sévigné.

C’est ce pauvre Barillon qui m’a interrompue, et qui ne me trouve guère avancée de ne pouvoir pas encore recevoir de vos lettres sans pleurer. Je ne le puis, ma fille, mais ne souhaitez point que je le puisse ; aimez mes tendresses, aimez mes foiblesses ; pour moi je m’en accommode fort bien. Je les aime bien mieux que des sentiments de Sénèque et d’Épictète. Je suis douce, tendre, ma chère enfant, jusques à la folie : vous m’êtes toutes choses ; je ne connois que vous. Hélas ! je suis bien précisément comme vous pensez, c’est-à-dire d’aimer ceux qui vous aiment et qui se souviennent de vous ; je le sens tous les jours. Quand je trouvai Merlusine, le cœur me battit de colère et d’émotion. Elle s’approcha comme vous savez, et me dit : « Eh bien ! Madame, êtes-vous bien fâchée ? — Oui, Madame, lui dis-je ; on ne peut pas plus. — Ah ! vraiment, je le crois, il faudra vous aller consoler. —Madame, n’en prenez pas la peine, ce seroit une chose inutile. — Mais, me dit-elle, n’êtes-vous pas chez vous ? — Non, Madame, on ne m’y trouve jamais. » Voilà notre dialogue. Je vous assure qu’elle est débellée[309], comme dit Coulanges. Il ne me semble pas qu’elle ait une langue présentement.

Mais je veux revenir à mes lettres qu’on ne vous envoie point ; j’en suis au désespoir. Croyez-vous qu’on les ouvre ? croyez-vous qu’on les garde ? Hélas ! je conjure ceux qui prennent cette peine de considérer le peu de plaisir qu’ils ont à cette lecture, et le chagrin qu’ils nous donnent. Messieurs, du moins ayez soin de les faire recacheter, afin qu’elles arrivent tôt ou tard.

Vous parlez de peinture : vraiment vous m’en faites une de l’habit de vos dames, qui vaut tout ce qu’une description peut valoir.

Vous dites que vous voudriez bien me voir entrer dans votre chambre, et m’entendre discourir. Hélas ! c’est ma folie que de vous voir, de vous parler, de vous entendre ; je me dévore de cette envie, et du déplaisir de ne vous avoir pas assez écoutée, pas assez regardée : il me semble pourtant que je n’en perdois guère les moments ; mais enfin, je n’en suis pas contente, je suis folle : il n’y a rien de plus vrai ; mais vous êtes obligée d’aimer ma folie. Je ne comprends pas comme on peut tant penser à une personne. N’aurai-je jamais tout pensé ? Non, que quand je ne penserai plus.

Le billet de M. de Grignan est très-joli. Je lui ferai réponse, et je le prie de m’aimer toujours. Pour votre fille, je l’aime ; vous savez pourquoi, et pour qui.


147. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi 20e mars.

Monsieur le coadjuteur de Reims[310] me dit l’autre jour, chez Mme de Coulanges, qu’il vous avoit écrit deux fois[311], et qu’il n’avoit point eu de réponse. Mettez la main sur la conscience, ma bonne, et payez vos dettes. Il s’en est allé à Reims, et Mme de Coulanges lui disoit : « Quelle folie d’aller à Reims ! et qu’allez-vous faire là ? Vous vous y ennuierez comme un chien ; demeurez ici, nous nous promènerons. » Ce discours à un archevêque nous fit rire, et elle aussi ; nous ne le trouvâmes nullement canonique, et nous comprîmes pourtant que si plusieurs dames le faisoient à des prélats, elles ne perdroient peut-être pas leurs paroles.

M. de la Rochefoucauld m’a demandé plus de dix fois si vous n’aviez pas reçu ses dragées[312]. Le comte d’Estrées[313] lui a conté qu’en son voyage de Guinée[314] il se trouva parmi des chrétiens. Il y trouva une église, il y trouva vingt chanoines nègres tout nus avec des bonnets carrés, et une aumusse au bras gauche, qui chantoient les louanges de Dieu. Il vous prie de réfléchir sur cette rencontre, et de ne pas croire qu’ils eussent le moindre surplis, car ils étoient comme quand on sort du ventre de sa mère, et noirs comme des diables. Voilà ma commission.

Mme de Guise[315] a fait un faux pas à Versailles ; elle n’en a rien dit : elle est accouchée, à quatre mois, d’un pauvre petit garçon, qui n’a point été baptisé. Voilà un bel exemple pour se conserver, et pour ne point cacher ses fausses démarches.

1671 D’Hacqueville vous a envoyé une assez plaisante chanson sur M. de Longueville : c’est à l’imitation d’un certain récit de ballet que vous ne connoissez point, et que je vous ai dit qui étoit le plus beau du monde[316]. Je le sais, et je le chante bien.

La lettre que vous avez écrite à Guitaut est fort jolie ; j’aime passionnément vos lettres. Si les miennes vous peignent bien ce que je dis, et que vous croyiez le voir, vous serez satisfaite des chanoines de Guinée.

On domna l’autre jour au P. Desmares[317] un billet en montant en chaire ; il le lut avec ses lunettes. C’étoit :

De par Monseigneur de Paris,
On déclare à tous les maris
Que leurs femmes on baisera,
                 Alleluia !

Il en lut plus de la moitié : on pensa mourir de rire. Il y a des gens de bonne humeur, comme vous voyez.

Je crois que vous savez que Mademoiselle a chassé Guilloire ; le pauvre Segrais ne tient à guère : c’est qu’ils ont témoigné trop librement leurs sentiments sur M. de Lauzun[318].

Dites un petit mot dans une de vos lettres de Mme de Lavardin ; elle est toujours enthousiasmée de votre mérite, et moi, mon enfant, de la tendresse que j’ai pour vous. Si je ne vous en parle pas assez à mon gré, c’est par discrétion ; mais, en un mot, vous m’occupez tout entière, et sans vous donner aucun rendez-vous d’esprit, comme Mlle de Scudéry, soyez assurée que vous ne sauriez penser à moi en aucun temps que je ne pense à vous ; vous n’y sauriez penser à faux, ma petite. Mais regardez un peu la lune, cette lune que je regarde aussi ; nous voyons la même chose, quoique à deux cents lieues loin l’une de l’autre.


148. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce lundi 23e mars.

N’est-il pas cruel, ma chère bonne, de n’avoir pas encore reçu vos lettres ? Voilà M. de Coulanges qui a reçu les siennes, et qui me vient insulter. Il m’a montré votre réponse à l'Ex-voto. Ah ! que vous écrivez à ma fantaisie ! Elle est tellement à mon gré, que je l’ai lue et relue avec plaisir. Cet Ex-voto, qui fut fait sur le bout de la table où je vous écrivois, il me réjouit fort, et me fit souvenir du jour que je fus si malheureusement pendue. Vous en souvient-il ? Combien vous me fûtes cruelle ce jour-là ! Vous me condamnâtes sans miséricorde, et toute la sollicitation de d’Hacqueville ne put pas même vous obliger à revoir mon procès. Il est vrai que je fis une grande faute, mais aussi d’être pendue haut et court, comme je le fus, c’étoit une grande punition. La chanson de M. de Coulanges étoit bonne aussi ; il y a plaisir à vous envoyer de jolies choses, vous y répondez délicieusement. Vous savez que rien n’attrape tant que quand on croit avoir écrit pour divertir ses amis, et qu’ils n’y ont pas pris garde, et qu’ils n’en disent pas un mot. Vous n’avez pas cette cruauté : vous êtes aimable en tout. et partout ; hélas ! combien êtes-vous aussi aimée ! combien de cœurs où vous êtes la première ! Il y a peu de gens qui puissent se vanter d’une telle chose. M. de Coulanges vous écrit la plus folle lettre du monde, et d’après le naturel : elle m’a fort divertie. Enfin les femmes sont folles ; il semble qu’elles aient toutes la tête cassée : on leur met le premier appareil, et elles se reposent comme d’une opération ; cette folie vous réjouiroit fort, si vous étiez ici. Je fus hier chez M. de la Rochefoucauld, je le trouvai criant les hauts cris des douleurs extrêmes de la goutte. Ses douleurs étoient au point que toute sa constance étoit vaincue, sans qu’il en restât un seul brin : l’excès de ses douleurs l’agitoit d’une telle sorte qu’il étoit en l’air dans sa chaise avec une fièvre violente. Il me fit une pitié extrême ; je ne l’avois jamais vu en cet état ; il me pria de vous le mander, et de vous assurer que les roués ne souffrent point en un moment ce qu’il souffre la moitié de sa vie, et qu’aussi il souhaite la mort comme le coup de grâce ; la nuit n’a pas été-meilleure.

Enfin[319] je reçois cette lettre, et me voilà dans ma chambre toute seule pour vous faire réponse. Voilà comme je fais avec tout le plaisir du monde. Au sortir d’un lieu où j’ai dîné, je reviens fort bien ici, et quand j’y trouve une de vos lettres, j’entre et j’écris. Rien n’est préféré à ce plaisir, et je languis après les jours de vous écrire, comme on craint les jours de poste pour écrire à ceux qu’on n’aime pas. Ah ! ma bonne, qu’il y a de la différence de ce que je sens pour vous, et de ce qu’on sent pour ceux qu’on n’aime pas ! et vous voulez après cela que je lise de sang-froid ce péril que vous avez couru ? J’en ai été encore plus effrayée par les lettres qu’on m’a montrées d’Avignon et d’ailleurs, que par les vôtres. Je comprends bien le dépit qui fit dire à M. de Grignan : « Vogue la galère ! » En vérité, vous êtes quelquefois capable de mettre au désespoir. Si vous m’aviez caché cette aventure, je l’aurois apprise d’ailleurs, et je vous en aurois su fort mauvais gré. Je vous avoue que je serai fort mécontente de Monsieur de Marseille, s’il ne fait ce que nous souhaitons. Il a beau dire, je ne tâte point de son amour pour la Provence. Quand je vois qu’il ne dit rien pour empêcher les quatre cent cinquante mille francs[320], et qu’il ne s’écrie que sur une bagatelle, je suis sa servante très-humble. J’ai une extrême impatience de savoir ce qui sera enfin résolu.

Prenez garde que votre paresse ne vous fasse perdre votre argent au jeu : ces petites pertes fréquentes sont de petites pluies qui gâtent bien les chemins.

Je crains plus que vous mon voyage de Bretagne : il me semble que ce sera encore une autre séparation, une douleur sur une douleur, une absence sur une absence ; enfin je commence de m’affliger tout de bon. Ce sera vers le commencement de mai. Pour mon autre voyage[321], dont vous m’assurez que le chemin est libre, vous savez qu’il dépend de vous ; je vous l’ai donné. Vous manderez à d’Hacqueville en quel temps vous voulez qu’il soit placé.

Vous ne me mandez point si vous êtes malade ou en santé : il y a des choses à quoi il faut répondre. Mme d’Angoulême[322] m’a dit qu’on lui avoit mandé que vous étiez la plus honnête et la plus civile du monde : voilà comme je vous aime et comme on vous aimera. Elle vous fait mille baisemains.

Vous ne voulez point du tout me dire la date des lettres que vous recevez de moi. J’ai un billet, mais je ne trouve pas ce que vous vouliez. Au moins, mandez-moi quand vous aurez reçu deux éventails que je vous donne et que je vous envoie par cette poste.

M. de Vivonne[323] a une bonne mémoire[324]. Il me semble que vous avez dit être bien aises de vous voir. Faites-lui mes compliments, je lui écrirai dans deux ans. N’êtes-vous pas à merveille avec Bandol[325] ? dites-lui mille amitiés pour moi. Il a écrit à M. de Coulanges une lettre qui lui ressemble et qui est aimable.

Je vous embrasse, ma chère bonne. Si vous pouvez, aimez-moi toujours, puisque c’est la seule chose que je souhaite en ce monde pour la tranquillité de mon âme. Je souhaite bien d’autres choses pour vous : enfin tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou pour vous, ou par vous.

Je reviens de chez Mme de Villars ; elle vous adore. Je n’ai rien appris ; je fais faire mon paquet ; il est assez tard pour cela.


149 — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN[326].

À Livry, mardi saint 24e mars.

Voici une terrible causerie, ma chère bonne ; il y a trois heures que je suis ici. Je suis partie de Paris avec l’abbé, Hélène, Hébert et Marphise[327], dans le dessein de me retirer ici du monde et du bruit jusqu’à jeudi au soir. Je prétends être en solitude ; je fais de ceci une petite Trappe ; je veux y prier Dieu, y faire mille réflexions. J’ai dessein d’y jeûner beaucoup par toutes sortes de raisons ; marcher pour tout le temps que j’ai été dans ma chambre, et sur le tout m’ennuyer pour l’amour de Dieu. Mais, ma pauvre bonne, ce que je ferai beaucoup mieux que tout cela, c’est de penser à vous. Je n’ai pas encore cessé depuis que je suis arrivée, et ne pouvant contenir tous mes sentiments sur votre sujet, je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siége de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le cœur ? Il n’y a point d’endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l’église, ni dans ce pays, ni dans ce jardin, où je ne vous aie vue, il n’y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose ; et de quelque façon que ce soit aussi, cela me perce le cœur. Je vous vois, vous m’êtes présente ; je pense et repense à tout ; ma tête et mon esprit se creusent : mais j’ai beau tourner, j’ai beau chercher ; cette chère enfant que j’aime avec tant de passion est à deux cents lieues, je ne l’ai plus. Sur cela je pleure sans pouvoir m’en empêcher ; je n’en puis plus, ma chère bonne : voilà qui est bien foible, mais pour moi, je ne sais point être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre. Le hasard peut faire qu’elle viendra mal à propos, et qu’elle ne sera peut-être pas lue de la manière qu’elle est écrite. À cela je ne sais point de remède ; elle sert toujours à me soulager présentement ; c’est tout ce que je lui demande. L’état où ce lieu-ci m’a mise est une chose incroyable. Je vous prie de ne me point parler de mes foiblesses ; mais vous devez les aimer et respecter mes larmes, qui viennent d’un cœur tout à vous.

Jeudi saint 26e mars.

Si j’avois autant pleuré mes péchés que j’ai pleuré pour vous depuis que je suis ici, je serois fort bien disposée pour faire mes pâques et mon jubilé[328]. J’ai passé ici le temps que j’avois résolu, de la manière dont je l’avois imaginé, à la réserve de votre souvenir, qui m’a plus tourmentée que je ne l’avois prévu. C’est une chose étrange qu’une imagination vive, qui représente toutes choses comme si elles étoient encore : sur cela on songe au présent, et quand on a le cœur comme je l’ai, on se meurt. Je ne sais où me sauver de vous : notre maison de Paris m’assomme encore tous les jours, et Livry m’achève. Pour vous, c’est par un effet de mémoire que vous pensez à moi : la Provence n’est point obligée de me rendre à vous, comme ces lieux-ci doivent vous rendre à moi. J’ai trouvé de la douceur dans la tristesse que j’ai eue ici : une grande solitude, un grand silence, un office triste, des ténèbres chantées avec dévotion (je n’avois jamais été à Livry la semaine sainte), un jeûne canonique, et une beauté dans ces jardins, dont vous seriez charmée : tout cela m’a plu. Hélas ! que je vous y ai souhaitée ! Quelque difficile que vous soyez sur les solitudes, vous auriez été contente de celle-ci ; mais je m’en retourne à Paris par nécessité ; j’y trouverai de vos lettres, et je veux demain aller à la Passion du P. Bourdaloue ou du P. Mascaron ; j’ai toujours honoré les belles passions. Adieu, ma chère Comtesse : voilà ce que vous aurez de Livry ; j’achèverai cette lettre à Paris. Si j’avois eu la force de ne vous point écrire d’ici, et de faire un sacrifice à Dieu de tout ce que j’y ai senti, cela vaudroit mieux que toutes les pénitences du monde ; mais, au lieu d’en faire un bon usage, j’ai cherché de la consolation à vous en parler : ah ! ma bonne, que cela est foible et misérable ! 1671

À Paris, vendredi saint 27e mars.

J’ai trouvé ici un gros paquet de vos lettres ; je ferai réponse aux hommes quand je ne serai du tout si dévote : en attendant, embrassez votre cher mari pour l’amour de moi ; je suis touchée de son amitié et de sa lettre. Je suis bien aise de savoir que le pont d’Avignon soit encore sur le dos du Coadjuteur ; c’est donc lui qui vous y a fait passer ; car pour le pauvre Grignan, il se noyoit par dépit contre vous ; il aimoit autant mourir que d’être avec des gens si déraisonnables. Le Coadjuteur est perdu d’avoir encore ce crime avec tant d’autres. Je suis très-obligée à Bandol de m’avoir fait une si agréable relation. Mais d’où vient, ma bonne, que vous craignez qu’une autre lettre n’efface la vôtre ? Vous ne l’avez pas relue ; car pour moi, qui les lis avec attention, elle m’a fait un plaisir sensible, un plaisir à n’être effacé par rien, un plaisir trop agréable pour un jour comme aujourd’hui. Vous contentez ma curiosité sur mille choses que je voulois savoir. Je me doutois bien que les prophéties auroient été entièrement fausses à l’égard de Vardes ; je me doutois bien aussi que vous n’auriez fait aucune incivilité. Je me doutois bien encore de l’ennui que vous avez, et ce qui vous surprendra, c’est que, quelque aversion que je vous aie-toujours vue pour les narrations, j’ai cru que vous aviez trop d’esprit pour ne pas voir qu’elles sont quelquefois agréables et nécessaires. Je crois aussi qu’il n’y a rien qu’il faille entièrement bannir de la conversation, et qu’il faut que le jugement et les occasions y fassent entrer tour à tour ce qui est le plus à propos, —Je ne sais pourquoi vous nous dites que vous ne contez pas bien ; je ne connois personne qui attache plus que vous : ce n’est pas une sorte de tour dans l’esprit à souhaiter uniquement ; mais quand cela y est attaché, et qu’on le fait agréablement, je pense qu’on doit être bien aise de s’en acquitter comme vous faites.

Je tremble quand je songe que votre affaire pourroit ne pas réussir. Il faut que M. le premier président fasse l’impossible. Je ne sais plus où j’en suis de Monsieur de Marseille ; vous avez très-bien fait de soutenir le personnage d’amie, il faut voir s’il en sera digne.

Si j’avois présentement un verre d’eau sur la tête, il n’en tomberoit pas une goutte. Si vous aviez vu votre homme de Livry le jeudi saint, c’est bien pis que toute l’année. Il avoit hier la tête plus droite qu’un cierge, et ses pas étoient si petits qu’il ne sembloit pas qu’il marchât[329].

J’ai entendu la Passion du Mascaron, qui en vérité a été très-belle et très-touchante. J’avois grande envie de me jeter dans le Bourdaloue ; mais l’impossibilité m’en a ôté le goût : les laquais y étoient dès mercredi, et la presse étoit à mourir. Je savois qu’il devoit redire celle que M. de Grignan et moi entendîmes l’année passée aux Jésuites ; et c’étoit pour cela que j’en avois envie : elle étoit parfaitement belle, et je ne m’en souviens que comme d’un songe. Que je vous plains d’avoir eu un méchant prédicateur ! Mais pourquoi cela vous fait-il rire ? J’ai envie de vous dire encore ce que je vous dis une fois : « Ennuyez-vous, cela est si méchant. »

Je n’ai jamais pensé que vous ne fussiez pas très-bien avec M. de Grignan ; je ne crois pas avoir témoigné que j’en doutasse. Tout au plus je souhaitois d’en entendre un mot de lui ou de vous, non point par manière de nouvelle, mais pour me confirmer une chose que je souhaite avec tant de passion. La Provence ne seroit pas supportable sans cela, et je comprends bien les craintes qu’il a de vous y voir languir et mourir d’ennui. Nous avons, lui et moi, les mêmes symptômes. Il me mande que vous m’aimez : je pense que vous ne doutez pas que ce ne me soit une chose agréable au delà de tout ce que je puis souhaiter en ce monde ; et par rapport à vous, jugez de l’intérêt que je prends à votre affaire. C’en est fait présentement, et je tremble d’en apprendre le succès.

Le maréchal d’Albret[330] a gagné un procès de quarante mille livres de rente en fonds de terre. Il rentre dans tout le bien en fonds de ses grands-pères, et ruine tout le Béarn. Vingt familles avoient acheté et revendu ; il faut rendre tout cela avec tous les fruits depuis cent ans : c’est une épouvantable affaire pour les conséquences. Adieu, ma très-chère ; je voudrois bien savoir quand je ne penserai plus tant à vous et à vos affaires. Il faut répondre :

      Comment vous le pourrois-je dire ?
Rien n’est plus incertain que l’heure de la mort[331].

Je suis fâchée contre votre fille ; elle me reçut mal hier ; elle ne voulut jamais rire. Il me prend quelquefois envie de la mener en Bretagne pour me divertir. Adieu, petit démon qui me détournez ; je devrois être à ténèbres il y a plus d’une heure.

Mon cher Grignan, je vous embrasse. Je ferai réponse à votre jolie lettre.

Je vous remercie, ma bonne, de tous les compliments que vous faites ; je les distribue à propos ; on vous en fait toujours cent mille. Vous êtes toute vive partout. Je suis ravie de savoir que vous êtes belle ; je voudrois bien vous baiser ; mais quelle folie de mettre toujours cet habit bleu !


150. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 1er avril.

Je revins hier de Saint-Germain[332]. J’étois avec Mme d’Arpajon. Le nombre de ceux qui me demandèrent de vos nouvelles est aussi grand que celui de tous ceux qui composent la cour. Je pense qu’il est bon de distinguer la Reine, qui fit un pas vers moi, et me demanda des nouvelles de ma fille, et qu’elle avoit ouï dire que vous aviez pensé vous noyer. Je la remerciai de l’honneur qu’elle vous faisoit de se souvenir de vous. Elle reprit la parole, et me dit : « Contez-moi comme elle a pensé périr. » Je me mis à lui conter cette belle hardiesse de vouloir traverser le Rhône par un grand vent, et que ce vent vous avoit jetée rapidement sous une arche, à deux doigts du pilier, où vous auriez péri mille fois, si vous y aviez touché. Elle me dit : « Et son mari étoit-il avec elle ? — Oui, Madame, et Monsieur le Coadjuteur aussi. — Vraiment ils ont grand tort, » et fit des hélas, et dit des choses très-obligeantes pour vous. Il vint ensuite bien des duchesses, entre autres la jeune Ventadour, très-belle et jolie. On fut quelques moments sans lui apporter ce divin tabouret. Je me tournai vers le grand maître[333], et je dis : « Hélas ! que l’on le lui donne, il lui coûte assez cher[334]. » Il fut de mon avis.

Au milieu du silence du cercle, la Reine se tourne, et me dit : « À qui ressemble votre petite-fille ? — Madame, lui dis-je, elle ressemble à M. de Grignan. » Elle fit un cri : « J’en suis fâchée, » et me dit doucement : « Elle auroit mieux fait de ressembler à sa mère ou à sa grand’mère. » Voilà comme vous me faites faire ma cour, ma pauvre bonne.

Le maréchal de Bellefonds m’a fait promettre de le tirer de la presse. M. et Mme de Duras, à qui j’ai fait vos compliments, MM. de Charost et de Montausier, et tutti quanti, vous les rendent au centuple. J’ai donné votre lettre à Monsieur de Condom. J’oubliois Monsieur le Dauphin et Mademoiselle. Je lui ai parlé de Segrais, à la romaine, prenant son parti ; mais elle n’est pas traitable sur ce qui touche à neuf cents lieues près de la vue d’un certain cap, d’où l’on découvre les terres de Micomicon[335]. J’ai vu Mme de Ludres[336] ; elle me vint aborder

avec une surabondance d’amitié qui me surprit ; elle me parla de vous sur le même ton ; et puis tout d’un coup, comme je pensois lui répondre, je trouvai qu’elle ne m’écoutoit plus, et que ses beaux yeux trottoient par la chambre : je le vis promptement, et ceux qui virent que je le voyois me surent bon gré de l’avoir vu, et se mirent à rire. Elle a été plongée dans la mer[337], la mer l’a vue toute nue, et sa fierté en est augmentée : j’entends de la mer ; car pour la belle, elle en est fort humiliée.

Les coiffures hurlubrelu m’ont fort divertie, il y en a que l’on voudroit souffleter. La Choiseul[338] ressembloit, comme dit Ninon, à un printemps d’hôtellerie[339] comme deux gouttes d’eau : cette comparaison est excellente. Mais qu’elle est dangereuse, cette Ninon ! Si vous saviez comme elle dogmatise sur la religion, cela vous feroit horreur. Son zèle pour pervertir les jeunes gens est pareil à celui d’un certain M. de Saint-Germain[340], que nous avons vu une fois à Livry. Elle trouve que votre frère a la simplicité de la colombe ; il ressemble à sa mère. C’est Mme de Grignan qui a tout le sel de la maison, et qui m’est pas si sotte que d’être dans cette docilité. Quelqu’un pensa prendre votre parti, et voulut lui ôter l’estime qu’elle a pour vous : elle le fit taire, et dit qu’elle en savait plus que lui. Quelle corruption ! Quoi ! parce qu’elle vous trouve belle et spirituelle, elle veut joindre à cela cette autre bonne qualité, sans laquelle, selon ses maximes, on ne peut être parfaite ? Je suis vivement touchée du mal qu’elle fait à mon fils sur ce chapitre : ne lui en mandez rien ; nous faisons nos efforts, Mme de la Fayette et moi, pour le dépêtrer d’un engagement si dangereux. Il y a de plus une petite comédienne[341], et les Despréaux et les Racine avec elle ; ce sont des soupers délicieux, c’est-à-dire des diableries[342]. Il s’étourdit sur les sermons du P. Mascaron ; il lui faudroit votre minime[343]. Je n’ai jamais rien vu de si plaisant que ce que vous m’écrivez là-dessus : je l’ai lu à M. de la Rochefoucauld ; il en a ri de tout son cœur. Il vous mande qu’il y a un certain apôtre qui court après sa côte, et qui voudroit bien se l’approprier comme son bien ; mais il n’a pas l’art de suivre les grandes entreprises. Je pense que Merlusine est dans un trou ; nous n’en entendons pas dire un seul mot. Il vous dit encore que s’il avoit seulement trente ans de moins que ce qu’il a, il en voudroit fort à la troisième côte[344] de M. de Grignan. L’endroit où vous dites qu’il a deux côtes rompues le fit éclater. Nous vous souhaitons toujours quelque sorte de folie qui vous divertisse ; mais nous craignons bien que celle-là n’ait été meilleure pour nous que pour vous. Après tout, nous vous plaignons de n’entendre parler de Dieu que de cette sorte. Ah ! le Bourdaloue. Il fit, à ce qu’on m’a dit, une Passion plus parfaite que tout ce qu’on peut imaginer : c’étoit celle de l’année passée, qu’il avoit rajustée, selon ce que ses amis lui avoient conseillé, afin qu’elle fût inimitable. Comment peut-on aimer Dieu, quand on n’en entend jamais bien parler ? Il vous faut des grâces plus particulières qu’aux autres. Nous entendîmes l’autre jour l’abbé de Montmor[345] ; je n’ai jamais ouï un si beau jeune sermon ; je vous en souhaiterois autant à la place de votre minime. Il fit le signe de la croix, il dit son texte ; il ne nous gronda point, il ne nous dit point d’injures ; il nous pria de ne point craindre la mort, puisqu’elle étoit le seul passage que nous eussions pour ressusciter avec Jésus-Christ. Nous le lui accordâmes ; nous fûmes tous contents. Il n’a rien qui choque : il imite Monsieur d’Agen[346] sans le copier ; il est hardi, il est modeste, il est savant, il est dévot ; enfin j’en fus contente au dernier point.

Mme de Vauvineux vous rend mille grâces ; sa fille a été très-mal. Mme d’Arpajon vous embrasse mille fois, et surtout M. le Camus[347] vous adore ; et moi, ma pauvre bonne, que pensez-vous que je fasse ? Vous aimer, penser à vous, m’attendrir à tout moment plus que je ne voudrois, m’occuper de vos affaires, m’inquiéter de ce que vous pensez ; sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s’il étoit possible ; écumer votre cœur, comme j’écumois votre chambre des fâcheux dont je la voyois remplie ; en un mot, ma bonne, comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même : voilà comme je suis. C’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression. Moi je la répète, et sans la profaner jamais, je la sens tout entière en moi, et cela est vrai.

Je reçois, ma bonne, votre grande et très-aimable lettre du 24e. M. de Grignan est plaisant de croire qu’on ne les lit qu’avec peine ; il se fait tort. Veut-il que nous croyions qu’il n’a pas toujours lu les vôtres avec transport ? Si cela n’étoit pas, il en étoit bien indigne. Pour moi, je les aime jusqu’à la folie ; je les lis et les relis ; elles me réjouissent le cœur ; elles me font pleurer ; elles sont écrites à ma fantaisie. Une seule chose ne va pas bien : il n’y a pas de raison à toutes les louanges que vous me donnez ; il n’y en a point aussi à la longueur de cette lettre ; il faut la finir, et mettre des bornes à ce qui n’en auroit point, si je me croyois. Adieu, ma très-aimable bonne, comptez bien sur ma tendresse, qui ne finira jamais.


1671

151. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 3e avril.

Voilà une infinité de lettres que je vous conjure de distribuer. Je souhaite que les deux qui sont ouvertes vous plaisent ; elles sont écrites d’un trait : vous savez que je ne reprends guère que pour faire plus mal. Si nous étions plus près, je pourrois les raccommoder à votre fantaisie, dont je fais grand cas mais de si loin, que faire ? Vous m’avez ravie d’écrire à M. le Camus ; votre bon sens a fait comme si Castor et Pollux vous avoient porté ma pensée : voilà ses réponses. La lettre que votre frère vous écrit nous fit hier rire chez M. de la Rochefoucauld. Je vis Monsieur le Duc[348] chez Mme de la Fayette. Il me demanda de vos nouvelles avec empressement ; il me pria de vous dire qu’il s’en va aux états de Bourgogne[349], et qu’il jugera par l’ennui qu’il aura dans son triomphe de celui que vous aurez eu dans le vôtre. Mme de Brissac[350] arriva ; il y a entre eux un air de guerre ou de mauvaise paix qui nous réjouit. Nous trouvâmes qu’ils jouoient aux petits soufflets, comme vous y jouiez autrefois avec lui. Il y a un air d’agacerie au travers de tout cela, qui divertit ceux qui observent. La Marans arriva là-dessus ; elle sentoit la chair fraîche[351]. Sans nous être concertées, Mme de la Fayette et moi, voici ce que nous lui répondîmes, quand elle nous pria qu’elle pût venir avec mous passer le soir chez son fils[352]. Elle me dit : « Madame, vous pourrez bien me remener, n’est-il pas vrai ? — Pardonnez-moi, Madame ; car il faut que je passe chez Mme du Puy-du-Fou. » Menterie, j’y avais déjà été. Elle s’en va à Mme de la Fayette : « Madame, lui dit-elle, mon fils me renverra bien ? — Non, Madame, il ne le pourra pas, il vendit hier ses chevaux au marquis de Ragni[353]. » Menterie, c’étoit un marché en l’air. Un moment après, Mme de Schomberg[354] la vint reprendre, quoiqu’elle ne la puisse pas vendre[355], et elle fut contrainte de s’en aller, et de quitter une représentation d’amour, et l’espérance de voir son fils avec nous. Elle emporta tout cela sur son cœur avec la rage pêle-mêle ; et puis Mme de la Fayette et moi, nous vous consacrâmes nos deux réponses, ne voulant perdre aucune occasion d’offrir à votre vengeance nos brutalités pour elle. Je me suis chargée de vous rendre compte de celle-ci ; nous souhaitons qu’elle vous réjouisse autant que nous. Je m’en vais dîner en Lavardin. Je fermerai ma lettre ce soir ; mais en vérité je ne veux pas la faire longue, vous me paroissez accablée.

Vendredi au soir.

J’ai dîné en lavardinage, c’est-à-dire, en bavardinage : je n’ai jamais rien vu de pareil. Mme de Brissac ne nous a pas consolés de M. de la Rochefoucauld ni de Benserade, quoiqu’elle fût dans ses belles humeurs.

Le Roi a voulu que Mme de Longueville se raccommodât avec Mademoiselle. Elles se sont trouvées aujourd’hui aux Carmélites, et cette réconciliation s’est faite[356]. Mademoiselle a donné cinquante mille francs à Guilloire ; nous voudrions bien qu’elle en donnât autant à Segrais. M. le marquis d’Ambres[357] est enfin reçu à l’autre lieutenance de Roi de Guyenne, moyennant deux cent mille francs. Je ne sais si son régiment[358] entre en payement ; je vous le manderai.

Adieu, ma très-aimable enfant ; je ne veux point vous fatiguer, il y a raison partout.


152. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE MADAME DE LA TROCHE À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce samedi 4e avril.
de madame de sévigné.

Je vous mandai l’autre jour[359] la coiffure de Mme de Nevers, et dans quel excès la Martin avoit poussé cette mode ; mais il y a une certaine médiocrité qui m’a charmée, et qu’il faut vous apprendre, afin que vous ne vous amusiez plus à faire cent petites boucles sur vos oreilles, qui sont défrisées en un moment, qui siéent mal, et qui ne sont non plus à la mode présentement, que la coiffure de la reine Catherine de Médicis. Je vis hier la duchesse de Sully et la comtesse de Guiche[360] ; leurs têtes sont charmantes : je suis rendue. Cette coiffure est faite justement pour votre visage ; vous serez comme un ange, et cela est fait en un moment. Tout ce qui me fait de la peine, c’est que cette fontaine de la tête[361] découverte me fait craindre pour les dents. Voici ce que Trochanire[362] qui vient de Saint-Germain, et moi, allons vous faire entendre si nous pouvons. Imaginez-vous une tête blonde partagée à la paysanne jusqu’à deux doigts du bourrelet : on coupe ses cheveux de chaque côté, d’étage en étage, dont on fait de grosses boucles rondes et négligées, qui ne viennent point plus bas qu’un doigt au-dessous de l’oreille ; cela fait quelque chose de fort jeune et de fort joli, et comme deux gros bouquets de cheveux de chaque côté. Il ne faut pas couper les cheveux trop court ; car comme il faut les friser naturellement, les boucles qui en emportent beaucoup ont attrapé plusieurs dames, dont l’exemple doit faire trembler les autres. On met les rubans comme à l’ordinaire, et une grosse boucle nouée entre le bourrelet et la coiffure ; quelquefois on la laisse traîner jusque sur la gorge. Je ne sais si nous vous avons bien représenté cette mode[363] ;

je ferai coiffer une poupée pour vous envoyer ; et puis, au bout de tout cela, je meurs de peur que vous ne daigniez point prendre toute cette peine, et que vous ne mettiez une coiffe jaune comme une petite chère[364]. Ce qui est vrai, c’est que la coiffure que fait Montgobert n’est plus supportable. Du reste, consultez votre paresse et vos dents ; mais ne m’empêchez pas de souhaiter de pouvoir vous voir coiffée ici comme les autres. Je vous vois, vous me paroissez, et cette coiffure est faite pour vous ; mais qu’elle est ridicule à de certaines dames, dont l’âge ou la beauté ne conviennent pas !

de madame de la troche.

Madame de Sévigné a voulu avoir l’avantage de vous décrire cette coiffure ; mais, ma belle, c’est moi qui lui ai dicté. Madame, vous serez ravissante ; tout ce que je crains, c’est que vous ayez regret à vos cheveux. Pour vous fortifier, je vous apprends que la Reine, et tout ce qu’il y a de filles et de femmes qui se coiffent à Saint-Germain, achevèrent de se les faire couper hier par la Vienne[365] ; car c’est lui et Mlle de la Borde qui ont fait

toutes les exécutions. Mme de Crussol[366] vint lundi à Saint-Germain, coiffée à la mode ; elle alla au coucher de la Reine, et lui dit : « Madame, Votre Majesté a donc pris notre coiffure ? — Votre coiffure, Madame ? lui répliqua la Reine. Je vous assure que je ne veux point prendre votre coiffure ; je me suis fait couper les cheveux, parce que le Roi les trouve mieux ainsi, mais ce n’est point pour prendre votre coiffure. » On fut un peu surpris du ton avec lequel la Reine lui répondit. Mais regardez un peu aussi où elle alloit prendre que c’étoit sa coiffure, parce que c’est celle de Mme de Montespan, de Mme de Nevers, et de la petite de Thianges[367], et de deux ou trois autres beautés charmantes qui l’ont hasardée les premières. Je vous ai vue vingt fois prête à l’inventer ; cela me fait croire que vous n’aurez point de peine à comprendre ce que nous vous en écrivons. Mme de Soubise[368], qui craint pour ses dents, parce qu’elle a déjà été une fois attrapée aux coiffures à la paysanne, ne s’est point fait couper les cheveux : et Mlle de la Borde lui a fait une coiffure qui est tout aussi bien que les autres par les côtés ; mais le dessus de sa tête n’a garde d’être galant, comme celles dont on voit la racine des cheveux. Enfin, ma pauvre Madame, il n’est point question d’autre chose à Saint-Germain ; moi, qui ne me veux point faire couper les cheveux, je suis ennuyée à la mort d’en entendre parler.

de madame de sévigné.

Cette lettre est écrite hors d’œuvre chez Trochanire. La Comtesse[369] vous embrasse mille fois ; le Comte[370], que j’ai vu tantôt, en voudroit bien faire autant : je lui ai dit votre souvenir, et je le dirai à tous ceux que je trouverai en mon chemin.

Après tout, nous ne vous conseillons point de faire couper vos beaux cheveux ; et pour qui ? bon Dieu ! Cette mode durera peu ; elle est mortelle pour les dents. Taponnez-vous seulement par grosses boucles, comme vous faites quelquefois ; car les petites boucles rangées de Montgobert sont justement du temps du roi Guillemot[371].



1671

153. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce mercredi 8e avril.

Je commence à recevoir vos lettres le dimanche : c’est signe que le temps est beau. Mon Dieu, ma bonne, que vos lettres sont aimables ! il y a des endroits dignes de l’impression : un de ces jours vous trouverez qu’un de vos amis vous aura trahie. Vous êtes en dévotion, vous avez trouvé nos pauvres sœurs de Sainte-Marie[372], vous y avez une cellule ; mais ne vous y creusez point trop l’esprit ; les rêveries sont quelquefois si noires, qu’elles font mourir : vous savez qu’il faut un peu glisser sur les pensées : vous trouverez de la douceur dans cette maison, dont vous êtes la maîtresse.

J’admire la manière de vos dames pour la communion ; elle est extraordinaire ; pour moi, je ne pourrois pas m’y accoutumer. Je crois que vous en baisserez davantage vos coiffes. Je comprends que vous auriez bien moins de peine à ne vous point friser qu’à vous taire de ce que vous voyez. La description des cérémonies est une pièce achevée ; mais savez-vous bien qu’elle m’échauffe le sang, et que j’admire que vous y puissiez résister ? Vous croyez que je serois admirable en Provence, et que je ferois des merveilles sur ma petite bonté[373]. Point du tout, je serois brutale ; la déraison me pique, et le manque de bonne foi m’offense. Je leur dirois : « Madame, voyons donc à quoi nous en sommes ; faut-il vous reconduire ? Ne m’en empêchez donc point, et ne perdons pas notre temps et notre poumon. Si vous ne le voulez point, trouvez bon que je n’en fasse point les façons ; » et si elles ne vouloient pas, je leur ferois tout haut votre compliment intérieur. Je ne m’étonne pas si cette sorte de manège vous impatiente ; j’y ferois moins bien que vous.

Parlons un peu de votre frère : il a eu son congé de Ninon. Elle s’est lassée d’aimer sans être aimée ; elle a redemandé ses lettres, on les a rendues : j’ai été fort aise de cette séparation. Je lui disois toujours un petit mot de Dieu, et le faisois souvenir de ses bons sentiments passés, et le priois de ne point étouffer le Saint-Esprit dans son cœur. Sans cette liberté de lui dire en passant quelque mot, je n’aurois pas souffert cette confidence dont je n’aurois que faire. Mais ce n’est pas tout : quand on rompt d’un côté, on croit se racquitter de l’autre ; on se trompe. La jeune merveille[374] n’a pas rompu, mais je crois qu’elle rompra. Voici pourquoi : mon fils vint hier me chercher du bout de Paris pour me dire l’accident qui lui étoit arrivé. Il avoit trouvé une occasion favorable, et cependant, oserois-je le dire ? son dada demeura court à Lérida[375]. Ce fut une chose étrange ; la demoiselle ne s’étoit jamais trouvée à telle fête : le cavalier en désordre sortit en déroute, croyant être ensorcelé ; et ce qui vous paroîtra plaisant, c’est qu’il mouroit d’envie de me conter sa déconvenue. Nous rimes fort ; je lui dis que j’étois ravie qu’il fût puni par où il avoit péché. Il s’est pris à moi, et me dit que je lui avois donné de ma glace, qu’il se passeroit fort bien de cette ressemblance, que j’aurois bien mieux fait de la donner à ma fille. Il vouloit que Pecquet le restaurât ; il disoit les plus folles choses du monde, et moi aussi : c’étoit une scène digne de Molière. Ce qui est vrai, c’est qu’il a l’imagination tellement bridée, que je crois qu’il n’en reviendra pas sitôt. J’eus beau l’assurer que tout l’empire amoureux est rempli d’histoires tragiques : il ne peut se consoler. La petite Chimène dit qu’elle voit bien qu’il ne l’aime plus, et se console ailleurs. Enfin c’est un désordre qui me fait rire, et que je voudrois de tout mon cœur qui le pût retirer d’un état si malheureux à l’égard de Dieu.

Il me contoit l’autre jour qu’un comédien vouloit se marier, quoiqu’il eût un certain mal un peu dangereux ; et son camarade lui dit : « Eh, morbleu ! attends que tu sois guéri, tu nous perdras tous. » Cela m’a paru fort épigramme[376].

Ninon disoit l’autre jour à mon fils qu’il étoit une vraie citrouille fricassée dans la neige. Vous voyez ce que c’est que de voir bonne compagnie ; on apprend mille gentillesses.

Je n’ai point encore loué votre appartement, quoiqu’il vienne tous les jours des gens pour le voir, et que je l’aie laissé pour moins de cinq cents écus.

Pour votre enfant, voici de ses nouvelles. Je la trouvai pâle ces jours passés. Je trouvai que jamais les tetons de sa nourrice ne s’enfuyoient ; la fantaisie me prit de croire qu’elle n’avoit pas assez de lait. J’envoyai querir Pecquet, qui trouva que j’étois fort habile, et me dit qu’il falloit voir encore quelques jours. Il revint au bout de deux ou trois ; il trouva que la petite diminuoit. Je vais chez Mme du Puy-du-Fou ; elle vient ici, elle trouve la même chose ; mais parce qu’elle ne conclut jamais, elle disoit qu’il falloit voir. « Et quoi voir, lui dis-je, Madame ? » Je trouve par hasard une femme de Sucy[377] qui me dit qu’elle connoissoit une nourrice admirable : je l’ai fait venir ; ce fut samedi. Dimanche, j’allai chez Mme de Bournonville[378], lui dire le déplaisir que j’avois d’être obligée de lui rendre sa jolie nourrice. M. Pecquet étoit avec moi, qui dit l’état de l’enfant. L’après-dînée, une demoiselle de Mme de Bournonville vint au logis, et sans rien dire du sujet de sa venue, elle prie la nourrice de venir faire un tour[379] chez Mme de Bournonville. Elle y va, on l’emmène le soir. On lui dit qu’elle ne retourneroit plus ; elle se désespère. Le lendemain, je lui envoie dix louis d’or pour quatre mois et demi. Voilà qui est fait. Je fus chez Mme du Puy-du-Fou, qui m’approuva ; et pour la petite, je la mis dès dimanche entre les mains de l’autre nourrice. Ce fut un plaisir de la voir teter ; elle n’avoit jamais teté de cette sorte. Sa nourrice avoit peu de lait ; celle-ci en a comme une vache. C’est une bonne paysanne, sans façon, de belles dents, des cheveux noirs, un teint hâlé, âgée de vingt-quatre ans ; son lait a quatre mois ; son enfant est beau comme un ange. Pecquet est ravi de songer que la petite n’a plus de besoin ; on voyoit qu’elle en avait et qu’elle cherchoit toujours. J’ai acquis une grande réputation dans cette occasion ; je suis du moins comme l’apothicaire de Pourceaugnac, expéditive[380]. Je ne dormois plus en repos de songer que la petite languissoit, et du chagrin aussi d’ôter cette jolie femme, qui pour sa personne étoit à souhait ; il ne lui manquoit rien que du lait. Je donne à celle-ci deux cent cinquante livres par an, et je l’habillerai, mais ce sera fort modestement. Voilà comme nous disposons de vos affaires.

Je pars à peu près dans un mois, ou cinq semaines. Ma tante demeure ici, qui sera ravie d’avoir cet enfant : elle ne va point cette année à la Trousse[381]. Si la nourrice étoit femme à quitter de loin son ménage, je crois que je la mènerois en Bretagne ; mais elle ne vouloit seulement pas venir à Paris. Votre petite devient aimable, on s’y attache. Elle sera dans quinze jours une pataude blanche comme de la neige, qui ne cessera de rire. Voilà, ma bonne, de terribles détails. Vous ne me reconnoissez plus, me voilà une vraie commère ; je m’en vais régenter dans mon quartier. Pour vous dire le vrai, c’esL que je suis une autre personne, quand je suis chargée d’une chose toute seule, ou que je la partage avec plusieurs. Ne me remerciez de rien ; gardez vos cérémonies pour vos dames. J’aime votre petit ménage tendrement ; ce m’est un plaisir et point du tout une charge, ni à vous assurément : je ne m’en aperçois pas. Ma tante a bien fait aussi ; elle est venue avec moi en bien des lieux ; remerciez-la, et contez tout ceci à la petite Deville ; je voulois lui écrire. Dites aussi un mot pour Segrais dans votre première lettre.

Une Mme de la Guette[382], qui m’a donné la nourrice, vous prie de savoir de M. le cardinal de Grimaldi[383] s’il vouloit souffrir à Aix la fondation des Filles de la Croix, qui instruisent des jeunes filles, et dont on reçoit en plusieurs villes une fort grande utilité[384]. N’oubliez pas de répondre à ceci.

La Marans disoit l’autre jour chez Mme de la Fayette : « Ah, mon Dieu ! il faut que je me fasse couper les cheveux. » Mme de la Fayette lui répondit bonnement : « Ah, mon Dieu ! Madame, ne le faites point, cela ne sied bien qu’aux jeunes personnes. » Si vous n’aimez ces traits-là, dites mieux.

M. d’Ambres donne son régiment au Roi pour quatre-vingt mille francs et cent vingt mille livres : voilà les deux cent mille francs[385]. Il est content d’être hors de l’infanterie, c’est-à-dire de l’hôpital. Eh, mon Dieu ! tâchez bien de l’éviter ; ne faites point si grande chère : on en parle ici comme d’un excès ; M. de Monaco[386] ne s’en peut taire. Mais surtout essayez de vendre une terre[387] ; il n’y a point d’autre ressource pour vous. Je ne pense qu’à vous ; si, par un miracle que je n’espère ni ne veux, vous étiez hors de ma pensée, il me semble que je serois vide de tout, comme une figure de Benoît[388].

Voilà une lettre que j’ai reçue de Monsieur de Marseille. Voilà ma réponse ; je crois qu’elle sera à votre gré, puisque vous la voulez si franche et si sincère, et conforme à cette amitié que vous vous êtes jurée, « dont la dissimulation est le lien, et votre intérêt le fondement. » Cette période est de Tacite ; jamais je n’ai rien vu de si beau. J’entre donc dans ce sentiment, et je l’approuve, puisqu’il le faut.

À neuf heures du soir.

Je reviens fermer mon paquet, après m’être promenée aux Tuileries, avec une chaleur à mourir, et dont je suis triste parce qu’il me semble que vous avez encore plus

de chaud. Je suis revenue chez M. le Camus[389], qui s’en va écrire à M. de Grignan, en lui envoyant la réponse de M. de Vendôme[390]. L’affaire du secrétaire n’a pas été sans difficulté[391]. La civilité qu’a faite M. de Grignan étoit entièrement nécessaire pour cette année : ce qui est fait est fait ; mais pour l’autre, il faut que de bonne foi M. de Grignan soit le solliciteur du secrétaire du gouverneur : autrement il paroîtroit que ce qu’a offert votre mari ne seroit que des paroles ; il faut bien se garder de n’y pas conformer les actions. Il faut aussi captiver Monsieur de Marseille, et lui faire croire qu’il est de vos amis, malgré qu’il en ait, et que ce sera lui qui sera votre homme d’affaires l’année qui vient. J’approuve la conduite que vous voulez avoir avec lui ; je vois bien qu’elle est nécessaire ; je le vois plus que je ne le faisois.


Je reçois présentement votre lettre du 31e mars ; je n’ai point encore trouvé le moyen de les lire sans beaucoup d’émotion. Je vois toute votre vie, et je ne trouve que M. de Grignan qui vous entende. Vous n’êtes donc point belle, vous n’avez guère d’esprit, vous ne dansez point bien ? Hélas ! est-ce ma chère enfant ? J’aurois grand’peine à vous reconnoître sur ce portrait.

Je dirai à M. de la Rochefoucauld toutes les folies que vous dites sur les chanoines[392], et comme vous croyez que c’est de là qu’on a nommé le dévot sexe féminin. Il y a plaisir à vous mander des bagatelles ; vous y répondez très-bien, et je vous embrasse mille fois de me remercier de vos éventails, en prenant part au plaisir que j’ai de vous les donner : ce n’est que cela qui vous les doit rendre aimables. Faites que j’aie des trésors, et vous verrez si je me contenterai de faire avoir des pantoufles de natte à votre nourrice.


Mon cher Grignan, puisque vous trouvez votre femme si belle, conservez-la. C’est assez d’avoir chaud cet été en Provence, sans y être malade. Vous croyez que j’y ferois des merveilles ; je vous assure que je ne suis pas au point que vous pensez là-dessus. La crainte m’est aussi contraire qu’à vous, et je crois que ma fille fait mieux que je ne pourrois faire.


Mme de Villars et toutes celles que vous nommez dans vos lettres vous font tant d’amitiés que je ne finirois point si je les disois toutes ; ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on vous oublie. Adieu. Vous m’embrassez si tendrement ! Pensez-vous que je ne reçoive point vos caresses à bras ouverts ? Pensez-vous que l’amitié puisse jamais aller plus loin que celle que j’ai pour vous ?

Mandez-moi comme vous vous portez le 6e de ce mois. Vos habits si bien faits, cette taille si bien remplie dans son naturel, ô mon Dieu ! conservez-la donc pour mon voyage de Provence. Vous savez bien qu’il ne vous peut manquer. — Je le souhaite plus que vous, mon cher Comte. Embrassez-moi, et croyez que je vous aime et que tout le bonheur de ma fille est en vous.


154. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce jeudi 9e avril.

Voilà M. de Magalotti[393] qui s’en va en Provence, je voudrois bien aller avec lui. Je ne sais s’il sentira bien le plaisir de vous voir ; pour moi, j’y serois fort sensible. Le voilà qui se joue avec ma petite-fille ; il vous trouve fort honnête femme en la regardant : pour moi, qui trouve les Grignans fort beaux, je la trouve fort à mon gré. Je crois que vous serez aise de voir un homme de ce mérite, un homme du monde, un homme avec qui vous parlerez françois et italien, si vous voulez ; un homme dont les perfections sont connues de toute la cour ; un homme enfin, un homme qui vous porte deux paires de souliers de Georget[394]. Que puis-je encore vous dire ? Il s’en va voir Mme de Monaco[395], et je parie que vous lui écrirez par lui. Il dit que sans ma lettre il ne seroit jamais reçu de vous comme il le veut être ; enfin il se moque de moi ; et moi, je l’envie, et je vous embrasse de tout mon cœur, et point du tout pour finir ma lettre.


1671

155. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 10e avril.

Je vous écrivis mercredi par la poste, hier matin par Magalotti, aujourd’hui encore par la poste ; mais hier au soir je perdis une belle occasion. J’allois me promener à Vincennes, en famille et en Troche[396]. Je rencontrai la chaîne des galériens qui partoit pour Marseille ; ils arriveront dans un mois. Rien n’eût été plus sûr que cette voie ; mais j’eus une autre pensée : c’étoit de m’en aller avec eux. Il y a un certain Duval[397], qui me parut homme de bonne conversation. Vous les verrez arriver, et vous auriez été fort agréablement surprise de me voir arriver pêle-mêle avec une troupe de femmes qui vont avec eux. Je voudrois que vous sussiez ce que m’est devenu le mot de Provence, de Marseille, d’Aix ; le Rhône seulement, ce diantre de Rhône, et Lyon, me sont de quelque chose. La Bretagne et la Bourgogne me paroissent sous le pôle, où je ne prends aucun intérêt. Il faut dire comme Coulanges :

          Ô grande puissance
          De mon orviétan[398] !

Vous êtes admirable, ma bonne, de mander à l’abbé[399] qu’il m’empêche de vous faire des présents. Quelle folie ! Hélas ! vous en fais-je ? Un pouvoir au-dessus du sien m’empêche de vous en faire comme je voudrois ; mais ni lui ni personne ne m’ôtera jamais de l’esprit l’envie de vous donner. C’est un plaisir qui m’est sensible, et dont vous feriez très-bien de vous réjouir avec moi, si je me donnois souvent cette joie. Cette manière de me remercier m’a extrêmement plu.

Vos lettres sont admirables : on jureroit qu’elles ne vous sont point dictées par les dames du pays où vous êtes. Je trouve que M. de Grignan, avec tout ce qu’il’vous est déjà, est encore votre vraie bonne compagnie ; c’est lui, ce me semble, qui vous entend. Conservez bien la joie de son cœur par la tendresse du vôtre, et faites votre compte que si vous ne m’aimiez pas tous deux, chacun selon votre degré de gloire, en vérité, vous seriez des ingrats. La nouvelle opinion, qu’il n’y a point d’ingratitude dans le monde, par les raisons que nous avons tant disputées, me paroît la philosophie de Descartes[400], et l’autre est celle d’Aristote. Vous savez l’autorité que je donne à cette dernière ; j’en suis de même pour l’opinion de l’ingratitude. Ceux qui disputent qu’il n’y en a pas voudroient être juges et parties. Vous seriez donc une petite ingrate, ma bonne ; mais par un bonheur qui fait ma joie, je vous en trouve éloignée, et cela fait aussi que, sans aucune retenue, je m’abandonne d’une étrange façon à m’approuver dans les sentiments que j’ai pour vous. Adieu, ma très-aimable bonne : je m’en vais fermer cette lettre ; je vous en écrirai encore une ce soir, où je vous rendrai compte de ma journée. Nous espérons tous les jours louer votre maison[401] ; vous croyez bien que je n’oublie rien de ce qui vous touche : je suis sur cela comme les gens les plus intéressés sont pour eux-mêmes.

Vendredi au soir.

Je fais mon paquet chez M. de la Rochefoucauld, qui vous embrasse de tout son cœur. Il est ravi de la réponse que vous faites aux chanoines et au P. Desmares[402]. Il vous prie de croire que vous êtes encore toute vive dans son souvenir. S’il apprend quelques nouvelles dignes de vous, il vous les fera savoir. Il est dans son hôtel de la Rochefoucauld, n’ayant plus d’espérance de marcher. Son château en Espagne, c’est de se faire porter dans les maisons, ou dans son carrosse pour prendre l’air. Il parle d’aller aux eaux : je tâche de l’envoyer à Digne, et d’autres à Bourbon. J’ai dîné en Bavardin[403], mais si purement que j’en ai pensé mourir. Tous nos commensaux nous ont fait faux bond ; nous n’avons fait que bavardiner, et nous n’avons point causé comme les autres jours. J’ai été chez Mademoiselle, qui est toujours malade[404]. Brancas versa, il y a trois ou quatre jours, dans un fossé. Il s’y établit si bien, qu’il demanda à ceux qui allèrent le secourir ce qu’ils desiroient de son service. Toutes ses glaces étoient cassées, sa tête l’auroit été, s’il n’étoit plus heureux que sage. Toute cette aventure n’a fait nulle distraction à sa rêverie. Je lui ai mandé ce matin que je lui apprenois qu’il avait versé, qu’il avoit pensé se rompre le cou, qu’il étoit le seul dans Paris qui ne sût point cette nouvelle, que je lui apprenois l’inquiétude que j’en avois eue : j’attends sa réponse.

Voilà Mme la Comtesse[405] et Briole[406], qui vous font trois cents compliments.

Adieu, ma très-chère enfant ; je m’en vais fermer mon paquet. Je suis assurée que vous ne doutez pas de mon amitié, c’est pourquoi je ne vous en dirai rien ce soir.

Mme la Comtesse[407] ne peut pas voir une lettre qui vous va trouver sans y mettre quelque chose d’elle, quand ce ne seroit qu’un compliment sur les cinq mille francs d’augmentation[408]. De l’humeur dont vous la connoissez, vous jugez aisément qu’elle trouve un compliment mieux fondé sur les cinq mille francs, que sur cinq cent mille adorations et autant de harangues que vos perfections et vos dignités vous ont attirées.



1671

156. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Paris, dimanche 12e avril.

Je vous écris tous les jours ; c’est une joie pour moi, qui me rend très-favorable à tous ceux qui me demandent des lettres : ils veulent en avoir pour paroître devant vous, et moi, je ne demande pas mieux. Celle-ci vous sera rendue par M. de… je veux mourir si je sais son nom ; mais enfin c’est un fort honnête homme qui me paroît avoir de l’esprit, que nous avons vu ici ensemble. Son visage vous est connu ; pour moi, je n’ai pas eu l’esprit d’appliquer son nom. N’allez pas prendre patron sur mes lettres : ma bonne, je vous en ai écrit depuis peu d’infinies. Les vôtres sont d’une grandeur qui m’étonne déjà assez ; je ne sais quand je m’ennuierai en les lisant. Si M. de Grignan, qui dit qu’on ne peut aimer les longues lettres, avoit jamais eu cette pensée quand il recevoit les vôtres, je présenterois requête pour vous séparer, et j’irois vous ôter à lui, au lieu d’aller en Bretagne. Je fus hier au soir brouillée avec Brancas pour avoir dit, à ce qu’il dit, une grossièreté sur l’amitié, que personne n’entendit et que je ne sentis pas moi-même : c’étoit le couronnement du crime ; il sortit dans une colère véritable. Ce sont des délicatesses incommodes, je ne les ai pas pour lui, et ne les ai que trop pour une certaine beauté que j’aime plus que ma vie, et que j’embrasse de tout mon cœur.


1671

157. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce mercredi 15e avril.

J’achèverai cette lettre quand il plaira à Dieu : je la commence trois jours avant qu’elle parte, parce que je viens de recevoir la lettre que vous m’écrivez par Gacé[409], avec des gants dont je vous remercie mille fois. Je les aime, je les trouve bons ; votre souvenir me charme. Ils ne vous coûtent rien, c’est ce qui me plaît ; je crois même qu’ils seront assez grands. Enfin, ma bonne, vous êtes trop aimable ; mais si vous m’aimez, n’achetez jamais rien pour me donner.

Vous avez mal à la langue : n’est-ce point que vous allez être malade comme je le souhaite ? Si cela est, je m’en réjouis : ou bien si c’étoit que vous nous eussiez menti ? Mais si c’étoit une fluxion qui allât jusqu’à vos dents, j’en serois très-en peine. Vous me parlez de la Provence comme de la Norvège ; je pensois qu’il y fît chaud, et je le pensois si bien, que l’autre jour, que nous eûmes ici une bouffée d’été, je mourois de chaud, et j’étois triste : on devina que c’étoit parce que je croyois que vous aviez encore plus chaud que moi, et je ne pouvois l’imaginer sans chagrin. 1671 Vous me dites que j’ai été injuste sur le sujet de votre amitié. Je l’ai été encore bien plus que vous ne pensez ; je n’ose vous dire jusqu’à quel point a été ma folie. J’ai cru que vous aviez de l’aversion pour moi, et je l’ai cru parce que je me trouvois pour des gens que je haïssois, comme il me sembloit que vous étiez pour moi ; et songez que je croyois cette épouvantable chose au milieu du desir extrême de découvrir le contraire, et comme malgré moi. Dans ces moments, il faut que je vous dise toute ma foiblesse : si quelqu’un m’eût tourné un poignard dans le cœur, il ne m’auroit pas plus mortellement blessée que je l’étois de cette pensée. J’ai des témoins de l’état où elle m’a mise. Je vous dis ceci sans vouloir de réponse que celle que vous me faites tous les jours en me persuadant que je me suis trompée. Ce discours est donc ce qui s’appelle des paroles vaines, qui n’ont autre but que de vous faire voir que l’état où je suis sur votre sujet seroit parfaitement heureux si Dieu ne permettoit point qu’il fût traversé par le déplaisir de ne vous avoir plus, et pour vous persuader aussi que tout ce qui me vient de vous ou par vous, me va droit et uniquement au cœur.

Le chocolat[410] n’est plus avec moi comme il étoit : la mode m’a entraînée, comme elle fait toujours. Tous ceux qui m’en disoient du bien m’en disent du mal ; on le maudit, on l’accuse de tous les maux qu’on a ; il est la source des vapeurs et des palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une fièvre continue, qui vous conduit à la mort ; enfin, mon enfant, le grand maître, qui en vivoit, est son ennemi déclaré : vous pouvez penser si je puis être d’un 1671 autre sentiment[411]. Au nom de Dieu, ne vous engagez point à le soutenir ; songez que ce n’est plus la mode du bel air. Tous les gens grands et moins grands en disent autant de mal qu’ils disent de bien de vous : les compliments qu’on vous fait sont infinis. Je n’ai point encore vu Gacé ; je crois que je l’embrasserai : bon Dieu ! un homme qui vous a vue, qui vient de vous quitter, qui vous a parlé, comme cela me paroît ! J’ai été tantôt chez Ytier[412], j’avois besoin de musique ; je n’ai jamais pu m’empêcher de pleurer à une certaine sarabande que vous aimez.

Je suis fort aise que vous ayez compris la coiffure, c’est justement ce que vous aviez toujours envie de faire (ce taponnage vous est naturel, il est au bout de vos doigts) ; vous avez cent fois pensé l’inventer, vous avez bien fait de ne la point prendre à la rigueur. Je vous avois conseillé de conserver vos dents, vous le faites. C’est une chose étrange que votre serein, et la sujétion que vous avez de vous renfermer à quatre heures, au lieu de prendre l’air : quelle tristesse ! Mais il vaut mieux rapporter ici vos belles dents, que de les perdre en Provence par le serein, ou par une mode qui sera passée dans six mois. Dites à Montgobert qu’on ne tape point les cheveux, et qu’on ne tourne point les boucles à la rigueur, comme pour y mettre un ruban ; c’est une confusion qui va comme elle peut, et qui ne peut aller mal. On marque quelques boucles : le bel air est de se peigner pour contrefaire la petite tête revenante ; vous taponnerez tout cela à merveille ; cela est fait en un moment. Vos dames sont bien loin de là, avec leurs coiffures glissantes de pommades, et leurs cheveux de deux paroisses : cela est bien vieux. 1671 Votre peinture du cardinal Grimaldi[413] est excellente : cela mord ; il est plaisant au dernier point et m’a bien fait rire ; je vous souhaite de pareilles visions[414] pour vous divertir. Enfin Montgobert sait rire ; elle entend votre langage : qu’elle est heureuse d’avoir de l’esprit, et d’être auprès de vous ! Les esprits où il n’y a point de remède font bouillir le sang.

Que vous êtes aimable de m’avoir envoyé une lettre pour Mme de Vaudemont[415] ! Je m’en vais bien lui envoyer et lui écrire un petit mot. Vous me mandiez l’autre jour que le jeu étoit une personne à qui vous aviez bien de l’obligation : ne vous a-t-il rien fait perdre ? Je vous remercie de votre souvenir au reversis, et de jouer au mail[416] ; c’est un aimable jeu pour les personnes bien faites et adroites comme vous ; je m’en vais y jouer dans mon désert. À propos de désert, je crois qu’Adhémar vous aura mandé comme le laquais du Coadjuteur, qui étoit à la Trappe, est revenu à demi fou, n’ayant pu supporter les austérités : on cherche un couvent de coton pour le mettre, et le remettre de l’état où il est. Je crains que cette Trappe[417], qui veut surpasser l’humanité, ne devienne les Petites-Maisons.

Je pleurois amèrement en vous écrivant à Livry, et je pleure encore en voyant de quelle manière tendre vous avez reçu ma lettre, et l’effet qu’elle a fait dans votre cœur[418]. Les petits esprits[419] se sont bien communiqués, et sont passés bien fidèlement de Livry en Provence. Si vous avez les mêmes sentiments, ma pauvre bonne, toutes les fois que je suis sensiblement touchée de vous, je vous plains, et vous conseille de renoncer à la sympathie. Je n’ai jamais rien vu de si aisé à trouver que ma tendresse pour vous : mille choses, mille pensées, mille souvenirs me traversent le cœur ; mais c’est toujours de la manière que vous pouvez le souhaiter : ma mémoire ne me représente rien que de doux et d’aimable ; j’espère que la vôtre fait de même.

Je suis aise que vous ayez des comédiens ; cela divertit : vous pouvez, ce me semble, les perfectionner. Pourquoi avez-vous laissé mourir la Canette beauté[420], et du pourpre encore ? Conservez-vous ; si quelqu’un tombe malade chez vous, envoyez-le à la ville.

Ne vous mettez point en peine de mes petits maux ; je m’en accommode fort bien, mais vous qui parlez n’en avez-vous point ? Vous sentez par vous-même que l’on songe à tout, et que l’on s’inquiète de tout quand on aime. 1671 Écrivez-moi quelque petite amitié pour Pecquet[421] : il a eu des soins extrêmes de ma petite-fille. J’espère que je recevrai encore ici la réponse de cette lettre. Elle est jolie, cette pauvre petite : elle vient le matin dans ma chambre ; elle rit, elle regarde, elle baise toujours un peu malhonnêtement, mais peut-être que le temps la corrigera. Je l’aime, elle m’amuse ; je la quitterai avec regret ; elle a une nourrice admirable.

La lettre que vous écrivez à votre frère est admirable aussi, et celle de M. de Coulanges : j’aime vos lettres passionnément. Vous avez très-bien deviné : votre frère est dans le bel air par-dessus les yeux ; point de pâques, point de jubilé, avaler le péché comme de l’eau : tout cela est admirable. Je n’ai rien trouvé de bon en lui, que la crainte de faire un sacrilége : c’étoit mon soin aussi que de l’en empêcher ; mais la maladie de son âme est tombée sur son corps, et ses maîtresses sont d’une manière à ne pas supporter cette incommodité avec patience : Dieu fait tout pour le mieux. J’espère qu’un voyage en Lorraine rompra toutes ces vilaines chaînes. Il est plaisant, il dit qu’il est comme le bonhomme Eson[422] ; il veut se faire bouillir dans une chaudière avec des herbes fines pour se ravigoter un peu. Il me conte toutes ses folies, je le gronde, et je fais scrupule de les écouter ; et pourtant je les écoute. Il me réjouit, il cherche à me plaire ; je connois la sorte d’amitié qu’il a pour moi. Il est ravi, de ce qu’il dit, de celle que vous me témoignez ; il me donne mille attaques en riant de l’attachement que j’ai pour vous : je vous avoue, ma bonne, qu’il est grand, quand même je le cache. Je vous avoue encore une autre chose, c’est que je crois que vous m’aimez : vous me paroissez solide ; il me semble qu’on se peut fier à vos paroles ; en un mot, je vous estime fort. Mme de Villars est folle de vous ; elle se mit l’autre jour sur votre chapitre ; il y avoit plaisir à l’entendre.

Vos Messieurs commencent à s’accoutumer à vous : les pauvres gens ! Et les dames ne vous ont pas encore bien goûtée. N’avez-vous point encore eu de picoterie avec la première présidente[423] ? Cette comédie n’en fera-t-elle pas trouver quelque occasion ? Cette sujétion d’avoir affaire tous les ans de tout le monde[424] est une chose embarrassante.

Je vous prie, si vous entrez aux Bénédictines, d’y demander une fille de M. de la Guette. Sa mère est fort de mes anciennes connoissances[425]. Faites-en assez pour qu’elle lui mande[426].

Adieu, je ne songe qu’à vous ; je vous vois sans cesse, et je fais mon unique plaisir de la pensée de vous aller voir et de vous ramener avec moi. J’embrasse ce Comte, 1671 qui est si adroit, qui joue si bien à la paume et au mail !  : j’aime ces choses-là. Conservez bien la joie de son cœur par la tendresse du vôtre.


158. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 17e avril.

Cette lettre du vendredi est sur la pointe d’une aiguille ; car il n’y a point de réponse à faire, et pour moi, je ne sais point de nouvelles. D’Hacqueville me contoit l’autre jour les sortes de choses qu’il vous mande, et qu’il appelle des nouvelles ; je me moquai de lui, et je lui promis de ne jamais charger mon papier de ce verbiage. Par exemple, il vous mande qu’on dit que M. de Verneuil donne son gouvernement[427] à M. de Lauzun, et qu’il prend celui de Berry avec la survivance pour M. de Sully. Tout cela est faux et ridicule, et ne se dit point dans les bons lieux. Il vous apprend que le Roi partira le 25e : voilà qui est beau. Je vous déclare, ma fille, que je ne vous manderai rien que de vrai ; et quand il ne vient rien à ma connoissance que de ces lanternes-là, je les laisse passer, et vous conte autre chose. Je suis fort contente de d’Hacqueville, aussi bien que de vous : il a grand soin de votre mère en votre absence ; et dès qu’il y a un brin de dispute entre l’abbé et moi, c’est toujours lui que je prends pour juge. Cela fait plaisir au cœur, de songer qu’on a un ami comme lui, à qui rien de bon et de solide ne manque, et qui ne vous peut jamais manquer lui-même. Si vous nous aviez défendu de parler de vous ensemble, et que cela vous fût fort désagréable, nous serions extrêmement embarrassés ; car cette conversation nous est si naturelle, que nous y tombons insensiblement :

C’est un penchant si doux qu’on y revient sans peine ;

et quand par hasard, après en avoir bien parlé, nous nous détournons un moment, je reprends la parole d’un bon ton, et je lui dis : « Mais disons donc un pauvre mot de ma fille ; vraiment nous sommes bien ingrats ; » et là-dessus nous recommençons sur nouveaux frais. Je lui jurerois plus de vingt fois à lui-même que je ne vous aime point, qu’il ne me croiroit pas. Je l’aime comme un confident qui entre dans mes sentiments, je ne saurois mieux dire.

Marphise et Hélène vous sont très-obligées ; mais pour Hébert[428], hélas ! je ne l’ai plus. J’eus l’esprit l’autre jour en riant de le donner à Gourville[429], et de lui dire qu’il falloit qu’il le plaçât dans cet hôtel de Condé, qu’il s’en trouveroit bien, qu’il m’en remercieroit, que je répondois de lui. M. de la Rochefoucauld et Mme de la Fayette se mirent sur les perfections d’Hébert : cela demeura là, il y a trois semaines. Je fus tout étonnée que Gourville l’envoya querir hier. Il s’habilla en gentilhomme, il y alla. Gourville lui dit qu’il lui donneroit une place à l’hôtel de Condé, qui lui vaudroit deux cent cinquante livres de rente, logé, nourri, et tout cela en attendant mieux ; mais que présentement il l’envoyoit à Chantilly pour distribuer tout le linge par compte pendant que le Roi y sera. Il prit donc dix coffres de linge sur son soin, et partit pour Chantilly. Le Roi y doit aller le 25e de ce mois[430] ; il y sera un jour entier. Jamais il ne s’est fait tant de dépense au triomphe des Empereurs qu’il y en aura là ; rien ne coûte ; on reçoit toutes les belles imaginations sans regarder à l’argent. On croit que Monsieur le Prince n’en sera pas quitte pour quarante mille écus. Il faut quatre repas ; il y aura vingt-cinq tables servies à cinq services, sans compter une infinité d’autres qui surviendront. Il nourrit tout, c’est à dire nourrir la France et la loger. Tout est meublé : de petits endroits, qui ne servoient qu’à mettre des arrosoirs, deviennent des chambres de courtisans. Il y aura pour mille écus de jonquilles : jugez à proportion. Voyez un peu où le discours d’Hébert m’a jetée : voilà donc comme j’ai fait sa fortune en badinant ; car je la compte faite, dans la pensée qu’il s’acquittera fort bien de ces commencements-ci.

Nous ne dînons point aujourd’hui en Bavardin ; ils sont embarrassés pour faire partir l’équipage du marquis[431]. Je mange donc ici mes petits œufs frais à l’oseille. Après dîner, j’irai un peu au faubourg[432], et je joindrai à cette lettre ce que j’apprendrai, pour vous divertir.

J’ai reçu une fort jolie lettre du Coadjuteur ; il est seulement fâché que je l’appelle Monseigneur ; il veut que je l’appelle Pierrot ou Seigneur Corbeau. Je vous recommande toujours bien, ma fille, d’entretenir l’amitié qui est entre vous. Je le trouve fort touché de votre mérite, prenant grand intérêt à toutes vos affaires ; en un mot, d’une application et d’une solidité qui vous sera d’un grand secours.

Mon[433] fils n’est pas encore guéri de ce mal qui fait douter ses précieuses maîtresses de sa passion. Il me disoit hier au soir que, pendant la semaine sainte, il avoit été si véritablement dévergondé, qu’il lui avoit pris un dégoût de tout cela, qui lui faisoit bondir le cœur ; il n’osoit y penser, il avoit envie de vomir. Il lui sembloit toujours de voir autour de lui des panerées de tetons, et quoi encore ? des tetons, des cuisses, des panerées de baisers, des

panerées de toutes sortes de choses, en telle abondance, qu’il en avoit l’imagination frappée et l’a encore, et ne pouvoit pas regarder une femme : il étoit comme les chevaux rebutés d’avoine. Ce mal n’a pas été d’un moment. J’ai pris mon temps pour faire un petit sermon là-dessus : nous avons fait ensemble des réflexions chrétiennes ; il entre dans mes sentiments[434], et particulièrement pendant que son dégoût dure encore. Il me montra des lettres qu’il a retirées de cette comédienne ; je n’en ai jamais vu de si chaudes ni de si passionnées : il pleuroit, il mouroit. Il croit tout cela quand il écrit, il s’en moque un moment après : je vous dis qu’il vaut son pesant d’or.

Adieu, mon aimable enfant. Comment vous êtes-vous portée le 6e de ce mois ? Je souhaite, ma petite, que vous m’aimiez toujours : c’est ma vie, c’est l’air que je respire. Je ne vous dis point si je suis à vous : cela est au-dessous du mérite de mon amitié. Voulez-vous bien que j’embrasse ce pauvre Comte ? Mais ne vous aimons-nous point trop tous deux ?

Vendredi au soir, 17e avril.

Je fais mon paquet chez Mme de la Fayette, à qui j’ai donné votre lettre. Nous l’avons lue ensemble avec plaisir ; nous trouvons que personne n’écrit mieux que vous. Vous la flattez très-agréablement, et moi en passant j’y trouve un petit endroit qui me va droit au cœur : c’est un lieu que vous possédez d’une étrange manière. Mme de la Fayette fut hier à Versailles ; Mme de Thianges lui avoit mandé d’y aller. Elle y fut reçue très-bien, mais très-bien, c’est-à-dire que le Roi la fit mettre dans sa calèche avec les dames, et prit plaisir à lui montrer toutes les beautés de Versailles, comme un particulier que l’on va voir dans sa maison de campagne. Il ne parla qu’à elle, et reçut avec beaucoup de plaisir et de politesse toutes les louanges qu’elle donna aux merveilleuses beautés qu’il lui montroit. Vous pouvez penser si l’on est contente d’un tel voyage. M. de la Rochefoucauld que voilà vous embrasse sans autre forme de procès, et vous prie de croire qu’il est plus loin de vous oublier, qu’il n’est prêt à danser la bourrée : il a un petit agrément de goutte à la main, qui l’empêche de vous écrire dans cette lettre. Mme de la Fayette vous estime et vous aime, et ne vous croit pas si dépourvue de vertus que le jour que vous étiez couchée au coin de son feu, et dont vous vous souvenez si bien.


159. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 22e avril.

Avez-vous bien peur que j’aime mieux Mme de Brissac que vous ? Craignez-vous, de la manière dont vous me connoissez, que ses manières ne me plaisent plus que les vôtres ? que son esprit ait trouvé le chemin de me plaire ? Avez-vous opinion que sa beauté efface vos charmes ? Enfin pensez-vous qu’il y ait quelqu’un au monde qui puisse, à mon goût, surpasser Madame de Grignan, étant même dépouillée de tout l’intérêt que j’y prends ? Songez à tout cela un peu à loisir, et puis soyez assurée qu’il en est justement ce que vous en croyez. Voilà toute ma réponse que vous connoîtrez par la vôtre, si vous répondez sincèrement.


1671 Parlons un peu de votre frère, ma fille : il est tout ce qui plaît aux autres ; il est d’une foiblesse à faire mal au cœur. Il plut hier à trois de ses amis de le mener souper dans un lieu d’honneur : il y fut. Ces messieurs sont trop habiles pour vouloir courir la fortune ; ils disent à votre frère de payer, je dis payer de sa personne : tout misérable qu’il est encore, il paye, et puis il me vient tout conter, en disant qu’il se fait mal au cœur à lui-même. Je lui dis qu’il me fait mal au cœur aussi, je lui fais honte ; je lui dis que ce n’est point là la vie d’un honnête homme, qu’il trouvera quelque chape-chute, et qu’à force de s’exposer il aura son fait. Je prêche un peu ensuite ; il demeure d’accord de tout, et n’en fait ni plus ni moins. Il a quitté la comédienne[435], après l’avoir aimée par-ci par-là. Quand il la voyoit, quand il lui écrivoit, c’étoit de bonne foi ; un moment après, il s’en moquoit à bride abattue. Ninon l’a quitté : il étoit malheureux quand elle l’aimoit ; il est au désespoir de n’en être plus aimé, et d’autant plus qu’elle n’en parle pas avec beaucoup d’estime : « C’est une âme de bouillie, dit-elle, c’est un corps de papier mouillé, un cœur de citrouille fricassé dans de la neige : » je vous l’ai déjà dit. Elle voulut l’autre jour lui faire donner les lettres de la comédienne ; il les lui donna ; elle en a été jalouse. Elle vouloit les donner à un amant de la princesse, afin de lui faire donner quelques petits coups de baudrier. Il me le vint dire ; je lui dis que c’étoit un infâme que de couper ainsi la gorge à cette petite créature pour l’avoir aimé ; qu’elle n’avoit point sacrifié ses lettres, comme on vouloit lui faire croire pour l’animer ; qu’elle les lui avoit rendues ; que c’étoit une vilaine trahison et basse et indigne d’un homme de qualité, et que même dans les choses malhonnêtes, il y avoit de l’honnêteté à observer. Il entra dans mes raisons, il courut chez Ninon, et moitié figue et moitié raisin, moitié par adresse, moitié par force, il retira les lettres de cette pauvre diablesse : je les ai fait brûler. Vous voyez par là combien le nom de comédienne m’est de quelque chose. Cela est un peu de la Visionnaire de la comédie[436] ; elle en eût fait autant, et je fais comme elle. Mon fils a conté ces folies à M. de la Rochefoucauld, qui aime les originaux. Il approuva ce que je lui dis l’autre jour, que mon fils n’étoit point fou par la tête, c’est par le cœur : ses sentiments sont tout vrais, sont tout faux, sont tout froids, sont tout brûlants, sont tout fripons, sont tout sincères ; enfin son cœur est fou. Nous rîmes fort de tout cela, et avec mon fils même, car il est de bonne compagnie, et dit tôpe à tout. Nous sommes très-bien ensemble, je suis sa confidente, et je conserve cette vilaine qualité, qui m’attire de si vilaines confidences, pour être en droit de lui dire mes sentiments sur tout. Il me croit autant qu’il peut, il me prie que je le redresse : je le fais comme une amie. Il veut venir avec moi en Bretagne pour cinq ou six semaines : s’il n’y a point de camp en Lorraine, je l’emmènerai. Voilà bien des folies ; mais comme vous y prenez intérêt, il m’a semblé qu’elles ne vous ennuieroient pas.

Vous me parlez très-tendrement et très-obligeamment du voyage de Provence. Soyez assurée une bonne fois que l’abbé et moi, nous le souhaitons, et que c’est une des plus agréables espérances que nous puissions avoir. Il est question de le placer à propos et pour vous et pour nous. Notre d’Hacqueville nous disoit l’autre jour, en nous entendant parler de notre pérégrination de Bretagne en Provence, qu’il ne nous conseilloit point d’y aller cette année ; que nous allassions en Bretagne ; que nous y fissions toutes nos affaires ; que nous revinssions ici à la Toussaint revoir un peu mon fils, et ma petite d’Adhémar que je commence à aimer ; que nous changeassions de maison, c’est-à-dire moi ; que je m’établisse dans un lieu où je vous puisse ramener ; et que vers le printemps je m’en allasse en Bourgogne, où j’ai mille affaires, et de là en Provence : Chalon, la Saône, Lyon, le Rhône, me voilà à Grignan ; ce n’est pas une affaire que cela. Je serois avec vous sans crainte de vous quitter, puisqu’apparemment je vous ramènerois, qu’il ne seroit point question d’une seconde séparation qui m’ôte la vie ; que pour lui, il trouveroit un arrangement mille fois meilleur que l’autre, où il voyoit un voyage d’une longueur ridicule, placé dans le milieu du vôtre, pressée de revenir pour mes affaires et par mon fils, à qui je ne suis pas inutile, avec la douleur de vous quitter encore. Il ne trouva nulle raison à ce premier dessein, et en trouva beaucoup à celui qu’il nous proposoit. Nous écoutâmes ces raisonnements, nous les approuvâmes. Il me dit qu’il vous conseilleroit d’y consentir, et moi je m’y confirme par votre dernière lettre, où vous me faites voir que vous trouveriez fort désagréable que je vous quittasse après avoir été quelque temps avec vous. Je suis persuadée que vous entrerez dans cet arrangement. Pour moi, ce ne sera jamais sans douleur que je verrai reculer le temps et la joie de vous voir ; mais ce ne sera jamais aussi sans quelque douceur intérieure que je conserverai de l’espérance. Ce sera sur elle seule que je fonderai toute ma consolation, et par elle que je tâcherai d’apaiser une partie de mon impatience et de ma promptitude naturelle. Mandez-moi comme cela vous paroît, et soyez assurée que la différence ou d’aller en Provence sans avoir une maison ici, ou d’en avoir une toute rangée, où votre appartement soit marqué, fait la plus grande force de nos raisons.

Tout ce que vous me mandez de la Marans est divin, et des punitions qu’elle aura dans l’enfer ; mais savez-vous bien que vous irez avec elle ? vous continuerez à la haïr. Songez que vous serez toute l’éternité ensemble ; il n’en faut pas davantage pour vous mettre dans le dessein de faire votre salut. Je me suis avisée bien heureusement de vous donner cette pensée : c’est une inspiration de Dieu. Elle vint l’autre jour chez Mme de la Fayette ; M. de la Rochefoucauld y étoit, et moi aussi. La voilà qui entre sans coiffe : elle venoit d’être coupée, mais coupée en vrai fanfan ; elle étoit poudrée, bouclée ; le premier appareil avoit été levé, il n’y avoit pas un quart d’heure ; elle étoit décontenancée, sentant bien qu’elle alloit être improuvée. Mme de la Fayette lui dit : « Vraiment il faut que vous soyez folle ; mais savez-vous bien, Madame, que vous êtes complétement ridicule ? » M. de la Rochefoucauld : « Ma mère, ha ! par ma foi, mère, nous n’en demeurerons pas là : approchez un peu, ma mère, que je voie si vous êtes comme votre sœur[437] que je viens de voir. » Elle venoit aussi d’être coupée. « Ma foi, ma mère, vous voilà bien. » Vous entendez ces tons-là ; et pour les paroles, elles sont d’après le naturel ; pour moi, je riois sous ma coiffe. Elle se décontenança si fort, qu’elle ne put soutenir cette attaque ; elle remit sa coiffe, et bouda jusqu’à ce que Mme de Schomberg la vint reprendre, car il n’y a plus de voiture que celle-là. Je crois que ce récit vous divertira.

Nous passâmes l’autre jour une après-dînée à l’Arsenal[438] fort agréablement : il y avoit des hommes de toutes grandeurs ; Mmes  de la Fayette, de Coulanges, de Méri[439], la Troche, et moi, On se promena, on parla de vous à plusieurs reprises et en très-bons termes. Nous allons aussi quelquefois à Luxembourg[440] ; M. de Longueville[441] y étoit hier, qui me pria de vous assurer de ses très-humbles services. Pour M. de la Rochefoucauld, il vous aime très-tendrement.

J’ai reçu vos gants par le gentilhomme ; vous m’accablez de présents ; ceux-ci font partie de ma provision pour Bretagne : ils sont excellents. Je vous baise de tout mon cœur, en vous remerciant, ma très-chère petite.

Je suis ravie que vous ayez approuvé mes lettres : vos approbations et vos louanges sincères me font un plaisir qui surpasse tout ce qui me vient d’ailleurs ; et pourquoi les filles comme vous n’oseroient-elles louer une mère comme moi ? Quelle sorte de respect ! Vous savez si j’estime votre goût. J’approuve fort votre loterie ; j’espère que vous me manderez ce que vous aurez gagné. Vos comédies doivent aussi vous divertir. Laissez-vous amuser, ma bonne ; suivez le courant des plaisirs qu’on peut avoir en Provence. Je vous loue fort que vous ne reconduisiez point : c’étoit pour mourir ; que les dames s’en vengent, qu’elles ne vous reconduisent point aussi, et voilà une maudite coutume abolie.

La lettre que vous écrivez à votre frère est admirable. Que j’aime vos lettres ! Je m’en vais de ce pas à Saint-Germain, et je l’eusse présentée à tous les courtisans. C’étoit à eux que le dessus s’adressoit.

J’ai vu le chevalier[442], plus beau qu’un héros de roman, digne d’être l’image du premier tome. Il avoit eu son point ; j’ai observé qu’il en a toujours quelque nouvelle attaque à la veille des voyages : d’où vient cela ? Monsieur le Duc va faire celui de Bourgogne, après avoir reçu le Roi à Chantilly ; je pense qu’il y fera de belles conquêtes. Vous aviez au moins eu une victoire sur M. de Monaco ; où avoit-il pris qu’on prononçât… ? Nous en savons plus que lui. J’entreprendrai après cela d’apprendre l’italien à notre ambassadeur de Venise. Hélas ! à propos, il s’en va, il en est au désespoir[443].

Je reviens de Saint-Germain avec la d’Arpajon et la d’Uxelles : toute la France y étoit. J’ai vu Gacé[444], je l’ai tiré à part, et je lui ai demandé de vos nouvelles avec un plaisir qui surpasse de beaucoup celui d’être à la cour. Il dit que vous êtes belle, que vous êtes gaie, que c’est un plaisir de voir l’intelligence qui est entre vous et M. de Grignan. Il parle même de votre retour. Enfin je ne pouvois le quitter. Il me viendra voir ; il a été à la campagne chez son frère[445], qui a perdu son fils aîné, dont il est affligé.

C’étoit une grande confusion que Saint-Germain. Chacun prenoit congé ou pour aller chez soi ou parce que le Roi s’en va[446]. La Marans a paru ridicule au dernier point : on rioit à son nez de sa coiffure. Elle n’a osé me parler ; elle étoit défaite à plate couture ; elle est achevée d’abîmer par la perte de vos bonnes grâces. On m’a conté d’elle deux histoires un peu épouvantables. Je les supprime pour l’amour de Dieu, et puis ce seroit courir sur le marché d’Adhémar : tant y a, elle me paroît débellée.

Il y a un portrait de vous chez Mme de la Fayette, elle ne lève pas les yeux dessus. Mon fils a congé de venir avec moi en Bretagne pour cinq semaines : cela me fera partir un peu plus tôt que je ne pensois.

Mille personnes m’ont priée de vous faire des baisemains : M. de Montausier, le maréchal de Bellefonds et mille autres. Monsieur le Dauphin[447] m’a donné un baiser pour vous, je vous l’envoie. Adieu, ma très-chère, il est tard ; je fais de la prose avec une facilité qui vous tue. Je vous embrasse, mon cher Grignan, et vous, ma mignonne, plus de mille fois.


1671

160. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi 24e avril.

Voilà le plus beau temps du monde ; il commença dès hier après des pluies épouvantables. C’est le bonheur du Roi, il y a longtemps que nous l’avons observé ; et c’est pour cette fois aussi le bonheur de Monsieur le Prince, qui a pris ses mesures à Chantilly pour l’été et le printemps ; la pluie d’avant-hier auroit rendu toutes ses dépenses ridicules. Sa Majesté y arriva hier au soir ; elle y est aujourd’hui. D’Hacqueville y est allé, qui vous fera une relation à son retour ; pour moi, j’en attends une petite ce soir, que je vous enverrai avec cette lettre, que j’écris le matin avant que d’aller en Bavardin[448] ; je ferai mon paquet au faubourg. Si l’on dit, ma bonne, que nous parlons dans nos lettres de la pluie et du beau temps, on aura raison : j’en ai fait d’abord un assez grand chapitre.

Vous ne me parlez point assez de vous : j’en suis nécessiteuse, comme vous l’êtes de folies ; je vous souhaite toutes celles que j’entends ; pour celles que je dis, elles ne sont plus bonnes depuis que vous ne m’aidez plus : vous m’en inspirez, et quelquefois aussi je vous en inspire. C’est une longue tristesse, et qui se renouvelle souvent, que d’être loin d’une personne comme vous. J’ai dit des adieux de quelques jours ; on trouve bien de la constance. Ce qui est plaisant, c’est que je sentirai que je n’en aurai point pour vous dire adieu d’ici en partant pour la Bretagne ; vous serez mon adieu sensible, dont je pourrois, si j’étois une friponne, faire un grand honneur à mes amies ; mais on voit clair au travers de mes paroles, et je ne veux mettre aucun voile au-devant des sentiments que j’ai pour vous. Je serai donc touchée de voir que ce n’est pas assez d’être à deux cents lieues de vous : il faut que je sois à trois cents ; et tous les pas que je ferai, ce sera sur cette troisième centaine : c’est trop, cela me serre le cœur.

L’abbé Têtu entra hier chez Mme de Richelieu[449] comme j’y étois : il étoit d’une gaillardise qui faisoit honte à ses amies éloignées. Je lui parlai de mon voyage ; ma bonne, il ne changea point de ton, et d’un visage riant : « Eh bien ! Madame, me dit-il, nous nous reverrons. » Cela n’est point plaisant à écrire, mais il le fut à entendre ; nous en rîmes fort ; enfin ce fut là son unique pensée : il passa légèrement sur toute mon absence, et ne trouva que ce mot à me dire. Nous nous en servons présentement dans nos adieux, et je m’en sers moi-même intérieurement en songeant à vous ; mais ce n’est pas si gaiement, et la longueur de l’absence n’est pas une circonstance que j’oublie.

J’ai acheté pour me faire une robe de chambre une étoffe comme votre dernière jupe ; elle est admirable : il y a un peu de vert, mais le violet domine ; en un mot, j’ai succombé. On vouloit me la faire doubler de couleur de feu, mais j’ai trouvé que cela avoit de l’air d’une impénitence finale. Le dessus est la pure fragilité, mais le dessous eût été une volonté déterminée qui m’a paru contre les bonnes mœurs ; je me suis jetée dans le taffetas blanc. Ma dépense est petite : je méprise la Bretagne, et n’en veux faire que pour la Provence, pour soutenir la dignité de merveille entre deux âges, où vous m’avez élevée.

Mme de Ludres me dit l’autre jour des merveilles à Saint-Germain ; il n’y avoit nulle distraction ; elle vous aime aussi : Ah ! pour matame te Grignan, elle est atorable. Mme de Beringhen[450] étoit justement auprès de Ludres, qui l’effaçoit un peu ; c’est quelque chose d’extraordinaire à mes yeux que sa face. Brancas me conta une affaire que M. de Grignan eut cet hiver avec M. le Premier : « Je suis pour Grignan, j’ai vu leurs plaisantes mais inlisibles lettres. » Il m’en a dit des morceaux, nous devons prendre un jour pour les lire tout entières.

Votre enfant est aimable ; elle a une nourrice parfaite ; elle devient fort bien fontaine : fontaine de lait, ce n’est pas fontaine de cristal.

M. de Salins[451] a chassé un portier : je ne sais ce qu’on dit ; on parle de manteau gris, de quatre heures du matin, de coups de plats d’épée, et l’on se tait du reste[452] ; on parle d’un certain apôtre qui en fait d’autres ; enfin je n’en dis rien : on ne m’accusera pas de parler ; pour moi, je me sais taire, Dieu merci ! Si cette fin vous paroît un peu galimatias, vous ne l’en aimerez que mieux. Adieu, ma très-chère aimable et très-chère mignonne, je vous aime au delà de ce qu’on peut imaginer. Tantôt je vous manderai des nouvelles en fermant mon paquet.

À Paris, ce vendredi au soir, 24e avril (chez M. de la Rochefoucauld).

Je fais donc ici mon paquet. J’avois dessein de vous conter que le Roi arriva hier au soir à Chantilly. Il courut un cerf au clair de la lune ; les lanternes firent des merveilles ; le feu d’artifice fut un peu effacé par la clarté de notre amie ; mais enfin le soir, le souper, le jeu, tout alla à merveille. Le temps qu’il a fait aujourd’hui nous faisoit espérer une suite digne d’un si agréable commencement. Mais voici ce que j’apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande : c’est qu’enfin Vatel, le grand Vatel, maître d’hôtel de M. Foucquet, qui l’étoit présentement de Monsieur le Prince[453], cet homme d’une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête étoit capable de soutenir tout le soin d’un État ; cet homme donc que je connoissois, voyant à huit heures, ce matin, que la marée n’étoit point arrivée, n’a pu souffrir l’affront qu’il a vu qui l’alloit accabler, et en un mot, il s’est poignardé. Vous pouvez penser l’horrible désordre qu’un si terrible accident a causé dans cette fête. Songez que la marée est peut-être ensuite arrivée comme il expiroit. Je n’en sais pas davantage présentement : je pense que vous trouverez que c’est assez. Je ne doute pas que la confusion n’ait été grande ; c’est une chose fâcheuse à une fête de cinquante mille écus.

M. de Menars[454] épouse Mlle de la Grange Neuville[455]. Je ne sais comme j’ai le courage de vous parler d’autre chose que de Vatel.


161. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce dimanche 26e avril.

Il est dimanche 26e avril ; cette lettre ne partira que mercredi ; mais ceci n’est pas une lettre, c’est une relation que vient de me faire Moreuil, à votre intention, de ce qui s’est passé à Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu’il s’étoit poignardé : voici l’affaire en détail. Le Roi arriva jeudi au soir[456] ; la chasse, les lanternes, le clair de la lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa : il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners où l’on ne s’étoit point attendu. Cela saisit Vatel ; il dit plusieurs fois : « Je suis perdu d’honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas. » Il dit à Gourville : « La tête me tourne, il y a douze nuits que je n’ai dormi ; aidez-moi à donner des ordres. » Gourville le soulagea en ce qu’il put. Ce rôti qui avoit manqué, non pas à la table du Roi[457], mais aux vingt-cinquièmes, lui revenoit toujours à la tête. Gourville le dit à Monsieur le Prince. Monsieur le Prince alla jusque dans sa chambre, et lui dit : « Vatel, tout va bien, rien n’étoit si beau que le souper du Roi. » Il lui dit : « Monseigneur, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. — Point du tout, dit Monsieur le Prince, ne vous fâchez point, tout va bien. » La nuit vient : le feu d’artifice ne réussit pas, il fut couvert d’un nuage ; il coûtoit seize mille francs[458]. À quatre heures du matin, Vatel s’en va partout, il trouve tout endormi, il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportoit seulement deux charges de marée ; il lui demanda : « Est-ce là tout ? » Il lui dit : « Oui, Monsieur. » Il ne savoit pas que Vatel avoit envoyé à tous les ports de mer. Il attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne viennent point ; sa tête s’échauffoit, il croit qu’il n’aura point d’autre marée ; il trouve Gourville, et lui dit : « Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci ; j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre. » Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur ; mais ce ne fut qu’au troisième coup, car il s’en donna deux qui n’étoient pas mortels : il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés[459] ; on cherche Vatel pour la distribuer ; on va à sa chambre ; on heurte, on enfonce la porte ; on le trouve noyé dans son sang ; on court à Monsieur le Prince, qui fut au désespoir. Monsieur le Duc pleura : c’étoit sur Vatel que rouloit tout son voyage de Bourgogne[460]. Monsieur le Prince le dit au Roi fort tristement : on dit que c’étoit à force d’avoir de l’honneur en sa manière ; on le loua fort, on loua et blâma son courage. Le Roi dit qu’il y avoit cinq ans qu’il retardoit de venir à Chantilly, parce qu’il comprenoit l’excès de cet embarras. Il dit à Monsieur le Prince qu’il ne devoit avoir que deux tables, et ne se point charger de tout le reste. Il jura qu’il ne souffriroit plus que Monsieur le Prince en usât ainsi ; mais c’étoit trop tard pour le pauvre Vatel. Cependant Gourville tâche de réparer la perte de Vatel ; elle le fut : on dîna très-bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse ; tout étoit parfumé de jonquilles, tout étoit enchanté.

Hier, qui étoit samedi, on fit encore de même ; et le soir, le Roi alla à Liancourt[461], où il avoit commandé un medianoche[462] ; il y doit demeurer aujourd’hui[463]. Voilà ce que m’a dit Moreuil, pour vous mander. Je jette mon bonnet par-dessus le moulin, et je ne sais rien du reste. M. d’Hacqueville, qui étoit à tout cela, vous fera des relations sans doute ; mais comme son écriture n’est pas si lisible que la mienne, j’écris toujours. Voilà bien des détails, mais parce que je les aimerois en pareille occasion, je vous les mande.


162. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Commencée a Paris, le lundi 27e avril.

J’ai très-mauvaise opinion de vos langueurs ; je suis du nombre des méchantes langues, et je crois tout le pis.

Voilà ce que je craignois ; mais, ma chère enfant, si ce malheur se confirme, ayez soin de vous ; ne vous ébranlez point dans ces commencements par votre voyage de Marseille : laissez un peu établir les choses ; songez à votre délicatesse, et que ce n’est qu’à force de vous être conservée que vous avez été jusqu’au bout. Je suis déjà bien en peine du dérangement que le voyage de Bretagne apportera à notre commerce. Si vous êtes grosse, comptez que je n’ai plus aucun dessein que de faire ce que vous voudrez ; je ferai ma règle de vos desirs, et laisserai tout autre arrangement et toute autre considération à mille lieues de moi. Je crois que le chapitre de votre frère vous a divertie ; il est présentement en quelque repos. Il voit pourtant Ninon tous les jours, mais c’est un ami. Il entra l’autre jour avec elle dans un lieu où il y avoit cinq ou six hommes ; ils firent tous une mine qui la persuada qu’ils le croyoient possesseur ; elle connut leurs pensées, et leur dit : « Messieurs, vous vous damnez[464], si vous croyez qu’il y ait du mal entre nous ; je vous assure que nous sommes comme frère et sœur. » Il est vrai qu’il est comme fricassé ; je l’emmène en Bretagne, où j’espère que je lui ferai retrouver la santé de son corps et de son âme : nous ménageons, la Mousse[465] et moi, de lui faire faire une bonne confession.

M. et Mme de Villars et la petite Saint-Géran sortent d’ici, et vous font mille et mille amitiés. Ils veulent la copie de votre portrait qui est sur ma cheminée, pour la porter en Espagne[466]. Ma petite enfant a été tout le jour dans ma chambre, parée de ses belles dentelles, et faisant l’honneur du logis : ce logis qui me fait tant songer à vous, où vous étiez il y a un an comme prisonnière ; ce logis que tout le monde vient voir, que tout le monde admire, et que personne ne veut louer[467]. Je soupai l’autre jour chez la marquise d’Uxelles, avec Mme la maréchale d’Humières, Mmes  d’Arpajon, de Beringhen, de Frontenac[468], d’Outrelaise[469], Raimond et Martin. Vous n’y fùtes point oubliée. Je vous conjure, ma fille, de me mander sincèrement des nouvelles de votre santé, de vos desseins, de ce que vous souhaitez de moi. Je suis triste de votre état, je crains que vous ne le soyez aussi ; je vois mille chagrins, et j’ai une suite de pensées dans ma tête, qui ne sont bonnes ni pour la nuit ni pour le jour.

À Livry, ce mercredi 29e avril.

Depuis que j’ai écrit ce commencement de lettre, j’ai fait hier, ma chère bonne, un fort joli voyage. Je partis assez matin de Paris ; j’allai dîner à Pompone[470] ; j’y trouvai notre bonhomme[471] qui m’attendoit ; je n’aurois pas voulu manquer à lui dire adieu. Je le trouvai dans une augmentation de sainteté qui m’étonna : plus il approche de la mort, et plus il s’épure. Il me gronda très-sérieusement ; et transporté de zèle et d’amitié pour moi, il me dit que j’étois folle de ne point songer à me convertir ; que j’étois une jolie païenne ; que je faisois de vous une idole dans mon cœur ; que cette sorte d’idolâtrie étoit aussi dangereuse qu’une autre, quoiqu’elle me parût moins criminelle ; qu’enfin je songeasse à moi. Il me dit tout cela si fortement que je n’avois pas le mot à dire. Enfin, après six heures de conversation très-agréable, quoique très-sérieuse, je le quittai, et vins ici, où je trouvai tout le triomphe du mois de mai. Le rossignol, le coucou, la fauvette,

Dans nos forêts ont ouvert le printemps.

Je m’y suis promenée tout le soir toute seule ; j’y ai trouvé toutes mes tristes pensées ; mais je ne veux plus vous en parler. Ce matin on m’a apporté vos lettres du 4e de ce mois : qu’elles viennent de loin quand elles arrivent à Paris ! J’ai destiné une partie de cet après-dîner à vous écrire dans ce jardin, où je suis étourdie de trois ou quatre rossignols qui sont sur ma tête. Ce soir je m’en retourne à Paris pour faire mon paquet et vous l’envoyer.

Il est vrai, ma bonne, qu’il manqua un degré de chaleur à mon amitié, quand je rencontrai la chaîne des galériens[472] : je devois aller avec eux vous trouver, au lieu de ne songer qu’à vous écrire ; je m’en fais des reproches à moi-même. Que vous eussiez été agréablement surprise à Marseille de me trouver en si bonne compagnie ! Mais vous y allez donc en litière ? quelle fantaisie ! J’ai vu que vous ne les aimiez que quand elles étoient arrêtées : vous êtes bien changée. Je suis entièrement du parti des médisants : tout l’honneur que je vous puis faire, est de croire que jamais vous ne vous fussiez servie de cette voiture, si vous ne m’aviez point quittée, et que M. de Grignan fût demeuré dans sa Provence. Que je suis fâchée de ce malheur ! Conservez-vous, ma très-chère ; songez que la Guisarde beauté[473] ayant voulu se prévaloir d’une heureuse couche, s’est blessée rudement, et qu’elle a été trois jours prête à mourir : voilà un bel exemple. Mme de la Fayette craint toujours pour votre vie. Elle vous cède sans contestation la première place auprès de moi à cause de vos perfections ; quand elle est douce, elle dit que ce n’est pas sans peine ; mais enfin cela est réglé et approuvé : cette justice la rend digne de la seconde, elle l’a aussi ; la Troche s’en meurt[474]. Je vais toujours mon train, et mon train aussi pour la Bretagne. Il est vrai que nous ferons des vies bien différentes : je serai bien troublée dans la mienne par les états, qui me viendront tourmenter à Vitré sur la fin du mois de juillet ; cela me déplaît fort. Votre frère n’y sera plus en ce temps-là. Vous souhaitez, ma bonne, que le temps marche pour nous revoir ; vous ne savez ce que vous faites, vous y serez attrapée : il vous obéira trop exactement, et quand vous voudrez le retenir, vous n’en serez plus la maîtresse. J’ai fait autrefois les mêmes fautes que vous, je m’en suis repentie, et quoiqu’il ne m’ait pas fait tout le mal qu’il fait aux autres, il ne laisse pas de m’avoir ôté mille petits agréments, qui ne laissent que trop de marques de son passage.

Vous trouvez donc que vos comédiens ont bien de l’esprit de dire des vers de Corneille ? En vérité, il y en a de bien transportants. J’en ai apporté ici un tome qui m’amusa fort hier au soir. Mais n’avez-vous point trouvé jolies les cinq ou six fables de la Fontaine, qui sont dans un des tomes que je vous ai envoyés[475] ? Nous en étions l’autre jour ravis chez M. de la Rochefoucauld. Nous apprîmes par cœur celle du Singe et du Chat :

D’animaux malfaisants c’étoit un très-bon plat ;
Ils n’y craignoient tous deux aucun, tel qu’il pût être.
Trouvoit-on quelque chose au logis de gâté,
On ne s’en prenoit point à ceux du voisinage :
Bertrand déroboit tout ; Raton, de son côté,
Étoit moins attentif aux souris qu’au fromage.

Et le reste. Cela est peint ; et la Citrouille, et le Rossignol[476], cela est digne du premier tome. Je suis bien folle de vous écrire de telles bagatelles : c’est le loisir de Livry qui vous tue.

Vous avez écrit un billet admirable à Brancas ; il vous écrivit l’autre jour une main tout entière de papier : c’étoit une rapsodie assez bonne ; il nous la lut à Mme de Coulanges et à moi. Je lui dis : « Envoyez-le-moi donc tout achevé pour mercredi. » Il me dit qu’il n’en feroit rien, qu’il ne vouloit pas que vous le vissiez ; que cela étoit trop sot et misérable. « Pour qui nous prenez-vous ? vous nous l’avez bien lu. — Tant y a que je ne veux pas qu’elle le lise. » Jamais il ne fut si fou. Il sollicita l’autre jour un procès à la première des enquêtes ; c’étoit à la seconde qu’on le jugeoit[477] : cette folie a fort réjoui les sénateurs ; je crois qu’elle lui a fait gagner son procès.

Ma chère enfant, que dites-vous de l’infinité de ma lettre ? Si je voulois, j’écrirois jusqu’à demain. Conservez-vous, ma chère bonne, c’est ma ritournelle continuelle ; ne tombez point ; gardez quelquefois le lit. Depuis que j’ai donné à la petite une nourrice comme du temps de François Ier[478], je crois que vous devez honorer tous mes conseils. Pensez-vous que je ne vous aille point voir cette année ? J’avois rangé tout cela d’une autre façon, et même pour l’amour de vous ; mais votre litière me redérange tout : le moyen de ne pas courir dès cette année, si vous le souhaitez un peu ? Hélas ! c’est bien moi qui dois dire qu’il n’y a plus de pays fixe pour moi, que celui où vous êtes. Votre portrait triomphe sur ma cheminée ; vous êtes adorée présentement en Provence, et à Paris, à la cour, et à Livry. Enfin, ma bonne, il faut bien que vous soyez ingrate : le moyen de rendre tout cela ? Je vous embrasse et vous aime, et vous le dirai toujours, parce que c’est toujours la même chose. J’embrasserois ce fripon de Grignan, si je n’étois fâchée contre lui.

Maître Paul[479] mourut il y a huit jours ; notre jardin en est tout triste.


163. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 1er mai.

Je gardois votre secret comme si vous aviez dérobé votre enfant ; mais je n’en réponds plus depuis que Valcroissant[480] l’a mandé à Mlle de Scudéry, en se louant de vos honnêtetés, et disant qu’on vous adore en Provence. Comment vous portez-vous du voyage que vous avez fait à Marseille ? Mais n’êtes-vous pas résolue de vous bien conserver et ne voulez-vous pas bien, ma bonne, que je sois un peu en peine de vous ? Il est impossible que cela ne soit pas.

Je dînai hier chez Mme de Villars avec M. de Vindisgrats[481], deux autres de son pays, M. et Mme de Schomberg[482], M. et Mme de Béthune[483] : la plupart des amants étoient des Allemands[484], comme vous voyez. M. de Schomberg est un des plus aimables maris du monde, sans compter que c’est un héros. Il a l’esprit aisé, une intelligence dont on lui sait un gré nompareil ; sa femme l’adore ; mais, parce qu’il ne faut pas être heureuse en ce monde, elle n’a pas un moment de santé[485]. On parla de vous, on vous loua jusqu’au ciel, et ce qui me parut plaisant, c’est que Vindisgrats se souvint d’avoir ouï dire ce que vous disiez, il y a six ans, d’un comte de Dietrichstein, qu’il ressembloit à M. de Beaufort[486], hormis qu’il parloit mieux françois. Nous trouvâmes plaisant qu’il avoit retenu ce bon mot ; cela nous donna lieu de parler de votre esprit : il vous a vue chez la Reine quand vous prîtes congé ; il a une grande idée de toute votre personne. Cette pauvre Mme de Béthune est encore grosse, du troisième ; elle me fait grand’pitié. On craint que la princesse d’Harcourt ne soit grosse aussi. Je trouve tous les jours ici de quoi exercer mes beaux sentiments. Mme de Coulanges vint le soir ; nous allâmes aux Tuileries ; nous y vîmes ce qui reste d’hommes à Paris, qui n’y sera pas encore longtemps, et de plus M. de Saint-Ruth[487] : quel homme, bon Dieu ! et que le désagrément de sa physionomie[488] donne de grandes idées de ses autres mérites ! Mais comment pourrois-je vous dire les tendresses, les amitiés, les remerciements de M. de la Rochefoucauld, de Segrais, de Mme de la Fayette, avec qui je passai le soir, et à qui je fis voir une partie de votre lettre ? Il y avoit tant de choses pour eux, que je vous aurois fait tort en toute manière de la leur cacher. Je leur cachai pourtant votre grossesse, pour la dire une autre fois tout bas à Mme de la Fayette ; car notre conversation d’hier roula sur d’autres discours plus agréables pour vous. Langlade survint, qui s’en va à Bourbon ; nous voulons qu’il vous aille voir. Segrais nous montra[489] un recueil qu’il a fait des chansons de Blot[490] ; elles ont le diable au corps, et c’est dommage qu’il y ait tant d’esprit. Il nous conta aussi qu’il venoit de voir une mère de Normandie qui, lui parlant d’un fils abbé qu’elle a, lui avoit dit qu’il avoit le dessein d’étudier, et qu’il commençoit toujours à prêcher en attendant : cet arrangement nous fit rire. Vous souvient-il du bon mot du comédien que je vous ai mandé[491] ? Il[492] l’a mis dans un recueil qu’il fait de tout ce qui a jamais été dit de plus fin. On parle de grandes nouvelles en Angleterre ; mais cela n’est point encore démêlé. On ne sait rien de l’arrivée du Roi à Dunkerque. Mme de Richelieu a gagné un procès contre Mme d’Aiguillon[493]. Monsieur le Duc est parti pour la Bourgogne ; le maréchal d’Albret pour son gouvernement[494]. Monsieur le Prince a suivi le Roi. Vous voyez bien par ces lanterneries qu’il n’y a point aujourd’hui de nouvelles. Nous n’avons point dîné en Bavardin : ils sont allés se promener à Versailles.

Mme de Verneuil a été très-malade à Verneuil. La d’Escars a eu une manière d’apoplexie, qui a fait grand’peur à elle et à toutes celles qui se portent trop bien. J’ai donné votre billet à Brancas : « il fera réponse à la Grignan. » Père Ytier vous salue très-révérencieusement. Je suis en colère contre M. de Grignan, sans cela je l’aimerois. Ninon dit que votre frère est au-dessous de la définition ; il est vrai qu’il ne se connoît pas lui-même, ni les autres encore moins. Adieu, ma très-chère et très-aimable : je vous aime avec une tendresse infinie ; jamais il ne s’est vu un attachement si naturel et si tendre que celui que j’ai pour vous.


164. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 6e mai.

Je vous prie, ma bonne, ne donnons point désormais à l’absence le mérite d’avoir remis entre nous une parfaite intelligence, et de mon côté la persuasion de votre tendresse pour moi : quand elle auroit part à cette dernière chose, puisqu’elle l’a établie pour jamais, regrettons un temps où je vous voyois tous les jours, vous, ma bonne, qui êtes le charme de ma vie et de mes yeux ; où je vous entendois, vous dont l’esprit touche mon goût plus que tout ce qui m’a jamais plu. N’allons point faire une séparation de votre aimable vue et de votre amitié : il y auroit trop de cruauté à séparer ces deux choses, et quoi que M. de Grignan dise[495], c’est une folie ; je veux plutôt croire que le temps est venu que ces deux choses marcheront ensemble, que j’aurai le plaisir de vous voir sans mélange d’aucun nuage, et que je réparerai toutes les injustices passées, puisque vous voulez les nommer ainsi. Après tout, combien de bons moments que je ne puis assez regretter, et que je regrette aussi avec des larmes et des tendresses qui ne peuvent jamais finir ! Ce discours même n’est pas bon pour mes yeux, qui sont d’une foiblesse étrange ; et je me sens dans une disposition qui m’oblige à finir cet endroit. Il faut pourtant que je vous dise encore que je regarde le temps où je vous verrai comme le seul que je desire à présent, et qui peut m’être agréable dans la vie. Dans cette pensée vous devez croire que pour mon intérêt et pour diminuer toutes mes inquiétudes, qui vont être augmentées jusqu’à devenir insupportables, je ne trouverois aucun trajet qui ne fût court ; mais j’ai de grandes conversations avec d’Hacqueville ; nous voyons ensemble d’autres intérêts, et les miens le cèdent à ceux-là. Il est témoin de tous mes sentiments ; il voit mon cœur sur votre sujet : c’est lui qui se charge de vous les faire entendre, et de vous mander ce que nous résolvons. Dans cette vue, c’est lui qui veut que j’avale toute l’amertume d’être loin de vous plutôt que de ne pas faire un voyage qui vous soit utile. Je cède à toutes ces raisons, et je crois ne pouvoir m’égarer avec un si bon guide.

Parlons de votre santé ; est-il possible que le carrosse ne vous fasse point de mal ? N’y allez point longtemps de suite ; reposez-vous souvent. Je vis hier Mme de Guise ; elle me chargea de vous faire mille amitiés, et de vous dire comme elle a été trois jours à l’extrémité, Mme Robinet n’y voyant plus goutte, et tout cela pour s’être agitée sur la foi de sa première couche, sans se donner aucun repos. L’agitation continuelle, qui ne donne pas le temps à un enfant de se pouvoir remettre à sa place, quand il a été ébranlé, fait une couche avancée, qui est très-souvent mortelle. Je lui promis de vous donner toutes ces instructions pour quand vous en auriez besoin, et de vous dire tous les repentirs qu’elle avoit d’avoir perdu l’âme et le corps de son enfant. Je m’acquitte exactement de cette commission, dans l’espérance qu’elle vous sera utile. Je vous conjure, mon enfant, d’avoir un soin extrême de votre santé : vous n’avez que cela à faire.

Votre Monsieur, qui dépeint mon esprit juste et carré[496], composé, étudié, l’a très-bien dévidé, comme disoit cette diablesse. J’ai fort ri de ce que vous m’en écrivez, et vous ai plainte de n’avoir personne à regarder pendant qu’il me louoit si bien ; je voudrois au moins avoir été derrière la tapisserie. Je vous remercie, ma bonne, de toutes les honnêtetés que vous avez faites à la Brosse : c’est une belle chose qu’une vieille lettre[497] ; il y a longtemps que je les trouve encore pires que les vieilles gens : tout ce qui est dedans est une vraie radoterie. Vous êtes bien en peine de ce rhume. Ce fut aussi dans cette lettre-là que je voulus vous en parler.

Il est vrai que j’aime votre fille ; mais vous êtes une friponne de me parler de jalousie ; il n’y a ni en vous ni en moi de quoi la pouvoir composer. C’est une imperfection dont vous n’êtes point capable, et je ne vous en donne non plus de sujet que M. de Grignan. Hélas ! quand on trouve en son cœur toutes les préférences, et que rien n’est en comparaison, de quoi pourroit-on donner de la jalousie à la jalousie même ? Ne parlons point de cette passion ; je la déteste : quoiqu’elle vienne d’un fonds adorable, les effets en sont trop cruels et trop haïssables.

Je vous prie de ne point faire des songes si tristes de moi : cela vous émeut et vous trouble. Hélas ! ma bonne, je suis persuadée que vous n’êtes que trop vive et trop sensible sur ma vie et sur ma santé ; vous l’avez toujours été, et je vous conjure aussi, comme j’ai toujours fait, de n’en être point en peine. J’ai une santé au-dessus de toutes les craintes ordinaires ; je vivrai pour vous aimer, et j’abandonne ma vie à cette occupation, et à toute la joie, et à toute la douceur, à tous les égarements, et à toutes les mortelles inquiétudes, et enfin à tous les sentiments que cette passion me pourra donner.

Je vous enverrai des mémoires pour la fondation ; vous avez raison de ne la point encore prendre légèrement. Je vous remercie du soin que vous aurez de cela.

Mme de Verneuil a été très-mal à Verneuil de sa néphrétique. Elle est accouchée d’un enfant que l’on a nommé Pierre, car ce n’est pas Pierrot[498], tant il étoit gros. Faites-lui des compliments par l’abbé.

Mon royaume commence à n’être plus de ce monde. Nous trouvâmes l’autre jour aux Tuileries Mme d’Aumont[499] et Mme de Ventadour. La première nous parut d’une incivilité parfaite en répondant comme une reine aux compliments que nous lui faisions sur sa couche, en lui disant que nous avions été à sa porte ; pour l’autre, elle nous parut d’une sottise si complète, que je plaignis M. de Ventadour, et je trouvai que c’étoit lui qui étoit mal marié. Que toutes les jeunes femmes sont sottes, plus ou moins ! je n’en connois qu’une au monde ; eh bon Dieu ! qu’elle est loin !

Je me jette à corps perdu dans la bagatelle pour me dissiper. Quand je m’abandonne à parler tendrement je ne finis point et je m’en trouve mal. J’ai vu Gacé ; j’ai dîné avec lui chez Mme d’Arpajon. J’ai pris un plaisir extrême à le faire parler de vous. Il m’a dit que M. de Grignan lui avoit parlé d’une espèce de grossesse qui commençoit à se faire espérer ; il m’a dit que vous étiez belle, gaie, aimable, que vous m’aimiez, enfin jusqu’à vos moindres actions. Je me suis tout fait expliquer. Au reste, ma bonne, vous n’êtes pas seule qui aimez votre mère. Mme de Soubise[500] écrit ici des lettres qui surpassent sa capacité ordinaire. Elle sait que Mme de la Troche a eu soin de divertir et de consoler sa mère ; elle l’en a remerciée par une lettre d’une manière qui m’a surprise. Mme de Rohan m’a bien fait souvenir d’une partie de mes douleurs dans la séparation de sa fille. Elle croit qu’elle est grosse : c’est un paquet bien commode dans un voyage de la cour.

Mais, ma bonne, pourquoi avez-vous été à Marseille ? Monsieur de Marseille mande ici qu’il y a de la petite vérole : puis-je avoir un moment de repos que je ne sache comme vous vous portez ? De plus on vous aura tiré du canon qui vous aura émue : cela est très-dangereux. On dit que de Biez accoucha l’autre jour d’un coup de pistolet, qu’on tira dans la rue. Vous aurez été dans des galères, vous aurez passé sur des petits ponts, le pied peut vous avoir glissé, vous serez tombée : voilà les horreurs de la séparation ; on est à la merci de toutes ces pensées ; on peut croire sans folie que tout ce qui est possible peut arriver : toutes les tristesses des tempéraments sont des pressentiments, tous les songes sont des présages, toutes les prévoyances sont des avertissements ; enfin c’est une douleur sans fin.

Je ne suis point encore partie ; vous vous moquez : je ne suis qu’à deux cents lieues de vous. Je partirai entre ci et la Pentecôte[501] ; je la passerai, ou à Chartres, ou à Malicorne[502] ; mais sûrement point à Paris. Je serois partie plus tôt ; mais mon fils m’a arrêtée pour savoir s’il viendroit avec moi. Enfin il y vient, et nous attendons les chevaux qu’il fait venir de Lorraine. Ils arriveront aujourd’hui, et je pars la semaine qui vient. Vous êtes aimable d’entrer comme vous faites dans la tristesse de mon voyage ; elle

ne sera pas médiocre de l’esprit dont je suis. Vous voudriez quitter votre splendeur pour être une simple bergère auprès de moi dans mes grandes allées. Hélas ! je le crois, pour quelques heures seulement. Vous pouvez penser combien de souvenirs de vous entre la Mousse et moi, et combien de millions de choses nous en feront souvenir, sans compter cette pensée habituelle qui ne me quitte jamais. Il est vrai que je n’aurai point Hébert ; j’en suis fâchée, mais il faut se résoudre à tout : il est revenu de Chantilly, il est désespéré de la mort de Vatel, il y perd beaucoup ; Gourville l’a mis à l’hôtel de Condé pour faire cette petite charge dont je vous ai parlé. M. de la Rochefoucauld dit qu’il prend des liaisons avec Hébert, dans la pensée que c’est un homme qui commence une grande fortune : à cela je lui réponds que mes laquais ne sont pas si heureux que les siens[503]. Ce duc vous aime, et m’a assurée qu’il ne vous renverroit point votre lettre toute cachetée. Mme de la Fayette me prie toujours de vous dire mille choses pour elle : je ne sais si je m’en acquitte bien. Ne m’écrivez, ma chère bonne, qu’autant que cela ne fera point de mal à votre santé, et que cela soit toujours de l’état où vous êtes. Répondez moins à mes lettres et me parlez de vous : plus je serai en Bretagne, plus j’aurai besoin de cette consolation ; ne m’expédiez point là-dessus, et si vous ne le pouvez, faites écrire la petite Deville, et empêchez-la de donner dans la justice de croire, et dans les respectueux attachements. Qu’elle me parle de vous, et quoi encore ? de vous et toujours de vous.

Vous êtes plaisante avec vos remerciements. Enfin vous êtes au point de faire des présents des gazettes de Hollande et des lettres que je vous écris : c’est être à vide de reconnoissances comme vous l’étiez il y a un an de désespoirs.

Ne jetez pas si loin les livres de la Fontaine. Il y a des fables qui vous raviront, et des contes qui vous charmeront : la fin des Oies de frère Philippe, les Remois, le petit Chien, tout cela est très-joli ; il n’y a que ce qui n’est point de ce style qui est plat. Je voudrois faire une fable qui lui fît entendre combien cela est misérable de forcer son esprit à sortir de son genre, et combien la folie de vouloir chanter sur tous les tons fait une mauvaise musique. Il ne faut point qu’il sorte du talent qu’il a de conter[504].

Brancas est triste à mourir ; sa fille partit hier avec son mari pour le Languedoc ; sa femme pour Bourbon. Il est seul et tellement extravagué que nous ne cessons d’en rire, M. de Coulanges et moi.

Monsieur de Marseille a mandé à l’abbé de Pontcarré[505] que vous étiez grosse : j’ai fait assez longtemps mon devoir de cacher ce malheur ; mais enfin l’on se moque de moi.

Pour votre coiffure, elle doit ressembler à celle d’un petit garçon. La raie qui est poussée jusqu’au milieu de la tête est tournée jusqu’au-dessus des oreilles. Tout cela est coupé et tourné en grosses boucles qui viennent au-dessous des oreilles. On met un nœud entre le rond et ce coin qui est de chaque côté ; il y a des boucles sur la tête. Cela est jeune et joli, cela est peigné, quelquefois un peu tapé, bouclé, chiffonné, taponné, et toujours selon que cela sied au visage. Mme de Brissac et Mme de Saint-Géran, qui n’ont pas encore voulu faire couper leurs cheveux, me paroissent mal, tant la mode m’a corrompue. Quand on est bien coiffée de cette manière, on est fort bien. Quoique ce ne soit pas une coiffure réglée, elle l’est pourtant assez pour qu’il n’y en ait point d’autre pour les jours de la plus grande cérémonie. Écrivez à Mlle du Gué qu’elle vous envoie une poupée que M. de Coulanges lui a envoyée. Vous verrez par là comme cela se fait.

Votre fille embellit tous les jours. Je vous manderai vendredi sa destinée pour cet été, et, s’il se peut, celle de votre appartement que jusques ici tout le monde admire et que personne ne loue.

J’embrasse mille fois M. de Grignan, malgré toutes ses iniquités ; je le conjure au moins que, puisqu’il fait les maux, il fasse les médecines[506], c’est-à-dire qu’il ait un soin extrême de votre santé, qu’il soit le maître là-dessus, comme vous devez être la maîtresse sur tout le reste.

Je crains votre voyage de Marseille. Si Bandol est avec vous, faites-lui mes compliments. Guitaut m’a montré votre lettre : vous écrivez délicieusement. On se plaît à les lire comme à se promener dans un beau jardin. M. d’Harouys vous adore. Il est plus loin d’être fâché contre vous que cette épingle qui étoit à Marseille n’étoit loin de celle qui étoit à Vitré. Jugez par là combien il vous aime ; car je m’en souviens, cet éloignement nous faisoit trembler. Hélas ! nous y voilà ; je ne suis point trompée dans ce qu’il me fait souffrir. Mon oncle l’abbé a vu ce matin ce d’Harouys. Vous pouvez disposer de tout son bien, et c’est pour cela que vous avez très-bien fait de lui renvoyer honnêtement sa lettre de crédit. Adieu, ma bonne, je vous baise et je vous embrasse.


165. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 8e mai.

Me voilà encore, et je ne puis partir que dans huit jours. L’incertitude du camp de Lorraine, pour mener ou pour ne mener pas mon fils, fait toute la mienne, et me donne de l’ennui. J’en ai beaucoup plus encore de votre santé : votre voyage de Marseille me trouble ; l’air de la petite vérole et le bruit des canons me donnent une inquiétude qui n’est que trop juste. Si je ne vais point m’en soulager par être auprès de vous, vous me serez bien plus obligée, ma fille, que si je traversois la France. L’état où je suis, et où je vais être, est dur à soutenir ; et rien ne seroit capable de m’arrêter que les raisons que vous savez, et dont nous sommes en confidence, notre cher ami[507] et moi. Je sens quelque consolation de l’avoir pour témoin de tous mes sentiments, non pas que j’en aie besoin auprès de vous, mais j’aime à mettre mes sentiments les plus chers en dépôt entre les mains d’un homme comme lui.

Je fus hier longtemps chez Mme du Puy-du-Fou. Sérieusement elle vous aime, et vous lui êtes obligée des soins et des prévoyances qu’elle a pour vous. Son cœur n’en sait pas davantage ; mais dans cette étendue elle fait parfaitement bien. L’abbé est ravi de vous voir appliquée à vos affaires ; il vous trouve digne de tous ses soins, dès le moment que vous songez à mettre la règle dans votre maison. Ajoutez cette perfection à toutes les autres ; ne vous relâchez point. Il n’est pas question de suivre toujours les beaux sentiments ; il faut avoir pitié de soi, et avoir de la générosité pour soi-même, comme on en a pour les autres. En un mot, continuez tous vos bons commencements, et amusez-vous à vous conserver, et à bien conduire vos affaires. J’espère que le voyage de notre abbé, en quelque temps que ce soit, ne vous sera pas inutile. Adieu, ma très-chère ; j’attends avec des impatiences vives des nouvelles de votre santé et de votre voyage.


166. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce mercredi 13e mai.

Je reçois votre lettre de Marseille, ma chère bonne ; jamais une relation ne m’a tant amusée. Je lisois avec plaisir et avec attention (je suis fâchée de vous le dire, car vous n’aimez pas cela, mais vous narrez très-agréablement) : je lisois donc votre lettre vite, par impatience, et je m’arrêtois tout court, pour ne la pas dévorer si promptement ; je la voyois finir avec douleur, et douleur de toute manière ; car je ne vois que de l’impossibilité à votre retour, moi qui ne fais que le souhaiter. Ne m’en ôtez pas, ma chère bonne, ni à vous-même, du moins l’espérance. Pour moi, j’irai très-assurément vous voir, avant que vous preniez aucune résolution là-dessus : ce voyage est nécessaire à ma vie.

Vous avez donc, ma bonne, été bien étourdie de tant de canons et du hou des galériens ; vous y avez reçu des honneurs comme la Reine, et moi, plus que je ne vaux : je n’ai jamais vu une telle galanterie que de donner mon nom pour le mot de guerre. Je vois bien, ma fille, que vous pensez à moi très-souvent, et que cette maman mignonne de M. de Vivonne[508] n’est pas de contrebande avec vous. Mais je crois que Marseille vous a paru beau ; vous m’en faites une peinture extraordinaire qui ne déplaît pas : cette nouveauté, à quoi rien ne ressemble, touche ma curiosité ; je serai fort aise de voir cette sorte d’enfer. Comment ! des hommes gémir jour et nuit sous la pesanteur de leurs chaînes ! Voilà ce qu’on ne voit point ici : on en parle assez ; elles font même quelquefois du bruit ; mais il n’y a rien d’effectif qu’à Marseille. J’ai cette image dans la tête,

     E di mezzo l’horrore esce il diletto[509].

Vous êtes belle, à ce que vous dites, et où est donc votre grossesse ? Comment s’accommode-t-elle avec votre beauté et avec tant de fatigue ? Il revient ici de vous des louanges, des panégyriques ; vous avez un esprit si bon, si juste, si droit, qu’on vous a fait seule arbitre des plus grands différends. Vous avez accommodé les différends infinis de M. de Monaco avec un Monsieur dont j’ai oublié le nom. Vous avez un sens si net et si fort au-dessus des autres, qu’on laisse le soin de parler de votre personne, pour parler de votre esprit : voilà ce qu’on dit de vous ici. Si vous trouvez quelque prince Alamir, vous avez du fonds de reste pour faire le premier tome du roman, sans qu’on ose en parler. Je n’ai pas voulu faire ce tort à la Provence, de vous cacher la manière dont vous y êtes honorée, et dont on y parle de vous. Je voudrois savoir si vous êtes entièrement insensible à tous les honneurs qu’on vous fait. Pour moi, je vous avoue grossièrement qu’ils ne me déplairoient pas ; mais je ferois l’impossible pour tâcher de revenir ici quelque temps me dépouiller de ma splendeur : ce qui vous en reste ici est trop bon pour être négligé. Mme des Pennes[510] a été aimable comme un ange ; Mlle de Scudéry l’adoroit[511] : c’étoit la princesse Cléobuline ; elle avoit un prince Thrasibule en ce temps-là ; c’est la plus jolie histoire de Cyrus[512]. Si vous étiez encore à Marseille, je vous prierois de bien faire des compliments pour moi à M. le général des galères[513] ; mais vous n’y êtes plus. Pour moi, je suis encore ici ; j’en suis en furie : je voulois partir vendredi ; l’abbé se met à genoux pour que ce ne soit que lundi : on ne peut tirer les prêtres de Paris ; il n’y a que les dames qui en veuillent partir. Je m’en irai donc lundi. Il me semble que vous voulez savoir mon équipage, afin de me voir passer comme j’ai vu passer M. Busche. Je vais à deux calèches, j’ai sept chevaux de carrosse, un cheval de bât qui porte mon lit[514], et trois ou quatre hommes à cheval ; je serai dans ma calèche tirée par mes deux beaux chevaux ; l’abbé sera quelquefois avec moi. Dans l’autre, mon fils, la Mousse et Hélène ; cela aura quatre chevaux avec un postillon. Quelquefois le bréviaire assemblera le second ordre, et laissera place à un certain bréviaire de Corneille, que nous avons envie de dire, Sévigné et moi. Voilà de beaux détails, mais on ne les hait pas des personnes que l’on aime. Vous écrivez une lettre à votre frère qui vaut un empire, elle est plaisante ; j’en ai bien ri, j’eusse juré que sa… eût été ridicule[515] ; en effet, j’ai trouvé qu’elle ressemble à une amande lissée[516]. Voilà de ces sortes de physionomies qui ne se raccommoderont jamais avec moi.

J’ai fait moi-même déménager et mettre en sûreté tous vos meubles dans une chambre que j’ai réservée ; j’ai été présente à tout. Pourvu que vous ayez intérêt à quelque chose, elle est digne de mes soins. Je n’ai pas tant d’amitié pour moi, Dieu m’en garde. Je n’ai garde, ma bonne, de dire à notre océan la préférence que vous lui donnez : il en seroit trop glorieux ; il n’est pas besoin de lui donner plus d’orgueil qu’il n’en a.

Bien du monde s’en va lundi comme moi. Brancas est parti ; je ne sais si cela est bien vrai, car il ne m’a point dit adieu ; il croyoit peut-être l’avoir fait. Il étoit l’autre jour debout devant la table de Mme de Coulanges ; je lui dis : « Asseyez-vous donc, ne voulez-vous pas souper ? » Il se tenoit toujours debout. Mme de Coulanges lui dit ; « Asseyez-vous donc. — Parbleu ! dit-il, Mme de Sanzei[517] se fait bien attendre ; je crois qu’on ne lui a pas dit qu’on a servi. » C’étoit elle qu’il attendoit, et il y a environ cinq semaines qu’elle est à Autry[518]. Cette civilité, faite fort naïvement, nous fit rire.

Je vous conjure, ma très-chère bonne et très-belle de ne point prendre de chocolat. Je suis fâchée contre lui personnellement. Il y a huit jours que j’eus seize heures durant une colique et une suppression qui me fit toutes les douleurs de la néphrétique. Pecquet me dit qu’il y avait beaucoup de bile et d’humeurs en l’état où vous êtes ; il vous seroit mortel.

Mme de Soubise est grosse ; elle s’en plaint à sa mère, mais inutilement. Pour Mme de Louvigny[519], vous le savez. Si je pouvois trouver quelque honnête veuve ou quelque honnête fille qui le fût aussi, je vous le manderois pour votre consolation.

L’abbé Têtu est parti, disant que Paris lui pèse sur les épaules ; il est allé droit à Fontevrault, c’est le chemin, cela est heureux ; de là il va à Richelieu, qui n’est qu’à cinq lieues ; il y demeurera. Ce voyage paroît ridicule à bien des gens, et semble l’éloigner encore de l’épiscopat[520] ; pour moi, je dis qu’il l’en approchera. Vous voyez qu’il ne s’accommode pas si bien de l’absence de Mme de Fontevrault que de la vôtre. Si j’étois désormais en lieu de vous parler du prochain, je prendrois votre manière ; elle est mille fois plus nette et plus facile que le galimatias dont je m’étois servie, et que vous avez pourtant fort bien deviné : il n’y en a guère d’impénétrable pour vous.

Vous trouvez que mon fils me console de Paris, que les états me consoleront de mon fils ; mais de vous, ma belle, qui m’en consolera ? Je n’ai point encore trouvé qu’il y ait rien dans le monde qui puisse s’en vanter. Je vous embrasse mille et mille fois. Aimez-moi toujours, c’est la seule joie et la seule consolation de ma vie.

1671

167. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi r 5e mai.

Me voici encore, ma pauvre bonne, avec tout le chagrin qui accompagne les départs retardés, et les départs qui éloignent de vous encore plus que nous ne sommes. Quelle rage de prendre un chemin opposé à celui de son cœur ! Si jamais je ne vois plus rien entre la Provence et moi, je serai transportée de joie. L’envie continuelle que j’ai de recevoir de vos lettres, et d’apprendre l’état de votre santé, c’est une chose si dévorante pour moi, que je ne sais comme je la pourrai supporter. J’attends dimanche de vos nouvelles, et puis je pars lundi matin. Je suis occupée à donner tous les ordres nécessaires pour en avoir souvent, je pense y avoir réussi autant qu’il se peut. J’ai trouvé dans une petite armoire, en déménageant votre cabinet, cette jolie petite lanterne que vous a donnée M. de Grignan, à qui nous disions si bien :

Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux[521].

Ah vraiment, tant y a, je l’ai. Il me prit envie de la faire jouer pour vingt pistoles, si je trouve des femmes assez folles pour cela. Je crois que vous en serez bien d’accord : je la mettrai entre les mains de M. de Coulanges ; mandez-lui votre avis.

Mme de Crussol[522] est grosse, et mille autres ; j’allai hier lui dire adieu, et à l’effigie de Mme de Montausier. Si j’avois le temps, je vous conterois les gentillesses qu’elle me dit ; mais j’ai été accablée ce matin d’adieux et d’affaires. Je m’en vais dire les miens en Lavardin. Je ferai mon paquet ce soir, j’aurai plus de loisir. Je finis donc cette feuille en vous embrassant mille fois, avec une si vive et si extrême tendresse, que je ne pense pas qu’il y en ait au monde une pareille.

Vendredi au soir, 15e mai (chez
M. de la Rochefoucauld).

Je suis auprès d’un homme qui vous aime, et qui vous conjure de le croire. Il a pris un grand plaisir à entendre la peinture de vos galériens de Marseille. Mme de la Fayette me dicte beaucoup de belles choses que je ne vous dirai point. Nous avons été nous promener chez Faverole[523], à Issy, où les rossignols, l’épine blanche, les lilas, les fontaines et le beau temps nous ont donné tous les plaisirs innocents qu’on peut avoir. C’est un lieu où je vous ai vue ; cela nourrit fort la tendresse. Nous y vîmes une fois un chat qui voulut arracher les deux yeux de Mme de la Fayette, et pensa bien d’en passer son envie, si vous vous en souvenez. J’ai dit adieu à toutes les beautés de ce pays : je m’en vais dans un autre bien rude : il n’y en a point, ma bonne, où je ne trouve le moyen de penser uniquement à vous. J’ai recommandé ma petite enfant à Mme Amelot, à Mme d’Ormesson, et surtout à Mme du Puy-du-Fou, avec qui je fus hier deux heures ; elle en aura soin comme de la sienne. J’ai pris congé des Uzès[524] et de mille autres. Enfin voilà qui est fait. M. de Rambures[525] est mort : pouvez-vous vous imaginer sa femme affligée avec un bandeau[526] ? L’abbé de Foix[527] se meurt ; il a reçu tous ses sacrements, il agonise, cela est pitoyable. J’ai reçu une lettre de Corbinelli, qui me paroît excessivement content de M de Vardes et de sa libéralité. Si vous écrivez quelquefois à Vardes, je vous prie de lui mander ce que je vous dis, afin qu’il voie qu’il n’y a rien de moins ingrat que son ami. Bonsoir, ma petite, nous sommes tristes, nous n’avons rien de gaillard à vous mander. Si vous aimez à être parfaitement aimée, vous devez aimer mon amitié.



1671

168. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.


À Paris, ce 17e mai 1671.

Je vous écris dans la cellule de notre petite sœur de Sainte-Marie[528]. J’aime cette nièce, je lui trouve de l’esprit, et une piété qui me charme, et qui me donne de l’envie, car après tout, mon pauvre cousin, rien n’est si bon ni si solide que la pensée de son salut. Voici une créature qui en est uniquement occupée. Cela fait que je l’honore, contre l’inclination naturelle que j’aurois de ne la pas trop respecter.

Je la quitte pour vous dire que je loue fort l’occupation que vous vous donnez présentement. Elle est digne de votre esprit ; et je m’en réjouis par avance pour l’intérêt de nos neveux., qui trouveront un grand goût à ces Mémoires[529].

Je pars demain pour aller en Bretagne. J’y serai jusqu’à la Toussaint. La pauvre Grignan est sous son soleil de Provence. Si les honneurs qu’on lui fait pouvoient la rafraîchir un peu, elle seroit bien heureuse, mais je doute que rien la puisse consoler entièrement de nous avoir quittés. Écrivez-moi, monsieur le Comte, écrivez-moi dans ma province, et croyez que vous n’êtes guère moins bien auprès de moi qu’auprès de notre petite sœur, à la réserve qu’elle vous respecte comme son père, et que je vous honore comme mon cousin.


169. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Lundi matin, en partant, 18e mai.

Enfin, ma fille, me voilà prête à monter dans ma calèche ; voilà qui est fait, je vous dis adieu. Jamais je ne vous dirai cette parole sans une douleur sensible. Je m’en vais donc en Bretagne : est-il possible qu’il y ait encore quelque chose à faire à un éloignement, quand on est à deux cents lieues l’une de l’autre ? Cependant j’ai trouvé encore à le perfectionner ; et comme vous avez trouvé que votre ville d’Aix n’étoit pas encore assez loin, je trouve aussi que Paris est dans votre voisinage : vous êtes allée à Marseille pour me fuir ; et moi, je m’en vais à Vitré pour le renvier sur vous. Tout de bon, ma petite, j’ai bien du regret à notre commerce : il m’étoit d’une grande consolation et d’un grand amusement ; il sera présentement d’une étrange façon. Hélas ! que vais-je vous dire du milieu de mes bois ? Je vous parlerai à cœur ouvert de Mlle du Plessis[530] et de Jacquine[531] : les jolies peintures ! Je suis fort contente de ce que vous me dites de votre santé ; mais, au nom de Dieu, si vous m’aimez, conservez-vous : ne dansez point, ne tombez point, reposez-vous souvent, et surtout prenez vos mesures pour accoucher à Aix, au milieu de tous les prompts secours. Vous savez comme vous êtes expéditive, rangez-vous-y plus tôt que plus tard. Bon Dieu ! que ne souffrirai-je point en ce temps-là !

Vous me contez fort plaisamment le démêlé que vous avez eu avec mon ami Vivonne. Il me paroît que tout le tort est de son côté ; vous le menâtes beau train de la manière dont vous l’aviez pris ; son décontenancement me fait suer, et lui aussi, j’en suis assurée. Conclusion, vous l’embrassâtes : c’est un grand effort en l’état où vous êtes[532]. Il faut toujours faire en sorte de n’avoir point de querelle ni d’ennemis sur les bras.

Ce pauvre abbé de Foix est mort : cela fait pitié. Qui pourroit croire qu’une mère qui a trois garçons, dont l’aîné est marié, fût sur le point de voir finir sa maison ? Cependant il est vrai, ce petit duc de Foix ne vaut pas un coup de poing[533]. Il est à Bordeaux avec sa mère pour un procès. Quelle nouvelle pour eux ! L’Armentière beauté[534] fait la guerre à ses beaux cheveux et se déchire le sein, à ce qu’on dit ; je vois que cela vous console. Savez-vous que notre petite Senneterre[535] est accouchée à Grenoble ? Je ne sais qui ne part point aujourd’hui ; nous comptâmes hier jusqu’à vingt personnes de qualité qui font comme moi. M. de Coulanges me donna un grand souper, où tout le monde s’assembla pour me dire adieu. Adieu donc, ma très-chère et très-aimable. Je m’en vais coucher à Bonnelle[536]. J’espère que j’y retrouverai cette dévotion que vous y laissâtes une fois ; je la prendrai : hélas ! j’en ai assez de besoin pour me faire supporter avec patience l’absence et l’éloignement d’une aimable enfant que j’aime si passionnément, et toutes les justes craintes que je puis avoir pour sa santé. Songez un peu, ma fille, à ce que je puis souffrir, n’étant secourue d’aucune distraction.

J’emmène votre frère, et le dérobe à toute la honte de ses mauvais procédés. Vous jugez bien que ses maîtresses ne seront pas inconsolables ; pour moi, je m’en accommoderai fort bien.

Je suis persuadée de ce que dit M, de Grignan. Ah ! mon cher Comte, je le crois assurément, il n’y a personne qui n’en eût fait autant que vous, s’il eût été à votre place : vous me payez de raison, et vous le prenez sur un ton qui mérite qu’on vous pardonne ; mais songez pourtant que la jeunesse, la beauté, la santé, la gaieté, et la vie

d’une femme que vous aimez, toutes ces choses sont détruites par les rechutes fréquentes du mal que vous faites souffrir.

Ma fille, je reviens à vous, après avoir dit adieu à votre mari. Il nous revient ici que vous perdez tout ce que vous jouez l’un et l’autre. Eh mon Dieu ! pourquoi tant de malheur, et pourquoi cette petite pluie continuelle, que j’ai toujours trouvée si incommode ? Je deviens comme elle, je ne finis point. Adieu donc pour la centième fois, ma chère enfant ; remerciez bien d’Hacqueville de toutes les amitiés que j’en reçois tous les jours : il entre dans mes sentiments ; voilà de quoi il est question en ce monde. N’oubliez pas de faire savoir à Vardes que Corbinelli se loue fort de lui.


170. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Malicorne, samedi 23e mai.

J’arrive ici, où je trouve une lettre de vous, tant j’ai su donner un bon ordre à notre commerce. Je vous écrivis lundi en partant de Paris ; depuis cela, mon enfant, je n’ai fait que m’éloigner de vous avec une telle tristesse et un souvenir de vous si pressant, qu’en vérité la noirceur de mes pensées m’a rendue quelquefois insupportable. Je suis partie avec votre portrait dans ma poche ; je le regarde fort souvent : il seroit difficile de me le dérober présentement sans que je m’en aperçusse ; il est parfaitement aimable ; j’ai votre idée dans l’esprit ; j’ai dans le milieu de mon cœur une tendresse infinie pour vous : voilà mon équipage, et voilà avec quoi je vais à trois cents lieues de vous. Nous avons été fort incommodés de la chaleur. Un de mes beaux chevaux demeura dès Palaiseaux[537] ; les autres six ont tenu bon jusques ici. Nous partons dès deux heures du matin pour éviter l’extrême chaleur ; encore aujourd’hui nous avons prévenu l’aurore dans ces bois pour voir Sylvie[538], c’est-à-dire Malicorne[539], où je me reposerai demain. J’y ai trouvé les deux petites filles[540], rechignées, un air triste, une voix de Mégère. J’ai dit : Ces petits sont sans doute à notre ami, fuyons-les. Du reste, nos repas ne sont point repas à la légère[541]. Jamais je n’ai vu une meilleure chère, ni une plus agréable maison. Il me falloit toute l’eau que j’y ai trouvée, pour me rafraîchir du fond de chaleur que j’ai depuis six jours. Notre abbé se porte bien ; mon fils et la Mousse me sont d’une grande consolation. Nous avons relu des pièces de Corneille, et passé avec plaisir sur toutes nos vieilles admirations. Nous avons aussi un livre nouveau de Nicole[542] ; c’est de la même étoffe que Pascal et l'Éducation d’un Prince[543] ; mais cette étoffe est merveilleuse : on ne s’en ennuie point.

Nous serons le 27e aux Rochers, où je trouverai une de vos lettres : hélas ! c’est mon unique joie. Vous pouvez ne me plus écrire qu’une fois la semaine, parce qu’aussi bien elles ne partiront de Paris que le mercredi, et j’en recevrois deux à la fois[544]. Il me semble que je m’ôte la moitié de mon bien ; cependant j’en suis aise, parce que c’est autant de fatigue retranchée en l’état où vous êtes. Il faut que je sois devenue de bonne humeur pour vouloir bien que vous preniez cela sur moi. Mais, ma fille, au nom de Dieu, conservez-vous, si vous m’aimez. Ah ! que j’ai de regret à votre aimable personne ! N’aurez-vous jamais un moment de repos ? Faut-il user sa vie à cette continuelle fatigue ? Je comprends les raisons de M. de Grignan ; mais en vérité, quand on aime une femme, quelquefois on en a pitié.

Mon éventail est donc venu bien à propos ; ne l’avez-vous pas trouvé joli ? Hélas ! quelle bagatelle ! ne m’ôtez pas ce petit plaisir quand l’occasion s’en présente, et remerciez-moi de la joie que je me donne, quoique ce ne soit que des riens. Mandez-moi bien de vos nouvelles : c’est là de quoi il est question. Songez que j’aurai une de vos lettres tous les vendredis ; mais songez aussi que je ne vous vois plus, que vous êtes à mille lieues de moi, que vous êtes grosse, que vous êtes malade ; songez… non, ne songez à rien, laissez-moi tout songer dans mes grandes allées, dont la tristesse augmentera la mienne : j’aurai beau m’y promener, je n’y trouverai point ce que j’y avois la dernière fois que j’y fus. Adieu, ma très-chère enfant ; vous ne me parlez point assez de vous. Marquez toujours bien la date de mes lettres. Hélas ! que diront-elles présentement ? Mon fils vous embrasse mille fois. Il me désennuie extrêmement ; il songe fort à me plaire. Nous lisons, nous causons, comme vous le devinez fort bien. La Mousse tient bien sa partie ; et par-dessus tout notre abbé, qui se fait adorer parce qu’il vous adore. Il m’a enfin donné tout son bien[545] : il n’a point eu de repos que cela n’ait été fait ; n’en parlez à personne, la famille le dévoreroit ; mais aimez-le bien sur ma parole, et sur ma parole aimez-moi aussi. J’embrasse ce fripon de Grignan, malgré ses forfaits.


171. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Chaseu, ce 24e mai 1671.

Lorsque j’ai voulu faire réponse à votre lettre, ma chère cousine, j’ai été tout prêt à m’aller enfermer dans la chambre du père gardien des capucins d’Autun ; car je ne suis pas un homme à me laisser donner mon reste sur les bons exemples, non plus que sur autre chose. Mais, pour revenir à notre petite sœur de Sainte-Marie, je vous avouerai qu’elle a de l’esprit, et que je la crois une bonne religieuse ; et sur les pensées que vous avez avec elle de votre salut, je remarque que les bons et les mauvais exemples font le bien et le mal de votre conduite. Avec les religieuses vous songez à vous sauver, et vous vous damnez avec les gens du monde. Je suis fait en cela tout comme vous, et cent mille gens nous ressemblent[546].

Ce que vous me dites sur mes Mémoires m’encourage fort à les continuer.

Je vous écrirai en Bretagne ; mais quelque soin que nous prenions de nous entretenir, à peine pourrons-nous en cinq mois, moi vous écrire une fois, et vous me faire réponse. Cependant faisons toujours tout ce qui dépendra de nous sur cela.

Si Mme de Grignan est assurée de retourner cet hiver à Paris, je vous assure que les honneurs qu’elle recevra en Provence la consoleront fort de n’être pas auprès de vous ; mais si elle ne doit point revenir, elle aura mille chagrins pires que les excessives chaleurs[547].

Je ne veux de vous, ma chère cousine, ni des respects ni des honneurs ; je veux seulement de l’amitié et de l’estime, et vous ne me les devez pas refuser, car j’en ai infiniment pour vous.


1671

172. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers[548], dimanche 31e mai.

Enfin, ma fille, nous voici dans ces pauvres Rochers. Quel moyen de revoir ces allées, ces devises, ce petit cabinet, ces livres, cette chambre, sans mourir de tristesse ? Il y a des souvenirs agréables ; mais il y en a de si vifs et de si tendres, qu’on a peine à les supporter : ceux que j’ai de vous sont de ce nombre. Ne comprenez-vous point bien l’effet que cela peut faire dans un cœur comme le mien ?

Si vous continuez de vous bien porter, ma chère enfant, je ne vous irai voir que l’année qui vient : la Bretagne et la Provence ne sont pas compatibles. C’est une chose étrange que les grands voyages : si l’on étoit toujours dans le sentiment qu’on a quand on arrive, on ne sortiroit jamais du lieu où l’on est ; mais la Providence fait qu’on oublie ; c’est la même qui sert aux femmes qui sont accouchées. Dieu permet cet oubli, afin que le monde ne finisse pas, et que l’on fasse des voyages en Provence. Celui que j’y ferai me donnera la plus grande joie que je puisse recevoir dans ma vie ; mais quelles pensées tristes de ne voir point de fin à votre séjour ! J’admire et je loue de plus en plus votre sagesse. Quoique, à vous dire le vrai, je sois fortement touchée de cette impossibilité, j’espère qu’en ce temps-là nous verrons les choses d’une autre manière ; il faut bien l’espérer, car sans cette consolation, il n’y auroit qu’à mourir. J’ai quelquefois des rêveries dans ces bois, d’une telle noirceur, que j’en reviens plus changée que d’un accès de fièvre. 1671 Il me paroît que vous ne vous êtes point ennuyée à Marseille. Ne manquez pas de me mander comme vous aurez été reçue à Grignan. Ils avoient fait ici une manière d’entrée à mon fils. Vaillant[549] avoit mis plus de quinze cents hommes sous les armes, tous fort bien habillés, un ruban neuf à la cravate. Ils vont en très-bon ordre nous attendre à une lieue des Rochers. Voici un bel incident : Monsieur l’abbé avoit mandé que nous arriverions le mardi, et puis tout d’un coup il l’oublie ; ces pauvres gens attendent le mardi jusqu’à dix heures du soir ; et quand ils sont tous retournés chacun chez eux, bien tristes et bien confus, nous arrivons paisiblement le mercredi, sans songer qu’on eût mis une armée en campagne pour nous recevoir. Ce contre-temps nous a fâchés ; mais quel remède ? Voilà par où nous avons débuté. Mlle  du Plessis[550] est tout justement comme vous l’avez laissée ; elle a une nouvelle amie à Vitré, dont elle se pare, parce que c’est un bel esprit qui a lu tous les romans, et qui a reçu deux lettres de la princesse de Tarente[551]. J’ai fait dire méchamment par Vaillant que j’étois jalouse de cette nouvelle amitié, que je n’en témoignerois rien, mais que mon cœur étoit saisi : tout ce qu’elle a dit là-dessus est digne de Molière. C’est une plaisante chose de voir avec quel soin elle me ménage, et comme elle détourne adroitement la conversation pour ne point parler de ma rivale devant moi : je fais aussi fort bien mon personnage.

Mes petits arbres sont d’une beauté surprenante. Pilois[552] les élève jusques aux nues avec une probité admirable. Tout de bon, rien n’est si beau que ces allées que vous avez vues naître. Vous savez que je vous donnai une manière de devise qui vous convenoit. Voici un mot que j’ai écrit sur un arbre pour mon fils qui est revenu de Candie, vago di fama[553] : n’est-il point joli pour n’être qu’un mot ? Je fis écrire hier encore, en l’honneur des paresseux, bella cosa far niente[554].

Hélas, ma fille, que mes lettres sont sauvages ! Où est le temps que je parlois de Paris comme les autres ? C’est purement de mes nouvelles que vous aurez ; et voyez ma confiance, je suis persuadée que vous aimez mieux celles-là que les autres. La compagnie que j’ai ici me plaît fort ; notre abbé est toujours plus admirable ; mon fils et la Mousse s’accommodent fort bien de moi, et moi d’eux ; nous nous cherchons toujours ; et quand les affaires me séparent d’eux, ils sont au désespoir, et me trouvent ridicule de préférer un compte de fermier aux contes de la Fontaine. Ils vous aiment tous passionnément ; je crois qu’ils vous écriront : pour moi, je prends les devants, et n’aime point à vous parler en tumulte. Ma fille, aimez-moi donc toujours : c’est ma vie, c’est mon âme que votre amitié ; je vous le disois l’autre jour, elle fait toute ma joie et toutes mes douleurs. Je vous avoue que le reste de ma vie est couvert d’ombre et de tristesse, quand je songe que je la passerai si souvent éloignée de vous.


173. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 7e juin.

J’ai reçu vos deux lettres avec une sorte de joie qu’il n’est pas aisé d’expliquer dans une lettre. Enfin, ma bonne, je les reçois deux jours après qu’elles sont arrivées à Paris, cela me rapproche de vous. Je voulois vous épargner et vous empêcher d’écrire plus d’une fois la semaine, et moi, je croyois ne le pouvoir qu’une fois, mais puisque vous avez tant de courage, et que vous le prenez par là, vogue la galère ! Je vous jure que vous me ferez un extrême plaisir, et que pour moi, quoique je sois persuadée que vous recevrez mes deux lettres, je ne laisserai pas de vous écrire, et même de nos petites nouvelles d’ici : vous m’aimez assez pour les souffrir. La lettre que vous avez écrite à mon fils n’est pas fricassée dans la neige, comme lui disoit Ninon ; vraiment elle est fricassée dans du sel à pleines mains : depuis le premier mot jusques au dernier, elle est parfaite. Je lui laisse le soin de vous répondre, et de vous dire comme il a réussi dans sa paroisse et dans un bal de Vitré. Nous avons lu Bertrand du Guesclin[555] en quatre jours ; cette lecture nous a divertis.

Vous n’avez pas bien lu : ma calèche ne s’est point rompue par les chemins ; mes arcs sont forgés de la main de Vulcain : à moins que de venir de cette fournaise, ils n’auroient pas résisté au troisième voyage de Bretagne qu’ils ont eu l’honneur de faire. Ce que vous voulez dire, c’est qu’un de mes chevaux, le plus beau de France, est demeuré à Nogent[556], et y mourra, selon ce qu’on m’en écrit : c’est cela qui vous a trompée.

Vous êtes grosse assurément d’un garçon ; je vous remercie de cette confidence ; je n’en abuserai pas. Je vous avoue que je l’aimerai fort, et qu’en faveur de ce Dauphin, je demanderai une grâce à M. de Grignan qu’il ne doit pas me refuser, pour votre enfant, qui est la même chose. La nourrice ne couche point avec son mari ; ce seroit tenter Dieu ; nous savons bien ce qui en arrive. C’est Marie[557] qui couche avec la nourrice et qui a soin de veiller à tout : en vérité, je ne crois pas qu’ils voulussent nous faire un tel affront.

Il est vrai, ma bonne, que j’eus, il y a quelque temps, une colique très-fâcheuse ; mais j’admire M. d’Hacqueville de vous avoir écrit que je ne lui avois point mandé. Ce qui est plaisant, c’est qu’il a eu tort en cette occasion ; et comme il a gagé d’être parfait, il n’a point osé pousser la justification avec moi, et se veut racquitter auprès de vous en disant que j’ai eu tort. Je n’en puis jamais avoir avec lui sur le chapitre de l’amitié : je l’aime tendrement, et son amitié m’est un trésor inestimable. Voici comme la chose se passa, il vaut autant dire cela qu’autre chose. J’allois à la messe à onze heures, en calèche, avec ma tante[558]. À moitié chemin j’eus un grand mal de cœur ; je craignis les suites, je revins sur mes pas, je vomis beaucoup ; voilà de grandes douleurs dans le côté droit, de grands vomissements encore, mes douleurs redoublées et une suppression qui me tenait de la nuit : voilà l’alarme au camp ; on envoie chez Pecquet, qui eut des soins de moi extrêmes ; on envoie chez l’apothicaire, on prépare un demi-bain plein de certaines petites herbes, on m’y met : si j’avois eu dix laquais, ils auroient tous été employés. Je ne songeai point du tout à Mme de la Fayette ; notre petit tapissier, qui alloit chez elle pour travailler, lui dit l’état où j’étois. Je vis arriver Mme de la Fayette, j’étois dans le bain ; elle me dit ce qui l’avoit fait venir, et qu’elle avoit rencontré un laquais de d’Hacqueville, à qui elle avoit dit mon mal, et qu’il me viendroit voir dès qu’il l’auroit appris. Cependant le jour se passe, mais non pas ma colique : pour moi, je passai mal la nuit ; je n’entendois point parler de M. d’Hacqueville ; je sentis son oubli ; j’y pensai, j’en parlai. Le matin je me portai mieux, et mieux à ces maux, c’est être guéri. M. d’Ormesson vint à midi tout effrayé, et me dit que M. d’Hacqueville lui venoit d’apprendre au palais que j’étois fort mal ; il le savoit donc. Je lui écrivis le soir une petite plainte amoureuse ; il fut embarrassé, et me voulut donner de méchantes raisons. Je lui fis voir clair que je n’avois envoyé chez personne, n’étant pas en état d’y songer ; pas même chez Mme de la Fayette : il n’avoua point ce qu’il avoit dit à M. d’Ormesson, qui le rendoit coupable ; et moi, qui suis honnête, et qui l’aime, je ne voulus point le pousser là-dessus, et lui laissai dire qu’il n’avoit appris mon mal que par mon billet. Voilà une belle narration bien divertissante et bien nécessaire ; mais elle est vraie, ma bonne ; il n’y a pas un mot pour un autre, et j’admire qu’il vous ait voulu mander cette bagatelle d’une façon si contraire à la vérité. Vous pouvez croire que voilà la dernière fois que j’en parlerai ; mais j’ai voulu vous dire la chose tout juste et tout naïvement comme elle s’est passée, et vous faire voir que si j’avois été d’abord en état de songer à quelqu’un, j’aurois songé à lui ; mais quand je sus qu’il savoit mon mal, je fus fâchée de sa négligence. Vous voyez bien que dans tout cela il n’y a rien qui vous empêche d’être fort bons amis. Son amitié est une des consolations de ma vie, elle m’est bonne à tout. Si vous n’êtes fatiguée de ce récit, vous avez une bonne santé ; je fais vœu de n’en faire jamais un si long. Je ferai vos compliments à Paris, quand ce ne seroit que pour la rareté.

Vous avez donc vu un pauvre vieil homme qu’on alloit rouer : il s’est mieux comporté qu’un certain comte de Frangipani, qui fut exécuté il y a deux mois à Vienne, avec plusieurs autres qui avoient conjuré contre l’Empereur. Ce Frangipani se trouva si incapable de supporter la mort en public, qu’il le fallut traîner au supplice. Il se défendit contre le bourreau ; il en fallut quatre pour le tenir ; enfin ils en vinrent à bout, à force de le charcuter[559]. Voilà tout justement comme je ferois. Mme de Villars m’a envoyé cette relation qu’on lui venoit d’envoyer d’Allemagne.

À propos de supplice, en voici un petit qui vous fera frissonner : vous me direz où commence votre frisson. Le frère de Mlle du Plessis ayant aux deux pieds un petit mal comme vous en avez eu, au lieu du traitement que vous a fait Charon, trouva ici un fort habile homme, un homme admirable, dit-elle, qui lui proposa comme un petit remède anodin, de lui arracher de vive force les deux ongles des doigts où il avoit mal, tout entiers, avec la racine, afin, disoit-il, que cette incommodité ne revînt plus. Il consentit à cette opération, de manière qu’il en étoit au lit quand nous sommes arrivés. Il marche présentement, mais c’est comme un château branlant, ou comme un cheval dessolé. Je crois qu’on lui dira toute sa vie : Je crains que vous tombiez ; vous n’êtes pas trop bien assuré sur vos jambes[560]. Du reste, Mlle du Plessis est toujours adorable. Elle avoit ouï dire que M. de Grignan étoit le plus beau garçon qu’on eût su voir : prenez son ton, vous lui auriez donné un soufflet[561]. Je suis quelquefois assez malheureuse pour dire quelque chose qui lui plaît ; je voudrois que vous l’entendissiez me louer et me copier. Elle a retenu aussi certaines choses que vous disiez ici, qu’elle nous redonne avec la même grâce : hélas ! si rien ne me faisoit mieux ressouvenir de vous, que je serois heureuse !

Pomenars[562] est toujours accablé de procès criminels, où il ne va jamais moins que de sa vie. Il sollicitoit l’autre jour à Rennes avec une grande barbe ; quelqu’un lui demanda pourquoi il ne se faisoit point raser : « Moi, dit-il, je serois bien fou de prendre de la peine après ma tête, sans savoir à qui elle doit être. Le Roi me la dispute. Quand on saura à qui elle doit demeurer, si c’est à moi, j’en aurai du soin[563]. » Voilà de quelle manière il sollicite ses juges.

Vous verrez, par cette lettre de Monsieur de Marseille, que nous sommes toujours amis : il me semble que j’ai reçu plus de dix fois cette même lettre. Il ne donne point dans la justice de croire ; mais il me prie d’être persuadée qu’il est, avec une vénération extraordinaire, l’évêque de Marseille ; et je le crois. Continuez l’amitié sincère qui est entre vous ; ne levez point le masque, et ne vous chargez point d’avoir une haine à soutenir : c’est une plus grande affaire que vous ne pensez.

Je ne puis m’empêcher de vous dire que vos lettres sont telles qu’on le peut souhaiter de toutes façons ; je les sais bien entendre et bien lire ; mais ne craignez point d’arrêter trop à de certains endroits ; vous êtes bien loin de ce défaut ; au contraire on voudroit quelquefois quelque chose de plus. Je parle en général ; car pour moi, je trouve toujours que vous m’en dites assez. Vous ne sauriez trop dire de détails pour me contenter ; tout m’est cher, tout m’est agréable : cependant quelque joie que me donnent vos lettres, je voudrois que vous n’écrivissiez point, tant je crains que cela ne vous fatigue, et votre santé m’est plus chère que tous les plaisirs qu’elles me donnent.

Quelle audace de vous faire peindre ! Je m’en réjouis, c’est signe que vous êtes belle. Ce que vous dites sur l’abbé Têtu est admirable ; vous n’êtes pas la seule qui trouve son voyage ridicule. Vous faites des merveilles, vous êtes aimée de tout le monde, et il me semble que je vous vois valoir mieux ; c’est que vous ne valiez maille derrière moi, comme dit M. de la Rochefoucauld. 1671 Mandez-moi bien comme vous avez trouvé Grignan ; je vous souhaite quelquefois une de mes allées parmi vos grandeurs. Y trouverez-vous quelque promenade, vous qui en trouvez sur la pointe d’une aiguille[564] ? Je vous souhaite encore cette grotte où vous fûtes si bien mouillée. Vos fruits de Grignan, c’est-à-dire vos chanoines, sont de vrais fruits d’hiver, ce me semble. Eh, mon Dieu ! ne vous reverrons-nous point, dans cette jolie maison que j’ai louée[565] ? S’il ne falloit que vous aller quérir, l’affaire seroit faite : je le veux espérer pour ne pas mourir de chagrin. J’en ai quelquefois de si noirs que j’en sens de la douleur comme d’un mal ; je cours à la distraction, qui est le seul remède qu’on y puisse apporter : on en a souvent besoin, car l’on retombe souvent. Votre frère est un trésor de folie qui tient bien sa place ici. Nous avons quelquefois aussi de bonnes conversations dont il pourroit faire son profit ; mais son esprit est un peu fricassé dans la crème fouettée ; il est aimable à cela près.

Si je vous avois lu les fables de la Fontaine, je vous réponds que vous les trouveriez jolies. Je n’y trouve point ce que vous appelez forcé. Vous avez toujours votre horreur pour les conclusions. Où avez-vous appris que les conclusions de Cinna, de Rodogune, d’Œdipe, et tant d’autres encore dont je ne me souviens pas, fussent ridicules ? Voilà de quoi nous brouiller, moi qui les lis jusqu’à l’Approbation. Votre frère est comme moi. Nous finissons tout, nous ne dormons point de bon cœur que nous ne voyions[566] tout le monde content.

Et l’italien, l’oubliez-vous ? J’en lis toujours un peu pour entretenir noblesse. Vous dites donc que Grignan m’embrasse. Vous perdez le respect, mon pauvre Grignan. Viens donc un peu jouer dans mon mail, je t’en conjure ; il y fait si beau ; j’ai si envie de vous voir jouer, vous jouez de si bonne grâce, vous faites de si beaux coups. Vous êtes bien cruel de me refuser une promenade d’une heure seulement. Et vous, ma petite, venez, nous causerons. Ah, mon Dieu ! j’ai bien envie de pleurer. Je ne sais où d’Hacqueville a pris que je lui fis un secret du jour de mon départ ; je n’en eus jamais le dessein. Hélas ! il me mit en carrosse.


174 — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 10e juin.

Enfin, ma bonne, je m’en vais vous écrire deux fois la semaine ; je doutois que les lettres du mercredi pussent arriver assez tôt pour partir le vendredi pour la Provence ; nous verrons ; rien n’est impossible à mon petit ami de la poste. Mettez sur vos paquets : « À M. Dubois[567], etc., » afin qu’il n’arrive point de malentendu.

Je m’en vais donc, ma chère bonne, vous entretenir aujourd’hui ce qui s’appelle de la pluie et du beau temps ; car je n’ai vos lettres que le vendredi et j’y réponds le dimanche. Je commence donc par la pluie ; car pour le beau temps, je n’ai rien à vous dire ; il a huit jours qu’il fait ici une pluie continuelle : Je dis continuelle, puisqu’elle n’est interrompue que par des orages. Je ne puis sortir ; mes ouvriers sont dispersés chacun chez soi ; mon fils est à Rennes. Je suis dans une tristesse épouvantable ; la Mousse est tout chagrin aussi : nous lisons, cela nous soutient la vie. Nous avons cru qu’il falloit envoyer votre frère à Rennes voir le premier président[568], et beaucoup d’amis que j°y ai conservés. S’il a du temps, je lui conseillerai aussi d’aller voir M. de Coetquen[569] ; il est en âge de rendre ces sortes de devoirs. Il y eut encore dimanche un bal à Vitré.. J’ai peur qu’il ne trouve de bonne compagnie dix à douze hommes à qui il donna à souper à la Tour de Sévigné[570] ; il les faut souffrir, mais il faut bien se garder de les trouver bons. Il y eut une jolie querelle sur un rien : un démenti se fit entendre, on se jeta entre-deux ; on parla beaucoup, on raisonna peu ; Monsieur le marquis eut l’honneur d’accommoder cette affaire et puis il partit pour Rennes.

Il y a de grandes cabales à Vitré : Mlle de Croque-Oison se plaint de Mlle du Cernet, parce que l’autre jour il y eut des oranges douces à un bal qu’on lui donnoit, dont on ne lui fit point de part. Il faudroit entendre la-dessus Mlle du Plessis et la Launay, comme elles possèdent bien les détails de cette affaire. Mlle du Plessis laisse périr toutes les affaires qu’elle a à Vitré, et ne veut pas y mettre le pied, de peur de me donner de la jalousie de sa nouvelle amie ; et même l’autre jour, pour me donner un entier repos, elle m’en dit beaucoup de mal. Quand il fait beau, cela me fait rire ; mais quand il pleut, je lui donnerois volontiers un soufflet, comme vous fîtes un jour.

Mme de Coulanges me mande qu’elle n’a point de nouvelles de Brancas, sinon que de ses six chevaux de carrosse il ne lui en est resté qu’un, et qu’il est le dernier qui s’en est aperçu. On ne me mande rien de nouveau : notre petite d’Alègre est chez sa mère ; on croit que M. de Seignelai[571] l’épousera. Je crois que vous ne manquerez pas de gens qui vous mandent tout ; pour moi, je méprise les petits événements ; j’en voudrois qui pussent me donner de grands étonnements. J’en ai eu ce matin dans le cabinet de l’abbé. Nous avons trouvé, avec ses jetons qui sont si justes et si bons, que j’aurois eu cinq cent trente mille livres de bien, en comptant mes petites successions. Savez-vous bien que ce que m’a donné notre cher abbé n’ira pas à moins de quatre-vingt mille francs (hélas ! vous croyez bien que je n’ai pas d’impatience de l’avoir) ? et cent mille francs de Bourgogne[572]. Voilà qui est venu depuis que vous êtes mariée. Le reste, c’est cent mille écus en me mariant, dix mille écus de Monsieur de Chalon[573], et vingt mille francs d’autres partages de certains oncles[574]. Mais n’admirez-vous point où ma plume me jette, ma chère enfant ? Je ferois bien de vous dire combien je vous aime tendrement, combien vous êtes les délices de mon cœur et de ma vie, et ce que je souffre tous les jours, quand je fais réflexion en quel endroit la Providence nous a placées pour la passer. Voilà de quoi je compose ma bile : je souhaite que vous n’en composiez point la vôtre ; vous n’en avez pas besoin en l’état où vous êtes. Vous avez un mari qui vous adore : rien ne manque à votre grandeur. Tâchez seulement de faire quelque miracle à vos affaires, qui ne vous rende point le retour de Paris entièrement impossible ; qu’il ne soit retardé que par les devoirs de votre charge, et point par nécessité. Voilà qui est bien aisé à dire, je voudrois qu’il le fût encore plus à faire ; les souhaits n’ont jamais été défendus.

Je viens d’écrire à Monsieur de Marseille, et comme il m’assure qu’il aura toute sa vie un respect extraordinaire pour l’évêque de Marseille[575], je le conjure aussi d’être persuadé que j’aurai toute ma vie une considération extrême pour la Marquise de Sévigné. Ma lettre sera capable de le faire crever, s’il a pour vous de méchantes intentions. Je le prends très-simplement sur toutes ses paroles ; je ne vais point plus loin ; je m’en tiens à ses protestations : je compte là-dessus et reprends le fil de notre amitié de l’hôtel de Nevers, revue et augmentée par l’alliance de M. de Grignan qu’il a tant souhaitée et dont il est parent. Du moins, s’il est capable de quelque remords, il doit être embarrassé quand il remarquera la bonne foi qui est entre nous. J’ai adressé la lettre au gros abbé[576]. À propos, il dit que vous faites bien l’entendue.

On me mande que Mme de Valavoire[577] est à Paris, qui dit des biens de vous inimaginables[578]. Elle ne se peut taire de votre beauté, de votre civilité, de votre esprit, de votre capacité, et même de votre coiffure que vous avez devinée, et que vous exécutez comme au milieu de la cour. Mme de la Troche et moi nous avons l’honneur de vous l’avoir assez bien représentée, pour vous faire faire ce petit miracle. Elle est encore à Paris, cette Troche ; elle viendra à la fin de ce mois chez elle. Pour moi, je ne sais encore ce que me feront les états[579] ; je crois que je m’enfuirai de peur d’être ruinée. C’est une belle chose que d’aller dépenser mille écus en fricassées et en dîners pour l’honneur d’être la maison de plaisance de M, et de Mme de Chaulnes[580], de Mme de Rohan, de M. de Lavardin et de toute la Bretagne, qui, sans me connoître, pour le plaisir de vouloir contrefaire les autres, ne manqueront pas de venir ici : nous verrons. Je regrette seulement de quitter M. d’Harouys, et cette maison où je n’aurai pas encore fait la moitié des affaires que j’y ai.

Une de mes grandes envies, c’est d’être dévote ; j’en tourmente tous les jours la Mousse. Je ne suis ni à Dieu, ni au diable : cet état m’ennuie, quoiqu’entre nous je le trouve le plus naturel du monde. On n’est point au diable, parce qu’on craint Dieu, et qu’au fond on a un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi, parce que sa loi est dure, et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète point du tout ; j’entre dans leurs raisons. Cependant Dieu les hait : il faut donc en sortir, et voilà la difficulté. Mais peut-on jamais être plus insensée que je le suis en vous écrivant à l’infini toutes ces rapsodies ? Ma chère enfant, je vous demande excuse à la mode du pays ; je cause avec vous, cela me fait plaisir. Gardez-vous bien de m’y faire réponse ; mandez-moi seulement des nouvelles de votre santé, un demi-brin de vos sentiments, pour voir seulement si vous êtes contente et comme vous trouvez Grignan : voilà tout. Aimez-moi ; quoique nous ayons tourné ce mot en ridicule, il est naturel, il est bon ; et pour moi, je ne vous dirai point si je suis à vous, de quel cœur, ni avec quelle tendresse naturelle. J’embrasse le Comte. Notre abbé vous adore et la Mousse.


175. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 14e juin.

Je comptois recevoir vendredi deux de vos lettres à la fois ; et comment se peut-il que je n’en aie seulement pas une ? Ah ! ma fille, de quelque endroit que vienne ce retardement, je ne puis vous dire ce qu’il me fait souffrir. J’ai mal dormi ces deux nuits passées ; j’ai renvoyé deux fois à Vitré, pour chercher à m’amuser de quelque espérance ; mais c’est inutilement. Je vois par là que mon repos est entièrement attaché à la douceur de recevoir de vos nouvelles. Me voilà insensiblement tombée dans la radoterie de Chésières[581] : je comprends sa peine si elle est comme la mienne, je sens ses douleurs de n’avoir pas reçu cette lettre du 27e : on n’est pas heureux quand on est comme lui ; Dieu me préserve de son état ; et vous, ma fille, préservez-m’en sur toutes choses. Adieu, je suis chagrine, je suis de mauvaise compagnie ; quand j’aurai reçu de vos lettres, la parole me reviendra. Quand on se couche, on a des pensées qui ne sont que gris-brun, comme dit M. de la Rochefoucauld ; et la nuit elles deviennent tout à fait noires : je sais qu’en dire.


* 176. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À D’HACQUEVILLE.[582]

(Aux Rochers) mercredi 17e juin.

Je vous écris avec un serrement de cœur qui me tue ; je suis incapable d’écrire à d’autres qu’à vous, parce qu’il n’y a que vous qui ayez la bonté d’entrer dans mes extrêmes tendresses. Enfin, voilà le second ordinaire que je ne reçois point de nouvelles de ma fille : je tremble depuis la tête jusqu’aux pieds, je n’ai pas l’usage de raison, je ne dors point, et si je dors, je me réveille avec des sursauts qui sont pires que de ne pas dormir. Je ne puis comprendre ce qui empêche que je n’aie des lettres comme j’ai accoutumé. Dubois me parle de mes lettres qu’il envoie très-fidèlement ; mais il ne m’envoie rien, et ne me donne point de raison de celles de Provence ; mais, mon cher Monsieur, d’où cela vient-il ? Ma fille ne m’écrit-elle plus ? Est-elle malade ? Me prend-on mes lettres ? car, pour les retardements de la poste, cela ne pourroit pas faire un tel désordre. Ah ! mon Dieu, que je suis malheureuse de n’avoir personne avec qui pleurer ! J’aurois cette consolation avec vous, et toute votre sagesse ne m’empêcheroit pas de vous faire voir toute ma folie. Mais n’ai-je pas raison d’être en peine ? Soulagez donc mon inquiétude, et courez dans les lieux où ma fille écrit, afin que je sache au moins comme elle se porte. Je m’accommoderai mieux de voir qu’elle écrit à d’autres, que de l’inquiétude où je suis de sa santé. Enfin, je n’ai pas reçu de ses lettres depuis le 5e de ce mois, elles étoient du 23 et 26e mai ; voilà donc douze jours et deux ordinaires de poste. Mon cher Monsieur, faites-moi promptement réponse ; l’état où je suis vous feroit pitié. Écrivez un peu mieux ; j’ai peine à lire vos lettres, et j’en meurs d’envie. Je ne réponds point à toutes vos nouvelles, je suis incapable de tout. Mon fils est revenu de Rennes ; il y a dépensé quatre cents francs en trois jours : la pluie est continuelle[583]. Mais tous ces chagrins seroient légers, si j’avois des lettres de Provence. Ayez pitié de moi ; courez à la poste, apprenez ce qui m’empêche d’en avoir comme à l’ordinaire. Je n’écris à personne et je serois honteuse de vous faire voir tant de foiblesses, si je ne connoissois vos extrêmes bontés.

Le gros abbé[584] se plaint de moi ; il dit qu’il n’a reçu qu’une de mes lettres. Je lui ai écrit deux fois ; dites-lui, et que je l’aime toujours.


1671

177. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 21e juin.
Réponse au 30e mai et au 2e juin.

Enfin, ma bonne, je respire à mon aise ; je fais un soupir comme M. de la Souche[585] ; mon cœur est soulagé d’une presse et d’un saisissement qui en vérité ne me donnoit aucun repos. Bon Dieu ! que n’ai-je point souffert pendant deux ordinaires que je n’ai point eu de vos lettres ! Elles sont nécessaires à ma vie : ce n’est point une façon de parler ; c’est une très-grande vérité. Enfin, ma chère enfant, je vous avoue que je n’en pouvois plus, et j’étois si fort en peine de votre santé, que j’étois réduite à souhaiter que vous eussiez écrit à tout le monde hormis à moi. Je m’accommodois mieux d’avoir été un peu retardée dans votre souvenir, que de porter l’épouvantable inquiétude que j’avois pour votre santé. Je ne trouvois de consolation qu’à me plaindre à notre cher d’Hacqueville[586], qui, avec toute sa bonne tête, entre plus que personne dans la tendresse infinie que j’ai pour vous : je ne sais si c’est par celle qu’il a pour vous, ou par celle qu’il a pour moi, ou par toutes les deux ; mais enfin il comprend très-bien tous mes sentiments ; cela me donne un grand attachement pour lui. Je me repens de vous avoir écrit mes douleurs ; elles vous donneront de la peine quand je n’en aurai plus ; voilà le malheur d’être éloignés ; hélas ! il n’est pas seul.

Mais savez-vous bien ce qu’elles étoient devenues ces chères lettres que j’attends et que je reçois avec tant de joie ? On avoit pris la peine de les envoyer à Rennes, parce que mon fils y a été. Ces faussetés qu’on dit toujours ici sur toutes choses s’étoient répandues jusque-là ; vous pouvez penser si j’ai fait un beau sabbat à la poste.

Vous me mandez des choses admirables de vos cérémonies de la Fête-Dieu ; elles sont tellement profanes que je ne comprends pas comme votre saint archevêque[587] les veut souffrir : il est vrai qu’il est Italien, et cette mode vient de son pays ; j’en réjouirai ce soir le bonhomme Coetquen, qui vient souper avec moi. Je suis encore plus contente du reste de vos lettres. Enfin, ma pauvre bonne, vous êtes belle ! Comment ? je vous reconnoîtrois donc entre huit ou dix femmes, sans m’y tromper. Quoi ! vous n’êtes point pâle, maigre, abattue comme la princesse Olympie[588] ! Quoi ! vous n’êtes point malade à mourir comme je vous ai vue ! Ah ! ma bonne, je suis trop heureuse. Au nom de Dieu, amusez-vous, appliquez-vous à vous bien conserver ; songez que vous ne pouvez rien faire dont je vous sois si sensiblement obligée. C’est à M. de Grignan à vous dire la même chose, et à vous aider dans cette occupation. C’est d’un garçon que vous êtes grosse[589], je vous en réponds ; cela doit augmenter ses soins.

Je vous remercie de vous habiller ; vous souvient-il combien vous nous avez fatigués avec ce méchant manteau noir ? Cette négligence étoit d’une honnête femme ; M. de Grignan vous en peut remercier, mais elle étoit bien ennuyeuse pour les spectateurs[590]. C’est une belle chose, ce me semble, que d’avoir fait brûler les tours blonds et retailler les mouchoirs. Pour les jupes courtes, vous aurez quelque peine à les rallonger. Cette mode vient jusques à nous ; nos demoiselles de Vitré, dont l’une s’appelle, de bonne foi[591], Mlle de Croque-Oison, et l’autre Mlle de Kerborgne, les portent au-dessus de la cheville du pied. Ces noms me réjouissent : j’appelle la Plessis Mlle de Kerlouche. Pour vous qui êtes une reine, vous donnerez assurément le bon air à votre Provence ; pour moi, je ne puis rien faire que de m’en réjouir ici.

Ce que vous me mandez sur ce que vous êtes pour les honneurs est extrêmement plaisant.

J’ai vu avec beaucoup de plaisir ce que vous écrivez à notre abbé ; nous ne pouvons, avec de telles nouvelles, nous ôter tout à fait l’espérance de votre retour. Quand j’irai en Provence, je vous tenterai de revenir avec moi, et chez moi : vous serez lasse d’être honorée ; vous reprendrez goût à d’autres sortes d’honneurs et de louanges et d’admiration : vous n’y perdrez rien, il ne faudra seulement que changer de ton. Enfin, nous verrons en ce temps-là.

En attendant, je trouve que les moindres ressources des maisons comme la vôtre sont considérables. Si vous vendez votre terre, songez bien comme vous en emploierez l’argent ; ce sont des coups de partie. Nous en avons vendu une petite où il ne venait que du bled[592], dont la vente me fait un fort grand plaisir et m’augmente mon revenu. Si vous rendez M. de Grignan capable d’entrer dans vos bons sentiments, vous pourrez vous vanter d’avoir fait un miracle qui n’étoit réservé qu’à vous. Mon fils est encore un peu loin d’entrer sur cela dans mes pensées. Il est vrai qu’il est jeune, mais ce qui est fâcheux, c’est que quand on gâte ses affaires, on passe le reste de sa vie à les rapsoder, et l’on n’a jamais ni de repos, ni d’abondance.

J’avois fort envie de savoir quel temps vous aviez en votre Provence, et comme vous vous accommodez des punaises. Vous m’apprenez ce que j’avois dessein de vous demander. Pour nous, depuis trois semaines, nous avons eu des pluies continuelles ; au lieu de dire, après la pluie vient le beau temps, nous disons, après la pluie vient la pluie. Tous nos ouvriers en ont été dispersés ; Pilois en étoit retiré chez lui, et au lieu de m’adresser votre lettre au pied d’un arbre, vous auriez pu me l’adesser au coin du feu, ou dans le cabinet de notre abbé, à qui j’ai plus que jamais des obligations infinies. Nous avons ici beaucoup d’affaires ; nous ne savons encore si nous fuirons les états, ou si nous les affronterons. Ce qui est certain, ma bonne, et dont je crois que vous ne douterez pas, c’est que nous sommes bien loin d’oublier cette pauvre exilée. Hélas ! qu’elle nous est chère et précieuse ! Nous en

1671 parlons très-souvent ; mais quoique j’en parle beaucoup, j’y pense encore mille fois davantage, et jour et nuit, et en me promenant (car on a toujours quelques heures), et quand il semble que je n’y pense plus, et toujours, et à toute heure, et à tous propos, et en parlant d’autres choses, et enfin comme on devroit penser à Dieu, si l’on étoit véritablement touchée de son amour[593]. J’y pense d’autant plus que très-souvent je ne veux pas parler de vous ; il y a des excès qu’il faut corriger, et pour être polie, et pour être politique ; il me souvient encore comme il faut vivre pour n’être pas pesante : je me sers de mes vieilles leçons[594].

Nous lisons fort ici. La Mousse m’a priée qu’il pût lire le Tasse avec moi : je le sais fort bien parce que je l’ai très-bien appris ; cela me divertit : son latin et son bon sens le rendent un bon écolier ; et ma routine, et les bons maîtres[595] que j’ai eus, me rendent une bonne maîtresse. Mon fils nous lit des bagatelles, des comédies, qu’il joue comme Molière ; des vers, des romans, des histoires ; il est fort amusant, il a de l’esprit, il entend bien, il nous entraîne, et nous a empêchés de prendre aucune lecture sérieuse, comme nous en avions le dessein. Quand il sera parti, nous reprendrons quelque belle morale[596] de ce M. Nicole. Il s’en va dans quinze jours à son devoir. Je vous assure que la Bretagne ne lui a point déplu.

J’ai écrit à la petite Deville pour savoir comme vous ferez pour vous faire saigner. Parlez-moi au long de votre santé et de tout ce que vous voudrez. Vos lettres me plaisent au dernier point : pourtant, ma petite, ne vous incommodez point pour m’écrire ; car votre santé va toujours devant toutes choses.

Nous admirons, l’abbé et moi, la bonté de votre tête sur les affaires ; nous croyons voir que vous serez la restauratrice de cette maison de Grignan : les uns gâtent, les autres raccommodent ; mais surtout il faut tâcher de passer sa vie avec un peu de joie et de repos ; mais le moyen, ma bonne, quand on est à cent mille lieues de vous ? Vous dites fort bien : on se parle et on se voit au travers d’un gros crêpe. Vous connoissez les Rochers, et votre imagination sait un peu où me prendre : pour moi, je ne sais où j’en suis ; je me suis fait une Provence, une maison à Aix, peut-être plus belle que celle que vous avez ; je vous y vois, je vous trouve. Pour Grignan, je le vois aussi ; mais vous n’avez point d’arbres, cela me fâche[597] ; ni de grottes pour vous mouiller ; je ne vois pas bien où vous vous promenez ; j’ai peur que le vent ne vous emporte sur votre terrasse : si je croyois qu’il vous pût apporter ici par un tourbillon, je tiendrois toujours mes fenêtres ouvertes, et je vous recevrois, Dieu sait ! Voilà une folie que je pousserois loin ; mais je reviens, et je trouve que le château de Grignan est parfaitement beau : il sent bien les anciens Adhémars. Je ne vois pas bien où vous avez mis vos miroirs. L’abbé, qui est exact et scrupuleux, n’aura point reçu tant de remerciements pour rien. Je suis ravie de voir comme il vous aime, et c’est une des choses dont je veux vous remercier, que de faire tous les jours augmenter cette amitié par la manière dont vous vivez avec moi et avec lui. Jugez quel tourment j’aurois s’il avoit d’autres sentiments pour vous ; mais il vous adore.

Dieu merci ! voilà mon caquet bien revenu. Je vous écris deux fois la semaine, et mon ami Dubois prend un soin extrême de notre commerce, c’est-à-dire de ma vie. Je n’en ai point reçu par le dernier ordinaire ; mais je n’en suis point en peine, à cause de ce que vous me mandez. Voilà une lettre que j’ai reçue de ma tante[598].

Votre fille est plaisante ; elle n’a pas osé aspirer à la perfection du nez de sa mère ; elle n’a pas voulu aussi… Je n’en dirai pas davantage ; elle a pris un troisième parti, et s’avise d’avoir un petit nez carré : ma bonne, n’en êtes-vous point fâchée ? Hélas ! pour cette fois vous ne devez pas avoir cette idée ; mirez-vous, c’est tout ce que vous devez faire pour finir heureusement ce que vous commencez si bien.

Adieu, ma très-aimable bonne, embrassez M. de Grignan pour moi. Vous lui pouvez dire les bontés de notre abbé. Il vous embrasse cet abbé, et votre fripon de frère. La Mousse est bien content de votre lettre ; il a raison, elle est aimable.

La suscription de la lettre originale est : Pour ma très-bonne et très-belle dans son château d’Apolidon[599]


1671

178. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN

Aux Rochers, mercredi 24e juin,
au coin de mon feu.

Je ne vous parlerai plus du temps ; je serois aussi ennuyeuse que lui, si je ne finissois ce chapitre :

Qu’il soit beau, qu’il soit laid, je n’en veux plus rien dire ;
J’en ai fait vœu, etc.

Je n’ai point eu de vos lettres cette semaine, ma chère fille ; mais je n’en ai point été en peine, parce que vous m’aviez mandé que vous ne m’écririez pas. J’en attends donc de Grignan avec patience ; mais pour l’autre semaine, où je n’étois point préparée, je vous avoue que le malentendu qui me retint vos lettres me donna une violente inquiétude. J’en ai bien importuné le pauvre d’Hacqueville, et vous-même, ma fille : je m’en repens, et voudrois ne l’avoir pas fait ; mais je suis naturelle, et quand mon cœur est en presse, je ne puis m’empêcher de me plaindre à ceux que j’aime bien : il faut pardonner ces sortes de foiblesses. Comme disoit un jour Mme de la Fayette, a-t-on gagé d’être parfaite ? Non assurément ; et si j’avois fait cette gageure, j’y aurois bien perdu mon argent. J’ai eu ici deux soirs M. de Coetquen, à trois jours l’un de l’autre : il alloit affermer une terre à trois lieues d’ici ; et pour la hausser de cinquante francs, il a dépensé cent pistoles dans son voyage. Il m’a fort demandé de vos nouvelles et de celles de M. de Grignan. En parlant des gens adroits et de belle taille, il le nomma le plus naturellement du monde : je vous prie de me mander s’il est toujours digne qu’on le mette au premier rang des gens adroits. Nous trouvâmes votre procession admirable : je ne crois pas qu’il y en ait une en France qui lui ressemble[600]. Mes allées sont d’une beauté extrême ; je vous les souhaite quelquefois pour servir de promenade à votre grand château. Mon fils est encore ici, et ne s’y ennuie point du tout : j’aurois plusieurs choses à vous dire sur son chapitre, mais ce sera pour un autre temps. Nous avons eu de vilains bohèmes[601] qui nous ont fait mal au cœur. Ils ne danseriont ma foi, Madame, non plus, ne vous déplaise, sauf le respect qui est dû à Votre Grandeur, non plus que des balles de laine. Voilà ce que dit une de leurs femmes, qui étoit en colère contre la moitié de sa compagnie.

J’ai retrouvé ici le dialogue que vous fîtes un jour avec Pomenars : nous en avons ri aux larmes. Pomenars peut se faire raser au moins d’un côté, il est hors de l’affaire de son enlèvement[602] ; il n’a plus que le courant de sa fausse monnoie, dont il ne se met guère en peine. Que vous dirai-je encore, ma très-chère ? Il y a peu de choses dont on puisse parler à cœur ouvert de trois cents lieues. Une conversation dans le mail me seroit bien nécessaire : c’est un lieu admirable pour discourir, quand on a le cœur comme je l’ai. Je ne veux point vous parler de la tendresse vive et naturelle que j’ai pour vous, ce chapitre seroit ennuyeux. Adieu donc, ma très-aimable enfant. Notre abbé vous adore toujours. J’attends avec une grande impatience des nouvelles de votre voyage et de vos affaires ; j’y prends un extrême intérêt. J’embrasse M. de Grignan.


179. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 28e juin.

Vous me récompensez bien, ma fille, de mes pertes passées ; j’ai reçu deux lettres de vous qui m’ont transportée de joie. Ce que je sens en les lisant ne se peut imaginer, et si j’ai contribué quelque chose à l’agrément de votre style, je croyois ne travailler que pour le plaisir des autres, et non pas pour le mien ; mais la Providence, qui a mis tant d’espaces et tant d’absences entre nous, m’en console un peu par les charmes de votre commerce, et encore plus par la satisfaction que vous me témoignez de votre établissement et de la beauté de votre château : vous m’y représentez un air de grandeur, et une magnificence dont je suis enchantée. J’avois vu, il y a longtemps, des relations pareilles de la première Mme de Grignan[603] ; je ne devinois pas que toutes ces beautés seroient un jour sous l’honneur de vos commandements ; je veux vous remercier d’avoir bien voulu m’en parler en détail. Si votre lettre m’avoit ennuyée, outre que j’aurois mauvais goût, il faudroit encore que j’eusse bien peu d’amitié pour vous, et que je fusse bien indifférente pour ce qui vous touche. Défaites-vous de cette haine que vous avez pour les détails ; je vous l’ai déjà dit, et vous le pouvez sentir : ils sont aussi chers de ceux que nous aimons, qu’ils nous sont ennuyeux des autres ; et cet ennui ne vient jamais que de la profonde indifférence que nous avons pour ceux qui nous en importunent. Si cette observation est vraie, jugez de ce que me sont vos relations. En vérité, c’est un grand plaisir que d’être, comme vous êtes, une véritable grande dame : je comprends bien les sentiments de M. de Grignan, en vous voyant admirer son château. Une grande insensibilité là-dessus le mettroit dans un chagrin que je m’imagine plus aisément qu’une autre : je prends part à la joie qu’il a de vous voir contente ; il y a des cœurs qui ont tant de sympathie sur certains sentiments, qu’ils sentent par eux ce que pensent les autres.

Vous me parlez trop peu de Vardes[604] et de ce pauvre Corbinelli : n’avez-vous point été bien aise de parler leur langage ? Comment va la belle passion de Vardes pour la T***[605] ? Dites-moi s’il est bien désolé de la longueur infinie de son exil, ou si la philosophie et un peu de misanthroperie soutiennent son cœur contre les coups de l’amour et de la fortune.

Vos lectures sont bonnes. Pétrarque vous doit divertir avec le commentaire que vous avez ; celui que nous avoit fait Mlle de Scudéry sur certains sonnets, les rendoit agréables à lire. Pour Tacite, vous savez comme j’en étois charmée ici pendant nos lectures, et comme je vous interrompois souvent pour vous faire entendre des périodes où je trouvois de l’harmonie ; mais si vous en demeurez à la moitié, je vous gronde ; vous ferez tort à la majesté du sujet ; il faut vous dire, comme ce prélat disoit à la Reine mère : « Ceci est histoire ; » vous savez le conte. Je ne pardonne ce manque de courage qu’aux romans, que vous n’aimez pas. Nous lisons le Tasse avec plaisir : je m’y trouve habile, par l’habileté des maîtres que j’ai eus. Mon fils fait lire Cléopatre[606] à la Mousse, et malgré moi je l’écoute et j’y trouve encore quelque amusement.

Mon fils s’en va en Lorraine ; son absence nous donnera beaucoup d’ennui. Vous savez comme je suis sur le chagrin de voir partir une compagnie agréable ; vous savez aussi mes transports de voir partir une chienne de carrossée qui m’a contrainte et ennuyée : c’est ce qui nous faisoit décider nettement qu’une méchante compagnie est plus souhaitable qu’une bonne. Je me souviens de toutes ces folies que nous avons dites ici, et de tout ce que vous y faisiez, et de tout ce que vous y disiez : ce souvenir ne me quitte jamais ; et puis tout d’un coup je pense où vous êtes : mon imagination ne me présente qu’un grand espace fort éloigné. Votre château m’arrête présentement les yeux ; les murailles de votre mail me déplaisent[607]. Le nôtre est d’une beauté surprenante, et tout le jeune plant que vous avez vu est délicieux : c’est une jeunesse que je prends plaisir d’élever jusques aux nues ; et très-souvent, sans considérer les conséquences ni mes intérêts, je fais jeter de grands arbres à bas, parce qu’ils font ombrage, ou qu’ils incommodent mes jeunes enfants. Mon fils regarde cette conduite ; mais je ne lui en laisse pas faire l’application[608]. Pilois est toujours mon favori, et je préfère sa conversation à celle de plusieurs qui ont conservé le titre de chevalier au parlement de Rennes. Je suis libertine plus que vous : je laissai l’autre jour retourner chez soi un carrosse plein de Fouesnellerie[609], par une pluie horrible, faute de les prier de bonne grâce de demeurer ; jamais ma bouche ne put prononcer les paroles qui étoient nécessaires. Ce n’étoient pas les deux jeunes femmes, c’étoit la mère et une guimbarde de Rennes, et les fils. Mlle du Plessis est toute telle que vous la représentez, et encore un peu plus impertinente. Ce qu’elle dit tous les jours sur la crainte de me donner de la jalousie est une chose originale dont je suis au désespoir, quand je n’ai personne pour en rire. Sa belle-sœur[610] est fort jolie ; elle n’est ridicule en rien, et parle gascon au milieu de la Bretagne : j’en ai la même joie que vous avez de ma la Guette[611], qui parle parisien au milieu de la Provence. Cette petite basse Brette est fort aimable. Je vous trouve fort heureuse d’avoir Mme de Simiane[612] ; vous avez un fonds de connoissance[613] qui vous doit ôter toute sorte de contrainte : c’est beaucoup ; cela vous fera une compagnie agréable. Puisqu’elle se souvient de moi, faites-lui bien mes compliments, je vous en conjure, et à notre cher Coadjuteur. Nous ne nous écrivons plus, et nous ne savons pourquoi : nous nous trouvons trop loin ; cependant j’admire la diligence de la poste.

La comparaison de la vue de Chilly[614] m’a ravie, et de voir ma chambre déjà marquée. Je ne souhaite rien tant que de l’occuper ; ce sera de bonne heure l’année qui vient, et cette espérance me donne une joie dont vous comprendrez une partie par celle que vous aurez de m’y recevoir.

J’admire Catau[615], je crois qu’elle est mariée ; mais elle a eu une conduite bien malhonnête et bien scandaleuse. Je lui pardonne moins d’avoir voulu tuer son enfant, étant de son mari, que si elle l’avoit eu d’un autre ; et cela vient d’un bien plus mauvais fonds. Son mari, à ce qu’on me mande de Paris, est un certain Droguet que vous avez vu laquais de Chésières. L’amour est quelquefois bien inutile de s’amuser à de si sottes gens ; je voudrois qu’il ne fût que pour les gens choisis, aussi bien que tous ses effets, qui me paroissent trop communs et trop répandus. Si vous vous chargez de rougir pour toutes vos voisines, et que votre imagination soit toujours aussi vive qu’avec la B***, vous sortirez toujours belle comme un ange de toutes vos conversations. Vous voulez donc que je mette sur ma conscience le paquet de cette femme ? Je le veux ; mais avec cette précaution, que je ne vous réponds pas que cela soit vrai ; au contraire, je le crois faux : il ne faut point croire aux méchantes langues ; en un mot, je renonce au pacte. On disoit donc que M*** avoit un peu avancé les affaires, et qu’il avoit eu grand’hâte de la marier : cependant,


Cela ne put être si juste,
Qu’au bout de cinq mois, comme Auguste,
Monsieur de C***
Ne se trouvât un héritier.


La question fut de faire passer pour une mauvaise couche la meilleure qui fut jamais, et un enfant qui se portoit à merveille, pour un petit enfant mort. Ce fut une habileté qui coûta de grands soins à ceux qui s’en mêlèrent, et qui feroit fort bien une histoire de roman : j’en ai su tout le détail ; mais ce seroit une narration infinie. En voilà assez pour faire que vous rougissiez, si on parle de se blesser à cinq mois. L’enfant mourut heureusement.

Je reviens encore à vous, c’est-à-dire à cette divine fontaine de Vaucluse. Quelle beauté ! Pétrarque avoit bien raison d’en parler souvent[616] ; mais songez que je verrai toutes ces merveilles ; moi qui honore les antiquités, j’en serai ravie, et de toutes les magnificences de Grignan. L’abbé aura bien des affaires. Après les ordres doriques et les titres de votre maison, il n’y a rien à souhaiter que l’ordre que vous y allez mettre ; car sans un peu de subsistance, tout est dur, tout est amer. Ceux qui se ruinent me font pitié : c’est la seule affliction dans la vie qui se fasse toujours sentir également, et que le temps augmente au lieu de la diminuer. J’ai souvent des conversations sur ce sujet avec un de nos petits amis[617] ; s’il veut profiter de toutes celles que nous avons faites, il en a pour longtemps, et sur toutes sortes de sujets, et d’une manière si peu ennuyeuse qu’il ne devroit pas les oublier.

Je suis aise que vous ayez cet automne une couple de beaux-frères. Je trouve que votre journée est fort bien réglée : on va loin sans mourir d’ennui, pourvu qu’on se donne des occupations, et qu’on ne perde point courage. Le beau temps a remis tous mes ouvriers en campagne, cela me divertit. Quand j’ai du monde, je travaille à ce beau parement d’autel, que vous m’avez vu traîner à Paris. Quand je suis seule, je lis, j’écris, je suis en affaires dans le cabinet de notre abbé. Je vous le souhaite quelquefois pour deux ou trois jours seulement

Je consens au commerce de bel esprit que vous me proposez. Je fis l’autre jour une maxime tout de suite sans y penser, et je la trouvai si bonne que je crus l’avoir retenue par cœur de celles de M. de la Rochefoucauld. Je vous prie de me le dire : en ce cas il faudroit louer ma mémoire plus que mon jugement. Je disois, comme si je n’eusse rien dit, que l’ingratitude attire les reproches, comme la reconnoissance attire de nouveaux bienfaits. Dites-moi donc ce que c’est que cela ? L’ai-je lu ? l’ai-je rêvé ? l’ai-je imaginé ? Rien n’est plus vrai que la chose, et rien n’est plus vrai aussi que je ne sais où je l’ai prise, et que je l’ai trouvée toute rangée dans ma tête, et au bout de ma langue[618]. Pour la sentence de bella cosa far niente[619], vous ne la trouverez plus si fade, quand vous saurez qu’elle est dite pour votre frère : songez à sa déroute de cet hiver.

Adieu, ma très-aimable enfant, conservez-vous, soyez belle, habillez-vous, amusez-vous, promenez-vous. Je m’en vais écrire à Vivonne[620] pour un capitaine bohème, afin qu’il lui relâche un peu ses fers, pourvu que cela ne soit point contre le service du Roi. Il y avoit parmi nos bohèmes, dont je vous parlois l’autre jour[621], une jeune fille qui danse très-bien, et qui me fit extrêmement souvenir de votre danse : je la pris en amitié ; elle me pria d’écrire en Provence pour son grand-père, qui est à Marseille. « Et où est-il votre grand-père ? — Il est à Marseille, » d’un ton doux, comme si elle disoit, il est à Vincennes, C’étoit un capitaine bohème d’un mérite singulier ; de sorte que je lui promis d’écrire, et je me suis avisée tout d’un coup d’écrire à Vivonne. Voilà ma lettre ; si vous n’êtes pas en état que je puisse rire avec lui, vous la brûlerez ; si vous la trouvez mauvaise, vous la brûlerez encore ; si vous êtes assez bien avec ce gros crevé, et que ma lettre vous en épargne une autre, vous la ferez cacheter, et vous la lui ferez tenir. Je ne puis refuser cette prière au ton de la petite fille, et au menuet le mieux dansé que j’aie vu depuis ceux de Mademoiselle de Sévigné : c’est votre même air ; elle est de votre taille, elle a de belles dents et de beaux yeux.

Voici une lettre d’une telle longueur, que je vous pardonne de ne la point achever : je le comprendrai plus aisément que de demeurer au septième tome de Cassandre et de Cléopatre[622]. Je vous embrasse très-tendrement. M. de Grignan est bien loin de comprendre qu’on puisse lire des lettres de cette longueur ; mais, tout de bon, les lisez-vous en un jour ?


1671

180. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 1er juillet.

Voilà donc le mois de juin passé : j’en suis tout étonnée, je ne pensois pas qu’il dût jamais finir. Ne vous souvient-il pas d’un certain mois de septembre que vous trouviez qui ne prenoit point le chemin de faire jamais place au mois d’octobre ? Celui-ci prenoit le même train ; mais enfin tout finit : m’en voilà persuadée.

C’est une aimable demeure que Fouesnel[623] ; nous y fûmes hier, mon fils et moi, dans une calèche à six chevaux ; il n’y a rien de plus joli, il semble qu’on vole. Nous fîmes des chansons, que nous vous envoyons. Le cas que nous faisons de votre prose ne nous empêche point de vous faire part de nos vers. Mme de la Fayette est bien contente de la lettre que vous lui avez écrite. Voilà qui est fait, ma fille : votre frère nous va quitter. Nous allons nous jeter, la Mousse et moi, dans de bonnes lectures. Notre Tasse nous amuse fort, et toutes les bagatelles du monde nous ont divertis jusques ici, à cause de mon fils qui en est le roi. Je m’en vais faire de grandes promenades toute seule tête à tête, comme disoit Tonquedec[624]. Croyez-vous que je pense à vous ? J’ai aussi mon petit ami que j’aime tendrement : la plus aimable chose du monde est un portrait bien fait ; quoi que vous puissiez dire, celui-là ne vous fait point de tort. Vos lettres de Grignan m’ont nourrie et consolée de mes chagrins passés ; j’en attends toujours avec impatience ; mais, de bonne foi, j’en écris souvent d’une longueur trop excessive, je veux que celle-ci soit raisonnable. Il n’est pas juste de juger de vous par moi : cette mesure est téméraire ; vous avez moins de loisir que moi.

Voilà Mlle du Plessis qui entre ; elle me plante ce baiser que vous connoissez, et me presse de lui montrer l’endroit de vos lettres où vous parlez d’elle. Mon fils a eu l’insolence de lui dire devant moi que vous vous souveniez d’elle fort agréablement, et me dit : « Montrez-lui l’endroit, Madame, afin qu’elle n’en doute pas. » Me voilà rouge comme vous, quand vous pensez aux péchés des autres. Je suis contrainte de mentir mille fois[625], et de dire que j’ai brûlé votre lettre. Voilà les malices de ce guidon[626]. En récompense, je lui dis l’autre jour que si vous répondiez au dessus de la reine d’Aragon[627], j’étois fort assurée que vous ne mettriez pas à Guidon le Sauvage.

J’ai reçu une lettre de Guitaut fort douce et fort honnête. Il me mande qu’il a trouvé en moi depuis quelque temps mille bonnes choses à quoi il n’avoit pas pensé ; et moi, de peur de lui répondre sottement que je crains bien de détruire cette bonne opinion, je lui dis que j’espère qu’il en mettra encore bien d’autres, quand il me connoîtra mieux. Je reçois toutes les extravagances qui se présentent à moi, plutôt que ces selles à tous chevaux dont nous avons tant ri ici. Je suis persuadée que vous vous aiderez fort bien de Mme de Simiane. Il faut ôter l’air et le ton de compagnie le plus tôt que l’on peut, et les faire entrer[628] dans nos plaisirs et dans nos fantaisies : sans cela il faut mourir, et c’est mourir d’une vilaine épée. Je l’ai juré, ma fille, je vais finir ; je me fais une violence pour vous quitter. Notre commerce fait l’unique plaisir de ma vie ; je suis persuadée que vous le croyez. Je vous embrasse, très-chère petite, et vous baise vos belles joues. Mais dites-moi la vérité : sont-elles belles comme elles ont accoutumé ?


1671

181. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 5e juillet.

C’est bien une marque de votre bonne amitié, ma bonne, que d’aimer toutes les sottises que je vous mande d’ici. Vous prenez fort bien l’intérêt de Mlle Croque-Oison. En récompense, il n’y a pas un mot dans vos lettres qui ne me soit cher : je n’ose les lire, de peur de les avoir lues ; et si je n’avois la consolation de les recommencer plusieurs fois, je les ferois durer bien longtemps ; mais d’un autre côté, l’impatience me les fait dévorer. Je voudrois bien savoir comme je ferois si votre écriture étoit comme celle de M. d’Hacqueville : la force de l’amitié me la déchiffreroit-elle ? En vérité, je ne le crois quasi pas : on conte pourtant des histoires là-dessus ; mais enfin j’aime fort M. d’Hacqueville, et cependant je ne puis m’accoutumer à son écriture : je ne vois goutte à ce qu’il me mande ; il me parle dans un pot cassé : je tiraille, je devine, je lis un mot pour un autre, et puis, quand le sens m’échappe, je me mets en colère, et je jette tout. Je vous dis tout ceci en secret ; je ne voudrois pas qu’il sût mes peines : il croit que son écriture est moulée ; mais vous qui parlez, mandez-moi, je vous prie, comment vous vous en accommodez.

Je suis effrayée de l’apoplexie du chevalier de B***[629]. N’est-ce pas celui qui dérobe sur la mer ? Ce n’est pas sans raison que vous aviez tant de soin de le faire aller à confesse.

Mon fils partit hier, très-fâché de nous quitter : il n’y a rien de bon, ni de droit, ni de noble, que je ne tâche de lui inspirer ou de lui confirmer. Il entre avec douceur et approbation dans tout ce qu’on lui dit ; mais vous connoissez la foiblesse humaine : ainsi je mets tout entre les mains de la Providence, et me réserve seulement la consolation de n’avoir rien à me reprocher sur son sujet. Comme il a de l’esprit, et qu’il est divertissant, il est impossible que son absence ne nous donne de l’ennui. Nous allons commencer un livre de M. Nicole[630] ; si j’étois à Paris, je vous enverrois ce livre, vous l’aimeriez fort. Nous continuons le Tasse avec plaisir, et je n’ose vous dire que je suis revenue à Cléopatre, et que par le bonheur que j’ai de n’avoir point de mémoire, cette lecture me divertit encore. Cela est épouvantable ; mais vous savez que je ne m’accommode guère bien de toutes les pruderies qui ne me sont pas naturelles ; et comme celle de ne plus aimer ces livres-là ne m’est pas encore entièrement arrivée, je me laisse divertir sous le prétexte de mon fils qui m’a mise en train. Il nous a lu aussi des chapitres de Rabelais à mourir de rire. En récompense, il a pris beaucoup de plaisir à causer avec moi ; et si je l’en crois, il n’oubliera rien de tous mes discours : je le connois bien, et souvent, au travers de ses petites paroles, je vois ses petits sentiments. S’il peut avoir congé cet automne, il reviendra ici.

Je suis fort empêchée pour les états. Mon premier dessein étoit de les fuir, et de ne point faire de dépense ; mais vous saurez que pendant que M. de Chaulnes[631] va faire le tour de sa province, Madame sa femme vient l’attendre à Vitré, où elle sera dans douze jours, et plus de quinze avant M. de Chaulnes ; et tout franchement, elle m’a fait prier de l’attendre, et de ne point partir qu’elle ne m’ait vue. Voilà ce qu’on ne peut éviter, à moins que de se résoudre à renoncer à eux pour jamais. Il est vrai que, pour n’être point accablée ici, je puis m’en aller à Vitré ; mais je ne suis point contente de passer un mois dans un tel tracas. Quand je suis hors de Paris, je ne veux que la campagne. Je vous jure que je ne suis encore résolue à rien : mandez-moi votre avis et ce que vous faites de Catau ; si elle est mariée, ne seroit-ce point une nourrice ? Il est à craindre cependant qu’avec les beaux desseins qu’elle a eus[632], son sang ne soit bien échauffé. Je vous conseille, ma fille, de bien rafraîchir le vôtre, en prenant de bons bouillons comme l’année passée.

Je vous ai parlé de la Launay ; elle étoit bariolée comme la chandelle des Rois[633], et nous trouvâmes qu’elle ressembloit au second tome d’un méchant roman, ou au Roman de la Rose tout d’un coup. Mlle du Plessis est toujours à un pas de moi : quand je lis les douceurs que vous dites pour elle, j’en rougis comme du feu. L’autre jour la biglesse joua Tartuffe au naturel. Après avoir demandé à table bœuve et moutonne[634] à la Mousse, elle tomba dans le malheur de mentir sur je ne sais quoi ; en même temps je la relevai, et lui dis qu’elle étoit menteuse : elle me répond en baissant les yeux : « Ah ! oui, Madame, je suis la plus grande menteuse du monde ; je vous remercie de m’en avertir. » Nous éclatâmes tous, car c’étoit du ton de Tartuffe : Oui, mon frère, je suis un misérable, un vase d’iniquité, etc.[635]. Elle veut aussi se mêler quelquefois d’être sentencieuse et de faire la personne de bon sens : cela lui sied encore plus mal que son naturel. Vous voilà bien instruite des Rochers. Je voudrois pouvoir vous décrire les pleurs et les cris, et le langage breton de Jacquine et de la Turquesine, en voyant monter votre frère à cheval : c’est une scène. Pour moi, j’eusse pleuré ;

                              Mais les voyant ainsi,
Je me suis mise à rire, et tout le monde aussi.

Je crois que les nouvelles de Paris ne vous divertissent pas ; il n’y en a point ; ce qu’on me mande me fait mourir d’ennui : il y a un mois qu’on me répète que la cour sera le 10e du mois à Saint-Germain. On est réduit à me conter des sorcelleries pour m’amuser, et à m’apprendre qu’une fille ayant laissé son paquet dans une chaise, depuis le Marais jusqu’au faubourg, les porteurs pensoient que ce fût un petit chien. Pour moi j’aime encore mieux lire Cléopatre et les grands coups d’épée de l’invincible Artaban[636]. Quand cet hiver j’aurai le cœur content sur votre couche, je tâcherai de mieux vous divertir qu’on ne me divertit ici : Dieu sait aussi quelle comparaison j’en fais avec mes lettres de Provence.


Approchez-vous, mon gendre ; vous voulez donc me renvoyer ma fille par le coche ; vous en êtes mal content, vous êtes fâché, vous êtes au désespoir qu’elle admire votre château, qu’elle le trouve beau ; vous la trouvez trop familière de prendre la liberté d’y demeurer, d’y commander : comme vous haïssez ce qui est haïssable, vous ne la sauriez souffrir. J’entre fort bien dans tous vos déplaisirs ; vous ne pouviez vous adresser à personne qui les comprît mieux que moi ; mais savez-vous bien qu’après m’avoir dit toutes ces choses, je tremble de vous entendre dire que vous m’y souhaitez, sur le même ton ? Je suis inconsolable[637], car je n’ai rien de plus cher dans l’avenir que l’espérance de vous aller voir ; et quoi que je dise, je suis persuadée que vous en serez fort aise, et que vous m’aimez : il est impossible que cela soit autrement ; je vous aime trop pour que les petits esprits[638] ne se communiquent pas de vous à moi, et de moi à vous. Je vous recommande la santé de ma fille ; soyez-y appliqué, soyez-en le maître ; ne faites point comme au pont d’Avignon ; sur cela seul gardez votre autorité ; pour tout le reste, laissez-la faire, elle est plus habile que vous : elle m’écrit des choses admirables de ses bonnes intentions sur vos affaires. Ah ! que je vous plains de ne plus recevoir de ses lettres ! vous étiez bien plus heureux il y a un an : plût à Dieu que vous eussiez cette joie, et que j’eusse le chagrin de la voir et de l’embrasser ! Ne trouvez-vous pas que nous sommes assez bien ensemble ? Croyez-vous qu’elle m’aime toujours ? Adieu, mon très-cher Comte. Quoique vous soyez l’homme du monde le plus aimé, je ne crois pas que vous ayez jamais eu aucune belle-mère[639] qui vous ait autant aimé que moi.


1671

182. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 8e juillet.

J’ai bien envie de savoir comment vous vous portez de votre saignée : il me semble que par respect on n’a pas fait l’ouverture assez grande ; votre sang est venu goutte à goutte, et par conséquent il n’en est ni rafraîchi, ni purifié, et vous n’en êtes point soulagée. Peut-être que tout cela est faux, et je le souhaite ; mais il faudroit avoir moins de bile que je n’en ai pour rêver toujours agréablement. Quoi qu’il en soit, je vous assure que votre santé m’est fort chère ; et si vous êtes trop accablée d’écritures, je vous exhorte à m’écrire moins : puis-je vous donner une plus grande marque de l’intérêt que je prends à cette santé ? Mme de la Troche m’a mandé depuis deux jours que, si les belles intentions de Catau pendant sa grossesse ne lui ont point trop altéré l’esprit et le corps, c’est une bonne nourrice. J’ai trouvé plaisant que cette pensée me soit venue en même temps ; je vous l’avois déjà mandée.

Ma bonne, notre chapelle[640] s’élève à vue d’œil : cela occupe l’abbé, et me divertit un peu ; mais mon parc est sans âme, c’est-à-dire sans ouvriers, à cause des foins qu’il faut faire. La mort de M. de Montlouet[641] ne vous fait-elle pas grand’pitié, sa femme aussi ? Encore est-ce quelque chose que cette nouvelle : un homme qui tombe de cheval, qui crève sur la place ; on peut lire cet endroit d’une lettre ; mais jusques ici je ne prenois pas la peine de lire ce qu’on mandoit. Voilà la différence : on ne se soucie point des choses publiques, on ne se réveille que pour les grands événements ; et de ceux qu’on aime, les moindres circonstances en sont chères et touchent le cœur. Mme de la Fayette me mande qu’elle se trouve obligée de vous écrire en mon absence, et qu’elle le fera de temps en temps. Cela me paroît honnête ; mais puisque vous lui faites réponse, je ne lui suis guère obligée : voilà une chose fine, l’entendez-vous bien ? Il me semble, ma bonne, que je vous fais grand tort de douter de votre intelligence sur ce qui est un peu enveloppé : je pense que c’est à moi que je parle.

J’ai senti le bout de l’an de Madame[642], et me suis souvenue de l’ètonnement où vous étiez, et comme votre esprit en étoit hors de sa place. Je me souviens aussi de quelle étrange façon vous passâtes tout l’été prisonnière dans votre chambre, et comme le chaud vous faisoit disparoître et nourrissoit tous vos dragons. Je ne sais ce que me font toutes ces pensées ; elles me font, je crois, du bien et du mal : je pense tout, parce que sans cesse je suis occupée de vous ; je passe bien plus d’heures à Grignan qu’aux Rochers. J’espère que vous ne vous contraignez point pour ceux qui vous voient souvent : il faut les tourner à sa fantaisie, sans cela on mourroit.

J’ai fait comprendre à la petite Mlle du Plessis que ce bel air de la cour, c’est la liberté : si bien que, quand elle passe des jours ici, je prends fort bien une heure pour lire en italien avec M. de la Mousse. Elle est charmée de cette familiarité et moi aussi, et dès là elle se croit de la cour elle-même. Auriez-vous été assez cruelle pour laisser Germanicus au milieu de ses conquêtes et dans ces marais d’Allemagne[643], sans lui donner la main pour l’en tirer ? Ne voulez-vous point au moins le conduire jusqu’au festin où il fut empoisonné par Pison et sa femme[644] ? Je le trouve trop sage et trop politique, il craint trop Tibère : je vois des héros qui ne sont pas si prudents, et dont les grands succès font approuver la témérité. Mon fils, comme je vous ai dit, m’a fichée dans le milieu de Cléopatre, et je l’achève ; cela est d’une folie dont je vous demande le secret. J’achève tous les livres, et vous les commencez ; cela s’ajusteroit fort bien si nous étions ensemble, et fourniroit même beaucoup à notre conversation. Ah ! ma bonne, c’est dommage que nous n’y sommes quelquefois au moins, par quelque espèce de magie, en attendant le printemps qui vient.

Je suis ici avec mes trois prêtres[645], qui font chacun leur personnage, hormis la messe : c’est la seule chose dont je manque en leur compagnie. Je me promène extrêmement ; il fait beau et chaud ; on n’en a nulle incommodité dans cette maison. Quand le soleil entre dans ma chambre, j’en sors et m’en vais dans le bois, où l’on trouve un frais admirable. Mandez-moi comme vous êtes dans votre château, et si vous n’êtes point accablée des petites bêtes dont vous n’avez rien senti jusqu’à présent. J’embrasse M. de Grignan et vous, ma très-belle et très-bonne, avec une tendresse qu’il n’est pas aisé de comprendre ni d’expliquer de vous.

Vous savez comme Brancas m’aime ; il y a trois mois que je n’ai appris de ses nouvelles : cela n’est pas vraisemblable ; mais lui, il n’est pas vraisemblable aussi[646].


1671

183. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 12e juillet.

Je n’ai reçu qu’une lettre de vous, ma chère bonne, et j’en suis fâchée : j’étois accoutumée à en recevoir deux. Il est dangereux de s’accoutumer à des soins tendres et précieux comme les vôtres ; il n’est pas facile après cela de s’en passer. Vous aurez vos beaux-frères ce mois de septembre, ce vous sera une très-bonne compagnie. Pour le Coadjuteur, je vous dirai qu’il a été un peu malade ; mais il est entièrement guéri : sa paresse est une chose incroyable, et il est d’autant plus criminel qu’il écrit des mieux quand il s’en veut mêler. Il vous aime toujours, et vous ira voir après la mi-août ; il ne le peut qu’en ce temps-là. Il jure qu’il n’a aucune branche où se reposer (mais je crois qu’il ment), et que cela l’empêche d’écrire et lui fait mal aux yeux. Voilà tout ce que je sais du Seigneur Corbeau ; mais admirez la bizarrerie de ma science : en vous apprenant toutes ces choses, j’ignore comme je suis avec lui. Si vous en apprenez quelque chose par hasard, vous m’obligerez fort de me le mander.

Je songe mille fois le jour au temps où je vous voyois à toute heure. Hélas ! ma bonne, c’est bien moi qui dis cette chanson que vous me dites : Hélas ! quand reviendra-t-il ce temps, bergère ? Je le regrette tous les jours de ma vie, et j’en souhaiterois un pareil au prix de mon sang. Ce n’est pas que j’aie sur le cœur de n’avoir pas senti le plaisir d’être avec vous : je vous jure et je vous proteste que je ne vous ai jamais regardée avec indifférence ni avec la langueur que donne quelquefois l’habitude. Mes yeux ni mon cœur ne se sont jamais accoutumés à cette vue, et jamais je ne vous ai regardée sans joie et sans tendresse ; et s’il y a eu quelques moments où elle n’ait pas paru, c’est alors que je la sentois plus vivement. Ce n’est donc point cela que je me puis reprocher ; mais je regrette de ne vous avoir pas assez vue, et d’avoir eu de cruelles politiques qui m’ont ôté quelquefois ce plaisir. Ce seroit une belle chose si je remplissois mes lettres de ce qui me remplit le cœur. Hélas ! comme vous dites, il faut glisser sur bien des pensées, et ne pas faire semblant de les voir ; je crois que vous en faites de même. Je m’arrête donc à vous conjurer, si je vous suis un peu chère, d’avoir un soin extrême de votre santé. Amusez-vous, ne rêvez point creux, ne faites point de bile, conduisez votre grossesse à bon port ; et après cela, si M. de Grignan vous aime, et qu’il n’ait pas entrepris de vous tuer, je sais bien ce qu’il fera, ou plutôt ce qu’il ne fera point.

Avez-vous la cruauté de ne point achever Tacite ? Laisserez-vous Germanicus au milieu de ses conquêtes ? Si vous lui faites ce tour, mandez-moi l’endroit où vous serez demeurée, et je l’achèverai : c’est tout ce que je puis faire pour votre service. Nous achevons le Tasse avec plaisir, nous y trouvons des beautés qu’on ne voit point quand on n’a qu’une demi-science. Nous avons commencé la Morale[647], c’est de la même étoffe que Pascal. À propos de Pascal, je suis en fantaisie d’admirer l’honnêteté de ces messieurs les postillons, qui sont incessamment sur les chemins pour porter et reporter nos lettres ; enfin, il n’y a jour dans la semaine qu’ils n’en portent quelqu’une à vous et à moi ; il y en a toujours et à toutes les heures par la campagne : les honnêtes gens ! qu’ils sont obligeants ! et que c’est une belle invention que la poste, et un bel effet de la Providence que la cupidité[648] ! J’ai quelquefois envie de leur écrire pour leur témoigner ma reconnoissance, et je crois que je l’aurois déjà fait, sans que je me souviens de ce chapitre de Pascal, et qu’ils ont peut-être envie de me remercier de ce que j’écris, comme j’ai envie de les remercier de ce qu’ils portent mes lettres : voilà une belle digression.

Je reviens à nos lectures, et sans préjudice de Cléopatre que j’ai gagé d’achever : vous savez comme je soutiens mes gageures. Je songe quelquefois d’où vient la folie que j’ai pour ces sottises-là ; j’ai peine à le comprendre. Vous vous souvenez peut-être assez de moi pour savoir que je suis assez blessée des méchants styles ; j’ai quelque lumière pour les bons, et personne n’est plus touchée que moi des charmes de l’éloquence. Le style de la Calprenède est maudit en mille endroits : de grandes périodes de roman, de méchants mots, je sens tout cela. J’écrivis l’autre jour une lettre à mon fils de ce style, qui étoit fort plaisante. Je trouve donc qu’il est détestable, et je ne laisse pas de m’y prendre comme à de la glu. La beauté des sentiments, la violence des passions, la grandeur des événements, et le succès miraculeux de leur redoutable épée, tout cela m’entraîne comme une petite fille : j’entre dans leurs affaires ; et si je n’avois M. de la Rochefoucauld et M. d’Hacqueville pour me consoler, je me pendrois de trouver encore en moi cette foiblesse. Vous m’apparoissez pour me faire honte ; mais je me dis de méchantes raisons, et je continue. J’aurai bien de l’honneur du soin que vous me donnez de vous conserver l’amitié de l’abbé ! Il vous aime chèrement ; et nous parlons très-souvent de vous, de vos affaires et de vos grandeurs. Il voudroit bien ne pas mourir avant que d’avoir été en Provence, et de vous avoir rendu quelque service. On me mande que la pauvre Mme de Montlouet est sur le point de perdre l’esprit[649] : elle a extravagué jusqu’à présent sans jeter une larme ; elle a une grosse fièvre, et commence à pleurer ; elle dit qu’elle veut être damnée, puisque son mari doit l’être assurément. Nous continuons notre chapelle. Il fait chaud ; les soirées et les matinées sont très-belles dans ces bois et devant cette porte ; mon appartement est frais. J’ai bien peur que vous ne vous accommodiez pas si bien de vos chaleurs de Provence. Je suis toujours toute à vous, ma très-chère et très-aimable bonne. Une amitié à M. de Grignan. Ne vous adore-t-il pas toujours ?


1671

184. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce 15e juillet.

Si je vous écrivois toutes mes rêveries, je vous écrirois toujours les plus grandes lettres du monde ; mais cela n’est pas bien aisé ; ainsi je me contente de ce qui se peut écrire, et je rêve tout ce qui se doit rêver : j’en ai le temps et le lieu. La Mousse a une petite fluxion sur les dents, et l’abbé une petite fluxion sur le genou, qui me laissent le champ libre dans mon mail, pour y faire tout ce qui me plaît. Il me plaît de m’y promener le soir jusqu’à huit heures ; mon fils n’y est plus ; cela fait un silence, une tranquillité et une solitude que je ne crois pas qu’il soit aisé de rencontrer ailleurs.

Oh ! que j’aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude[650] !

Je ne vous dis point, ma bonne, à qui je pense, ni avec quelle tendresse : à qui devine, il n’est pas besoin de parler. Si vous n’étiez point grosse, et que l’hippogriffe fût encore au monde, ce seroit une chose galante, et à ne jamais l’oublier, que d’avoir la hardiesse de monter dessus pour me venir voir quelquefois. Hélas ! ma bonne, ce ne seroit pas une affaire ; il parcourt la terre en deux jours ; vous pourriez même quelquefois venir dîner ici, et retourner souper avec M. de Grignan ; ou souper ici à cause de la promenade, où je serois bien aise de vous avoir, et le lendemain vous arriveriez assez tôt pour être à la messe dans votre tribune[651].

Mon fils est à Paris ; il y sera peu : la cour est de retour, il ne faut pas qu’il se montre. C’est une perte qui me paroît bien considérable que celle de M. le duc d’Anjou[652]. On me mande que ma petite-enfant est fort jolie ; que sa nourrice en a beaucoup de soin, et que ce petit ménage va en perfection. Je prétends le trouver tout établi chez moi à Paris ; c’est une chose ridicule que les petites entrailles que je sens déjà pour cette petite personne. Mme de Villars m’écrit assez souvent, et me parle toujours de vous : elle est tendre, elle sait bien aimer ; elle comprend les sentiments que j’ai pour vous : cela me donne de l’amitié pour elle. Elle me prie de vous faire mille douceurs de sa part : sa lettre est pleine d’estime et de tendresse ; répondez-y par une petite demi-feuille que je lui puisse envoyer. Ce détour est beau pour aller jusques à elle ; mais pour les affaires pressées que vous avez ensemble il n’est pas besoin d’une plus grande diligence. La petite Saint-Géran[653] m’écrit des pieds de mouche que je ne saurois lire : je lui réponds des rudesses et des injures qui la divertissent, et moi aussi. Cette mauvaise plaisanterie n’est point encore usée ; quand elle le sera, je ne dirai plus rien, car je m’ennuierois fort d’un autre style avec elle.

Nous lisons toujours le Tasse avec plaisir ; je suis assurée que vous le souffririez, si vous étiez en tiers : il y a bien de la différence entre lire un livre toute seule, ou avec des gens qui entendent et relèvent les beaux endroits et qui par là réveillent l’attention. Cette Morale de Nicole est admirable, et Cléopatre va son train, sans empressement toutefois, c’est aux heures perdues. C’est ordinairement sur cette lecture que je m’endors ; le caractère m’en plaît beaucoup plus que le style. Pour les sentiments, j’avoue qu’ils me plaisent aussi, et qu’ils sont d’une perfection qui remplit mon idée sur les belles âmes. Vous savez aussi que je ne hais pas les grands coups d’épée, tellement que voilà qui va bien., pourvu qu’on m’en garde le secret. Mlle du Plessis nous honore souvent de sa présence ; elle disoit hier qu’en basse Bretagne on faisoit une chère admirable, et qu’aux noces de sa belle-sœur on avoit mangé pour un jour douze cents pièces de rôti : à cette exagération, nous demeurâmes tous comme des gens de pierre. Je pris courage, et lui dis : « Mademoiselle, pensez-y bien ; n’est-ce point douze pièces de rôti que vous voulez dire ? On se trompe quelquefois. — Non, Madame, c’est douze cents pièces ou onze cents ; je ne veux pas vous assurer si c’est onze ou douze, de peur de mentir ; mais enfin je sais bien que c’est l’un ou l’autre, » et le répéta vingt fois, et n’en voulut jamais rabattre un seul poulet. Nous trouvâmes qu’il falloit qu’ils fussent du moins trois cents piqueurs pour piquer menu, et que le lieu fût une grande prairie, où l’on eût tendu des tentes ; et que, s’ils n’eussent été que cinquante, il eût fallu qu’ils eussent commencé un mois devant. Ce propos de table étoit bon ; vous en auriez été contente. N’avez-vous point quelque exagéreuse comme celle-là ?

Au reste, ma bonne, cette montre que vous m’avez donnée, qui alloit toujours trop tôt ou trop tard d’une heure ou deux, est devenue si parfaitement juste qu’elle ne quitte pas d’un moment la pendule ; j’en suis ravie, et je vous en remercie sur nouveaux frais ; en un mot, je suis toute à vous. L’abbé me dit qu’il vous adore, et qu’il veut vous rendre quelque service : il ne voit pas bien en quelle occasion ; mais enfin il vous aime autant qu’il m’aime.


1671

185. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 19e juillet[654].

Je ne vois point, ma bonne, que vous ayez reçu mes lettres du 17e et 21e juin ; je vous écris toujours deux fois la semaine, ce m’est une joie et une consolation ; je reçois le vendredi deux de vos lettres qui me soutiennent le cœur toute la semaine. J’ai trouvé fort plaisant de recevoir celle que vous m’adressez dans la Capucine[655], justement dans le beau milieu de la Capucine. Il faisoit beau ; j’attendois mon laquais qui devoit m’apporter vos lettres de Vitré. Après avoir bien fait des tours, je revenois au logis.

Je vous trouve bien en famille de tous côtés, et je vous vois très-bien faire les honneurs de votre maison. Je vous assure que cette manière est plus noble et plus aimable qu’une froide insensibilité, qui sied très-mal quand on est chez soi. Vous en êtes bien éloignée, ma bonne, et l’on ne peut pas mieux faire que ce que vous faites : je vous souhaite seulement des matériaux ; car, pour de la bonne volonté, vous en avez de reste.

Vous aurez trouvé plaisant que je vous aie tant parlé du Coadjuteur, dans le temps qu’il est avec vous : je n’avois pas bien vu sa goutte en vous écrivant. Ah ! Seigneur Corbeau, si vous n’aviez demandé, pour toute nécessité, qu’un poco di pane, un poco di vino[656], vous n’en seriez point où vous en êtes : il faut souffrir la goutte quand on l’a méritée ; mon pauvre Seigneur, j’en suis fâchée, mais c’est bien employé.

Je remercie M. de Grignan d’avoir soin de son adresse et de sa belle taille. Je vous trouve fort jolie de vous être levée si matin pour le voir tirer vos lapins.

Le soleil se hâtant pour la gloire des cieux
Vint opposer sa flamme à l’éclat de vos yeux,
Et prit tous les rayons dont l’Olympe se dore[657].

Ce qui m’embarrasse pour la fin du sonnet, c’est que le soleil fut pris pour l’Aurore, et qu’il me semble que vous ne fûtes simplement que l’Aurore, et qu’aussitôt qu’il eut pris tous ses rayons vous lui quittâtes la place, et vous allâtes vous coucher. Je vous assure au moins, ma bonne, qu’il n’eut pas l’avantage de vous gâter votre beau teint ; il ne demanderoit pas mieux, de l’humeur dont il est en Provence. C’est à vous à vous en défendre : je vous en conjure pour l’amour de moi qui aime si chèrement votre personne aussi bien que tout le reste.

Je trouve, ma chère bonne, qu’il s’en faut beaucoup que vous soyez en solitude : je me réjouis de tous ceux qui vous peuvent divertir. Vous aurez bientôt Mme de Rochebonne[658]. Mandez-moi toujours ce que vous aurez. Le Coadjuteur est bon à garder longtemps. L’offre que vous lui faites d’achever de bâtir votre château est une chose qu’il acceptera sans doute : que feroit-il de son argent ? Cela ne paroîtra pas sur son épargne. Je trouverois fort mauvais qu’il prît mon appartement.

Ce que vous dites de cette maxime que j’ai faite sans y penser[659] est très-bien et très-juste. Je veux croire, pour ma consolation, que si je l’avois écrite moins vite, et que je l’eusse tournée avec quelque loisir, j’aurois dit comme vous ; en un mot, ma bonne, vous avez raison, et je ne donnerai jamais rien au public, que je ne vous consulte auparavant.

Vous avez écrit une lettre à la Mousse dont je vous dois remercier autant que lui ; elle est toute pleine d’amitié pour moi. D’Hacqueville est bien plaisant de vous avoir envoyé la mienne. Enfin Brancas m’a écrit une lettre si excessivement tendre, qu’elle récompense tout son oubli passé. Il me parle de son cœur à toutes les lignes ; si je lui faisois réponse sur le même ton, ce seroit une portugaise[660].

Il ne faut louer personne avant sa mort : c’est bien dit ; nous en avons tous les jours des exemples ; mais, après tout, mon ami[661] le public fait toujours bien : il loue quand on fait bien ; et comme il a bon nez, il n’est pas longtemps la dupe, et blâme quand on fait mal. Quand on va du mal au bien, il ne répond pas de l’avenir ; il parle de ce qu’il voit. La comtesse de Gramont[662] et d’autres ont senti les effets de son inconstance ; mais ce n’est pas lui qui change le premier. Vous n’avez pas sujet de vous plaindre de lui, et ce ne sera pas par vous qu’il commencera à faire de grandes injustices.

Notre abbé a pour vous une tendresse qui me le fait adorer ; il vous trouve d’une solidité qui le charme, et qui le fait brùler d’impatience de vous pouvoir soulager et vous être bon à quelque chose ; il a quasi autant d’envie que moi d’aller en Provence. Nous sommes occupés de notre chapelle ; elle sera achevée à la Toussaint. Nous sommes dans une parfaite solitude et je m’en trouve bien. Ce parc est bien plus beau que vous ne l’avez vu, et l’ombre de mes petits arbres est une beauté qui n’étoit pas bien représentée par les bâtons d’alors. Je crains le bruit qu’on va faire en ce pays. On dit que Mme de Chaulnes arrive aujourd’hui ; je l’irai voir demain, je ne puis pas m’en dispenser ; mais j’aimerois bien mieux être dans la Capucine, ou à lire le Tasse, où je suis d’une habileté qui vous surprendroit et qui me surprend moi-même.

Vous me dites trop de bien de mes lettres, ma bonne ; je compte sûrement sur toutes vos tendresses : il y a longtemps que je dis que vous êtes vraie ; cette louange me plaît ; elle est nouvelle et distinguée de toutes les autres ; mais quelquefois aussi elle pourroit faire du mal. Je sens au milieu de mon cœuri[663] tout le bien que cette opinion me fait présentement. Ah ! qu’il y a peu de personnes vraies ! Rêvez un peu sur ce mot[664], vous l’aimerez. Je lui trouve, de la façon que je l’entends, une force au delà de la signification ordinaire.

La divine Plessis est justement et à point toute fausse ; je lui fais trop d’honneur de daigner seulement en dire du mal. Elle joue toutes sortes de choses : elle joue la dévote, la capable, la peureuse, la petite poitrine, la meilleure fille du monde ; mais surtout elle me contrefait, de sorte qu’elle me fait toujours le même plaisir que si je me voyois dans un miroir qui me fît ridicule, et que je parlasse à un écho qui me répondît des sottises. J’admire où je prends celles que je vous écris. Adieu, ma très-aimable bonne. Vous qui voyez tout, ne voyez-vous point comme je suis belle les dimanches, et comme je suis négligée les jours ouvriers ? Mandez-moi si vous avez toujours le courage de vous habiller et ce que vous avez fait de provençal. Mon Dieu ! qu’on est heureux, ma bonne, de vous voir en Provence ! et quelle joie sensible quand je vous embrasserai ! car enfin ce jour viendra ; en attendant, j’en passerai de bien cruels vers le temps de vos couches.

Il a vaqué chez Monsieur une charge de vingt mille écus ; Monsieur l’a donnée à l’Ange[665], au grand plaisir de toute sa maison[666].

La Vauguyon[667], après deux ans de mariage avec Fromentau l’a enfin déclaré, et elle est logée chez lui. C’est un bon parti que Fromentau !

Vous ai-je dit qu’il y avoit des demoiselles à Vitré, dont l’une s’appelle Mlle de Croque-Oison, et l’autre de Kerborgne ? J’appelle la Plessis, Mlle de Kerlouche[668]. Ces noms me réjouissent.

Je suis toute à vous, ma bonne, et si vous m’aimez, ayez soin de votre santé.


186. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 22e juillet, jour de
la Madeleine, où fut tué, il y a quelques
années, un père que j’avois[669].

Je vous écris, ma bonne, avec plaisir, quoique je n’aie rien à vous mander. Mme de Chaulnes arriva dimanche, mais savez-vous comment ? à beau pied sans lance, entre onze heures et minuit : on pensoit à Vitré que ce fût des bohèmes. Elle ne vouloit aucune cérémonie à son entrée ; elle fut servie à souhait, car on ne la regarda pas, et ceux qui la virent comme elle étoit, crurent que c’étoit ce que je vous ai dit, et pensèrent tirer sur elle. Elle venoit de Nantes par la Guerche[670], et son carrosse et son chariot étoient demeurés entre deux rochers à demi-lieue die Vitré, parce que le contenu étoit plus grand que le contenant, ma chère ; ainsi il fallut travailler dans le roc, et cet ouvrage ne fut fait qu’à la pointe du jour, que tout arriva à Vitré. Je fus voir lundi cette duchesse, qui fut aise de me voir comme vous pouvez penser. La Murinette[671] beauté est avec elle, dont mon oncle l’abbé est amoureux. Elles sont seules à Vitré, en attendant M. de Chaulnes qui fait le tour de la Bretagne, et les états qui s’assembleront dans dix jours. Vous pouvez vous imaginer ce que je suis dans une pareille solitude : elle ne sait que devenir et n’a recours qu’à moi ; vous croyez bien que je l’emporte hautement sur Mlle Kerbogne. Elle me fit les mêmes civilités que si elle n’étoit point dans son gouvernement. Je crois qu’elle me viendra voir après dîner. Toutes mes allées sont nettes rigoureusement ; je la prierai de demeurer ici deux ou trois jours à s’y promener en liberté. Comme je lui fais valoir d’être demeurée pour elle, je veux m’en acquitter d’une manière à n’être pas oubliée[672], et pourtant sans que je fasse d’autre bonne chère que celle qui se trouvera dans le pays. Ah mon Dieu ! en voilà beaucoup sur ce sujet. Il faut pourtant que je vous fasse encore mille baisemains de sa part, et que je vous dise qu’on ne peut estimer plus une personne qu’elle vous estime : elle est instruite par d’Hacqueville de ce que vous valez. Quelle fortune que celle de cette femme ! Elle avoit cent mille écus : fille d’un conseiller[673], ma bonne ! Tout est rangé selon l’ordre de la Providence. Cette pensée doit fixer toutes nos inquiétudes, et vous, ma très-belle, comment êtes-vous ? où en êtes-vous de vos Grignans ? Le pauvre Coadjuteur a-t-il encore la goutte ? L’innocence est-elle toujours persécutée ?

Je fis hier matin un acte généreux : j’avois huit ou dix ouvriers qui fanoient mes foins. pour nettoyer des allées[674], et j’avois envoyé mes gens à leur place. Picard n’y voulut pas aller, et me dit qu’il n’étoit pas venu pour cela en Bretagne, qu’il n’étoit point un ouvrier, et qu’il aimoit mieux s’en aller à Paris. Sans autre forme de procès, je le fis partir à l’instant. Je pense qu’il couchera aujourd’hui à Sablé. Pour sa récompense, il l’a si peu méritée par quatre années de mauvais service que je n’en ai rien sur ma conscience : elle me viendra comme elle pourra.

Il faut avouer que la disette de sujets m’a jetée aujourd’hui dans de beaux détails. En voici encore un. Cette Mme Quintin[675], que nous vous disions qui vous ressembloit, à Paris, pour vous faire enrager, est comme paralytique ; elle ne se soutient pas ; demandez-lui pourquoi : elle a vingt ans. Elle est passée ce matin devant cette porte, et a demandé à boire un petit coup de vin ; on lui en a porté, elle a bu sa chopine, et puis s’en est allée au Pertre[676] consulter une espèce de médecin qu’on estime en ce pays. Que dites-vous de cette manière bretonne, familière et galante ? Elle sortoit de Vitré ; elle ne pouvoit pas avoir soif ; de sorte que j’ai compris que tout cela étoit un air, pour me faire savoir qu’elle a un équipage de Jean de Paris[677]. Ma pauvre bonne, ne sortirai-je point des nouvelles de Bretagne ? Quel chien de commerce avez-vous là avec une femme de Vitré ? La cour s’en va, dit-on, à Fontainebleau ; le voyage de Rochefort et de Chambord est rompu. On croit qu’en dérangeant les desseins qu’on avoit pour l’automne, on dérangera aussi la fièvre de Monsieur le Dauphin, qui le prend dans cette saison à Saint-Germain : pour cette année, elle y sera attrapée ; elle ne l’y trouvera pas. Vous savez qu’on a donné à Monsieur de Condom l’abbaye de Rebais qu’avoit l’abbé de Foix : le pauvre homme[678] ! On prend ici le deuil de Monsieur le duc d’Anjou : si je demeure aux états, cela m’embarrassera. Notre abbé ne peut quitter la chapelle ; ce sera notre plus forte raison ; car, pour le bruit et le tracas de Vitré, il me sera bien moins agréable que mes bois, ma tranquillité et mes lectures. Quand je quitte Paris et mes amies, ce n’est pas pour paroître aux états : mon pauvre mérite, tout médiocre qu’il est, n’est pas encore réduit à se sauver en province, comme les mauvais comédiens. Ma bonne, je vous embrasse avec une tendresse infinie ; la tendresse que j’ai pour vous occupe mon âme tout entière ; elle va loin et embrasse bien des choses quand elle est au point de la perfection. Je souhaite votre santé plus que la mienne ; conservez-vous ; ne tombez point. Assurez M. de Grignan de mon amitié, et recevez les protestations de notre abbé.


187. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À COULANGES.

Aux Rochers, 22e juillet 1671.

Ce mot sur la semaine est par-dessus le marché de vous écrire seulement tous les quinze jours, et pour vous donner avis, mon cher cousin, que vous aurez bientôt l’honneur de voir Picard[679] ; et comme il est frère du laquais de Mme de Coulanges, je suis bien aise de vous rendre compte de mon procédé. Vous savez que Mme la duchesse de Chaulnes est à Vitré ; elle y attend le duc, son mari, dans dix ou douze jours, avec les états de Bretagne : vous croyez que j’extravague ; elle attend donc son mari avec tous les états, et en attendant, elle est à Vitré toute seule, mourant d’ennui. Vous ne comprenez pas que cela puisse jamais revenir à Picard : elle meurt donc d’ennui ; je suis sa seule consolation, et vous croyez bien que je l’emporte d’une grande hauteur sur Mlles  de Kerbone et de Kerqueoison[680]. Voici un grand circuit, mais pourtant nous arriverons au but. Comme je suis donc sa seule consolation, après l’avoir été voir, elle viendra ici, et je veux qu’elle trouve mon parterre net et mes allées nettes, ces grandes allées que vous aimez. Vous ne comprenez pas encore où cela peut aller ; voici une autre petite proposition incidente : vous savez qu’on fait les foins ; je n’avois pas d’ouvriers ; j’envoie dans cette prairie, que les poëtes ont célébrée, prendre tous ceux qui travailloient, pour venir nettoyer ici : vous n’y voyez encore goutte ; et, en leur place, j’envoie tous mes gens faner. Savez-vous ce que c’est que faner ? Il faut que je vous l’explique : faner est la plus jolie chose du monde, c’est retourner du foin en batifolant dans une prairie ; dès qu’on en sait tant, on sait faner. Tous mes gens y allèrent gaiement ; le seul Picard me vint dire qu’il n’iroit pas, qu’il n’étoit pas entré à mon service pour cela, que ce n’étoit pas son métier, et qu’il aimoit mieux s’en aller à Paris. Ma foi ! la colère me monte à la tête. Je songeai que c’étoit la centième sottise qu’il m’avoit faite ; qu’il n’avoit ni cœur, ni affection ; en un mot, la mesure étoit comble. Je l’ai pris au mot, et quoi qu’on m’ait pu dire pour lui, je suis demeurée ferme comme un rocher, et il est parti. C’est une justice de traiter les gens selon leurs bons ou mauvais services. Si vous le revoyez, ne le recevez point, ne le protégez point, ne me blâmez point, et songez que c’est le garçon du monde qui aime le moins à faner, et qui est le plus indigne qu’on le traite bien.

Voilà l’histoire en peu de mots. Pour moi, j’aime les narrations où l’on ne dit que ce qui est nécessaire, où l’on ne s’écarte point ni à droite, ni à gauche, où l’on ne reprend point les choses de si loin ; enfin je crois que c’est ici, sans vanité, le modèle des narrations agréables[681].


188. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 26e juillet.

Je vous écris deux fois la semaine, ma bonne fille, soit dit en passant, et sans reproche, car j’y prends beaucoup de plaisir. Pour aujourd’hui, je commence ma lettre un peu par provision ; elle ne partira que demain[682], et en la fermant j’y ajouterai encore un mot.

Vous saurez donc qu’hier vendredi j’étois toute seule dans ma chambre avec un livre précieusement à la main. Je vois ouvrir ma porte par une grande femme de très-bonne mine ; cette femme s’étouffoit de rire, et cachoit derrière elle un homme qui rioit encore plus fort qu’elle ; cet homme étoit suivi d’une femme fort bien faite qui rioit aussi ; et moi, je me mis à rire sans les reconnoître et sans savoir ce qui les faisoit rire. Comme j’attendois aujourd’hui Mme de Chaulnes, qui doit passer deux jours ici, j’avois beau regarder, je ne pouvois comprendre que ce fût elle. C’étoit elle pourtant, qui m’amenoit Pomenars, qui en arrivant à Vitré lui avoit mis dans la tête de venir me surprendre. La Murinette beauté étoit de la partie, et la gaieté de Pomenars étoit si extrême, qu’il auroit réjoui la tristesse même. D’abord ils ont joué au volant ; Mme de Chaulnes joue comme vous ; et puis une légère collation, et puis nos belles promenades, et partout il a été question de parler de vous. J’ai dit à Pomenars que vous étiez fort en peine de ses affaires, et que vous m’aviez mandé que pourvu qu’il n’y eùt que le courant, vous ne seriez point en inquiétude ; mais que tant de nouvelles injustices qu’on lui faisoit vous donnoient beaucoup de chagrin pour lui. Nous avons fort poussé cette plaisanterie, et puis cette grande allée nous a fait souvenir de la chute que vous y fîtes un jour, dont la pensée nous a fait devenir rouges comme du feu. On parle longtemps là-dessus, et puis du dialogue bohème, et puis enfin de Mlle du Plessis, et des sottises qu’elle disoit, et qu’un jour vous en ayant dit une, et trouvant son visage auprès du vôtre, vous n’aviez pas marchandé, et lui aviez donné un soufflet pour la faire reculer ; et que moi, pour adoucir les affaires, j’avois dit : « Mais voyez comme ces petites filles se jouent rudement ; » et ensuite à sa mère : « Madame, ces jeunes créatures étoient si folles, qu’elles se battoient : Mlle du Plessis agaçoit ma fille, ma fille la battoit ; c’étoit la plus plaisante chose du monde ; » et qu’avec ce tour, j’avois ravi Mme du Plessis de voir nos petites filles se réjouir ainsi. Cette camaraderie de vous et de Mlle du Plessis, dont je ne faisois qu’une même chose pour faire avaler le soufflet, les a fait rire à mourir. La Murinette vous approuve fort, et jure que la première fois qu’elle viendra lui parler dans le nez, comme elle fait toujours, elle vous imitera, et lui donnera sur sa vilaine joue. Je les attends tout présentement. Pomenars tiendra bien sa place ; Mlle du Plessis viendra aussi, et ils me montreront une lettre de Paris faite à plaisir, où on mandera cinq ou six soufflets donnés entre femmes, afin d’autoriser ceux qu’on lui veut donner aux états, et même les y faire souhaiter afin d’être à la mode. Enfin je n’ai jamais vu un homme si fou que Pomenars[683] : sa gaieté augmente en même temps que ses affaires criminelles ; s’il lui en vient encore une, il mourra de joie. Je suis chargée de mille compliments pour vous ; nous vous avons célébrée à tout moment. Mme de Chaulnes dit qu’elle vous souhaiteroit une Mme de Sévigné en Provence, comme celle qu’elle a trouvée en Bretagne : c’est cela qui rend son gouvernement beau ; car quelle autre chose pourroit-ce être ? Quand son mari sera venu, je la remettrai entre ses mains, et ne me mettrai plus en peine de son divertissement ; mais vous, ma bonne, mon Dieu ! que je vous plains avec votre tante d’Harcourt[684] ! quelle crainte ! quel embarras ! quel ennui ! Voilà qui me feroit plus de mal mille fois qu’à personne du monde, et vous seule au monde seriez capable de me faire avaler ce poison. Oui, mon enfant, je vous le jure ; et si j’étois à Grignan, j’écumerois votre chambre pour vous faire plaisir, comme j’ai fait mille fois. Après cette marque d’amitié, ne m’en demandez plus, car je hais l’ennui plus que la mort, et j’aimerois fort à rire avec vous, Vardes et le Seigneur Corbeau. Ah ! défaites-vous de cette trompette du jugement : il y a vingt ans qu’elle me déplaît, et que je lui dois une visite.

Ma tante m’écrit mille choses de Catau, qui est arrivée en neuf jours : elle dit des merveilles de vous et de votre château et de votre grandeur. Pourquoi ne m’avez-vous point mandé que vous l’eussiez envoyée ? Elle est bien malheureuse ; son certificat qu’on vous envoyoit a été perdu. Je crains que vous ne soyez incommodée de ne l’avoir plus. Pour ma petite-enfant, elle est aimable, et sa nourrice au point de la perfection sans qu’il y manque rien. Mon habileté est une espèce de miracle, et me fait comprendre en amitié la merveille de ce maréchal qui devint peintre[685]. Il faut habiller la petite, et assurément je lui donnerai sa première robe, et parce qu’elle est ma filleule, et parce qu’elle ne me coûtera que quatre sous : laissez-moi faire et ne me remerciez point.

Je crains fort que ces cousins ne soient un sang échauffé ; c’est cela qui est traître et qui vous pourroit faire beaucoup de mal. Je vous conseillerois de vous rafraîchir et de prendre de bons bouillons : vous savez qu’il ne faut point craindre de se bien nourrir, et le sang échauffé vous pourroit donner la fièvre dans la saison où nous allons entrer, et ce seroit une très-fâcheuse affaire. Je vous prie, ma petite, songez-y pour l’amour de moi, et vous rafraîchissez.

Je trouve votre vie fort réglée et fort bonne. Notre abbé vous aime avec une tendresse et une estime qu’il n’est pas aisé de dire en peu de mots. Il attend avec impatience le plan de Grignan et la conversation de Monsieur d’Arles ; mais sur toutes choses, il vous souhaiteroit bien cent mille écus, dit-il, pour faire achever votre château, et pour tout ce qui vous plairoit. Je ne puis songer à tout ce qui mange à vos dépens sans mourir de peur. Toutes les heures ne sont pas comme celles qu’on passe avec Pomenars, et même on s’ennuieroit bientôt de lui : les réflexions qu’on fait sont bien contraires à la joie. Je vous ai mandé que je croyois que je ne bougerois d’ici ou de Vitré. Notre abbé ne peut quitter sa chapelle ; et le désert du Buron[686], et l’ennui de Nantes avec Mme de Molac[687], ne conviennent pas à son humeur agissante. Je serai souvent ici, et Mme de Chaulnes, pour m’ôter les visites, dira toujours qu’elle m’attend. Pour mon labyrinthe, il est net, il y a des tapis verts, et les palissades sont à hauteur d’appui : c’est un aimable lieu ; mais, hélas ! ma chère enfant, il n’y a guère d’apparence que je vous y voie jamais.

Di memoria nudrirsi, piii che di speme[688].

C’est bien ma vraie devise. Nos sentences ont été trouvées jolies. Ne comprenez-vous point bien qu’il n’y a jour, ni heure, ni moment, que je ne pense à vous, que je n’en parle quand je puis, et qu’il n’y a rien qui ne m’en fasse souvenir ? Nous sommes sur la fin du Tasse, et Goffredo a spiegato il gran vessillo della croce sopra’l muro[689]. Nous avons lu ce poëme avec plaisir. La Mousse est bien content de moi et de vous encore plus, quand il songe à l’honneur que vous faites à la philosophie[690]. Je crois que vous n’auriez pas eu moins d’esprit quand vous auriez eu la plus sotte mère du monde ; mais enfin tout ensemble fait un assez bon effet. Nous avons envie de lire Guichardin, car nous ne voulons point quitter l’italien. La Murinette le parle comme du françoist[691]. J’ai reçu une lettre de notre Cardinal[692], qui me dit encore pis que pendre du gros abbé[693] qui est avec lui. Adieu, ma très-aimable ; je ne daigne vous dire que je vous aime, vous le savez, et je ne trouve point de paroles qui puissent vous faire comprendre comme mon cœur est pour vous. J’achèverai demain cette lettre, et vous manderai à quoi se divertit ma compagnie.


Ma compagnie est couchée, parce qu’il est minuit. Nous avons fait ce soir de grandes promenades, et après souper nous avons coupé les cheveux à la petite du Cerny, et lui avons mis le premier appareil, que nous lèverons demain. La Murinette beauté est habile comme la Vienne[694]. Pomenars ne fait que de sortir[695] de ma chambre ; nous avons parlé assez sérieusement de ses affaires, qui ne sont jamais de moins que de sa tête. Le comte de Créance veut à toute force qu’il ait le cou coupé ; Pomenars ne veut pas : voilà le procès[696]. Mme de Chaulnes disoit tantôt que l’abbé Têtu, après avoir été quelque temps à Richelieu, enfin sans autre façon s’étoit établi à Fontevrault, où il est depuis deux mois. Ils le virent, en passant, il y a un mois. Le prétexte, c’est qu’il y a de la petite vérole à Richelieu. Si cette conduite ne lui est fort bonne, elle lui sera fort mauvaise[697]. Je ne savois pas que Monsieur de Condom eût rendu son évéché ; elle[698] m’a assuré que cela étoit fait[699]. La petite personne[700] a envoyé des chansons à sa sœur, que nous ne trouvons pas trop bonnes. Je suis aise que vous ayez approuvé les miennes ; on ne peut pas les élever plus haut que de les mettre sur le ton des dragons ; il me semble que j’aurois dû l’entendre d’ici : cela me fait voir qu’il y a bien loin d’ici à Grignan. Ah, mon Dieu ! que cette pensée me fait triste, et que je m’ennuie d’être si longtemps sans vous voir ! Adieu, ma chère fille, je me vais coucher tristement, et je vous embrasse de tout mon cœur, avec une tendresse infinie. Mandez-moi toujours de vos nouvelles, et surtout de votre santé, que je vous recommande si vous m’aimez.

Adieu, mon cher Grignan ; adieu, Monsieur le Coadjuteur, aimez toujours bien votre petite sœur et sa mère.



1671

189. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 29e juillet.

Il sera le mois de juillet tant qu’il plaira à Dieu : je croîs que le mois d’août sera encore plus long, puisque ce sera le temps des états. N’en déplaise à la compagnie, c’est toujours une sujétion pour moi d’aller les trouver à Vitré, ou de craindre qu’ils ne viennent ici : c’est un embarras, comme dit Mme de la Fayette. Mon esprit n’est plus monté sur ce ton-là ; mais il faut avaler et passer ce temps comme les autres. Mme de Chaulnes fut ravie d’être deux jours ici. Ce qui lui paroissoit de plus charmant, c’étoit mon absence : c’étoit aussi le régal que je lui avois promis. Elle se promenoit dès sept heures du matin toute seule dans ces bois. L’après-dînée il y eut un bal de paysans devant cette porte, qui nous réjouit extrêmement. Il y avoit un homme et une femme qu’on auroit empêchés de danser dans une république bien réglée : c’étoient des postures à pâmer de rire ; Pomenars crioit, n’ayant plus la force de parler. Je ne finirois point sur son chapitre : il ne fait pas un pas qui ne puisse être le dernier, et l’on ne le quitte point qu’on ne lui puisse dire adieu. Tout disparut lundi matin, et je demeurai contente.

Vous aurez M. de Vardes quand vous recevrez cette lettre. Faites-lui bien mes baisemains, s’il m’aime encore autant qu’à Aix. Mandez-moi si sa patience n’est pas usée ; s’il doit sa constance à la philosophie ou à l’habitude ; enfin parlez-moi de lui.

Vous répétez[701] sur moi des leçons de silence qui ne sont point à leur place. Il nous sembloit à Paris que l’étoile de Mlle de Toiras pâlissoit. Si elle eût été assez forte pour lui donner un tel mari[702], elle auroit bien dû se moquer de toutes les beautés. Hélas ! aurez-vous celle de votre tante d’Harcourt ? Que je vous plains ! Il faudroit encore mettre au bout de toutes les questions qu’on leur fait, où elles répondent non, une autre qu’on leur fait toujours intérieurement : « Ne voulez-vous point vous en aller ? » où elles répondent non, et l’on meurt.

Voilà une lettre de M***[703] que je vous envoie, ma bonne, vous verrez s’il vous aime, s’il vous estime et si vous perdez toutes vos peines : elles vous servent au moins à être adorée de toute la famille. Plût à Dieu que tous vos désirs eussent un pareil succès !

J’ai reçu une lettre du marquis de Charost[704] toute pleine d’amitié et de ménagement. Il me parle de Mme de Brissac[705], et me mande qu’il vous écrit. Je vous prie, cruauté à part, faites-lui réponse : vous savez qu’il n’est bon qu’à ménager, et point du tout à mépriser. Il est vieux comme son père, et ne comprendroit point l’honneur qu’on lui feroit en lui refusant[706] une réponse. On me mande que le comte d’Ayen[707] épouse Mlle de Bournonville : Matame te Lutres en est enrazée.

Vous me parlez, dans votre lettre, ma bonne, qu’il faudra songer aux moyens de vous envoyer votre fille ; je vous prie de n’en point chercher d’autre que moi, qui vous la mènerai assurément, si sa nourrice le veut bien. Toute autre voiture me donneroit beaucoup de chagrin. Je compte comme un amusement tendre et agréable de la voir cet hiver au coin de mon feu. Je vous conjure, ma bonne, de me laisser prendre ce petit plaisir. J’aurai d’ailleurs de si vives inquiétudes pour vous, qu’il est juste que, dans les jours où j’aurai quelque repos, je trouve cette espèce de petite consolation. Voilà donc qui est fait : nous parlerons de son voyage quand je serai sur le point de faire le mien. Je viens d’en faire un dans mon petit galimatias, c’est-à-dire mon labyrinthe, où votre aimable et chère idée m’a tenu fidèle compagnie. Je vous avoue que c’est un de mes plaisirs que de me promener toute seule ; je trouve quelques labyrinthes de pensées dont on a peine à sortir ; mais on a du moins la liberté de penser à ce que l’on veut. Si vous étiez, ma bonne, aussi heureuse en toutes choses que je le souhaite, votre état seroit bien digne d’envie. Adieu, ma chère petite. Ah ! qu’il m’ennuie de ne vous point voir ! et que cette pensée me fait souvent rougir mes petits yeux ! J’embrasse votre époux.


1671

190. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 2e août.

Vous avez donc, ma bonne, chez vous, présentement, toute la foire de Beaucaire[708]. N’avez-vous point encore mis l’habileté de vous défaire des équipages dans le nombre des merveilles que vous faites en Provence ? Nos pères avoient bon esprit de nourrir tous les trains ! c’est une belle mode à présent dont tout le monde s’est tiré. Elle est bien pire que les portes basses et les grandes cheminées. Il vous faut du courage comme à la guerre, et un Jacquier[709] qui prenne en parti le pain de munition. Ma lettre vous trouvera, comme Dulcinée, dans l’agitation du mouvement de cette compagnie : gardez-la, je dis ma lettre, et puis vous la lirez à loisir[710]. Vous me priez, ma bonne, de me promener dans votre cœur ; vous me dites mille douceurs aimables sur cela. Je vous dirai donc que je fais quelquefois cette promenade ; je la trouve belle et très-agréable pour moi : mais à la pareille, ma bonne, je vous conjure civilement de venir vous promener chez moi. Allez partout, et voyez bien s’il y a quelqu’un qui se promène à côté de vous, et si vous n’y êtes pas plus respectée que dans votre gouvernement. Si cela vous donne quelque joie, vous devez être contente ; mais, mon Dieu ! cela ne fait point le bonheur de la vie : il y a de certaines grossièretés solides dont on ne peut se passer.

Que dites-vous des nouvelles de cette semaine ? Nous ne demandons que plaie et bosse ; mais, en vérité, je trouve que cette fois il y en a trop. La mort de Monsieur du Mans m’a assommée ; je n’y avois jamais pensé, non plus que lui ; et de la manière dont je le voyois vivre, il ne me tomboit pas dans l’imagination qu’il pût mourir. Cependant le voilà mort d’une petite fièvre en trois heures, sans avoir le temps de songer au ciel, ni à la terre : il a passé ce temps-là à s’étonner ; il est mort subitement de la fièvre tierce. La Providence fait quelquefois des coups d’autorité qui me plaisent assez : mais il en faudroit profiter[711]. Et ce pauvre Lenet qui est mort aussi[712] ; j’en suis fâchée. Ah ! que j’aurois été contente si la nouvelle de Mme de Lyonne[713] étoit venue toute seule ! C’est bien employé. Sa sorte de malhonnêteté étoit une infamie scandaleuse. Il y a longtemps que je l’avois chassée du nombre des mères. Tous les jeunes gens de la cour ont pris part à sa disgrâce. Elle ne verra point sa fille ; on lui a ôté tous ses gens. Voilà tous ces amants bien écartés.

Vous avez présentement le grand Chevalier[714], embrassez-le pour moi, mais le Coadjuteur surtout. Je le prie de ne me point écrire ; qu’il garde sa main droite pour jouer au brelan : ce n’est pas que je n’aime ses lettres, mais j’aime encore mieux son amitié. De l’humeur dont il est, il est impossible qu’il écrive sans qu’il en coûte à ceux à qui il écrit ; c’est acheter trop cher une lettre, qu’au prix d’une partie de sa tendresse. Nous conclurons incessamment que, s’il avoit écrit deux fois la semaine à quelqu’un, il le haïroit à la mort. Adieu, ma chère bonne.


1671

191. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 5e août.

Enfin, je suis bien aise que M. de Coulanges vous ait mandé des nouvelles. Vous apprendrez encore celle de M. de Guise[715], dont je suis accablée quand je pense à la douleur de Mlle de Guise. Vous jugez bien, ma bonne, que ce ne peut être que par la force de mon imagination que cette mort me puisse faire mal ; car du reste rien ne troublera moins le repos de ma vie. Vous savez comme je crains les reproches qu’on se peut faire à soi-même. Mlle de Guise n’a rien à se reprocher que la mort de son neveu : elle n’a jamais voulu qu’il ait été saigné ; la quantité du sang a causé le transport au cerveau : voilà une petite circonstance bien agréable. Je trouve que dès qu’on tombe malade à Paris, on tombe mort ; je n’ai jamais vu une telle mortalité. Je vous conjure, ma chère bonne, de vous bien conserver ; et s’il y avoit quelque enfant à Grignan qui eût la petite vérole, envoyez-le à Montélimar : votre santé est le but de mes désirs.


1671 Il faut un peu que je vous dise des nouvelles de nos états[716] pour votre peine d’être Bretonne. M. de Chaulnes arriva dimanche au soir, au bruit de tout ce qu’on en put faire à Vitré. Le lundi matin il m’écrivit une lettre, et me l’envoya par un gentilhomme. J’y fis réponse par aller dîner avec lui. On mangea à deux tables dans le même lieu ; il y a quatorze couverts à chaque table ; Monsieur en tient une, Madame l’autre : cela fait une assez grande mangerie. La bonne chère est excessive ; on remporte les plats de rôti comme si on n’y avoit pas touché ; mais pour les pyramides du fruit, il faut faire hausser les portes. Nos pères ne prévoyoient pas ces sortes de machines, puisque même ils n’imaginoient pas qu’il fallût qu’une porte fût plus haute qu’eux. Une pyramide veut entrer (ces pyramides qui font qu’on est obligé de s’écrire d’un côté de la table à l’autre ; mais ce n’est pas ici qu’on a eu du chagrin : au contraire, on est fort aise de ne plus voir ce qu’elles cachent) : cette pyramide, avec vingt porcelaines, fut si parfaitement renversée à la porte, que le bruit en fit taire les violons, les hautbois, les trompettes. Après le dîner, MM. de Locmaria et de Coëtlogon[717], avec deux Bretonnes, dansèrent des passe-pied merveilleux, et des menuets, d’un air que nos bons danseurs n’ont pas à beaucoup près : ils y font des pas de Bohémiens et de bas Bretons, avec une délicatesse et une justesse qui charment. Je pense toujours à vous, et j’avois un souvenir si tendre de votre danse et de ce que je vous avois vue danser, que ce plaisir me devint une douleur. On parla fort de vous. Je suis assurée que vous auriez été ravie de voir danser Locmaria : les violons et les passe-pied de la cour font mal au cœur au prix de ceux-là ; c’est quelque chose d’extraordinaire : ils font cent pas différents, mais toujours cette cadence courte et juste ; je n’ai point vu d’homme danser comme lui cette sorte de danse. Après ce petit bal, on vit entrer tous ceux qui arrivoient en foule pour ouvrir les états. Le lendemain, M. le premier président[718], MM. les procureurs et avocats généraux du parlement, huit évêques, MM. de Molac, la Coste et Coëtlogon le père, M. Boucherat[719], qui vient de Paris, cinquante bas Bretons dorés jusqu’aux yeux, cent communautés. Le soir devoient venir Mme de Rohan d’un côté, et son fils[720] de l’autre, et M. de Lavardin, dont je suis étonnée[721]. Je ne vis point ces derniers ; car je voulus venir coucher ici, après avoir été à la Tour de Sévigné[722] voir M. d’Harouys et MM. Fourché et Chésières[723], qui arrivoient. M. d’Harouys vous écrira ; il est comblé de vos honnêtetés : il a reçu deux de vos lettres à Nantes, dont je vous suis encore plus obligée que lui. Sa maison va être le Louvre des états : c’est un jeu, une chère, une liberté jour et nuit qui attirent tout le monde. Je n’avois jamais vu les états ; c’est une assez belle chose. Je ne crois pas qu’il y en ait qui aient un plus grand air que ceux-ci. Cette province est pleine de noblesse : il n’y en a pas un à la guerre ni à la cour ; il n’y a que ce petit guidon[724], qui peut-être y reviendra un jour comme les autres. J’irai tantôt voir Mme de Rohan ; il viendroit bien du monde ici, si je n’allois à Vitré. C’étoit une grande joie de me voir aux états, où je ne fus de ma vie ; je n’ai pas voulu en voir l’ouverture, c’étoit trop matin. Les états ne doivent pas être longs ; il n’y a qu’à demander ce que veut le Roi ; on ne dit pas un mot : voilà qui est fait. Pour le gouverneur, il y trouve, je ne sais comment, plus de quarante mille écus qui lui reviennent. Une infinité d’autres présents, des pensions, des réparations des chemins et des villes, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie[725] : voilà les états. J’oublie quatre cents pièces de vin qu’on y boit : mais, si j’oubliois ce petit article, les autres ne l’oublieroient pas, et c’est le premier. Voilà ce qui s’appelle, ma bonne, des contes à dormir debout ; mais ils viennent au bout de la plume, quand on est en Bretagne et qu’on n’a pas autre chose à dire. J’ai mille baisemains à vous faire de M. et de Mme de Chaulnes. Je suis toujours toute à vous, et j’attends le vendredi où je reçois vos lettres avec une impatience digne de l’extrême amitié que j’ai pour vous. Notre abbé vous embrasse, et moi mon cher Grignan, et ce que vous voudrez.


1671

192. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 9e août[726].

Vous n’êtes point sincère quand vous me louez tant aux dépens de vous-même et vous méprisant comme vous faites. Il me siéroit mal de faire votre panégyrique à vous-même, et vous ne voulez jamais que je dise du mal de moi. Je ne veux donc faire ni l’un ni l’autre ; mais enfin, ma bonne, si vous avez à vous plaindre de moi, ce n’est point de n’avoir point en vous de bonnes qualités et le fonds de toutes les vertus. Vous pouvez remercier Dieu de tout ce qu’il vous a donné ; car pour moi, je n’ai point assez de mérite pour en donner libéralement. Quoi qu’il en soit, vous mettez à propos vos réflexions en usage. Ce que vous dites sur les inquiétudes que nous avons si souvent et si naturellement sur l’avenir, et comme insensiblement notre inclination se change et s’accommode à la nécessité, est la juste matière d’un livre comme celui de Pascal. Rien n’est si solide, rien n’est si utile que ces sortes de méditations : et qui sont les personnes de votre âge qui en sachent faire ? Je n’en connois point. Vous avez un fonds de raison et de courage que j’honore ; pour moi, je n’en ai point tant, surtout quand mon cœur prend le soin de m’affliger. Mes paroles sont assez bonnes ; je les range comme ceux qui disent bien ; mais la tendresse de mes sentiments me tue. Par exemple, je n’ai point été trompée dans les douleurs d’être séparée de vous : je les ai imaginées comme je les sens ; j’ai compris que rien ne me rempliroit votre place, que votre souvenir me seroit toujours sensible au cœur ; que je m’ennuierois de votre absence, que je serois en peine de votre santé, que jour et nuit je serois occupée de vous. Je sens tout cela comme je l’avois prévu. Il y a plusieurs endroits sur lesquels je n’ai pas la force d’appuyer : toute ma pensée glisse sur cela, comme vous dites si bien ; et je n’ai point trouvé que le proverbe fût vrai pour moi, d'avoir la robe selon le froid : je n’ai point de robe pour ce froid-là. Mais cependant je m’amuse, et le temps passe toujours ; et ce fait particulier n’empêche pas la règle générale qui est toujours vraie, et qui le sera toujours. Nous craignons quasi toujours des maux qui perdent ce nom par le changement de nos pensées et de nos inclinations. Je prie Dieu qu’il vous conserve votre bon esprit. Vous me voulez aimer, et pour vous, et pour votre enfant : eh ! ma bonne, n’entreprenez point tant de choses. Quand vous pourriez atteindre à m’aimer autant que je vous aime, qui n’est pas une chose possible, ni même dans l’ordre de Dieu, il faudroit toujours que ma petite fût par-dessus le marché : ce sont mes petites entrailles, c’est le trop-plein de la tendresse que j’ai pour vous.

Ma tante l’a été voir ; elle aura cet été une robe ; elle est jolie et belle, et sa nourrice a trop de lait. Mais voici une chose qui m’a bien étonnée : c’est qu’enfin Mme de Lavardin ne se dérange point ; elle garde sa maison à Paris ; on l’a vue, elle prend courage ; et pour son fils, il est à Vitré qui tient deux tables et qui pour gagner les cœurs rit et chante comme si de rien n’étoit[727]. Je le fus voir l’autre jour ; je croyois qu’il se jetteroit à mon cou tout en larmes : point du tout ; j’étois plus affligée que lui ; nous causâmes raisonnablement, et je lui laissai l’abbé et la Mousse à dîner, qui en revinrent tout pleins de bons raisonnements.

Pour moi, j’allai dîner mercredi chez M. de Chaulnes, qui fait tenir les états deux fois le jour, de peur qu’on ne me vienne voir. Je n’ose vous dire les honneurs qu’on me fait dans ces états : cela est ridicule. Cependant je n’y ai point encore couché, et je ne puis quitter mes bois et mes promenades, quelque prière que l’on m’en fasse. Il y a quatre jours que je suis ici. Il fait un si beau temps que je ne puis me renfermer dans une petite ville. Mais, ma bonne, qui vous accouchera, si vous accouchez à Grignan ? Le secours viendra-t-il de loin ? N’oubliez pas du moins comme vous accouchâtes la dernière fois, et n’oubliez pas ce qui vous arriva la première, ni le besoin que vous eûtes d’un homme habile et hardi. Vous êtes quelquefois en peine comment vous pourrez faire pour me témoigner votre amitié. Voilà justement l’occasion où je vous en demande une preuve ; voilà sur quoi je vous devrai du reste, si vous voulez bien, pour l’amour de moi, avoir beaucoup de soin de vous. Ah ! ma bonne, qu’il vous sera toujours aisé de vous acquitter avec moi ! Hélas ! des trésors et tous les biens du monde me pourroient-ils donner tant de joie que votre amitié ? Comme aussi, tournez la médaille, l’enfer n’est pas pis que le contraire.

Votre lettre à Mme de Villars est très-bonne : il faudroit être sourde pour ne pas vous entendre. Elle ne paroît pourtant pas d’un style si vif que d’autres que j’ai vues de vous ; mais elle en sera très-contente, et personne n’écrit mieux que vous. Quand le Coadjuteur n’aura plus mal au pied, je le conjure de vouloir bien faire réponse à Monsieur d’Agen[728] sur cette religieuse qui met tout son diocèse sens dessus dessous : je prendrai cette lettre pour être à moi, et lui ferai crédit de trois mois. Je ne puis m’imaginer ses allures, comme celles de M. de la Rochefoucauld ; elles sont bien différentes de celles que l’on a quand on travaille à les mériter : ceci n’est-il point un peu labyrinthe ? l’entendez-vous ? cela s’appelle des choses fines.

Mais qu’est-ce que vous me dites d’avoir mal à la hanche ? Votre petit garçon seroit-il devenu fille ? Ne vous embarrassez pas : je vous aiderai à l’exposer sur le Rhône dans un petit panier de jonc, et puis elle abordera dans quelque royaume, où sa beauté sera le sujet d’un roman. Me voilà comme don Quichotte. Il y a d’horribles endroits dans Cléopatre ; mais il y en a de beaux, et la droite vertu est bien dans son trône. Nous avons achevé le Tasse avec plaisir et déplaisir : nous ne savons plus où nous attacher ; il faut attendre que les états soient partis pour entreprendre quelque chose. Étoit-ce à vous que je mandois l’autre jour qu’il sembloit que tous les pavés[729] fussent métamorphosés en gentilshommes ? Je n’ai jamais vu tant de monde. Je m’imagine que les états de Languedoc sont encore plus beaux. Mais vous, ma fille, donnez-moi des nouvelles de ce qui se passe autour de vous[730]. Ne sentez-vous point un peu la pesanteur de votre charge ? J’en suis accablée et crois que l’autre vous étoit meilleure. N’espérez-vous pas toujours la même grâce de votre Assemblée[731] ? Comment êtes-vous avec le Marseille[732] ? Eh, mon Dieu, que je suis bien de Provence, et que ce pays-là est bien devenu le mien ! Ah, ma bonne, falloit-il que ma vie fût rangée et marquée si loin de la vôtre !


Il n’y avoit que vous, mon cher Grignan, qui pussiez me résoudre à la donner à un Provençal : mais, dans la vérité, cela est ainsi, j’en prends à témoin Caderousse et Mérinville[733] ; car si j’avois trouvé autant de facilité et de disposition dans le cœur de ma fille pour ce dernier que j’en ai trouvé pour vous, et que je n’eusse pas été la reine des incidents, par la peur que j’avois de conclure, c’en étoit fait. Ne doutez donc jamais de ma véritable amitié, et d’une estime et d’une considération très-distinguée : un moment de réflexion vous fera voir que je dis vrai. Je ne suis point surprise que ma fille ne vous dise rien de moi ; elle m’en faisoit autant de vous l’année passée. Croyez donc, sans qu’elle vous le dise, que je ne vous oublie jamais. La voilà qui gronde, et qui dit que vous prenez ce prétexte pour excuser votre paresse : je laisse entre vous ce débat, et je vous assure que, quoique vous soyez l’homme du monde le plus heureux à être aimé, vous ne l’avez jamais été, ni ne le pourrez être de personne plus sincèrement que de moi. Je vous souhaite tous les jours dans mon mail ; mais vous êtes glorieux : je vois bien que vous voulez que je vous aille voir la première ; vous êtes bien heureux que je ne sois pas une vieille maman[734] ; je vous assure que j’emploierai le reste de ma santé à faire ce voyage. Notre abbé en a plus d’envie que moi ; c’est quelque chose. Il vous baise les mains, et notre cher la Mousse. Adieu, mon cher Comte ; aimez-moi toujours bien ; donnez-moi de votre vue, je vous donnerai de mes bois[735].


Ma pauvre bonne, je reviens à vous. Vous n’avez donc point eu toute cette foire que vous attendiez. Mais vous voulez la guerre ; je devine à quoi cette confusion vous seroit bonne. Ne songez-vous plus à vendre cette terre ? Eh mon Dieu, ma bonne, que n’avez-vous tout ce que je vous souhaite, ou que n’ai-je moi-même tout ce que je n’ai pas !

M. d’Andilly m’a envoyé le recueil qu’il a fait des lettres de M. de Saint-Cyran[736]. C’est une des plus belles choses du monde : ce sont proprement des maximes et des sentences chrétiennes, mais si bien tournées qu’on les retient par cœur, comme celles de M. de la Rochefoucauld. Quand il se débitera[737], priez Mme de la Fayette ou M. d’Hacqueville d’en demander un pour vous à M. d’Andilly : il vous sera très-obligé de cette confiance. Quand vous songerez qu’il n’a jamais eu un sou d’aucun de ses livres, et qu’il les donne tous, vous verrez bien que c’est l’obliger que d’en vouloir un de sa main. Je défie M. Nicole de mieux dire que ce que vous avez écrit sur le changement de nos passions ; il n’y a pas un mot de plus ou de moins que ce qu’il faut.


1671

193. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, mercredi 12e août.

Enfin, ma bonne, me voilà en pleins états ; sans cela les états seroient en pleins Rochers. Dimanche dernier, aussitôt que j’eus cacheté mes lettres, je vis entrer quatre carrosses à six chevaux dans ma cour, avec cinquante gardes à cheval, plusieurs chevaux de main et plusieurs pages à cheval. C’étoient M. de Chaulnes, M. de Rohan, M. de Lavardin, MM. de Coëtlogon[738], de Locmaria[739], les barons de Guais, les évêques de Rennes, de Saint-Malo[740], les MM. d’Argouges[741], et huit ou dix que je ne connois point ; j’oublie M. d’Harouys, qui ne vaut pas la peine d’être nommé. Je reçois tout cela. On dit et on répondit beaucoup de choses. Enfin, après une promenade dont ils furent fort contents, il sortit d’un des bouts du mail une collation très-bonne et très-galante, et surtout du vin de Bourgogne qui passa comme de l’eau de Forges[742]. On fut persuadé que tout cela s’étoit fait avec un coup de baguette. M. de Chaulnes me pria instamment d’aller à Vitré. J’y vins donc lundi au soir. Mme de Chaulnes me donna à souper, avec la comédie de Tartuffe, point trop mal jouée, et un bal où le passe-pied et le menuet me pensèrent faire pleurer. Cela me fait souvenir de vous si vivement que je n’y puis résister : il faut promptement que je me dissipe. On me parle de vous très-souvent, et je ne cherche pas longtemps mes réponses, car j’y pense à l’instant même, et je crois toujours que c’est qu’on voit mes pensées au travers de mon corps-de-jupe.

Hier je reçus toute la Bretagne à ma Tour de Sévigné[743]. Je fus encore à la comédie : ce fut Andromaque, qui me fit pleurer plus de six larmes ; c’est assez pour une troupe de campagne. Le soir on soupa, et puis le bal. Je voudrois que vous eussiez vu l’air de M. de Locmaria, et de quelle manière il ôte et remet son chapeau : quelle légèreté ! quelle justesse ! Il peut défier tous les courtisans, et les confondre, sur ma parole. Il a soixante mille livres de rente, et sort de l’académie. Il ressemble à tout ce qu’il y a de plus joli, et voudroit bien vous épouser. Au reste, ne croyez pas que votre santé ne soit pas bue ici ; cette obligation n’est pas grande, mais telle qu’elle est, vous l’avez tous les jours à toute la Bretagne. On commence par moi, et puis Mme de Grignan vient tout naturellement. M. de Chaulnes vous fait mille compliments. Les civilités qu’on me fait sont ridicules, et les femmes de ce pays sont si sottes, qu’elles laissent croire qu’il n’y a que moi dans la ville, quoiqu’elle soit toute pleine. Il y a, de votre connoissance, Tonquedec, le comte des Chapelles[744], Pomenars, l’abbé de Montigny[745], qui est évêque de Saint-Pol-de-Léon, et mille autres ; mais ceux-là me parlent de vous, et nous rions un peu de notre prochain. Il est plaisant ici le prochain, particulièrement quand on a dîné ; je n’ai jamais vu tant de bonne chère. Mme de Coetquen est ici avec sa fièvre, Chésières se porte mieux : on a député des états pour lui faire un compliment. Nous sommes polis autant pour le moins que le poli Lavardin : on l’adore ici, c’est un gros mérite qui ressemble au vin de Graves[746]. Mon abbé bâtit, et ne veut pas venir s’établir à Vitré ; il y vient dîner. Pour moi, j’y serai encore jusqu’à lundi ; et puis j’irai passer huit jours dans ma pauvre solitude, et puis je reviendrai dire adieu ; car la fin du mois verra la fin de tout ceci. Notre présent est déjà fait, il y a plus de huit jours : on a demandé trois millions ; nous avons offert sans chicane deux millions cinq cent mille livres, et voilà qui est fait. Du reste, M. le gouverneur aura cinquante mille écus, M. de Lavardin quatre-vingt mille francs, le reste des officiers à proportion : le tout pour deux ans. Il faut croire qu’il passe autant de vin dans le corps de nos Bretons, que d’eau sous les ponts, puisqu’on prend là-dessus l’infinité d’argent qui se donne à tous les états.

Vous voilà, Dieu merci, bien instruite de votre bon pays ; mais je n’ai point de vos lettres, et par conséquent point de réponse à vous faire : ainsi je vous parle tout naturellement de ce que je vois, et de ce que j’entends. Pomenars est divin : il n’y a point d’homme à qui je souhaitasse plus volontiers deux têtes ; jamais la sienne n’ira jusqu’au bout. Pour moi, ma fille, je voudrois déjà être au bout de la semaine, afin de quitter généreusement tous les honneurs de ce monde, et pour jouir de moi-même aux Rochers. Adieu, ma très-chère bonne, j’attends toujours vos lettres avec impatience ; votre santé est un point qui me touche de bien près : je crois que vous en êtes persuadée, et que, sans donner dans la justice de croire, je puis finir ma lettre et dormir en repos sur ce que vous pensez de mon amitié pour vous. Ne direz-vous point à M. de Grignan que je l’embrasse de tout mon cœur[747] aussi bien que vous, ma chère bonne ?


1671

194 — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, dimanche 16e août.

Quoi ! ma bonne, vous avez pensé brûler, et vous voulez que je ne m’en effraye pas ! Vous voulez accoucher à Grignan, et vous voulez que je ne m’en inquiète pas ! Ma bonne, priez-moi en même temps que je ne vous aime guère ; mais soyez assurée que pendant que vous me serez ce que vous êtes à mon cœur, c’est-à-dire pendant que je vivrai, je ne puis jamais voir tranquillement tous les maux qui vous peuvent arriver. Je prie M. Deville de faire tous les soirs une ronde pour éviter les accidents du feu. Eh quoi ? si le hasard n’avoit fait lever M. de Grignan plus matin que le jour, voyez un peu, ma bonne, où vous en étiez, et ce que vous deveniez avec votre château. Je crois que vous n’avez pas oublié à remercier Dieu : pour moi j’y ai trop d’intérêt pour ne l’avoir pas fait.

Je crois que vous n’avez pas oublié aussi d’écrire ou de faire faire un compliment par M. d’Hacqueville à Mme et à M. de Lavardin[748]. Je serois bien ici en main pour le leur faire tout à mon aise ; mais quoiqu’il fût vrai, il ne seroit pas vraisemblable. Il fait ici l’amoureux d’une petite madame : je trouvai que c’étoit une contenance dont il a besoin comme d’un éventail.

Vous faites trop d’honneur assurément à notre petit Dubois[749]. Vous n’êtes point sa très-humble servante, quelque plaisir qu’il vous fasse ; vous avez de l’affection pour lui ; vous lui êtes bien obligée de la peine ; vous n’en serez point ingrate dans les occasions de lui témoigner votre bonne volonté. Pour moi, si je me croyois, j’en dirois trop : enfin, il est précisément l’homme présentement qui me donne le plus sensible plaisir ; il mande qu’il va écrire à Lyon, et qu’il y a en cet endroit du malentendu à nos lettres ; car enfin, quoique vous m’écriviez deux fois la semaine, je n’en reçois qu’une à la fois. Il y en a eu quelques-unes où j’en ai eu deux, mais beaucoup où je n’en ai eu qu’une, comme aujourd’hui par exemple, et si vous saviez quelle perte c’est pour moi qu’une de vos lettres, vous verriez clairement le chagrin que cela me donne. Mon petit M. Dubois y fera de son mieux

Je voudrois bien que vous eussiez un fils, comme Mme de Simiane. D’où est la sage-femme qui l’a si bien accouchée ? Parlez-moi souvent de ce qui touche votre personne. Pecquet vous enverra son avis sur vos chaleurs de sang : vous en ferez ce que vous jugerez à propos ; son conseil ne vous sauroit faire de mal.

J’ai dit à Mme de Chaulnes les compliments que vous lui faites ; elle les a reçus d’une manière, et vous en rend de si bons, que je suis persuadée qu’elle voudroit, au prix des Molac et des Lavardin[750], que vous fussiez sa lieutenante générale : il n’y a que ces charges de belles ; les lieutenants de Roi ne sont pas dignes de porter votre robe. Je suis encore ici ; Mme de Chaulnes fait de son mieux pour m’y retenir, et M. de Chaulnes : ce sont sans cesse des distinctions, peut-être peu sensibles pour nous, mais qui me font admirer la bonté des dames de ce pays. Je ne m’en accommoderois pas comme elles, avec toute ma civilité et ma douceur. Vous croyez bien que sans cela je ne demeurerois pas ici, où je n’ai que faire. Les comédiens nous ont amusés, les passe-pied nous ont divertis, la promenade nous a tenu lieu des Rochers. Nous fîmes hier[751] de grandes dévotions, et demain je m’en vais aux Rochers, où je serai ravie de ne plus voir de festins, et d’être un peu à moi. Je meurs de faim au milieu de toutes ces viandes, et je proposois l’autre jour à Pomenars d’envoyer accommoder un gigot de mouton à la Tour de Sévigné pour minuit, en revenant de chez Mme de Chaulnes. Enfin, soit par besoin ou par dégoût, je meurs d’envie d’être dans mon mail et manger ma petite poitrine[752] : j’y serai huit ou dix jours. Notre abbé, et la Mousse, et Marphise, ont grand besoin de ma présence ; ces deux premiers viennent pourtant dîner ici quelquefois.

J’ai cent baisemains à vous faire ; il est très-souvent question ici de Mme la gouvernante de Provence : c’est ainsi que M. de Chaulnes vous nomme en commençant votre santé.

On contoit hier au soir à table qu’Arlequin[753], l’autre jour, à Paris, portoit une grosse pierre sous son petit manteau. On lui demandoit ce qu’il vouloit faire de cette pierre ; il dit que c’étoit un échantillon d’une maison qu’il vouloit vendre : cela me fit rire ; je jurai que je vous le manderois. Si vous croyez, ma bonne, que cette invention[754] fût bonne pour vendre votre terre, vous pourriez vous en servir.

Que dites-vous du mariage de Monsieur[755] ? Ce sont des traits de la Palatine[756] : c’est sa nièce et celle de la princesse de Tarente. Vous comprenez bien la joie qu’aura Monsieur de se marier en cérémonie. Quelle joie encore d’avoir une femme qui n’entende pas le françois ! On dit qu’elle est belle ; du reste elle n’est pas plus riche que Mlle de Grancey[757]. On dit que le jour que ce mariage fut déclaré, les Anges[758] disparurent pour huit jours, ne pouvant soutenir les premiers jours de cette nouvelle. Hélas ! si cette Madame pouvoit nous bien représenter celle que nous avons perdue[759] !

Mme de la Fayette me mande qu’elle alloit vous écrire, mais que la migraine l’en empêche ; elle est fort à plaindre de ce mal : je ne sais s’il ne vaudroit pas mieux n’avoir pas autant d’esprit que Pascal, que d’en avoir les incommodités[760]. La date de votre lettre est admirable : voilà qui est donc bien, ma bonne ; je n’ai que vingt ans ; puisqu’il est ainsi, vous n’avez pas sujet de craindre pour ma santé ; n’en soyez point en peine, songez seulement à la vôtre. Cette émotion que la crainte du feu vous a donnée me déplaît beaucoup : ce fut la vraie raison de votre accouchement de Livry : tâchez, ma bonne, d’éviter autant que vous pourrez tout ce qui vous peut émouvoir. J’aime déjà ce chamarier de Rochebonnet[761] ; c’est une bonne roche que celle dont vous me dépeignez son âme : c’est à M. de Grignan que j’adresse cette gentillesse, comme à celui qui m’y saura mieux répondre. Je suis bien aise d’avoir encore une maison assurée à Lyon, outre celle de l’intendant.

Autant qu’un voyage en ce monde peut être sûr, celui de Provence l’est pour l’année qui vient. Ma chère enfant, gouvernez-vous bien entre ci et là : c’est mon unique soin, et la chose du monde dont je vous serai la plus sensiblement obligée[762] ; c’est là que vous pouvez me témoigner solidement l’amitié que vous avez pour moi. Il me semble que vous voyez bien des Provençaux à Grignan. Si vous saviez aussi, ma bonne, la quantité de Bretons que l’on voit tous les jours ici, cela n’est pas imaginable. Vous me ravissez quand vous me dites que vous aimez le Coadjuteur, et qu’il vous aime : j’ai cette union dans la tête ; il me semble qu’elle est entièrement nécessaire à votre bonheur ; conservez-la, et prenez de ses conseils pour vos affaires. Notre abbé vous adore toujours. La petite Mousse[763] a une dent de moins, et ma petite-fille une dent de plus : ainsi va le monde. Je bénis Flachère de vous avoir sauvée du feu, et je vous embrasse plus tendrement, mille fois plus que je ne vous le puis dire. Adieu, ma très-chère et très-aimable. Chésières s’est guéri au bruit du trictrac de chez M. d’Harouys, qui vous adore, ce d’Harouys.


195. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 19e août.

Vous me dites fort plaisamment l’état où vous met mon papier parfumé. Ceux qui vous voient lire mes lettres croient que je vous apprends que je suis morte, et ne se figurent point que ce soit une moindre nouvelle. Il s’en faut peu que je ne me corrige de la manière que vous l’avez imaginé ; j’irai toujours dans les excès pour ce qui vous sera bon, et qui dépendra de moi. J’avois déjà pensé que mon papier pourroit vous faire mal, mais ce n’étoit qu’au mois de novembre que j’avois résolu d’en changer ; je commence dès aujourd’hui, et vous n’avez plus à vous défendre que de la puanteur.

Vous avez une assez bonne quantité de Grignans ; Dieu vous garde de la tante[764], elle m’incommode d’ici. Les manches du chevalier font un bel effet à table : quoiqu’elles entraînent tout, je doute qu’elles m’entraînent aussi ; quelque foiblesse que j’aie pour les modes, j’ai une grande aversion pour cette saleté : elles feroient une belle provision à Vitré ; je n’ai jamais vu une si grande chère. Nulle table à la cour ne peut être comparée à la moindre des douze ou quinze qui y sont : aussi est-ce pour nourrir trois cents personnes qui n’ont que cette ressource pour manger. Je partis lundi de cette bonne ville, après avoir dîné chez Mme de Chaulnes, et lui avoir fait vos compliments et à Mlle de Murinais[765]. La Murinais voulut lire son nom, doutant de son bonheur. Je crois que cette fille vous plairoit ; elle a quelque chose dans l’humeur qui ne vous seroit pas désagréable. On ne peut jamais les mieux recevoir, ni vous en rendre de plus tendres.

Toute la Bretagne étoit ivre ce jour-là. Nous avions dîné à part. Quarante gentilshommes avoient dîné en bas, et avoient bu chacun quarante santés : celle du Roi avoit été la première, et tous les verres cassés après l’avoir bue ; le prétexte étoit une joie et une reconnoissance extrême de cent mille écus que le Roi a donnés à la province sur le présent qu’on lui a fait, voulant récompenser la bonne grâce qu’on a eue à lui obéir, par cet effet de sa libéralité. Ce n’est donc plus que deux millions deux cent mille livres, au lieu de cinq cents. Le Roi a écrit de sa propre main mille bontés pour sa bonne province de Bretagne. Le gouverneur a lu la lettre aux états ; après en avoir demandé la copie pour l’enregistrer[766], il s’est élevé un cri jusqu’au ciel de « Vive le Roi[767], » et ensuite on s’est mis à boire, mais à boire, Dieu sait ! M. de Chaulnes n’a pas oublié dans une si belle occasion la santé de la gouvernante de Provence, et un Breton ayant voulu nommer votre nom et ne le sachant pas, s’est levé, et a dit tout haut : « C’est donc à la santé de Mme de Carignan. » Cette sottise a fait rire MM. de Chaulnes et d’Harouys jusqu’aux larmes. Les Bretons ont continué, croyant bien dire, et vous ne serez d’ici à plus de huit jours[768] que Madame de Carignan ; quelques-uns disent la comtesse de Carignan : voilà en quel état j’ai laissé les choses.

J’ai fait voir à Pomenars ce que vous dites de lui. Il veut vous écrire, et en attendant je vous assure qu’il est si hardi et si effronté, que tous les jours du monde il fait quitter la place au premier président, dont il est ennemi, aussi bien que du procureur général ; mais cela n’est pas une affaire : c’est Bussy tout à fait. Mme de Coetquen[769] venoit de recevoir la nouvelle de la mort de sa petite fille ; elle s’étoit évanouie. Elle est très-affligée, et dit que jamais elle n’en aura une si jolie ; mais son mari en est inconsolable. Il revient de Paris, après s’être accommodé avec le Bordage : c’étoit la plus grande affaire du monde. Il a donné tous ses ressentiments à M. de Turenne[770]. Vous ne vous en souciez guère ; mais cela se trouve au bout de ma plume.

Il y avoit dimanche un bal. Il y avoit une basse Brette qu’on nous avoit assuré qui levoit la paille. Ma foi, elle étoit ridicule et faisoit des haut-le-corps qui nous faisoient éclater de rire ; mais il y avoit d’autres danseuses et d’autres danseurs qui nous ravissoient.

Si vous me demandez comme je me trouve ici après tout ce bruit, je vous dirai que j’y suis transportée de joie. J’y serai pour le moins huit jours, quelque façon qu’on me fasse pour me faire retourner. J’ai un besoin de repos qui ne se peut dire, j’ai besoin de dormir, j’ai besoin de manger (car je meurs de faim à ces festins), j’ai besoin de me rafraîchir, j’ai besoin de me taire : tout le monde m’attaquoit, et mon poumon étoit usé. Enfin, ma bonne, j’ai trouvé mon abbé, ma Mousse, ma chienne, mon mail, Pilois, mes maçons : tout cela m’est uniquement bon, en l’état où je suis. Quand je commencerai à m’ennuyer, je m’en retournerai. Il y a dans cette immensité de Bretons des gens qui ont de l’esprit ; il y en a qui sont dignes de me parler de vous.

J’ai été blessée, comme vous, de l'enflure du cœur[771] : ce mot d’enflure me déplaît ; et pour le reste, ne vous avois-je pas dit que c’étoit de la même étoffe que Pascal ? Mais cette étoffe est si belle qu’elle me plaît toujours. Jamais le cœur humain n’a mieux été anatomisé que par ces Messieurs-là. Continuez à nous en mander votre avis ; la Mousse vous répondra mieux que moi, car je n’en ai lu que vingt feuillets. Notre abbé n’a point reçu de lettres de vous. Elles étoient sans doute avec mes paquets qui

ont été perdus, ces chères, ces aimables lettres dont je suis entourée, que je relis mille fois, que je regarde, que j’approuve. N’est-ce pas un grand déplaisir pour moi de savoir que vous m’en écriviez deux toutes les semaines, et de n’en avoir reçu qu’une plus de quatre semaines de suite ? Si c’étoit pour vous soulager, je l’approuverois, et même je vous le conseillerois ; mais vous les avez écrites, et je ne les ai pas. Si vous aviez le mémoire de vos dates, vous verriez bien celles qui vous manquent ; vous l’aviez pour ce fripon de Grignan ; faut-il que je l’embrasse après cette préférence ? Parlez-moi de Mme de Rochebonne[772], et faites des amitiés à mon cher Coadjuteur et au bel air du Chevalier : je lui défends de monter à cheval devant vous[773]. On me mande que mes petites entrailles[774] se portent bien. Elles vont être habillées ; cela est joli, de petites entrailles avec une robe.

Si Mme de Simiane vouloit savoir des nouvelles de son premier sénéchal[775], vous lui pourriez dire qu’il planta là cette maîtresse qu’il avoit ; qu’après elle, il épousa la femme d’un homme qui enfin la lui laissa sans façon ; et que présentement il l’a laissée pour une autre toute mariée aussi, qu’il a enlevée de vive force. C’est l’une des plus belles choses du monde ; mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est qu’il a un cadet qui en a fait autant en basse Bretagne : on lui a envoyé des gardes pour l’amener ici. Il y a des gens dont l’étoile fait rire.

Vous serez aise de voir Mme de Senneterre[776] : embrassez-la pour moi ; elle le voudra bien. Notre abbé vous aime chèrement et voudroit bien vous servir. Pour moi, ma bonne, que ne voudrois-je point ? Peut-on aimer quelqu’un, peut-on penser à une personne, autant que je vous aime et que je pense à vous ? Tonquedec m’a fait jurer de vous faire ses baisemains, et encore plus à M. de Grignan : il se vante de l’aimer de tout son cœur. Mandez-moi un mot de lui, je le lui ferai savoir en basse Bretagne. Il n’est pas assez heureux pour être changé, et, comme vous savez, je ne l’avois pas vu depuis la vallée de Josaphat[777] : c’étoit assez pour avoir mis du plomb dans sa tête ; mais il y a des têtes qui ne se lestent jamais.

M. d’Harouys est aussi étonné que vous de l’aventure de Mme de Lyonne[778]. Votre raisonnement est bon ; mais quoique son mari fût accoutumé d’être cocu pour lui, il ne l’étoit pas pour son gendre ; et c’est ce qui l’a fait éclater, car vous savez bien l’honnête métier de la mère.

Vous avez fait des merveilles d’écrire à Mme de Lavardin : je le souhaitois, vous avez prévenu mes desirs.

Voilà tout présentement le laquais de l’abbé qui, se jouant comme un jeune chien avec l’aimable Jacquine, l’a jetée par terre, lui a rompu le bras, et démis le poignet. Les cris qu’elle fait sont épouvantables, c’est comme si une Furie s’étoit rompu le bras en enfer. On envoie querir cet homme qui vint pour Saint-Aubin[779]. J’admire comme les accidents viennent, et vous ne voulez pas qui j’aie peur de verser ? c’est cela que je crains ; et si quelqu’un m’assuroit que je ne me ferois point de mal, je ne haïrois pas à rouler quelquefois cinq ou six tours dans un carrosse ; cette nouveauté me divertiroit : mais un bras rompu me fera toujours peur après ce que je viens de voir. Adieu, ma très-chère et très-aimable bonne ; vous savez bien comme je suis à vous, et que l’amour maternelle y a moins de part que l’inclination.


196. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 23e août.

Vous étiez donc avec votre présidente de Charmes[780] quand vous m’avez écrit ! Son mari étoit intime ami de M. Foucquet, dis-je bien ? Enfin, ma fille, vous n’êtes point seule, et M. de Grignan avoit raison de vous faire quitter votre cabinet, pour entretenir votre compagnie : ce qu’il auroit pu retrancher, c’est sa barbe de capucin ; il est vrai qu’elle ne lui fait point de tort, puisqu’à Livry, avec sa touffe ébouriffée[781], vous ne pensiez pas qu’Adonis fût plus beau : je redis quelquefois ces quatre vers avec admiration. J’admire comme le souvenir de certains temps fait de l’impression sur l’esprit, soit en bien, soit en mal ; je me représente cette automne-là délicieuse, et puis j’en regarde la fin avec une horreur qui me fait suer les grosses gouttes[782] ; et cependant il faut remercier Dieu du bonheur qui vous tira d’affaire. Les réflexions que vous faites sur la mort de M. de Guise[783] sont admirables ; elles m’ont bien creusé les yeux dans mon mail ; car c’est là où je rêve à plaisir. Le pauvre la Mousse a eu mal aux dents ; de sorte que depuis longtemps je me promène toute seule jusqu’à la nuit, et Dieu sait à quoi je ne pense point. Ne craignez point pour moi l’ennui que me peut donner la solitude ; hors les maux qui viennent de mon cœur, contre lesquels je n’ai point de forces, je ne suis à plaindre sur rien : mon humeur est heureuse, et s’accommode et s’amuse de tout ; et je me trouve mieux d’être ici toute seule que du fracas de Vitré. Il y a huit jours que je suis ici, dans une paix qui m’a guérie d’un rhume épouvantable ; j’ai bu de l’eau, je n’ai point parlé, je n’ai point soupé ; et quoique je n’en aie point raccourci mes promenades, je me suis guérie. Mme de Chaulnes, Mlle de Murinais, Mme Fourché[784], et une fille de Nantes fort bien faite, vinrent ici jeudi. Mme de Chaulnes entra en me disant qu’elle ne pouvoit être plus longtemps sans me voir, que toute la Bretagne lui pesoit sur les épaules, et qu’enfin elle se mouroit. Làdessus elle se jette sur mon lit ; on se met autour d’elle ; et en un moment la voilà endormie de pure fatigue : nous causons toujours ; enfin elle se réveille, trouvant plaisante et adorant l’aimable liberté des Rochers. Nous allâmes nous promener, nous nous assîmes dans le fond de ces bois. Pendant que les autres jouoient au mail, je lui faisois conter Rome[785], et par quelle aventure elle avoit épousé M. de Chaulnes ; car je cherche toujours à ne me point ennuyer. Pendant que nous en étions là, voilà une pluie traîtresse, comme une fois à Livry, qui, sans se faire craindre, se met d’abord à nous noyer, mais noyer à faire couler l’eau de partout nos habits[786]. Les feuilles furent percées dans un moment, et nos habits percés dans un autre moment. Nous voilà toutes à courir ; on crie, on tombe, on glisse ; enfin on arrive, on fait grand feu ; on change de chemise, de jupe ; je fournis à tout ; on se fait essuyer ses souliers ; on pâme de rire. Voilà comme fut traitée la gouvernante de Bretagne dans son propre gouvernement. Après cela on fit une jolie collation, et puis cette pauvre femme s’en retourna, plus fâchée sans doute du rôle ennuyeux qu’elle alloit reprendre, que de l’affront qu’elle avoit reçu ici. Elle me fit promettre de vous mander cette aventure, et d’aller demain lui aider à soutenir le reste des états, qui finiront dans huit jours. Je lui promis l’un et l’autre ; je m’acquitte aujourd’hui de l’un, et demain de l’autre, ne trouvant pas que je me puisse dispenser de cette complaisance.

Mme de la Fayette vous aura mandé comme M. de la Rochefoucauld a fait duc le prince[787] son fils, et de quelle façon le Roi a donné une nouvelle pension : enfin la manière vaut mieux que la chose, n’est-il pas vrai ? Nous avons quelquefois ri de ce discours commun à tous les courtisans. Vous avez présentement le prince Adhémar[788]. J’ai reçu sa dernière lettre, dites-le-lui et l’embrassez pour moi. Vous avez, à mon compte, cinq ou six Grignans ; c’est un bonheur, comme vous dites, qu’ils soient tous aimables et d’une bonne société : sans cela ils feroient l’ennui de votre vie, au lieu qu’ils en font la douceur et le plaisir. On me mande qu’il y a de la rougeole à Sucy[789], et que ma tante[790] va prendre mes petites entrailles pour les amener chez elle. Cela fâchera bien la nourrice, mais que faire ? C’est une nécessité. C’en sera une bien dure que de demeurer en Provence pour les gages, quand vous verrez partir d’auprès de vous Mme de Senneterre[791] pour Paris. Je voudrois bien, ma chère enfant, que vous eussiez assez d’amitié pour moi pour ne me faire pas le même tour quand j’irai vous voir l’année qui vient. Je voudrois qu’entre ci et là vous fissiez l’impossible pour vos affaires : c’est ce qui fait que j’y pense, et que je m’en tourmente tant. Il faut donc que je vous ramène chez moi, qui est chez vous.

M. de Chésières est ici ; il a trouvé mes arbres crûs ; il en est fort étonné, après les avoir vus (comme M. de Montbazon[792] ses enfants) pas plus grands que cela. Il vous baise les mains.

Je suis fort aise que la maladie du pauvre Grignan ait été si courte ; je l’embrasse et lui souhaite toutes sortes de biens et de bonheurs, aussi bien qu’à sa chère moitié, que j’aime plus que moi-même ; du moins je le sens mille fois davantage. Notre abbé est à vous ; la Mousse attend cette lettre que vous composez.


197. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, mercredi 26e août (dans le cabinet
de Mme de Chaulnes).

On me prie d’abord de vous faire mille amitiés pleines de tendresse et d’estime. Après un si heureux commencement, vous devriez espérer une lettre agréable ; mais je doute fort que cela puisse être, car vous saurez, ma pauvre bonne, que je ne sais rien. Si je vous entretenois de mes pensées, je vous parlerois de vous ; mais vous êtes trop près du sujet pour que cela pût vous divertir. Je vins ici dimanche au soir assez tard. M. de Chaulnes fit la plaisanterie de m’envoyer querir par ses gardes, m’écrivant que j’étois nécessaire pour le service du Roi, et que Mme de Chaulnes m’attendoit à souper. J’y vins, j’y fus reçue en perfection, j’y trouvai beaucoup de monde d’augmentation. Tant pis ! Lundi, M. d’Harouys donna un dîner à M. et à Mme de Chaulnes, à tous les magistrats et commissaires. J’y étois ; l’abbé y vint : le prétexte étoit de voir les réparations que je demande qu’on fasse à la Tour de Sévigné[793] ; on n’y regarda pas. Ce fut le plus beau repas que j’aie vu depuis que je suis au monde ; mais écoutez le malheur. Comme nous montions en carrosse pour y aller, voilà une foiblesse qui prend à M. de Chaulnes, avec le frisson : en un mot, la fièvre. Mme de Chaulnes, tout affligée, s’enferme avec lui ; et Mlle de Murinais et moi nous tenons leur place. M. d’Harouys fut tout mortifié ; tout fut triste : on ne songea qu’à malheur. Le soir la fièvre le quitta ; mais je crois qu’il l’a présentement, et c’est la tierce. Voilà comme les maux viennent ; conservez-vous : si vous étiez dans un autre état, je vous dirois de marcher ; mais je ne le dis pas. Je suis persuadée que la plupart des maux viennent d’avoir le cul sur la selle.

Pomenars vous fait dix mille compliments. Il conte qu’une femme l’autre jour à Rennes ayant ouï parler des medianoches, dit à quatre heures du soir qu’elle venoit de faire medianoche chez la première présidente ; cela est bon, ma bonne, et d’une sotte belle qui veut être à la mode.

Je crois que ma tante vous aura mandé comme elle a retiré la petite de chez la nourrice. Elle est échauffée, et ma tante la remettra bientôt en bon état ; elle ne dormoit pas assez. Enfin je suis ravie que ma tante veuille s’amuser, et Antoine, à la gouverner. Ne vous mettez en peine de rien ; ôtez ce petit soin de votre esprit, vous en avez assez d’autres.

Mme de Villars est très-contente de votre lettre. Elle croit que c’est une réponse à une qu’elle vous a écrite par une autre voie ridicule, c’est-à-dire tout droit de Paris, de sorte qu’elle ne se servira pas si tôt de celle que je lui avois offerte.

Voilà, ma bonne, tout ce que je vous écrirai d’ici ; peut-être que tantôt je dirai encore quelque chose en fermant mon paquet. Quoi qu’il en soit, ma très-aimable bonne, vous savez bien que je suis toute à vous, mais dans la vérité, et nullement par manière de parler.


Je veux vous parler d’un bal qu’il y eut hier : hors les grands bals que nous avons vus, on n’en peut faire un plus joli. Plusieurs beautés de basse Bretagne y brilloient. Connoîtriez-vous Mlle de Lannion[794] ? C’est une très-belle fille, qui danse très-bien : elle a un amant qu’elle va épouser ; il étoit derrière elle ; mais M. de Rohan[795], qui la trouve belle de l’année passée, s’est pendu à son oreille d’une si étrange façon, et elle s’est fichée dans ses cheveux[796] d’une si extraordinaire manière, que l’amant a quitté la place. La demoiselle ne s’en est point émue ; sa mère lui faisoit des yeux, point de nouvelles ; enfin elle a donné dans la seigneurie à bride abattue : cela nous a fort réjouis. Mais sera-t-il possible, ma bonne, que M. de Grignan ne me donne jamais le plaisir de vous voir danser un moment ? Quoi ! je ne reverrai jamais cette danse et cette grâce parfaite qui m’alloit droit au cœur ? J’en vois ici des morceaux séparés, mais je voudrois bien revoir le tout ensemble. Je meurs quelquefois d’envie de pleurer au bal, et quelquefois j’en passe mon envie, sans que personne s’en aperçoive. Certains airs, certaines danses font cet effet très-ordinairement. Mon petit Locmaria a toujours un air charmant. Il fut un peu hier au soir tout auprès de la cadence[797] ; je ne sais s’il n’étoit point ivre : cela se dit ici sans qu’on s’en offense. Adieu, ma très-chère enfant.


1671

198. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 30e août.

Vraiment, ma fille, il n’en faut pas douter, je perds toutes les semaines une de vos lettres, ou du moins très-souvent. Vous seriez toujours dix jours sans m’écrire, quand je n’en reçois qu’une : je suis assurée que cela n’est pas, et que, par exemple, j’en ai perdu une très-bonne cet ordinaire, et n’ai reçu que celle que vous m’écriviez dans l’accablement de vos Provençaux. Je suis triste de ce malentendu ; et vous verriez aisément ce désordre si vous écriviez vos dates. Un chagrin que cela me donne encore, c’est que je commence toutes mes lettres par ce sot chapitre : c’est un beau début et bien agréable !

Parlons un peu de votre sang que vous dites qui n’est point échauffé. J’en suis bien aise pour une raison, et j’en suis fâchée pour une autre : c’est qu’il y a moins de remède ; et puisque c’est l’air, et qu’il faudroit changer de place aux brouillards, et mettre au-dessus de votre tête ce qui est au-dessous de vos pieds[798], je ne vois pas trop bien quel remède je pourrois apporter à ce malheur ; j’en sais un pourtant, dont j’espère que vous vous servirez quand j’irai en Provence. C’est un grand déplaisir que votre beau teint ne puisse pas soutenir l’air de Provence. Autrefois, dans ma jeunesse, l’air de Nantes, un peu mêlé de celui de la mer, me perdoit tout le mien. En un mot, ma chère enfant, c’est un bon air que celui de l’Île-de-France : celui de Vitré tue tout le monde ; le serein du Parc[799] est une chose que je ne soutiens pas, moi qui soutenois sans trembler tout celui de Livry ; aussi tout le monde y tombe malade.

M. de Chaulnes se porte bien mieux. Ils partiront tous devant qu’il soit six jours : la compagnie est belle et bonne ; mais c’est avec une grande joie qu’on se sépare.

Je revins ici vendredi voir un peu mon abbé, ma Mousse et mes bois. Aujourd’hui j’attends Monsieur de Rennes[800] et trois autres évêques à dîner ; je leur donnerai une pièce de bœuf salé. Après le dîner, Mme de Chaulnes me vient reprendre pour me remener à Vitré dire adieu à la seigneurie. M. Boucherat, M. le premier président et la voiture complète de magistrats doivent venir aussi. Comme ils m’emmèneront, et que je n’aurai plus le temps de fermer mes lettres, je les vais cacheter dès ce matin. Le contrat de notre province avec le Roi fut signé vendredi ; mais auparavant on donna deux mille louis d’or à Mme de Chaulnes, et beaucoup d’autres présents. Ce n’est point que nous soyons riches ; mais c’est que nous avons du courage, c’est que nous sommes honnêtes, et qu’entre midi et une heure nous ne savons point refuser nos amis ; c’est l’heure du berger : les vapeurs de vos fleurs d’orange ne font pas de si bons effets. Je ne sais pas comme vous vous portez ; mais votre santé est bue tous les jours par plus de cent gentilshommes qui ne vous ont jamais vue, et qui ne vous verront jamais ; ceux qui vous ont vue ne sont pas ceux qui célèbrent le mieux votre santé. Lavardin et le comte des Chapelles ont fait des bouts-rimés que je leur ai donnés, qui sont très-jolis et que je vous enverrai. Vous serez bien aise de savoir aussi que l’autre jour M. de Bruquenvert dansa très-bien le passe-pied avec Mlle de Kerikinili. Voilà de ces choses que vous ne devez pas ignorer : ne m’attaquez pas sur les noms, j’y suis forte présentement.

Les grandeurs de province sont ici dans leur lustre ; de sorte que l’autre jour la beauté de la charge de M. de Grignan fut admirée et enviée : être seul est une chose qui charme fort. M. de Molac, qui est accablé par M. de Lavardin, M. de Lavardin par M. de Chaulnes, et les lieutenants de Roi par les lieutenants généraux, envient bien ce bonheur. On vouloit aussi, dans l’humeur de faire des présents, proposer aux états de donner dix mille écus à M. et à Mme de Grignan. M. de Chaulnes soutenoit qu’ils écouteroient la proposition ; d’autres, qu’ils le feroient. Enfin nous en demeurâmes à l’envie d’en faire courir le bruit sourdement, faire murmurer quelques bas Bretons, et puis les radoucir à table, et leur faire promettre de le proposer.

Mais que dites-vous de M. de Coulanges qui s’en va vous voir ? Le joli homme ! qu’il est heureux ! Je crois, ma bonne, que vous serez fort aise de le voir tourner dans votre château ; sa gaieté vous en donnera ; il vous dira comme votre fille est considérée et jolie, et vous portera un paquet de linges pour qui il appartiendra. Votre hanche me désole, et fait que je n’ai plus de courage : tout ce que je desire, et qui est bien assez pour moi, c’est que vous vous portiez bien, et que pour l’amour de moi vous ayez de l’application à votre santé et à votre conservation.

Je trouve votre esprit dans une philosophie et dans une tranquillité qui me paroît bien plus au-dessus des brouillards et des grossières vapeurs, que le château de Grignan. C’est tout de bon que les nuages sont sous vos pieds ; vous êtes élevée, ma bonne, dans la moyenne région, et vous ne m’empêcherez pas de croire que ces beaux noms que vous dites que vous donnez à des qualités naturelles, sont un effet de votre raison et de la force de votre esprit. Dieu vous le conserve si droit ! il ne vous sera pas inutile ; mais il faut un peu agir, afin que votre philosophie ne se tourne pas en paresse, et que vous puissiez être en état de revoir un pays où les nues sont au-dessus de vous. Il me semble que je vous vois dans l’indolence que vous donne l’impossibilité ; ne vous y abandonnez qu’autant qu’il est nécessaire pour votre repos, et non pas assez pour vous ôter l’action et le courage. Je vous plains bien d’avoir des femmes ; vous savez comme je les hais. Vos statues d’hommes sur des piédestaux sont bien ennuyeuses : vous me ferez aimer l’amusement de nos Bretons, plutôt que l’indolence parfumée de vos Provençaux. Mais où sont donc ces esprits si vifs, si brillants, ces têtes si près du bonnet, ces imaginations échauffées par un si bon soleil ? Au moins vous devriez avoir des fous, et dans la quantité vous en trouveriez quelqu’un qui vous pourroit divertir. Je ne comprends point bien votre Provence ni vos Provençaux : ah ! que je comprends bien mieux mes Bretons ! Si je vous disois tous ceux qui vous font des compliments, il faudroit un volume : M. et Mme de Chaulnes, M. de Lavardin, le comte des Chapelles, Tonquedec, l’abbé de Montigny, évêque de Léon, d’Harouys, Fourché, Chésières, etc., sans compter mon abbé, qui n’a jamais reçu votre dernière lettre, et notre Mousse qui attend celle que vous composez. Pour moi, ma fille, sans en faire à deux fois, je vous conjure d’embrasser tous vos aimables Grignans. J’ai vu des manches comme celles du chevalier ; ah ! qu’elles sont belles dans le potage et sur des salades ! Adieu, ma très-belle et très-infiniment chère ; je ne vous dis rien de mon amitié : c’est que je ne vous aime pas.


1671

199. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, mercredi 2e septembre.

J’ai reçu cette lettre seule ; elle est venue droit de Paris, sans passer par les mains de M. Dubois, et de plus je l’ai reçue selon votre date, cinq jours après qu’elle a été écrite ; de sorte que cette lettre est toute miraculeuse. Il n’est pas besoin de tant de merveilles pour me les rendre bien chères. J’en ai vu une d’une fille à une mère ; cette fille n’écrit pas comme vous, elle n’a pas de l’esprit comme vous ; mais elle a de la tendresse et de l’amitié comme vous : c’est Mme de Soubise à Mme de Rohan[801]. Je fus surprise hier de voir dans un endroit de sa lettre le fond de son cœur pour Mme de Rohan, et aussi quelle tendresse naturelle Mme de Rohan sent pour elle. Mais voici une belle digression : vous n’êtes guère en état d’en faire, vous, pauvre personne, qui êtes toujours occupée. Votre souvenir est au-dessus des distractions ; c’est lui qui les fait aux autres. Vous êtes au-dessus de tout ce qui m’étonne ; vous êtes au-dessus du vent et des nuages. Nos états ont beau crier, danser, boire : votre idée se sait toujours faire place. Il y a ici de grandes fronderies ; mais cela s’apaise dans vingt-quatre heures, et j’espère que dans trois jours tout sera fini : je le souhaite beaucoup.

Je n’ose plus aller aux Rochers : on en a trouvé les chemins ; il y avoit dimanche cinq carrosses à six chevaux. Je meurs d’envie d’être retournée dans ma solitude ; on la trouve belle ; Combourg[802] n’est pas si beau. Il ne faut pas que vous croyiez que nos maisons de Bretagne soient comme Grignan, il s’en faut beaucoup. Le petit Locmaria, sans tourner autour du pot, a tout l’air de Termes[803], sa danse, sa révérence, mettre et ôter son chapeau, sa taille, sa tête : voyez si ce petit vilain-là n’est pas assez joli. La Murinette beauté le voudroit bien épouser[804] ; mais il n’est pas de même pour elle. Le comte des Chapelles[805] est ravi de ce que vous avez mis de lui dans ma lettre. Nous parlons sans cesse de vous, lui et Pomenars. Il[806] vous mande que sa hardiesse est encore augmentée, et qu’il ne peut jamais être pendu, puisqu’il ne l’a point été. L’abbé vient quelquefois dîner ici avec la Mousse, qui n’est nullement embarrassé de tout ceci. Je l’ai si bien fait valoir partout, et chez Mme de Chaulnes, et chez M. Boucherat, et chez l’évêque de Léon, qu’il y est comme chez moi. Il parle des petites parties[807] avec cet évêque, qui est cartésien à brûler ; mais, dans le même feu, il soutient aussi que les bêtes pensent[808]. Voilà mon homme ; il est très-savant là-dessus ; il a été aussi loin qu’on peut aller dans cette philosophie, et Monsieur le Prince en est demeuré à son avis. Leurs disputes me divertissent fort.

On me mande que notre petite est fort jolie : elle me divertira bien cet hiver chez moi. Adieu, ma très-chère enfant ; ma plume me fait enrager, je finis, je vous embrasse.

La petite Deville me mande que vous êtes belle. Mon Dieu ! qu’il m’ennuie de ne vous point voir, et quelle extrême joie quand j’entendrai le son de votre voix ! Ce jour arrivera comme tant d’autres qu’on ne souhaite point. Je vous écris deux fois la semaine ; je crois que vous recevez mes lettres réglément : hélas ! il n’en est pas de même des vôtres. Le désordre vient depuis chez vous jusqu’à Lyon ; car après Lyon tout va bien. Mais j’admire que dans votre pays les lettres puissent être perdues.


1671

200. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, dimanche 6e septembre.

Ah ! ma fille, que vous veut donc ce feu qui tourne autour de vous, et qui vous fait des frayeurs à toute heure ? Pour vous dire le vrai, je doute que cela ne vous fasse point de mal : souvenez-vous de ce que vous fit une fois la peur de voir le Chevalier à cheval[809]. Je voudrois que du moins cela vous servît à faire redoubler le soin de tous vos gens, pour empêcher que le malheur du feu n’arrive chez vous : j’exhorte Deville, par l’affection qu’il a pour vous, à faire sa ronde plus exactement que jamais. Au reste, vous croyez qu’un rhume n’est rien en l’état où vous êtes ; je vous avertis que c’est beaucoup, et que peut-être vous n’en guérirez qu’en accouchant. Je vous recommande aussi la sagesse dans votre septième. On porte quelquefois les filles heureusement, et les garçons ont des fantaisies de venir plus tôt, et en prennent le chemin au sept[810]. Faites réflexion sur ce discours : je défie Mme du Puy-du-Fou de mieux dire. Après cette leçon de matrone, je vous ferai mille compliments de la part de Chésières. Vous vous êtes souvenue très à propos du vers de M. de Grignan. Vous aurez vu par une de mes lettres que je suis bien loin d’oublier ce temps-là.

Vous avez une tribu de Grignans, ma chère fille ; mais ils sont tous si aimables qu’on doit se réjouir avec vous de cette bonne compagnie. Je suis étonnée d’apprendre que vous avez M. de Chattes[811]. Il est vrai que j’ai été trois jours avec lui à Savigny[812] ; il me paroissoit fort honnête homme, je lui trouvois une ressemblance en détrempe qui ne le brouilloit pas avec moi. S’il vous conte ce qui m’arriva à Savigny, il vous dira que j’eus le derrière fort écorché d’avoir couru un cerf avec Mme de Sully, qui est présentement Mme de Verneuil[813].

Vous croyez ne me rien dire en m’assurant que vous aimez ceux qui vous parlent de moi : c’est une marque d’amitié tellement naturelle, que je veux vous en remercier tout à l’heure, et vous embrasser de tout mon cœur. Il y a aussi des marques d’aversion qui font bien mourir : je suis trop habile sur ce chapitre ; mais il faut avouer aussi que je ne l’ai pas appris sans mettre beaucoup au jeu.

Que dites-vous de Marsillac qui est duc ? J’approuve fort ce qu’a fait son père : c’étoit le seul moyen de le faire jouir de cette dignité sans une extrême douleur. C’eût été un honneur bien empoisonné que de l’avoir en perdant un tel père. Il me semble aussi que le nom et le mérite de M. de la Rochefoucauld est une dignité fort au-dessus de celle qu’il a donnée.

La Marans voulut aller l’autre jour à Livry avec Mme de la Fayette ; on la renvoya sans autre forme de procès. Elle contoit qu’elle avoit eu tout le jour Monsieur le Prince chez elle, et on ne fit pas semblant de l’écouter. Oh ! ma fille, cela est bon, et fait bien enrager les folles qui se vantent.

En fermant ma lettre, je vous parlerai des états, et de mon heureux retour aux Rochers.


« Il n’est si bonne compagnie qui ne se sépare, » dit M. de Chaulnes aux Bretons, quand il les renvoya chez eux. Les états finirent à minuit. J’y fus avec Mme de Chaulnes et d’autres femmes. C’est une très-belle, très-grande et très-magnifique assemblée. M. de Chaulnes a parlé à tutti quanti avec beaucoup de dignité, et en termes convenables à ce qu’il avoit à dire. Après dîner, chacun s’en va de son côté. Je serai ravie de retrouver mes Rochers. J’ai fait plaisir à plusieurs personnes : j’ai fait un député, un pensionnaire[814] ; j’ai parlé pour des misérables, et de Caron pas un mot[815], c’est-à-dire, rien pour moi ; car je ne sais pas demander sans raison.

Voici ce que je fis l’autre jour : vous savez comme je suis sujette à me tromper ; je vis avant dîner, chez M. de Chaulnes, un homme au bout de la salle, que je crus être le maître d’hôtel ; j’allai à lui, et lui dis : « Mon pauvre Monsieur, faites-nous dîner, il est une heure, je meurs de faim. » Cet homme me regarde, et me dit : « Madame, je voudrois être assez heureux pour vous donner à dîner chez moi ; je me nomme Pécaudière, ma maison n’est qu’à deux lieues de Landernau. » Mon enfant, c’étoit un gentilhomme de basse Bretagne : ce que je devins n’est pas une chose qu’on puisse redire ; je ris encore en vous l’écrivant.

Voilà une pièce que M. de Chaulnes vous envoie : je la crois de Pellisson ; d’autres disent de Despréaux[816] ; dites-m’en votre avis. Pour moi, je vous avoue que je la trouve parfaitement belle ; lisez-la avec attention, et voyez combien il y a d’esprit. J’ai mille compliments à vous faire de tout le monde. On a donné cent mille écus de gratifications : deux mille pistoles à M. de Lavardin, autant à M. de Molac, à M. Boucherat, au premier président, aux lieutenants de Roi, etc., deux mille écus au comte des Chapelles, autant au petit Coëtlogon : enfin des magnificences. Voilà une province !

Mme de la Fayette est à Livry, d’où elle m’écrit des gaillardises, malgré tous ses maux. M. de la Rochefoucauld m’écrit aussi. Ils me disent qu’ils me souhaitent ; mais c’est moi qui souhaite bien de vous y revoir : cette espérance me soutient la vie. Au reste, j’ai supputé, vous aurez achevé dans cinquante ans de traduire le Pétrarque, à un sonnet par mois ; cet ouvrage est digne de vous ; ce ne sera pas un impromptu. Adieu, ma chère enfant, songez quelquefois à moi avec vos Grignans. Je m’en vais aux Rochers, si contente d’être hors d’ici, que je suis honteuse d’être si aise en votre absence. Quand je relis mes lettres, je suis toujours tentée de les brûler, en voyant les bagatelles que je mande ; mais dites, ne vous fatiguent-elles point ? car je pourrois fort bien les retrancher, sans vous aimer moins pour cela.


1671

201. DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DU COMTE
DES CHAPELLES À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 9e septembre.

Enfin me voilà toute reposée, toute tranquille, toute contente d’être en repos dans ma solitude ; j’ai eu tantôt encore un petit goupillon[817]. C’est M. de Lavardin[818] qui est demeuré à Vitré pour faire son entrée à Rennes, et qui est présentement le gouverneur de la province par l’absence de M. de Chaulnes. Il n’est plus suffoqué par sa présence, de sorte que les trompettes, les gardes, tout est étalé. Il est venu me voir en cet équipage, avec vingt gentilshommes de cortège. Le tout ensemble faisoit un véritable escadron : dans ce nombre étoient des Locmaria, des Coëtlogon, des abbés de Feuquières[819], et plusieurs qui ne s’estiment pas moins que les autres. On s’est promené, on a mangé légèrement, et le comte des Chapelles, que j’ai amené de Vitré, m’a aidé à faire les honneurs. Le voilà qui a bien la mine de vous dire lui-même combien nous parlons de vous, et combien toutes choses nous en font souvenir. Nous sentons plus que jamais que la mémoire est dans le cœur ; car, quand elle ne nous vient point de cet endroit, nous n’en avons pas plus que des lièvres. Nous avons trouvé un petit rond de bois, où, entre plusieurs belles choses que vous avez écrites, nous avons vu :

Dieux ! que j’aime la tigrerie !
C’est le métier des beaux esprits[820].

Nous vous prions de nous mander si cette vertu n’est point un peu endormie en vous, par le peu d’occupation que vous lui donnez (nous ne voyons pas bien sur qui vous la pourriez exercer), si cela fait espérer que vous en perdrez l’habitude.

du comte des chapelles[821]

Il seroit difficile, Madame la Comtesse, que cette vertu eût moins d’occupation où vous êtes[822], qu’elle n’en avoit quand vous écriviez cette belle et cruelle sentence. Il me souvient, hélas ! que j’étois jaune et mourant, et que vous étiez belle et de bon goût, et qu’ainsi vous n’aviez aucune occasion de vous entretenir dans cet exercice. Il vaut bien mieux que je vous parle d’une autre devise que j’ai retrouvée auprès de celle-là, et qui est écrite du même temps :

Mas morir en presencia
Che viver en absentia[823].

Celle-ci me plaît encore à tel point que je crois que je la rendrai véritable, et que je ne sortirai pas deux fois en ma vie des Rochers sans en mourir de regret. Peut-être eût-ce été mieux fait, mourir pour mourir, de mourir dès la première fois ; car, toute belle et charmante que vous êtes, personne n’est encore mort à votre honneur ; et nous en aurions eu beaucoup tous deux, si j’avois eu cet esprit-là. Mais, comme vous savez, Madame, ce qui ne se fait pas une fois, se peut faire une autre ; et je trouve même, pourvu qu’on ôte à notre Marquise la part qu’elle y prétend, qu’il sera encore plus glorieux pour vous, de mourir dans un lieu où l’on se souvient que vous avez été, que quand vous y étiez. C’est en ce rencontre qu’il sera bien prouvé que la mémoire est dans le cœur, ou que le cœur est dans la mémoire, choisissez. Pour dire le vrai, vous ne sentez guère ni l’un ni l’autre pour moi, puisque vous ne prenez pas la peine de me faire réponse. J’en suis plus affligé qu’offensé, car je me faisois un grand plaisir de revoir un caractère[824] pour lequel je conserve une vénération toute particulière, quoiqu’il n’ait jamais servi à me marquer la moindre apparence d’amitié. Mais des reproches à une tigresse ne servent de rien[825]. Au reste M. de Lavardin vient d’honorer les Rochers de sa présence, accompagné d’une nombreuse noblesse : aussi y a-t-il été reçu avec toute la politesse imaginable, et régalé dans le bois d’une propre et galante collation. Ainsi finit l’histoire et la lettre, Madame, du plus tendre et du plus respectueux de vos très-humbles serviteurs[826].

de madame de sévigné.

Je lui ôte la plume, car il ne finiroit jamais, et j’aime qu’on finisse. Il s’est tellement attendri par le souvenir de vous avoir vue ici, que M. de Lavardin nous en a trouvés l’un et l’autre si tristes, que cela nous donnoit un air coupable : il sembloit que la compagnie nous embarrassât ; et il étoit vrai, nous avions affaire en Provence quand ils sont arrivés, ou, pour mieux dire, ici[827] ; car c’étoit en se souvenant de vous y avoir vue, qu’on se plaignoit de ne vous y voir plus. Pour moi, je ne m’accoutume point qu’on m’ait ôté ma fille, qu’on me l’ait enlevée et emmenée si loin. Il ne faut pas moins d’estime et d’amitié que j’en ai pour M. de Grignan, pour le souffrir, ni moins être persuadée de la tendresse qu’ils ont pour vous, pour ne pas succomber à tous moments à cette pensée. Savez-vous que je vous aime plus que ma vie ?


1671

202. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE L’ABBÉ
DE COULANGES À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 13e septembre.

Enfin voilà deux de vos lettres que je reçois à la fois ; c’est ainsi que je devrois toujours les recevoir, et il s’en faut bien que je n’aie réglément cette joie, sans que ni moi, ni le petit Dubois, nous puissions encore savoir ni pourquoi ni comment je les reçois quelquefois, ni pourquoi je ne les reçois pas. Il tâche à me démêler ce mystère ; cependant j’ai bien perdu de vos lettres, et c’est une étrange perte pour moi. Je crois que vous aimez mes lettres, mais c’est une chose bien précieuse pour moi que les vôtres. Il y a de l’esprit, de l’agrément, du bon sens, de la tendresse, et le tout d’un style qui me touche et qui me plaît : enfin je puis dire que

Rien ne peut réparer les biens que j’ai perdus !

C’est une chose aussi bien désagréable de n’avoir pas reçu les deux lettres d’affaires : il n’y a pas de plaisir à perdre ce qui se dit là-dessus. Notre abbé est inconsolable, et se plaignoit de votre silence. La lettre que vous lui avez écrite et qu’il n’a point reçue l’afflige très-véritablement. Il vaudroit mieux qu’elle fût encore où est sa réponse que d’être entre les mains de qui n’a point besoin de ces sortes de détails. Enfin je sens tous les chagrins que cela peut donner ; mais la peur que vous avez eue, ma bonne, et qui vous oblige à garder le lit, m’en fait bien plus qu’à vous. Je suis persuadée que rien ne vous est si contraire que ces sortes d’émotions. Je vous en parlois l’autre jour dans une de mes lettres[828] comme de la chose du monde que vous devez le plus éviter. Ce fut l’unique sujet du malheur qui vous arriva à Livry ; et si c’étoit encore le même Chevalier, il ne mourroit que de ma main. Vous deviez bien me mander ce qui vous avoit effrayée ; songez qu’il faut que je sois huit jours sans savoir ce que votre sagesse aura produit. Je vous en remercie et suis assurée qu’en gardant votre lit, vous pensez à moi. Notre Coadjuteur m’a écrit des merveilles, mais je ne suis pas d’assez bonne humeur pour lui répondre ; la main droite est plus embarrassée par le chagrin de l’esprit, que par la goutte de la main gauche. Quoiqu’il m’explique fort nettement la relation qu’il y a de l’un à l’autre, j’ai été tentée, au bout de son raisonnement, de dire comme à la farce de Molière[829], après un discours à peu près de la même force : « Et c’est cela qui fait que votre fille est muette. » Des comédiens de campagne l’ont jouée parfaitement bien à Vitré, où on pensa pâmer de rire. Ce que vous dites de la Murinette est extrêmement vrai : il est certain que son humeur est aimable, quoiqu’il y ait quelque chose de brusque et de sec ; mais cela est ajusté avec de si bons sentiments, qu’il est impossible que cela déplaise. Je m’en vais envoyer vos deux lettres à Nantes à d’Harouys et au comte des Chapelles. Ce dernier ne respiroit que cette réponse. Pour d’Harouys[830], il s’embarquoit à payer aux états cent mille francs plus qu’il n’avoit de fonds, et trouvoit que cela ne valoit pas la peine de le dire. Un de ses amis s’en aperçut. Il est vrai que ce ne fut qu’un cri de toute la Bretagne, jusqu’à ce qu’on lui eût fait justice : il est adoré partout, et c’est avec raison.

Un beau matin nos états donnèrent des gratifications pour cent mille écus. Un bas Breton me dit qu’il pensoit que les états allassent mourir, de les voir ainsi faire leur testament, et donner leur bien à tout le monde. Plût à Dieu qu’à proportion on fût aussi libéral en votre Provence ! J’aime nos Bretons ; ils sentent un peu le vin ; mais votre fleur d’orange ne cache pas de si bons cœurs. J’en excepte les Grignans, un, deux, trois, quatre, cinq, six, que j’aime, que j’estime, et que j’honore tous au prorata de leurs dignités.

Vous avez des fruits que je dévore déjà par avance ; j’en mangerai l’année qui vient, si je ne meurs entre ci et là. Quelle joie, ma bonne ! et que j’aime le temps à venir, quelque mal qu’il me puisse faire d’ailleurs, quand je songe au bien qu’il m’apporte tous les jours ! Conservez votre santé, votre beauté, votre amitié entre ci et là, afin que rien ne manque à ma joie.

Que dites-vous de celle de M. d’Andilly, de voir M. de Pompone ministre et secrétaire d’État[831] ? En vérité, il faut louer le Roi d’un si beau choix. Il étoit en Suède, il pense à lui, et lui donne cette charge de M. de Lyonne, avec toutes les facilités nécessaires pour faire qu’il la puisse payer[832]. Quelles merveilles ne fera-t-il point en cette place, et quelle joie et ses amis et ses amies n’en doivent-ils point avoir ? Vous savez la part que j’y dois prendre ; et c’est sur un choix comme celui-là que je ferois fort bien une ode à la louange du Roi. Un petit mot de réjouissance au père et au fils ne seroit-il point de bonne grâce à vous, qui êtes si aimée de toute la famille ?

Mais il faut vous bien porter, et que cette frayeur ne vous ait rien gâté. Il me semble que vous êtes dans votre septième mois : cela me fait trembler, et d’autant plus que c’est un garçon ; vous me le promettez au moins ; n’allez pas, par votre négligence, le laisser devenir fille. Je vous avoue que j’ouvrirai vos lettres de vendredi avec une grande impatience et une grande émotion ; mais elles ne sont pas d’importance mes émotions, et un verre d’eau en fait le remède[833]. Nous sommes de bonnes friponnes, de tout ce que nous disons sur le sujet de Mme de Coetquen.

Vous prenez goût à Nicole ; je ne sais où je prendrai un autre livre de morale pour vous soutenir le cœur ; je vous renverrai à nos anciens amis. On dit que M. de Condom en a fait un, qui dit que, pourvu qu’on croie les mystères, c’est assez, et improuve toutes nos chicanes sur le Saint-Sacrement, qui ne font que des hérésies. On dit qu’il n’y a rien de plus beau : voilà votre fait[834].

Le bonhomme d’Andilly me demanda l’autre jour votre adresse pour vous envoyer ce beau recueil de M. de Saint-Cyran[835]. J’en fus ravie, car j’avois dessein de lui demander tout franchement. Notre abbé vous embrasse mille fois. Mon Dieu ! qu’il est habile et que vous avez raison de le souhaiter !

La Mousse prépare déjà sa réponse à cette belle pièce que vous composez. Je n’ai point reçu la lettre que vous écrivez à Mlle de Méri, au lieu de la mienne. Je crois que vous vous moquez quand vous me parlez de mes libéralités présentes ; c’est pour me faire honte. Ah ! ma fille, quelle poussière au prix de ce que je voudrois faire ! Je me réjouis de M. de Pompone, quand je songe que je pourrai peut-être vous servir par lui ; mais vous n’avez besoin que de M, de Grignan et de vous. Enfin nous ne pouvions pas souhaiter à cette place un homme qui fût plus de nos amis. M. de Coulanges, qui vous va voir, vous dira de quelle grâce le Roi a fait cette action.

Adieu, mon enfant. Mon Dieu ! n’êtes-vous point tombée ? Vous ne me dites rien ; vous me ménagez : mais je suis bien pis de n’avoir pour bornes que mon imagination. Ce médecin me fait peur ; que fait-il à Grignan ? et vous n’osez remuer ni pied ni patte ! On n’a point de repos quand on aime.

de l’abbé de coulanges.

Hélas ! ma belle Comtesse, vous peut-il venir dans l’esprit que je ne vous aime toujours très-tendrement ? Quand je ne vous le dirois jamais, votre chère mère sera toujours ma caution, et vous en répondra assurément comme d’elle-même. Vous ne sauriez croire le chagrin que j’ai que cette grande lettre que vous m’avez écrite de vos affaires soit égarée ; car ce qui vous touche m’est sensible au dernier point. Je n’y vois d’autre remède que de vous aller voir pour en parler tête à tête.


1671

203. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 16e septembre.

Je suis méchante aujourd’hui, ma fille ; je suis comme quand vous me disiez : « Vous êtes méchante. » Je suis triste, je n’ai point de vos nouvelles. La grande amitié n’est jamais tranquille. Maxime. Il pleut, nous sommes seuls ; en un mot, je vous souhaite plus de joie que je n’en ai aujourd’hui. Ce qui embarrasse fort mon abbé, la Mousse et mes gens, c’est qu’il n’y a point de remède à mon chagrin. Je voudrois qu’il fût vendredi pour avoir une de vos lettres, et il n’est que mercredi : voilà sur quoi on ne sait que me faire ; toute leur habileté est à bout ; et si par l’excès de leur amitié ils m’assuroient, pour me contenter, qu’il est vendredi, ce seroit encore pis ; car, si je n’avois point de vos lettres ce jour-là, il n’y auroit pas un brin de raison avec moi ; de sorte que je suis contrainte d’avoir patience, quoique ce soit une vertu, comme vous savez, que je n’ai guère à mon usage : enfin je serai satisfaite avant qu’il soit trois jours. J’ai une extrême envie de savoir comme vous vous portez de cette frayeur : c’est mon aversion que les frayeurs. Pour moi, je ne suis pas grosse, mais elles me la font devenir, c’est-à-dire qu’elles me mettent dans un état qui renverse entièrement ma santé. Mon inquiétude présente ne va pas jusque-là : je suis persuadée que la sagesse que vous avez eue de garder le lit vous aura entièrement remise. Ne me venez point dire que vous ne me manderez plus rien de votre santé ; vous me mettrez au désespoir ; et n’ayant plus de confiance à ce que vous me diriez, je serois toujours comme je suis présentement. Il faut avouer que nous sommes à une belle distance l’une de l’autre, et que si l’on avoit quelque chose sur le cœur dont on attendît du soulagement, on auroit un beau loisir pour se pendre.

Je voulus hier prendre une petite dose de Morale ; je m’en trouvai assez bien ; mais je me trouve encore mieux d’une petite critique contre la Bérénice de Racine, qui me parut fort plaisante et fort spirituelle. C’est de l’auteur des Sylphides, des Gnomes et des Salamandres[836] : il y a cinq ou six petits mots qui ne valent rien du tout, et même qui sont d’un homme qui ne sait pas le monde ; cela donne de la peine ; mais comme ce ne sont que des mots en passant, il ne faut point s’en offenser, et regarder tout le reste, et le tour qu’il donne à sa critique : je vous assure que cela est joli[837]. Je crus que cette bagatelle vous auroit divertie ; et je vous souhaitai dans votre petit cabinet auprès de moi, sauf à vous en retourner dans votre beau château, quand vous auriez achevé cette lecture. Je vous avoue pourtant que j’aurois quelque peine à vous laisser partir si tôt ; c’est une chose bien dure pour moi que de vous dire adieu : je sais ce que m’a coûté le dernier. Il seroit bien de l’humeur où je suis d’en parler ; mais je n’y pense encore qu’en tremblant ; ainsi vous êtes à couvert de ce chapitre. J’espère que cette lettre vous trouvera gaie ; si cela est, je vous prie de la brûler tout à l’heure ; ce seroit une chose bien extraordinaire qu’elle fût agréable avec ce chien d’esprit que je me sens. Le Coadjuteur est bien heureux que je ne lui fasse pas réponse aujourd’hui.

J’ai envie de vous faire vingt-cinq ou trente questions pour finir dignement cet ouvrage. Avez-vous des muscats ? Vous ne me parlez pas des figues[838]. Avez-vous bien chaud ? vous ne m’en dites rien. Avez-vous de ces aimables bêtes que nous avions à Paris ? Avez-vous eu longtemps votre tante d’Harcourt ? Vous jugez bien qu’ayant perdu tant de vos lettres, je suis dans une assez grande ignorance, et que j’ai perdu la suite de votre discours. Pincez-vous toujours cette pauvre Golier[839] ? Vous battez-vous avec Adhémar[840] ? de ces batteries qui me font demander : « Mais que voulez-vous donc ? » Est-il toujours le petit glorieux ? Croit-il pas toujours être de bien meilleure maison que ses frères ? Ah ! que je voudrois bien battre quelqu’un ! Que je serois obligée à quelque Breton qui me viendroit faire une sotte proposition qui m’obligeât de me mettre en colère ! Vous me disiez l’autre jour que vous étiez bien aise que je fusse dans ma solitude, et que j’y penserois à vous : c’est bien rencontré ; c’est que je n’y pense pas toujours, au milieu de Vitré, de Paris, de la cour, et du paradis si j’y étois. Adieu, ma fille, voici le bon endroit de ma lettre. Je finis parce que je trouve que ceci extravague un peu : encore a-t-on son honneur à garder. Si je n’étois point brouillée avec le chocolat, j’en prendrois une chopine ; il feroit un bel effet avec cette belle disposition que vous voyez.


1671

204. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 20e septembre.

Mon Dieu, ma bonne, que je suis aise, que je suis contente, et que la crainte et la joie que j’eus vendredi fut extrême ! Enfin, ma très-chère bonne, je trouvai deux de vos lettres, dont le dessus étoit écrit de votre propre main. On ne peut expliquer ce que l’on sent dans ces moments, et même, afin que ma joie fût complète, j’eus les deux paquets, dont on m’ôte quelquefois le premier. Cependant j’ai perdu des lettres d’affaires et des détails dont j’aurois une extrême curiosité. Il est difficile de nous en consoler que l’année qui vient. Notre cher oncle souhaite ce voyage, et vous rendra tous les services que vous pouvez attendre de son habileté et de son affection.

Ce n’est pas sans raison, ma chère fille, que vous fûtes troublée du mal du pauvre chevalier de Buous[841] : il est étrange. C’est un garçon qui me plaisoit dès Paris ; je n’ai pas de peine à croire tout ce que vous m’en dites. Ce qui est plus extraordinaire, c’est cette crainte de la mort. C’est un beau sujet à faire des réflexions, que l’état où vous me le dépeignez. Il est certain qu’en ce temps-là nous aurons de la foi de reste : elle fera tous nos désespoirs et tous nos troubles ; et ce temps que nous prodiguons, et que nous voulons qui coule présentement, nous manquera ; et nous donnerions toutes choses pour avoir un ou deux jours que nous perdons avec tant d’insensibilité : voilà de quoi je m’entretiens quelquefois dans ce mail que vous connoissez. La morale chrétienne est excellente à tous les maux ; mais je la veux chrétienne : elle est trop creuse et trop inutile autrement. Ma Mousse me trouve quelquefois assez raisonnable là-dessus ; et puis un souffle, un rayon de soleil emporte toutes les réflexions du soir. Nous parlons quelquefois de l’opinion d’Origène[842] et de la nôtre : vous aurez peine à nous faire entrer une éternité de supplices dans la tête, à moins que d’un ordre du Roi ou de la sainte Ecriture[843].

Je suis fort aise que vous ayez trouvé cette requête[844] jolie. Sans être aussi habile que vous, je l’ai entendue ver discrezione[845], et l’ai trouvée admirable. La Mousse est fort glorieux d’avoir fait en vous une si merveilleuse écolière[846].

Je vous plains de quitter Grignan, vous y êtes en bonne compagnie ; c’est une belle maison, une belle vue, un bel air : vous allez dans une petite ville étouffée[847], où peut-être il y aura des maladies et du mauvais air ; cela me déplaît ; et ce pauvre Coulanges qui ne vous trouvera point, il me fait pitié. Enfin sa destinée n’est pas de vous voir à Grignan. Peut-être le mènerez-vous à vos états ; mais c’est une grande différence, et vous devez bien sentir ce désagrément de voyage, dans l’état où vous êtes, et dans la saison où nous sommes. Vous y verrez l’effet des protestations de Monsieur de Marseille ; je les trouve bien sophistiquées, et avec de grandes restrictions. Les assurances que je lui donne de mon amitié sont à peu près dans le même style : il vous assure de son service, sous condition ; aussi lui dis-je que je ne doute point du tout que vous n’ayez toujours de nouveaux sujets de lui être obligée.

M. de Lavardin vint tout droit de Rennes ici jeudi au soir, et me conta les magnificences de la réception qu’on lui a faite. Il prêta le serment au parlement, et fit une fort agréable harangue. Je le remenai le lendemain à Vitré, pour reprendre son équipage, et gagner Paris.

L’évêque de Léon a été à la dernière extrémité à Vitré, avec un transport au cerveau, qui le rendoit bien pareil à Marphise[848] ; il est hors d’affaire. Je serai ici jusqu’à la fin de novembre, et puis j’irai embrasser et mener chez moi mes petites entrailles ; et au printemps, si Dieu me prête vie, je verrai la Provence : l’abbé le souhaite pour vous aller voir avec moi, et vous ramener. Il y aura bien longtemps que vous serez en Provence. Il est vrai qu’il ne faudroit s’attacher à rien, et qu’à tout moment on se trouve le cœur arraché dans les grandes et les petites choses ; mais le moyen ? Il faut donc toujours avoir cette Morale dans les mains, comme du vinaigre au nez, de peur de s’évanouir. Je vous avoue, ma bonne, que mon cœur me fait bien souffrir ; j’ai bien meilleur marché de mon esprit et de mon humeur. Je[849] suis très-contente de votre amitié. Ne croyez pas au moins que je sois trop délicate et trop difficile. Ma tendresse me pourroit rendre telle, mais je ne l’ai jamais écoutée ; et quand elle n’est point raisonnable je la gourmande ; mais croyez-moi de bonne foi ; et dans le temps que je vous aime le plus, et que je crois que vous m’aimez, croyez que les choses qui m’ont touchée auroient touché qui que ce soit au monde. Je vous dis tout cela pour vous ôter de l’esprit qu’il y ait aucune peine à vivre avec moi, ni qu’il faille des observations fatigantes. Non, ma bonne, il faut faire comme vous faites, et comme vous avez su si bien faire quand vous avez voulu : cette capacité qui est en vous rendroit le contraire plus douloureux. Mais où vais-je ? Comptez au moins que vous ne perdez aucune de vos tendresses pour moi : je vois et je sens tout, et j’ai toute l’application qui est inséparable de la grande amitié.

Je vous trouve admirable de faire des portraits de moi dont la beauté vous étonne vous-même. Savez-vous bien que vous vous jouez à me trouver médiocre, de la dernière médiocrité, quand vous me séparerez de votre idée pleine d’exagération ? Voici qui ressemble un peu à détruire par sa présence ; mais cela est vrai, il faut que cela passe. J’ai ri de ce Carpentras[850] que vous enfermez pendant que vous avez affaire, en l’assurant qu’il veut faire la siesta. Vos dames sont bien dépeintes avec leurs habits d’oripeau : mais quels chiens de visages ! je ne les ai jamais vus nulle part. Que le vôtre, que je vois avec ce petit habit uni, est agréable et beau ! et que je voudrois bien le voir et le baiser de tout mon cœur ! Au nom de Dieu, ma bonne, conservez-vous, évitez les occasions d’être effrayée. Je n’approuve guère d’avoir voyagé dans votre septième : je prie Dieu qu’il guérisse ce pauvre Chevalier[851].

Adieu, j’embrasse les vauriens. Vous ne pouviez pas me donner une plus petite idée de la place que j’ai dans le cœur de M. de Grignan, qu’en me disant que c’est le reste de ce que vous n’y occupez pas : je sais ce que c’est que de tels restes ; il faut être bien aisée à contenter pour en être contente. La Mousse souhaite fort que cette ligne s’achève. Savez-vous que le Roi a reçu M. d’Andilly comme nous aurions pu faire[852] ? Vivons et laissons s’établir M. de Pompone dans une si belle place. 1671

205. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 23e septembre.

Enfin, ma bonne, nous voilà retombés dans le plus épouvantable temps qu’on puisse imaginer : il y a quatre jours qu’il fait un orage continuel ; toutes nos allées sont noyées, on ne s’y promène plus. Nos maçons, nos charpentiers gardent la chambre ; enfin j’en hais ce pays, et je souhaite à tout moment votre soleil ; peut-être que vous souhaitez ma pluie ; nous faisons bien toutes deux.

Nous avons à Vitré ce pauvre petit abbé de Montigny, évêque de Léon, qui part aujourd’hui, comme je crois, pour voir un pays beaucoup plus beau que ceux-ci. Enfin, après avoir été ballotté cinq ou six fois de la mort à la vie, les redoublements opiniâtres de la fièvre ont décidé en faveur de la mort. Il ne s’en soucie guère, car son cerveau est embarrassé ; mais son frère l’avocat général[853] s’en soucie beaucoup, et pleure très-souvent avec moi ; car je le vais voir, et suis son unique consolation : c’est en ces occasions où il faut faire des merveilles. Du reste, je suis dans ma chambre à lire, sans oser mettre le nez dehors. Mon cœur est content, parce que je crois que vous vous portez bien. Cela me fait souffrir les tempêtes, car ce sont des tempêtes continuelles. Sans ce repos que me donne mon cœur, je ne souffrirois pas impunément l’affront que me fait le mois de septembre ; c’est une trahison, dans la saison où nous sommes, au milieu de vingt ouvriers : je ferois un beau bruit, Quos ego[854] ! Je poursuis cette Morale de Nicole que je trouve délicieuse ; elle ne m’a encore donné aucune leçon contre la pluie, mais j’en attends, car j’y trouve tout ; et la conformité à la volonté de Dieu me pourroit suffire, si je ne voulois un remède spécifique. Enfin je trouve ce livre admirable. Personne n’a écrit sur ce ton que ces Messieurs, car je mets Pascal de moitié à tout ce qui est de beau. On aime tant à entendre parler de soi et de ses sentiments, que, quoique ce soit en mal, nous en sommes charmés. J’ai même pardonné l’enflure du cœur[855] en faveur du reste, et je maintiens qu’il n’y a point d’autre mot pour expliquer la vanité et l’orgueil, qui sont proprement du vent : cherchez un autre mot. J’achèverai cette lecture avec plaisir.

Nous lisons aussi l’histoire de France depuis le roi Jean : je veux la débrouiller dans ma tête, au moins autant que l’histoire romaine, où je n’ai ni parents, ni amis ; encore trouve-t-on ici des noms de connoissance. Enfin, tant que nous aurons des livres, nous ne nous pendrons point. Vous jugez bien qu’avec cette humeur je ne suis point désagréable à notre Mousse. Nous avons pour la dévotion ce recueil des lettres de M. de Saint-Cyran, que M. d’Andilly vous envoie, et que vous trouverez admirable. Voilà, ma bonne, tout ce que vous peut dire une vraie solitaire.

On me mande que Mme de Verneuil est très-malade. Le Roi causa une demi-heure avec le bonhomme d’Andilly[856], aussi plaisamment, aussi bonnement, aussi agréablement qu’il est possible. Il étoit aise de faire voir son esprit à ce bon vieillard, et d’attirer sa juste admiration ; il témoigna qu’il étoit plein du plaisir d’avoir choisi M. de Pompone, qu’il l’attendoit avec impatience, qu’il auroit soin de ses affaires, qu’il savoit qu’il n’étoit pas riche. Il dit au bonhomme qu’il y avoit de la vanité à lui d’avoir mis dans la préface de Josèphe qu’il avoit quatre-vingts ans, que c’étoit un péché : on rioit, on avoit de l’esprit, le Roi disant qu’il ne crût pas qu’il le laissât en repos dans son désert, qu’il l’enverroit quérir, qu’il le vouloit voir comme un homme illustre par toutes sortes de raisons. Comme le bonhomme l’assuroit de sa fidélité, il dit qu’il n’en doutoit point, et qu’il savoit trop bien tous ses devoirs pour manquer à celui-là ; que quand on servoit bien Dieu, on servoit bien son Roi. Enfin ce furent des merveilles ; il eut soin de l’envoyer dîner, de le faire promener dans une calèche : il en a parlé un jour entier en l’admirant. Pour le bonhomme, il est transporté, et dit de moment en moment, sentant qu’il en a besoin : « Il faut s’humilier. » Vous pouvez penser la joie que tout cela me donne, et la part que j’y prends.

Je vous crois présentement à vos états ; j’attends toujours de vos nouvelles avec impatience, et du procédé de l’Évêque, sur lequel je ne serai pas si aisée à contenter que l’année passée. Adieu ; vous savez bien si je suis à vous, et si vous pouvez compter sur mon amitié. Dubois m’a mandé que depuis qu’il avoit écrit à Lyon et à Pierrelatte[857], vos paquets venoient fort bien. En effet il y a trois semaines que j’en reçois deux à la fois. C’est justement mon compte. Je voudrois bien que mes lettres vous

donnassent autant de joie que les vôtres m’en donnent. Ma chère enfant, je vous embrasse mille fois.


1671

206. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 27e septembre.

Je le veux, ma bonne, ne parlons plus de la perte de nos lettres ; cela ennuie de toute façon : je n’ai pas trop de peine à m’en taire présentement, car, Dieu merci, je les reçois depuis un mois comme je le puis souhaiter, et vous pouvez m’écrire un peu plus franchement qu’à celui qui les avoit prises, et que vous croyiez toujours entretenir quand vous m’écriviez. Cependant, ma bonne, vous voulez fort bien qu’il sache que vous m’aimez, vous ne lui celez rien là-dessus, et vous en parlez, ce me semble, sans crainte d’être entendue. Ce que vous me dites à ce sujet me remplit le cœur. Je vous avoue que je vous crois, et que cette confiance fait l’unique douceur de ma vie et le but de tous mes désirs. Elle est accompagnée de plusieurs amertumes ; mais enfin ce sont des suites nécessaires. Quand on ne souffre que par la tendresse, on trouve de la patience. Je finis toujours ce chapitre le plus tôt que je puis ; je ne le finirois point, si je n’avois un soin extrême de finir.

Je suis ravie, ma bonne, que vous ayez une belle-sœur aimable, et qui vous puisse servir de compagnie et de consolation ; c’est une chose que je vous souhaite à tous moments, et personne n’a plus de besoin que vous d’une société agréable. Sans cela, vous vous creusez l’esprit[858] d’une si étrange manière, que vous vous détruisez vous-même. Vous ne vous amusez point à des bagatelles : vous rêvez noir, ou il vous faut de la conversation. On ne peut être plus contente que je la suis de l’approbation que vous donnez à cette aimable belle-sœur ; je compte que c’est Mme de Rochebonne[859], qui a de l’air du Coadjuteur, et son esprit, et son humeur, et sa plaisanterie. Si vous voulez lui faire mes compliments par avance, vous me ferez beaucoup de plaisir ; mais vous ne voulez pas. Je ne trouve pas que vous vouliez aussi assurer votre premier président[860] de mon très-humble service. Il m’a fait mille compliments par Bandol ; je lui en ai rendu par la même voie et j’ai adressé la lettre droit à Aix. En voilà une de votre évêque, vous y verrez toujours les mêmes précautions : il ne veut pas être pris par le bec ; nous verrons un peu sa manière de peindre. J’espère fort au premier président, et à la présence des Grignans, et à la vôtre, et à la petitesse du présent, et à la bonté de vos raisons. Hélas ! il n’en faut pas tant en Bretagne, et j’ai quelquefois sur le cœur de n’avoir pas demandé dix mille écus pour vous. Plût à Dieu que quelqu’un voulût vous en donner cent comme on les a donnés ici à une seule personne ! Je vous conterai quelque jour ce que je ne veux pas dire ici.

Je commence à voir le temps que je partirai pour la Provence. Ce sera bien pis quand je compterai de Paris ; mais, ma bonne, je vous avoue que je ne compte point de vous laisser après moi : j’en pleurerois dès à présent comme M. du Gué. Je prétends vous ramener avec moi. Je crois qu’après deux ans de Provence, ce sera une chose assez raisonnable. Je vois ce que vous pensez, et c’est cela qu’il faut prévoir de bonne heure, et être persuadée que tout ce qui dépendra de moi vous est acquis. Voilà une de mes grandes douleurs de ne pouvoir pas faire tout ce que mon cœur voudrait ardemment ; mais ce que je puis est toujours assez pour vous ôter de grands embarras et pour vous donner des facilités. Je ne pense qu’à vous, ma bonne, et je ne souhaite et n’imagine rien que par rapport à vous : cela est vrai, et vous le croyez. Plût à Dieu que vous en pussiez voir des effets, tels que je les désire !

Voilà M. de Pompone en état d’être envié. Vous me parlez sur cela bien agréablement. Je m’en vais en écrire au bonhomme[861]. Je vous ai dit tout ce que je savois là-dessus. Il m’a écrit deux fois sur sa faveur, et moi aussi deux fois. Il n’a rien de plus sensible que mon amitié, à ce qu’il me mande, et de voir que mes approbations ont vingt ans d’avance sur toutes celles qu’on va donner à son fils, et vingt ans dont il y a eu des années difficiles à soutenir[862]. Voici un changement extraordinaire, c’est un plaisir que d’être spectateur. En voici encore un du comte de Guiche, qui revient. Je fais la charge de d’Hacqueville qui est depuis vingt jours au chevet du maréchal[863], malade, et qui sans doute vous aura mandé toutes choses, et la visite que le Roi lui fit il y a cinq ou six jours. Je crois que Vardes ne sera pas longtemps à recevoir la même grâce que le comte de Guiche : il me semble que leurs malheurs figurent ensemble[864] ; c’est à vous à nous mander ce qu’on en espère en votre pays.

Voilà une lettre que j’écris à votre évêque ; lisez-la : si vous la trouvez bonne, faites-la cacheter et la lui donnez ; si elle ne vous plaît pas, brûlez-la : elle ne vous oblige à rien. Vous voyez mieux que moi si elle est à propos, ou non ; d’ici je ne la crois pas mal, mais ce n’est point d’ici qu’il en faut juger. Vous savez que je n’ai qu’un trait de plume ; ainsi mes lettres sont fort négligées ; mais c’est mon style, et peut-être qu’il fera autant d’effet qu’un autre plus ajusté. Si j’étois à portée de recevoir votre avis, vous savez combien je l’estime, et combien de fois il m’a réformée ; mais nous sommes aux deux bouts de la France : ainsi il n’y a rien à faire, qu’à juger si cela est à propos ou non, et sur cela, la donner ou la brûler. Ce n’est pas sans chagrin qu’on sollicite une si petite chose, mais il faut se vaincre dans les sentiments qu’on auroit fort naturellement là-dessus. J’ai de plus à vous dire que j’ai vu faire ici des pas pour moins, et que tout ce qui vient tous les ans est excellent, et qu’enfin chacun a ses raisons.

M. et Mme de Chaulnes m’écrivent de six lieues d’ici, avec des tendresses et des reconnoissances de l’honneur que je leur avois fait par ma présence (c’est ainsi qu’ils disent), qu’ils n’oublieront jamais.

Pour vos dates, ma bonne, je suis de votre avis : c’est une légèreté que de changer tous les jours. Quand on se trouve bien du 26e ou du 16e, par exemple, pourquoi changer ? C’est même une chose désobligeante pour ceux qui vous l’ont dit. Un homme d’honneur, un honnête homme vous dit une chose bonnement et comme elle est, et vous ne le croyez qu’un jour ; le lendemain, qu’un autre vous dise autrement, vous le croyez ; vous êtes toujours pour le dernier qui parle : c’est le moyen de faire autant d’ennemis qu’il y a de jours en l’an. Ne prenez point cette conduite, ma bonne, tenez-vous au 26e ou au 16e quand vous vous en trouverez bien ; ne suivez point mon exemple, ni celui du monde corrompu, qui suit le temps et change comme lui. Soyez persuadée qu’au lieu de vouloir vous soumettre à mon calendrier, c’est moi qui approuve le vôtre : je fais juge le Coadjuteur, ou Mme de Rochebonne, si je ne dis pas bien.

J’ai bien envie de savoir si vous aurez vu ce pauvre Coulanges ; cela est bien cruel qu’il ait pris la peine de faire tant de chemin pour vous voir un moment, et peut-être point du tout.

Le pauvre Léon[865] est toujours à l’agonie depuis que je vous ai mandé qu’il se mouroit. Il y est plus que jamais, et il saura bientôt mieux que vous si la matière raisonne. C’est un dommage extrême que la perte de ce petit évêque ; c’étoit, comme disent nos amis[866], un esprit lumineux sur la philosophie. Le vôtre l’est aussi. Vos lettres sont ma vie. Adieu, ma bonne : je ne vous. dis pas la moitié ni le quart de l’amitié que j’ai pour vous.


1671

207. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 30e septembre.

Je crois présentement que l’opinion léonique[867] est la plus assurée : il voit de quoi il est question, ma bonne, et si la matière raisonne ou ne raisonne pas, et quelle sorte de petite intelligence Dieu a donnée aux bêtes, et tout le reste. Vous voyez bien que je le crois dans le ciel : o che spero[868]  ! Il mourut lundi matin. Je fus à Vitré, je le vis, et voudrois ne l’avoir point vu. Son frère l’avocat général me parut inconsolable ; je lui offris de venir pleurer en liberté dans mes bois : il me dit qu’il étoit trop affligé pour chercher cette consolation. Ce pauvre petit évêque avoit trente-cinq ans ; il étoit établi ; il avoit un des plus beaux esprits du monde pour les sciences ; c’est ce qui l’a tué : comme Pascal, il s’est épuisé. Vous n’avez pas trop affaire de ce détail ; mais c’est la nouvelle du pays, il faut que vous en passiez par là ; et puis il me semble que la mort est l’affaire de tout le monde : c’est que les conséquences viennent bien droit jusqu’à nous.

Je lis M. Nicole avec un plaisir qui m’enlève ; surtout je suis charmée du troisième traité, des Moyens de conserver la paix avec les hommes[869]. Lisez-le, je vous prie, avec attention, et voyez comme il fait voir nettement le cœur humain, et comme chacun s’y trouve, et philosophes, et jansénistes, et molinistes, et tout le monde enfin. Ce qui s’appelle chercher dans le fond du cœur avec une lanterne, c’est ce qu’il fait ; il nous découvre ce que nous sentons tous les jours, et que nous n’avons pas l’esprit de démêler, ou la sincérité d’avouer ; en un mot, je n’ai jamais vu écrire comme ces Messieurs-là. Sans la consolation de la lecture, nous mourrions d’ennui présentement ; il pleut sans cesse : il ne vous en faut pas dire davantage pour vous représenter notre tristesse. Mais vous qui avez un soleil que j’envie, je vous plains, ma bonne, d’avoir quitté votre Grignan : il y fait beau, vous y étiez en liberté avec une bonne compagnie, et au milieu de l’automne vous le quittez pour vous enfermer dans une petite ville ; cela me blesse l’imagination. M. de Grignan ne pouvoit-il pas différer son Assemblée ? N’en est-il pas le maître ? Et ce pauvre Coulanges, qu’est-il devenu ? Notre solitude nous fait la tête si creuse, que nous nous faisons des affaires de tout. Les lettres et les réponses font de l’occupation ; mais il y a du temps de reste ; je lis et relis les vôtres avec un plaisir et une tendresse que je souhaite que vous puissiez imaginer, car je ne vous la saurois dire ; il y en a une dans vos dernières que j’ai le bonheur de croire, et qui soutient ma vie.

On me mande toujours des merveilles de ma petite mie ; elle a grand’part à l’impatience que j’ai de retourner à Paris. Je n’ose vous parler du bonheur de Louvigny[870] qui traite avec le Roi de la charge de son père : c’est une sorte d’établissement qui n’est pas bon à méditer. Mandez-moi des nouvelles de cette pauvre Monaco, mais surtout de votre santé, de vos affaires. Voilà ce qui me tient à cœur souverainement. Notre abbé est trop glorieux de toutes les douceurs que vous lui mandez. Je suis contente de lui sur votre sujet.

Pour la Mousse, il fait des catéchismes les fêtes et les dimanches : il veut aller en paradis ; je lui dis que c’est par curiosité, et afin d’être assuré une bonne fois si le soleil est un amas qui se remue avec violence[871], ou si c’est un globe de feu. L’autre jour il interrogeoit des petits enfants ; et après plusieurs questions, ils confondirent tout ensemble, de sorte que, venant à leur demander qui étoit la Vierge, ils répondirent tous l’un après l’autre que c’étoit le créateur du ciel et de la terre. Il ne fut point ébranlé pour les petits enfants ; mais voyant que des hommes, des femmes, et même des vieillards disoient la même chose, il en fut persuadé, et se rendit à l’opinion commune. Enfin il ne savoit plus où il en étoit, et si je ne fusse arrivée là-dessus, il ne s’en fût jamais tiré. Cette nouvelle opinion eût bien fait un autre désordre que le mouvement des petites parties[872].

Adieu, ma très-chère enfant ; vous voyez bien que se chatouiller pour se faire rire, c’est justement ce que nous faisons. Je vous embrasse et vous baise tendrement, et vous prie de me laisser penser à vous, et vous aime de tout mon cœur.


1671

208. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 4e octobre.

Vous voilà donc, ma chère fille, à votre Assemblée : je vous ai mandé combien je trouvois mauvais que M. de Grignan l’eût mise en ce temps, pour vous ôter tout l’agrément de votre séjour de campagne, et tout le plaisir de votre bonne compagnie. Vous y avez perdu aussi le pauvre Coulanges, qui m’écrit de Lyon tous ses déplaisirs, et qu’il est triste et confus, mangeant tristement son avoine, et ne songeant plus qu’à s’en retourner à Paris, c’est-à-dire à Autry[873], d’où il ne seroit pas sorti sans l’espérance de vous voir. Toute sa consolation, c’est de parler de vous avec ce chamarier de Rochebonne qui ne se peut taire de vos perfections. Si je n’avois point trouvé ridicule de vous envoyer toutes mes lettres, je vous aurois envoyé celle-là avec celle du comte des Chapelles ; mais voilà sa réponse qui suffira, avec deux autres lettres que je veux que vous ayez, celle de M. le Camus et celle de M. d’Harouys. Je pense que, pour vous donner le temps de lire tout ce que je vous envoie, la civilité m’obligeroit à finir ici ma lettre ; mais je veux savoir auparavant si vous n’avez point ri de la rêverie naturelle que je fis à Vitré, en priant ce gentilhomme de basse Bretagne de nous faire vitement dîner. Je crus que cela vous feroit souvenir de cet homme à la Merci[874], que je voulois qui raccommodât mes manches, et qui étoit le clerc d’un secrétaire du Roi. Mais ce que vous me dites du soleil et de la lune, de M. de Chaulnes et de M. de Lavardin, est très-bien dit, et que pour vous, vous êtes toujours sur l’horizon. Cela est vrai, ma fille, vous ne vous reposez jamais, vous êtes toujours dans le mouvement, et je tremble quand je pense à votre état et à votre courage, qui assurément passe de beaucoup vos forces. Je conclus comme vous que quand vous voudrez vous reposer, il ne sera plus temps, et qu’il n’y aura aucune ressource à vos fatigues passées. Cette pensée m’occupe et m’afflige beaucoup ; car enfin ce ne sont plus ici les premiers pas, ce sont les derniers : ce sont des brèches sur d’autres brèches, et des abîmes sur des abîmes. Nous en parlons souvent, notre abbé et moi, quoique peu instruits ; mais à vue de pays on juge bien où tout ceci peut aller. Cet endroit est bien digne de votre attention, car il n’y va pas d’une chute médiocre. On va bien loin, dit-on, quand on est las ; mais quand on a les jambes rompues, on ne va plus du tout. Je crois que vous êtes assez habile pour appuyer sur ces considérations, et pour en parler avec notre Coadjuteur, qui a tout ce qui est nécessaire pour vous bien conseiller ; car il a un grand sens, un bon esprit, un courage digne du nom qu’il porte : il faut tout cela pour décider dans une occasion comme celle-ci. Notre abbé s’estime bien heureux que vous comptiez son avis pour quelque chose ; il ne souhaite la vie et la santé que pour vous aller donner ses conseils, et prendre le jeton, dont vous savez qu’il s’aide parfaitement bien. Voici, ma chère enfant, une lettre qui n’est pas délicieuse ; mais encore faut-il parler quelquefois des choses importantes qui tiennent au cœur[875] ; et puis vous savez, et je vous l’ai dit en chanson, on ne rit pas toujours. Non assurément, il s’en faut beaucoup ; cependant il ne faut pas que vous fassiez de la bile noire. Songez uniquement à votre santé, si vous aimez la mienne, et croyez qu’aussitôt que je serai délogée à Pâques, je ne penserai plus qu’à vous aller voir et vous donner toutes les facilités possibles pour revenir avec moi, dans un degré moins élevé, mais plus commode. Que dit Adhémar du retour du comte de Guiche[876] ? Adieu, mon enfant, je suis à vous. J’embrasse M. le lieutenant général[877] qui n’est plus chasseur.


1671

209. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 7e octobre[878].

Vous savez que je suis toujours un peu entêtée de mes lectures. Ceux à qui je parle ou à qui j’écris ont intérêt que je lise de bons livres. Celui dont je veux parler présentement, c’est toujours de Nicole, et c’est du traité d’entretenir la paix entre les hommes. Ma bonne, j’en suis charmée ; je n’ai jamais rien vu de plus utile, ni si plein d’esprit et de lumière. Si vous ne l’avez lu, lisez-le ; et si vous l’avez lu, relisez-le avec une nouvelle attention. Je crois que tout le monde s’y trouve ; pour moi, je crois qu’il a été fait à mon intention ; j’espère aussi d’en profiter, j’y ferai mes efforts. Vous savez que je ne puis souffrir que les vieilles gens disent : « Je suis trop vieux pour me corriger. » Je pardonnerois plutôt à une jeune personne de tenir ce discours. La jeunesse est si aimable qu’il faudroit l’adorer, si l’âme et l’esprit étoient aussi parfaits que le corps ; mais quand on n’est plus jeune, c’est alors qu’il faut se perfectionner, et tâcher de regagner du côté des bonnes qualités ce qu’on perd du côté des agréables. Il y a longtemps que j’ai fait ces réflexions, et par cette raison je veux tous les jours travailler à mon esprit, à mon âme, à mon cœur, à mes sentiments. Voilà de quoi je suis pleine et de quoi je remplis cette lettre, n’ayant pas beaucoup d’autres sujets.

Je vous crois à Lambesc, ma bonne ; mais je ne vous vois pas bien d’ici : il y a des ombres dans mon imagination qui vous couvrent à ma vue. Je m’étois fait le château de Grignan, je voyois votre appartement, je me promenois sur votre terrasse, j’allois à la messe dans votre belle église ; mais je ne sais plus où j’en suis. J’attends avec grande impatience des nouvelles de ce lieu-là et des nouvelles de l’Évêque. Il y avoit dans mon dernier paquet une lettre qui me donnoit beaucoup d’espérance. Quoique vous ayez été deux ordinaires sans m’écrire, j’espère un peu d’avoir vendredi une lettre de vous, et si je n’en ai point, vous avez été si prévoyante, que je n’en serai point en peine. Il y a des soins, comme par exemple celui-là, qui marquent tant de bonté, de tendresse et d’amitié, qu’on en est charmé. Adieu[879], ma très-chère et très-aimable ; je ne veux point vous écrire davantage aujourd’hui, quoique mon loisir soit grand. Je n’ai que des riens à vous mander ; c’est abuser d’une lieutenante générale qui tient les états, et qui n’est pas sans affaires. Cela est bon quand vous êtes dans votre palais d’Apollidon[880]. Notre abbé, notre Mousse, sont toujours tout à vous ; pour moi, ma bonne, vous êtes mon cœur et ma vie. Seposto ho il cor nelle sue mani ; a lei starà di farsi amar quanto le piace[881].

Après avoir été tout le temps que je suis ici sans recevoir aucune lettre de Corbinelli, enfin j’en ai reçu une qui me fait voir que toutes ses lettres ont été perdues ainsi que les vôtres : cela me rendoit injuste envers lui. Je lui ai fait des réparations, j’attends les siennes ; car je lui écrivois toujours, et il ne recevoit point mes lettres. Je vous dis tout ceci, afin que si vous le voyez, vous sachiez que répondre.

Le comte de Guiche est à la cour tout seul de son air et de sa manière, un héros de roman, qui ne ressemble point au reste des hommes : voilà ce qu’on me mande.


1671

210. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 11e octobre.

Vous avez été fâchée de quitter Grignan ; vous avez eu raison ; j’en ai été quasi aussi triste que vous, et j’ai senti votre éloignement de vingt lieues, comme je sentirois un changement de climat. Rien ne me console que la sûreté où vous serez à Aix pour votre santé. Vous accoucherez au bout de l’an tout juste. J’emploie tous mes jours à songer à ceux de l’année passée que je passois avec vous ; il est vrai qu’on ne peut pas avoir moins perdu de temps que vous avez fait ; mais si, après cette couche-ci, M. de Grignan ne vous donne quelque repos, comme on fait à une bonne terre, bien loin d’être persuadée de son amitié, je croirai qu’il veut se défaire de vous ; et le moyen de résister à ces continuelles fatigues ? il n’y a ni jeunesse, ni santé qui n’en soient détruites. Enfin je lui demande pour vous cette marque de sa tendresse et de sa complaisance. Je ne veux point vous trouver grosse, je veux que vous veniez vous promener avec moi dans ces prés que vous me promettez, et que nous mangions de ce divin muscat, sans crainte de la colique. Nous ne pensons qu’à notre voyage ; et si notre abbé vous peut être bon à quelque chose, il sera au comble de ses desirs. Vous nous souhaitez, il n’en faut pas tant pour nous faire voler vers vous. Nous quitterons les Rochers à la fin du mois qui vient. Il me semble que ce sont les premiers pas, et j’en sens de la joie : j’en aurai beaucoup si vous arrivez à Aix en bonne santé.

Je ne trouve pas bien prudent d’avoir fait ce voyage de Lambesc au milieu de votre sept[882]. Mais quelle folie de s’appeler M. et Mme de Grignan, et le chevalier de Grignan[883], et vous venir faire la révérence ? Qu’est-ce que ces Grignans-là ? Pourquoi n’êtes-vous pas uniques en votre espèce ? Celle de vos scorpions me fait grand’peur ; vous savez bien au moins que leur piqûre est mortelle. Je suis persuadée que puisque vous avez des bâtiments pour vous garantir du chaud, vous n’êtes point aussi sans de l’huile de scorpion, pour vous servir de contre-poison[884]. Je ne connoissois la Provence que par les grenadiers, les orangers et les jasmins : voilà comme on nous la dépeint. Pour nous, ce sont des châtaignes qui font notre ornement ; j’en avois l’autre jour trois ou quatre paniers autour de moi ; j’en fis bouillir, j’en fis rôtir, j’en mis dans ma poche : on en sert dans les plats, on marche dessus ; c’est la Bretagne dans son triomphe.

Monsieur d’Uzès[885] est à son abbaye près d’Angers : il m’a envoyé un exprès. Il dit qu’il me viendra voir, mais je n’en crois rien. Il dit que vous êtes adorable, et adorée de tous les Grignans, je le crois. Vous l’êtes ici pour le moins autant, sans offenser personne. Mon oncle est comme je le souhaite sur votre sujet ; Dieu nous le conserve ! La Mousse approuve fort que vous laissiez reposer votre lettre ; on ne juge jamais bien d’abord de ces sortes d’ouvrages. Il vous conseille même de la faire voir à quelqu’un de vos amis, ils en jugent mieux que nous-mêmes : en attendant il est tout à vous. Que dirai-je à nos Grignans ? Vous êtes bien méchante de leur faire voir toutes mes folies. Pour vous qui les connoissez, il n’est pas possible de vous les cacher ; mais eux, avec qui j’ai mon honneur à garder… Adieu, ma chère enfant, je vous recommande ma vie : vous savez ce que vous avez à faire pour la conserver.


1671

211. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 14e octobre.

Je m’en vais vous mander un petit secret : n’en parlez pas, je vous prie, si personne ne vous l’a mandé. Vous saurez que notre pauvre d’Hacqueville[886] a tant fait, et s’est si fort tourmenté autour de ses amis, qu’il en est tombé malade. On prend même plaisir à dire que c’est de la petite vérole, et qu’il a vu tous les jours M. de Chevreuse[887] qui l’a ; je ne le crois point ; mais voici ce qui est. On lui a écrit une lettre d’une main inconnue, on lui demande une heure le lendemain, de sept à huit, pour une consultation pour le cardinal de Retz. On marque ensuite toutes les heures du jour, comme il a accoutumé de les employer. On le prie de venir voir donner un remède à cinq heures à M. le maréchal de Gramont, et d’aller querir dans son carrosse M. Brayer pour le petit de Monaco[888]. On l’avertit d’envoyer savoir des nouvelles de tous les malades dont on lui fait la liste. On le conjure de ne pas manquer de se trouver le soir chez Mlle de Clisson[889], qui a de grands maux de mère[890]. On parle du commerce de Provence et de tous les pays de l’Europe, et l’on finit par : Donnez, dormez, vous ne sauriez mieux faire. Enfin il a montré cette lettre avec un tel chagrin, que je meurs de peur que cela n’augmente sa fièvre. Ne me citez jamais, sur la vie. On vous le mandera peut-être d’ailleurs.

Je sais que M. de Coulanges a eu le courage de vous aller chercher à Lambesc. Ma fille, que je l’aime d’avoir pris cette peine ! qu’il a bien fait ! qu’il est aimable ! que je l’embrasserai de bon cœur ! et que vous méritez bien qu’on en fasse davantage pour vous ! mais tout le monde n’est pas digne de comprendre, et c’est un mérite que d’être entré, comme il a fait, dans cette vérité. Aussi vous lui avez écrit des merveilles, et je vous en loue et vous en remercie, car vous savez comme je l’aime. Adhémar sera trop aise de revenir avec lui.

L’abbé Têtu est retourné en Touraine[891], n’ayant pu durer à Paris ; et, pour varier un peu la phrase, il a mené à ce second voyage toute la case de Richelieu[892]. Si vous pouviez croire que ce fût pour vous que Paris lui fut insupportable, vous seriez bien glorieuse ; mais vous seriez seule de votre sentiment.

Il y a de la division dans la maison de Gramont entre

les deux frères[893] : notre ami d’Hacqueville est fort mêlé là dedans. Louvigny n’a pas assez d’argent pour acheter la charge[894] ; je ne sais si l’on vous mande ce détail.

J’étois hier dans une petite allée, à main gauche du mail, très-obscure ; je la trouvai belle ; je fis écrire sur un arbre :

          E di mezzo l’horrore esce il diletto[895].


Si M. de Coulanges est encore avec vous, embrassez-le pour moi, et l’assurez que je suis fort contente de lui. Et ces pauvres Grignans n’auront-ils rien ? Et vous, ma chère petite, quoi ! pas un mot d’amitié ?


1671

212. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 18e octobre.

L’envie que vous avez d’envoyer ma première lettre à quelqu’un, afin qu’elle ne soit pas perdue, m’a fait rire, et souvenir d’une Bretonne qui vouloit avoir un factum qui m’avoit fait gagner un procès, pour gagner le sien aussi.

Vous voilà donc à Lambesc, ma fille ; mais vous êtes grosse jusqu’au menton. La mode de votre pays me fait peur. Quoi ! ce n’est donc rien que de ne faire qu’un enfant ; une fille n’oseroit s’en plaindre, et les dames en font ordinairement deux ou trois. Je n’aime point cette grosseur excessive ; tout au moins cela vous donne de cruelles incommodités.


Écoutez, Monsieur de Grignan, c’est à vous que je parle : vous n’aurez que des rudesses de moi pour toutes vos douceurs. Vous vous plaisez dans vos œuvres ; au lieu d’avoir pitié de ma fille, vous ne faites qu’en rire. Il paroît bien que vous ne savez ce que c’est que d’accoucher. Mais écoutez, voici une nouvelle que j’ai à vous dire : c’est que si après ce garçon-ci, vous ne lui donnez quelque repos, je croirai que vous ne l’aimez point, et que vous ne m’aimez point aussi, et je n’irai point en Provence. Vos hirondelles auront beau m’appeler, point de nouvelles ; et de plus j’oubliois ceci : c’est que je vous ôterai votre femme. Pensez-vous que je vous l’aie donnée pour la tuer, pour détruire sa santé, sa beauté, sa jeunesse ? Il n’y a point de raillerie ; je vous demanderai cette grâce à genoux en temps et lieu. En attendant, admirez ma confiance de vous faire une menace de ne point aller en Provence. Vous voyez par là que vous ne perdez ni votre amitié, ni vos paroles ; nous sommes persuadés, notre abbé et moi, que vous serez aises de nous voir. Nous vous mènerons la Mousse, qui vous rend grâce de votre souvenir ; et pourvu que je ne trouve point une femme grosse, et toujours grosse, et encore grosse, vous verrez si nous ne sommes pas des gens de parole. En attendant, ayez-en un soin extrême, et prenez garde qu’elle n’accouche à Lambesc. Adieu, mon cher Comte.


Je reviens à vous, ma belle, et vous dis donc que je vous plains fort. Songez à ne pas accoucher à Lambesc : quand vous aurez passé le huitième, il n’y a plus d’heure. Vous avez présentement M. de Coulanges. Qu’il est heureux de vous voir ! qu’il a bien fait d’avoir pris courage, et vous de l’avoir pressé ! Embrassez-le pour moi, et vos autres Grignans ; car on ne sauroit s’empêcher de les aimer. Ma tante[896] me mande que votre enfant pince tout comme vous ; elle est méchante : je meurs d’envie de la voir. Hélas ! j’aurois grand besoin de cet homme noir[897] pour me faire prendre un chemin dans l’air ; celui de terre devient si épouvantable, que je crains quelquefois que nous ne soyons assiégés ici par les eaux. Il est vrai qu’après vous avoir vue partir pour la Provence au milieu des abîmes, il faut croire qu’il n’y a rien d’impossible.

Mais je reviens à votre histoire. Je m’étois moquée de celle de la Mousse ; mais je ne me moque pas de celle-ci : vous me l’avez très-bien contée, et si bien que j’en frissonnois en la lisant, le cœur m’en battoit ; en vérité, c’est la plus étrange chose du monde. Cet Auger enfin, c’est un garçon que j’ai vu, à qui je parlerai, et qui conte cela tout naïvement ; je crois qu’on ne peut rien voir de plus positif ; c’est un sylphe assurément. Après la promesse que vous faites, je ne doute pas qu’il n’y ait presse à qui vous portera ici ; la récompense est digne d’être bien disputée ; et si je ne vous vois arriver, je croirai que cela viendra de la guerre que cette préférence aura émue entre eux. Cette guerre sera bien fondée, et si les sylphes pouvoient périr, ils ne le pourroient faire dans une plus belle occasion. Enfin, ma chère fille, je vous remercie mille fois de m’avoir si bien conté cette histoire d’original : c’est la première de cette nature dont je voudrois répondre.

Je trouve plaisants les miracles de votre solitaire ; j’en doute fort, puisqu’il les croit ; et M. de Grignan a grande raison de l’aller prêcher de temps en temps. Sa vanité

pourroit bien le conduire du milieu de son désert dans le milieu de l’enfer. Ce seroit un beau chemin ; il n’eût pas été besoin de prendre tant de peines : s’il ne va que là, on y va fort bien de partout. Je craindrai donc pour son salut, jusqu’à ce que vous m’en assuriez : je vous crois, et je sais que vous êtes tout comme il faut pour n’être persuadée qu’à bonnes enseignes. Dieu est tout-puissant, qui est-ce qui en doute ? Mais nous ne méritons guère qu’il nous montre sa puissance.

Je suis fort aise que M. de Grignan ait bien harangué : cela est agréable pour soi ; on ne se soucie pas des autres. M. de Chaulnes parla bien aussi, un peu pesamment ; mais cela n’étoit pas mal à un gouverneur. Pour Lavardin, il a la langue bien pendue. J’ai mandé à Corbinelli qu’assurément son paquet avoit été perdu avec tant d’autres lettres que je regrette tous les jours.

Adieu, ma chère enfant, je vous aime si passionnément que j’en cache une partie, afin de ne vous point accabler. Je vous remercie de vos soins, de votre amitié, de vos lettres : ma vie tient à toutes ces choses-là.


1671

213. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 21e octobre[898].

Mon Dieu, ma bonne, que votre ventre me pèse ! et que vous n’êtes pas seule qu’il fait étouffer ! Le grand intérêt que je prends à votre santé me feroit devenir habile, si j’étois auprès de vous. Je donne des avis à la petite Deville qui feroient croire à Mme Moreau[899] que j’ai eu des enfants. En vérité, j’en ai beaucoup appris depuis trois ans. Mais j’avoue qu’auparavant cela l’honnêteté et la préciosité d’un long veuvage m’avoient laissée dans une profonde ignorance ; je deviens matrone à vue d’œil.

Vous avez M. de Coulanges présentement, qui vous aura bien réjoui le cœur ; mais vous ne l’aurez plus quand vous recevrez cette lettre. Je l’aimerai toute ma vie du courage qu’il a eu de vous aller trouver jusqu’à Lambesc. J’ai fort envie de savoir des nouvelles de ce pays-là ; je suis accablée de celles de Paris ; surtout la répétition du mariage de Monsieur me fait sécher sur le pied. Je suis en butte à tout le monde, et tel qui ne m’a jamais écrit, s’en avise pour mon malheur afin de me l’apprendre. Je viens d’écrire à l’abbé de Pontcarré que je le conjure de ne m’en plus rompre la tête, et de la Palatine[900] qui va querir la princesse[901], et du maréchal du Plessis[902] qui va l’épouser à Metz, et de Monsieur qui va consommer à Chalon, et du Roi qui les va voir à Villers-Cotterets ; qu’en un mot, je n’en veux plus entendre parler qu’ils n’aient couché et recouché ensemble ; que je voudrois être à Paris pour n’entendre plus de nouvelles ; qu’encore si je me pouvois venger sur les Bretons de la cruauté de mes amis, je prendrois patience ; mais qu’ils sont six mois à raisonner sans ennui sur une nouvelle de la cour, et à la regarder de tous les côtés ; que pour moi, il me reste encore quelque petit air du monde, qui fait que je me lasse aisément[903] de tous ces dits et redits. En effet, je me détourne des lettres où je crois qu’on m’en pourroit parler encore, et je me jette avidement et par préférence sur les lettres d’affaires. Je lus hier avec un plaisir extrême une lettre du bonhomme la Maison[904] ; j’étois bien

assurée qu’il ne m’en diroit rien[905]. En effet, il ne m’en dit pas un mot, et il salue toujours humblement Madame la Comtesse, comme si elle étoit encore à mes côtés. Hélas ! il ne m’en faudroit guère prier pour me faire pleurer présentement : un tour de mail sur le soir en feroit l’office.

À propos, il y a des loups dans mon bois ; j’ai deux ou trois gardes qui me suivent le soir, le fusil sur l’épaule ; Beaulieu[906] est le capitaine. Nous avons honoré depuis deux jours le clair de la lune de notre présence, entre onze heures et minuit. Avant-hier nous vîmes d’abord un homme noir ; je songeai à celui d’Auger[907], et me préparois déjà à refuser la jarretière. Il s’approcha, et il se trouva que c’étoit la Mousse. Un peu plus loin nous vîmes un corps blanc tout étendu ; nous approchâmes assez hardiment de celui-là : c’étoit un arbre que j’avois fait abattre la semaine passée. Voilà des aventures bien extraordinaires : je crains que vous n’en soyez effrayée en l’état où vous êtes ; buvez un verre d’eau, ma bonne. Si nous avions des sylphes à notre commandement, nous pourrions vous conter quelque histoire digne de vous divertir ; mais il n’appartient qu’à vous de voir une pareille diablerie sans en pouvoir douter. Quand ce ne seroit que pour parler à Auger, il faut que j’aille en Provence : cette histoire m’a bien occupée et bien divertie ; j’en ai envoyé la copie à ma tante, dans la pensée que vous n’auriez pas eu le courage de l’écrire deux fois si bien et si exactement. Dieu sait quel goût je trouve à ces sortes de choses en comparaison des Renaudots[908], qui égayent leur plume à mes dépens. Il y a de certaines choses qu’on aimeroit tant à savoir ; mais de celles-là pas un mot. Quand quelque chose me plaît, je vous le mande, sans songer que peut-être je suis un écho moi-même ; si cela étoit, il faudroit m’en avertir par amitié.

J’écrivis l’autre jour à Figuriborum[909] sur son ambassade : il ne m’a point fait réponse ; je m’en prends à vous, ma bonne. Adieu, ma chère belle, je vous vois, je pense à vous sans cesse. Je vous aime de toute la tendresse de mon cœur, et je ne pense point qu’on puisse aimer davantage. Mille amitiés aux Grignans, à proportion de ce que vous croyez qu’ils m’aiment : cette règle est bonne, je m’en fie à vous. Mon abbé est tout à vous et la belle Mousse.


1671

214. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 25e octobre.

Me revoilà dans mes lamentations du prophète Jérémie. Je n’ai reçu qu’un paquet cette semaine, et voilà l’autre perdu. Vous n’avez point été sept jours sans m’écrire ; il y a cela entre vos lettres. Ma fille, c’est un démon qui les dérobe, et qui s’en joue ; c’est le sylphe d’Auger : quoi qu’il en soit, j’en suis inconsolable. Voilà une lettre pour votre évêque ; vous avez très-bien fait d’ouvrir la sienne, elle est toute farcie de tendresse ; je le prends par ses paroles, et je compte là-dessus plus qu’il ne voudroit : c’est très-bien fait, pourquoi s’embarque-t-il dans de si extrêmes protestations ? Je crois que ma réponse n’est point mal : la fin est bien méchante et bien commune ; j’ai quasi donné dans la justice de croire ; mais voilà justement où je ne m’en soucie pas.

Si vous n’avez point jeté mes dernières lettres, mandez-moi s’il n’y en a pas une du 30e septembre. Eh bien ! c’est justement celle où vous me disiez de l’avoir reçue, que le diable a emportée : j’en reviens toujours là, parce que j’en suis désespérée. Si vous saviez comme je vous aime premièrement, et puis comme j’estime vos lettres, vous comprendriez bien facilement la noirceur du chagrin que cette perte me donne.

On me mande que le Roi a donné un régiment au chevalier de Grignan ; je crois que c’est Adhémar[910]. Hélas ! est-ce quelque chose de bon ? Je le souhaite.

Mais que dirons-nous de M. de Coulanges ? N’est-ce point le plus joli homme du monde ? J’ai lu sa lettre, tout comme vous l’avez imaginé, c’est-à-dire en pâmant de rire : toute sa lettre est excellente, et ses chapitres. Mon Dieu ! que j’ai envie de le voir, de l’embrasser, de parler de vous avec lui ! Il est ravi de tout ce que vous faites, et en vérité il a raison : on ne peut assez vous admirer, je ne saurois faire les honneurs de vous ; et j’en suis touchée comme les autres, et j’en demeure d’accord avec mes bons amis, sans faire comme la présidente Jeannin : vous souvient-il de ce petit conte ? Enfin, ma fille, que vous manque-t-il ? vous le renviez sur M. de Pompone. Au milieu de mon rire, je me suis senti des serrements de cœur qui ne paroissoient point y devoir trouver leur place, et que je trouvois fort bien le moyen d’y mettre : tous chemins vont à Rome, c’est-à-dire tout me va droit au cœur. M. de Coulanges écrit tout cela bien plaisamment, et nous en avons ri, comme vous l’avez prévu, et assurément aux mêmes endroits. J’examinerai bien cet hiver avec lui tous les chapitres, et surtout celui de la coiffure ; il me paroît assez comme celui d’Aristote dans son chapitre des chapeaux[911].

Mais le chocolat, qu’en dirons-nous ? N’avez-vous point peur de vous brûler le sang ? Tous ces effets si miraculeux ne nous cacheront-ils point quelque embrasement ? Dans l’état où vous êtes, ma chère enfant, rassurez-moi ; car je crains ces mêmes effets. J’ai aimé le chocolat comme vous savez ; mais il me semble qu’il m’a brûlée, et, de plus, j’en ai bien entendu dire du mal ; mais vous dépeignez et vous dites si bien les merveilles qu’il fait en vous, que je ne sais plus que dire. Cet endroit est plaisant de la lettre de M. de Coulanges, mais tout[912] : je vous assure qu’elle est plaisante.

Adieu, ma très-chère et très-aimable, je prendrai grand plaisir à lire dans le chapitre de la tendresse que vous avez pour moi : je vous promets de demeurer fixée dans l’opinion que j’en ai ; mais pour plus grande sûreté, soyez fixée aussi à m’en donner des marques, comme vous faites. Vous savez avec quelle passion je vous aime, et quelle inclination j’ai eue toute ma vie pour vous : tout ce qui peut m’avoir rendue haïssable venoit de ce fonds ; il est en vous de me rendre la vie heureuse ou malheureuse. J’embrasse ce Comte.

La marquise de Coëtlogon prit tant de chocolat, étant grosse l’année passée, qu’elle accoucha d’un petit garçon noir comme un diable, qui mourut. Il est vrai que les lettres de notre petit ami[913] ne sont nullement agréables : il y a trop de paroles ; il fait bien d’être honnête homme d’ailleurs. Je fais réponse à M. de Coulanges ; ma tante ne le croit plus auprès de vous.


1671

215. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 28e octobre.

Des scorpions, ma bonne ! il me semble que c’étoit là un vrai chapitre pour le livre de M. de Coulanges. Celui de l’étonnement de vos entrailles sur la glace et sur le chocolat est une matière que je veux traiter à fond avec lui, mais plutôt avec vous, et vous demander de bonne foi si vos entrailles n’en sont pas offensées, et si elles ne vous font point de bonnes coliques, pour vous apprendre à leur donner de telles antipéristases[914] : voilà un grand mot[915]. J’ai voulu me raccommoder avec le chocolat ; j’en pris avant-hier pour digérer mon dîner, afin de bien souper, et j’en pris hier pour me nourrir, et pour jeûner jusqu’au soir : il m’a fait tous les effets que je voulois ; voilà de quoi je le trouve plaisant, c’est qu’il agit selon l’intention.

Je ne sais pas, ma bonne, ce que vous avez fait ce matin ; pour moi, je me suis mise dans la rosée jusqu’à mi-jambes pour prendre des alignements. Je fais des allées de retour tout autour de mon parc, qui seront d’une grande beauté ; si mon fils aime les bois et les promenades, il bénira bien ma mémoire. Mais, à propos de mère, on accuse celle du marquis de Senneterre[916] de l’avoir fait assassiner ; il a été criblé de cinq ou six coups de fusil ; on croit qu’il mourra : voilà une belle scène pour notre petite amie[917]. Je mande à mon fils que j’approuve le procédé de cette mère, et que voilà comme il faut corriger ses enfants, et que je veux faire amitié avec elle. Je crois qu’il est à Paris, votre petit frère ; il aime mieux m’y attendre que de revenir ici : il fait bien. Mais que dites-vous de l’infidélité de mon mari, l’abbé d’Effiat ? Je suis malheureuse en maris : il a épousé une jeune nymphe de quinze ans, fille de M. et de Mme de la Bazinière[918], façonnière et coquette en perfection ; le mariage s’est fait en Touraine ; il a quitté quarante mille livres de rente de bénéfices pour… Dieu veuille qu’il soit content : tout le monde en doute, et trouve qu’il auroit bien mieux fait de s’en tenir à moi.

M. d’Harouys m’écrit ceci : « Mandez à Mme de Carignan[919] que je l’adore ; elle est à ses petits états ; mais ce n’est pas gens comme nous, qui donnons des cent mille écus. Au moins qu’ils lui donnent autant qu’à Mme de Chaulnes pour sa bienvenue. » Il aura beau souhaiter, et moi aussi : leurs esprits sont secs, et leur cœur s’en

ressent ; le soleil boit toute leur humidité, qui fait la bonté et la tendresse.

Ma bonne, je vous embrasse mille fois, je suis toujours dans la douleur d’avoir perdu un de vos paquets la semaine passée. La Provence est devenue mon vrai pays : c’est de là que viennent tous mes biens et tous mes maux.

J’attends toujours le vendredi avec impatience, c’est le jour de vos lettres. Saint-Pavin avoit fait un jour une épigramme sur les vendredis, qui étoit le jour qu’il me voyoit chez l’abbé. Il parloit aux dieux, et finissoit :

Multipliez les vendredis,
Je vous quitte de tout le reste[920].

All’applicazione, Signora[921].

Monsieur d’Angers[922] m’écrit des merveilles de vous ; il a fort vu Monsieur d’Uzès[923], qui ne peut se taire de vos perfections ; vous lui êtes très-obligée de son amitié ; il en est plein, et la répand avec mille louanges qui vous font admirer. Mon abbé vous aime très-parfaitement ; la Mousse vous honore ; et moi je vous quitte : ah ! marâtre ! Un mot aux chers Grignans.


1671

216. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 1er novembre[924]

Si cette lettre que j’ai perdue, ma fille, étoit comme les trois autres, il en faut pleurer ; car, tout de bon, rien n’est plus agréable que ce que vous écrivez. Vous faites un dialogue entre vous autres, qui vaut toutes choses au monde ; chacun y dit son mot très-plaisamment. Pour vous, ma chère enfant, je vous reconnois bien à consentir plutôt qu’on s’en aille demain, qu’à demeurer avec vous toute sa vie[925]. Cette éternité vous fait peur, comme à moi d’aller en litière avec quelqu’un : je ne veux point vous dire la seule personne du monde avec qui j’y voudrois aller. Je suis fort aise de connoitre Jacquemart et Marguerite[926] : il me semble que je suis avec vous tous, et il me semble que je vous vois et M. de Coulanges. Il faut avouer que vous êtes une honnête femme de vous ajuster comme vous faites en Provence avec votre mari, et d’avoir passé neuf mois avec nous à Paris, comme une vraie demoiselle de Lorraine : vous souvient-il de ce manteau noir, dont vous nous honoriez tous les jours[927] ? J’espère que je renouvellerai tous vos ajustements quand j’arriverai à Grignan ; mais point de grossesse, mon cher Grignan, je vous en conjure tendrement ; ayez pitié de votre aimable femme, laissez-la reposer comme une bonne terre ; si vous me le promettez, je vous aimerai de tout mon cœur. Je comprends, ma fille, la crainte que vous avez de perdre votre premier président[928] ; votre imagination va vite, car il n’est point en danger. Voilà les tours que me fait la mienne à tout moment : il me semble toujours que tout ce que j’aime, tout ce qui m’est bon, va m’échapper ; et cela donne de telles tristesses à mon cœur, que si elles étoient continuelles comme elles sont vives, je n’y pourrois pas résister. Sur cela il faut faire des actes de résignation à l’ordre et la volonté de Dieu. M. Nicole n’est-il pas encore admirable là-dessus[929] ? J’en suis charmée, je n’ai rien vu de pareil. Il est vrai que c’est une perfection un peu au-dessus de l’humanité, que l’indifférence qu’il veut de nous pour l’estime ou l’improbation du monde : je suis moins capable que personne de la comprendre ; mais quoique dans l’exécution on se trouve foible, c’est pourtant un plaisir que de méditer avec lui, et de faire réflexion sur la vanité de la joie ou de la tristesse que nous recevons d’une telle fumée ; et à force de trouver ses raisonnements vrais, il ne seroit pas impossible qu’on s’en pût servir dans certaines occasions. En un mot, c’est toujours un trésor, quoi que nous en puissions faire, d’avoir un si bon miroir des foiblesses de notre cœur. M. d’Andilly est aussi content que nous de ce beau livre.

M. de Coulanges vous a gagné votre argent ; mais vous avez bien ri en récompense : rien ne peut égaler ce qu’il a écrit à sa femme. Je ne crois pas que je le quitte cet hiver, tant je serai ravie de parler de vous avec un homme qui vous a vue et admirée de si près. Pour Adhémar, puisqu’il est méchant, je le chasserai ; il est vrai qu’il a un régiment, et qu’il entrera par force. On me mande que ce régiment est une distinction agréable ; mais n’est-ce point aussi une ruine ? Ce que je trouve de bon, c’est que le Roi se soit souvenu d’Adhémar, en absence[930]. Plût à Dieu qu’il se souvînt aussi de son aîné, puisqu’il va bien jusqu’en Suède chercher de fidèles serviteurs ! On dit que M. de Pompone fait sa charge comme s’il n’avoit jamais fait autre chose ; personne ne s’y est trompé.

J’aime le Coadjuteur de m’aimer encore. Adhémar, Chevalier, approchez-vous, que je vous embrasse, je suis attachée à ces Grignans. Il s’en faut bien que le livre de M. Nicole fasse en moi d’aussi beaux effets qu’en M. de Grignan : j’ai des liens de tous côtés, mais surtout j’en ai un qui est dans la moelle de mes os ; et que fera là-dessus ce beau livre[931] ? Mon Dieu, que je sais bien l’admirer ! mais que je suis loin de cette heureuse indifférence qu’il nous veut inspirer ! Adieu, ma très-chère petite, ne me plaignez-vous point de ce que je m’en vais souffrir, présentement que vous êtes dans votre neuvième ? Monsieur le Comte, j’ai bien de la peine à vous pardonner d’avoir mis encore ma fille en cet état, et je suis bien aise que vous remarquiez quand je ne fais point mention de vous dans mes lettres : voilà justement ce que je voulois. Conservez-vous, ma fille, si vous m’aimez. Je sens de la tristesse de voir tous vos visages de Paris vous quitter l’un après l’autre ; il est vrai que vous avez votre mari, qui est aussi un visage de Paris. Ma fille, il ne faut point se laisser oublier dans ce pays-là ; il faut que je vous ramène, je vous en ferai demeurer d’accord.

Le mariage de l’abbé d’Effiat n’est point fait, comme on me l’avoit mandé. Il demande du temps pour y penser, et je crois cette affaire rompue.


1671

217. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 4e novembre.

Ah ! ma fille, il y a aujourd’hui deux ans qu’il se passa une étrange scène à Livry[932], et que mon cœur fut dans une terrible presse. Il faut passer légèrement sur de tels souvenirs. Il y a de certaines pensées qui égratignent la tête[933].

Parlons un peu de M. Nicole : il y a longtemps que nous n’en avons rien dit. Je trouve votre réflexion fort bonne et fort juste sur ce que vous dites de l’indifférence qu’il veut que l’on ait pour l’approbation ou l’improbation du prochain[934]. Je crois, comme vous, qu’il faut un peu de grâce, et que la philosophie seule ne suffit pas. Il nous met à un si haut point[935] la paix et l’union avec le prochain, et nous conseille de l’acquérir aux dépens de tant de choses, qu’il n’y a pas moyen après cela d’être indifférente sur ce qu’il pense de nous[936]. Devinez ce que je fais : je recommence ce traité ; je voudrois bien en faire un bouillon et l’avaler. Ce qu’il dit de l’orgueil, et de l’amour-propre qui se trouve dans toutes les disputes, et que l’on couvre du beau nom de l’amour de la vérité, est une chose qui me ravit. Enfin ce traité est fait pour bien du monde ; mais je crois principalement qu’on n’a eu que moi en vue. Il dit que l’éloquence et la facilité de parler donnent un certain éclat[937] aux pensées : cette expression m’a paru belle et nouvelle ; le mot d’éclat est bien placé, ne le trouvez-vous pas ? Il faut que nous relisions ce livre à Grignan ; si j’étois votre garde pendant votre couche, ce seroit notre fait : hélas ! que puis-je vous faire de si loin ? Je fais dire tous les jours la messe pour vous ; voilà mon emploi, et d’avoir bien des inquiétudes qui ne vous serviront de rien, mais qu’il est impossible de n’avoir pas.

Cependant j’ai dix ou douze charpentiers en l’air, qui lèvent ma charpente[938], qui courent sur les solives, qui ne tiennent à rien, qui sont à tout moment sur le point de se rompre le cou, qui me font mal au dos à force de leur aider d’en bas. On songe à ce bel effet de la Providence que fait la cupidité ; et l’on remercie Dieu qu’il y ait des hommes qui pour douze sous veuillent bien faire ce que d’autres ne feroient pas pour cent mille écus. « Ô trop heureux ceux qui plantent des choux ! quand ils ont un pied à terre, l’autre n’en est pas loin. » Je tiens ceci d’un bon auteur[939].

Nous avons aussi des planteurs qui font des allées nouvelles, et dont je tiens moi-même les arbres, quand il ne pleut pas à verse ; mais le temps nous désole, et fait qu’on souhaiteroit un sylphe pour nous porter à Paris. Mme de la Fayette me mande que, puisque vous me mandez sérieusement l’histoire d’Auger, elle est persuadée qu’elle est vraie, et que vous ne vous moquez point de moi. Elle pensoit que ce fût une folie de M. de Coulanges, et cela se pouvoit très-bien penser. Si vous lui en écrivez, que ce soit sur ce ton.

M. de Louvigny, comme vous voyez, n’a pas eu la force d’acheter la charge[940] de son père. Voilà M. de la Feuillade[941] bien établi ; je ne croyois pas qu’il dût si bien rentrer dans le chemin de la fortune. Ma tante a eu une bouffée de fièvre qui m’a fait peur. Votre fille a mal aux dents et pince comme vous : cela est plaisant. Que vous dirai-je de plus ? Songez que je suis dans un désert ; jamais je n’ai vu moins de monde que cette année. La Troche, que j’attendois, est malade. Nous sommes donc seuls : nous lisons beaucoup, et l’on trouve le soir et le lendemain comme ailleurs. Adieu, ma chère enfant, je suis à vous sans aucune exagération, ni fin de lettre, hasta la muerte[942] inclusivement. J’embrasse M. de Claudiopolis[943], et le colonel Adhémar et le beau Chevalier. Pour M. de Grignan, il a son fait à part.


1671

218. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 11e novembre.

Plût à Dieu, ma fille, que de penser continuellement à vous avec toutes les tendresses et les inquiétudes possibles vous pût être bon à quelque chose ! Il me semble que l’état où je suis ne devroit point vous être entièrement inutile : cependant il ne vous sert de rien ; et de quoi pourroit-il vous servir à deux cents lieues de vous ?

Je crois que l’on songe à tout où vous êtes, qu’on a toutes les prévoyances, qu’on a pris le bon parti entre aller à Aix ou retourner à Grignan, qu’on a fait venir de bonne heure une sage-femme pour vous y accoutumer un peu, et vous épargner au moins ce qu’on peut vous épargner, je veux dire le chagrin et l’impatience que donne un visage entièrement inconnu. Pour une garde, il faut que vos femmes vous secourent en cette occasion : elles se souviennent de tout le manège de Mme Moreau ; et vous, ma fille, vous aurez soin de garder le silence, et vous ne croirez pas faire, comme à Paris, un fort bon marché, d’acheter le plaisir de parler par un grand accès de fièvre.

Que vous dirai-je enfin, et que vous puis-je dire que des choses à peu près de cet agrément ? J’ai la tête pleine de tout ceci, je vous en parle, cela est naturel ; si cela vous ennuie, cela est naturel aussi : je ne suis point blessée de toutes les choses qui sont à leur place. Il faudroit donc ne vous point écrire jusqu’à ce que je susse que vous êtes accouchée, et ce seroit une étrange chose. Il vaut mieux, ma fille, que vous accoutumiez votre esprit à souffrir les pensées justes et naturelles dont on est rempli dans certaines occasions. Peut-être que vous serez accouchée quand vous recevrez cette lettre ; mais qu’importe ? pourvu qu’elle vous trouve en bonne santé. J’attends vendredi avec de grandes impatiences : voilà comme je suis à toujours pousser le temps avec l’épaule, et c’est ce que je n’aimois point à faire, et que je n’avois fait de ma vie, trouvant toujours que le temps marche assez, sans qu’on le hâte d’aller.

Mme de la Fayette me mande qu’elle vous va écrire. Je crois qu’elle n’aura pas manqué de vous apprendre que la M***[944] entra l’autre jour chez la Reine à la comédie espagnole, tout effarée, ayant perdu la tramontane dès le premier pas. Elle prit la place de Mme du Fresnoi[945] ; on se moqua d’elle, comme d’une folle très-mal apprise.

L’autre jour Pomenars passa par ici. Il venoit de Laval, où il trouva une grande assemblée de peuple ; il demanda ce que c’étoit. « C’est, lui dit-on, que l’on pend en effigie un gentilhomme qui avoit enlevé la fille de M. le comte de Créance[946]. »

Cet homme-là, Sire, c’étoit lui-même[947].

Il approcha, il trouva que le peintre l’avoit mal habillé ; il s’en plaignit ; il alla souper et coucher chez le juge qui l’avoit condamné. Le lendemain il vint ici pâmant de rire ; il en partit cependant dès le grand matin, le jour d’après.

Pour des devises, hélas ! ma fille, ma pauvre tête n’est guère en état de songer, ni d’imaginer. Cependant, comme il y a douze heures au jour, et plus de cinquante à la nuit, j’ai trouvé dans ma mémoire une fusée poussée fort haut, avec ces mots :

Che peri, pur che s’inalzi.

Plut à Dieu que je l’eusse inventée ! je la trouve toute faite pour Adhémar : Qu’elle périsse, pourvu qu’elle s’élève ! Je crains de l’avoir vue dans ces quadrilles ; je ne m’en souviens pourtant pas précisément ; mais je la trouve si jolie, que je ne crois point qu’elle vienne de moi[948]. Je me souviens bien d’avoir vu dans un livre, au sujet d’un amant qui avoit été assez hardi pour se déclarer, une fusée en l’air, avec ces mots : Da l’ardore l’ardire[949] : elle est belle, mais ce n’est pas cela. Je ne sais même si celle que je voudrois avoir faite est dans la justesse des devises ; je n’ai aucune lumière là-dessus ; mais en gros elle m’a plu ; et si elle étoit bonne, et qu’elle se trouvât dans les quadrilles, ou dans un cachet, ce ne seroit pas un grand mal : il est difficile d’en faire de toutes nouvelles. Vous m’avez entendue mille fois ravauder sur ce demi-vers du Tasse que je voulois employer à toute force, l’alte non temo[950]. J’ai tant fait que le comte des Chapelles a fait faire un cachet avec un aigle qui approche du soleil, l’alte non temo ; il est joli. Ma pauvre enfant, peut-être que tout cela ne vaut rien, et je ne m’en soucierai guère, pourvu que vous vous portiez bien.


1671

219. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 15e novembre.

Quand je vous ai demandé si vous n’aviez point jeté mes dernières lettres, c’étoit un air : car, de bonne foi, quoiqu’elles ne méritent point tout l’honneur que vous leur faites, je crois qu’après avoir gardé celles que je vous écrivois quand vous faisiez des poupées, vous garderez encore celles-ci ; mais il n’y a plus de cassettes capables de les contenir : hélas ! il faudra des coffres.

Je ne crois pas qu’il y ait rien de plus plaisant que ce que vous dites du nom d’Adhémar. Enfin la seule rature de ses lettres, c’est à la signature[951]. Je suis bien empêchée pour le nom du régiment[952] ; je vous en ai mandé mon avis. Vous savez comme je suis pour Adhémar, et que je voudrois le maintenir au péril de ma vie ; mais je crains que nous ne soyons pas les plus forts. Pour la devise, elle est jolie :

Che peri, pur che m’inalzi[953].

Voilà le vrai discours d’un petit glorieux, d’un petit ambitieux, d’un petit téméraire, d’un petit impétueux, d’un petit maréchal de France. J’ai bien envie d’en savoir votre avis, et où je l’ai pêchée ; car je ne crois pas l’avoir faite. Pour M. de Grignan, ah ! je le crois ; je suis assurée qu’il aime mieux une grive que vous ; et si cela est, j’aime mieux un hibou que lui. Qu’il s’examine ; je l’aime comme il vous aime, à proportion. Je sais bien toujours qu’il y a une chose qui m’en fera juger. Mais, ma fille, n’admirez-vous point les erreurs et les contre-temps que fait l’éloignement ? Je suis en peine de vous quand vous êtes en bonne santé ; et quand vous serez malade, une de vos lettres me redonnera de la joie ; mais cette joie ne peut être longue ; car enfin il faut accoucher, et c’est cela qui vient dans le milieu du cœur, et qui trouble avec raison, jusqu’à ce que j’apprenne votre heureux accouchement. Vous êtes donc résolue d’accoucher à Lambesc ? Avez-vous votre chirurgien ? La petite Deville me mande que vous le connoissez : c’est beaucoup. Je crains qu’il ne soit jeune, puisqu’il vous saigne, et les jeunes gens n’ont guère d’expérience. Enfin je ne sais ce que je dis ; mais ayez soin de vous par-dessus toutes choses. Vos expériences doivent vous avoir rendue sage ; pour moi, je suis d’une capacité qui me surprend.

Vous ai-je dit que je faisois planter la plus belle place du monde ? Je me plante moi-même au milieu de la place, où personne ne me tient compagnie, parce qu’on meurt de froid. La Mousse fait vingt tours pour s’échauffer ; l’abbé va et vient pour nos affaires ; et moi, je suis là fichée avec ma casaque, à penser à la Provence ; car cette pensée ne me quitte jamais. Je voudrois bien apprendre ici les nouvelles de votre accouchement. La fatigue des chemins et ma violente inquiétude ne me paroissent pas deux choses qu’on puisse supporter à la fois.

Mandez-moi de bonne foi quel nom prendra Adhémar : je le trouve empêché. M. de Grignan défend Grignan, et a raison ; Rouville[954] défend l’autre ; il faudra se réduire au petit glorieux[955]. Adieu, ma très-chère et très-aimable ; je crois que vous m’aimez, et le croirai tant que vous voudrez : comment pourrois-je vivre sans le croire[956] ?

Vous voulez savoir si nous avons encore des feuilles vertes ; oui, beaucoup : elles sont mêlées d’aurore et de feuille-morte, cela fait une étoffe admirable.

Voilà deux bonnes veuves, Mme de Senneterre[957] et Mme de Leuville[958] : l’une est plus riche que l’autre, mais l’autre est plus jolie que l’une. Vous ne me dites rien de votre Assemblée ; elle dure plus que nos états. Parlez-moi au moins de votre santé ; et pour ce que vous appelez des fadaises, je ne trouve que cela de bon. Hélas ! si vous les haïssiez, vous n’auriez qu’à brûler mes lettres sans les lire.

Notre abbé vous embrasse paternellement ; il vous conjure de faire, pendant que vous y serez, tous les enfants que vous voudrez faire, et de n’en point garder pour quand nous arriverons. Adieu, ma chère enfant, je vous recommande ma vie.



1671

220. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 18e novembre.

Eh mon Dieu ! ma chère enfant, en quel état vous trouvera cette lettre ! Il sera le 28e du mois ; vous serez accouchée, je l’espère, et très-heureusement ; j’ai besoin de me dire souvent ces paroles pour me soutenir le cœur, qui est quelquefois tellement pressé que je ne sais qu’en faire ; mais il est bien naturel d’être comme je suis dans une occasion comme celle-ci. J’attends mes vendredis, et je supplie ceux qui se sont divertis à prendre vos lettres de finir ce jeu jusqu’à ce que vous soyez accouchée. On en veut aussi aux miennes : j’en suis au désespoir ; car vous savez qu’encore que je ne fasse pas grand cas de mes lettres, je veux pourtant toujours que ceux à qui je les écris les reçoivent : ce n’est jamais pour d’autres, ni pour être perdues, que je les écris. J’ai donc regret à tout ce que vous ne recevez pas. Quelle vision de prendre une de mes lettres ! Il me semble que nous sommes à un degré de parenté qui ne donne point de curiosité : voilà qui est insupportable ; n’en parlons plus. De la façon dont M. d’Hacqueville m’écrit, Mme de Montausier est morte ; il l’avoit laissée à l’agonie. S’il faut écrire à M. de Montausier et à Mme de Crussol[959], me voilà plus empêchée que quand Adhémar écrivit au Roi et aux ministres. Je ne saurois plus écrire depuis que mes lettres ne vont point à vous ; me voilà demeurée tout court. Je songe quelquefois que, pendant que je me creuse la tête, on tire peut-être le canon, on est aise, on se réjouit pour votre accouchement. Cela peut être, mais je ne le sais pas encore, et on languit en attendant. Il gèle à pierre fendre : je suis tout le jour à trotter dans ces bois ; il feroit très-beau s’en aller, et quand nous partirons la pluie nous accablera. Voilà de belles réflexions ; quand on n’a pas autre chose à dire, il vaudroit tout autant finir.


1671

221. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 22e novembre.

Madame de Louvigny[960] est accouchée d’un fils : vous voyez bien, ma chère enfant, que vous en aurez un aussi. Vous vous y attendez d’une telle sorte que, comme vous dites, la signora qui mit au monde une fille[961] ne fut pas plus attrapée que vous le seriez, si ce malheur vous arrivoit. Je fais prier Dieu sans cesse pour cet heureux moment, d’où dépend ma vie plus que la vôtre. Je ne crois pas que je puisse me résoudre à quitter ce lieu avant que d’en savoir des nouvelles. Cette sorte d’inquiétude ne se peut porter sur des chemins où je ne recevrois point de lettres. C’est donc vous, ma fille, qui m’arrêtez.

Je suis très-affligée de l’état où vous me représentez votre premier président[962] : c’est une perte considérable pour vous ; il faut que votre malheur soit bien fort pour tuer un homme de cet âge, et si bien fait, et d’une si belle physionomie. Si Dieu vous le rend, ce sera un miracle : je n’eusse jamais cru prendre un si grand intérêt à un premier président de Provence ; mais la Provence est mon pays, depuis que vous y êtes.

Enfin, voilà Mme de Richelieu à la place de Mme de Montausier[963]. Quelle joie pour bien des gens ! quel chagrin pour d’autres ! Voilà le monde. Vous êtes fort aimée dans cette maison : pour moi, je prends peu d’intérêt à tout cela, et ne conserve mes amis de la cour que dans la vue de vous être quelquefois bonne en votre absence. J’ai reçu une lettre de M. de Pompone, toute pleine d’une vraie et sincère amitié : il est bien content du Roi son maître ; il ne trompera personne dans la bonne opinion qu’on a de lui.

Je ne doute nullement de l’histoire d’Auger, et n’en ai jamais douté : c’est une vision de Mme de la Fayette, fondée sur la folie de M. de Coulanges ; présentement, elle la croit comme moi. L’hiver est ici dans toute son horreur : je suis dans les jardins, ou au coin de mon feu. On ne peut s’amuser à rien ; quand on est loin de ses tisons, il faut courir. Je passerai encore deux vendredis aux Rochers, où j’espère que j’apprendrai votre heureux accouchement. M. de Grignan est obligé d’avoir soin de moi, comme j’ai eu soin de lui en pareille occasion.


1671

222. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 25e novembre.

J’ai appris par mes lettres de Paris la mort de votre premier président : je ne puis vous dire combien j’en suis affligée[964]. Il étoit fort honnête homme et fort aimable de sa personne ; mais ce qui me le rendoit très-considérable, c’est l’amitié qui étoit entre vous ; c’est de penser à ce que vous étoit une si bonne liaison ; et quand je me suis bien creusée sur ce sujet, je me retourne, et je trouve dans mon cœur l’inquiétude de votre santé, et la pensée de votre accouchement. Je ne sais comment je n’ai pas eu l’esprit de vous conseiller ce que vous avez fait, moi qui craignois également de vous voir affronter la petite vérole à Aix, ou retourner sur vos pas à Grignan : il n’y avoit qu’à ne bouger d’où vous êtes ; vous avez pris le bon parti. Je crois que vous aurez été saignée, je crois que vous aurez été prévoyante : je crois enfin, et j’espère que tout ira bien. Mme de Louvigny vous a donné un très-bon exemple ; mais dans l’attente de cette nouvelle, on souffre beaucoup ; je voudrois bien la recevoir ici. J’attends vendredi de vos lettres avec mon impatience ordinaire. Je crois que vous me parlerez bien aussi de la mort de ce pauvre homme ; je crains qu’elle ne vous ait émue, et ne vous ait fait beaucoup de mal en l’état où vous êtes. Je ne puis, ma très-chère, vous en dire davantage dans celui où je suis. Ce n’est pourtant pas manque de loisir, je vous en assure ; ce n’est pas manque aussi d’amitié pour vous ; au contraire, c’est ce qui me rend sensible à toutes les pensées de Provence, et qui fait que ne pouvant vous dire que des choses tristes, et trouvant que vous n’en avez pas besoin, je vous quitte après vous avoir tendrement embrassée.


1671

223. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 29e novembre.

Il m’est impossible, très-impossible de vous dire, ma chère fille, la joie que j’ai reçue en ouvrant ce bienheureux paquet qui m’a appris votre heureux accouchement. En voyant une lettre de M. de Grignan, je me suis doutée que vous étiez accouchée ; mais de ne point voir de ces aimables dessus de lettre de votre main, c’étoit une étrange affaire. Il y en avoit pourtant une de vous du 15e ; mais je la regardois sans la voir, parce que celle de M. de Grignan me troubloit la tête. Enfin je l’ai ouverte avec un tremblement extraordinaire, et j’ai trouvé tout ce que je pouvois souhaiter au monde. Que pensez-vous qu’on fasse dans ces excès de joie ? Demandez au Coadjuteur ; vous ne vous y êtes jamais trouvée. Savez-vous donc ce que l’on fait ? Le cœur se serre, et l’on pleure sans pouvoir s’en empêcher ; c’est ce que j’ai fait, ma très-belle, avec beaucoup de plaisir : ce sont des larmes d’une douceur qu’on ne peut comparer à rien, pas même aux joies les plus brillantes. Comme vous êtes philosophe, vous savez les raisons de tous ces effets. Pour moi, je les sens, et je m’en vais faire dire autant de messes pour remercier Dieu de cette grâce, que j’en faisois dire pour la lui demander. Si l’état où je suis duroit longtemps, la vie seroit trop agréable ; mais il faut jouir du bien présent, les chagrins reviennent assez tôt. La jolie chose d’accoucher d’un garçon, et de l’avoir fait nommer par la Provence[965] ! Voilà qui est à souhait. Ma fille, je vous remercie plus de mille fois des trois lignes que vous m’avez écrites ; elles m’ont donné l’achèvement d’une joie compléte. Mon abbé est transporté comme moi, et notre Mousse est ravi. Adieu, mon ange ; j’ai bien d’autres lettres à écrire que la vôtre.


1671

224 — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 2e décembre.

Enfin, ma bonne, après les premiers transports de ma joie, j’ai trouvé qu’il me faut encore vendredi des lettres de Provence, pour me donner une entière satisfaction. Il arrive tant d’accidents aux femmes en couche, et vous avez la langue si bien pendue, à ce que me dit M. de Grignan, qu’il me faut pour le moins neuf jours de bonne santé[966] pour me faire partir joyeusement. J’aurai donc mes lettres de vendredi, et puis je partirai, et je recevrai celles de l’autre vendredi à Malicorne[967]. Je suis tout étonnée de ne plus trouver sur mon cœur, ni le jour, ni la nuit, ce caillou que vous aviez mis par l’inquiétude de votre accouchement. Je me trouve si heureuse, que je ne cesse d’en remercier Dieu ; je n’espérois point d’en être si tôt quitte. J’ai reçu des compliments sans nombre et sans mesure, et du côté de Paris par mille lettres, et du côté de la Bretagne. On a bu la santé du petit bambin à plus d’une lieue autour d’ici : j’ai donné de quoi boire, j’ai donné à souper à mes gens, ni plus ni moins que la veille des Rois. Mais rien ne m’a été plus agréable que le compliment de Pilois, qui vint le matin avec sa pelle sur le dos, et me dit : « Madame, je viens me réjouir, pas moins, parce qu’on m’a dit que Madame la Comtesse étoit accouchée d’un petit gars. » Cela vaut mieux que toutes les phrases du monde. M. de Montmoron[968] est couru ici ; entre plusieurs propos, on a parlé de devises ; il y est très-habile. Il dit qu’il n’a jamais vu en aucun lieu celle que je conseille à Adhémar. Il connoît celle de la fusée avec les mots : da l’ardore l’ardire ; mais ce n’est pas cela : l’autre est plus parfaite, à ce qu’il dit :

Che peri, pur che m’inalzi.

Soit qu’elle vienne de chez moi, ou d’ailleurs, il la trouve admirable.

Mais que dites-vous de M. de Lauzun ? Vous souvient-il quelle sorte de bruit il faisoit il y a un an ? Qui nous eût dit : « Dans un an il sera prisonnier[969], » l’eussions-nous cru ? VanÍté des vanités ! et tout est vanité.

On dit que la nouvelle Madame n’est point du tout embarrassée de la grandeur de son rang[970]. On dit qu’elle ne fait pas cas des médecins et encore moins des médecines. On vous mandera comme elle est faite. Quand on lui présenta son médecin, elle dit qu’elle n’en avoit que faire, qu’elle n’avoit jamais été ni saignée, ni purgée : que quand elle se trouvoit mal, elle faisoit deux lieues à pied, et qu’elle étoit guérie : Lasciamo la andar, che farà buon viaggio[971].

Vous voyez bien que je vous écris comme à une femme qui sera dans son vingt-deux ou vingt-troisième jour de couche. Je commence même à croire qu’il est temps de faire souvenir M. de Grignan[972] de la parole qu’il m’a donnée. Enfin songez que voici la troisième fois que vous accouchez au mois de novembre ; ce sera au mois de septembre cette fois si vous ne le gouvernez ; demandez-lui cette grâce en faveur du joli présent que vous lui avez fait. Voici encore un autre raisonnement : vous avez beaucoup plus souffert que si on vous avoit rouée ; cela est certain. Ne seroit-il point au désespoir[973], s’il vous aime, que tous les ans vous souffrissiez un pareil supplice ? Ne craint-il point, à la fin, de vous perdre ? Après toutes ces bonnes raisons, je n’ai plus rien à dire, sinon que, par ma foi, je n’irai pas en Provence si vous êtes grosse ; je souhaite que ce lui soit une menace : pour moi, j’en serois désespérée ; mais je soutiendrai la gageure : ce ne sera pas la première fois que je l’aurai soutenue.

Adieu, divine Comtesse ; je baise le petit enfant, je l’aime tendrement ; mais j’aime bien Madame sa mère, et de longtemps ce degré ne lui passera par-dessus la tête[974]. J’ai fort envie de savoir de vos nouvelles, de celles de l’Assemblée, de l’effet de votre baptême : un peu de patience et je saurai tout ; mais vous savez que c’est une vertu qui n’est guère à mon usage. J’embrasse M. de Grignan et les autres Grignans. Mon abbé vous honore, et la Mousse.


1671

225. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GUITAUT.

Ce 2e décembre, aux Rochers.

Je juge de la joie que vous donne l’accouchement de Provence, par la tristesse que m’a donnée la longueur de votre mal : cette mesure est assez juste ; j’en ai parlé plusieurs fois à M. d’Hacqueville, et je vois bien qu’il ne vous en a pas fait un secret. Je ne sais quand vous délogez ; mais je serai avant Noël à Paris ; et en quelque lieu que vous soyez, je trouverai bien le moyen de passer quelque soirée avec vous. Nous avons mille choses à dire, et pourvu que nous n’ayons que Mme de Guitaut pour témoin de nos confiances, je suis assurée que nous ne nous en repentirons point. J’ai besoin de vos raisonnements pour me consoler de la mort de M. d’Oppède ; je la vois par un côté qui me la fait paroître fort mauvaise pour nos amis. J’attendrai vos lumières ; celles de Bretagne ne sont pas fort claires. Pour M. de Lauzun, on me mande que personne n’en sait encore plus que moi. Mais le sujet de moraliser est grand, quand on se souvient de l’année passée justement dans ce temps-ci. Peut-on oublier cet endroit quand on vivroit mille ans ? Et le voilà avec M. Foucquet. Adieu, Monsieur, je remets le reste au coin de votre feu ; mais je veux qu’en attendant vous soyez persuadé que je vous honore et vous estime de tout mon cœur.

Et vous aussi, Madame, je reçois avec beaucoup de joie la proposition que vous me faites pour mon petit-fils. J’avois dessein de vous prévenir de bonne heure ; ce n’étoit point pour rien que j’avois tant de soin de vous pendant ce feu[975] : j’avois mes desseins, soit que vous eussiez un fils ou une fille. Mais que je vous loue de vouloir faire une héritière ! Si Messieurs vos maris vous aimoient tant, Mesdames, voudroient-ils vous faire souffrir tous les ans un plus grand supplice que ne sont ceux des roués ? Voilà comme je regarde vos rechutes, et c’est la vraie manière dont on les doit regarder. Je me tue d’en écrire en Provence, et je menace que si ma fille est encore grosse et toujours grosse, je n’irai point les voir ; je verrai s’ils me souhaitent. Cependant, Madame, j’aurai bientôt l’honneur de vous voir, et ma destinée est tellement d’être votre voisine, que je vais loger à Pâques tout auprès de la maison que vous avez louée. Vous pourriez, Madame, avoir une plus agréable compagnie, mais non pas une qui vous soit plus acquise, ni qui soit plus sincèrement votre très-humble et très-obéissante servante.

M. de Rabutin Chantal.

Suscription : À Monsieur, Monsieur le comte de Guitaut.


1671

226. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 6e décembre.

Ces dernières lettres ne m’étoient pas moins nécessaires pour mon repos, que celles que je reçus il y a huit jours. Ce fut une joie si parfaite pour moi que celle de votre heureux accouchement, que ne pouvant demeurer en cet état, je me tourmentai des accidents qui peuvent arriver après. Il me falloit donc ces secondes lettres, et les voilà, ma fille, telles que je pouvois les souhaiter. Vous avez eu la colique ; vous avez eu la fièvre de votre lait ; mais vous voilà quitte de tout. Votre fils a été trois heures sans pisser, à ce que me dit le Coadjuteur ; vous étiez déjà tout épouvantée : ah ! vraiment, vous voilà bien plaisante avec votre amour maternel : quelle folie ! est-ce qu’on aime cela ? Il est blond, c’est ce qui vous charme ; vous aimez les blondins : voilà qui est bien honnête. M. de Grignan fait fort bien d’en être jaloux : vous le quittez, dit-il, pour le premier venu ; c’est pour le dernier venu qu’il veut dire. Enfin ce garçon-là fera bien des jaloux. Le Coadjuteur m’écrit des détails dignes de M. Chais ou de Mme Robinet[976]. Il me semble que vous jouez aux petits soufflets avec le Coadjuteur, n’est-il point vrai ? Je souhaite que ma présence ne vous redonne point son amitié ; c’est un bonheur pour vous que je serai bien aise de trouver tout établi.

Approchez, Monsieur le secrétaire[977] : vous riez de ma devise ; vous dites qu’elle est dans tous les livres, je le crois ; un habile homme pourtant sur cette matière ne l’a point trouvée[978] ; mais enfin je n’ai point cru l’avoir faite ; je conviens que d’autres l’ont imaginée ; mais avouez du moins qu’on ne peut vous l’appliquer sans vous faire plaisir.

Pour moi, ma chère enfant, n’ayant plus d’inquiétude sur votre compte, je pars dans trois jours. Je ne recevrai plus ici de vos lettres ; j’en aurai à Malicorne. Je ne puis assez vous remercier des petites lignes que vous mettez dans les lettres de ces Grignans.


Et vous, mon cher Comte, je vous plains ; je vois bien que vous n’êtes plus rien auprès de ce petit blondin. Voilà qui remettra la blancheur[979] dans votre maison, qui par malheur s’en étoit un peu éloignée ; mais cependant je vous demande pardon de la comparaison du hibou : il est vrai qu’elle est choquante ; mais j’étois outrée de la préférence que vous faisiez hautement d’une grive à ma fille : si vous vous en repentez, je m’en repentirai aussi. J’ai bien envie de savoir des nouvelles de votre Assemblée ; je voudrois bien que vous y pussiez faire l’affaire du Roi et la vôtre : il seroit fâcheux qu’elle se séparât sans rien conclure. Monsieur de Marseille m’accable de son amitié, et me rend compte de son démêlé avec le Coadjuteur, et de la santé de ma fille. Il a couru à Paris ce démêlé ; on me le mande, comme si je n’avois aucun commerce en Provence : hélas ! c’est mon vrai pays.

Adieu, mon très-cher, et vous, brave Adhémar, et vous, ma très-chère et très-aimable accouchée. Il faut que je vous dise, comme Barillon me disoit un jour : « Ceux qui vous aiment plus que moi vous aiment trop. » Quand on est si loin, on ne fait quasi rien, on ne dit quasi rien, qui ne soit hors de sa place. On pleure quand il faut rire ; on rit quand on devroit pleurer ; on craint pour les jeunes chirurgiens de soixante-quatre ans[980] : enfin, ma fille, ce sont les contre-temps de l’éloignement. J’y joins l’ignorance de la Provence, que je ne connois point. Vous avez un avantage qui vous empêche de me faire rire : c’est que vous connoissez ce pays-ci. Tout cela m’oblige de me rapprocher de vous, et d’aller ensuite en Provence afin de m’instruire.

Mme de Richelieu est assez bien placée ; si Mme Scarron y a contribué, elle est digne d’envie : sa joie[981] est la plus solide qu’on puisse avoir en ce monde. On me mande que Vardes revient[982].


1671

227. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 9e décembre.

Je pars tout présentement, ma fille, pour m’en aller à Paris. Je quitte avec regret cette solitude, quand je songe que je ne vous trouverai pas. Sans la Provence, je doute que j’y fusse retournée cet hiver ; mais le dessein que j’ai de faire ce voyage me fait prendre cette avance, n’étant pas possible d’y aller d’ici, ni de passer à Paris comme on passe à Orléans. Me voilà donc partie ; je m’en vais coucher chez Mme de Loresse votre parente[983], pour éviter le pavé de Laval. J’y serai demain, et vendredi j’enverrai à Laval querir mes lettres, où l’on me les doit adresser ; et on me viendra trouver à Meslay, où je coucherai ; après cela je n’en espère plus qu’à Paris. Si pendant cette marche vous étiez aussi quelque ordinaire sans recevoir de mes nouvelles, vous n’en serez point en peine. Je ne suis ni grosse, ni accouchée, ni téméraire en carrosse ; je n’ai point de pont d’Avignon à passer ; le temps est très-beau ; mon voyage ira son train ; et comme je ne suis plus en peine de vous, il n’y a plus rien à craindre pour moi. Je suis accablée de compliments pour la naissance de mon joli petit-fils. Je serai fort aise de savoir encore de ses nouvelles vendredi, et des vôtres encore davantage.

Le pauvre M. de Lauzun est à Pignerol. M. d’Harouys en est très-affligé ; mais il me mande que la joie de votre accouchement, et le nom et la naissance de votre fils, se sont fait un passage au travers de sa tristesse ; et je l’assure aussi, en récompense, que sa tristesse s’est fait un passage au travers de ma joie.

Adieu, ma chère enfant, il faut partir : je suis épouvantée du regret que j’ai de quitter ces bois. Je ne veux point vous dire la part que vous avez à mon indifférence pour Paris : vous ne savez que trop combien vous m’êtes chère.


1671

228. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Malicorne, dimanche 13e décembre.

Enfin, ma chère fille, me voilà par voie et par chemin, par le plus beau temps du monde. Je fais fort bien une lieue ou deux à pied aussi bien que Madame[984]. Pour la Mousse, il court comme un perdu ; il est un peu embarrassé de ne pas bien dormir, car il ne sait point n’être pas à son aise. Je partis donc mercredi, comme je vous l’avois mandé. Je vins à Loresse, où l’on me donna deux chevaux ; je consentis à la violence qu’on me fit pour les accepter. Nous avons quatre chevaux à chaque calèche : cela va comme le vent. Vendredi j’arrive à Laval, j’arrête à la poste ; je vois arriver justement cet honnête homme, cet homme si obligeant, crotté jusqu’au cul, qui m’apportoit votre lettre ; je pensai l’embrasser. Vous jugez bien, à m’entendre parler ainsi, que je ne suis point en colère contre la poste. En effet, ce n’est point elle qui a eu tort. C’est assurément, comme vous avez dit, des ennemis du petit Dubois, qui le voyant se vanter de notre commerce, et se panader[985] dans les occupations qu’il lui donnoit, ont pris plaisir à lui donner le déplaisir de lui dérober nos lettres. D’abord je ne m’en suis pas aperçue, parce que je croyois que vous ne m’écriviez qu’une fois la semaine ; mais quand j’ai su que vous m’écriviez deux, il seroit malaisé de vous exprimer les regrets et les douleurs que j’ai eus de cette perte. Je reviens à la joie que j’eus de recevoir vos deux lettres dans un même paquet, de la main crottée de ce postillon. Je vis défaire la petite malle devant moi ; et en même temps, frast, frast, je démêle le mien, et je trouve enfin, ma fille, que vous vous portez bien. Vous m’écrivez dans la lettre d’Adhémar ; et puis vous m’écrivez de votre chef au coin de votre feu, le seizième de votre couche. Rien n’est pareil à la joie sensible que me donna cette assurance de votre santé. Je vous conjure de n’en point abuser ; ne m’écrivez point de grandes lettres ; restaurez-vous, et craignez de vous épuiser. Hélas ! mon enfant, vous avez été cruellement malade ; je serois morte de voir un si long travail. On vous saigna enfin, on commençoit d’avoir peur : quand je pense à cet état, j’en suis troublée, et j’en tremble, et je ne puis encore me rendormir sur cette pensée, tant elle m’effraye l’imagination.

J’ai mandé à Mme de la Fayette et à M. d’Hacqueville ce que vous me mandez ; j’eus la même pensée, et je trouvois que la Marans devoit être contente, ou plutôt malcontente, puisqu’elle n’avoit pas sujet d’exercer ses obligeantes et modestes pensées[986] : je trouve plaisant que vous ayez songé à elle. Mais la poste m’attend, comme si j’étois gouvernante du Maine, et je prends plaisir de la faire attendre, par grandeur.

Je veux parler de mon petit garçon. Ah ! ma fille, qu’il est joli ! Ses grands yeux sont bien une marque de votre honnêteté ; mais c’est assez, je vous prie que le nez ne demeure pas longtemps entre la crainte et l’espérance : que cela est plaisamment dit ! Cette incertitude est étrange ; jamais un petit nez n’eut tant à craindre ni à espérer : il y a bien des nez entre les deux, qu’il peut choisir. Puisqu’il a de grands yeux, qu’il songe à vous contenter. Vous n’auriez que la bouche, puisqu’elle est petite ; ce ne seroit pas assez. Ma fille, vous l’aimez follement ; mais donnez-le bien à Dieu, afin qu’il vous le conserve. D’où vient qu’il est si foible ? N’est-ce point ce qui l’empêchoit de s’aider pendant votre travail ? car j’ai ouï dire aux femmes qui ont eu des enfants, que c’est cette foiblesse qui fait qu’on est bien malade. Enfin conservez bien ce cher enfant ; mais donnez-le à Dieu, si vous voulez qu’il vous le donne : cette répétition est d’une grand’mère chrétienne. Mme Pernelle[987] en diroit autant ; mais elle diroit bien.

Adieu, ma très-chère enfant ; enfin la patience échappe à mon ami le postillon, je ne veux pas abuser de son honnêteté. Je ne recevrai de vos lettres qu’à Paris. Je serai ravie d’embrasser ma pauvre petite ; vous ne la regardez pas ; et moi je veux l’aimer, et prendre sa protection par excès de générosité.


1671

229. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET D’EMMANUEL DE COULANGES À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 18e décembre.
de madame de sévigné.

J’arrive tout présentement, ma très-chère bonne. Je suis chez ma tante[988], entourée, embrassée, questionnée de toute ma famille et de la sienne ; mais je quitte tout pour vous dire bonjour, aussi bien qu’aux autres. M. de Coulanges m’attend pour m’amener chez lui, où il dit que je loge, parce qu’un fils de Mme de Bonneuil[989] a la petite vérole chez moi. Elle avoit dessein très-obligeamment d’en faire un secret, mais on a découvert le mystère ; on a mené ma petite chez M. de Coulanges ; je l’attends pour retourner avec elle, parce que ma tante veut voir mon entrevue. C’eût été une chose fâcheuse pour moi que d’exposer cet enfant, et d’être bannie, durant six semaines, du commerce de mes amis, parce que le fils de Mme de Bonneuil a la petite vérole.

Me voilà donc chez Mme de Sanzei[990] et M. de Coulanges, que j’adore parce qu’il me parle de vous ; mais savez-vous ce qui m’arrive ? c’est que je pleure, et mon cœur se serre si étrangement, que je lui fais signe de se taire, et il se tait. J’ai les yeux rouges, et on parle vitement d’autre chose, à condition pourtant qu’un jour je m’abandonnerai à parler de vous, tant que terre nous pourra porter, aux dépens de tout ce qui en pourra arriver. Il me conte que vous fermiez les yeux, que vous étiez dans ma chambre, et que… certainement, vous étiez à Paris, parce que voilà M. de Coulanges. Il m’a joué cela très-plaisamment, et je suis ravie que vous soyez encore un peu folle ; je mourois de peur que vous ne fussiez toujours Madame la gouvernante. Mon Dieu, que je m’en vais causer avec M. de Coulanges ! Je vous conjure de vous conserver vous-même, c’est-à-dire d’être vous-même le plus que vous pourrez : que je ne vous trouve point changée. Songez aussi à votre beauté ; engraissez-vous, restaurez-vous, souvenez-vous de vos bonnes résolutions ; et si M. de Grignan vous aime, qu’il vous donne du temps pour vous remettre : autrement, c’en est fait pour jamais, vous serez toujours maigre comme Mme de Saint-Hérem[991]. Je suis ravie de vous donner cette idée ; rien ne vous doit faire plus de peur ; je suis aise d’avoir trouvé cette ressemblance : évitez-la donc, car vous savez que vous m’êtes chère en tout et partout, et votre personne tout entière. Pour votre petit fils, l’état où il a été ne raccommode pas le chocolat avec moi ; je suis persuadée qu’il a été brûlé, et c’est un grand bonheur qu’il ait été humecté et qu’il se porte bien : le voilà sauvé, je m’en réjouis avec vous[992]. Ne craignez point qu’il tette trop. Je n’ai reçu qu’une lettre de vous cette semaine ; je crois que j’en ai perdu une, car j’en dois avoir deux, aussi bien qu’en Bretagne.

d’emmanuel de coulanges.

Je ferme les yeux, et quand je les ouvre, je vois cette mère-beauté[993] qui fait vos délices et les miens, et cela me fait voir que je suis à Paris. Je m’en vais bien l’entretenir de toutes vos perfections. Savez-vous hien que je suis plus entêté de-vous que jamais, et que je suis. tout prêt de prendre la place du chevalier de Breteuil[994] ? Je sais que cette place ne plaît point à M. de Grignan, et c’est ce qui me retient dans une si grande entreprise. En vérité, Madame la Comtesse, vous êtes un chef-d’œuvre de la nature, et c’est de ce mot dont je me sers pour parler de vous. Je fus hier chez M. de la Rochefoucauld ; je m’y trouvai en tiers avec lui et M. de Longueville ; il y fut beaucoup question de la Provence, et le tout pour parler de vous[995]. Adieu, ma belle Comtesse, je vous vois d’ici dans votre lit : que vous y êtes belle ! je vois votre chambre, je vois cet homme dans votre tapisserie, qui découvre sa poitrine : croyez que si vous voyiez la mienne à l’heure qu’il est, vous verriez mon cœur comme vous voyez le sien : il est à vous, ce cœur ; il languit pour vous ; mais ne le dites pas à M. de Grignan. Votre fille est une petite beauté brune, fort jolie : la voilà, elle me baise et me bave[996], mais elle ne crie jamais ; elle est belle ; mais je l’aime assurément beaucoup moins que vous. Il n’y a plus moyen de parler de vous à cette mère-beauté, les grosses larmes lui tombent des yeux : mon Dieu, quelle mère !

de madame de sévigné.

Quoi ! on ne connoît point les restringents en Provence ? Hélas ! que deviennent donc les pauvres maris, et les pauvres… je ne veux pas croire qu’il y en ait[997].


230. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 23e décembre.

Je vous écris par provision, ma bonne, parce que je veux causer avec vous. Un moment après que j’eus envoyé mon paquet le jour que j’arrivai, le petit Dubois m’apporta celui que je croyois égaré : vous pouvez penser avec quelle joie je le reçus. Je n’y pus faire réponse, parce que Mme de la Fayette, Mme de Saint-Géran, Mme de Villars, me vinrent embrasser. Vous avez tous les étonnements que doit donner un malheur comme celui de M. de Lauzun[998] ; toutes vos réflexions sont justes et naturelles, tous ceux qui ont de l’esprit les ont faites ; mais on commence à n’y plus penser : voici un bon pays pour oublier les malheureux. On a su qu’il avoit fait son voyage dans un si grand désespoir, qu’on ne le quittoit pas d’un moment. On le voulut faire descendre de carrosse dans un endroit dangereux ; il répondit : « Ces malheurs-là ne sont pas faits pour moi. » Il dit qu’il est très-innocent à l’égard du Roi ; mais que son crime est d’avoir des ennemis trop puissants. Le Roi n’a rien dit, et ce silence déclare assez la qualité de son crime. Il crut que l’on le laisseroit à Pierre-Encise[999], et commençoit à Lyon à faire ses compliments à M. d’Artagnan[1000] ; mais quand il sut qu’on le menoit à Pignerol, il soupira, et dit : « Je suis perdu. » On avoit grand’pitié de sa disgrâce dans les villes où il passoit. Pour vous dire le vrai, elle est extrême.

Le Roi envoya querir le lendemain M. de Marsillac, et lui dit : « Je vous donne le gouvernement de Berri qu’avoit Lauzun. » Marsillac répondit : « Sire, Votre Majesté, qui sait mieux les règles de l’honneur que personne du monde, se souvienne, s’il lui plaît, que je n’étois pas ami de M. de Lauzun ; qu’elle ait la bonté de se mettre un moment en ma place, et qu’elle juge si je dois accepter la grâce qu’elle me fait. » Le Roi lui dit : « Vous êtes trop scrupuleux, Monsieur le prince : j’en sais autant qu’un autre là-dessus ; mais vous n’en devez faire aucune difficulté. — Sire, puisque Votre Majesté l’approuve, je me jette à ses pieds pour la remercier. — Mais, dit le Roi, je vous ai donné une pension de douze mille francs, en attendant que vous eussiez quelque chose de mieux. — Oui, Sire, je la remets entre vos mains. — Et moi, dit le Roi, je vous la redonne encore une fois, et je m’en vais vous faire honneur de vos beaux sentiments. » En disant cela, il se tourna vers les ministres, leur conta les scrupules de M. de Marsillac, et dit : « J’admire la différence ; jamais Lauzun n’avoit daigné me remercier du gouvernement de Berri ; il n’en avoit pas pris les provisions ; et voilà un homme comblé de reconnoissance. » Tout ceci est extrêmement vrai ; M. de la Rochefoucauld me le vient de conter. J’ai cru que vous ne haïriez pas ces détails ; si je me trompois, ma bonne, mandez-le moi. Le pauvre homme est très-mal de sa goutte, et bien pis que les autres années : il m’a bien parlé de vous, et vous aime toujours comme sa fille. Le prince de Marsillac[1001] m’est venu voir, et l’on me parle toujours de ma chère enfant. J’ai enfin pris courage ; j’ai causé deux heures avec M. de Coulanges ; je ne le puis quitter : c’est un grand bonheur que le hasard m’ait fait loger chez lui.

Je ne sais si vous aurez su que Villarceaux, parlant au Roi d’une charge pour son fils, prit habilement l’occasion de lui dire qu’il y avoit des gens qui se mêloient de dire à sa nièce[1002] que Sa Majesté avoit quelque dessein pour elle ; que si cela étoit, il le supplioit de se servir de lui ; que l’affaire seroit mieux entre ses mains que dans celles des autres, et qu’il s’y emploieroit avec succès. Le Roi se mit à rire, et dit : « Villarceaux, nous sommes trop vieux, vous et moi, pour attaquer des damoiselles de quinze ans ; » et, comme un galant homme, se moque de lui, et conta ce discours chez les dames. Ce sont des vérités que tout ceci. Les Anges sont enragées, et ne veulent plus voir leur oncle, qui, de son côté, est fort honteux. Il n’y a nul chiffre à tout ceci ; mais je trouve que le Roi fait partout un si bon personnage, qu’il n’est point besoin de mystère quand on en parle.

On a trouvé, dit-on, mille belles merveilles dans les cassettes de M, de Lauzun[1003] ; des portraits sans compte et sans nombre, des nudités, une sans tête, une autre les yeux crevés (c’est votre voisine[1004]) : des cheveux grands et petits, des étiquettes pour éviter la confusion : à l’un grison d’une telle, à l’autre mousson de la mère, à l’autre blondin pris en bon lieu, ainsi mille gentillesses[1005] : mais je n’en voudrois pas jurer, car vous savez comme on invente dans ces occasions.

J’ai vu M. de Mesmes[1006], qui enfin a perdu sa chère femme. Il a pleuré et sangloté en me voyant ; et moi, je n’ai jamais pu retenir mes larmes. Toute la France a visité cette maison ; je vous conseille d’y faire des compliments ; vous le devez par le souvenir de Livry que vous aimez encore.

J’ai reçu votre lettre du 13e ; c’est au bout de sept jours présentement. En vérité, je tremble de penser qu’un enfant de trois semaines ait eu la fièvre et la petite vérole. C’est la chose du monde la plus extraordinaire. Mon Dieu ! d’où vient cette chaleur extrême dans ce petit corps ? Ne vous a-t-on rien dit du chocolat ? Je n’ai point le cœur content là-dessus. Je suis en peine de ce petit dauphin ; je l’aime, et comme je sais que vous l’aimez, j’y suis fortement attachée. Vous sentez donc l’amour maternelle ; j’en suis fort aise. Eh bien ! moquez-vous présentement des craintes, des inquiétudes, des prévoyances, des tendresses, qui mettent le cœur en presse, du trouble que cela jette sur toute la vie ; vous ne serez plus étonnée de tous mes sentiments. J’ai cette obligation à cette petite créature. Je fais bien prier Dieu pour lui, et n’en suis pas moins en peine que vous. J’attends de ses nouvelles avec impatience ; je n’ai pas huit jours à attendre ici comme aux Rochers. Voilà le plus grand agrément que je trouve ici ; car enfin, ma bonne, de bonne foi, vous m’êtes toutes choses, et vos lettres que je reçois deux fois la semaine font mon unique et sensible consolation en votre absence. Elles sont agréables, elles me sont chères, elles me plaisent. Je les relis aussi bien que vous faites les miennes ; mais comme je suis une pleureuse, je ne puis pas seulement approcher des premières lignes[1007] sans pleurer du fond de mon cœur.

Est-il possible que les miennes vous soient agréables au point que vous me le dites ? Je ne les trouve point telles au sortir de mes mains ; je crois qu’elles deviennent ainsi quand elles ont passé par les vôtres : enfin, ma bonne, c’est un grand bonheur que vous les aimiez ; car, de la manière dont vous en êtes accablée, vous seriez fort à plaindre si cela étoit autrement. M. de Coulanges est bien en peine de savoir laquelle de vos Madames y prend goût : nous trouvons que c’est un bon signe pour elle ; car mon style est si négligé qu’il faut avoir un esprit naturel et du monde pour s’en pouvoir accommoder.

Je vous prie, ma bonne, ne vous fiez point aux deux lits ; c’est un sujet de tentation : faites coucher quelqu’un dans votre chambre. Sérieusement, ayez pitié de vous, de votre santé, et de la mienne.


Et vous, Monsieur le Comte, je verrai bien si vous me voulez en Provence : ne faites point de méchantes plaisanteries là-dessus. Ma fille n’est point éveillée, je vous réponds d’elle ; et pour vous, ne cherchez point noise. Songez aux affaires de votre province, ou bien je serai persuadée que je ne suis point votre bonne, et que vous voulez avoir la fin de la mère et de la fille.

Je reviens à vos affaires. C’est une cruelle chose que l’affaire du Roi soit si difficile à conclure. N’avez-vous point envoyé ici ? Si l’on vouloit vous remettre cinquante mille francs, comme à nous cent mille écus[1008], vous auriez bientôt fini. Ce seroit un grand chagrin pour vous, si vous étiez obligé de finir l’Assemblée sans rien conclure : et vos propres affaires, je ne vois pas qu’il en soit nulle question. J’ai envoyé prier l’abbé de Grignan[1009] de me venir voir, parce que Monsieur d’Uzès est un peu malade. Je voulois lui dire les dispositions où l’on est ici touchant la Provence et les Provençaux : on ne peut écrire tout ce que nous avons dit. Nous tâchons de ne pas laisser ignorer de quelle manière vous vous appliquez à servir le Roi dans la place où vous êtes ; je voudrois bien vous pouvoir servir dans celle où je suis. Donnez-m’en les moyens, ou pour mieux dire, souhaitez que j’aie autant de pouvoir que de bonne volonté. Adieu, Monsieur le Comte.


Je reviens à vous, Madame la Comtesse, pour vous dire que j’ai envoyé querir Pecquet pour discourir de la petite vérole de ce petit enfant : il en est épouvanté ; mais il admire sa force d’avoir pu chasser ce venin, et croit qu’il vivra cent ans après avoir si bien commencé.

Enfin j’ai parlé quinze ou seize heures à M. de Coulanges ! Je ne crois pas qu’on puisse parler à d’autres qu’à lui :

Çà, courage ! mon cœur, point de foiblesse humaine[1010] ;

et en me fortifiant ainsi, j’ai passé par-dessus mes premières foiblesses. Mais Catau[1011] m’a mise encore une fois en déroute ; elle entra, il me sembla qu’elle me devoit dire : « Madame, Madame vous donne le bonjour, elle vous prie de la venir voir. » Elle me reparla de tout votre voyage ; que quelquefois vous vous souveniez de moi. Je fus une heure assez impertinente. Je m’amuse à votre fille ; vous n’en faites pas grand cas, mais croyez-moi, nous vous le rendons bien : on m’embrasse, on me connoît, on me rit, on m’appelle. Je suis Maman tout court ; et de celle de Provence, pas un mot.

J’ai reçu mille visites de tous vos amis et les miens, cela fait une assez grande troupe. L’abbé Têtu a du temps de reste, à cause de l’hôtel de Richelieu qu’il n’a plus[1012] ; de sorte que nous en profitons. Mme de Soubise est grosse de quatre enfants, à voir son ventre.


Je reçois votre lettre du 16e. Je ne me tairai pas des merveilles que fait M. de Grignan pour le service de Sa Majesté ; je l’avois déjà fait aux occasions, et le ferai encore. Je verrai demain M. le Camus ; il m’est venu chercher, le seul moment que je fus chez M. de Mesmes. À propos, ma bonne, il ne faut pas seulement lui écrire, mais à Mme d’Avaux pour elle et son mari, et à d’Irval[1013], sur peine de la vie : les compliments ne suffisent pas en ces occasions. J’ai vu ce matin le Chevalier[1014] : Dieu sait de quoi nous avons parlé. J’attends Rippert avec impatience. Je serai ravie que les affaires de votre Assemblée soient finies ; mais où irez-vous achever l’hiver ? On dit que la petite vérole est partout : voilà de quoi me troubler. Vous faites un beau compliment à votre fille.

Au reste, le Roi part le 5e de janvier pour Châlons, et plusieurs autres tours, quelques revues en chemin faisant. Le voyage sera de douze jours ; mais les officiers et les troupes iront plus loin. Pour moi, je soupçonne encore quelque expédition comme celle de la Franche-Comté. Vous savez que le Roi est un héros de toutes les saisons[1015]. Les pauvres courtisans sont désolés ; ils n’ont pas un sou. Brancas me demandoit hier sérieusement si je ne voudrois point prêter sur gages, et m’assura qu’il n’en parleroit point, et qu’il aimoit mieux avoir affaire à moi qu’à un autre. La Trousse[1016] me prie de lui apprendre quelques-uns des secrets de Pomenars pour subsister honnêtement. Enfin, ils sont abîmés. Je la suis de la nouvelle que vous me mandez de M. Deville : quoi Deville ! quoi sa femme ! Les cornes me viennent à la tête, et pourtant je crois que vous avez raison[1017]. Voilà une lettre de Trochanire, songez à la réponse.

Voilà Châtillon[1018] que j’exhorte de vous faire un impromptu sur-le-champ. Il me demande huit jours, et je l’assure déjà qu’il ne sera que réchauffé, et qu’il le tirera du fond de cette gibecière que vous connoissez. Adieu, ma divine bonne, il y a raison partout ; cette lettre est devenue un juste volume. J’embrasse le laborieux Grignan, le Seigneur Corbeau, le présomptueux Adhémar, et le fortuné Louis de Provence, sur qui tous les astrologues disent que les Fées ont soufflé. E con questo mi raccomando[1019].


Et pour inscription : Livre dédié a Madame la comtesse de Grignan, mère de mon petit-fils[1020].


231. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, le jour de Noël.

Le lendemain que j’eus reçu votre lettre, qui fut hier, M. le Camus me vint voir. Je lui fis voir ce qu’il avoit à dire sur les soins, le zèle et l’application de M. de Grignan pour faire réussir l’affaire de Sa Majesté[1021]. M. de Lavardin vint aussi, qui m’assura qu’il en rendroit compte en bon lieu avant la fin du jour. Je ne pouvois trouver deux hommes plus propres à mon dessein : c’est la basse et le dessus. Le soir, j’allai chez Monsieur d’Uzès, qui est encore dans sa chambre ; nous parlâmes fort de vos affaires. Nous avions appris les mêmes choses, et le dessein qu’on avoit d’envoyer un ordre pour séparer l’Assemblée, et de leur faire sentir en quelque autre occasion ce que c’est que de ne pas obéir. Ce seroit une chose fâcheuse, car Dieu sait comme on diroit : « Voilà ce que c’est que de n’avoir plus le premier président. » Nous attendons Rippert avec impatience. Le voyage[1022] est toujours assuré, et même avancé d’un jour.

J’ai fort songé à M. et à Mme Deville ; leur chute me paroît étrange. On dit que votre maison est orageuse, et qu’on aura conduit cette affaire avec adresse. Il est vrai que les gens qui demandent leur congé serrent le cœur et font voir peu d’affection ; mais c’est la scène du Dépit amoureux, quand on ne le demande que par le désespoir de n’être plus bien avec la princesse[1023] — et puis il se fait une pelote de neige : le congé accordé est une douleur qui confirme la première. Peut-être que le grand air de Deville vous a fait résoudre sur-le-champ. Il n’est pas impossible que vous trouviez quelqu’un dans le pays pour remplir sa place ; mais rien ne vous consolera de sa femme. Elle est habile, elle s’entend aux enfants, et même j’ai appris que vous aviez dessein d’en faire la gouvernante de votre fils. C’étoit bien fait : elle est soigneuse, elle est affectionnée, et elle a de l’amour et de la conscience ; elle est ménagère et eût bien conservé tout ce qui eût été sous sa charge. Enfin je ne vous puis dire le regret que j’ai que vous ne l’ayez plus. J’avois l’esprit en repos de mille choses, en songeant qu’elle en auroit soin. Mandez-moi un peu plus au long toute cette histoire.

Au reste, ma bonne, j’ai le cœur serré, et très-serré de ne point vous avoir ici. Je serois bien plus heureuse s’il y avoit quelqu’un que j’aimasse autant que vous, je serois consolée de votre absence ; mais je n’ai pas encore trouvé cette égalité, ni rien qui en approche. Mille choses imprévues me font souvenir de vous par-dessus le souvenir ordinaire, et me mettent en déroute. Je suis en peine de savoir où vous irez après votre Assemblée. Aix et Arles sont empestés de la petite vérole ; Grignan est bien froid ; Salon[1024] est bien seul. Venez dans ma chambre, ma chère enfant, vous y serez très-bien reçue.

Adieu, vous en voilà quitte pour cette fois : ce ne sera point ici un second tome, je ne sais plus rien. Si vous vouliez me faire des questions, on vous répondroit. J’ai été cette nuit aux Minimes[1025] ; je m’en vais en Bourdaloue. On dit qu’il s’est mis à dépeindre les gens[1026], et que l’autre jour il fit trois points de la retraite de Tréville[1027] ; il n’y manquoit que le nom ; mais il n’en étoit pas besoin. Avec tout cela on dit qu’il passe toutes les merveilles passées, et que personne n’a prêché jusques ici. Mille compliments aux Grignans.

À onze heures du soir[1028].

Je vous ai écrit ce matin ; mais je reçois la lettre que vous m’avez écrite par Rippert : c’est Monsieur d’Uzès qui me l’envoie. Vous me rendez un très-bon compte des affaires de Provence. Dieu veuille que le Roi se contente de ce que les Provençaux ont résolu ! La peinture de leur tête, et du procédé qu’il faut tenir avec eux, est admirable, et le radoucissement de l’Évêque est naturel. Voilà Mme Scarron qui a soupé avec nous : elle dit que de tous les millions de lettres que Mme de Richelieu a reçues, celle de M. de Grignan étoit la meilleure ; qu’elle l’a eue longtemps dans sa poche, qu’elle l’a montrée ; qu’on ne sauroit mieux écrire, ni plus galamment, ni plus noblement,

ni plus tendrement pour feu Mme de Montausier[1029] ; enfin elle en a été ravie. J’ai juré que je vous le manderois. Je ferai part de votre lettre à d’Hacqueville et à M. le Camus. Je ne songe qu’à la Provence : je me trouve présentement votre voisine,

Et de Paris, je ne voi
Tout au plus que vingt semaines
Entre ma Philis et moi.

J’attendois votre frère : on le renvoie de la moitié du chemin à cause du voyage. J’ai été au sermon, mon cœur n’en a point été ému ; ce Bourdaloue,

Tant de fois éprouvé,
L’a laissé comme il l’a trouvé.

C’est peut-être ma faute. Adieu, mon enfant.


1671

232. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 30e décembre.

Une belle et sûre marque de la légère disposition que j’ai à ne pas vous haïr, c’est que je voudrois pouvoir vous écrire douze fois le jour. Cette pensée, ma fille, ne vous fait-elle point comme l’offre que vous faisoit M. de Coulanges, de passer sa vie avec vous ? En vérité, vous n’auriez pas peu d’affaires, car je vous écris aussi prolixement que j’écris laconiquement aux autres.

J’ai fort interrogé Rippert sur votre santé. Je ne suis point contente de vous, il faut que je vous gronde : vous avez traité votre accouchement comme celui de la femme d’un colonel suisse ; vous ne prenez point assez de bouillons ; vous avez caqueté dès le troisième jour ; vous vous êtes levée dès le dixième ; et vous vous étonnez après cela si vous êtes maigre. J’espérois que vous vous amuseriez à vous conserver, à vous restaurer, à vous rengraisser. Où avez-vous pris la fantaisie d’imiter Mme de Grussol ? Je tâche toujours de vous corriger par les exemples : cette conduite ne la change point, mais elle vous changera. Enfin c’est me fâcher et m’offenser, que de défigurer votre beau visage : vous savez comme je l’aime ; ne devriez-vous pas le conserver pour l’amour de moi ?

Vous dites bien, quand vous dites que la Provence est ma demeure fixe, puisque c’est la vôtre. Paris me suffoque, et je voudrois déjà être partie pour Grignan. Mais, ma fille, quelle solitude, si vous allez dans votre château ! Vous serez comme Psyché sur sa montagne[1030]. Je ne puis être contente où vous n’êtes pas : c’est une vérité que je sens à toute heure ! Vous me manquez partout, et tout ce qui me fait souvenir de vous me traverse le cœur. Le voyage du Roi devient incertain, quoique les troupes marchent. Le pauvre la Trousse s’en va, et Sévigné s’achemine déjà. Ils vont à Cologne : cette équipée les désespère.

Adieu, mon ange. M. de Coulanges vous adore. Je me trouve très-bien chez lui[1031], et je pousserai l’air de la petite vérole fort loin. Cette grande maison, où je ne trouve que Mme de Bonneuil, au lieu de vous, ne me donne nulle envie d’y retourner. M. de Coulanges m’est délicieux ; nous parlons sans cesse de vous. Je donnerai votre lettre à M. de la Rochefoucauld ; je suis assurée qu’il la trouvera très-bonne. Je hais le dessus de vos lettres où il y a : à Madame la marquise de Sévigné ; appelez-moi Pierrot[1032]. Les autres sont aimables, et donnent une disposition tendre à lire le reste.


1672

233. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, le 1er jour de l’an.

J’étois hier au soir chez Monsieur d’Uzés : nous résolûmes de vous envoyer un courrier. Il m’avoit promis de me faire savoir aujourd’hui le succès de son audience chez M. le Tellier, et même s’il vouloit que j’y menasse Mme de Coulanges[1033] ; mais comme il est dix heures du soir, et que je n’ai point de ses nouvelles, je vous écris tout simplement : Monsieur d’Uzès aura soin de vous instruire de ce qu’il a fait. Il faut tâcher d’adoucir les ordres rigoureux, en faisant voir que ce seroit ôter à M. de Grignan le moyen de servir le Roi, que de le rendre odieux à la province ; et quand on seroit obligé d’envoyer les ordres, il y a des gens sages qui disent qu’il en faudroit suspendre l’exécution jusqu’à la réponse de Sa Majesté, à laquelle M. de Grignan écriroit une lettre d’un homme qui est sur les lieux, et qui voit que pour le bien de son service il faut tâcher d’obtenir un pardon de sa bonté pour cette fois. Si vous saviez comme certaines gens blâment M. de Grignan, pour avoir trop peu considéré son pays en comparaison de l’obéissance qu’il vouloit établir, vous verriez bien qu’il est difficile de contenter tout le monde ; et s’il avoit fait autrement, ce seroit encore pis. Ceux qui admirent la beauté de la place où il est n’en savent pas les difficultés. Par exemple, n’êtes-vous pas à plaindre présentement ? Le voyage du Roi est entièrement rompu ; mais les troupes marchent toujours à Metz. Sévigné y est déjà ; la Trousse s’en va : tous deux plus chargés de bonnes intentions que d’argent comptant.

Voilà l’archevêque de Reims[1034] qui commence par vous faire mille compliments très-sincères. Il dit que Monsieur d’Uzès n’a point vu son père aujourd’hui ; il m’assure encore que le Roi est très-content de votre mari ; qu’il reçoit le présent de votre province ; mais que pour n’avoir pas été obéi ponctuellement, il envoie des lettres de cachet pour exiler des consuls : on ne peut en dire davantage par la poste. Ce qu’il faut faire en général, c’est d’être toujours très-passionné pour le service de Sa Majesté ; mais il faut tâcher aussi de ménager un peu les cœurs des Provençaux, afin d’être plus en état de faire obéir le Roi dans ce pays-là. M. de la Rochefoucauld vous mande, et moi avec lui, que si la lettre que vous lui avez écrite ne vous paroît pas bonne, c’est que vous ne vous y connoissez pas. Il a raison : cette lettre est très-agréable et très-spirituelle ; en voilà la réponse. Adieu, ma chère Comtesse ; je pense à vous jour et nuit. Donnez-moi des moyens de vous servir pour amuser ma tendresse.


1672

234. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mardi 5e janvier.

Le Roi donna hier 4e janvier audience à l’ambassadeur de Hollande[1035] : il voulut que Monsieur le Prince, M. de Turenne, M. de Bouillon et M. de Créquy[1036] fussent témoins de ce qui se passeroit. L’ambassadeur présenta sa lettre au Roi, qui ne la lut pas, quoique le Hollandois proposa d’en faire la lecture. Le Roi lui dit qu’il savoit ce qu’il y avoit dans la lettre, et qu’il en avoit une copie dans sa poche. L’ambassadeur s’étendit fort au long sur les justifications qui étoient dans sa lettre, et que Messieurs les états s’étoient examinés scrupuleusement, pour voir ce qu’ils avoient pu faire qui déplût à Sa Majesté ; qu’ils n’avoient jamais manqué de respect, et que cependant ils entendoient dire que tout ce grand armement n’étoit fait que pour fondre sur eux ; qu’ils étoient prêts de satisfaire Sa Majesté dans tout ce qu’il lui plairoit ordonner, et qu’ils la supplioient de se souvenir des bontés que les Rois ses prédécesseurs avoient eues pour eux, auxquelles ils devoient toute leur grandeur. Le Roi prit la parole, et avec une majesté et une grâce merveilleuse, dit « qu’il savoit qu’on excitoit ses ennemis contre lui ; qu’il avoit cru qu’il étoit de sa prudence de ne se pas laisser surprendre, et que c’est ce qui l’avoit obligé de se rendre si puissant sur la mer et sur la terre, afin qu’il fût en état de se défendre ; qu’il lui restoit encore quelques ordres à donner, et qu’au printemps il feroit ce qu’il trouveroit le plus avantageux pour sa gloire et pour le bien de son État ; » et fit un signe de tête à l’ambassadeur, qui lui fit comprendre qu’il ne vouloit pas de réplique. La lettre s’est trouvée conforme au discours de l’ambassadeur, hormis qu’elle finissoit par assurer Sa Majesté qu’ils feroient tout ce qu’elle ordonneroit, pourvu qu’il ne leur en coûtât point de se brouiller avec leurs alliés.

Le même jour, M. de la Feuillade fut reçu à la tête du régiment des gardes[1037], et prêta le serment entre les mains d’un maréchal de France (comme c’est la coutume), le Roi présent, qui dit lui-même au régiment qu’il lui donnoit M. de la Feuillade pour mestre de camp, et lui mit la pique à la main[1038], chose qui ne se fait jamais que par le commissaire de la part du Roi ; mais Sa Majesté a voulu que nulle faveur ni nul agrément ne manquât à cette cérémonie.

MM. Dangeau et Langlée[1039] ont eu de grosses paroles, à la rue des Jacobins[1040], sur un payement de l’argent de jeu. Dangeau menaça, Langlée repoussa l’injure par lui dire qu’il ne se souvenoit pas qu’il étoit Dangeau, et qu’il n’étoit pas sur le pied dans le monde d’un homme redoutable. On les accommoda ; ils ont tous deux tort. Les reproches furent violents et peu agréables pour l’un et pour l’autre[1041]. Langlée est fier et familier au possible. Il jouoit cet été avec le comte de Gramont[1042] ; en jouant au brelan[1043], le comte lui dit sur quelque manière un peu libre : « Monsieur de Langlée, gardez ces familiarités-là pour quand vous jouerez avec le Roi. »

Le maréchal de Bellefonds a demandé permission au Roi de vendre sa charge[1044]. Jamais personne ne la fera si bien que lui. Tout le monde croit, et moi plus que les autres, que c’est pour payer ses dettes, pour se retirer et songer uniquement à l’affaire de son salut.

M. le procureur de la cour des aides[1045] est premier président de la même compagnie : ce changement est grand pour lui ; ne manquez pas de lui écrire, l’un ou l’autre, et que celui qui n’écrira pas écrive dans la lettre de celui

qui écrira. Le président de Nicolaï est remis dans sa charge[1046]. Voilà donc ce qui s’appelle les nouvelles.


1672

235. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 6e janvier.

Enfin, ma bonne, vous ne voulez pas que je pleure de vous voir à mille lieues de moi[1047] ; vous ne sauriez pourtant empêcher que cet ordre de la Providence ne me soit bien dur et bien sensible : je ne m’accoutumerai de longtemps à cet éloignement. Je coupe court, parce que je ne veux point m’embarquer à vous dire les sentiments de mon cœur là-dessus : je ne veux point vous donner un mauvais exemple, ni ébranler votre courage par le récit de mes foiblesses ; conservez toute votre raison ; jouissez de la grandeur de votre âme, pendant que je m’aiderai, comme je pourrai, de toute la tendresse de la mienne.

Je fus hier à Saint-Germain. La Reine m’attaqua la première ; je fis ma cour à vos dépens, comme j’ai coutume. On traita à fond le chapitre de l’accouchement, à propos du vôtre ; puis on parla de mon voyage de Provence, un mot sur celui de Bretagne, et sur le bonheur de Mme de Chaulnes, de m’y avoir trouvée : nous étions là toutes deux. Pour Monsieur, il me tira près d’une fenêtre pour me parler de vous, et m’ordonna très-sérieusement de vous faire ses compliments, et de vous dire la joie qu’il avoit de votre joli accouchement. Il appuya sur cela d’une telle sorte, qu’il ne tint qu’à moi d’entendre qu’il vouloit s’attacher à votre service, étant las, comme on dit, d’adorer l’Ange[1048]. Je fis de telles offres le cas que je devois. Je trouvai Madame mieux que je ne pensois, mais d’une sincérité charmante. Je ne pus voir M. de Montausier ; il étoit enfermé avec Monseigneur[1049]. Je ne finirois jamais de vous dire tous les compliments qu’on me fit, et à vous aussi ; et de tout cela, autant en emporte le vent : on est ravi de revenir chez soi. Mme de Richelieu me parut abattue. Elle fera réponse à M. de Grignan. Les fatigues de la cour ont rabaissé son caquet ; son moulin me parut en chômage. Mais qui pensez-vous qu’on voit chez moi ? M. le président de Reauville, M. le président de Gallifet[1050] ; ils m’ont tartuffiée. De quoi parle-t-on ? de Mme de Grignan. Qui est-ce qui entre dans ma chambre ? votre petite. Vous dites qu’elle me fait souvenir de vous, c’est bien dit ; vous voulez bien au moins que je vous réponde qu’il n’est pas besoin de cela. Je monte en carrosse, où vais-je ? chez Mme de Valavoire[1051]. Pour quoi faire ? pour parler de Provence, de vos affaires et de vos commissions, que j’aime uniquement. Enfin Coulanges disoit l’autre jour : « Voyez-vous bien cette femme-là ? elle est toujours en présence de sa fille. » Vous voilà en peine de moi, ma bonne : vous avez peur que je ne sois ridicule. Non, ne craignez rien ; on ne peut l’être avec une si agréable folie ; et de plus, c’est que je me ménage selon les lieux, les temps, et les personnes avec qui je suis ; et il y en a de tels que l’on jureroit que je ne songe guère à vous : ce n’est pas où je suis le plus en liberté.


Je reçois votre lettre du 2e[1052]. Vous me déplaisez, ma bonne, en parlant comme vous faites de vos aimables lettres. Quel plaisir prenez-vous à dire du mal de votre esprit[1053], à vous comparer à la princesse d’Harcourt[1054] ? Où pêchez-vous cette fausse et offensante humilité ? Elle blesse mon cœur, elle offense la justice, elle choque la vérité. Quelles manières ! Ah, ma bonne ! changez-les, je vous en conjure, et voyez les choses comme elles sont. Si cela est, vous n’aurez plus qu’à vous défendre de la vanité, et ce sera une affaire à régler entre votre confesseur et vous.

Votre maigreur me tue. Hélas ! où est le temps que vous ne mangiez qu’une tête de bécasse par jour, et que vous mouriez de peur d’être trop grasse ? Ma bonne, si vous devenez grosse sur ces entrefaites, soyez assurée que vous voilà perdue pour toute votre vie, sans en revenir jamais.

M. de Grignan a bien du caquet ; il commence à gratter du pied, cela me fait grand’peur. S’il succombe à la tentation, ne croyez pas qu’il vous aime. Quand on aime bien, on aime tout, et la beauté qui ne donne aucun chagrin, comme la vôtre, n’est pas une chose à oublier. S’il détruit la vôtre, tenez-vous pour dit que sa tendresse n’est pas d’un bon aloi.

Il est vrai que Mme de Soubise vient encore d’accoucher ; mais elle relève trop grasse, cela fait qu’on n’a nulle pitié d’elle. Je vous plains bien aussi de vos méchantes compagnies. La nouvelle qu’on y débite du gouvernement de Bretagne donné à M. de Rohan est très-belle : cet homme parle comme du temps des ducs[1055]. Je vous souhaite quelquefois un petit brin de ce que l’on a ici de reste.

On étoit hier sur votre chapitre chez Mme de Coulanges ; et Mme Scarron[1056] se souvint avec combien d’esprit vous aviez soutenu autrefois une mauvaise cause, à la même place, et sur le même tapis où nous étions : il y avoit Mme de la Fayette, Mme Scarron ; Segrais, Caderousse, l’abbé Têtu, Guilleragues[1057], Brancas. Vous n’êtes jamais oubliée, ni tout ce que vous valez : tout est encore vif ; mais quand on pense où vous êtes, quoique vous soyez reine, nous soupirons. Nous soupirons aussi de la vie qu’on fait ici et à Saint-Germain : tellement qu’on soupire toujours. Vous savez bien que Lauzun, en entrant en prison, dit : In sæcula sæculorum ; et je crois qu’on eût répondu ici en certain endroit, amen, et en d’autres, non. Vraiment, quand il étoit jaloux de votre voisine, il lui crevoit les yeux[1058], il lui marchoit sur la main[1059] : et que n’a-t-il pas fait à d’autres ? Ah ! quelle folie de faire des péchés de cent dix lieues loin !

Votre enfant est jolie ; elle a un ton de voix qui m’entre dans le cœur ; elle a de petites manières qui plaisent, je m’y amuse et je l’aime ; mais je n’ai pas encore compris que ce degré puisse jamais vous passer par-dessus la tête[1060]. Je vous embrasse de toute la plus vive tendresse de mon cœur.


1672

236. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, 8e janvier.

Devinez où je m’en vais tout à l’heure, ma chère bonne : à Livry, et demain dîner à Pompone avec mon bonhomme[1061]. Il m’a priée si tendrement de lui faire cette visite pendant qu’il fait beau, que je n’ai pas voulu le refuser. Je lui parlerai d’un certain commis que vous avez recommandé à Mme de la Fayette[1062] et qui a été à M. de Lyonne.

Vous me paroissez tranquille sur le retour de vos courriers[1063] ; nous ne sommes pas de même, nous craignons le dénouement de tout ceci, qui ne peut être que fâcheux. Nous en parlons, Monsieur d’Uzès et moi, et regardons les chagrins qui sont attachés à quelque résolution qu’on prenne[1064].

Je veux aussi vous avertir d’une chose que je soutiendrai au milieu de votre mari et de vous[1065]. C’est que si, après être purgée, vous avez seulement la pensée (c’est bien peu) de coucher avec M. de Grignan, comptez que vous êtes grosse, et si quelqu’une de vos matrones dit le contraire, elle sera corrompue par votre époux. Après cet avis, je n’ai plus rien à dire.

Je n’oserois songer à vos affaires : c’est un labyrinthe plein d’amertumes, d’où je ne sors point. Je ne sais point de nouvelles aujourd’hui. Si j’avois juré de remplir ma feuille, je vous manderois des sottises, et tout ce que l’on fera dans six semaines ; mais c’est un ennui. Ce que j’aime mieux vous dire, c’est qu’on est inhumain en ce pays pour recevoir les excuses de ceux qui n’écrivent pas dans les occasions. J’ai voulu en user ainsi en Bretagne ; il a fallu en venir à y prendre part. Profitez de ce petit discours en l’air.

On parle de plusieurs mariages. Quand ils seront signés, je vous les manderai.

Adressez-moi désormais, ma bonne, les lettres de Mme de Vaudemont[1066] et toutes celles que vous voudrez : ce m’est un plaisir.

Adieu, ma mignonne, il y a une heure que je me joue avec votre fille ; elle est aimable. Il est tard, et je vous quitte pour aller pleurer à Livry, et penser à vous tendrement.

Mille amitiés à ce Grignan et au prince son frère[1067]. Ma tante est malade à un point qui me trouble et qui me met en peine.


1672

237. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 13e janvier.

Eh mon Dieu ! ma bonne, que dites-vous ? Quel plaisir prenez-vous à dire du mal de votre personne, de votre esprit ; à rabaisser votre bonne conduite ; à trouver qu’il faut avoir bien de la bonté pour songer à vous ? Quoique assurément vous ne pensiez point tout cela, j’en suis blessée, vous me fâchez ; et quoique je ne dusse peut-être pas répondre à des choses que vous dites en badinant, je ne puis m’empêcher de vous en gronder, préférablement à tout ce que j’ai à vous mander. Vous êtes bonne encore quand vous dites que vous avez peur des beaux esprits. Hélas ! ma chère, si vous saviez qu’ils sont petits de près, et combien ils sont quelquefois empêchés de leur personne, vous les remettriez bientôt à hauteur d’appui. Vous souvient-il combien vous en étiez quelquefois lasse ? Prenez garde que l’éloignement ne vous grossisse les objets : c’est son effet ordinaire.

Nous soupons tous les soirs avec Mme Scarron. Elle[1068] a l’esprit aimable et merveilleusement droit : c’est un plaisir que de l’entendre raisonner sur les horribles agitations d’un certain pays qu’elle connoit bien, et le désespoir qu’avoit cette d’Heudicourt[1069] dans le temps que sa place paroissoit si miraculeuse, les rages continuelles du petit Lauzun, le noir chagrin ou les tristes ennuis des dames de Saint-Germain ; et peut-être que la plus enviée[1070] n’en est pas toujours exempte. C’est une plaisante chose que de l’entendre causer de tout cela. Ces discours nous mènent quelquefois bien loin, de moralité en moralité, tantôt chrétienne, et tantôt politique. Nous parlons très-souvent de vous : elle aime votre esprit et vos manières ; et quand vous vous retrouverez ici, ne craignez point, ma bonne, de n’être pas à la mode.

Je vous trouve un peu fatiguée de vos Provençaux. Voulez-vous que nous fassions une chanson contre eux ? Enfin ils ont obéi ; mais ç’a été de mauvaise grâce. S’ils avoient cru d’abord M. de Grignan, il ne leur en auroit pas coûté davantage, et ils auroient contenté la cour. Ce sont des manières charmantes : à quoi vous avez raison de dire que ce n’est pas votre faute et que vous n’y sauriez que faire ; cet endroit est plaisant.

Mais écoutez la bonté du Roi, et le plaisir de servir un si aimable maître. Il a fait appeler le maréchal de Belle-fonds dans son cabinet, et lui a dit : « Monsieur le maréchal, je veux savoir pourquoi vous me voulez quitter. Est-ce dévotion ? est-ce envie de vous retirer ? est-ce l’accablement de vos dettes ? Si c’est le dernier, j’y veux donner ordre, et entrer dans le détail de vos affaires. » Le maréchal fut sensiblement touché de cette bonté. « Sire, dit-il, ce sont mes dettes : je suis abîmé ; je ne puis voir souffrir quelques-uns de mes amis qui m’ont assisté, à qui je ne puis satisfaire. — Eh bien, dit le Roi, il faut assurer leur dette. Je vous donne cent mille francs de votre maison de Versailles, et un brevet de retenue de quatre cent mille francs[1071], qui servira d’assurance, si vous veniez à mourir. Vous payerez les arrérages avec les cent mille francs ; cela étant, vous demeurerez à mon service. » En vérité, il faudroit avoir le cœur bien dur pour ne pas obéir à un maître qui entre dans les intérêts d’un de ses domestiques avec tant de bonté : aussi le maréchal ne résista pas ; et le voilà remis à sa place et surchargé d’obligations. Tout ce détail est vrai.

Il y a tous les soirs des bals, des comédies et des mascarades à Saint-Germain. Le Roi a une application à divertir Madame, qu’il n’a jamais eue pour l’autre. Racine a fait une comédie qui s’appelle Bajazet[1072], et qui enlève la paille[1073] ; vraiment elle ne va pas en empirando comme les autres. M. de Tallard[1074] dit qu’elle est autant au-dessus de celles de Corneille, que celles de Corneille sont au-dessus de celles de Boyer[1075] : voilà ce qui s’appelle bien louer ; il ne faut point tenir les vérités cachées. Nous en jugerons par nos yeux et par nos oreilles.

Du bruit de Bajazet mon âme importunée[1076].

fait que je veux aller à la comédie[1077].

J’ai été à Livry. Hélas ! ma bonne, que je vous ai bien tenu parole, et que j’ai songé tendrement à vous ! Il y faisoit très-beau, quoique très-froid ; mais le soleil brilloit ; tous les arbres étoient parés de perles et de cristaux : cette diversité ne déplaît point. Je me promenai fort. Je fus le lendemain dîner à Pompone : quel moyen de vous redire ce qui fut dit en cinq heures ? Je ne m’y ennuyai point. M. de Pompone sera ici dans quatre jours. Ce seroit un grand chagrin pour moi si jamais j’étois obligée à lui aller parler pour vos affaires de Provence. Tout de bon, il ne m’écouteroit pas ; vous voyez que je fais un peu l’entendue. Mais, ma foi ! ma bonne, rien n’est égal à Monsieur d’Uzès : c’est ce qui s’appelle les grosses cordes. Je n’ai jamais vu un homme, ni d’un meilleur esprit, ni d’un meilleur conseil : je l’attends pour vous parler de ce qu’il aura fait à Saint-Germain.

Vous me priez de vous écrire doublement de grandes lettres ; je pense, ma bonne, que vous devez en être contente : je suis quelquefois épouvantée de leur immensité. Ce sont toutes vos flatteries qui me donnent cette confiance. Je vous prie, ma bonne, de vous bien conserver dans ce bienheureux état, et ne passez point d’une extrémité à l’autre. De bonne foi, prenez du temps pour vous rétablir, et ne tentez point Dieu par vos dialogues et par votre voisinage.

Mme de Brissac a une très-bonne provision pour son hiver, c’est-à-dire M. de Longueville et le comte de Guiche[1078], mais en tout bien et en tout honneur ; ce n’est seulement que pour le plaisir d’être adorée. On ne voit plus la Marans chez Mme de la Fayette, ni chez M. de la Rochefoucauld. Nous ne savons ce qu’elle fait ; nous en jugeons quelquefois un peu témérairement. Elle avoit cet été la fantaisie d’être violée ; elle vouloit être violée absolument : vous savez ces sortes de folies. Pour moi, je crois qu’elle ne la[1079] sera jamais : quelle folie, bon Dieu ! et qu’il y a longtemps que je la vois comme vous la voyez présentement !

Il ne tient pas à moi que je ne voie Mme de Valavoire[1080]. Il est vrai qu’il n’est point besoin de me dire : « Va la voir ; » c’est assez qu’elle vous ait vue[1081] pour me la faire courir ; mais elle court après quelque autre, car j’ai beau la prier de m’attendre, je ne puis parvenir à ce bonheur. C’est à Monsieur le Grand[1082] qu’il faudroit donner votre turlupinade : elle est des meilleures. Châtillon[1083] nous en donne tous les jours ici des plus méchantes du monde.


1672

238. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 15e janvier.

Je vous ai écrit ce matin, ma bonne, par le courrier qui vous porte toutes les douceurs et tous les agréments du monde pour vos affaires de Provence ; mais je veux encore écrire ce soir, afin qu’il ne soit pas dit qu’une poste arrive sans vous apporter de mes lettres. Tout de bon, ma belle, je crois que vous les aimez ; vous me le dites : pourquoi voudriez-vous me tromper en vous trompant vous-même ? Car si par hasard cela n’étoit pas, vous seriez à plaindre de l’accablement où je vous mettrois par l’abondance des miennes : les vôtres font ma félicité. Je ne vous ai point répondu sur votre belle âme : c’est Langlade qui dit, la belle âme, pour badiner ; mais, de bonne foi, vous l’avez fort belle ; ce n’est peut-être pas de ces âmes du premier ordre, comme chose[1084], ce Romain qui retourna chez les Carthaginois, pour tenir sa parole, où il fut pis que martyrisé ; mais, au-dessous, ma bonne, vous pouvez vous vanter d’être du premier rang. Je vous trouve si parfaite et dans une si grande réputation, que je ne sais que vous dire, sinon de vous admirer, et de vous prier de soutenir toujours votre raison par votre courage, et votre courage par votre raison, et prendre du chocolat, afin que les plus méchantes compagnies vous paroissent bonnes.

La comédie de Racine m’a paru belle, nous y avons été. Ma belle-fille[1085] m’a paru la plus merveilleuse comédienne que j’aie jamais vue : elle surpasse la Desœillets[1086] de cent lieues loin[1087] ; et moi, qu’on croit assez bonne pour le théâtre[1088], je ne suis pas digne d’allumer les chandelles quand elle paroît. Elle est laide de près, et je ne m’étonne pas que mon fils ait été suffoqué par sa présence ; mais quand elle dit des vers, elle est adorable. Bajazet est beau ; j’y trouve quelque embarras sur la fin ; il y a bien de la passion, et de la passion moins folle que celle de Bérénice : je trouve cependant, à mon petit sens[1089], qu’elle ne surpasse pas Andromaque ; et pour ce qui est des belles comédies de Corneille, elles sont autant au-dessus, que votre idée étoit au-dessus de[1090]… Appliquez, et venez-vous de cette folie, et croyez que jamais rien n’approchera (je ne dis pas surpassera) des divins endroits de Corneille. Il nous lut l’autre jour une comédie chez M. de la Rochefoucauld, qui fait souvenir de la Reine mère[1091]. Cependant je voudrois, ma bonne, que vous fussiez venue avec moi après dîner, vous ne vous seriez point ennuyée ; vous auriez peut-être pleuré une petite larme, puisque j’en ai pleuré plus de vingt ; vous auriez admiré votre belle-sœur ; vous auriez vu les Anges[1092] devant vous, et la Bourdeaux[1093], qui étoit habillée en petite mignonne. Monsieur le Duc étoit derrière, Pomenars au-dessus, avec les laquais, son manteau dans son nez[1094], parce que le comte de Créance le veut faire pendre[1095], quelque résistance qu’il y fasse ; tout le bel air étoit sur le théâtre. M. le marquis de Villeroi[1096] avoit un habit de bal ; le comte de Guiche[1097] ceinturé comme son esprit ; tout le reste en bandits. J’ai vu deux fois ce comte chez M. de la Rochefoucauld il me parut avoir bien de l’esprit, et il étoit moins surnaturel qu’à l’ordinaire.

Voilà notre abbé, chez qui je suis, qui vous mande qu’il a reçu le plan de Grignan, dont il est très-content : il s’y promène déjà par avance ; il voudroit bien en avoir le profil : pour moi, j’attends à le bien posséder que je sois dedans. J’ai mille compliments à vous faire de tous ceux qui ont entendu les agréables paroles du Roi pour M. de Grignan. Mme de Verneuil me vint la première. Elle a pensé mourir.

Adieu, ma divine bonne ; que vous dirai-je de mon amitié et de tout l’intérêt que je prends à vous à vingt lieues à la ronde, depuis les plus grandes jusques aux plus petites choses ? M. d’Harouys est arrivé. J’ai donné toutes vos réponses. J’embrasse l’admirable[1098] Grignan, le prudent coadjuteur, et le présomptueux Adhémar : n’est-ce pas là comme je les nommois l’autre jour ?


1672

239. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 20e janvier.

Voilà les maximes de M. de la Rochefoucauld revues, corrigées et augmentées[1099] : c’est de sa part que je vous les envoie. Il y en a de divines ; et à ma honte, il y en a que je n’entends point : Dieu sait comme vous les entendrez.

Il y a un démêlé entre l’archevêque de Paris[1100] et l’archevêque de Reims : c’est pour une cérémonie. Paris veut que Reims demande permission d’officier ; Reims jure qu’il n’en fera rien. On dit que ces deux hommes ne s’accorderont jamais bien qu’ils ne soient à trente lieues l’un de l’autre. Ils seront donc toujours mal[1101]. Cette cérémonie est une canonisation d’un Borgia[1102], jésuite ; toute la musique de l’Opéra y fait rage : il y a des lumières jusque dans la rue Saint-Antoine[1103] ; on s’y tue. Le vieux Mérinville[1104] est mort sans y aller.

Ne vous trompez-vous point, ma chère fille, dans l’opinion que vous avez de mes lettres ? L’autre jour un pendard d’homme, voyant ma lettre infinie, me demanda si je pensois qu’on pût lire cela : j’en tremblai, sans dessein toutefois de me corriger ; et me tenant à ce que vous m’en dites, je ne vous épargnerai aucune bagatelle, grande ou petite, qui vous puisse divertir. Pour moi, c’est ma vie et mon unique plaisir que le commerce que j’ai avec vous ; toutes choses sont ensuite bien loin après.

Je suis en peine de votre petit frère : il a bien froid, il campe, il marche vers Cologne pour un temps infini.[1105] J’espérois de le voir cet hiver, et le voilà. Enfin il se

trouve que Mademoiselle d’Adhémar est la consolation de ma vieillesse : je voudrois aussi que vous vissiez comme elle m’aime, comme elle m’appelle, comme elle m’embrasse. Elle n’est point belle, mais elle est aimable ; elle a un son de voix charmant ; elle est blanche, elle est nette : enfin je l’aime. Vous me paroissez folle de votre fils : j’en suis fort aise. On ne sauroit avoir trop de fantaisies, musquées ou point musquées, il n’importe.

Il y a demain un bal chez Madame. J’ai vu chez Mademoiselle l’agitation des pierreries : cela m’a fait souvenir de nos tribulations passées, et plût à Dieu y être encore ! Pouvois-je être malheureuse avec vous ? Toute ma vie est pleine de repentirs. Monsieur Nicole, ayez pitié de moi, et me faites bien envisager les ordres de la Providence. Adieu, ma chère fille, je n’oserois dire que je vous adore, mais je ne puis concevoir qu’il y ait un degré d’amitié au delà de la mienne. Vous m’adoucissez et m’augmentez mes ennuis, par les aimables et douces assurances de la vôtre.


1672

240. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 22e janvier, à dix heures du soir.

Enfin, ma fille, c’est tout ce que je puis faire que de quitter le petit coucher de Mademoiselle d’Adhémar pour vous écrire. Si vous ne voulez pas être jalouse, je ne sais que vous dire : c’est la plus aimable enfant que j’aie jamais vue : elle est vive, elle est gaie, elle a de petits desseins et de petites façons qui plaisent tout à fait.

J’ai été aujourd’hui chez Mademoiselle, qui m’a envoyé dire d’y aller. Monsieur y est venu, il m’a parlé de vous : il m’a assurée que rien ne pouvoit tenir votre place au bal ; il m’a dit que votre absence ne devoit pas m’empêcher d’aller voir son bal : c’est justement de quoi j’ai grande envie.

Il a été fort question de la guerre, qui est enfin très-certaine. Nous attendons la résolution de la reine d’Espagne[1106] ; et quoi qu’elle dise, nous voulons guerroyer. Si elle est pour nous, nous fondrons sur les Hollandois ; si elle est contre nous, nous prendrons la Flandre ; et quand nous aurons commencé la noise, nous ne l’apaiserons peut-être pas aisément. Cependant nos troupes marchent vers Cologne. C’est M. de Luxembourg qui doit ouvrir la scène. Il y a quelques mouvements en Allemagne.

J’ai fort causé avec Monsieur d’Uzès. Notre abbé lui a parlé de très-bonne grâce du dessein qu’il a pour l’abbé de Grignan[1107]. Il faut tenir cette affaire très-secrète ; c’est sur la tête de Monsieur d’Uzès qu’elle roule ; car on ne peut obtenir de Sa Majesté les agréments nécessaires que par son moyen. On me dit en rentrant ici que le chevalier de Grignan[1108] a la petite vérole chez Monsieur d’Uzès : ce seroit un grand malheur pour lui, un grand chagrin pour ceux qui l’aiment, et un grand embarras pour Monsieur d’Uzès, qui seroit hors d’état d’agir dans toutes les choses où l’on a besoin de lui : voilà qui seroit digne de mon malheur ordinaire.

Vous me louez continuellement sur mes lettres, et je n’ose plus vous parler des vôtres, de peur que cela n’ait l’air de rendre louanges pour louanges ; mais encore ne faut-il pas se contraindre jusqu’à ne pas dire la vérité. Vous avez des pensées et des tirades incomparables, il ne manque rien à votre style. D’Hacqueville et moi, nous étions ravis de lire certains endroits brillants ; et même dans vos narrations, l’endroit qui regarde le Roi, votre colère contre Lauzun et contre l’Évêque, ce sont des traits de maître. Quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars ; mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent fort bien aux yeux. Ne craignez point que je montre vos lettres mal à propos ; je sais parfaitement bien ceux qui en sont dignes, et ce qu’il en faut dire ou cacher.

Écoutez, ma fille, une bonté et une douceur charmante du Roi votre maître : cela redoublera bien votre zèle pour son service. Il m’est revenu de très-bon lieu que l’autre jour M. de Montausier demanda une petite abbaye à Sa Majesté pour un de ses amis ; il en fut refusé, et sortit fâché de chez le Roi en disant : « Il n’y a que les ministres et les maîtresses qui aient du pouvoir en ce pays. » Ces paroles n’étoient pas trop bien choisies ; le Roi les sut. Il fit appeler M. de Montausier, lui reprocha avec douceur son emportement, le fit souvenir du peu de sujet qu’il avoit de se plaindre de lui, et le lendemain il fit Mme de Crussol[1109] dame du palais. Je vous dis que voilà des conduites de Titus. Vous pouvez juger si le gouverneur a été confondu, aussi bien que l’Évêque, qui vous doit sa députation[1110]. Ces manières de se venger sont bien cruelles. Le Roi a raccommodé l’archevêque de Reims avec celui de Paris. Que vous dirai-je encore ? Ma pauvre tante est accablée de mortelles douleurs : cela me fait une tristesse, et un devoir qui m’occupe.


1672

241. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

Je fus sept mois sans entendre parler de Mme de Sévigné, et puis j’en reçus cette lettre.

À Paris, ce 24e janvier 1672.

Je trouve fort plaisant, mon cousin, que ce soit précisément dans la chambre de notre petite sœur de Sainte-Marie que l’envie me prenne de vous écrire[1111]. Il sembleroit quasi que notre amitié fût fondée sur la sainteté de notre grand’mère. Le moyen d’en juger autrement, en voyant que tant d’autres lieux où je vous ai vu, me font moins souvenir de vous que celui-ci où je ne vous ai vu de ma vie ?

Vous avez ici une fille qui contribue à ce miracle. Elle n’est non plus sotte que si elle vous voyoit tous les jours, et elle est aussi sage que si elle ne partoit pas de Sainte-Marie. C’est une créature dont le fonds est d’un christianisme fort austère, chamarré de certains agréments de Rabutin qui lui donnent un charme extraordinaire. Je doute que tous vos autres enfants valent mieux que celle-ci. Mais en voilà assez pour lui donner de la vanité.

J’ai été huit mois en Bretagne, pendant lesquels je ne me suis jamais trouvé assez d’esprit pour vous écrire. J’ai eu dessein de ressusciter notre commerce à mon retour, et je commence ici. Bon jour, bonne œuvre.

Je ne vous dirai point de nouvelles, et je ne vous parlerai point du prochain. Vous savez tout ce qui se passe, au moins je le veux croire ; car je ne crois pas qu’il soit trop sûr d’écrire de certaines choses :

On sait de cent paquets les tristes aventures,
Et tous les grands chemins sont remplis de parjures.

Il y a des comédies nouvelles[1112], dont j’ai la vanité de croire que vous jugerez comme moi. Adieu, mon cousin : vous ne sauriez croire combien je mérite l’honneur de votre amitié.


1672

242. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 27e janvier.

Je n’ai jamais rien vu de si aimable que vos lettres. Vous êtes contente de mon amitié, et vous me le dites d’une manière à pénétrer de tendresse un cœur comme le mien. Vous voyez tout ce qui s’y passe : vous découvrez que la plus grande partie de mes actions se fait en vue de vous être bonne à quelque chose ; vous expliquez le voyage de Pompone dans sa vraie signification ; les visites de M. le Camus sont de même ; et en vérité, ma fille, vous ne vous trompez pas, et tant que votre pénétration me rendra de si bons offices, je ne crains pas que votre amitié diminue. J’admirois votre humeur : elle est au delà de tout ce que l’on peut vous souhaiter. Si vous en avez une autre moins commode, il faut lui pardonner en faveur de celle-là, et pardonner aussi à ceux à qui vous vous découvriez assez peu, pour ne leur pas laisser voir clairement toutes vos bonnes qualités. Comme elles n’étoient pas exercées alors, on ne le pouvoit savoir que par vos paroles[1113].

Mais, ma chère enfant, cette grande paresse à ne vouloir pas seulement penser à sortir un moment d’où vous êtes, me blesse le cœur. Je trouve les pensées de M. de Grignan bien plus raisonnables. Celle qu’il avoit pour la charge du maréchal de Bellefonds, au cas qu’il l’eût quittée, étoit tout à fait de mon goût. Vous aurez vu comme la chose a tourné[1114]. Mais j’aimerois assez que le desir de vous rapprocher ne vous quittât point, quand il arrive des occasions ; et Monsieur d’Uzès auroit fort bonne grâce à témoigner au Roi qu’il est impossible de le servir si loin de sa personne sans beaucoup de chagrin, surtout quand on a passé la plus grande partie de sa vie auprès de lui.

L’autre jour, M. de Berni[1115], à Versailles, passa par une fenêtre, croyant passer par une porte, et tomba du premier étage sur un petit garçon qui fut blessé, et qui l’empêcha d’être tué. Il fut secouru ; il a la tête très-fracassée, mais on ne croit pas qu’il meure. Voilà ce que font les croisées coupées jusques en bas. On ne-sauroit jamais manquer à mettre partout des garde-fous. Cet accident fit grand bruit à Versailles.

Je vous prie, ma fille, dites-moi souvent dans vos lettres quelque petit mot de ma tante : ce lui est une consolation dans ses continuelles douleurs. J’ai envoyé vos lettres : celle de Mme de la Fayette est extrêmement jolie. Le commencement de votre dernière est étrange. Vous me donnez à deviner ce que vous avez fait la nuit : j’ai tremblé depuis les pieds jusqu’à la tête ; je croyois que tout fût perdu. Il se trouve que vous avez attendu votre courrier, et que vous avez bu joyeusement à la santé du Roi votre maître. J’ai respiré et approuvé votre zèle. En vérité, on ne sauroit trop le louer : il est encore perfectionné depuis un an. Les poëtes ont commencé à la cour ; mais j’aime bien autant la prose, depuis que tout le monde en sait faire, pour conter et chanter ses louanges.

Je viens d’écrire une grande lettre à M. de Pompone, pour toutes les affaires de Provence, dont Monsieur d’Uzès ne peut lui parler, à cause de la petite vérole du pauvre Chevalier. Je n’ose parler de l’état où il est. Il faut espérer à sa grande jeunesse. J’ai déjà bien soupiré pour la crainte que j’ai de son mal.

Mme de Guerchi, fille de la comtesse de Fiesque[1116],

est morte à la campagne pour avoir eu peur du feu. Elle étoit grosse de huit mois ; elle est accouchée et morte ensuite. Cette manière de mourir m’a blessé le cœur. Le petit duc de Rohan[1117] est à l’extrémité d’avoir bu deux verres d’eau-de-vie après avoir bien bu du vin ; il est dans le sept[1118] d’une fièvre très-mortelle. Voilà une belle espérance pour M. et Mme de Soubise. Pour moi, après l’avoir vu aux états, et sachant comme il traitoit Mme de Rohan, j’en suis toute consolée.

Le chancelier se meurt[1119] ; il a renvoyé les sceaux au Roi par le duc de Coislin[1120] : voilà un joli présent à faire. Mon Dieu, ma fille, que je voudrois bien voir M. de Grignan ici avec une belle charge, auprès de son maître, et envoyer promener tous vos Provençaux ! Adhémar me les fera bien haïr ; il est plaisant de leur faire confidence de ce qu’il pense d’eux.

Adieu, ma très-aimable, je ne songe qu’à vous aller voir. J’embrasse mon cher Grignan, et sa chère femme.


1672

243. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que j’eus reçu cette lettre (du 24 janvier), j’y fis cette réponse.

À Chaseu, ce 28e janvier 1672.

Savez-vous bien, Madame, ce qui fait que vous m’écrivez de Sainte-Marie, où vous ne m’avez jamais vu, plutôt que de mille autres lieux où vous m’avez vu mille fois ? C’est que ma fille vous y fait ressouvenir de moi, et qu’étant bientôt lasse des matières qu’on traite en ces lieux-là, vous usez une partie du temps de votre visite à faire une lettre à son père. Ainsi, Madame, ce que j’en puis juger, c’est que vous aimez mieux parler au monde qu’à moi ; mais que vous aimez mieux me parler qu’à Dieu. Vous en conviendrez, si vous êtes sincère.

Quand j’ai lu l’endroit où vous me mandez que ma fille n’est non plus sotte que si elle me voyoit tous les jours, et qu’elle est aussi sage que si elle ne partoit pas des Saintes-Maries[1121], je croyois qu’il y eût « aussi sage que si elle ne m’avoit jamais vu. » Car effectivement une demoiselle peut devenir agréable à me pratiquer ; mais il est difficile qu’elle devienne par là bonne religieuse. Ma fille de Sainte-Marie en est une (à ce que j’ai appris par d’autres que par vous) ; et le témoignage que vous me donnez des agréments de son esprit est ce qu’on appelle l’approbation des docteurs.

Ses sœurs ont aussi leur mérite, et si ma disgrâce leur a fait perdre des avantages du côté de la fortune, elle leur en a donné du côté de la bonne nourriture et de l’esprit.

Vous me deviez écrire de Bretagne : nous y avons perdu tous deux. Vous vous moquez de me mander que vous ne vous êtes pas trouvé assez d’esprit pour cela. Songez-vous à faire de belles lettres pour moi ? Il me paroit qu’elles ne le peuvent être dès qu’on y songe.

Il est vrai que je sais ce qui se passe ; mais je ne le saurois point, si tous mes amis avoient sur cela autant de prudence que vous.

Avez-vous fait les deux vers que vous m’envoyez sur ce sujet ? Les avez-vous retournés, ou seulement copiés ? Ils sont capables de faire trembler tous les gazetiers de France. Il est vrai qu’en voici qui les rassurent :

Qu’il se perde tant de paquets
Qu’on dit tous les jours par la ville,
Ce sont contes à plaisir ; mais
Pour un perdu, l’on en dit mille.


244. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Sainte-Marie du faubourg, vendredi 29e janvier, jour de saint François de Sales, et jour que vous fûtes mariée. Voilà ma première radoterie ; c’est que je fais des bouts de l’an de tout

Me voici dans un lieu, ma bonne, qui est le lieu du monde où j’ai pleuré, le jour de votre départ, le plus abondamment et le plus amèrement : la pensée m’en fait tressaillir. Il y a une bonne heure que je me promène toute seule dans le jardin : toutes nos sœurs sont à vêpres, embarrassées d’une méchante musique ; et moi, j’ai eu l’esprit de m’en dispenser. Ma bonne, je n’en puis plus ; votre souvenir me tue en mille occasions : j’ai pensé mourir dans ce jardin, où je vous ai vue mille fois[1122]. Je ne veux point vous dire en quel état je suis : vous avez une vertu sévère[1123], qui n’entre point dans la foiblesse humaine. Il y a des jours, des heures, des moments où je ne suis pas la maîtresse ; je suis foible, et ne me pique point de ne l’être pas : tant y a, je n’en puis plus, et pour m’achever, voilà un homme que j’avois envoyé chez le chevalier de Grignan, qui me dit qu’il est extraordinairement mal. Cette pitoyable nouvelle n’a pas séché mes yeux. Je crois qu’il dispose de ce qu’il a en votre faveur : gardez-le, quoique ce soit peu, pour une marque de sa tendresse, et ne le donnez point, comme votre cœur le voudroit : il n’y a pas un de vos beaux-frères qui, à proportion, ne soit plus riche que vous. Je ne vous puis dire le déplaisir que j’ai dans la crainte de cette perte. Hélas ! un petit aspic, comme M. de Rohan[1124], revient de la mort ; et cet aimable garçon, bien né, bien fait, de bon naturel, d’un bon cœur, dont la perte ne fait de bien[1125] à personne, nous va périr entre les mains ! Si j’étois libre, je ne l’aurois pas abandonné, je ne crains point son mal ; mais je ne fais pas sur cela ma volonté. Vous recevrez cet ordinaire des lettres écrites plus tard, qui vous parleront plus précisément de ce malheur. Pour moi, je me contente de le sentir.

Voilà une permission de vendre et de transporter vos bleds[1126]. M. le Camus l’a obtenue, et y a joint une lettre de lui. Je n’ai jamais vu un si bon homme, ni plus vif sur tout ce qui vous regarde. Écrivez-moi quelque chose de lui, que je lui puisse lire.

Hier au soir, Mme du Fresnoy[1127] soupa chez nous. C’est une nymphe, c’est une divinité ; mais Mme Scarron, Mme de la Fayette et moi, nous voulûmes la comparer à Madame de Grignan, et nous la trouvâmes cent piques au-dessous, non pas pour l’air et pour le teint ; mais ses yeux sont étranges, son nez n’est pas comparable au vôtre, sa bouche n’est point finie[1128], la vôtre est parfaite ; et elle est tellement recueillie dans sa beauté, que je trouve qu’elle ne dit précisément que les paroles qui lui siéent bien : il est impossible de se la représenter parlant communément et d’affection sur quelque chose. C’est la résidence de l’abbé Têtu auprès de la plus belle ; il ne la quitta pas. Et pour votre esprit, ces dames ne mirent aucun degré au-dessus du vôtre ; et votre conduite, votre sagesse, votre raison, tout fut célébré. Je n’ai jamais vu une personne si bien louée ; je n’eus pas le courage de faire les honneurs de vous, ni de parler contre ma conscience.

On dit que le chancelier est mort : je ne sais point si on donnera les sceaux avant que cette poste parte. La Comtesse[1129] est très-affligée de la mort de sa fille ; elle est au couvent de Sainte-Marie à Saint-Denis. Ma bonne, on ne peut assez se conserver, et grosse, et en couche, et on ne peut assez éviter d’être dans ces deux états : je ne parle pour personne.

Adieu, ma très-chère, cette lettre sera courte : je ne puis rien écrire dans l’état où je suis : vous n’avez pas besoin de ma tristesse ; mais si quelquefois vous en recevez d’infinies, ne vous en prenez qu’à vous, et à vos flatteries sur le plaisir que vous donne leur longueur ; vous n’oseriez plus vous en plaindre.

Je vous embrasse mille fois, et m’en retourne à mon jardin, et puis à un bout de salut, et puis chez des malades qui sont aussi chagrins que moi.

Voilà Madeleine-Agnès qui entre, et qui vous salue en Notre-Seigneur.


1672

245. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 3e février.

J’ai eu une heure de conversation avec M. de Pompone. Il faudroit plus de papier qu’il n’y en a dans mon cabinet pour vous dire la joie que nous eûmes de nous revoir, et comme nous passions à la hâte sur mille chapitres que nous n’avions pas le temps de traiter à fond. Enfin je ne l’ai point trouvé changé : il est toujours parfait ; il croit toujours que je vaux plus que je ne vaux effectivement. Son père lui a fait comprendre qu’il ne pouvoit l’obliger plus sensiblement qu’en m’obligeant en toutes choses. Mille autres raisons, à ce qu’il dit, lui donnent ce même désir ; et surtout il se trouve que j’ai le gouvernement de Provence sur les bras ; c’est un prétexte admirable pour avoir bien des affaires ensemble : voilà le seul chapitre qui ne fut point étranglé. Je lui parlai à loisir de l’Évêque. Il sait écouter aussi bien que répondre, et crut aisément tout le plan que je lui fis des manières du prélat ; il ne me parut pas qu’il approuvât qu’un homme de sa profession voulût faire le gouverneur[1130]. Il me semble que je n’oubliai rien de ce qu’il falloit dire. Il me donne toujours de l’esprit ; le sien est tellement aisé, qu’on prend sans y penser une confiance qui fait qu’on parle heureusement de tout ce qu’on pense : je connois mille gens qui font le contraire. Enfin, ma fille, sans vouloir m’attirer de nouvelles douceurs, dont vous êtes prodigue pour moi, je sortis avec une joie incroyable, dans la pensée que cette liaison avec lui vous seroit très-utile. Nous sommes demeurés d’accord de nous écrire ; il aime mon style naturel et dérangé, quoique le sien soit comme celui de l’éloquence même.

Je vous mandai l’autre jour de tristes nouvelles du pauvre Chevalier : on venoit de me les donner de même. J’appris le soir qu’il n’étoit pas si mal ; et enfin il est encore en vie, quoiqu’il ait été au delà de l’extrême-onction, et qu’il soit encore très-mal. Sa petite vérole sort et sèche en même temps ; il me semble que c’est comme celle de Mme de Saint-Simon[1131]. Rippert vous en écrira plus sûrement que moi ; j’en sais pourtant tous les jours des nouvelles, et j’en suis dans une très-véritable inquiétude ; je l’aime encore plus que je ne pensois.

Cette nuit, Mme la princesse de Conti[1132] est tombée en apoplexie. Elle n’est pas encore morte, mais elle n’a aucune connoissance ; elle est sans pouls et sans parole ; on la martyrise pour la faire revenir. Il y a cent personnes dans sa chambre, trois cents dans sa maison : on pleure, on crie ; voilà tout ce que j’en sais jusqu’à l’heure qu’il est. Pour M. le chancelier[1133] il est mort très-assurément, mais mort en grand homme. Son bel esprit, sa prodigieuse mémoire, sa naturelle éloquence, sa haute piété, se sont rassemblés aux derniers jours de sa vie. La comparaison du flambeau qui redouble sa lumière en finissant, est juste pour lui. Le Mascaron l’assistoit, et se trouvoit confondu par ses réponses et par ses citations. Il paraphrasoit le Miserere, et faisoit pleurer tout le monde ; il citoit la sainte Écriture et les Pères, mieux que les évêques dont il étoit environné : enfin sa mort est une des plus extraordinaires choses du monde[1134]. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’il n’a point laissé de grands biens : il étoit aussi riche en entrant à la cour, qu’il l’étoit en mourant. Il est vrai qu’il a établi sa famille ; mais si l’on prenoit chez lui, ce n’étoit pas lui. Enfin il ne laisse que soixante et dix mille livres de rente : est-ce du bien pour un homme qui a été quarante ans chancelier, et qui étoit riche naturellement ? La mort découvre bien des choses : ce n’est point de sa famille que je tiens tout ceci : on le voit. Nous avons fait aujourd’hui nos stations[1135], Mme de Coulanges et moi. Mme de Verneuil[1136] est si mal qu’elle n’a pu voir le monde. On ne sait encore qui aura les sceaux.

Je vous conjure d’écrire au Coadjuteur qu’il songe à faire réponse sur l’affaire dont lui écrit Monsieur d’Agen[1137] ; j’en suis tourmentée : cela est mal d’être paresseux avec un évêque de réputation. Je remets tous les jours à écrire à ce Coadjuteur ; son irrégularité me débauche ; je le condamne, et je l’imite.

J’embrasse M. de Grignan : ne vous adore-t-il pas toujours ? est-il encore question des grives ? Il y avoit l’autre jour une dame[1138] qui confondit ce qu’on dit d’une grive, et au lieu de dire elle est soûle comme une grive, elle dit que la première présidente[1139] étoit sourde comme une grive : cela fit rire.

Adieu, ma chère enfant, je vous aime, ce me semble, bien plus que moi-même. Votre fille est aimable ; je m’en amuse de bonne foi ; elle embellit tous les jours ; ce petit ménage me donne la vie.


1672

246. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 5e février. Il y a aujourd’hui mille ans que je suis née[1140].

Je suis ravie, ma chère bonne, que vous aimiez mes lettres, je ne crois pas pourtant qu’elles soient aussi agréables que vous dites, mais il est vrai que pour figées, elles ne le sont pas[1141]. Notre bon Cardinal[1142] est dans la solitude, son départ m’a donné de la tristesse ; mais croyez, ma très-chère, que rien ne peut être comparé aux douteurs de votre départ.

On m’a assuré ce matin que le Chevalier se portoit un peu mieux : j’espère en sa jeunesse ; la jeunesse revient de loin. Je prie Dieu de tout mon cœur qu’il nous le redonne. Pour Mme la princesse de Conti, elle mourut sept ou huit heures après que j’eus fermé mon paquet ; c’est-à-dire jeudi à quatre heures du matin, sans aucune connoissance, ni sans avoir jamais dit une seule parole de bon sens. Elle appeloit quelquefois Céphise, une femme de chambre, et disoit : « Mon Dieu ! » On croyoit que son esprit allât revenir, mais elle ne disoit pas davantage. Elle expira en faisant un grand cri, et au milieu d’une convulsion qui lui fit imprimer ses doigts dans les bras d’une femme qui la tenoit. La désolation qui fut dans sa chambre ne se peut représenter. Monsieur le Duc, Messieurs les princes de Conti, Mme de Longueville, Mme de Gamaches[1143], pleuroient de tout leur cœur. La Gêvres avoit pris le parti des évanouissements ; la Brissac de crier les hauts cris, et de se jeter par la place : il fallut la chasser, parce qu’on ne savoit plus ce qu’on faisoit. Ces deux personnages n’ont pas réussi : qui prouve trop ne prouve rien, dit un certain je ne sais qui. Enfin la douleur est universelle. Le Roi a paru touché, et a fait son panégyrique, en disant qu’elle étoit considérable plus par sa vertu que par la grandeur de sa fortune. Elle laisse par son testament l’éducation de ses enfants[1144] à Mme de Longueville. Je disois qu’il n’y avoit que le diable qui gagnoit à cette mort, et qui alloit reprendre de l’autorité dans l’esprit de ces deux petits princes ; mais afin qu’en nul lieu on ne s’en réjouisse, les voilà retombés en main sûre et chrétienne[1145]. Monsieur le Prince est tuteur. Il y a vingt mille écus aux pauvres, autant aux domestiques. Elle veut être enterrée à sa paroisse, simplement, comme la moindre femme. Je ne sais si ce détail est à propos : tant y a, ma bonne, le voilà. Vous voulez et vous souffrez que mes lettres soient longues : voilà le hasard que vous courez. Je vis hier sur son lit cette sainte princesse : elle étoit défigurée par les martyres qu’on lui avoit fait souffrir pour tâcher de la faire revenir : on lui avoit rompu les dents, et brûlé la tête ; c’est-à-dire que si on ne mouroit point de l’apoplexie, on seroit à plaindre dans l’état où l’on met les pauvres patients. Il y a de belles réflexions sur cette mort, cruelle pour sa famille et ses amis, mais très-heureuse pour elle, qui ne l’a point sentie, et qui y étoit toujours préparée[1146]. Brancas en est pénétré.


1672 J’oubliai avant-hier de vous mander que j’avois rencontré Canaples[1147], à Notre-Dame, qui me dit mille amitiés pour M. de Grignan ; que le maréchal de Villeroi[1148] avoit dit que les lettres de M. de Grignan étoient admirées dans le conseil, qu’on les lisoit avec plaisir, et que le Roi avoit dit qu’il n’en avoit jamais vu de mieux écrites : je lui promis de vous le mander. Montaigu[1149] me pria fort aussi de lui faire des compliments. Cette dame que je ne vous nommai point dans ma dernière lettre, c’étoit Mme de Louvois. À propos de cela, M. de Louvois est entré et assis au conseil depuis quatre jours, en qualité de ministre. Le Roi scellera demain avec dix conseillers d’État[1150] et quatre maîtres des requêtes ; on ne sait combien cela durera : voilà une belle charge dont Sa Majesté s’acquittera fort bien. Il me vient des pensées folles sur le chancelier ; mais, hélas ! où puis-je les avoir prises, dans le chagrin où je suis depuis deux ou trois jours ? Cette veille, ce jour, ce lendemain, ce temps de votre départ de l’année passée[1151], m’a tellement touché le cœur et l’esprit, que j’en avois sans cesse les larmes aux yeux malgré moi ; car rien n’est moins utile que les douleurs d’une chose sur laquelle on n’a plus aucun pouvoir : on se tue, on se dévore hors de propos[1152], aussi bien qu’à faire des souhaits et des châteaux en Espagne : vous êtes trop sage pour les aimer ; et moi je les aime[1153].

Je vous envoie quatre rames de papier : vous savez à quelle condition. J’espère en revoir la plus grande partie entre ci et Pâques. Après cela j’aspirerai à d’autres plaisirs. Si vous avez quelque peau d’Espagne ou des gants, mettez-les dans le même trésor. Je fournirai de poudre de calambau[1154].

Voilà tout ce que je sais. Adieu, ma bonne, je vous embrasse avec la dernière tendresse. Il me semble que la vie ne m’est point plus chère et plus nécessaire que votre amitié. Que de baisemains j’ai à vous faire ! J’embrasse ce grand politique Grignan. M. de la Rochefoucauld vous mande qu’il a une souris blanche qui est aussi belle que vous : c’est la plus jolie bête qu’on ait jamais vue ; elle est dans une cage. Voilà Mme de Coulanges qui veut que je vous dise et ceci, et cela, et de l’amitié, mais je ne suis pas à ses gages.


1672

247. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE MONSIEUR ET MADAME DE COULANGES À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 10e février.

Enfin, ma chère fille, après bien des alarmes et de fausses espérances, nous avons perdu le pauvre Chevalier[1155]. Je vous avoue que j’ai été sensiblement touchée de cette mort : elle arriva samedi 6 février, à quatre heures du matin. Si une fin véritablement chrétienne doit consoler des chrétiens, on le doit être par l’assurance de son salut : jamais plus de résignation, jamais plus d’amour de Dieu, jamais plus de grâces visibles. Il n’eût pas voulu accepter la vie, si on eût pu lui redonner, tant il avoit de confiance en la miséricorde de Dieu ; et il se sentoit dans des dispositions qu’il n’eût pas voulu remettre au hasard. Il a été rudement saigné ; il résista à la dernière fois, qui fut la onzième ; mais les médecins l’emportèrent : il leur dit qu’il s’abandonnoit donc, et qu’ils le vouloient tuer par les formes. La mort de M. de Guise, qu’on croit qui devoit être saigné, a bien fait mourir du monde après lui. Il y a eu, de Saint-Germain, de la faute de ce pauvre Grignan. Il étoit incommodé d’un dévoiement au commencement de son service ; il prit du lait sans préparation pour le faire cesser : il cessa en effet ; mais au bout de huit jours, la fièvre le prit en venant de Paris, et la petite vérole, avec une telle corruption, qu’on ne pouvoit durer dans sa chambre, et il faisoit des vers en quantité, qui venoient de son lait corrompu. Enfin la Providence avoit marqué la fin de sa vie dans les plus belles années de son âge. Voilà des détails bien tristes ; mais, quand on en est touché, on ne cherche point, ce me semble, à s’épargner par l’ignorance de ce qui s’est passé. Je ne devrois point passer ni mêler d’autres discours dans cette lettre ; mais quand vous aurez essuyé vos premières larmes, vous la pourrez reprendre, et vous y verrez ce que nous avons résolu touchant vos affaires.

Nous n’avons reçu qu’hier la lettre que vous avez écrite par le courrier : c’est justement celle dont j’étois en peine ; il n’y en a point eu de perdues. J’ai été une heure avec Monsieur d’Uzès ; mon oncle l’abbé y étoit aussi. Nous avons fort discouru de toutes vos affaires : je suis plus satisfaite que jamais de la prudence et du bon esprit de ce prélat[1156]. Vous n’avez qu’à lui envoyer vos pensées toutes crues : en deux heures de réflexion, il voit tout ce qu’il faut faire, ou ne faire pas. Je lui ai montré une lettre que j’ai reçue de M. de Pompone ; il faut que je ménage une conversation entre Monsieur d’Uzès et lui. Le nom de Monsieur d’Uzès est plein de mauvais air présentement[1157], cela nous désespère ; il n’ose aller à Saint-Germain ; il ne peut parler à M. Colbert : cela nous coupe la gorge. Il ne veut pas aller brusquement dans cette affaire, parce que, si elle appartient aux députés, il ne faut pas mettre la raison de leur côté, et le tort du nôtre ; car, comme un homme habile, l’Évêque ne prendroit que ce petit endroit qu’il feroit valoir, et cacheroit tout le reste. Quand les gens coupables tiennent une pauvre petite vérité pour eux, ils la retournent de cent façons, et sont insupportables[1158].

Le marquis de Villeroi[1159] a eu ordre de se retirer de la cour pour sa mauvaise conduite : voilà tout ce qu’a dit Sa Majesté. On tire plusieurs conséquences, on s’en prend à des gens[1160] ; enfin, ce qui est sûr, c’est que Vardes en sera sensiblement aise. C’est à Lyon qu’il est exilé ; cette demeure n’est pas odieuse pour lui, pourvu qu’elle ne soit pas longue. Je suis persuadée que vous êtes si touchée du pauvre Chevalier, que je garde pour une autre fois mille bagatelles qui ne seroient pas de saison aujourd’hui.

Votre maxime est divine ; M. de la Rochefoucauld en est jaloux, il ne comprend pas qu’il ne l’ait pas faite ; l’arrangement des paroles en est heureux. Mais pourquoi n’entendez-vous pas la sienne ? Hélas ! le moyen de vivre sans folie, c’est-à-dire sans fantaisie ? et un homme n’est-il pas fou, qui croit être sage en ne s’amusant et ne se divertissant de rien ? Vous reviendrez à notre opinion[1161].

L’abbé a rendu tous les devoirs au pauvre Chevalier ; j’en aurois fait autant, mais on m’auroit lapidée. Je me contentai d’aller pleurer, dès le jour même, avec Monsieur d’Uzès, qui étoit dans une autre maison. Adhémar n’est point encore arrivé.

Je suis en peine de vous savoir à Aix, à cause de la petite vérole qui y étoit. Mon Dieu, qu’on est à plaindre quand on aime beaucoup ! Je vois d’ici la tranquillité où vous étiez à Lambesc toute seule, pendant que votre cœur se reposoit avec le pain et l’eau de la paresse : vous revoilà dans les ragoûts. Votre comparaison n’est nullement ridicule : elle feroit rire, si on rioit ; mais on ne rit pas toujours. Hélas ! ma chère enfant, il y a plus d’un an que je ne vous ai vue ; je sens vivement cette absence ; et vous, ma fille, n’y pensez-vous point quelquefois un petit moment ?

d’emmanuel de coulanges.

Je ne m’amuserai point, ma belle Comtesse, à vous faire un méchant compliment ; mais je vous assurerai seulement que j’ai été très-affligé de la mort de notre pauvre Chevalier. Je m’en étois si bien trouvé en Provence, et j’espérois m’en si bien trouver partout, que sa perte me touche sensiblement. Hélas ! il vous souvient de notre mariage : qui eût cru qu’il eût été de si peu de durée ? Voilà un beau sujet de méditation pour les jeunes gens, et pour tous nous autres gens plus avancés en âge. Il ne se faut point fier à l’âge ni à la bonne santé : nous sommes tous mortels, et l’heure et le moment sont fort incertains. Je finis par cette moralité un peu triviale, et vous embrasse, s’il vous plaît, ma belle Comtesse, avec le dernier respect et la dernière tendresse.

de madame de coulanges.

Je suis très-fâchée de la mort de M. le chevalier de Grignan, Madame ; mais je ne veux point ajouter à votre affliction celle de lire une méchante lettre. Trouvez donc bon, s’il vous plaît, que je vous assure ici que je suis très-sensible à tout ce qui vous arrive, et que je me sais faire un fort grand plaisir d’espérer que j’aurai l’honneur de vous voir cet été. J’irai assurément à Grignan, quand il m’en coûteroit de quitter le marquis de Villeroi à Lyon. Comprenez mon procédé. Adieu, Madame : c’est une chose délicieuse que de demeurer avec Madame de Sévigné.


1672

248. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 12e février.

Je ne puis, ma bonne, que je ne sois en peine de vous, quand je songe au déplaisir que vous aurez de la mort du pauvre Chevalier. Vous l’avez vu depuis peu : c’étoit assez pour l’aimer beaucoup, et connoître encore plus toutes les bonnes qualités que Dieu avoit mises en lui. Il est vrai que jamais un homme n’a été mieux né, ni avec des sentiments plus droits et plus souhaitables ; avec une très-belle physionomie, et une très-grande tendresse pour vous. Tout cela le rendoit aimable, et pour vous, et pour tout le monde. Je comprends aisément votre douleur, puisque je la sens en moi ; cependant, ma bonne, j’entreprends de vous amuser un quart d’heure, et par des choses où vous avez intérêt, et par le récit de ce qui se passe dans le monde.

Monsieur d’Uzès a écrit un mémoire admirable de tout ce qu’il trouve à propos de faire savoir à M. Colbert, auquel il n’ose parler, à cause de la vision que son nom porte la petite vérole. Il n’y a qu’à admirer tout ce que fait[1162] Monsieur d’Uzès, et vous ne pouvez mettre vos intérêts en de meilleures mains. Il augmente, il diminue, il rectifie toutes vos pensées, et fait si bien qu’on ne peut rien souhaiter au delà de ce qu’il fait. Je lui dis l’autre jour le petit embarras où vous met l’affaire des secrétaires[1163] : il trouve comme moi que c’est une chose entièrement ridicule que vous donniez cent écus pour contenter la fantaisie de M. Danonneau[1164] ; ce n’est pas pour l’argent, mais c’est que cela est mal et tire à conséquence. Il a oublié qu’il eut toute l’année passée, et c’est bien contraindre M. de Grignan de dire qu’il ne puisse pas l’année d’après faire une civilité à M. de Vendôme, et que M. Danonneau ayant tant de petits secours d’ailleurs et témoignant de l’attachement pour son maître, veuille tirer à la rigueur la disposition de l’Assemblée contre celle de M. de Grignan, et lui laisse tirer de sa bourse ce qu’il faut pour le contenter. Ce procédé ne me paroît ni juste, ni honnête ; je vous le dis franchement. Vous êtes obligés à de si grandes dépenses que je trouve de la dureté à vouloir que vous fassiez ce que vous ne devez point faire, et j’admire votre docilité d’y consentir, comme un mouton. Et si vous prenez le chemin de dire : « Qu’est-ce que cent écus plus ou moins ? » ce style fait bien voir du pays. Je ne fais pas ma cour à M. Danonneau, mais vos intérêts me sont chers, et je crois que j’ai raison. Monsieur d’Uzès au moins n’est pas plus doux que moi là-dessus. Voilà qui est fait, je n’en dirai plus rien ; mais j’ai cru vous pouvoir dire mon avis.

J’ai eu une grande conversation avec M. le Camus ; il vous aime et vous honore ; il est instruit à la perfection. L’Évêque n’a qu’à s’y frotter. Il entre si parfaitement dans nos sentiments, qu’il me donne des conseils ; et je saurai par lui ses manières[1165] ; il est piqué des conduites malhonnêtes ; et comme il en a de fort contraires, il n’a pas de peine à entrer dans nos intérêts, où la droiture et la sincérité sont en usage. C’est dont il ne faut point se départir, quoi qu’il arrive : cette mode revient toujours. On ne trompe guère longtemps le monde, et les fourbes sont enfin découverts ; j’en suis persuadée. M. de Pompone n’est pas moins opposé à ce qui lui est si contraire ; et je vous puis assurer que si j’étois aussi habile sur toutes choses que je le suis pour discourir là-dessus, il ne manqueroit rien à ma capacité. Dites-moi quelquefois quelque chose d’agréable pour M. le Camus : ce sont des faveurs précieuses pour lui, et d’autant plus qu’il n’est obligé à aucune réponse.

Voilà une lettre pour MM. de Maillanes et de Vence[1166], qui répare assez bien, ce me semble, la faute que fit autrefois l’abbé de Grignan. Mandez-moi si elle sera reçue agréablement. Rippert a son ordonnance de voyage. Monsieur d’Uzès vous dira le reste ; il ne songe qu’à vous, et plût à Dieu que je pusse par mon affection vous être de mon côté aussi utile que lui !

Voici des nouvelles. Le marquis de Villeroi est parti pour Lyon comme je vous l’ai mandé ; le Roi lui fit dire par le maréchal de Créquy qu’il s’éloignât : on croit que c’est pour quelques discours chez Mme la Comtesse[1167] ; enfin,

L’on parle d’eaux, de Tibre, et l’on se tait du reste[1168].

Le Roi demanda à Monsieur, qui revenoit de Paris : « Eh bien, mon frère, que dit-on à Paris ? » Monsieur lui dit : « Monsieur, on parle fort de ce pauvre marquis. — Et qu’en dit-on ? — On dit, Monsieur, que c’est qu’il a voulu parler pour un autre malheureux. — Et quel malheureux ? dit le Roi. — Pour le chevalier de Lorraine[1169], dit Monsieur. — Mais, dit le Roi, y songez-vous encore, à ce chevalier de Lorraine ? vous en souciez-vous ? aimeriez-vous bien quelqu’un qui vous le rendroit ? — En vérité, Monsieur, répondit Monsieur, ce seroit le plus sensible plaisir que je pusse recevoir en ma vie. — Eh bien, dit le Roi, je veux vous faire ce présent. Il y a deux jours que le courrier est parti : il reviendra ; je vous le redonne, et veux que vous m’ayez toute votre vie cette obligation, et que vous l’aimiez pour l’amour de moi. Je fais plus, car je le fais maréchal de camp dans mon armée. » Là-dessus, Monsieur se jeta aux pieds du Roi, lui embrassa longtemps les genoux, et lui baisa une main avec une joie sans égale. Le Roi le releva et lui dit : « Mon frère, ce n’est pas ainsi que des frères se doivent embrasser, » et l’embrassa fraternellement. Tout ce détail vient de très-bon lieu, et rien n’est plus vrai. Vous pouvez là-dessus faire vos réflexions, tirer vos conséquences[1170], et redoubler vos belles passions pour le service du Roi votre maître. On dit que Madame fera le voyage, et que plusieurs dames l’accompagneront. Les sentiments sont divers chez Monsieur : les uns ont le visage allongé d’un demi-pied, d’autres l’ont raccourci d’autant. On dit que celui du chevalier de Beuvron[1171] est infini. M. de Navailles[1172] revient aussi, et servira de lieutenant général dans l’armée de Monsieur avec M. de Schomberg.


1672 Le Roi a dit au maréchal de Villeroi : « Il falloit cette petite pénitence à votre fils ; mais les peines de ce monde ne sont pas infinies. » Vous pouvez vous assurer que tout ceci est vrai. C’est mon aversion que les faux détails, mais j’aime les vrais : si vous n’êtes de mon goût, vous êtes perdue ; car en voici d’infinis.

La Marans étoit l’autre jour seule en mante chez Mme de Longueville ; on siffioit dessus. Langlade vous mande qu’une autre fois, en vue de vous plaire, il la releva bien de sentinelle sur des sottises qu’elle lui disoit, et qu’il vous eût bien souhaitée derrière la porte : plût à Dieu que vous y eussiez été ! Mme de Brissac étoit inconsolable chez Mme de Longueville ; mais par malheur le comte de Guiche se mit à causer avec elle, et elle oublia son rôle, aussi bien que celui du désespoir le jour de la mort[1173] ; car il falloit en un certain endroit qu’elle eût perdu connoissance ; elle l’oublia, et reconnut fort bien des gens qui entroient.

Adieu, ma très-chère, ma très-aimable ; ne trouvez-vous pas qu’il y a bien longtemps que nous sommes séparées ? Je suis frappée de cette douleur, d’une manière tellement importune, qu’elle me seroit insupportable, si je n’aimois à vous aimer autant que je fais, quelques peines qui y soient attachées.

La Troche arriva hier ; elle vous adore. Notre abbé est tout à vous et la Mousse. Ma tante est consolée par votre

souvenir ; les douleurs sont toujours extrêmes, et la crainte de ma cousine[1174] et son désespoir font pitié.

Adieu, je suis toute à vous, sans qu’il y ait à ce compliment aucune chose à rabattre. Barillon est ici qui vous dit mille choses. Mme de la Fayette vous a écrit : elle vouloit me donner sa lettre ; on la porte à la poste étourdiment ; il n’y a qu’à Madame de Grignan dessus : elle a peur qu’elle n’ait été perdue. J’embrasse mille fois mon cher Grignan.


1672

249. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET D’EMMANUEL DE COULANGES À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 17e février.

Monsieur de Coulanges et moi, nous avons donné un très-bon dîner à M. le président de Bouc[1175]. M. et Mme de Valavoire, Monsieur d’Uzès et Adhémar en étoient ; mais écoutez le malheur : le président, après nous avoir promis, vint s’excuser ; il avoit une affaire à Saint-Germain ; nous pensâmes nous pendre ; enfin il fallut prendre courage : Mme de Valavoire amena la Buzanval[1176] ; mais le président étoit le véritable objet de nos désirs. Ce dîner étoit bon, délicat, magnifique ; enfin, tel qu’il étoit, il est irréparable. Le Bouc reviendra peut-être, mais le dîner ne reviendra pas. Adhémar étoit pénétré de douleur d’avoir appris en arrivant la mort de son pauvre frère. J’avois le cœur bien serré en l’embrassant. Il alla coucher à Saint-Germain, et m’a promis de me voir à son retour, et que nous parlerions de vous : j’espère cette conversation.

Vous me dites que je pleure, et que je suis la maîtresse. Il est vrai, ma fille, que je ne puis m’empêcher de pleurer quelquefois ; mais ne croyez pas que je sois tout à fait la maîtresse de partir, quand je le voudrai. Je voudrois que ce fût demain, par exemple ; et mon fils a des besoins de moi très-pressants présentement. J’ai d’autres affaires pour moi. Enfin il me faut jusqu’à Pâques. Ainsi, mon enfant, on est la maîtresse, et l’on ne l’est point, et l’on pleure.

J’ai vu tantôt notre Cardinal[1177] : il ne se peut consoler de ne vous avoir point trouvée ici ; il vous en écrit, et m’a paru touché de bonne foi d’être à Paris, sans avoir le plaisir de vous voir et de causer avec sa chère nièce ; vous lui faites souhaiter la mort du pape[1178]. Vous verrez le chevalier de Lorraine plus tôt que nous. M. de Boufflers[1179], gendre de Mme du Plessis, est mort en passant d’une chambre à l’autre, sans autre forme de procès. J’ai vu tantôt sa petite veuve, qui, je crois, se consolera. M. Isarn, un bel esprit, est mort de la même sorte[1180].

Je ne suis point sans inquiétude de vous savoir à Aix, avec tant d’air de petite vérole. Au moins évitez les lieux publics, et les presses : c’est un horrible mal que celui-là. Votre fille a le teint comme l’avoit Mlle de Villeroi, un blanc et un rouge séparés, des yeux d’un bleu merveilleux, des cheveux noirs, un tour de visage et un menton à peindre ; sa lèvre se rabaisse tous les jours : du reste elle est faite au tour ; elle ne crie jamais ; elle est douce et caressante ; elle appelle ; elle dit cinq ou six mots ; elle est vive ; enfin elle est aimable, et je l’aime. Adhémar m’a dit des merveilles de votre fils. Mme de Guénégaud m’a extrêmement priée de vous faire des compliments sur la mort du Chevalier, et à M. le coadjuteur d’Arles : tenez-la quitte de ce côté-là.

Je viens d’apprendre qu’Adhémar a eu une conversation divine avec M. Colbert : il vous en rendra compte. L’autre jour, on parloit devant le Roi de Languedoc, et puis de Provence, et puis enfin de M. de Grignan : on en dit beaucoup de bien. M. de Janson[1181] en dit aussi ; et puis parla de sa paresse naturelle. Là-dessus le marquis de Charost le releva de sentinelle d’un très-bon ton, et lui dit : « Monsieur, M. de Grignan n’est point paresseux quand il est question du service du Roi, et personne ne peut jamais mieux faire qu’il a fait dans cette dernière Assemblée : j’en suis fort bien instruit. » Voilà de ces

gens que je trouve toujours qu’il faut aimer et instruire. Tout le monde fut de son avis.

Je parlerai de l’Adone[1182] au bonhomme Chapelain, en le comblant d’honneur par votre souvenir. Je fais toujours vos compliments ; on vous les rend avec mille tendresses. Ma tante est toujours bien mal. Votre pauvre frère m’écrit souvent, et moi à lui : je suis au désespoir de la guerre, à cause des périls qu’il essuiera des premiers. La vie est cruellement mêlée d’absinthe. Ma chère enfant, je suis toute à vous.

d’emmanuel de coulanges.

Je ne vous dis rien, mais je n’en pense pas moins. Nous serons à Pâques à Lyon. Nous y allons, Mme de Coulanges et moi, pour le mariage de Mlle du Gué[1183], qui, sans aller chercher plus loin, épouse M. de Bagnols, que vous connoissez, son cousin issu de germain. Pour la naissance, ils n’ont rien à se reprocher ; et pour le bien, Bagnols a vingt-cinq bonnes mille livres de rente par devers lui. N’est-ce pas là une très-bonne affaire ? J’espère que nous ferons les honneurs de Lyon à Madame votre mère, quand elle y passera. Adieu, Madame la Comtesse, je vous aime toujours avec la même passion. M. d’Adhémar m’a dit qu’il avoit apporté le portrait de M. de Grignan ; mais je ne l’ai point encore vu.


1672

250. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 19e février.

Je m’en vais dimanche à Saint-Germain avec Mme de Coulanges, pour discourir un peu avec M. de Pompone : je crois cette conversation nécessaire. Je vous en rendrai compte, afin que M. de Grignan m’appelle plus que jamais son petit ministre. Adhémar a fait des miracles de son côté ; Monsieur d’Uzès du sien : enfin il me semble que nous ne serons point surpris, et que nous avons assez bien pris nos précautions. Mais que vous dirai-je de l’aimable portrait que M. de Grignan a donné à M. de Coulanges ? Il est beau et très-ressemblant ; celui du Fèvre[1184] est un misérable auprès de celui-ci. Je fais vœu de ne revenir jamais de Provence que je n’en aie un pareil, et un de vous : il n’y a point de dépense qui me soit si agréable ; mais prenez garde, ma chère fille, de n’être point changée. Enfin Mme de Guerchi[1185] n’est morte que pour avoir le corps usé à force d’accoucher. J’honore bien les maris qui se défont de leurs femmes sous prétexte d’en être amoureux.

Nous avons fort causé, Guitaut et moi, de notre ami[1186], qui est si sage, et qu’il craint tant. Il n’ose vous mander un accident qu’on croit qui lui est arrivé : c’est d’être passionnément amoureux de la borgnesse, fille du maréchal[1187] : c’est amour, fureur, à ce qu’on dit. Il s’en défend comme d’un meurtre ; mais ses actions le trahissent ; il sent le ridicule d’être amoureux d’une personne ridicule ; il est honteux, embarrassé ; mais ce bel œil l’a charmé :

Cet œil charmant qui n’eut jamais
Son pareil en divins attraits.

Voilà ce que Guitaut n’osoit écrire ; je vous confie ce secret, et je vous conjure de le garder très-fidèlement, mais le moyen de ne point faire admirer en cette occasion la puissance de l’orviétan[1188] ? J’ai vu depuis deux heures Adhémar, M. de Gordes[1189], Monsieur d’Uzès : je suis en Provence. J’ai causé avec Adhémar ; il m’assure que vous m’aimez : c’est tout ce qu’il y a pour moi d’agréable dans le monde. J’admire votre humeur, votre courage, votre raison, votre conduite. Je lui ai dit :

De grâce, montrez moins à mes sens désolés
La grandeur de ma perte et ce que vous valez[1190].

Nous ne finissons point sur votre chapitre.

Votre amie, Mme de Vaudemont[1191], sera bientôt

heureuse ; je le sais du même endroit qu’Adhémar. C’est encore un secret ; mais il y a des gens obligeants qui avancent le plaisir de savoir les secrets deux jours plus tôt, et c’est tout ; il y en a d’autres dont la sécheresse fait mourir. Que peut faire une amitié sous cet amas d’épines ? Où en sont les douceurs ? Elle est écrasée, elle est étouffée. Nous eussions fait hier un livre là-dessus, Guitaut et moi ; et je renouvelai mon vœu de ne la jamais connoître[1192] sous un visage si déguisé. Adieu, ma très-aimable : je m’en vais souper chez M. de la Rochefoucauld ; c’est ce qui fait ma lettre si courte.


1672

251. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 24e février.

J’ai reçu tout à la fois vos deux lettres. Je n’ai pu voir votre douleur sans renouveler la mienne. Je vous trouve véritablement affligée, et c’est avec tant de raison qu’il n’y a pas un mot à vous répondre : j’ai senti tout ce que vous sentez, et je n’avois point attendu la mort de ce pauvre Chevalier, pour en dire tous les biens qui se trouvoient en lui. Je vous plains de l’avoir vu cette automne : c’est une circonstance à votre douleur. Monsieur d’Uzès vous mandera ce que le Roi lui a dit là-dessus, à quoi toute la famille doit prendre part. On l’a fort regretté dans ce pays-là, et la Reine m’en parla avec bonté. Enfin tout cela ne nous rend point cet aimable garçon. Vous aimez si chèrement toute la famille de M. de Grignan, que je vous crois aussi affligée que lui.

J’ai dîné aujourd’hui avec plusieurs Provençaux chez M. de Valavoire. Le mari et la femme sont les meilleures gens du monde. Je vous plains de n’avoir point la femme, vous n’avez rien de si bon : elle est raisonnable et naturelle ; elle me plaît fort. Nous avions MM. de Bouc, d’Oppède[1193], de Gordes et de Souliers[1194], Mme de Buzanval, Monsieur d’Uzès, M. et Mme de Coulanges. Votre santé a été célébrée au plus beau repas que j’aie jamais vu ; nous avons été bien heureux de commencer les premiers.

On a fort conté ici la bonne réception que vous avez faite à M. le duc d’Estrées[1195] : il en a écrit des merveilles à ses enfants. Mme de Rochefort[1196] n’a qu’un cri, depuis que vous avez écrit à ses cousines, sans lui dire un mot. Pour moi, je vous conseille de lui écrire, et de tâcher de l’apaiser à quelque prix que ce soit.

Ce que vous me mandez de votre séjour infini me brise le cœur : ma raison n’est pas si forte que la vôtre, et je me perds dans les réflexions que cela me fait faire. Adieu, ma chère fille ; il faut finir tout court en cet endroit.


Mme de Villars vous fait ses compliments, et à M. de Grignan, et au Coadjuteur. M. Chapelain a reçu votre souvenir avec enthousiasme. Il dit que l’Adone est délicieux en certains endroits, mais d’une longueur assommante. Le chant de la comédie[1197] est admirable ; il y a aussi un petit rossignol qui s’égosille pour surmonter un homme qui joue du luth. Il se vient percher sur sa tête, et enfin il meurt ; on l’enterre dans le corps du luth. Cette peinture est charmante. M. et Mme de Coulanges vous disent mille amitiés ; ils sont occupés de leur mariage[1198] ; ils s’en vont à Pâques ; ils me recevront à Lyon, et moi je les recevrai à Grignan. Ma tante est toujours très-mal ; elle vous remercie de vos bontés, et l’abbé vous est toujours tout dévoué.


1672

252. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi au soir, 26e février.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite pour M. de la Valette[1199]. Tout m’est cher de ce qui vient de vous : je lui veux faire avoir Pellisson pour rapporteur, afin de voir s’il sait bien faire le maître des requêtes[1200] ; je ne le puis croire, si je ne le vois.

Cette pauvre Madame[1201] est toujours à l’agonie ; c’est une chose étrange que l’état où elle est. Mais tout est en émotion dans Paris. Le courrier d’Espagne est revenu : il dit que non-seulement la reine d’Espagne se tient au traité des Pyrénées, qui est de ne point accabler ses alliés ; mais qu’elle défendra les Hollandois de toute sa puissance : voilà donc la plus grande guerre du monde allumée ; et pourquoi ? C’est bien proprement les petits soufflets[1202] : vous en souvient-il ? Nous allons attaquer la Flandre ; les Hollandois se joindront aux Espagnols ; Dieu nous garde des Suédois, des Anglois, des Allemands ! Je suis assommée de cette nouvelle. Je voudrois bien que quelque ange voulût descendre du ciel pour calmer tous les esprits, et faire la paix.

Notre Cardinal est toujours malade ; je lui rends de grands soins. Il vous aime toujours ; il compte que vous l’aimez aussi. L’affaire de Mme de Courcelles[1203] réjouit

fort le parterre. Les charges de la Tournelle[1204] sont enchéries depuis qu’elle doit être sur la sellette ; elle est plus belle que jamais. Elle boit, et mange, et rit, et ne se plaint que de n’avoir point encore trouvé d’amant à la Conciergerie.

Je vous éclaircirai un peu mieux l’affaire dont vous me parlâtes l’autre jour ; mais M. le comte de Guiche ni M. de Longueville n’en sont point, ce me semble : enfin je vous en instruirai. M. de Boufflers a tué un homme, après sa mort. Il étoit dans sa bière et en carrosse, on le menoit à une lieue de Boufflers pour l’enterrer, son curé étoit avec le corps. On verse ; la bière coupe le cou au pauvre curé[1205]. Hier un homme versa en revenant de Saint-Germain ; il se creva le cœur, et mourut dans le carrosse.

Mme Scarron, qui soupe ici tous les soirs, et dont la compagnie est délicieuse, s’amuse et se joue avec votre fille. Elle la trouve jolie, et point du tout laide. Cette petite appeloit hier l’abbé Têtu son papa : il s’en défendit par de très-bonnes raisons, et nous le crûmes. Je vous embrasse, ma très-aimable. Je vous mandai tant de choses en dernier lieu, qu’il me semble que je n’ai rien à dire aujourd’hui ; je vous assure pourtant que je ne demeurerois pas court, si je voulois vous dire tous les sentiments que j’ai pour vous.



1672

253. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Livry, mardi 1er mars.

Je commence ma lettre aujourd’hui, ma fille, jour de mardi gras ; je l’achèverai demain. Si vous êtes à Sainte-Marie, je suis chez notre abbé, qui a depuis deux jours un petit dérèglement qui lui donne de l’émotion. Je n’en suis pas encore en peine ; mais j’aimerois mieux qu’il se portât tout à fait bien. Mme de Coulanges et Mme Scarron me vouloient mener à Vincennes ; M. de la Rochefoucauld vouloit que j’allasse chez lui entendre lire une comédie de Molière[1206] ; mais en vérité, j’ai tout refusé avec plaisir ; et me voilà à mon devoir, avec la joie et la tristesse de vous écrire : il y a longtemps en vérité que je vous écris. Vous êtes donc à Sainte-Marie, ne voulant pas laisser échapper un moment de la douleur que vous avez de la mort du pauvre Chevalier. Vous la voulez sentir à longs traits, sans en rien rabattre, sans aucune distraction. Cette application à faire valoir et à vouloir sentir toute votre tristesse, me paroît d’une personne triste, qui n’est pas si embarrassée qu’une autre[1207] d’avoir des occasions de s’affliger ; j’en prends à témoin votre cœur.

Voilà donc votre carnaval échappé de la fureur des réjouissances publiques. Sauvez-vous aussi de l’air de la petite vérole : je la crains pour vous beaucoup plus que vous. Nous avons ici Mme de la Troche. Il est vrai qu’elle sait arriver à Paris : son arrivée de l’année passée fut bien abîmée à mon égard, dans l’extrême douleur de vous perdre. Depuis ce temps, ma chère enfant, vous êtes arrivée partout, comme vous dites ; mais point du tout à Paris. Vos réflexions sur l’espérance sont divines. Si Bourdelot[1208] les avoit faites, tout l’univers le sauroit ; vous ne faites pas tant de bruit pour faire des merveilles : le malheur du bonheur est tellement bien dit, qu’on ne peut trop aimer une plume qui dit ces choses-là. Vous dites tout sur l’espérance, et je suis si fort de votre avis, que je ne sais si je dois aller en Provence, tant j’ai de crainte d’en repartir. Je vois déjà comme le temps galopera ; je connois ses manières ; mais ensuite de cette belle réflexion, mon cœur décide comme le vôtre, et je ne souhaite rien tant que de partir. Je veux même espérer qu’il peut arriver de telles choses, que je vous ramènerai avec moi. C’est là-dessus qu’il est difficile de parler de si loin. Du moins, ma fille, il ne tiendra pas à une maison et à des meubles. — Je ne songe qu’à vous : les pas que je fais pour vous sont les premiers ; les autres viennent après comme ils peuvent.

J’ai donné vos lettres au faubourg. Elles sont bien faites : on y trouve la réflexion de M. de Grignan admirable : on l’a pensée quelquefois ; mais vous l’avez habillée pour paroître devant le monde. Je n’ai pas dit ce que vous avez trouvé de la maxime[1209] qui ressemble à la chanson. Pour moi, je suis de votre avis : je saurai s’ils ont eu un autre dessein que de vouloir louer les fantaisies, c’est-à-dire, les passions. Si cela est, l’exacte philosophie s’en offense ; si cela n’est pas, il faut qu’ils s’expliquent mieux.

Je soupai hier chez Gourville avec les la Rochefoucauld, les Plessis, les Fayette, les Tournai[1210]. Nous attendions le grand Pompone ; mais le service de ce cher maître que vous honorez tant l’empêcha de se retrouver avec la fleur de ses amis. Il a bien des affaires, à cause des dépêches qu’il faut écrire partout, et à cause de la guerre.

L’archevêque de Toulouse[1211] a été fait cardinal à Rome ; et la nouvelle en est venue ici dans le temps qu’on attendoit celle de Monsieur de Laon[1212]. C’est une grande douleur pour tous ses amis. On tient que Monsieur de Laon s’est sacrifié pour le service du Roi, et qu’afin de ne point trahir les intérêts de la France, il n’a point ménagé le cardinal Altieri[1213], qui lui a fait ce tour. On espère que son rang pourra revenir, mais cela est long, et c’est toujours ici un dégoût.

Benserade a dit plaisamment à mon gré que le retour du chevalier de Lorraine réjouissoit ses amis, et affligeoit ses créatures ; car il n’y en a point qui lui ait gardé fidélité.

J’ai su, sans en pouvoir douter, qu’il ne tiendra encore qu’à nous d’avoir la paix. La reine d’Espagne n’a point précisément répondu comme on le disoit : elle a dit simplement qu’elle se tenoit au traité de paix, qui permet d’assister ses alliés. Nous avons pris la même liberté pour le Portugal. Elle promet même présentement de ne point assister les Hollandois. Elle ne le veut pas signer : voilà le procès. Si on s’opiniâtre à vouloir qu’elle signe, tout est perdu ; sinon, la paix sera bientôt faite, quand nous n’aurons pas l’Espagne contre nous. Le temps nous en apprendra davantage. Adieu, ma très-chère et très-aimable ; je crains bien qu’aimant la solitude comme vous faites, vous ne vous creusiez les yeux et l’esprit à force de rêver.


1672

254. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 4e mars.

Vous dites donc, ma fille, que vous ne sauriez haïr vivement si longtemps ; c’est fort bien fait : je suis assez comme vous ; mais devinez ce que je fais bien en récompense, c’est d’aimer vivement qui vous savez, sans que l’absence puisse rien diminuer de ma tendresse. Vous me paroissez dans une négligence qui m’afflige : il est vrai que vous ne demandez que des prétextes ; c’est votre goût naturel ; mais moi, qui vous ai toujours grondée là-dessus, je vous gronde encore. De vous et de Mme du Fresnoi, on en pétriroit une personne dans le juste milieu : vous êtes aux deux extrémités, et assurément la vôtre est moins insupportable ; mais c’est toujours une extrémité. J’admire quelquefois les riens que ma plume veut dire ; je ne la contrains point : je suis bien heureuse que de tels fagotages vous plaisent. Il y a des gens qui ne s’en accommoderoient pas ; mais je vous prie au moins de ne les point regretter, quand je serai avec vous. Me voilà jalouse de mes lettres.

Le dîner de M. de Valavoire effaça entièrement le nôtre, non pas par la quantité des viandes, mais par l’extrême délicatesse, qui a surpassé celle de tous les Coteaux[1214]

Hé ! ma fille, comme vous voilà faite ! Mme de la Fayette vous grondera comme un chien. Coiffez-vous demain pour l’amour de moi : l’excès de la négligence étouffe la beauté ; vous poussez la tristesse au delà de toutes les mesures.

J’ai fait tous vos compliments ; tous ceux que l’on vous fait surpassent le nombre des étoiles. À propos d’étoiles, la Gouville[1215] étoit l’autre jour chez la Saint-Loup[1216] qui a perdu son vieux Page. La Gouville discouroit et parloit de son étoile ; enfin que c’étoit son étoile qui avoit fait ceci, qui avoit fait cela. Segrais se réveilla comme d’un sommeil, et lui dit : « Mais, Madame, pensez-vous avoir une étoile à vous toute seule ? Je n’entends que des gens qui parlent de leur étoile ; il semble qu’ils ne disent rien. Savez-vous bien qu’il n’y en a que mille vingt-deux[1217] ? voyez s’il peut y en avoir pour tout le monde. » Il dit cela si plaisamment et si sérieusement, que l’affliction en fut déconcertée.

C’est d’Hacqueville qui fait tenir vos lettres à Mme de Vaudemont : je ne le vois quasi plus en vérité ; les gros poissons mangent les petits[1218].

Adieu, ma très-chère et très-aimable ; je vous prépare Bajazet et les Contes de la Fontaine[1219] pour vous divertir. M. de la Rochefoucauld entend sa maxime dans le sens relâché que votre philosophie condamne[1220]. Épictète n’auroit pas été de son avis.


1672

255. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi au soir, 9e mars.

Ma bonne, ne me parlez plus de mes lettres. Je viens d’en recevoir une de vous, qui enlève, tout aimable, toute brillante, toute pleine de pensées, toute pleine de tendresse : un style juste et court, qui chemine et qui plaît au souverain degré, je dis même sans vous aimer comme je fais. Je vous le dirois plus souvent, ma bonne, sans que je crains d’être fade en vous renvoyant les louanges que vous me donnez quelquefois avec profusion ; mais je suis toujours charmée de vos lettres sans vous le dire. Mme de Coulanges l’est aussi toujours des endroits que je lui fais voir, et qu’il est impossible de lire toute seule. Il y a un petit air de dimanche gras[1221] répandu sur votre dernière lettre, qui la rend d’un goût nompareil.

Il y a longtemps que le jeu vous abîmoit : j’en étois toute triste ; mais celui de l’oie vous a renouvelée, comme il l’a été par les Grecs : je voudrois bien que vous n’eussiez joué qu’à ce jeu-là, et que vous n’eussiez pas perdu tant d’argent. Un malheur continuel pique et offense ; on est honteux d’être houspillé par la fortune ; cet avantage que les autres ont sur vous blesse et déplaît, quoique ce ne soit point dans les occasions d’importance. Nicole dit si bien cela[1222], ma bonne. J’en hais la fortune : me voilà bien persuadée qu’elle est aveugle de vous traiter comme elle fait ; si elle n’étoit que borgne[1223], vous ne seriez pas si malheureuse.

Vous me demandez les symptômes de cet amour[1224] : c’est premièrement une négative vive et prévenante ; c’est un air outré d’indifférence qui prouve le contraire ; c’est le témoignage des gens qui voient de près, soutenu de la voix publique ; c’est une suspension de tout le mouvement de la machine ronde ; c’est un relâchement de tous les soins ordinaires[1225], pour vaquer à un seul ; c’est une satire perpétuelle contre les vieilles gens amoureux : « Vraiment il faudroit être bien fou, bien insensé : quoi, une jeune femme ! voilà une bonne pratique pour moi ! cela me conviendroit fort ! j’aimerois mieux m’être rompu les deux bras. » À cela on répond intérieurement : « Eh oui, tout cela est vrai ; mais vous ne laissez pas d’être amoureux. Vous nous dites vos réflexions ; elles sont justes, elles sont vraies, elles font votre tourment ; mais vous ne laissez pas d’être amoureux. Vous êtes tout plein de raisons ; mais l’amour est plus fort que toutes les raisons. Vous êtes malade, vous pleurez, vous enragez, et vous êtes amoureux. » Si vous conduisez à cette extrémité Monsieur de Vence[1226], je vous prie, ma bonne, que j’en sois confidente. En attendant, vous ne sauriez avoir un plus agréable commerce : c’est un prélat d’un esprit et d’un mérite distingué ; c’est le plus bel esprit de son temps ; vous avez admiré ses vers, jouissez de sa prose ; il excelle en tout ; il mérite que vous en fassiez votre ami. Vous citez plaisamment cette dame qui aimoit à faire tourner la tête à des moines : ce seroit une bien plus grande merveille de la faire tourner à Monsieur de Vence, lui dont la tête est si bonne, si bien faite, si bien organisée : c’est un trésor que vous avez en Provence, profitez-en. Je vous prie qu’il soit excepté de la fureur de mes manches[1227], et qu’il demeure seul avec M. de Grignan et vous : du reste, sauve qui peut !

Je vous défends, ma bonne, de m’envoyer votre portrait. Si vous êtes belle, faites-vous peindre ; mais gardez-moi cet aimable présent pour quand j’arriverai : je serois fâchée de le laisser ici. Suivez mon conseil, et recevez en attendant un présent passant tous les présents passés et les présents ; car ce n’est pas trop dire : c’est, ma bonne, un tour de perles de douze mille écus ; cela est un peu fort, mais il ne l’est pas plus que ma bonne volonté : enfin regardez-le, pesez-le, voyez comme il est enfilé, et puis m’en dites votre avis : c’est le plus beau que j’aie jamais vu ; on l’a admiré ici. Si vous l’approuvez, et qu’il ne vous tienne point au cou, il sera suivi de quelques autres ; car pour moi, je ne suis point libérale à demi. Sérieusement, rien n’est plus beau ; il vient de l’ambassadeur de Venise, notre défunt voisin[1228], qui en donnoit par rareté. Voilà aussi des pincettes pour cette barbe incomparable[1229] ; ce sont les plus parfaites de Paris. Voilà aussi un livre que mon oncle de Sévigné[1230] me prie de vous envoyer ; je m’imagine que ce n’est pas un roman : je ne lui laisserai pas le soin de vous envoyer des Contes de la Fontaine, qui sont… Vous en jugerez.

Vous êtes une jolie femme de n’être point grosse ; mais vous avez sur cela des pensées qui me font trembler. Votre beauté vous jette dans des extrémités, parce qu’elle vous est inutile. Vous trouvez qu’il vaut autant être grosse ; c’est un amusement. Voilà une belle raison : songez, ma bonne, que c’est vous détruire entièrement et votre santé et votre vie. Continuez donc cette bonne coutume de coucher séparément, et vous remettez un peu, afin que je vous trouve belle.

Mme de Vaudemont n’est pas prête de revenir ici ; je ne sais qui m’avoit donné cette espérance. Si elle y étoit, j’irais assurément l’embrasser pour vous et pour moi. C’est une aimable amie, qui vous aime tendrement et que j’estime au dernier point.

D’Hacqueville a fait tenir vos lettres par Mme de Louvigny[1231], qui dit qu’elle les a toutes envoyées : je saurai son adresse et désormais elles ne passeront plus par ses mains. Si cet homme à qui Rippert avoit coutume de donner vos lettres n’étoit point disparu de la rue qu’il habitoit, on ne se seroit pas servi de Mme de Louvigny ; mais il faut changer et prendre son adresse.

Nous tâchons d’amuser notre cher Cardinal[1232]. Corneille lui a lu une comédie qui sera jouée dans quelque temps, et qui fait souvenir des anciennes[1233]. Molière lui lira samedi Trissotin[1234], qui est une fort plaisante pièce. Despréaux lui donnera son Lutrin et sa Poétique[1235] : voilà tout ce qu’on peut faire pour son service. Il vous aime de tout son cœur, ce pauvre Cardinal ; il parle souvent de vous, et vos louanges ne finissent pas si aisément qu’elles commencent. Mais, hélas ! quand nous songeons qu’on nous a enlevé notre chère enfant, rien n’est capable de nous consoler. Pour moi, je serois très-fâchée de l’être ; je ne me pique pas de fermeté, ni de philosophie ; mon cœur me mène et me conduit. On disoit l’autre jour, je ne sais si je vous l’ai mandé, que la vraie mesure du mérite du cœur, c’étoit la capacité d’aimer. Je me trouvai d’une grande élévation par cette règle ; elle me donneroit trop de vanité, si je n’avois mille autres sujets de me remettre à ma place.

Adhémar m’aime assez, mais il hait trop l’Évêque, et vous le haïssez trop aussi. L’oisiveté vous jette dans cet amusement ; vous n’en auriez pas le loisir, si vous étiez ici. Monsieur d’Uzès m’a fait voir un mémoire qu’il a tiré et corrigé du vôtre, dont il fera des merveilles : fiez-vous en lui ; vous n’avez qu’à lui envoyer tout ce que vous voudrez, sans crainte que rien sorte de ses mains, que dans le juste point de la perfection. Il y a dans tout ce qui vient de vous autres un petit brin d’impétuosité, qui est la vraie marque de l’ouvrière : c’est le chien du

Bassan[1236]. On vous mandera le dénouement que Monsieur d’Uzès fera à toute cette comédie. J’irai me faire nommer à la porte de l’Évêque, dont je vois tous les jours le nom à la mienne. Ne craignez pas pour cela que nous trahissions vos intérêts. Il y a plusieurs prélats qui se tourmentent de cette paix ; elle ne sera faite qu’à bonnes enseignes. Si vous voulez faire plaisir à cet évêque, perdez bien de l’argent, mettez, mettez-vous dans une grande presse : c’est là qu’il vous attend.

Voici une nouvelle : écoutez-moi. Le Roi a fait entendre à MM. de Charost qu’il vouloit leur donner des lettres de duc et pair, c’est-à-dire qu’ils auront dès à présent les honneurs du Louvre tous deux, et une assurance d’être passés en parlement la première fois qu’on en passera. On donne au fils la lieutenance générale de Picardie, qui n’avoit point été remplie depuis très-longtemps, avec le gouvernement de Calais, et vingt mille francs de pension, et deux cent mille francs de M. de Duras, à qui moyennant tout cela ils cèdent leur charge de capitaine des gardes du corps. Raisonnez sur tout cela, et voyez si M. de Duras ne vous paroît pas plus heureux que M. de Charost. Cette place est d’une telle beauté, par la confiance qu’elle marque et l’honneur d’être proche de Sa Majesté, qu’elle n’a point de prix[1237]. Il ira à l’armée pendant son quartier avec Sa Majesté, commandera toute la maison du Roi. Il n’y a point de dignité qui console de cette perte. Cependant on entre dans le sentiment du maître, et l’on trouve que MM. de Charost[1238] doivent être contents. Que notre ami Noailles[1239] prenne garde à lui, on dit qu’il lui en pend autant à l’œil, car il n’en a qu’un[1240] aussi bien que les autres.

On parle toujours de la guerre : vous pouvez penser combien j’en suis fâchée. Il y a des gens qui veulent encore faire des almanachs ; mais pour cette campagne ils sont trompés. Toute mon espérance, c’est que la cavalerie ne sera pas exposée aux siéges que l’on fera en Hollande. Vivons pour voir démêler ces fusées. J’ai vu M. le marquis de Vence[1241] ; je le trouvai si jeune, que je lui demandai comment se portoit Madame sa mère ; M. de Coulanges me redressa. Je reçus de lui votre lettre dont les avis me paroissent très-bons, et je les ai suivis très-fidèlement. Le cardinal de Retz interrompit notre conversation ; mais ce ne fut que pour parler de vous. Je souhaite toujours Adhémar, pour me redire encore mille fois que vous m’aimez : vous me dites, ma bonne, que c’est avec une tendresse digne de la mienne ; si je ne suis contente de cette ressemblance, je suis bien difficile à contenter.


Je viens de recevoir votre lettre du jour des Cendres. En vérité, ma fille, vous vous moquez avec vos louanges et vos remerciements : cela me fait souvenir de tout ce que je voudrois faire pour les mériter, et j’en soupire, parce que je ne suis pas sur cela contente de moi-même. Vous me faites un plaisir extrême de me donner quelque chose à faire, à dire, à vous envoyer. Pour mes intentions, elles méritent ce que vous me dites, mais les effets n’y répondent pas ; et plût à Dieu qu’enfin vous fussiez si pressée de mes bienfaits, que vous fussiez contrainte de vous jeter dans l’ingratitude[1242] ! C’est la vraie porte pour en sortir honnêtement, quand on ne sait plus où donner de la tête ; mais je ne suis pas assez heureuse pour vous réduire à cette extrémité : votre reconnoissance suffit et au delà. Que vous êtes aimable ! et que vous dites plaisamment sur cela tout ce qui se peut dire ! Vous êtes touchée de l’amitié que j’ai pour vous ; il est vrai qu’elle est grande, mais rien ne vous échappe, et si vous dites des injures à l’Évêque pour plus de vingt mille écus, vous me dites des tendresses pour plus de cent mille.

Mais à propos d’écus, quelle folie d’en perdre deux cents à ce chien d’hoca[1243] ! un coupe-gorge qu’on a banni de ce pays-ci, parce qu’on y fait de furieux voyages. Vous jouez d’un malheur insurmontable, vous perdez toujours. Voilà bien de l’argent qui vous épuise ; je ne puis croire que vous en ayez assez pour ne vous point sentir de ces pertes continuelles. Croyez-moi, ne vous opiniâtrez point ; je suis plus sensible que vous à ce continuel guignon. Souvenezvous que vous avez perdu tout cet argent sans vous divertir : au contraire, vous avez donné cinq ou six mille francs pour vous ennuyer et pour être houspillée de la fortune. Ma bonne, je m’emporte ; il faut dire comme Tartuffe : « C’est un excès de zèle[1244]. »

À propos de comédie, voilà Bajazet. Si je pouvois vous envoyer la Champmeslé, vous trouveriez cette comédie belle ; mais sans elle, elle perd la moitié de ses attraits. Je suis folle de Corneille ; il nous redonnera encore Pulchérie, où l’on verra encore

La main qui crayonna
La mort du grand Pompée et l’amour de Cinna
[1245].

Il faut que tout cède à son génie.

Voilà une petite fable de la Fontaine, qu’il a faite sur l’aventure du curé de M. de Boufflers, qui fut tué tout roide en carrosse auprès de lui[1246] : cette aventure est bizarre ; la fable est jolie, mais ce n’est rien au prix de celles qui suivront. Je ne sais ce que c’est que ce Pot au lait[1247].

Je ne vous ai rien dit de notre abbé. Le Roi ne permet plus aucune résignation ; mais Monsieur d’Uzès ne laissera pas de lui en parler, afin que s’il arrivoit malheur, il fût marqué, et souvent le Roi suit cette première vue. Voilà tout cc qu’on y peut faire ; vous lui en parlerez en Provence[1248].

Je partirois avec M. de Coulanges, n’ayant nulle autre affaire au monde, sans que nous n’osons laisser ma tante sans quelqu’un de la famille. Il faut donc attendre le retour de M. de Coulanges ; mais l’ennui que j’en ai est une chose qu’on ne peut expliquer. Je sollicite votre ordonnance comme celle de mon fils : c’est le payement qui en est difficile ; c’est un mal commun, et une chose assez extraordinaire de supprimer cette subsistance quand on part pour la guerre. Nous verrons.

J’ai souvent des nouvelles de mon pauvre enfant. La guerre me déplaît fort, pour lui premièrement, et puis pour les autres que j’aime. Mme de Vaudemont est à Anvers, nullement disposée à revenir ; son mari est employé contre nous. Mme de Courcelles sera bientôt sur la sellette ; je ne sais si elle touchera il petto adamantino[1249] de M. d’Avaux[1250] ; mais jusqu’ici il a été aussi rude à la Tournelle que dans sa réponse. Priez-moi de faire des compliments aux Charost et à Duras. La Marbeuf[1251] a perdu la Quincé ; sa douleur est respectable. Ma bonne, j’écris sans mesure ; encore faut-il finir : en écrivant aux autres, on est aise d’avoir écrit ; et moi, j’aime à vous écrire au-dessus de toutes choses. J’ai mille amitiés à vous faire de M. de la Rochefoucauld, de Mme de la Fayette, de Son Éminence, des Barillon[1252], et surtout de Mme Scarron, qui vous sait louer à ma fantaisie : vous êtes bien selon son goût. Pour M. et Mme de Coulanges, M. l’abbé, ma tante, ma cousine, la Mousse, c’est un cri pour me prier de parler d’eux ; mais je ne suis pas toujours en humeur de faire des litanies ; j’en oublie encore : en voilà pour longtemps. J’estime toujours ma petite-enfant, malgré les divines beautés de son frère. Le pauvre Rippert est toujours au lit : il me vient des pensées sur son mal ; que diantre a-t-il ? Adieu, mon aimable, ma chère enfant : peut-on aimer autant que je vous aime ? J’embrasse votre Comte. Je l’aime encore mieux dans son appartement que dans le vôtre. Hélas ! quelle joie de vous voir belle, de belle taille, en santé, en état d’aller et de trotter comme une autre ! Donnez-moi la joie de vous voir ainsi.


Suscription : Pour mon vrai cœur.


1672

256. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 11e mars.

J’ai entrepris de vous écrire aujourd’hui la plus petite lettre du monde : nous verrons. Ce qui rend celles du mercredi un peu infinies, c’est que je reçois le lundi une de vos lettres ; j’y fais un commencement de réponse à la chaude ; le mardi, s’il y a quelque affaire ou quelque nouvelle, je reprends ma lettre, et je vous mande ce que j’en sais ; le mercredi, je reçois encore une lettre de vous ; j’y fais réponse, et je finis par là : vous voyez bien que cela compose un volume. Quelquefois même il arrive une singulière chose : c’est qu’oubliant ce que je vous ai mandé au commencement de ma lettre, j’y reviens encore à la fin, parce que je ne relis ma lettre qu’après qu’elle est faite ; et quand je m’aperçois de ces répétitions, je fais une grimace épouvantable ; mais il n’en est autre chose, car il est tard : je ne sais point raccommoder, et je fais mon paquet. Je vous mande cela une fois pour toutes, afin que vous excusiez cette radoterie.

Mlle de Méri vous envoie les plus jolis souliers du monde ; j’en ai remarqué surtout une paire qui me paroît si mignonne, que je la crois propre à garder le lit : vous souvient-il combien cette folie vous fit rire un soir ? Au reste, ma fille, ne vous avisez point de me remercier pour toutes mes bonnes intentions, pour tous les riens que je vous donne. Songez au principe qui me fait agir : on ne remercie point d’être aimée passionnément ; votre cœur vous apprendra d’autres sortes de reconnoissances. J’ai vu le chevalier et l’abbé de Valbelle[1253]. Je suis Provençale, je l’avoue ; les Bretons en sont jaloux. Adieu, ma très-aimable ; il me semble que vous savez combien je suis à vous : c’est pourquoi je ne vous en dirai rien ; aussi bien j’ai résolu de ne pas faire une grande lettre : si pourtant ie savois quelque chose de réjouissant, je vous le manderois assurément ; car je ne m’amuserois pas à soutenir cette sotte gageure.


1672

257. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 16e mars.

Vous me parlez de mon départ : ah ! ma chère fille ! je languis dans cet espoir charmant. Rien ne m’arrête que ma tante, qui se meurt de douleur et d’hydropisie. Elle me brise le cœur par l’état où elle est, et par tout ce qu’elle dit de tendre et de bon sens. Son courage, sa patience, sa résignation, tout cela est admirable. M. d’Hacqueville et moi, nous suivons son mal jour à jour : il voit mon cœur, et la douleur que j’ai de n’être pas libre tout présentement. Je me conduis par ses avis ; nous verrons entre ci et Pâques. Si son mal augmente, comme il a fait depuis que je suis ici, elle mourra entre nos bras ; si elle reçoit quelque soulagement, et qu’elle prenne le train de languir, je partirai dès que M. de Coulanges sera revenu. Notre pauvre abbé est au désespoir, aussi bien que moi ; nous verrons donc comme cet excès de mal se tournera dans le mois d’avril. Je n’ai que cela dans la tête : vous ne sauriez avoir tant d’envie de me voir que j’en ai de vous embrasser ; bornez votre ambition, et ne croyez pas me pouvoir jamais égaler là-dessus.

Mon fils me mande qu’ils sont misérables en Allemagne, et ne savent ce qu’ils font. Il a été très-affligé de la mort du chevalier de Grignan.

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvois retourner en arrière, je ne demanderois pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? Par où ? par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai-je d’un accident ? Comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité, feront-elles mon retour vers lui ? N’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? Que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m’avoit demandé mon avis, j’aurois bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’auroit ôté bien des ennuis, et m’auroit donné le ciel bien sûrement et bien aisément ; mais parlons d’autre chose.

Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d’autres que par moi. C’est ce chien de Barbin[1254] qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Clèves et de Montpensier[1255]. Vous en avez jugé très-juste et très-bien, et vous aurez vu que je suis de votre avis. Je voulois vous envoyer la Champmeslé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées ; ils ne font point tant de façons pour se marier ; le dénouement n’est point bien préparé : on n’entre point dans les raisons de cette grande tuerie. Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en la différence. Il y a des endroits froids et foibles, et jamais il n’ira plus loin qu’Alexandre et qu’Andromaque[1256]. Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si

j’ose me citer. Racine fait des comédies pour la Champmeslé : ce n’est pas pour les siècles à venir. Si jamais il n’est plus jeune, et qu’il cesse d’être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami Corneille ! Pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi ; et en un mot, c’est le bon goût : tenez-vous-y.

Voici un bon mot de Mme Cornuel[1257], qui a fort réjoui le parterre. M. Tambonneau le fils[1258] a quitté la robe, et a mis une sangle autour de son ventre et de son derrière. Avec ce bel air, il veut aller sur la mer : je ne sais ce que lui a fait la terre. On disoit donc à Mme Cornuel qu’il s’en alloit à la mer : « Hélas ! dit-elle, est-ce qu’il a été mordu d’un chien enragé[1259] ? » Cela fut dit sans malice, c’est ce qui a fait rire extrêmement.

Mme de Courcelles est fort embarrassée : on lui refuse toutes ses requêtes ; mais elle dit qu’elle espère qu’on aura pitié d’elle, puisque ce sont des hommes qui sont ses juges. Notre Coadjuteur ne lui feroit point de grâce présentement ; vous me le représentez dans les occupations de saint Ambroise.

Il me semble que vous deviez vous contenter que votre fille fût faite à son image et semblance[1260] : votre fils veut aussi lui ressembler ; mais, sans offenser la beauté du Coadjuteur, où est donc la belle bouche de ce petit garçon ? où sont ses agréments ? il ressemble donc à sa sœur : vous m’embarrassez fort par cette ressemblance. Je vous aime bien, ma chère fille, de n’être point grosse : consolez-vous d’être belle inutilement[1261], par le plaisir de n’être pas toujours mourante.

Je ne saurois vous plaindre de n’avoir point de beurre en Provence, puisque vous avez de l’huile admirable et d’excellent poisson. Ah ! ma fille, que je comprends bien ce que peuvent faire et penser des gens comme vous, au milieu de votre Provence ! Je la trouverai comme vous, et je vous plaindrai toute ma vie d’y passer de si belles années de la vôtre. Je suis si peu desireuse de briller dans votre cour de Provence, et j’en juge si bien par celle de Bretagne, que par la même raison qu’au bout de trois jours à Vitré, je ne respirois que les Rochers, je vous jure devant Dieu que l’objet de mes desirs, c’est de passer l’été à Grignan avec vous : voilà où je vise, et rien au delà. Mon vin de Saint-Laurent[1262] est chez Adhémar, je l’aurai demain matin ; il y a longtemps que je vous en ai remerciée in petto : cela est bien obligeant. Monsieur de Laon aime bien cette manière d’être cardinal[1263]. On assure que l’autre jour M. de Montausier, parlant à Monsieur le Dauphin de la dignité des cardinaux, lui dit que cela dépendoit du pape, et que s’il vouloit faire cardinal un palefrenier, il le pourroit. Là-dessus le cardinal de Bonzi[1264] arrive ; Monsieur le Dauphin lui dit : « Monsieur, est-il vrai que si le pape vouloit, il feroit cardinal un palefrenier ? » M. de Bonzi fut surpris ; et devinant l’affaire, il lui répondit : « Il est vrai, Monsieur, que le pape choisit qui il lui plaît ; mais nous n’avons pas vu jusqu’ici qu’il ait pris des cardinaux dans son écurie. » C’est le cardinal de Bouillon qui m’a conté ce détail.

J’ai fort entretenu Monsieur d’Uzès. Il vous mandera la conférence qu’il a eue : elle est admirable. Il a un esprit posé et des paroles mesurées, qui sont d’un grand poids dans ces occasions : il fait et dit toujours très-bien partout. On disoit de Jarzé[1265] ce qu’on vous a dit ; mais cela est incertain. On prétend que la joie de la dame[1266] n’est pas médiocre pour le retour du chevalier de Lorraine. On dit aussi que le comte de Guiche et Mme de Brissac sont tellement sophistiqués[1267], qu’ils auroient besoin d’un truchement pour s’entendre eux-mêmes. Écrivez un peu à notre Cardinal, il vous aime ; le faubourg[1268] vous aime ; Mme Scarron vous aime ; elle passe ici le carême, et céans presque tous les soirs. Barillon y est encore, et plût à Dieu, ma belle, que vous y fussiez aussi ! Adieu, mon enfant ; je ne finis point. Je vous défie de pouvoir comprendre combien je vous aime.


1672

258. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Deux mois après (voyez les lettres du 24 et du 28 janvier précédent, p. 477 et 482), j’écrivis cette lettre à Mme de Sévigné.
À Chaseu, ce 19e mars 1672.

Un honnête marchand de Semur, parent des la Maison, vos fermiers[1269], qui me fait crédit quelquefois, et qui ne me presse pas trop, a une affaire à Paris, qu’il vous dira, Madame. Je vous supplie de l’y servir ; vous me ferez un fort grand plaisir. Il s’appelle Versy.

J’espère que vous me ferez réponse, encore que vous ne soyez pas dans la cellule de notre petite sœur Jacqueline-Thérèse[1270]. Vous ne commencez de m’écrire que des Saintes-Maries ; mais vous me faites réponse de partout.

Enfin voici la guerre. Si ce n’est que pour une campagne, cela ne vaut pas la peine de me faire sortir de chez moi. Si elle dure davantage, peut-être me verra-t-on encore sur les rangs. J’ai écrit au Roi pour lui offrir mes services[1271], comme j’ai fait cinq fois depuis que je suis en Bourgogne. Je suis content de sa réponse. Que ceci soit entre nous, ma belle cousine ; car vous savez que rien ne réussit que par le secret. Je ne vous le cacherois pas si j’en avois de plus grande conséquence.


1672

259. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 23e mars.

Madame de Villars, M. Chapelain, et quelques autres encore, sont ravis de votre lettre de l’ingratitude. Il ne faut pas que vous croyiez que je sois ridicule : je sais à qui je montre ces petits morceaux de vos grandes lettres ; je connois mes gens ; je ne le fais point mal à propos ; je sais le temps et le lieu ; mais enfin c’est une chose charmante que la manière dont vous dites quelquefois de certaines choses : fiez-vous à moi, je m’y connois. Je veux vous relire quelque jour des endroits qui vous plairont, et entre autres celui de l’ingratitude : de sorte, me dites-vous, qu’après tant de bontés, je ne songe plus qu’à vous refuser la première petite chose que vous me demanderez : je ne finirois point, car tout est de ce style[1272].

J’aime fort votre petite histoire du peintre[1273] ; mais il faudroit, ce me semble, qu’il mourût. Vos cheveux frisés naturellement avec le fer, poudrés naturellement avec une livre de poudre, du rouge naturel[1274] : cela est plaisant ; mais vous étiez belle comme un ange. Je suis toute réjouie que vous soyez en état de vous faire peindre, et que vous conserviez sous votre négligence une beauté si merveilleuse.

Mme Scarron a reçu votre embrassade ; il n’y a sorte de louange qu’elle ne vous donne, ni sorte d’estime particulière qu’elle ne fasse paroître pour vous.

Le chancelier n’aura point un enterrement magnifique, comme on le prétendoit. Ils vouloient un prince du sang pour conduire le deuil. Monsieur le Prince a dit qu’il étoit incommodé ; Monsieur le Duc, que cela étoit bon le temps passé, et que les princes du sang de ce siècle-ci sont plus grands seigneurs qu’ils n’étoient. Messieurs les princes de Conti ont dit qu’ils ne pouvoient faire ce que Monsieur le Duc refusoit. En un mot, la famille du chancelier est désolée. L’exemple du chancelier de Bellièvre, qu’un prince de Conti honora de sa présence au convoi, n’a été de nulle considération[1275].

Le comte de Guiche disoit l’autre jour des merveilles des esprits de vos pays chauds : il ne s’y est pas ennuyé un moment. Je songeai que vous ne m’aviez jamais parlé d’une seule personne dont l’esprit fût digne d’être distingué. Croyez, ma fille, que ce n’est pas sans une douleur profonde que je vois votre retour dans ces idées de Platon, et que je sens une telle séparation jusque dans la moelle de mes os, sans pouvoir jamais m’en consoler. Pour mon voyage, il tient à ma tante ; mais dans un mois on verra ce qu’on doit espérer. Cela seul me retient ; sans cela j’irois avec M. et Mme de Coulanges. L’abbé et moi, nous ne faisons plus que languir après notre départ. J’admire les choses qui m’arrivent pour me désespérer. Je fais présentement l’équipage de mon fils, sans préjudice des lettres de change qui vont leur train. Tout le monde est abîmé et tout le monde partira. On dit que la petite vérole est à Grignan : est-il vrai ? Cela me consoleroit de mon retardement. Enfin, ma chère enfant, soyez très-persuadée que nous ne songeons qu’à partir, et qu’il n’y a rien devant cette envie ni devant ce voyage : le chaud même ne m’arrêtera point.

Vous me demandez le mal de ma tante : c’est une hydropisie de vent et d’eau ; elle est très-enflée ; elle n’a plus de place pour se nourrir[1276] ; le lait, qui est l’unique remède, ne peut pas réparer tant de sécheresse. Elle est usée ; son foie est gâté ; elle a soixante-six ans : voilà son mal. Le mois d’avril nous décidera sur sa mort ou sur sa vie. J’y passe bien des heures, et je suis très-affligée de son état : vous savez comme je l’ai toujours aimée, et si je le lui ai témoigné.

Ce que vous dites sur le cœur adamantino[1277] est admirable : ce seroit une grande commodité de l’avoir ainsi ; non pas comme celui que nous entendons, mais adamantino au pied de la lettre : sans cela, on souffre mille sortes de tourments. Il est vrai que l’amour doit être bien glorieux : il l’est bien aussi ; mais que M. de Grignan est heureux d’être si chrétien ! j’espère qu’il me convertira.

On ne donne point la charge[1278] de M. de Lauzun. Vous pouvez raisonner là-dessus, et sur son embrasement[1279] ; mais c’eût été une belle aventure, s’il eût brûlé ce pauvre M. Foucquet[1280], qui supporte sa prison héroïquement, et qui n’est nullement désespéré.

On ne parle que de la guerre. Le Roi a deux cent mille hommes sur pied ; toute l’Europe est en émotion ; on voit bien, comme vous dites, que la pauvre machine ronde est abandonnée.

Nous parlons souvent de vous, le Cardinal et moi : il vous aime fort ; et moi, que fais-je, à votre avis ?

Ma pauvre tante vous remercie de votre aimable souvenir. La Mousse tremble pour sa philosophie. Parlez un peu au Cardinal de vos machines, des machines qui aiment, des machines qui ont une élection pour quelqu’un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent. Allez, allez, vous vous moquez de nous ; jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire.


1672

260. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 30e mars.

N’êtes-vous point trop aimable ? Enfin, ma chère enfant, vous aimez mes lettres ; vous voulez qu’elles soient grandes, et vous me flattez de la pensée que vous les aimez moins quand elles sont petites ; mais ce pauvre Grignan a bien affaire d’avoir la complaisance pour vous de lire de tels volumes. Je me souviens toujours de l’avoir vu admirer qu’on pût lire de longues lettres ; il a bien changé d’avis : je me fie à vous du moins pour ne lui pas montrer ce qui le pourroit ennuyer.

Je vous fais une réparation : je croyois que vous n’eussiez point fait réponse au Cardinal ; vous l’avez faite très-bonne. Il faut aussi que je vous avoue que j’ai supprimé méchamment les compliments de Mme de Villars ; je vous ai parlé d’elle dans mes lettres, et me suis bien gardée de vous dire tout ce qu’elle m’a dit. Ne soyez pas fâchée contre elle : elle vous aime et vous admire ; je la vois assez souvent ; elle aime à parler de vous, et à lire des morceaux de vos lettres : cela me donne pour elle un attachement très-naturel. Elle partira à Pâques, malgré la guerre ; elle en sera quitte pour revenir, si les Espagnols font les méchants. Comme ils ont beaucoup d’argent, ces Villars[1281], aller et venir, et faire un grand équipage, n’est pas une chose qui mérite leur attention. On dit que les Anglois ont battu cinq vaisseaux hollandois, et que l’ambassadeur a dit au Roi que le Roi[1282] son maître avoit commencé la guerre sur la mer, et qu’il le supplioit de lui tenir sa parole, et de la commencer sur la terre.

Vous savez, ma fille, ce que m’est le nom de Roquesante[1283], et quelle vénération j’ai pour sa vertu. Vous pouvez croire que sa recommandation et la vôtre me sont fort considérables ; mais mon crédit ne répond pas à mes bonnes intentions. Vous m’avez dit tant de bien du président dont il est question, qu’on se feroit honneur de le servir, si on avoit quelque voix en chapitre : j’en parlerai au hasard ; mais en vérité tout est si caché à Versailles, qu’il faut attendre en paix les oracles qui en sortent. Pour M. de Roquesante, si vous ne lui faites mes compliments en particulier, vous êtes brouillée avec moi.

Vous avez frissonné de la fièvre de notre abbé, je vous en remercie ; mais comme vous étiez seule à frissonner, et que l’abbé ne frissonnoit point du tout, vous sentez bien que je n’ai point frissonné. Son mal étoit une émotion continuelle sans aucun accident ; il s’est gouverné sagement, et je suis persuadée que c’est de la santé pour vingt ans. Dieu le veuille ! Je lui ai fait toutes vos amitiés : il en est très-touché.

Ma tante ne parle que pour vous remercier. Son état touche le cœur des plus indifférents : elle enfle tous les jours, les remèdes ne font point d’effet. Elle me disoit tantôt : « Enfin, ma chère, voilà ce qui s’appelle une femme abandonnée. » Elle se dispose à mourir, et en parle sans frayeur ; elle est seulement étonnée qu’il

faille tant de douleurs pour faire mourir une personne si foible. Il y a des manières de mourir bien rudes et bien cruelles ; la sienne est des plus pitoyables qu’on puisse voir. Elle reçoit mes soins avec une grande tendresse ; je lui en rends de la même façon, et suis si extrêmement touchée de ses douleurs et de l’horrible désespoir de ma cousine, qu’il m’est impossible de n’en pas pleurer.

Voici une réflexion qui me vient sur les pertes que vous faites au jeu, et sur celles de M. de Grignan. Prenez-y garde, ma fille, il n’est pas agréable d’être la dupe. Soyez persuadée qu’un continuel malheur et un continuel bonheur n’est pas une chose naturelle. Il n’y a pas longtemps qu’on m’avoua le fredon[1284] de l’hôtel de la Vieuville : vous souvient-il de cette volerie ? Il ne faut pas croire que tout le monde joue comme vous. Voilà ce que l’intérêt que je prends à vous me fait dire : comme il vient d’un cœur qui est à vous, je suis assurée que vous le trouverez bon. Ne trouverez-vous point bon aussi de savoir que Kéroual[1285], dont l’étoile avoit été devinée avant qu’elle partît, l’a suivie très-fidèlement ? Le roi d’Angleterre l’a aimée ; elle s’est trouvée avec une légère disposition à ne le pas haïr : enfin elle se trouve grosse de huit mois : voilà qui est étrange. La Castelmaine[1286] est disgraciée : voilà comme l’on fait dans ce royaume-là. Pendant que nous sommes sur ce ton-là, je vous dirai, avec la permission de la sagesse de M. de Grignan, que le petit fils de F***[1287] et du chevalier de Lorraine (je ne sais si je me fais bien entendre) est élevé pêle-mêle avec les enfants de Mme d’Armagnac[1288], à la vue du public ; et l’on fit un grand jeu, au retour du Chevalier, d’éprouver la force du sang : il confirma tout ce qu’on dit là-dessus, et le trouva si joli[1289], et s’y attacha d’une telle sorte, qu’enfin on lui dit la vérité. Il en fut ravi, et Mme d’Armagnac continue sa bonté, et le nourrit sous le nom du chevalier de Lorraine. Si vous le savez déjà, voilà qui vous ennuiera beaucoup. Adhémar est tout propre à vous conter ces bagatelles : je me sens aussi du relâchement pour les nouvelles, sachant qu’il est en lieu de vous les mander beaucoup mieux que moi.

Je reçois votre lettre du 23e, écrite sur la plume des vents, aussi bien que la mienne du vendredi. Ah ! ma fille, qu’elle est aimable ! quoiqu’elle ne soit point une réponse ; elle en vaut mille fois mieux. C’est donc là ce que vous m’écrivez, quand vous n’avez rien à me dire. Voilà qui me ravit : vous me dites mille tendresses, et je vous avoue que je me laisse doucement flatter à cette aimable vérité. Qui est donc ce Breton que vous servez pour l’amour de moi ? Il est vrai que tous les Provençaux me sont de quelque chose.

C’est aujourd’hui l’acte du pauvre abbé[1290]. Quelle folie ! on s’en va disputer contre lui, le tourmenter, le pointiller : il faut qu’il réponde à tout. Pour moi, je suis persuadée que rien n’est plus injuste que ces sortes de choses, et que cela rend l’esprit d’une rudesse et d’une contrariété insupportable.

Vous me parlez du temps ; notre hiver a été admirable : trois mois d’une belle gelée ; voilà qui est fait ; le printemps commence ; rien n’est plus sage que nous : pourquoi êtes-vous si extravagants ?

J’ai horreur de l’inconstance de M. de Vardes : il l’a trouvée dans la fin de sa passion[1291], sans aucun sujet que de n’avoir plus d’amour. Cela désespère ; mais j’aimerois encore mieux cette douleur, que d’être quittée pour une autre : voilà notre vieille querelle. Il y a bien d’autres sujets sur quoi je n’approuve pas M. de Vardes. Si Corbinelli me souhaite en Provence, il fait ce que je fais tous les jours de ma vie.

M. et Mme de Coulanges sont trop honorés de toutes vos douceurs ; ils vous écriront. Je les vois partir avec un grand chagrin : M. de Coulanges prétend bien revoir Jacquemart et Marguerite[1292] avant que de mourir. Pour Mme de Coulanges, elle ira à Grignan ; nous l’y recevrons, quand elle nous aura fait les honneurs de Lyon.

Je ne vois pas d’Hacqueville en huit jours : je l’excuse et ne l’en aime pas moins. Pour vous, ma chère fille, comptez que je suis à vous, et que votre amitié fait la véritable joie de ma vie, et votre absence la véritable douleur.

Mon cher Grignan, hélas ! faut-il passer sa vie sans voir les gens du monde que l’on aime le plus ? On m’a dit ce soir que l’abbé de Grignan avoit fait des merveilles en Sorbonne. Notre Cardinal en est ravi.

fin du deuxième volume.
  1. Lettre 109. — Le comte de Grignan était depuis peu en Provence, où le service du Roi l’avait obligé de se rendre : voyez la Notice, p. 109, et sur ces lettres de sa belle-mère, p. 111 et suivantes. Mme  de Grignan était demeurée à Paris à cause de sa grossesse.
  2. Mme de Sévigné nous apprend dans la lettre du 2 juin 1672, que le musicien le Camus estimait fort la voix et la science musicale du comte de Grignan.
  3. Le prince de Marsillac, né en 1634, mort en 1714, grand maître de la garde-robe (1672), et grand veneur de France.
  4. La marquise de la Trousse. Voyez la note 14 de la lettre 26.
  5. Christophe de Coulanges, abbé de Livry.
  6. Le chevalier de Perrin et tous les éditeurs après lui avaient laissé ce nom en blanc. Walckenaer (tome III, p. 295) nous apprend que ce gentilhomme si dévoué à Foucquet s’appelait Valcroissant. Accompagné d’un écuyer du surintendant, nommé la Forest, il avait pénétré dans le château de Pignerol, et essayé de suborner des soldats de la compagnie du gouverneur. Ces menées furent découvertes ; leurs auteurs parvinrent à s’enfuir en Savoie, où Saint-Mars les fit arrêter. La Forest fut pendu, et Valcroissant, traduit devant le conseil souverain de Pignerol, fut condamné à cinq ans de galères. Mme de Sévigné et Mlle de Scudéry écrivirent au maréchal de Vivonne, général des galères, qui sollicita la grâce de Valcroissant auprès du Roi, et lui obtint une commutation de peine. Voyez la fin de la lettre du 28 novembre 1670. Nous apprenons par une autre lettre de Mme de Sévigné (26 novembre 1688) que plus tard Valcroissant, employé comme inspecteur par Louvois, eut l’occasion d’être utile au jeune marquis de Grignan.
  7. Sans doute au chapitre de l’église collégiale de Grignan, fondé en 1512, et qui relevait immédiatement du saint-siège.
  8. Charles, comte de Brancas, marquis de Maubec et d’Apilli, chevalier d’honneur d’Anne d’Autriche, mort en 1681, était frère puîné du duc de Brancas Villars. C’est le Brancas si renommé par ses distractions, le Ménalque de la Bruyère. Sa femme, Susanne Garnier, avait été fort compromise par les papiers de Foucquet. Nous avons vu (lettre 72) que l’une de ses deux filles avait épousé le prince d’Harcourt, cousin du comte de Grignan. Brancas avait beaucoup contribué au mariage de ce dernier avec Mlle de Sévigné.
  9. LETTRE 110. — I. Voyez à la fin du tome I, les lettres 107 et 108.
  10. 2. À Corbinelli.
  11. 3. Mme de Sévigné avoit alors quarante-quatre ans et cinq mois.
  12. 4. L’altération que ce passage avait éprouvée est fort remarquable. On lit dans la première édition des lettres de Bussy (1697), que les suivantes ont copiée : « Il vous dira la mort de Madame, et avec elle celle de toute la joie, tout l’agrément et tous les plaisirs de la cour. » On se sera cru obligé d’atténuer les expressions qui peignaient la surprise et l’épouvante que cette mort avait causées. Tout le monde avait cru que Madame était morte empoisonnée.
  13. 5. Allusion à un vers de Benserade qui fait partie du Récit d’Esculape dans le Balet royal des Arts, dansé par Sa Majesté en 1663 :

    C’est à l’amour à le guérir
    Et comme il fait les maux, il fait les médecines

    Voyez les Œuvres de M. de Benserade (1697), tome II, p. 294.

  14. LETTRE III. — I. Dans la lettre du 17 juin, que Bussy rapproche plaisamment de l’épître burlesque à M. Rosteau, à laquelle Scarron a donné ce titre : voyez les Œuvres de M.  Scarron (1659), p. 24. Ce nom d’Épître chagrine était devenu un terme générique. On en a imprimé à part deux autres du même auteur, adressées au maréchal d’Albret et à M. d’Elbène (Paris, G. de Luynes, 1674,24 pages).
  15. 2. Ici encore les anciennes éditions ont effacé le mot surpris.
  16. 3. Bussy confond Arnolphe de l’École des Femmes, avec Ariste de l’École des Maris. C’est en parlant au dernier que Sganarelle, son frère, dit, acte I, scène ii :
    Hé ! qu’il est doucereux ! c’est tout sucre et tout miel.
  17. LETTRE 113. — I. Femme du maître d’hôtel du comte de Grignan. Sur elle et sur son mari, voyez la lettre de Noël, 1671.
  18. 2. Cet ami intime de Pascal est Nicole, l’auteur des Essais de Morale. Il publia au mois d’août 1670 son livre de l’Éducation d’un Prince, avec trois Discours de feu M. Pascal sur la condition des Grands. Voyez Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome III, p. 322.
  19. LETTRE 114. — 1. Philippe-Emmanuel de Coulanges, cousin germain de Mme de Sévigné. Voyez la Notice, p. 139 et suivantes, et la Généalogie, p. 344.
  20. 2. L’intendant de Lyon était François du Gué Bagnols, maître des requêtes, dont Coulanges avait épousé la fille aînée Marie-Angélique. Mme du Gué Bagnols, Marie-Angélique Turpin, était sœur d’Élisabeth, femme du chancelier le Tellier.
  21. 3. Anne du Gué Bagnols, sœur cadette de Mme de Coulanges, et mariée en 1672 à Dreux-Louis (du Gué) de Bagnols, son cousin issu de germain, qui devint intendant de Flandre. Voyez l’apostille de Coulanges du 17 février 1672.
  22. LETTRE 115. — 1. Mme de Grignan était accouchée le 15 novembre. Un an auparavant elle avait fait une fausse couche, à Livry.
  23. 2. Charlotte d’Estampes de Valençay, vicomtesse de Puisieux, née vers 1597, seconde femme, en 1615, de Pierre Brulart, marquis de Sillery, vicomte de Puisieux, secrétaire d’État sous Henri IV et Louis XIII. Veuve en 1640, elle mourut le 8 septembre 1677. Elle figure au contrat de mariage du comte de Grignan, de la part de l’époux. Sur cette vieille femme bizarre et spirituelle, sur son crédit à la cour, voyez Walckenaer, tome III, p. 248.
  24. 3. Il y avait le grand et le petit Arsenal. Ils se tenaient par le moyen d’un grand jardin « bien entretenu, dit Sauvai, et qui jouissait d’une vue admirable. » Il en parle ailleurs (tome I, p. 27) comme d’une promenade publique.
  25. 4. Jean-Baptiste Adhémar de Monteil de Grignan, frère du comte de Grignan, était depuis 1667 archevêque de Claudiopolis et coadjuteur de son oncle l’archevêque d’Arles. Il devint archevêque d’Arles en 1689, et mourut en 1697, à l’âge de cinquante-neuf ans. Le Coadjuteur et son sobriquet de Seigneur Corbeau reviennent souvent dans la Correspondance.
  26. 5. Le médecin de Foucquet. Voyez la note 5 de la lettre 65.
  27. 6. Anne de Bavière, seconde fille d’Édouard de Bavière, comte palatin, et d’Anne de Gonzague la célèbre Palatine, avait épousé en 1663 Henri-Jules de Bourbon, duc d’Enghien, fils du grand Condé, nommé jusqu’à la mort de son père Monsieur le Duc.
  28. 7. Hélène Delan, femme de chambre de Mme  de Sévigné. Elle épousa Michel Lasnier, dit Beaulieu, maître d’hôtel de la marquise.
  29. 8. Allusion au conte de la Fontaine intitulé l’Ermite, où il est parlé d’un espoir semblablement trompé, de la naissance d’une fille à la place d’un garçon que la mère se flattait de voir devenir pape :

    La signora, de retour chez sa mère,
    S’entretenoit jour et nuit du saint père,
    Préparoit tout, lui faisoit des béguins.
    Mais ce qui vint détruisit les châteaux,
    Fit avorter les mitres, les chapeaux,
    Et les grandeurs de toute la famille :
    La signora mit au monde une fille.

    Le conte de l’Ermite ne se trouve pas dans la première édition de la 2e partie des contes, publiée en 1667, mais dans la seconde édition, qui parut en 1669. Dès 1668, les libraires de Hollande l’avaient imprimé en tête de leur Recueil. C’était encore, comme l’on voit, un ouvrage tout nouveau.

  30. 9. On peut voir dans la Notice, p. 224 et suivantes, la rapide et touchante histoire de Marie-Blanche, qui prit l’habit au couvent de la Visitation d’Aix à seize ans, et y mourut religieuse, à l’âge de soixante-cinq ans.
  31. 10. Pour l’archevêque d’Arles, oncle du comte de Grignan. Voyez la note 5 de la lettre 88.
  32. 11. Henri de Forbin Meynier, baron d’Oppède, premier président du parlement de Provence, mort au mois de novembre de l’année suivante. Sur lui et sur ses différends avec le comte de Grignan, voyez la Notice, p. 109, 123 et 125.
  33. 12. Diane-Henriette de Budos, première femme, en 1644, de Claude duc de Saint-Simon, mourut à quarante ans, le 2 décembre 1670 : voyez la lettre 118. Ce n’était point la mère de l’auteur des Mémoires : il était fils de la seconde femme du duc de Saint-Simon, Charlotte de l’Aubépine. « Dans sa jeunesse elle (Diane-Henriette) était une des célébrités de l’hôtel de Rambouillet, et le Grand Dictionnaire des précieuses (de Somaize) a tracé d’elle, sous le nom de Sinésis, un portrait qui ressemble à celui qu’a donné Saint-Simon. » (Walckenaer, tome III, p. 298.)
  34. LETTRE 116. — 1. Antoine-François de la Trémouille, duc de Noirmoutier après la mort de son frère tué en Portugal. La petite vérole le prit à l’âge de dix-huit ans, et lui creva les deux yeux. Il mourut en 1733, sans enfants. Voyez la note 2 de la lettre 45.
  35. 2. Le grand écuyer de France, Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, fils aîné du célèbre comte d’Harcourt, frère du chevalier de Lorraine et du comte de Marsan, né en 1641, mort en 1718.
  36. LETTRE 117. — 1. Toussaint de Forbin Janson, évêque de Digne en 1658, de Marseille en 1668, de Beauvais en 1679, cardinal en 1690, et grand aumônier de France en 1706. Il fut ambassadeur extraordinaire en Pologne en 1673, puis de nouveau en 1680, et longtemps ambassadeur à Rome. En Pologne, il eut une grande part à l’élection de Jean Sobieski. Il mourut à quatre-vingt-trois ans, en 1713. Sur ses longs démêlés avec le comte de Grignan, voyez la Notice, p. 109, 125 et suivantes.
  37. 2. L’assemblée des états de Provence, qu’on appelait l'Assemblée des Communautés. Sur l’affaire que devait y proposer le comte de Grignan, voyez la Notice, p. 125.
  38. 3. Mme de Coulanges était alors à Lyon, chez l’intendant du Gué Bagnols, son père.
  39. 4. Ici encore le nom était resté en blanc. Voyez la note 6 de la lettre 109.
  40. LETTRE 118. — 1. Le P. Bourdaloue fut appelé à Paris par ses supérieurs en 1669, et y prêcha, pendant tout le cours de cette année, aux Jésuites de la rue Saint-Antoine. Mme de Sévigné, dans sa lettre du 27 mars 1671, rappelle qu’elle y entendit sa Passion, avec M. de Grignan. L’année d’après, il prêcha l’Avent à la cour. En 1670, le premier dimanche de l’Avent tombait au 30 novembre. À la date de notre lettre, Bourdaloue avait donc prêché déjà deux sermons : celui de ce premier dimanche, aux Tuileries, et auparavant celui de la Toussaint, dans la chapelle du château de Saint-Germain.
  41. 2. « On dit qu’un homme est dans son tripot, pour dire qu’il est dans un lieu où il a de l’avantage pour la chose dont il s’agit. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  42. 3. Le Coadjuteur, et non, comme on l’a dit jusqu’à présent, l’autre frère du comte de Grignan, Louis-Joseph, dit le bel abbé. « Le 3 (décembre), fête de saint François-Xavier, la Reine entendit la messe à l’église du noviciat des jésuites ; et l’après-dînée alla en celle de Saint-Louis de la rue Saint-Antoine, où le coadjuteur de l’archevêque d’Arles prononça l’éloge de ce saint, avec grande satisfaction de Sa Majesté. » (Gazette du 6 décembre 1670.)
  43. LETTRE 119. — 1. Il y a « M. de Coulanges » dans l’édition de 1734, où cette lettre a été imprimée pour la première fois.
  44. 2. Au mois de novembre 1669, lorsqu’elle apprit que son gendre ne resterait point à Paris et qu’il était nommé lieutenant général en Provence. Voyez la Notice, p. 109 et suivantes.
  45. 3. Philippe-Julien Mazarini Mancini, duc de Nevers en vertu du testament de son oncle le cardinal Mazarin, né à Rome en 1641, mort en 1707 à Paris, frère de la duchesse de Bouillon, etc. On joua à ses noces la Bérénice de Racine. C’était un honneur mal placé : il devint depuis chef de la cabale contre Racine.
  46. 4. Sur Mlle d’Houdancourt, voyez la note 10 de la lettre 131, et sur Mlle de Grancey, la lettre du 6 avril 1672.
  47. 5. Diane-Gabrielle de Damas, fille de Claude-Léonor de Damas, marquis de Thianges, et de Gabrielle de Rochechouart Mortemart, qui était la sœur aînée de Mme de Montespan. Elle mourut en 1715.
  48. 6. Couvent de religieuses de l’ordre de Cîteaux, établi rue de Sèvres par la reine Anne d’Autriche, vers le milieu du dix-septième siècle. Ces religieuses avaient été forcées par les guerres d’abandonner la vraie Abbaye-aux-Bois, située dans le diocèse de Noyon.
  49. 7. Françoise-Athénaïs, fille de Gabriel de Rochechouart, premier duc de Mortemart, née en 1641, femme, en 1663, de Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, morte en 1707.
  50. 8. La mère cependant vivait encore ; elle ne mourut qu’en 1693.
  51. 9. Gabrielle-Louise de Saint-Simon, duchesse de Brissac en 1663, fille du duc de Saint-Simon et de Diane-Henriette de Budos, mourut à trente-huit ans, en 1684. Son mari, Henri-Albert de Cossé, se remaria, cinq mois après, à Élisabeth de Verthamon.
  52. 10. On a pensé que Mme de Sévigné parlait ici de Henri-Charles de Foix, abbé de Rebais (en Brie), qui mourut, peu de mois après, le 14 mai 1671, à vingt-quatre ans. C’est une erreur : il s’agit de Henri de Foix et de Candale, connu sous le nom de duc de Foix, qui devint, après la mort de son aîné, duc de Rendan, pair, etc., et dont il est dit ailleurs qu’il « ne vaut pas un coup de poing. » Voyez la note 4 de la lettre 63. Mme de Montmorency apprend à Bussy dans une lettre du 9 décembre 1670 que le duc de Foix a pensé mourir de la petite vérole.
  53. 11. Ce jeune prince était Guillaume VII, landgrave de Hesse depuis 1663, né le 21 janvier 1651, mort à Paris le 27 novembre 1670. Il était fils de Guillaume VI et d’Hedwige-Sophie de Brandebourg, et neveu de la princesse de Tarente, l’amie de Mme de Sévigné. C’est sans doute parce qu’il ne gouvernait pas encore, que Mme de Sévigné ne le désigne point par son titre de landgrave.
  54. 12. Depuis duc de Longueville : voyez la note 7 de la lettre 84.
  55. 13. Jean-Louis-Marie comte de Fiesque, fils de Charles-Léon l’ami de Condé, et de Gillonne d’Harcourt.
  56. 14. La maréchale de la Ferté, âgée alors de quarante et un ans, était Madeleine d’Angennes de la Loupe, sœur de la comtesse d’Olonne. Ces deux sœurs se sont rendues célèbres par leurs galanteries. Voyez les lettres du 20 juin et du 8 juillet 1672.
  57. LETTRE 120. — 1. Dans le manuscrit, cette lettre est datée à tort du 22 décembre : la réponse de Mme de Sévigné (no 123) est du 19, et l’introduction de Bussy parle de huit jours d’intervalle.
  58. 2. Voyez la note 5 de la lettre 123.
  59. LETTRE 121. — 1. On a cru que Mme de Sévigné avait voulu indiquer ici Marie d’Angleterre, veuve de Louis XII, qui se remaria, trois mois après la mort du Roi, au duc de Suffolk, qu’elle avait aimé avant d’être reine.
  60. 2. Coulanges était à Lyon, avec sa femme, chez l’intendant du Gué Bagnols. Voyez la note 3 de la lettre 117.
  61. 3. Marguerite, duchesse de Rohan, princesse de Léon, fille unique et seule héritière du duc de Rohan, avait été sur le point d’épouser le duc de Soissons ; elle avait dédaigné la main des ducs de Weimar et de Nemours, et elle se maria par inclination, en 1645, avec Henri Chabot, simple gentilhomme n’ayant ni fortune ni établissements. Voyez la Notice, p. 58. — Mme d’Hauterive étoit Françoise de Neufville, fille du duc de Villeroi, veuve du comte de Tournon et du duc de Chaulnes ; elle se maria en troisièmes noces à Jean Vignier, marquis d’Hauterive, et depuis ce mariage son père ne la vit plus.
  62. 4. Antoine Nompar de Caumont Lauzun, comte de Puyguilhem, d’abord connu sous ce dernier nom, puis sous celui de comte de Lauzun, devint colonel général des dragons en 1666, duc de Lauzun en 1692. Il était né en Gascogne, et mourut en 1723, à quatre-vingt-dix ans. Après la mort de Mademoiselle, il épousa, en 1695, Geneviève-Marie de Durfort, fille du maréchal de Lorges, sœur de la femme de Saint-Simon.
  63. 5. Voyez la note 2 de la lettre 134.
  64. 6. Sans doute Paule-Françoise-Marguerite de Gondi, fille et héritière de Pierre de Gondi, frère aîné du cardinal, et de Catherine de Gondi, duchesse de Retz. Elle épousa en 1675 François-Emmanuel de Bonne de Créquy, petit-fils de Charles (premier maréchal de Créquy), et fils de François duc de Lesdiguières. Elle tint successivement de son mari les titres de comtesse, puis duchesse de Sault, et de duchesse de Lesdiguières. — Les deux riches partis nommés ensuite sont vraisemblablement Henriette-Louise Colbert, seconde fille du ministre, mariée au commencement de l’année suivante à Paul de Beauvillier, comte de Saint-Aignan, duc de Beauvillier en 1679 ; et Madeleine, fille unique et héritière du duc de Créquy (petit-fils du premier maréchal de Créquy, et frère aîné du second), mariée en 1675 à Charles-Belgique-Hollande de la Trémouille, prince de Tarente, fils de l’amie de Mme de Sévigné.
  65. 7. Gaston de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, mort le 2 février 1660.
  66. 8. Philippe de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIV, et cousin germain de Mademoiselle.
  67. LETTRE 122. — 1. « La Reine même, qui ne se mêloit de rien, parla au Roi fortement ; Monsieur encore davantage, et Monsieur le Prince dit au Roi, quoique respectueusement, qu’il iroit à la messe du mariage du cadet Lauzun, et qu’il lui casseroit la tête, en sortant, d’un coup de pistolet. » (Mémoires de la Fare, tome LXV, p. 182.)
  68. 2. Voyez les Caractères de la Bruyère, vers la fin du chapitre de la Cour.
  69. 3. Dans les éditions de 1726 et dans celle de 1734, on a remplacé le texte italien par la traduction suivante : « Et sur cela je vous baise très-humblement les mains. »
  70. LETTRE 123. — 1. Ce nom n’est indiqué dans les anciennes éditions des Lettres de Bussy que par un P., et Grouvelle a cru que cette initiale devait signifier Pompone ; mais M. de Pompone était alors en Hollande, où il avait été envoyé peu de temps après son retour de Suède (voyez les Mémoires de l’abbé Arnauld, aux années 668 et 67). On lit Plombières dans le manuscrit original ; et dans une lettre écrite par Bussy Rabutin à Corbinelli, le 8 du même mois, on voit ce passage : « Nous avons eu ici deux mois durant Plombières. Si j’étois plus content de vous, je vous apprendrois des choses de lui qui vous réjouiroient ; mais vous ne les méritez pas, etc. » (Correspondance de Bussy, tome I, p. 34.)
  71. 2. Il y en avait deux du premier mariage du comte de Grignan avec Angélique-Clarice d’Angennes : à savoir Louise-Catherine, appelée Mlle de Grignan, morte en 735, et Françoise-Julie, Mlle d’Alerac, mariée en 689 au marquis de Vibraye. — Voyez la Notice, p. 247 et suivantes, 25 et suivantes.
  72. 3. Corneille, le Cid, acte III, scène iv. La place des noms propres est intervertie.
  73. 4. La note 5 de la lettre 9 explique la rapide fortune de la famille de Thianges. — La grand’mère de Bussy était Élie de Damas, grand-tante du marquis de Thianges, mari de la sœur de Mme de Montespan. Voyez la Généalogie, tome I, p. 342. Mme de Sévigné ne partage point cette parenté avec Bussy : aussi lit-on dans le manuscrit votre, et non pas, comme dans les éditions, notre cousin. Quant à Bussy, il se félicite, dans ses lettres à Mme de Montespan, de « l’honneur qu’il a de lui appartenir » (2 janvier 1667) et « d’être dans son alliance » (1er  août 1669). L’une et l’autre lettre est postérieure, comme l’on voit, à l’année 1668, d’où date le puissant crédit de la favorite.
  74. 5. Ici viennent, dans l’édition de 1697, et dans les éditions suivantes qui l’ont reproduite, des remercîments à Bussy pour l’envoi de son Histoire généalogique de la maison de Rabutin, dédiée par lui à sa cousine. Dans notre manuscrit, ces mêmes remercîments se trouvent beaucoup plus loin et font partie de la lettre du 22 juillet 1685. Nous placerons au même temps la Dédicace de Bussy, qui, dans l’édition de 1697, accompagne notre lettre 120.
  75. 6. Nous n’avons pas besoin de dire que cette autre tête que veut indiquer ici Mme de Sévigné est celle du Roi.
  76. LETTRE 125. — Voyez, dans le dernier appendice aux Mémoires de Mademoiselle (tome IV, p. 624), la lettre du Roi à ses représentants à l’étranger.
  77. LETTRE 126. — I. Charles-Maurice le Tellier. Voyez la note 1 de la lettre 74.
  78. 2. Lauzun insista, dit Mme de Caylus, pour être marié dans la chapelle des Tuileries : « Il vouloit que le mariage se fit de couronne à couronne. » (Souvenirs, tome LXVI, p. 411.) Dans les Mémoires de Mademoiselle (tome IV, p. 228 et suivantes) il est dit que le mariage devait avoir lieu chez la maréchale de Créquy, à Charenton, devant le curé du lieu.
  79. 3. Acte II, scène i. Il y a dans Corneille :

    Je ne la puis du moins blâmer d’un mauvais choix.

    Mademoiselle dit dans ses Mémoires (tome IV, p. 213) que c’était la chimère de la maison de Caumont, dont Lauzun était cadet, de vouloir descendre des rois d’Écosse.

  80. 4. On pouvait conclure de l’ancien texte des Mémoires de Mademoiselle, qu’elle n’avait pas trouvé d’abord chez Mme de Sévigné la même sympathie et qu’elle avait eu à se plaindre de ses propos. Il y est dit que Mmes  de Sévigné et de la Fayette répétaient partout que sa conduite était à condamner, et qu’en parlant ainsi elles voulaient faire leur cour à Mme de Longueville. Le nouveau texte publié par M. Chéruel reproche bien toujours aux deux amies de faire leur cour à la sœur de Monsieur le Prince ; mais au sujet du mariage il leur fait dire seulement que la chose leur paraît (comme à tout le monde) extraordinaire. Voyez le tome IV des Mémoires, p. 241.
  81. LETTRE 127. — 1. Madeleine de Laval Bois-Dauphin, petite-fille par son père de la marquise de Sablé, avait épousé en 1662 Henri-Louis d’Aloigny, marquis de Rochefort, qui devint maréchal de France en 1675. Elle fut nommée dame du palais de la Reine en 1673.
  82. 2. Marie Seguier, veuve du marquis de Coislin et du marquis de Laval, sœur de la duchesse de Verneuil, morte à quatre-vingt-douze ans, en 1710.
  83. 3. Voyez la note 4 de la lettre 115.
  84. 4. Marie-Angélique-Henriette de Lorraine, sœur du prince d’Harcourt qui avait épousé Mlle de Brancas, fut mariée le 7 février 1671 à Nuño-Alvares Pereira de Mello, duc de Cadaval en Portugal : voyez la note 12 de la lettre 132. Elle mourut en couches le 16 juin 1674. Sa mère, Anne d’Ornano, comtesse d’Harcourt, était tante de MM. de Grignan.
  85. 5. Hugues de Lyonne, secrétaire d’État pour les affaires étrangères depuis 1661, était chargé de la procuration du duc de Cadaval pour épouser Mlle d’Harcourt.
  86. Lettre 128. — 1. Dans notre manuscrit, tout ce commencement de la lettre est réduit à une seule phrase : « Je loue fort le dessein que vous avez pris de faire une petite histoire de notre maison : je voudrois que vous n’eussiez jamais fait que cela. »
  87. 2. La princesse de Condé, Claire-Clémence de Maillé Brezé, était nièce de Richelieu : le grand Condé, alors duc d’Enghien, l’avait épousée malgré lui en 1641. Elle mourut en 1694 à Châteauroux, où elle fut reléguée à la suite de cette aventure. Mademoiselle, dans ses Mémoires (tome IV, p. 254 et suivantes), et Mme de Montmorency, dans une lettre qu’elle écrit à Bussy, le 25 février suivant, racontent cette anecdote d’une manière plus favorable au caractère de la princesse de Condé.
  88. 3. Mme de Montmorency dit que ce Duval avait été valet de pied de la princesse, mais ne l’était plus, et qu’elle « lui donnoit pension par une manière de pitié. »
  89. 4. Jean-Louis de Rabutin, né en 1642, descendait du quatrième fils d’Amé de Rabutin, et il était cousin, mais de fort loin, de Mme de Sévigné et de Bussy : voyez dans le tome Ier la Généalogie, p. 341. Il fit, par la suite, une grande fortune et épousa, en 1682, Dorothée-Élisabeth, fille de Philippe-Louis duc de Holstein Wissembourg, de la maison royale de Danemark. En 1699, il eut le commandement des troupes de la Transylvanie, et devint feld-maréchal en 1704. Il mourut en 1717. Voyez sur lui et sur ses deux sœurs les lettres des 16 et 23 mars 1689.
  90. 5. Il fut condamné aux galères. Mme de Sévigné (lettre du 10 avril 1671) le voit à la chaîne des galériens qui part pour Marseille. Une note sur une fable du Recueil de Maurepas dit qu’il mourut empoisonné avant d’arriver aux galères.
  91. LETTRE 129. — I. Marcel Prat était prêtre, chanoine sacristain de l’église collégiale Saint-Sauveur de Grignan, et curé de la ville. Les archives de Grignan contiennent des extraits mortuaires et baptistaires signés de son nom.
  92. 2. Voyez la note 6 de la lettre 88.
  93. 3. Grignan, ville et comté de Provence, dans les terres dites adjacentes, est situé non loin de Saint-Paul-Trois-Châteaux et de Montélimar. C’est aujourd’hui un chef-lieu de canton du département de la Drôme. Sur le château de Grignan, voyez la Notice, p. 295.
  94. 4. On peut conclure d’une lettre du 9 avril suivant, que M. Vallet de Viriville dit avoir trouvée dans les archives de la famille, que l’abbé Prat, à qui elle est adressée, se rendit au désir de l’abbé de Coulanges, et continua de s’occuper des affaires de la maison de Grignan.
  95. 5. L’abbé de Coulanges ne put aller en Provence, comme il en avait le dessein, dans l’automne de 1671. Il n’accomplit sa promesse qu’au mois de juillet de l’année suivante.
  96. 6. Pierrelatte est un bourg du bas Dauphiné (Drôme), situé près du Rhône, à une lieue de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Dans l’autographe on lit les deux fois Pierreplatte. — Pour la signature de l’abbé de Coulanges, voyez la Notice, p. 33.
  97. LETTRE 130. — 1. Ce premier alinéa manque dans notre manuscrit, de même que la partie de la lettre 128 à laquelle il répond.
  98. Lettre 131. — 1. Au couvent de la Visitation du faubourg Saint-Jacques. Les filles de Sainte-Marie y étaient entrées dès le 13 août 1626. C’est aujourd’hui la maison de refuge des dames de Saint-Michel. Voyez le commencement de la lettre du 29 janvier 1672.
  99. 2. Dans l’édition de 1754 : « me gardoit. »
  100. 3. Voyez la note 7 de la lettre suivante.
  101. 4. Françoise de Montallais, veuve, depuis 1665, de Jean de Bueil, comte de Marans, grand échanson de France. Elle était sœur de Mlle de Montallais, ancienne fille d’honneur de Madame Henriette. Mme de Sévigné et sa fille lui avaient donné pour sobriquet le nom de la méchante fée Merlusine ou Mellusine, célèbre dans nos vieux romans par ses cris perçants et ses funestes prédictions : l’ancienne forme du mot est Merlusine, et c’est ainsi qu’il est imprimé dans les premières éditions des lettres. Il paraît que Mme de Marans, bien qu’on la comptât parmi les amis de la famille, et qu’à ce titre elle eût signé au contrat de Mme de Grignan, avait tenu sur elle de mauvais propos, particulièrement au sujet de sa fausse couche de Livry : voyez la Notice, p. 111.
  102. 5. D’Hacqueville, conseiller du Roi et abbé, avait été camarade de collége du cardinal de Retz, dont il resta l’ami dévoué, et qu’il représenta à la signature du contrat de Mme de Grignan. Il mourut subitement à Paris en 1678. Sur ses relations avec Mme de Sévigné, voyez la Notice, p. 113. Il appartenait probablement à la famille parlementaire de ce nom : un Jérôme d’Hacqueville mourut premier président du parlement de Paris en 1628.
  103. 6. Voyez la note 4 de la lettre 41, et la note 3 de la lettre 115.
  104. 7. Marguerite-Renée de Rostaing, fille de Charles de Rostaing, comte de Bury, et d’Anne Hurault de Chiverny. Elle était veuve de Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin, comte de Beaufort, maréchal des camps et armées du Roi, qui l’avait épousée en secondes noces le 10 mars 1642. Blessé devant Gravelines, dans la nuit du 28 au 29 juin 1644, il était mort cinq jours après, à l’âge de vingt-six ans. — Sur elle et sur son fils unique Henri-Charles, voyez la Notice, p. 157, 158. Elle tomba en apoplexie et en enfance au mois d’avril 1691, et mourut le 12 mai 1694. Elle était belle-sœur d’Anne-Marie d’Aiguebonne, veuve de François de Rostaing, comte de Bury, dont il sera plusieurs fois question dans la Correspondance. Par sa mère, fille du chancelier de Chiverny, elle était cousine germaine de Mme de Montglas.
  105. 8. C’est-à-dire qu’elle et M. de la Rochefoucauld eurent hier, explication introduite par le chevalier de Perrin dans le texte de l’édition de 1754.
  106. 9. Dans l’édition de 1754 : « très-régulièrement, moyennant quoi on ne lui dira plus rien. »
  107. 10. Charlotte-Eléonore-Madeleine de la Mothe Houdancourt, fille du maréchal, mariée le 14 mars 1671 à Louis-Charles de Lévis, duc de Ventadour, homme de mauvaises mœurs et d’une laideur proverbiale. Elle avait été fille d’honneur de la Reine ; en 1684, elle devint dame d’honneur de la seconde duchesse d’Orléans, et plus tard gouvernante de Louis XV. Voyez la Notice, p. 215, 216. Elle mourut en 1744 à l’âge de quatre-vingt-treize ans. C’est elle que Madame Henriette et la comtesse de Soissons avaient cherché à faire aimer du Roi, pour écarter Mlle de la Vallière.
  108. 11. Charles-Antoine de la Garde de Chambonnas, évêque de Lodève de 1671 à 1690 ; puis de Viviers, de 1690 à 1714.
  109. 12. Reléguée à Châteauroux, la princesse n’en devait plus sortir. Seize ans plus tard, au lit de mort, Condé confirma l’arrêt. Elle mourut en 1694, sans avoir été rappelée par son fils. Voyez la lettre 128.
  110. 13. Jean d’Estampes, frère de Mme de Puisieux, président au grand conseil, conseiller ordinaire du Roi en son conseil d’État et privé, mourut le 4 février 1671, à soixante-dix-sept ans. Il avait été ambassadeur chez les Grisons, puis en Hollande.
  111. 14. Voyez la note 2 de la lettre 140. C’était à Nevers, en décembre 1670, que la duchesse de Mazarin avait reçu l’ordre d’aller au Lys, ancienne abbaye de filles de l’ordre de Cîteaux, voisine de Melun. Le Roi l’y envoya chercher par Mme Bellinzani et un exempt des gardes, dans un carrosse de Colbert. Voyez les Mémoires de la duchesse de Mazarin, dans les Œuvres de Saint-Réal, tome VI, P. 94, 95.
  112. 15. Voyez la fin de la lettre du 10 avril suivant, et le commencement de celle du 23 mars 1672.
  113. 16. Bonne de Pons était parente du maréchal d’Alhret (baron de Pons, voyez la note 3 de la lettre 90). C’était lui qui lui avait fait épouser en 1666 Michel Sublet marquis d’Heudicourt, grand louvetier de France, de la famille du secrétaire d’État des Noyers. Saint-Simon (tome I, p. 367) dit que Mlle de Pons était belle comme le jour, et qu’elle plaisait extrêmement au maréchal et à bien d’autres (le Roi sembla, pendant quelque temps, balancer entre elle et Mlle de la Vallière). Il ajoute (p. 368) que Mme Scarron (depuis Mme de Maintenon), qui n’oublia jamais que l’hôtel d’Albret avait été le berceau de sa fortune, aima et protégea toujours ouvertement Mme d’Heudicourt : elle éleva sa fille avec les enfants de Mme de Montespan. Ailleurs (tomes VII, p. 56, et XVII, p. 103), Saint-Simon l’appelle le mauvais ange de Mme de Maintenon, et dit qu’on ne pouvait avoir plus d’esprit qu’elle, ni être plus désespérément méchante, et que tout fléchissait le genou devant cette mauvaise fée. Elle mourut le 24 janvier 1709, à soixante-cinq ans. — Sur M. de Béthune et sur ce qui est ici reproché à Mme d’Heudicourt, voyez la note 9 de la lettre suivante.
  114. 17. Françoise d’Aubigné, âgée alors d’un peu plus de trente-cinq ans, veuve depuis 1660 de Paul Scarron, qu’elle avait épousé en 1652. Elle avait été secrètement chargée en 1669 de l’éducation des enfants de Mme de Montespan, dont le mari était cousin germain du maréchal d’Albret, et avec laquelle, dit Saint-Simon (tome I, p. 368), le maréchal n’avait eu garde de se brouiller. C’est en décembre 1674 qu’elle acheta le marquisat de Maintenon. On pourra suivre dans la Correspondance tout le progrès de sa faveur.
  115. 18. La duchesse de Richelieu était veuve en premières noces (depuis 1648) du frère aîné du maréchal d’Albret. Quoique remariée, elle était demeurée, dit Saint-Simon (tome I, p. 368), dans une intime liaison avec le maréchal, qui avait marié sa fille unique au fils unique du premier lit de sa belle-sœur. — Les hôtels de Richelieu et d’Albret, dont Mme de Sévigné parlera souvent, étaient voisins de sa propre demeure : le premier occupait l’angle de gauche de la place Royale (du côté de la rue Saint-Louis) ; l’autre (il existe encore) était rue des Francs-Bourgeois. Mme Scarron, que nous verrons plus loin souper fréquemment avec Mme de Sévigné, avait conservé un logement dans la rue des Tournelles ; c’était la rue de Ninon.
  116. 19. La phrase a ce tour ironique dans toutes les impressions du siècle dernier. C’est Grouvelle qui a ajouté peu, que tous les éditeurs venus après lui ont gardé.
  117. LETTRE 132. — 1. Charlotte, duchesse de Verneuil, était fille du chancelier Seguier, et sœur de la marquise de Laval. Veuve, en 1661, du duc de Sully, qu’elle avait épousé en 1639, elle se remaria en 1668 à Henri de Bourbon, duc de VerneuiL, fils naturel de Henri IV et de la marquise de Verneuil. Après la mort de son second mari (1682), elle se retira au couvent de Sainte-Élisabeth, rue du Temple, et mourut en 1704. Elle avait eu plusieurs enfants de son premier mari, entre autres Maximilien-Pierre-François de Béthune, alors duc de Sully, et Marguerite-Louise-Suzanne, comtesse de Guiche depuis 1658, et seconde femme, en 1681, du duc du Lude le grand maître.
  118. 2. Catherine-Henriette d’Harcourt Beuvron, sœur du marquis de Beuvron, troisième femme (1659) de Louis, duc d’Arpajon, mort en 1679. Elle fut dame d’honneur de la Dauphine (1684), et mourut en 1701.
  119. 3. Voyez la note 12 de la lettre 80, et la Notice, p. 156. On a de la marquise de Villars des lettres agréables et curieuses, adressées à Mme de Coulanges et écrites d’Espagne, où son mari, connu sous le nom d’Orondate et du beau Villars, fut ambassadeur en 1672. Elle mourut en 1706, huit ans après son mari.
  120. 4. Claude Joly, célèbre prédicateur, curé de Saint-Nicolas des Champs, puis évéque d’Agen de 1665 à 1678.
  121. 5. Ce nom, que Perrin a supprimé, pourrait désigner soit le duc d’Uzès, mort en 1680, dont la femme avait signé au contrat de Mlle de Sévigné (voyez la lettre du 15 mai 1671), soit l’évêque d’Uzès, oncle du comte de Grignan (voyez la note 6 de la lettre 88). Il est très-probable qu’il s’agit du second : voyez la fin de la lettre du 6 mars suivant.
  122. 6. Madeleine de Bellièvre, sœur de Pompone de Bellièvre, premier président du parlement de Paris, mariée en 1630 à Gabriel du Puy-du-Fou, marquis de Combronde, seigneur de Champagne, fut la seconde belle-mère du comte de Grignan, pour qui elle conserva beaucoup d’amitié. Elle mourut en 1693, à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
  123. 7. Avec Mme de la Fayette, rue de Vaugirard, vis-à-vis du Petit Luxembourg.
  124. 8. Joseph Adhémar de Monteil, frère du comte de Grignan, connu d’abord sous le nom d’Adhémar, fut appelé le chevalier de Grignan après la mort de Charles-Philippe d’Adhémar son frère, arrivée le 6 février 1672. S’étant marié en 1704 avec Gabrielle-Thérèse d’Oraison, il reprit le nom de comte d’Adhémar. En 1671, il devint mestre de camp du régiment de Grignan, à la tête duquel il se signala en plusieurs occasions, et surtout au combat d’Altenheim. Il fut fait menin du Dauphin en 1680, et maréchal de camp en 1688. Sans de fréquentes attaques de goutte, qui le mirent hors d’état de continuer le service, et le forcèrent enfin de céder son régiment à son neveu le marquis de Grignan, sa réputation, son mérite et sa naissance l’auraient infailliblement conduit aux plus grandes distinctions de la guerre. Il mourut sans postérité le 19 novembre 1713, âgé de soixante-neuf ans, et le nom de Grignan s’éteignit avec lui. Voyez la Notice, p. 234, 235, 243, 275, et les Mémoires de Saint-Simon, tome IV, p. 424.
  125. 9. « Sans doute qu’il y avoit plus que de la galanterie dans les lettres de Mme d’Heudicourt à M. de Béthune, dit Mme de Caylus dans ses Souvenirs (tome LXVI, p. 444), et il n’y a pas d’apparence que le Roi et Mme de Montespan eussent été si sévères sur leur découverte d’une intrigue où il n’y auroit eu que de l’amour. Selon toutes les apparences, Mme d’Heudicourt rendoit compte de ce qui se passoit de plus particulier à la cour. » Le témoignage de Mme de Caylus est confirmé par une lettre inédite de Mme du Boucbet à Bussy Rabutin, du 20 septembre 1669 (tome III de la copie des Mémoires de Bussy par le marquis de Langhac) : « Vous savez que Mme d’Heudicourt ne s’est pas contentée de partager le secret de Mme de Montespan avec le marquis de Béthune. mais qu’elle a encore jugé le marquis de Rochefort digne de pareilles faveurs. lequel en a rendu un compte. fidèle aux intéressés » — François-Gaston, dit le marquis de Béthune, fils puîné d’Hippolyte de Béthune, comte de Selles, et d’Anne-Marie de Beauvillier, sœur du duc de Saint-Aignan, fut longtemps ambassadeur en Pologne, après l’élection de Sobieski. Il y avait environ deux ans à la date de cette lettre qu’il avait épousé Louise-Marie de la Grange d’Arquien, sœur de la femme de Sobieski. En 1691, il fut envoyé en Suède, où il mourut l’année suivante. — Mme d’Heudicourt rentra en grâce à la fin de 1673.
  126. 10. Du Gué Bagnols. Voyez la note 2 de la lettre 114.
  127. 11. Marie-Madeleine-Gabrielle de Rochechouart, abbesse de Fontevrault, célèbre par son esprit et par son savoir, était sœur du duc de Vivonne, et de Mmes  de Thianges et de Montespan. Elle mourut en 1704, à l’âge de cinquante-neuf ans. — D’abord religieuse sans vocation, et malgré elle, elle sut du moins, dit Saint-Simon (tome IV, p. 300), faire de nécessité vertu. Voyez Madame de Sablé, par M. Cousin, p. 258 et suivantes.
  128. 12. Donnée à l’occasion du mariage de Henriette de Lorraine d’Harcourt, qui avait été fiancée dans la galerie des Tuileries le 1er février, et épousée le 7 du même mois, au nom du duc de Cadaval, par le secrétaire d’État de Lyonne, dans la chapelle de l’hôtel de Guise. Voyez la Gazette du 14 février 1671.
  129. 13. Dans l’édition de la Haye, il y a tours, au lieu de cours.
  130. 14. Sur l’emplacement de l’hôtel de Guise on a construit au dix-huitième siècle l’hôtel de Soubise, où sont aujourd’hui les Archives de l’Empire.
  131. 15. Marie de Lorraine, sœur du duc de Guise (Henri, IIe du nom, petit-fils du Balafré) qui fut pris à Naples en 1648, et mourut grand chambellan de France en 1664. Elle devint duchesse de Guise à la mort de son petit-neveu (1675), et mourut sans alliance en 1688, à soixante-treize ans.
  132. 16. Mademoiselle, au mois de décembre précédent, s’était brouillée avec sa sœur la duchesse de Guise, et avec toute la maison de Lorraine. Voyez ses Mémoires, tome IV, p. 219 et 220. — Cependant la Gazette du 14 février, soit parce qu’elle est mal informée, soit pour que les bienséances soient sauves, dit que Mademoiselle assistait à la fête.
  133. 17. Mme de Grignan n’avait pas été à Sully, ce qui l’aurait détournée de sa route ; mais elle put voir ce paysan à Briare, où peut-être il lui avait apporté une lettre de la duchesse de Sully.
  134. 18. Expression familière, fréquemment employée entre la mère et la fille, pour dire des tourments d’esprit, des chagrins, des fantômes inquiétants.
  135. 19. Jean-Antoine de Mesmes, neveu (et non frère, comme on l’a dit) du négociateur du traité de Westphalie, Claude, comte d’Avaux, qui était mort en 1650. Il quitta dans la suite le nom d’Irval, sans doute en 1673, année de la mort de son père, pour prendre celui de comte d’Avaux, laissant à son frère aîné le nom de Mesmes. Il fut successivement ambassadeur extraordinaire à Venise (1672), plénipotentiaire à Nimègue (1675), ambassadeur en Hollande, etc. Il mourut en 1709, à l’âge de soixante-neuf ans. Son père, frère puîné du négociateur, était appelé dès 1650 le président de Mesmes, et c’est le titre qu’il prend dans le contrat de Mme de Grignan : voyez la Notice, p. 331. Il avait porté antérieurement, lui aussi, le nom d’Irval.
  136. 20. La fausse couche que Mme de Grignan fit à Livry, en novembre 1669.
  137. 21. Voyez la note 4 de la lettre 115.
  138. 22. Voyez plus haut, p. 13 et 14, lettre 115.
  139. LETTRE 133 (revue sur une ancienne copie). —1. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.
  140. 2. Voyez la note 1 de la lettre 137.
  141. 3. Voyez la note 1 de la lettre 117.
  142. 4. Nogent-sur-Vernisson, bourg à quatre lieues au delà de Montargis, sur la route de Lyon.
  143. 5. Ce cocher ou conducteur, sans doute allemand ou suisse, au moins d’origine, à en juger par son nom, est mentionné de nouveau dans les lettres des 4 et 6 mars suivants.
  144. 6. L’abbé Guéton ou Guiton, ami du poëte Santeul (voyez Santolii opera poetica, 1696, p. 361), demeurait dans le voisinage de Mme de Sévigné. Dans la lettre de l’incendie (20 février 1671), il est parlé de lui, et de sa sœur, qui donna un lit à Mme de Guitaut.
  145. 7. Femmes de Mme de Grignan.
  146. LETTRE 134. — 1. Voyez la note 4 de la lettre 145.
  147. 2. Charles Amelot de Gournay, président au grand conseil, père de Michel Amelot, marquis de Gournay, l’habile diplomate. Il avait cinquante et un ans. Sa femme, fille de Jacques de Lyonne, grand audiencier de France, mourut en 1702. Elle avait hérité du domaine de la Tour à Sucy et de la maison de Mme de Coulanges : voyez la Notice, p. 21.
  148. 3. Louise-Françoise, fille de Laurent de la Baume le Blanc, marquis de la Vallière, et de Françoise le Prévost, était née en 1644, et fut d’abord fille d’honneur de Madame Henriette. Elle était duchesse depuis 1667. Elle mourut en 1710, après trente-six ans de religion, aux grandes Carmélites, où elle avait pris le nom de sœur Louise de la Miséricorde.
  149. 4. Les amours du Roi et de Mme de Montespan avaient commencé dès 1668 ; un enfant en était né en 1669 ; un autre, le duc du Maine, en 1670.
  150. 5. Voyez la note 6 de la lettre 136.
  151. 6. Au Pont-Saint-Esprit.
  152. 7. Jacques de Langlade, d’abord secrétaire du duc de Bouillon, dont il composa, dit-on, les Mémoires, avait commencé par se montrer très-ardent frondeur, puis, se retournant habilement, il était devenu l’instrument du cardinal Mazarin, et avait été nommé secrétaire du cabinet. Il mourut en 1680. Il fut l’ami du duc de la Rochefoucauld, de Mmes  de la Fayette, de Sévigné et de Coulanges.
  153. 8. Voyez la note 2 de la lettre 132.
  154. 9. Voyez la lettre 136, p. 67.
  155. Lettre 135. — 1. La lettre du Ier février précédent, no 130.
  156. 2. L’abbé de Coulanges.
  157. 3. Cette phrase manque dans notre manuscrit, ainsi que la dernière de l’alinéa.
  158. LETTRE 136 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.
  159. 2. Mlle de Raymond était une cantatrice célèbre par sa beauté, sa belle voix et son talent à s’accompagner sur le téorbe. Elle se retira quelques années plus tard au couvent de la Visitation du faubourg Saint-Germain. Voyez les lettres du 21 octobre et du 6 novembre 1676. Le baron de Sévigné, dans la lettre du 6 mars 1671, mande à sa sœur qu’il a assisté à une symphonie chez Mlle de Raymond — Sur la comtesse du Lude, voyez la note 2 de la lettre du Ier avril 1671.
  160. 3. On donna cette année, le 17 janvier, au palais des Tuileries, dans la salle des Machines, et le 24 juillet sur le théâtre de Molière, la tragédie-ballet de Psyché, dont les vers étaient de Molière, de Corneille et de Quinault, et la musique de Lulli. — « On appelle récit tout ce qui est chanté par une voix seule, qui se détache d’un grand chœur de musique. » (Dictionnaire de l’Academie de 1694.) Voyez la note 5 de la lettre 110.
  161. 4. Jules Mascaron, né à Marseille en 1634, prêtre de l’Oratoire (1650), nommé en 1671 à l’évêché de Tulle, en 1679 à celui d’Agen, mort en 1703. — Voyez les lettres écrites pendant le carême de 1671, et en particulier celles du 11 et du 27 mars. — Cette année le mercredi des Cendres avait été le 11 février. Mascaron prêcha le carême dans la paroisse même de Mme de Sévigné, c’est-à-dire à Saint-Gervais. Bourdaloue se fit entendre à Notre-Dame : la Gazette nous apprend qu’il y prêcha la Passion.
  162. 5. Pour demander à Dieu d’être mère d’un fils ? Ce fils devait être marquis de Grignan.
  163. 6. On devine sans peine que ce grand homme est le Roi. Quant à la dame, c’est sans doute Mme de Montespan, voilée par une contrevérité. — « La cour, dit Mademoiselle, alla le premier jour de carême à Versailles. Il y avoit eu un bal en masque aux Tuileries, où Mme de Montespan et Mme de la Vallière n’avoient pas paru. Mme de la Vallière s’en alla dès six heures du matin à Chaillot, aux Filles de Sainte-Marie. Le Roi y envoya M. Colbert et M. de Lauzun. Nous allâmes à Versailles. Tout le chemin se passa en pleurs : le Roi, Mme de Montespan et moi. Je pleurois de compagnie ; les deux autres pleuroient Mme de la Vallière, qui les consola bientôt : elle revint. » (Mémoires, tome IV, p. 260.) M. Chéruel cite en note le passage suivant du Journal de d’Ormesson : « Le 11 février, Mme de la Vallière se retira à Chaillot… Le Roy lui envoya M. de Bellefonds, et ensuite M. Colbert, avec ordre de la mener à Versailles, où il alloit : ce qu’il fit, et la dame y alla, sur la parole que le Roy trouveroit bon qu’elle se retirât si elle persévéroit. »
  164. 7. Henri II, duc de Montmorency, maréchal de France, décapité à Toulouse le 30 octobre 1632, pour avoir pris part aux troubles excités par Gaston, duc d’Orléans. Marie-Félice des Ursins, sa veuve, se retira dans le monastère de la Visitation de Moulins pour y pleurer sa perte. Elle y érigea au duc un mausolée magnifique, se fit religieuse (1657), et mourut en 1666, supérieure de ce couvent, où était conservé le cœur de sainte Chantal.
  165. 8. Marie-Louise de Montmorency, fille aînée de François de Montmorency, comte de Bouteville, décapité en 1627, sœur du maréchal de Luxembourg et de la duchesse de Mecklenbourg (d’abord duchesse de Châtillon), avait épousé Dominique d’Estampes, marquis de Valençay, neveu de Mme de Puisieux. Elle eut trois fils et quatre filles : deux mariées, une morte abbesse de Clérets en 1705, la dernière, Henriette, religieuse à la Visitation de Moulins. — Il résulte de la lettre du 17 mai 1676 que Mme de Grignan rencontra la marquise de Valençay priant avec ses filles près du tombeau de Montmorency. L’édition de la Haye et l’ancienne copie que nous suivons pour le texte de cette lettre ont Valence au lieu de Valençay. C’est la coutume de Mme de Sévigné d’écrire ces désinences par un e, et il n’est pas rare qu’elle omette l’accent.
  166. 9. Comme plus haut, au Pont-Saint-Esprit.
  167. 10. Il avait alors un peu plus de neuf ans : il était né le 1er novembre 1661.
  168. 11. Nous avons suivi pour cette phrase les deux éditions françaises de 1726. Elles reproduisent sans aucun doute le vrai texte de Mme de Sévigné. L’édition de la Haye, notre ancienne copie, et les éditions de Perrin ont supprimé les mots les plus significatifs et donnent ainsi ce passage : « Le Roi la reçut avec des larmes de joie, et Mme de Montespan. Elle a eu plusieurs conversations tendres. » Mme de Montmorency, dans une lettre au comte de Bussy, du 25 février 1671, s’exprime ainsi au sujet du retour de Mme de la Vallière : « Des gens, qui disent l’avoir ouï, assurent que le Roi et Mme de Montespan ont eu grand démêlé sur cela, et que celle-ci ne vouloit point souffrir le retour de l’autre. »
  169. 12. Françoise-Madeleine-Claude de Warigniés, fille unique de François, seigneur de Montfreville, frère cadet de M. de Blainville (premier gentilhomme de la chambre de Louis XIII), avait épousé en 1667 Bernard de la Guiche, comte de Saint-Géran, parent du marquis de Villars (voyez sur lui la note de la lettre du 22 mai 1675). « Leur union, dit Saint-Simon (tome I, p. 320), étoit moindre que médiocre. » Elle fut dame du palais de la Reine, et quelque temps disgraciée. « C’étoit en tout, dit encore Saint-Simon (ibid.), une femme d’excellente compagnie et extrêmement aimable, et qui fourmilloit d’amis et d’amies. » Nous voyons par la lettre du 15 juillet 1671 qu’elle était en correspondance avec Mme de Sévigné.
  170. 13. Pour M. et Mme de Guitaut, et un peu plus loin pour Mme de Vauvineux. voyez la lettre suivante.
  171. 14. Très-vraisemblablement la comtesse de Fiesque. Voyez la note 3 de la lettre 34.
  172. 15. Le chevalier de Perrin a remplacé tout cet alinéa par ces deux mots : « J’ai une infinité de compliments à vous faire. »
  173. 16. Au foyer, au moment où on la remue, la lave, l’habille et lui met d’autres langes. Voyez le Lexique. — Ces mots, que nous tirons de notre ancienne copie, y sont ainsi écrits : « Ce qui s’appelle alastre. »
  174. 17. La belle-sœur de l’évêque de Marseille : voyez la lettre 146, p. 114. C’était sans doute Geneviève de Briançon, qui avait épousé en 1651 Laurent de Forbin, marquis de Janson, frère aîné de l’évêque de Marseille. Laurent de Forbin fut gouverneur d’Antibes, et mourut en 1692.
  175. 18. Il est parlé dans la lettre suivante d’un M. le Blanc, propriétaire de la maison qu’habitait le comte de Guitaut.
  176. LETTRE 137 (revue sur une ancienne copie). — 1. Guillaume de Pechpeyrou Comminges, comte de Guitaut, et, par sa première femme, marquis d’Époisse, l’un des plus intimes amis de Mme de Sévigné, et son seigneur en Bourgogne. Sur lui et sur sa femme, Élisabeth-Antoinette de Verthamon, voyez la Notice, p. 149-153. Sa mère, dont il est parlé un peu plus bas, était Jeanne, fille de Bertrand d’Eygua, seigneur de Castel-Arnaud. Elle devait être fort âgée. Elle avait été mariée en 1625 et était veuve depuis longtemps. — On a quelquefois confondu avec l’ami de Mme de Sévigné, son oncle maternel à la mode de Bretagne, François de Comminges de Guitaut, capitaine des gardes de la reine Anne d’Autriche, qui arrêta le prince de Condé.
  177. 2. Françoise-Angélique Aubry, comtesse douairière de Vauvineux. Mme de Sévigné l’appelle souvent la Vauvinette. Elle mourut en 1705, à soixante-quatre ans. Elle était veuve, depuis 1661, de Charles de Cochefilet, comte de Vauvineux.
  178. 3. Mme de Sévigné demeurait alors rue de Thorigny. Voyez Walckenaer, tome IV, p. 68 et 334.
  179. 4. Probablement il cavaliere Zuanne Morosini, qui donna en 1672 la relation de son ambassade à la cour de France. On conserve aux archives des Affaires étrangères les lettres de créance d’un autre ambassadeur de Venise, nommé Michieli, qui sont datées du 18 mars 1671.
  180. 5. Charlotte-Elisabeth de Cochefilet de Vauvineux, mariée en 1679 (voyez la lettre du 6 décembre) à Charles de Rohan, prince de Guémené, et duc de Montbazon en 1689, mourut le 24 décembre 1719, à l’âge de cinquante-sept ans. Elle avait donc neuf ans au moment de l’incendie.
  181. 6. Voyez la note 6 de la lettre 133.
  182. 7. Il n’y avait pas encore de pompiers, et les capucins en faisaient l’office avec un zèle et une charité admirables. Les premières pompes à incendie furent établies en 1705.
  183. 8. C’est, avec finit pour cessa, la fin bien connue du fameux récit du Cid (acte IV, scène III).
  184. 9. Dans notre copie et dans l’édition de la Haye, il y a consommés, au lieu de consumés. Voyez le Lexique.
  185. 10. On conserve encore dans la famille de Guitaut un grand nombre de lettres du grand Condé, dont le comte Guillaume avait été aide de camp pendant la Fronde, et plus tard premier chambellan.
  186. 11. Dans l’édition de la Haye, il y a mois, au lieu de jours. — À la suite on lit dans notre copie : « C’est grand hasard s’il ne vient. »
  187. 12. Maître d’hôtel du comte de Grignan.
  188. 13. Mlle de la Mothe Houdancourt, fille du maréchal, ne fut mariée au duc de Ventadour que le 14 mars.
  189. 14. Charles des Montiers de Mérinville épousa le 28 février Marguerite de Gravé ; il fut capitaine des chevau-légers du Dauphin et gouverneur de Narbonne ; il mourut en 1689. Il était fils aîné de François, comte de Mérinville, chevalier de l’ordre et prédécesseur du comte de Grignan en Provence, qui mourut en janvier 1672.
  190. 15. Gravé, sieur de Launay, financier, épousa, en secondes noces, vers 1646, Françoise Godet des Marais, sa cousine, sœur de l’évêque de Chartres, directeur de Mme de Maintenon et de Saint-Cyr. Launay Gravé mourut en 1655. Sa veuve se remaria en 1661, à Antoine de Brouilly, marquis de Piennes, gouverneur de Pignerol et chevalier de l’ordre, mort en 1676 à soixante-cinq ans. Ce marquis de Piennes était frère et héritier du premier mari de la comtesse de Fiesque, tué devant Arras en 1640.
  191. 16. Voyez la Notice, p. 102, et p. 103, note 1. — L’évêque d’Alby, de 1635 à 1676, fut Gaspard de Daillon, commandeur des ordres, oncle du comte du Lude le grand maître.
  192. 17. Philibert-Emmanuel de Beaumanoir de Lavardin, beau-frère de Mme de Lavardin, évêque du Mans (1649), mort le 27 juillet 1671. C’était le vendredi que Mme de Sévigné dînait chez lui. Voyez les lettres du 11 mars et du 2 août suivants, et la Notice, p. 158.
  193. 18. Charles de Champlais, marquis de Courcelles, marié en 1666 à Marie-Sidonia de Lenoncourt de Marolles, dont le désordre était notoire. Voyez la lettre du 26 février 1672.
  194. 19. Louis de la Trémouille, comte d’Olonne, mort à soixante ans, en 1686. Sa femme, qu’il avait épousée en 1652, était Catherine-Henriette d’Angennes de la Loupe (de la même maison que le marquis de Rambouillet), sœur de la maréchale de la Ferté. Les deux sœurs moururent en 1714.
  195. 20. Ce dernier alinéa ne se trouve point dans notre manuscrit, ni dans aucune des éditions antérieures au chevalier de Perrin.
  196. LETTRE 138. — 1. Mme de Coligny a ajouté quelques mots entre les lignes : « …(à l’histoire de notre maison) mon ouvrage, et l’éloge que vous faites de ma lettre dédicatoire, (m’obligent) … » Voyez la note 6 de la lettre 123.
  197. 2. Nous suivons la copie de Bussy : le verbe y est ainsi au singulier.
  198. 3. Toute la fin de la lettre, depuis : « Comme il y a un an, » manque dans notre manuscrit.
  199. Lettre 139. — 1. La montagne de Tarare est sur le grand chemin de Rouane (aujourd’hui Roanne) à Lyon. — « Elle étoit autrefois, dit le chevalier de Perrin (1754), très-difficile à passer ; mais depuis quelques années, par les grands travaux qu’on y a faits, les voyageurs la passent avec moins d’incommodité. »
  200. 2. Voyez la note 2 de la lettre 114.
  201. 3. Voyez la lettre 115, p. 13 et 14.
  202. 4. Mme de la Trousse.
  203. 5. Mme de Vauvineux : voyez la note 2 de la lettre 137.
  204. 6. Il est assez souvent question de cette amie dans la Correspondance, et Mme de Sévigné l’appelle ordinairement la bonne d’Escars. Ce nom peut désigner ou Anne d’Escars, mariée à son cousin Charles d’Escars, qui fut comte de ce nom en 1661 ; ou peut-être aussi la troisième sœur de Mme de Hautefort, Charlotte, dite Mlle d’Escars, née en 1610, fille d’honneur de la Reine en 1641, femme, depuis 1653, de François de Choiseul, marquis de Praslin (fils du premier maréchal de ce nom et frère de Mme du Plessis Guénégaud). Cette dernière, qui ne manquait ni de beauté ni d’esprit, fut veuve en 1690 et atteignit l’âge de cent deux ans. N’est-il pas possible, et même assez naturel, que Mme de Sévigné ait continué d’appeler de son nom de fille une ancienne amie, si tard mariée ? Une autre dame d’Escars, ou plutôt de Merville, Françoise-Charlotte Bruneau de la Rabatelière, auteur de quelques ouvrages en prose et en vers, et femme d’un autre Charles d’Escars, chef de la branche de Merville, était trop jeune pour qu’on puisse bien lui appliquer, ce semble, certains passages où ce nom se rencontre, dans la suite des lettres : elle n’avait que soixante-deux ans en novembre 1707, époque de sa mort.
  205. 7. De Rippert ou de Ripert, frère du doyen du chapitre de Grignan, était un des gentilshommes attachés au Comte, et chargé de ses affaires. Il accompagna Mme de Grignan dans son voyage. Voyez la lettre 146, p. 115. Deux de ses frères se distinguèrent à la prise de Maestricht en 1676.
  206. 8. Le coadjuteur d’Arles. Voyez la note 4 de la lettre 115.
  207. 9. Voyez la Notice, p. 118 et suivante. Il est possible que le nom de Madruche en caclie un autre que Mme de Sévigné ne veut pas écrire.
  208. 10. Sur le comte de Saint-Paul, voyez la note 7 de la lettre 84. Son frère, Jean-Louis-Charles d’Orléans, né en 1646, duc de Longueville depuis la mort de son père, arrivée le 11 mai 1663, se fit prêtre à la fin de l’année 1669, et mourut le 4 février 1694. En lui s’éteignit la maison de Longueville.
  209. 11. L’ancien hôtel de Chevreuse, rue Saint-Thomas du Louvre, à côté de l’hôtel de Rambouillet. Mme de Longueville l’acheta du duc d’Épernon, et il porta le nom d’hôtel de Longueville depuis 1664 jusqu’à la fin du dix-septième siècle.
  210. 12. Premier médecin du Roi. Il contribua beaucoup, dit-on, à répandre l’usage de l’émétique, du quinquina et du laudanum. À l’aide du premier de ces remèdes, il sauva Louis XIV de la dangereuse maladie qu’il eut à Calais en 1658.
  211. Lettre 140 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. Il mourut le 9 août suivant, et eut pour successeur Daquin.
  212. 2. Armand-Charles, fils du maréchal de la Meilleraye. Dix ans auparavant, le cardinal Mazarin lui avait donné son nom, en lui faisant épouser Hortense Mancini, sa nièce, née à Rome en 1646. Il mourut en 1712, âgé de plus de quatre-vingts ans. Sa femme était morte avant lui à Chelsea en Angleterre, en 1699. Sur la bizarre dévotion du duc de Mazarin et les extravagances où elle le porta, voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome X, p. 277 et suivantes.
  213. 3. Voyez la note 10 de la lettre 131.
  214. 4. Claude Duval, sieur de Coupeauville, abbé de la Victoire (au diocèse de Senlis), mort le 8 décembre 1676. « L’abbé de la Victoire, dit M. Cousin, était plus occupé de littérature que de théologie, et connaissait mieux Cicéron que saint Augustin. » (Mme de Sablé, p. 249.)
  215. 5. Isaac de Benserade, né en 1612 à Lyons-la-Forêt, en Normandie (Eure), membre de l’Académie française en 1674, mort en 1691. Voyez la Notice, p. 97 et suivantes, et p. 158.
  216. 6. Voyez la lettre 144, P. 106.
  217. 7. Jacques-Henri de Durfort, fils du marquis de Duras (mort en 1690), et d’Élisabeth de la Tour (morte en 1685), sœur de Frédéric-Maurice duc de Bouillon, et de Turenne, devint capitaine des gardes du corps en 1671, gouverneur de la Franche-Comté en 1674, maréchal de France en 1675. Il mourut à Paris en 1704, à soixante-quatorze ans. Il avait épousé, en 1668, Marguerite-Félicité de Lévis Ventadour, fille de Charles, duc de Ventadour, et de Marie de la Guiche Saint-Geran.
  218. 8. Mlle de la Mothe d’Argencourt. Elle avait été fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche ; elle fut l’un des premiers objets de l’inclination du Roi. Le cardinal Mazarin, ne pouvant parvenir à s’en faire un espion auprès de lui, travailla à la perdre, et il y réussit facilement. Elle se retira à — Sainte-Marie de Chaillot, et y passa le reste de sa vie, sans se marier ni faire de vœux. Les Mémoires imprimés de la Fare la confondent avec Mlle de la Mothe Houdancourt, la future duchesse de Ventadour ; mais cette erreur n’appartient qu’à l’éditeur de ces Mémoires.
  219. 9. Emmanuel-Théodose de la Tour, frère de Godefroi-Maurice duc de Bouillon, et neveu de Turenne, devint cardinal en 1669 à vingt-six ans, grand aumônier de France le 10 décembre 1671, et mourut à Rome, doyen du sacré collège, en 1715, à l’âge de soixante-treize ans.
  220. 10. Voyez la note 9 de la lettre 80.
  221. 11. Ce sont trois vers empruntés au début du Temple de la Mort, de Philippe Habert (voyez la note 4 de la lettre 28). Mme de Sévigné a changé le premier, qui dans Habert se lit ainsi :
         Mille sources de sang y font mille rivières.
  222. 12. Anne d’Ornano, femme de François de Lorraine, comte d’Harcourt, et sœur de Marguerite d’Ornano, mère du comte de Grignan : voyez la note 4 de la lettre 127. Elle habitait le Pont-Saint-Esprit. Nous voyons par quelques-unes des lettres suivantes qu’elle ne plut guère à Mme de Grignan. Son mari était frère puîné de Charles de Lorraine, IIIe du nom, duc d’Elbeuf (voyez la note 3 de la lettre 26), et frère aîné du comte de Lillebonne. Il mourut en 1694, et sa veuve l’année suivante.
  223. 13. Voyez la note 5 de la lettre 88.
  224. Lettre 141 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. On lit ici boule, au lieu de bonté, dans notre manuscrit, de même que dans toutes les éditions : ce sont deux mots faciles à confondre dans l’écriture de Mme de Sévigné. La leçon que nous avons adoptée nous est fournie un peu plus loin par le manuscrit : voyez la note 2 de la lettre 153.
  225. 2. Les Capucins de la rue d’Orléans au Marais : l’église de ce couvent est aujourd’hui la paroisse de Saint-Francois d’Assise.
  226. 3. Voyez la lettre du 6 février précédent (no 131).
  227. 4. La ville d’Avignon et le Comtat étaient gouvernés, au nom du pape, par un vice-légat.
  228. Lettre 142. — 1. La fausse couche de Livry.
  229. 2. Fille de Mme du Plessis Guénégaud (voyez la note 5 de la lettre 73). Elle ne mourut qu’en décembre 1675.
  230. 3. Les deux le Camus, père et fils, et Ytier, musiciens, dont le nom revient plusieurs fois dans la Correspondance. Voyez les lettres du 15 avril 1671 et des 23 mai et 2 juin 1672.
  231. 4. Sur tout ce passage, voyez Walckenaer, tome IV, p. 105 et suivantes.
  232. 5. Anne (Ninon) de l’Enclos était née à Paris le 10 novembre 1620. Elle avait donc alors un peu plus de cinquante ans. Elle habitait vers ce temps-là, et habita jusqu’à sa mort (1705), la rue des Tournelles. Voyez la Notice, p. 119, et les lettres du 13 mars, du 1er et du 8 avril 1671.
  233. 6. L’amie de la Fontaine et l’amante de la Fare, célèbre par sa beauté et plus encore par son goût pour les lettres et les sciences. Son nom était Hesselin (ou Hessein). Elle avait épousé Antoine Rambouillet de la Sablière, né en 1615, secrétaire du Roi, l’un des administrateurs des domaines royaux, fils d’un riche financier et beau-frère de Gédéon Tallemant des Réaux. L’année même de sa mort (1680), son fils publia de lui un Recueil de madrigaux « écrits, dit Voltaire, avec une finesse qui n’exclut pas le naturel. » — Sur la liaison de Mme de la Sablière avec la Fare, voyez les lettres d’août 1676 à janvier 1680 ; sur sa retraite aux Incurables, où elle mourut le 8 janvier 1693, celles des 21 juin et 14 juillet 1680. Elle a laissé des Pensées chrétiennes, plusieurs fois imprimées.
  234. 7. Femme de Garnier de Salins (fils de Mathieu : voyez la note 5 de la lettre 160), et belle-sœur du comte de Brancas, qui avait épousé une sœur de son mari. Elle fut fort compromise, six semaines environ après cette lettre : voyez celle du 24 avril.
  235. 8. Fille de Mme de Fiennes, dont il a été parlé plus haut : voyez la note 6 de la lettre 36. Elle fut enlevée par le chevalier de Lorraine, dont elle eut un fils : voyez les lettres des 30 mars et 1er avril. Jusque-là, elle avait été fille d’honneur de la Reine.
  236. 9. Sans doute Marie-Geneviève de Chambes, comtesse de Montsoreau par la mort de son frère, mariée en 1664 à Louis-François du Bouchet, marquis de Sourches et grand prévôt de l’hôtel. Elle avait apporté le comté de Montsoreau à son mari, et l’on put bien continuer de lui en donner le titre dans le monde.
  237. 10. Voyez la note 2 de la lettre 136.
  238. 11. Un cavalier gracieux et de bon air.
  239. 12. Bossuet, nommé évêque de Condom le 13 septembre 1669, sacré le 21 septembre 1670, quelques jours après avoir été nommé précepteur du Dauphin. Il était ami de Mme de Guénégaud, et écrivait quelquefois à Mmes  de Sévigné et de Grignan : voyez les lettres des 13 mars et 1er avril 1671.
  240. 13. Second fils de Louis XIV, mort en 1671, à trois ans.
  241. 14. L’oncle du comte de Grignan : voyez la note 6 de la lettre 88.
  242. 15. Premier évêque d’Arles.
  243. 16. Lucie de la Rochefoucauld Montendre, veuve, depuis 1647, de César de Costentin, comte de Tourville. Elle avait eu huit enfants, parmi lesquels le célèbre marin Tourville et la marquise de Gouville. Au sujet de cette dernière, voyez la note 2 de la lettre 30.
  244. 17. Voyez les lettres 128 et 131.
  245. 18. Pour beaucoup d’années, pour longtemps.
  246. Lettre 143 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. Nommé de Julianis, si nous en croyons le chevalier de Perrin.
  247. 2. Jeu où l’on ne donne que quatre cartes. Il y en a deux sortes : la grande prime, la petite prime.
  248. 3. Le marquis de Vardes (voyez la note 6 de la lettre 26 et la note 3 de la lettre 106), l’un des principaux auteurs de la lettre espagnole écrite à la reine Marie-Thérèse, pour l’informer de l’intrigue du Roi avec Mlle de la Vallière. Il fut d’abord mis à la Bastille, puis envoyé, au mois de mars 1665, à la citadelle de Montpellier, où il resta prisonnier pendant plusieurs années. Son sort finit par s’adoucir ; il fut alors relégué dans son gouvernement d’Aigues-Mortes, d’où il fut rappelé à la cour en 1683 : voyez la lettre du 26 mai de cette année.
  249. 4. Le président de Bandol, qui était un des amis intimes de Mme de Grignan et paraît avoir été un homme de beaucoup d’esprit. Voyez les lettres du 27 mars 1671 et du 8 mars 1676.
  250. 5. Walckenaer (tome V, p. 461) dit qu’il était très-probablement le frère cadet du marquis de Vins, Provençal et parent des Grignans, qui épousa en 1674 la sœur de Mme de Pompone.
  251. 6. À l’église Saint-Gervais : la rue de Thorigny, où demeurait alors Mme de Sévigné, était de cette paroisse, ainsi que la rue Sainte-Anastase où elle loua une maison l’année suivante. C’est à Saint-Gervais qu’elle avait été mariée vingt-sept ans auparavant.
  252. 7. Jacques Têtu, abbé de Belval, membre de l’Académie française depuis 1665, auteur des Stances chrétiennes sur divers passages de f Écriture sainte et des Pères. Sa faconde lui avait fait donner le sobriquet de Têtu-tais-toi. C’était un abbé fort mondain, très-lié avec les dames les plus célèbres de son temps, en quartier d’été à Fontevrault, et d’hiver auprès de Mme de Coulanges : voyez la Notice, p. 141, les Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 414 et suivante, et l’une des dernières notes de la lettre du 23 décembre 1671. Il mourut en 1706.
  253. 8. Voyez la note 6 de la lettre 57.
  254. 9. Jean-Antoine de Mesmes, président à mortier, mort en 1673, et ses deux fils : Jean-Jacques, alors comte d’Avaux, à qui il remit sa charge le 20 avril suivant, et Jean-Antoine, seigneur d’Irval : voyez la note 19 de la lettre 132. Jean-Jacques fut reçu à l’Académie française en 1676, et mourut en 1688. Il est le père du premier président de Mesmes, qui fut aussi de l’Académie (1710).
  255. 10. La Gazette, en ce temps-là, mentionne presque tous les jours quelque pieuse visite de la Reine aux églises et aux couvents.
  256. 11. Les éditeurs, à qui cet emploi de l’adverbe, très-hardi, je l’avoue, a paru obscur, y ont substitué les mots avant le sermon.
  257. 12. François de Clermont Tonnerre (second fils du comte de Clermont Tonnerre et de Marie Vignier), évêque et comte de Noyon (1661), pair de France, mort à soixante-douze ans en 1701. Il fut reçu à l’Académie française en 1694, et y fonda un prix de poésie. (Voyez de curieux détails sur son élection et sa réception, dans l'Histoire de l’Académie de M. P. Mesnard, p. 42 à 44.) Ce prélat réunissait dans sa personne tous les genres de vanité, et comme par là il prêtait beaucoup à la raillerie, on s’est plu à lui attribuer toutes les anecdotes qui pouvaient rendre ce ridicule plus achevé.
  258. 13. Les armes de la maison de Clermont sont : de gueules à deux clefs d’argent adossées et passées en sautoir. Elle les tient de la reconnaissance du pape Calixte II. Saint-Simon, tome I, p. 107, raconte que l’évêque de Noyon avait rempli de ses armes toute sa maison, jusqu’aux plafonds et aux planchers. « Des clefs partout, ajoute-t-il, jusque sur le tabernacle de sa chapelle ». — Dans l’édition de 1754, la première qui donne cette lettre, on lit ainsi la fin de la phrase : « et toute la science du prélat sur la pairerie. »
  259. 14. L’évêque du Mans. Voyez la note 17 de la lettre 137, et de plus les curieux renseignements que M. Paulin Paris donne sur ce prélat, au tome V de Tallemant des Réaux, p. 166,167.
  260. 15. Voyez la note 9 de la lettre 119 et la note 5 de la lettre 140.
  261. LETTRE 144 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 7 de la lettre 131.
  262. 2. Voyez la note 4 de la lettre 136.
  263. 3. Anne-Marie Martinozzi, nièce de Mazarin, mariée en 1654 à Armand de Bourbon, prince de Conti, frère cadet du grand Condé, mort en 1666. Elle mourut elle-même le 4 février 1672, âgée de trente-cinq ans. Voyez sur cette sainte princesse, comme l’appelle Mme de Sévigné, la lettre du 5 février 1672. — Anne-Geneviève de Bourbon, sœur du grand Condé et du prince de Conti, veuve (1663) de Henri II, duc de Longueville, et toute à la piété et à la pénitence depuis longues années. Elle mourut le 15 avril 1679.
  264. 4. François Celas de Voisins, marquis d’Ambres, colonel du régiment de Champagne, et le mois suivant (avril 1671) lieutenant général au gouvernement de la haute Guyenne, dont le maréchal d’Albret était gouverneur. Il mourut en 1721, à quatre-vingt-deux ans.
  265. 5. La foire Saint-Germain, qui se tenait sur l’emplacement du marché actuel de ce nom. Elle s’ouvrait le 3 février et se prolongeait jusqu’à la semaine sainte, et souvent même au delà.
  266. 6. Antoine des Porcellets, marquis de Maillanes, d’une des plus anciennes familles de Provence, était en 1672 procureur pour la noblesse à l’Assemblée des Communautés. Sa seconde femme était Gabrielle de Gianis de la Roche. Est-ce d’elle que Mme de Sévigné parle ici ?
  267. 7. Marie-Elisabeth de Ludres, chanoinesse de Poussay, qui fut aimée du Roi : voyez la lettre du 1er avril suivant. — Louise-Philippe de Coëtlogon, qui fut mariée au marquis de Cavoie. — Jeanne de Rouvroy, qui fut mariée au comte de Saint-Vallier. — Lydie de Rochefort Théobon, qui fut mariée au comte de Beuvron. Toutes quatre filles d’honneur de la Reine. Voyez la lettre du 27 novembre 1673.
  268. 8. On croyait que l’on guérissait une personne mordue d’un chien enragé en la plongeant dans la mer. « Les autres asseuroyent, dit Guillaume Bouchet (dans sa VIIe Serée, intitulée des Chiens), que l’eau de la mer guerissoit les enragez, si on les jette dedans ; et de faict on les mene maintenant à la mer, comme le plus asseuré remede. » (1re édition des Serées, Paris, 1585.) — M. Floquet a trouvé à la Bibliothèque impériale un ordre du Roi du 13 mars 1671, adressé à Blavet, maître des coches d’Orléans, pour conduire Mme de Ludres (du Ludre) et Mlles  de Coëtlogon et de Rouvroy, de Paris à Dieppe.
  269. 9. Henri-Joseph de Peyre, comte de Tréville (Troisville), cornette de la 1re compagnie des mousquetaires, colonel d’infanterie et gouverneur de Foix, « si célèbre au dix-septième siècle par son esprit, sa galanterie et ses perpétuels changements. » (M. Cousin, dans Mme de Sablé, p. 267.) C’est l'Arsène, dit-on, des caractères de la Bruyère. Il mourut en 1708, à l’âge de soixante-sept ans. Voyez la lettre de Noël 1671, où il est parlé de sa conversion, celle du 17 novembre 1688, et la Notice, p. 94.
  270. 10. Manière de prononcer de Mme de Ludres. « Elle parle d’une façon très-désagréable, dit Madame de Bavière, mettant partout des z pour des j ou des g. »
  271. 11. Contre lequel ni heaume ni bouclier ne peut rien.
  272. 12. Voyez la Notice, p. 47, et Walckenaer, tome I, p. 235.
  273. 13. Dans le Carême de Bourdaloue, le sermon pour le vendredi de la quatrième semaine, lequel tombait cette année au 13 mars, roule tout entier sur la mort de Lazare, figure de la mort d’une âme par le péché.
  274. 14. Mlle de Sévigné fut mise quelque temps au couvent de Nantes, et peut-être aussi à la Visitation du faubourg Saint-Jacques. Voyez les lettres du 29 janvier 1672 et du 6 mai 1676, et la Notice, p. 89.
  275. 15. Ce qui suit, jusqu’à la fin de la lettre, forme un morceau à part dans notre manuscrit, et y est daté du 30 mars. C’est très-probablement une lettre séparée, ou un fragment qui n’appartient pas à celle du 13 mars.
  276. 16. Le chancelier Seguier n’alloit jamais au conseil sans avoir pris cette précaution. (Note des éditions de 1726.)
  277. 17. Marie-Françoise-Angélique du Val, fille unique du marquis de Fontenai Mareuil, première femme de Léon Potier, duc de Gêvres, d’une ancienne famille de robe, dont étaient les Blancménil et les Novion. Elle mourut en 1702, à soixante-dix ans. Son mari fut nommé gouverneur de Paris en 1687. Le père de celui-ci avait fait ériger (1648) le comté de Tresme en duché-pairie, sous le nom de duché de Gêvres.
  278. 18. Mme de Sévigné, quand le sens ressort clairement de la suite et de l’ensemble de son récit, redoute fort peu les amphibologies et emploie les pronoms au lieu des noms avec la plus grande liberté. Ici Perrin, dans l’édition de 1754, a remplacé elle par Mme de Gêvres. Dans des éditions postérieures, on a fait, trois lignes plus haut, une correction semblable et plus nécessaire peut-être : je pense que la duchesse s’attendoit. Dans son texte de 1734, Perrin s’était montré moins exigeant pour la clarté ; il n’avait été blessé que du sans-façon de Mme de Sévigné, et, au lieu de la Gêvres, il avait mis poliment, une fois Mme de Gêvres et une autre fois la duchesse.
  279. 19. Marie Charon, sœur de Jean-Jacques Charon, seigneur de Menars, qui devint président au parlement de Paris. Elle avait épousé Colbert en 1648 et mourut en 1687.
  280. 20. La Fontaine publia en 1671 la Troisième partie des contes (achevée d’imprimer le 27 janvier), et un recueil intitulé Fables nouvelles et autres poésies (achevé d’imprimer le 12 mars).
  281. LETTRE 145 (revue sur une ancienne copie). — 1 Voyez la note 5 de la lettre 65.
  282. 2. Le comte d’Armagnac passait pour l’un des hommes les mieux faits de ce temps. Saint-Simon (tome XV, p. 337) parle de sa très-noble et très-belle figure. Voyez la note 2 de la lettre 116.
  283. 3. François-Gaspard de Montmorin, marquis de Saint-Hérem, jusqu’en 1666 grand louvetier de France, puis gouverneur de Fontainebleau et capitaine des chasses (voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome III, p. 207). — On voit encore dans la forêt de Fontainebleau la Croix de Saint-Hérem.
  284. 4. Les jours de poste pour Marseille, et il n’y en avait sans doute pas d’autres pour Valence (Grignan), Aix, Toulon, étaient encore en 1692 le mercredi et le vendredi. Le courrier partait à minuit. Voyez le Livre commode pour 1692. Il résulte des lettres du 15 décembre et du 9 février précédents qu’il y avait le lundi un ordinaire de Lyon ou passant par Lyon.
  285. 5. Voyez ci-dessus la lettre 129, de l’abbé de Coulanges à M. Prat.
  286. Lettre 146 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — 1. L’affaire réussit. Voyez la fin de la lettre du 10 avril 1671, et la Notice, p. 125.
  287. 2. Voyez la Notice, p. 132.
  288. 3. Voyez encore la Notice, p. 121 et suivantes.
  289. 4. Ce nom est écrit ainsi dans notre manuscrit. Il commence par un S (Sessac) dans l’édition de la Haye (1726), la seule où il soit imprimé tout entier : les autres n’ont que l’initiale S… — Louis-Guilhem de Castelnau (d’une autre maison que le maréchal), comte de Clermont Lodève, marquis de Cessac, était fils de Gabriel-Aldonce (de mêmes noms et titres) et de Louise du Prat, cousine germaine du chancelier Seguier. Il eut la charge de maître de la garde-robe du Roi en 1669. Après avoir été exilé quelque temps chez lui, dit Saint-Simon, il alla jouer gros jeu en Angleterre. Il eut la permission de revenir en 1674 (voyez la lettre du 12 janvier 1674, et les Négociations de M. Mignet, tome IV, p. 254), et fut compromis dans l’affaire des poisons (lettre du 31 janvier 1680). Plus tard, grâce à la faveur du Dauphin et de Monsieur, grands joueurs comme lui, il put reparaître à la cour. Il épousa en 1698 Jeanne-Thérèse-Pélagie d’Albert, fille du duc de Luynes et de sa seconde femme. Il mourut en 1705, laissant un fils en qui finit peu après la maison de Clermont Lodève. Voyez Saint-Simon, tome II, p. 112 et suivantes.
  290. 5. Ici encore Perrin, dans l’édition de 1754, a remplacé le pronom par S… (Sessac, Cessac), et le premier il de la ligne précédente par S. M. (Sa Majesté). Dans l’édition de 1734, il a supprimé tout ce qui est relatif à Cessac ; et dans ses deux éditions, deux bons tiers du reste de la lettre.
  291. 6. L’abbaye de Notre-Dame de la Trappe, près de Mortagne, dans le Perche, diocèse de Seez (Orne), était depuis le milieu de 1664 sous la conduite de son célèbre réformateur Armand-Jean le Bouthillier de Rancé.
  292. 7. Voyez la note 17 de la lettre 136.
  293. 8. Louise-Antoinette-Thérèse de la Châtre, maréchale et duchesse (1690) d’Humières, cousine de Bussy : voyez la note 7 de la lettre 34. Le maréchal fut gouverneur de Flandre, Hainaut et pays conquis, et des villes de Lille et de Compiègne, après l’avoir été du Bourbonnais. Il mourut en 1694. L’année suivante, sa veuve se retira aux grandes Carmélites de la rue Saint-Jacques, où elle mourut le 2 décembre 1723. Voyez Saint-Simon, tome XX, p. 85, et la lettre de Mme de Coulanges du 20 juin 1695.
  294. 9. Ne faut-il pas lire plutôt : « de ce qui n’est que ridicule ? »
  295. 10. Voyez la note 7 de la lettre 139.
  296. 11. Voyez la note 4 de la lettre 145.
  297. 12. L’évêque de Mende, de 1661 à 1676, fut Hyacinthe Serroni.
  298. 13. Laurent de Varadier, marquis de Saint-Andiol, gentilhomme d’Arles, beau-frère du comte de Grignan, dont il avait épousé en 1661 la sœur Marguerite. Il fut nommé tout d’une voix, en 1676, procureur du pays : voyez la lettre du 6 décembre 1676.
  299. 14. Guillaume d’Harouys, seigneur de la Seilleraye (voyez la Notice, p. 189), trésorier des états de Bretagne. Il ne put rendre ses comptes en 1687, fut mis à la Bastille, et y mourut le 10 novembre 1699 : « l’unique exemple, dit Saint-Simon (tome II, p. 337), d’un comptable de deniers publics avec qui ses maîtres et tout le public perdent, sans que sa probité en ait reçu le plus léger soupçon. » Il était veuf depuis 1662 de Marie-Madeleine de Coulanges, sœur d’Emmanuel. Voyez sur son faste et sa ruine, et sur l’amitié qui l’unissait à Mme de Sévigné, la Notice, p. 183, 184, 285, 286 ; Saint-Simon, tome II, p. 336 ; Walckenaer, tome V, p. 181-188 ; et les lettres du 8 décembre 1673 et du 29 janvier 1690.
  300. 15. La comtesse de Fiesque : voyez la note 3 de la lettre 34.
  301. 16. Voyez la note 8 de la lettre 40, et plusieurs lettres de Bossuet au maréchal de Bellefonds, des mois d’avril et juin 1672.
  302. 17. De premier maître d’hôtel du Roi.
  303. 18. Fameuse coiffeuse de ce temps-là. (Note de l’édition dite de Rouen, 1726.)
  304. 19. Bretauder, vieux mot qui signifie « rogner, couper, tondre irrégulièrement. » L’édition de Rouen de 1726 a pimprelochée.
  305. 20. Demoiselle de compagnie de Mme de Grignan. Une note des éditions de 1726 la nomme femme de chambre.
  306. 21. La Champmeslé. — Anne Desmares, née à Rouen en 1644, morte en 1698, femme de Charles Cheville, sieur de Champmeslé, mort en 1701. Elle avait débuté en 1669, et avait eu en 1670 le plus grand succès dans la Bérénice de Racine. Voyez les lettres du 15 janvier et du Ier avril 1672, et la Notice, p. 110.
  307. 22. « Je suis plus désespérée que vous des retardements de la poste. » (Édition de 1754.)
  308. 23. Paul de Barillon d’Amoncourt, marquis de Branges, conseiller au parlement en 1650, maître des requêtes en 1651, plus tard, et pendant longtemps, ambassadeur en Angleterre. Il mourut conseiller d’État ordinaire, en juillet 1691. Il était frère de l’évêque de Luçon et de Barillon de Morangis, aussi conseiller d’État. C’est à lui que la Fontaine a dédié le Pouvoir des Fables. C’était son père, le président de Barillon, mort prisonnier à Pignerol, en 1645, qui avait arrêté avec André d’Ormesson les articles du contrat de mariage de Mme de Sévigné : voyez Walckenaer, tome V, p. 271.
  309. 24. Débeller, vieux mot formé du latin debellare, qui signifie « vaincre, dompter. »
  310. 1. Lettre 147. — 1. Charles-Maurice le Tellier, depuis archevêque de Reims. Voyez la note 1 de la lettre 74.
  311. 2. Dans les deux éditions de Perrin, la lettre commence ainsi : « M. le coadjuteur de Reims étoit l’autre jour avec nous chez Mme de Coulanges. Je me plaignis à lui du désordre de la poste (dont son frère aîné, le marquis de Louvois, était surintendant) ; il me dit qu’elle lui faisoit des tours aussi bien qu’à moi ; qu’il vous avoit écrit deux fois, etc. » Nous avons suivi le texte de 1726.
  312. 3. Ici encore il y a deux lignes de plus dans Perrin : « Et je lui ai dit toutes vos douceurs là-dessus. Voici une histoire qu’il vous envoie cette fois au lieu de dragées. »
  313. 4. Jean, comte d’Estrées, depuis 1655 lieutenant général, et de- puis 1670 vice-amiral des armées navales aux îles d’Amérique, fut fait maréchal de France en 1681, et plus tard (1686) vice-roi de l’Amérique. Il mourut en 1707. Voyez la note 2 de la lettre 40.
  314. 5. La curiosité se portait alors sur la Guinée. Un ambassadeur du roi d’Ardra (dans la Guinée septentrionale) venait d’arriver à Paris ; il y avait fait une entrée singulière. Son carrosse, attelé de six chevaux, était précédé de douze nègres, dont le chef donnait du cor. Ses trois femmes, trois de ses fils et une suite considérable étaient dans d’autres voitures. La compagnie des Indes, espérant retirer de grands avantages de cette ambassade, fit faire à l’envoyé des vestes de brocart d’or, pour qu’il se présentât décemment devant le Roi. Cela donna lieu à mille plaisanteries. Mme de Montmorency écrivait à Bussy, le 9 décembre 1670, qu’on avait eu toutes les peines du monde à déterminer l’ambassadeur à s’habiller pour aller à l’audience du Roi, et qu’il voulait y aller tout nu. « Il est chrétien, dit-elle dans la même lettre, et a trois femmes épousées, dont il en veut vendre une, s’il trouve marchand. » (Voyez les Mémoires touchant les ambassadeurs, et la Correspondance de Bussy Rabutin, t. I, p. 343.)
  315. 6. Élisabeth d’Orléans, duchesse d’Alençon, fille puînée de Gaston et de Marguerite de Lorraine, mariée en 1667 à Louis-Joseph, duc de Guise. Son mari, qu’elle perdit au mois de juillet 1671, était fils unique (né en 1650) de Louis de Lorraine, duc de Joyeuse et d’Angoulême, mort en 1654, et neveu du duc de Guise, Henri II, dont il avait recueilli l’héritage en 1664. Elle mourut en 1696, à cinquante ans, n’ayant eu qu’un fils, mort en bas âge (1675). Voyez la note 15 de la lettre 132.
  316. 7. Voyez la note 3 de la lettre 136.
  317. 8. Toussaint Desmares, de l’Oratoire, prédicateur célèbre, et favorable aux opinions jansénistes. Il a composé avec dom Rivet le Nécrologe de Port-Royal. Longtemps interdit, il remonta en chaire à Saint-Roch, en 1669. Boileau a rendu hommage à son éloquence dans sa Xe Satire (1694) :

    Desmares, dans Saint-Roch, n’auroit pas mieux prêché.

    Il mourut en 1687, âgé de quatre-vingt-sept ans.

  318. 9. Guilloire était médecin de Mademoiselle, et Segrais, son gentilhomme ordinaire. Sur ce que raconte ici Mme de Sévigné, voyez les Mémoires de Mademoiselle, t. IV, p. 261, et, à la page 263, une citation de Segrais, qui se défend d’avoir voulu dissuader Mademoiselle d’épouser Lauzun : « Je n’y ai jamais songé, parce que je ne le devois pas, étant son domestique. » — Segrais partagea bientôt le sort de Guilloire ; Mme de la Fayette lui donna un appartement chez elle, où il demeura de 1671 à 1676.
  319. LETTRE 148 (revue sur une ancienne copie). — 1. Cette seconde partie, jusqu’à la fin, forme dans notre manuscrit une lettre à part, datée du 14 mars (1671). Les éditeurs s’y sont permis beaucoup de changements, de retranchements et d’interversions.
  320. 2. Demandés à l’Assemblée des Communautés pour le Roi.
  321. 3. En Provence.
  322. 4. Henriette de la Guiche, fille de Philibert de la Guiche, grand maître de l’artillerie, et d’Antoinette de Daillon du Lude ; sœur de la maréchale Henri de Schomberg (morte en 1663) ; mariée en premières noces à Pierre de Matignon, comte de Thorigny, et alors veuve, depuis 1653, de Louis-Emmanuel de Valois, duc d’Angoulême, petit-fils naturel de Charles IX, qu’elle avait épousé en 1629, et qui avait été gouverneur de Provence. Elle mourut en 1682, à quatre-vingt-quatre ans.
  323. 5. Louis-Victor de Rochechouart, fils unique du duc de Mortemart (mort en 1675) ; frère de Mmes  de Montespan, de Thianges et de Fontevrault ; général des galères en 1669, gouverneur de Champagne en 1674, maréchal en 1675. Il mourut en 1688, à l’âge de cinquante-deux ans. Il avait épousé en 1655 Antoinette-Louise de Mesmes, fille du frère aîné du premier comte d’Avaux, morte en 1709, à soixante-huit ans. Voyez Saint-Simon, tome VII, p. 79 et suivante.
  324. 6. Ces mots sont ainsi expliqués dans les éditions de Perrin : « M. de Vivonne a bonne mémoire de me faire un compliment si vieux. »
  325. 7. Le président de Bandol. Voyez la note 4 de la lettre 143.
  326. LETTRE 149 (revue sur une ancienne copie). — 1. On a fait jusqu’ici de cette lettre, écrite en trois fois, mais envoyée par le même courrier, trois lettres détachées. Dans notre manuscrit, les parties datées du jeudi et du vendredi saints sont précédées chacune du mot suite. — À cette lettre de la semaine sainte on peut en comparer une autre datée de Livry, le vendredi saint (8 avril) 1689.
  327. 2. Les mots : « avec l’abbé, etc. » manquent dans l’édition de 1726. On lit dans notre manuscrit : « Je partis de Paris avec l’abbé et mes filles. » — Hélène était la femme de chambre de Mme de Sévigné ; Hébert faisait partie de sa maison, mais nous ne savons si c’était, comme le dit une note de l’édition de 1818, en qualité de valet de chambre. Il est dit de lui, dans une lettre postérieure, qu’il écrit à merveille. Ailleurs nous le voyons jouer aux échecs avec Corbinelli. Il fut quelque temps sous Gourville, au service du prince de Condé. (Voyez les lettres du 6 mai 1671 et du 4 octobre 1679.) Marphise est le nom de la chienne de la marquise.
  328. 3. « Il vint un jubilé à Pâques, » dit Mademoiselle dans ses Mémoires (tome IV, p. 269). Il fut ouvert à la cathédrale le 23 mars (1671).
  329. 4. Voyez le second alinéa de la lettre du 30 mai 1672.
  330. 5. Voyez la note 3 de la lettre 90. — Le maréchal d’Albret descendait d’Étienne (fils naturel, légitimé en 1527, du cinquième fils de Charles II, sire d’Albret), et de Jeanne de Béarn, héritière de Miossens.
  331. 6. Ce sont les deux vers qui terminent ce joli madrigal de Montreuil, qui est resté dans le souvenir des gens de goût :
                Pourquoi me demandez-vous tant
      Si mes feux dureront, si je serai constant ?
      Jusques à quand mon cœur vivra sous votre empire ?
                Ah ! Philis, vous avez grand tort,
                Comment vous le pourrois-je dire ? etc.
  332. Lettre 150. — 1. L’édition de la Haye ajoute : « et j’écrivis les nouvelles que j’y avois apprises. »
  333. 2. Henri de Daillon, comte, puis, en 1675, duc du Lude, grand maître de l’artillerie en 1669. Sa mère était Marie Feydau, fille d’un trésorier de l’Épargne. Sa femme, dont il sera question plus d’une fois, était Renée-Éléonore de Bouillé, fille unique du marquis de ce nom. Elle mourut à quarante-neuf ans, le 12 janvier 1681. Le grand maître se remaria un mois après avec Marguerite-Louise de Béthune, veuve du comte de Guiche. Voyez la Notice, p. 59 et 60.
  334. 3. Le duc de Ventadour était, comme nous l’avons dit, laid, contrefait et très-débauché. Voyez les lettres 131, 137, 140, 144, 145.
  335. 4. Nom du grand royaume dont l’infortunée princesse Micomicona (Dorothée) est « la légitime héritière, » et que lui a ravi «  « le démesuré géant Pandafilando de la vue louche. » Voyez le Valeureux Dom Quixote de la Manche, traduit fidèlement de l’espagnol de Michel Cervantes, dédié au Roi, par Cæsar Oudin, secrétaire interprète de Sa Majesté, tome I, IVe partie, chap. xxix et xxx, Paris, 1639.
  336. 5. Marie-Isabelle, comtesse de Ludres, d’une très-ancienne maison de Lorraine ; chanoinesse de l’abbaye de filles nobles de Poussay (près de Mirecourt). Elle fut successivement fille d’honneur de Madame Henriette, de la Reine, et de la seconde duchesse d’Orléans. Le Roi, dont elle fut deux ans la maîtresse, rompit durement avec elle (voyez les lettres des 11, 14, 16 juin et 21 juillet 1677). Elle montra d’abord quelque fierté et finit par accepter une pension. Elle se retira, sans faire de vœux, à la Visitation de la rue du Bac, puis dans sa maison, voisine d’un couvent de Nancy, où elle mourut en 1726, à un âge avancé. Voyez les Lettres de Madame de Bavière (tome I, p. 458) et une biographie de la Belle de Ludre, récemment publiée à Nancy. — Charles de Sévigné fut amoureux de la comtesse de Ludres : voyez la lettre de Mme de la Fayette du 19 mai 1673.
  337. 6. Voyez la lettre du 13 mars précédent, p. 105.
  338. 7. Voyez la lettre du 1er avril 1672.
  339. 8. Elle fait allusion à ces mauvais tableaux des quatre saisons qu’on trouve communément dans les cabarets. (Note de l’édition de Rouen, 1726.)
  340. 9. Ce Saint-Germain joignait l’impiété à la débauche. Il était ami de Denis Sanguin de Saint-Pavin, mort l’année précédente et dont le père avait été seigneur de Livry : voyez la Notice, p. 27. — On lit dans les œuvres de Saint-Pavin une lettre en stances adressée à Saint-Germain : voyez le Recueil de Barbin, 1692, p. 409 du tome IV, et les Poésies de Saint-Pavin, au tome IX de Tallemant des Réaux, p. 243.
  341. 10. La Champmeslé. Voyez la note 21 de la lettre 146.
  342. 11. Voyez la Notice, p. 119.
  343. 12. Le minime qui prêchait à Grignan. (Note de Perrin.)
  344. 13. C’est-à-dire, à Mme de Grignan, qui était la troisième femme de M. de Grignan. Mme de Sévigné fait une nouvelle allusion à l’expression de la côte rompue dans la lettre du 20 octobre 1679.
  345. 14. Louis Habert de Montmor était le second fils de Henri-Louis Habert, seigneur de Montmor et maître des requêtes, qui fut l’ami de Gassendi, et entra à l’Académie française, un peu plus tard que ses deux cousins, Philippe Habert (l’auteur du Temple de la mort), et Germain Habert (abbé de Cérisy). — L’abbé de Montmor avait alors vingt-sept ans ; il fut nommé évêque de Perpignan en 1680. Il mourut à Montpellier, à l’âge de cinquante et un ans, le 23 janvier 1693. Mme de Sévigné était liée avec son père et avec sa mère, belle-sœur de Mme de Frontenac. Le frère aîné de l’évêque fut seigneur du Mesnil.
  346. 15. Claude Joly, à qui Mascaron succéda en 1679. Voyez la note 4 de la lettre 132.
  347. 16. Il y avait trois frères de ce nom : Nicolas le Camus, procureur général et, en 1672, premier président de la cour des aides ; le cardinal le Camus, évêque de Grenoble ; et Jean le Camus, lieutenant civil au Châtelet de Paris. C’est du premier ou du dernier qu’il est ici question ; plus vraisemblablement du premier : voyez les lettres du 5 janvier 1672 et du 17 novembre 1673.
  348. Lettre 151. — 1. Voyez la note 6 de la lettre 115.
  349. 2. Pour les présider à la place de son père, gouverneur de la province.
  350. 3. Voyez la note 9 de la lettre 119.
  351. 4. Mme de Marans, Merlusine (voyez la note 4 de la lettre 131), avait été maîtresse de Monsieur le Duc. Elle en eut, vers 1668, une fille qui était connue sous le nom de Guenani (anagramme d'Anguien) : voyez la lettre de Mme de Sévigné, du 8 juin 1676. Cette enfant fut légitimée par lettres du mois de juin 1693, et appelée Julie de Bourbon, demoiselle de Châteaubriant. Elle épousa, le 6 mars 1696, Armand de Madaillan de Lesparre, marquis de Lassay, dont on a des mémoires, fort peu intéressants, et mourut en 1710.
  352. 5. Sur ce nom de fils que Mme de Marans donnait à la Rochefoucauld, voyez un passage assez significatif de la lettre du 4 mai 1672.
  353. 6. Charles-Nicolas de Créquy, marquis de Ragni, lieutenant général au gouvernement de Dauphiné en 1670, mort en 1674. Il a signé, comme cousin de la mariée, au contrat de mariage de Mlle de Sévigné : voyez la Notice, p. 330.
  354. 7. Marie de Hautefort, l’amie de Louis XII, la dame d’atour de la reine Anne d’Autriche, née en 1616, morte en 1691. Elle était veuve depuis 1656 du maréchal Charles de Schomberg. — Mme de Marans (Françoise de Montallais) était parente de Mme de Schomberg, et logeait avec la maréchale, qui, depuis son veuvage, s’était fait bâtir une maison, « modeste et retirée, dans le faubourg Saint-Antoine, rue de Charonne, à côté du couvent de la Madeleine de Trenelle. » Voyez Madame de Hautefort, par M. Cousin, p. 162 et 236 ; voyez aussi les lettres du 20 avril 1672 et du 4 septembre 1673.
  355. 8. Allusion à la scène v de Lubin ou le Sot vengé, de Raimond Poisson. Lubine dit à Lubin de reporter au boucher une tête de veau trop avancée, et Lubin, après s’en être défendu, répond :


    J’y vay, ne me frappe donc pas ;
    Mais, comme il ne la pourra vendre,
    Il ne la voudra pas reprendre.
            (Œuvres de Poisson, la Haye, 1680, p. 12.)

  356. 9. On a vu, dans la note 4 de la lettre 126, quel avait été le motif de cette froideur entre Mademoiselle et Mme de Lomgueville. Le Roi n’exigea point belles une réconciliation ; c’est au zèle de la sœur Anne-Marie de Jésus (Mlle d’Épernon) que fut dû ce raccommodement : il eut lieu à l’occasion du jubilé, au grand couvent des Carmélites, le 30 mars 1671. « Il (le Roi) avoit approuvé que je me raccommodasse ; mais comme ma lettre étoit fort tendre pour M. de Lauzun, j’étois bien aise de la lui montrer (au Roi), pour lui faire connoître que je ne changeois point, et dans l’espérance de le rattendrir et de lui faire pitié de mon état pour le finir. » (Mémoires de Mademoiselle, tome IV, p. 269.)
  357. 10. Voyez la note 4 de la lettre 144.
  358. II. Le régiment de Champagne. (Note de Perrin.)
  359. Lettre 152 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez plus haut la lettre 146, p. 117.
  360. 2. Elles étaient belles-sœurs. La première, Marie-Antoinette Servien, fille d’Abel, avait épousé le 1er octobre 1658 Maximilien-Pierre François de Béthune, duc de Sully à la mort de son père (1661). Veuve en juin 1694, elle mourut le 26 janvier 1702. Elle avait figuré avec Mlle de Sévigné dans les ballets royaux. Voyez la Notice, p. 98, et la lettre du 29 septembre 1680. Il sera souvent question d’elle et de son mari. — L’autre, sœur du duc de Sully (voyez la note 1 de la lettre 132), était Marguerite-Louise-Suzanne de Béthune, femme, à treize ans (le 23 janvier 1658), « de ce galant comte de Guiche, fils aîné du maréchal de Gramont, qui a fait en son temps tant de bruit dans le monde, et qui fit fort peu de cas d’elle… Elle étoit encore fort belle et toujours sage, sans aucun esprit que celui que donne l’usage du grand monde et le desir de plaire. » Elle devint veuve du comte de Guiche en novembre 1673. Elle se remaria, « par inclination réciproque, » au duc du Lude, le grand maître (1681), qu’elle perdit en 1685, et mourut à quatre-vingt-trois ans, le 25 janvier 1726. Elle fut dame du palais de la Reine, et en 1696 dame d’honneur de la duchesse de Bourgogne. Voyez Saint-Simon, tome I, p. 352 et suivantes.
  361. 3. La fontaine de la tête est, comme l’on sait, cet endroit au haut de la tête où aboutissent les sutures. Les éditeurs, dès 1726, avaient ainsi modifié cette phrase : « C’est que cette mode qui laisse la tête découverte me fait craindre pour les dents. »
  362. 4. Mme de la Troche.
  363. 5. Voici de cette coiffure une description encore plus précise : « Je me fis couper les cheveux pour être mieux coiffé. J’en avois prodigieusement ; il en falloit beaucoup en ce temps-là, quand on ne vouloit rien emprunter. On portoit sur le front de petites boucles, de grosses aux deux côtés du visage, et tout autour de la tête un gros bourrelet de cheveux cordonné avec des rubans ou des perles, qui en avoit. » (Histoire de la comtesse des Barres par l’abbé de Choisy, p. 12-14, citée par Walckenaer, tome IV, p. 380.)
  364. 6. Une précieuse, jeune au temps de l’hôtel de Rambouillet, une petite femme sur le retour. Ce terme d’amitié (le mot chère), que les précieuses se prodiguaient entre elles, avait bientôt servi à les désigner elles-mêmes.
  365. 7. La Vienne, baigneur à la mode, était devenu celui du Roi, et plus tard l’un de ses quatre premiers valets de chambre. Le Roi aimait sa franchise, lui parlait souvent, et savait par lui des choses que personne n’aurait osé lui dire. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 275, et la note 2 de la lettre 29.
  366. 8. Julie-Françoise de Sainte-Maure, fille unique du duc de Montausier et de Julie d’Angennes ; mariée le 16 mars 1664 à Emmanuel comte de Crussol, duc d’Uzès en 1680. Elle fut dame du palais l’année suivante (1672). Elle mourut à l’âge de quarante-huit ans, le 14 avril 1695 ; elle était veuve depuis 1692.
  367. 9. Louise-Adélaïde de Damas, fille du marquis de Thianges, sœur cadette de la duchesse de Nevers, et nièce de Mme de Montespan, mariée au duc de Sforce en novembre 1677. Voyez la lettre du 15 octobre 1677. « Elle n’avoit que de la blancheur, d’assez beaux yeux, et un nez tombant dans une bouche fort vermeille, qui fit dire à M. de Vendôme qu’elle ressembloit à un perroquet qui mange une cerise. » (Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 403.)
  368. 10. Anne, dame de Soubise, fille de Henri Chabot, duc de Rohan, et de Marguerite, duchesse de Rohan ; seconde femme, le 16 octobre 1663, de François de Rohan (qui devint prince de Soubise), fils puîné d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de la fameuse Marie de Bretagne. Elle fut nommée, en janvier 1674, dame du palais de la Reine, et mourut quelques années avant son mari, le 14 février 1709, à soixante et un ans. Sur sa beauté, sa liaison secrète avec le Roi et sa fortune, voyez la lettre du 19 août 1676, et les Mémoires de Saint-Simon, tome II, p. 156 et suivantes, tome VII, p. 60 et suivantes.
  369. 11. La comtesse de Fiesque.
  370. 12. Probablement le petit Bon. Voyez la note 13 de la lettre 119.
  371. 13. C’est sans doute le même qui est appelé le roi Guillot dans la Comédie des Proverbes (acte II, scène iii). Quel est le personnage historique caché sous ce dicton proverbial ?
  372. LETTRE 153 (revue sur une ancienne copie). — 1. De la Visitation d’Aix.
  373. 2. Tel est, comme nous l’avons dit plus haut (note 1 de la lettre 141), le texte du manuscrit. On lit dans les éditions : « sur ma petite boule. »
  374. 3. La Champmeslé, alors âgée de vingt-sept ans. Voyez la note 21 de la lettre 146.
  375. 4. Ces mots qui se lisent dans le manuscrit et que les éditeurs ont omis, sont sans doute tirés d’une des nombreuses chansons qui furent faites sur la levée du siège de Lérida (en 1646 sous le comte d’Harcourt, et en 1647 sous le duc d’Enghien). Voyez les Mémoires de Gramont, chap. VIII : « Monsieur le Prince étoit le premier à nous mettre en train sur son siège. Nous fîmes quelques couplets sur ces Lérida qui ont tant couru, afin qu’on n’en fit pas de plus mauvais. Nous n’y gagnâmes rien : nous eûmes beau nous traiter cavalièrement dans nos chansons, on en fit à Paris où l’on nous traitoit encore plus mal. »
  376. 5. Le mot est de Racine et devint la pointe d’une épigramme qu’il mit en vers avec Boileau. Voyez Walckenaer, Histoire de la Fontaine, p. 260, et Boileau, Épigramme III, Sur une personne fort connue.
  377. 6. En Brie, à quatre lieues de Paris, arrondissement de Corbeil. C’est le village où Mme de Sévigné avait passé « sa belle jeunesse : » lettre du 22 juillet 1676. — Voyez la Notice, p. 21 et 22.
  378. 7. Ambroise, duc de Bournonville, épousa en 1655 Lucrèce de la Vieuville. Il fut chevalier d’honneur de la reine Anne, et gouverneur de Paris en 1657, démissionnaire en mai 1662. Leur fille unique épousa le 13 août 1671 Anne-Jules, duc de Noailles en 1678.
  379. 8. Le verbe faire n’est pas dans le manuscrit : il y a seulement de venir un tour.
  380. 9. Comme le dit l’apothicaire, du médecin son ami : « C’est un homme expéditif, expéditif, qui aime à dépêcher ses malades. » (Acte I, scène VII.)
  381. 10. Terre et château à quatorze lieues de Paris, près de Lizy-sur-Ourcq (à trois lieues de Meaux). Voyez la lettre du 1er mai 1680.
  382. 11. C’est sans doute ainsi qu’il faut lire. Dans le manuscrit le mot est douteux ; le copiste a plutôt écrit Mme de Sagnette.Mme de la Guette était de Sucy : voyez la note 17 de la lettre 157.
  383. 12. Archevêque d’Aix. Voyez la note 5 de la lettre 157.
  384. 13. Les Filles de la Croix étaient de l’ordre de Saint-Dominique. Un couvent de ces religieuses avait été établi rue de Charonne, à Paris, en 1641 ; Charlotte-Marie d’Effiat en était regardée comme la fondatrice ; son frère l’abbé d’Effiat fit construire le portail de l’église. Voyez la lettre de Coulanges du 1er septembre 1694.
  385. 14. C’était le prix de sa charge de lieutenant général au gouvernement de la haute Guyenne. Voyez la note 4 de la lettre 144, et la fin de la lettre 151. p. 142.
  386. 15. Louis Grimaldi, prince de Monaco, duc de Valentinois, pair de France, né le 25 juillet 1642, fils d’Hercule Grimaldi IIe du nom, marquis de Baux, et de Marie-Aurélie Spinola de Molsette ; petit-fils de celui à qui Louis XIII donna le duché de Valentinois. Il avait épousé le 30 mars 1660 Catherine-Charlotte de Gramont, fille d’Antoine, duc et maréchal, sœur du comte de Guiche et du comte de Louvigny (plus tard duc de Gramont). Il fut nommé ambassadeur à Rome en 1698, et y mourut le 3 janvier 1701. Sa femme mourut à Paris le 5 juin 1678, à trente-neuf ans. « C’étoit un Italien glorieux, fantasque, avare, fort bon homme, mais qui n’étoit pas fait pour les affaires, avec cela gros comme un muid, et ne voyoit pas jusqu’à la pointe de son ventre. Il avoit passé sa vie en chagrins domestiques, d’abord de la belle Mme de Monaco, sa femme, si amie de la première femme de Monsieur et si mêlée dans ses galanteries, et elle-même si galante, et qui, pour se tirer d’avec son mari, se fit surintendante de la maison de Madame [de Bavière]. » (Mémoires de Saint-Simon, tome III, p. 64.)
  387. 16. Voyez la lettre du 21 juin suivant.
  388. 17. Fameux artiste pour les figures de cire. (Note des éditions de 1726.)
  389. 18. Voyez la note 16 de la lettre 150.
  390. 19. Gouverneur de Provence. Voyez la Notice, p. 241, 246, 254, 256, 257.
  391. 20. Voyez le second alinéa de la lettre du 12 février 1672.
  392. 21. Voyez la lettre 147, p. 121 et suivante.
  393. Lettre 154 (revue sur une ancienne copie). — 1. Saint-Simon dit en parlant des morts de 1705 (tome IV, p. 435) : « Magalotti, un de ces braves que le cardinal Mazarin avoit attirés auprès de lui, quoique fort jeune, par le privilége de la nation. Il avoit vu le Roi jeune et conservé liberté avec lui… C’étoit un homme délicieux et magnifique, aimé et considéré… Il étoit lieutenant général, gouverneur de Valenciennes… Dans sa vieillesse, le plus beau visage du monde et le plus vermeil, avec des yeux italiens et vifs, et les plus beaux cheveux blancs du monde… Louvois, qui l’ôta du service, l’empêcha aussi d’être chevalier de l’Ordre, quoique bon gentilhomme florentin. C’étoit d’ailleurs un très-bon homme, avec bien de l’esprit, de l’entendement et de l’agrément. »
  394. 2. Fameux cordonnier pour femmes. (Note de Perrin, à la lettre du 1er mai 1680.)
  395. 3. Voyez la note 15 de la lettre précédente.
  396. Lettre 155. — 1. Avec Mme de la Troche. Voyez la note 4 de la lettre 41.
  397. 2. Le Duval de la lettre du 23 janvier précédent (tome II, p. 39).
  398. 3. C’est, en changeant un seul mot, le refrain des deux couplets que chante l’Opérateur, à la fin du second acte de l'Amour médecin de Molière :
              Ô grande puissance
              De l’orviétan !
  399. 4. L’abbé de Coulanges.
  400. 5. Cela ne s’accorde guère, ce semble, avec ce que Descartes lui-même dit de la reconnaissance et de l’ingratitude, dans la IIIe partie des Passions de l’âme, art. 193 et 194. Dans le même ouvrage (art. 204), il définit ainsi le mot gloire, que Mme de Sévigné a employé dans la phrase précédente : « La gloire est une espèce de joie fondée sur l’amour qu’on a pour soi-même, et qui vient de l’opinion ou de l’espérance qu’on a d’être loué par quelques autres. » — Voyez le commencement de la lettre du 23 mars 1672. Voyez aussi dans la IIe partie du traité de Nicole des Moyens de conserver la paix avec les hommes, le chapitre vii, qui a pour titre : « Combien le dépit qu’on ressent contre ceux qui manquent de reconnoissance envers nous est injuste. »
  401. 6. Voyez la lettre du 8 avril précédent, p.150.
  402. 7. Voyez la lettre 147, p. 122 et 123.
  403. 8. Chez l’évêque du Mans, avec Mme de Lavardin, qui aimait beaucoup les nouvelles (voyez la note 17 de la lettre 137). — Cette plaisanterie, bien facile à comprendre, est expliquée tout autrement par les éditeurs de 1726, dans la note assez étrange que voici : « Aller en Bavardin est une façon de parler entre elles, pour dire aller quêter des nouvelles et causer par la ville. » (Note de la lettre du 24 avril 1671.)
  404. 9. Mademoiselle dit dans ses Mémoires (tome IV, p. 271 et 273) qu’elle eut un grand rhume qui la fit demeurer à Paris huit ou dix jours. Elle n’était pas rétablie, quand elle suivit le Roi dans son voyage de Flandre (le 23 avril).
  405. 10. La comtesse de Fiesque. Voyez la note 3 de la lettre 34.
  406. 11. Peut-être le fils de celui qui commandait le régiment de Condé-cavalerie et dont il est parlé dans les Mémoires du cardinal de Retz (tome I, p. 277) et de Mademoiselle (tome I, p. 205).
  407. 12. Dans l’édition de Rouen (1726) : « Mme la comtesse de Brégy. »
  408. 13. Voyez la Notice, p. 125.
  409. Lettre 157 (revue sur une ancienne copie). —1. Charles de Goyon Matignon, comte de Gacé, fils de François sire de Matignon et de la Roche-Goyon, comte de Thorigny, de Gacé, etc. Il fut colonel du régiment royal des vaisseaux, brigadier des armées du Roi, fit la campagne de Hongrie en 1664, de Flandre en 1672, et mourut sans alliance en 1674, des suites d’une blessure reçue à Senef. Il était frère de Charles-Auguste, d’abord chevalier de Thorigny, puis comte de Gacé, qui devint le maréchal de Matignon en 1708. Leur frère aîné Henri, comte de Matignon à la mort de leur père (1675), mourut en 1682 sans postérité mâle. Un autre frère, Jacques, épousa sa nièce, fille d’Henri, et en eut un fils, marié en 1715 à l’héritière de Monaco.
  410. 2. Des lettres patentes du 28 novembre 1659 permettent de vendre pendant vingt-neuf ans une certaine composition nommée chocolat. Voyez dom Félibien, Histoire de Paris, in-folio, tome V, p. 204.
  411. 3. Voyez la note 2 de la lettre 150, et la Notice, p. 59 et 60.
  412. 4. Voyez la note 3 de la lettre 142.
  413. 5. Jérôme de Grimaldi, de la branche des Grimaldi Cavalleroni, né à Gênes le 20 août 1597 ; gouverneur de Rome en 1628 et évêque d’Albano ; nonce auprès de l’empereur Ferdinand en 1632, et en 1641 auprès de Louis XIII, des mains de qui il reçut la barrette en 1643 ; nommé en 1648 successeur du cardinal Michel Mazarin sur le siége d’Aix, il n’eut ses bulles que sept ans après. Il mourut doyen des cardinaux le 4 novembre 1685. Il fut fort regretté, surtout des pauvres.
  414. 6. Dans le manuscrit il y a pareilles riens au lieu de pareilles visions, et un peu plus bas brouiller le sang au lieu de bouillir le sang.
  415. 7. Anne-Élisabeth de Lorraine, fille du duc d’Elbeuf et de sa première femme Anne-Élisabeth comtesse de Lannoi (voyez les notes 3 et 5 de la lettre 26). Elle épousa le 28 avril 1669 Charles-Henri de Lorraine, prince de Vaudemont, fils du duc Charles IV et de Béatrix de Cusance, princesse de Cantecroix. Elle mourut le 5 août 1714, et son mari le 14 janvier 1723. Elle était sœur de mère de la femme du prince de Marsillac, fils de la Rochefoucauld. Mmes  de Vaudemont et de Grignan paraissent avoir été fort amies. Saint-Simon ne les a flattées ni l’une ni l’autre. Voyez ce qu’il dit de la princesse au tome VI de ses Mémoires, p. 17 ; voyez aussi les lettres des 19 février 1672, 14 septembre et 13 octobre 1675, 24 juillet et 1er septembre 1680, 15 mai 1691, et les Mémoires de Coulanges, p. 243.
  416. 8. Il y a un beau mail à Grignan, sous le château, hors de la ville. On l’appelle encore le Cours Adhémar. (Note de l’édition de 1818.)
  417. 9. Voyez la note 6 de la lettre 146.
  418. 10. Voyez la lettre datée de Livry, du 26 mars 1671, p. 129.
  419. 11. Voyez la note 10 de la lettre du 5 juillet suivant.
  420. 12. Mme du Canet, nommée au commencement de la lettre 146 ?
  421. 13. Voyez la note 5 de la lettre 65.
  422. 14. Le vieux père de Jason, rajeuni par Médée.
  423. 15. Mme d’Oppède, femme du premier président du parlement d’Aix. Voyez la note 11 de la lettre 115.
  424. 16. Lors de l’Assemblée des Communautés. Voyez la Notice, p. 123 et suivantes.
  425. 17. Catherine de Meurdrac, veuve de Jean Marius de la Guette, habitait le village de Sucy en Brie, où était le domaine de la Tour, qui appartint successivement à l’aïeul maternel et à l’aîné des oncles de Mme de Sévigné. — Mme de la Guette fait mention de Mme de Sévigné dans ses curieux mémoires ; on y lit : « Mme de Coulanges (tante de la marquise) avoit auprès d’elle Mlle de Chantal, qui étoit une beauté à attirer tous les cœurs. Elle a été depuis Mme la marquise de Sévigny, que tout le monde connoît par le brillant de son esprit et par son enjouement. C’est une dame qui n’a pas de plus grand plaisir que quand elle peut obliger quelqu’un, étant la générosité même. » (Mémoires de Madame de la Guette, Bibliothèque elzévirienne, Paris, 1856, p. 49.) — Voyez la Notice, p. 21 et suivantes.
  426. 18. On verra plus loin (lettre du 28 juin suivant, p. 259) que Mme de Grignan s’acquitta de la commission que lui donnait sa mère.
  427. Lettre 158 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Le gouvernement du Languedoc. « M. et Mme de Verneuil, dit Mademoiselle dans ses Mémoires (tome IV, p. 275, 276), vinrent faire leur cour à Chantilly au Roi et à la Reine. Nous causâmes fort, Mme de Verneuil et moi, sur un bruit qui couroit que M. de Verneuil vouloit se défaire du gouvernement du Languedoc, entre les mains de M. de Lauzun, et que M. de Sully auroit celui du Berry avec quelque autre récompense ; elle me dit qu’elle le souhaiteroit fort… » Sur M. de Verneuil et M. de Sully, voyez la note 1 de la lettre 132.
  428. 2. Voyez la note 2 de la lettre 149.
  429. 3. Jean Hérault de Gourville, conseiller d’État en décembre 1660, avait eu de très-petits commencements. D’abord valet de chambre du duc de la Rochefoucauld, il devint son ami, et il rendit aussi de très-grands services à la maison de Condé, dont il devint le factotum. Il fut employé par Mazarin et mêlé aux affaires de Foucquet. Il était resté fort riche, même après s’être racheté, moyennant 500 000 francs, des poursuites de la chambre de justice. On a de lui des mémoires importants. Il était né en 1625, et mourut en juin 1703. — Hébert fut renvoyé de l’hôtel de Condé en 1679 : voyez la lettre du 4 octobre 1679.
  430. 4. Il y alla dès le 23 : voyez la lettre 160.
  431. 5. Du marquis de Lavardin, fils unique de la marquise : voyez la note 7 de la lettre 131. — Henri-Charles, sire de Beaumanoir, marquis de Lavardin, était lieutenant général aux huit évêchés de Bretagne et commissaire du Roi aux états : le premier personnage après le duc de Chaulnes, gouverneur. Il fut de novembre 1687 à mai 1689 ambassadeur extraordinaire à Rome. Veuf depuis l’année 1670 de Françoise-Paule d’Albert (fille du duc de Luynes et de Marie-Louise Seguier marquise d’O), il se remaria le 12 juin 1680 avec Louise-Anne de Noailles, fille d’Anne, premier duc de Noailles, et sœur d’Anne-Jules et de Louis-Antoine, qui devinrent l’un maréchal, l’autre cardinal archevêque de Paris. Le marquis de Lavardin mourut le 29 août 1701 ; sa seconde femme huit ans avant lui, en 1693. Voyez sur lui la Notice, p. 158.
  432. 6. Chez Mme de la Fayette : voyez la note 7 de la lettre 132 et ci-après la reprise de la lettre.
  433. 7. Cet alinéa, jusqu’aux mots : il mouroit, est la seule partie de cette lettre qui se trouve dans notre manuscrit. L’une des éditions de 1726, celle de la Haye, ne donne aussi que ce morceau, plus long seulement de quelques lignes (jusqu’à la fin de l’alinéa suivant). Les éditeurs de la Haye ont tempéré l’incroyable confidence par les mêmes retranchements que le chevalier Perrin. Ils n’ont de plus que lui que la fin de la phrase : « Il étoit comme les chevaux rebutés d’avoine. » — Voyez la Notice, p. 119 et 120.
  434. 8. Charles de Sévigné vécut dans une grande piété après son mariage. Voyez la Notice, p. 260 et suivante.
  435. Lettre 159 (revue sur une ancienne copie). — 1. La Champmeslé.
  436. 2. Allusion à la Sestiane des Visionnaires de Desmarets. C’est celle des visionnaires qui est amoureuse de la Comédie. Il faut, dit-elle (acte II, scène iv),

    Que nous parlions aussi touchant la Comédie :
    C’est ma passion…

  437. 3. Mlle de Montallais, qui avait été fille d’honneur de Madame Henriette d’Angleterre. Elle fut très-compromise dans l’affaire de la lettre espagnole, et enfermée à Fontevrault en 1662. Voyez la Notice, p. 148, et Walckenaer, tome II, p. 301, 302.
  438. 4. Voyez la note 3 de la lettre 115.
  439. 5. Cousine de Mme de Sévigné, fille de Mme de la Trousse. Voyez la Notice, p. 159.
  440. 6. À Luxembourg, sans article : c’était ainsi qu’on disait alors. Sauval parle du Luxembourg comme d’une promenade. À cette date, il est possible aussi qu’il s’agisse d’une visite à Mademoiselle, qui était malade : voyez la note 9 de la lettre 155.
  441. 7. L’ancien comte de Saint-Paul : voyez la lettre 139, p. 83.
  442. 8. L’un des beaux-frères de Mme de Grignan, le chevalier de Malte Charles-Philippe Adhémar de Monteil de Grignan, celui qu’on appelait le grand chevalier, le beau chevalier. Il mourut jeune, le 6 février suivant. Voyez la Notice, p. 110, et les lettres du 29 janvier et du 12 février 1672.
  443. 9. Voyez la lettre de l’incendie, tome II, p. 73, note 4. La Gazette raconte que le 19 avril 1671 l’ambassadeur de Venise fut mené en cérémonie à son audience de congé.
  444. 10. Voyez la note 1 de la lettre 157.
  445. 11. Son frère aîné, Henri comte de Matignon. Le fils qu’il venait de perdre était âgé de onze ans.
  446. 12. Le Roi allait visiter la Flandre française et les travaux de Dunkerque. En passant, il s’arrêta à Chantilly.
  447. 13. Le Dauphin avait alors neuf ans et demi.
  448. Lettre 160 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 8 de la lettre 155.
  449. 2. Anne Poussard de Fors du Vigean, sœur aînée de Mlle du Vigean. Étant restée veuve d’Alexandre d’Albret de Pons, frère aîné du maréchal d’Albret, elle épousa le 26 décembre 1649 Armand-Jean de Vignerot, petit-neveu et héritier du cardinal de Richelieu, duc et pair, etc. Elle succéda, au mois de novembre 1671, à Mme de Montausier dans la charge de dame d’honneur de la Reine, et fut en 1680 dame d’honneur de la Dauphine. Elle mourut, sans enfants du duc de Richelieu, le 29 mai 1684. Voyez la note 18 de la lettre 131 et l’une des dernières notes de la lettre du 23 décembre 1671.
  450. 3. Anne du Blé, belle-sœur de la marquise d’Uxelles, mariée en 1646 à Henri de Beringhen, premier écuyer du Roi, qu’on appelait Monsieur le Premier ; morte le 8 juin 1676. Son mari avait acheté sa charge du père de Saint-Simon en 1645 ; il fut chevalier de l’Ordre en 1661 ; il mourut le 30 mars 1692. L’une des sœurs de Beringhen fut mère de la comtesse d’Aunoy.
  451. 4. On lit ce nom dans les éditions de 1726 et 1734. Il a été supprimé dans les éditions postérieures. C’est Garnier de Salins, frère de Suzanne Garnier, femme de Charles comte de Brancas. Mathieu Garnier, leur père, fut trésorier des parties casuelles, puis conseiller au grand conseil.
  452. 5. Allusion au vers de Corneille, dans Cinna, acte IV, scène v :

    On parle d’eaux, de Tibre, et l’on se tait du reste.

  453. 6. Gourville, dans ses Mémoires (tome LII, p. 486), dit que Vatel était « contrôleur chez Monsieur le Prince. » Dans les Œuvres de M. Foucquet, où son nom est toujours écrit Watel, il est dit qu’il a été employé par M. Colbert quand le Roi reçut le duc de Mantoue, la reine Christine de Suède, etc.
  454. 7. Probablement Jean-Jacques Charron de Menars, frère de Mme Colbert, conseiller au parlement, surintendant général de la maison de la Reine. Il acheta, en 1690, une charge de président à mortier, et mourut en 1718. « C’étoit, dit Saint-Simon (tome XV, p. 311), une très-belle figure d’homme, et un fort bon homme aussi, peu capable, mais plein d’honneur, de probité, d’équité, et modeste, prodige dans un président à mortier. Le cardinal de Rohan acheta sa précieuse bibliothèque, qui étoit celle du célèbre M. de Thou. »
  455. 8. Marie, fille du troisième lit de Charles de la Grange Neuville, maître des comptes. Elle était sœur germaine de Mme de Frontenac.
  456. LETTRE 161 (revue sur une ancienne copie). — 1. Dans l’édition de 1725, on lit ici deux fois : « cela est faux, cela est faux, » mots inintelligibles à cette place.
  457. D’après la relation de la Gazette, il y eut à Chantilly quatre tables principales : la première pour le Roi et Monsieur ; la seconde tenue par le prince de Condé ; la troisième par le duc d’Enghien ; la quatrième par le duc de Longueville ; et cinquante-six autres tables. Gourville (tome LII, p. 436) dit « qu’on avoit fait mettre quantité de tentes sur la pelouse de Chantilly, où on servit toutes les tables qui avoient accoutumé de se servir chez le Roi, et dans d’autres endroits ; et encore plusieurs tables que l’on faisoit servir à mesure qu’il y avoit des gens pour les remplir. » Voyez la lettre 158, p. 172.
  458. 3. Gourville dit que toute la fête coûta plus de 180 000 livres à Monsieur le Prince.
  459. 4. La Gazette raconte que le samedi 25, Leurs Majestés « ayant ouï messe au château, » furent « traitées, ainsi que le jour précédent, avec une quantité prodigieuse de poisson, le plus beau et le mieux apprêté. »
  460. 5. Où, comme nous l’avons dit, il allait tenir les états : voyez la note 2 de la lettre 151.
  461. 6. « À quelques lieues de Chantilly était la belle terre de Liancourt, dont Jeanne de Schomberg, d’abord duchesse de Brissac, puis duchesse de Liancourt, avait fait un séjour magnifique. » (Madame de Longuepille, par M. Cousin, tome I, p. 166.) — Le duc et la duchesse de Liancourt moururent en juin 1674, laissant leurs biens au prince de Marsillac, veuf, depuis 1669, de leur petite-fille. Marsillac était en grande faveur auprès du Roi.
  462. 7. « Terme qui a passé de l’espagnol dans le françois, pour signifier un repas en viande qui se fait immédiatement après minuit sonné, lorsqu’un jour maigre est suivi d’un jour gras. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  463. 8. La cour coucha le 25 à Liancourt. La Gazette dit que le maréchal de Bellefonds, premier maître de l’hôtel du Roi, y présenta à la Reine une collation de fruits et de confitures ; elle ne parle pas des maîtres du château.
  464. LETTRE 162. — 1. Dans l’édition de 1734, on lit : vous vous trompez, au lieu de vous vous damnez, qui est le texte de 1754.
  465. 2. Pierre de la Mousse, prêtre, docteur en théologie, prieur de la Groslé. Il était très-probablement fils naturel du père de Mme de Coulanges. Voyez la Notice, p. 90, 91, et Walckenaer, tome IV, p. 190 et 349.
  466. 3. Le marquis de Villars venait d’être nommé ambassadeur en Espagne.
  467. 4. Voyez la lettre 136, p. 70, et la lettre 153, p. 150.
  468. 5. Anne de la Grange, d’abord Mlle de Neuville, fille de Charles de la Grange Trianon, sieur de Neuville, maître des comptes, et de sa première femme. C’est l’ancienne dame d’honneur et maréchale de camp de Mademoiselle, qu’elle avait quittée, comme la comtesse de Fiesque, en 1657. « Elle et son amie, Mlle d’Outrelaise, qui ont passé leur vie logées ensemble à l’Arsenal (dans un bel appartement que le duc du Lude avait donné à Mme de Frontenac), étoient des personnes dont il falloit avoir l’approbation… Elles donnoient le ton à la meilleure compagnie de la ville et de la cour… On les appeloit les Divines… Mme de Frontenac étoit (à sa mort en 1707) extrêmement vieille… Elle n’avoit point d’enfants et peu de bien, que par amitié elle laissa à Beringhen, premier écuyer. » (Saint-Simon, tome II, p. 271, et tome V, p. 335 et suivante.) — Son mari était Louis, fils d’Henri de Buade comte de Palluau et de Frontenac, et d’Anne Phélypeaux. Il eut en 1672 le gouvernement du Canada, « où il fit si bien longues années, qu’il y fut renvoyé en 1689, et y mourut à Québec, à la fin de 1698. » (lbid., tome V, p. 336.)
  469. 6. Madeleine d’Outrelaise était, d’après Tallemant des Réaux, parente de la comtesse de Fiesque. « C’étoit, dit Saint-Simon (tome V, p. 335), une demoiselle de Poitou, de parents pauvres et peu connus, qui avoit été assez aimable, et qui perça par son esprit. » Elle mourut longtemps avant son amie, Mme de Frontenac. Voyez la note précédente.
  470. 7. Sur les bords de la Marne, près de Lagny, non loin du château de Fresnes.
  471. 8. Arnauld d’Andilly, alors âgé de quatre-vingt-deux ans. Il mourut le 27 septembre 1674, à quatre-vingt-cinq ans et cinq mois.
  472. 9. Voyez la lettre du 10 avril précédent, p. 158.
  473. 10. Mme de Guise. Voyez la lettre 147, p. 122.
  474. 11. Voyez la Notice, p. 159.
  475. 12. Fables nouvelles et autres poésies de M. de la Fontaine, Paris, D. Thierry, 1671. Ce volume contient la première édition de huit fables et de quelques autres poésies. Voyez la fin de la lettre du 13 mars précédent, p. 109. — Mme de-Sévigné cite de mémoire : on lit dans la Fontaine, dès l’édition de 1671 : quel qu’il pût être, et deux vers plus bas :

    L’on ne s’en prenoit point aux gens du voisinage.

  476. 13. Le Gland et la Citrouille, le Milan et le Rossignol, qui sont la sixième et la septième fable du Recueil. — Le premier tome dont il est parlé ensuite est de 1668.
  477. 14. Le parlement de Paris était composé de la grand’chambre, de la Tournelle, de cinq chambres des enquêtes, de la première et de la seconde chambre des requêtes du Palais.
  478. 15. Voyez la lettre 153, p. 151 et suivantes.
  479. 16. Jardinier de Livry. (Note de Perrin.)
  480. Lettre 163. — 1. Voyez la note 6 de la lettre 109.
  481. 2. Sans doute le comte de Windischgraetz, envoyé de l’Empereur. La Gazette le nomme Vindiskrats et dit qu’il eut audience du Roi, avec d’autres ambassadeurs, le 20 avril 1671, pour lui souhaiter un heureux voyage (à la veille du départ pour Dunkerque, de ce voyage qu’on appela la campagne des brouettes).
  482. 3. Armand-Frédéric, dernier maréchal de Schomberg, né en 1619, maréchal en 1675, quitta la France à la révocation de l’édit de Nantes et fut tué à la bataille de la Boyne (1690). Il épousa en premières noces Jeanne-Elisabeth de Schomberg, sa cousine germaine, fille de Henri-Dieterich, comte de Schomberg à Wesel, et il eut d’elle quatre fils. Il se remaria avec « Suzanne d’Aumale de Haucourt, fille de Daniel d’Aumale, seigneur de Haucourt, premier chambellan de Monsieur le Prince, amie de Mme de Grignan et de Mme de Sévigné. Elle était protestante… Moréri dit qu’elle n’eut pas d’enfants. » (Madame de Sablé, par M. Cousin, p. 434, 435.) Le nom de précieuse de Suzanne d’Aumale était Dorinice.
  483. 4. Voyez la note 9 de la lettre 132.
  484. 5. Une chanson de Sarasin (p. 70 des Poésies, édition de Ménage, 1658) commence ainsi :

    Tyrcis, la pluspart des Amans
         Sont des Allemans,
            De tant pleurer, etc.

  485. 6. M. Cousin cite plusieurs lettres de Suzanne d’Aumale, où elle se plaint de sa santé. Voyez Madame de Sablé, p. 435 et suivantes.
  486. 7. Le duc de Beaufort passait pour parler assez mal le français. Retz dit « qu’il parloit et pensoit comme le peuple ; » et Segrais « qu’il savoit tous les mots de la langue, mais les employoit fort mal. Il disoit (par exemple) que le cardinal de Richelieu avoit des hémisphères, pour dire des émissaires. » Voyez le Segraisiana, p. 10, la Haye, 1722.
  487. 8. Saint-Simon (tome VIII, p. 171) rapporte que la maréchale de la Meilleraye l’avait épousé secrètement. « C’étoit, dit-il, un très-simple gentilhomme fort pauvre, grand et bien fait. extrêmement laid : je ne sais s’il l’étoit devenu depuis son mariage. Il étoit aussi fort brutal. » Il avait été page du maréchal. — « On tient que pour ses rares qualités, est-il dit dans une note de 1726, une femme titrée et très-glorieuse d’ailleurs l’avait épousé secrètement. Il devint lieutenant général. » Perrin désigne la dame par son titre et par l’initiale de son nom : « la maréchale de la M… »
  488. 9. Dans l’édition de Rouen de 1726 : Le dérangement de sa physionomie.
  489. 10. Après nous montra, les éditions de 1726 ajoutent : ou nous voulut montrer.
  490. 11. César de Chauvigny, baron de Blot-l’Église, gentilhomme de Gaston, a fait sur les événements du temps une foule de couplets satiriques qui ont été très-recherchés des contemporains, si l’on en juge par le grand nombre de copies manuscrites qui en existent. Ce poète était excessivement libre ; ses couplets ont éclairci quelques faits. Il mourut à Blois, le 13 mars 1655.
  491. 12. Voyez la lettre du 8 avril 1671, p. 150.
  492. 13. Dans l’édition de 1754, Perrin a substitué à ce pronom, trop éloigné peut-être du mot dont il tient la place, le nom propre Segrais.
  493. 14. La nièce du cardinal, la tante du duc de Richelieu : Marie-Madeleine de Vignerot, veuve sans enfants d’Antoine de Beauvoir du Roure, seigneur de Combalet ; créée duchesse d’Aiguillon en 1638 ; morte le 17 avril 1675.
  494. 15. Le maréchal d’Albret était gouverneur de Guyenne.
  495. Lettre 164 (revue sur une ancienne copie). — 1. L’édition de la Haye (1726) s’est risquée à compléter ainsi la pensée : « Quoique M. de Grignan dise que les absents ont toujours tort auprès de vous. » Perrin a retranché les mots : « Quoi que M. de Grignan dise, c’est une folie. »
  496. 2. On lit dans l’édition de la Haye : « Mon esprit vite et carré. »
  497. 3. La lettre du 10 mars précédent ne fut rendue que six semaines après la date. (Note de Perrin.)
  498. 4. Allusion au prénom du chancelier Seguier, dont Mme de Verneuil était fille. — Voyez la note 4 de la lettre 59.
  499. 5. Françoise-Angélique, fille aînée du maréchal de la Mothe Houdancourt, sœur de la duchesse de Ventadour et de Mlle de Touci (en 1675 duchesse de la Ferté). Elle était seconde femme, depuis le 28 novembre 1669, de Louis-Marie-Victor, fils du maréchal et duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre. Veuve en 1704, elle mourut le 5 avril 1711, à soixante et un ans. Elle était accouchée le 30 mars précédent d’un fils, Louis-François, marquis de Chapes, qui devint duc d’Humières. —Dans l’édition de la Haye, il y a Mme de la Ferté, au lieu de Mme d’Aumont ; dans celle de Rouen (1726), les noms propres ont été supprimés. Tout l’alinéa manque dans les éditions du chevalier de Perrin.
  500. 6. Anne de Rohan Chabot, femme de François de Rohan, prince de Soubise. Elle fut aimée en secret de Louis XIV. Ce crédit voilé fit la fortune de sa maison. Sa mère était Marguerite, duchesse de Rohan. Voyez la note 3 de la lettre 121 et la note 10 de la lettre 152.
  501. 7. La Pentecôte, en 1671, était le 17 mai.
  502. 8. Voyez la note 3 de la lettre 170.
  503. 9. Gourville avait été valet de chambre de la Rochefoucauld. Voyez la note 3 de la lettre 158.
  504. 10. Cette phrase (Il ne faut point, etc.) n’est pas dans notre manuscrit. — Comparez à ce jugement de Mme de Sévigné sur la Fontaine celui de Bussy Rabutin dans une lettre à Furetière du 4 mai 1686.
  505. 11. Pierre Camus de Pontcarré, fils et frère de conseillers au parlement de Paris, prieur de Saint-Trojan, conseiller, aumônier du Roi ; mort en mai 1684. Il était ami du cardinal de Retz et d’Hacqueville.
  506. 12. Voyez la note 5 de la lettre 110.
  507. Lettre 165. — 1. M. d’Hacqueville. (Note de Perrin.) — Voyez la fin de la lettre 169.
  508. Lettre 166. — 1. Voyez la note 5 de la lettre 148.
  509. 2. Et du milieu de l’horreur sort le plaisir. — C’est un souvenir du Tasse (Jérusalem délivrée, chant XX, stance xxx) :
         Bello in si bella vista anco è l’orrore,
         E di mezzo la tema esce il diletto.
    Mme de Sévigné a remplacé la tema par le dernier mot du vers précédent.
  510. 3. « Renée de Forbin, fille de Gaspard de Forbin, IIe du nom, marquis de Janson, sœur de second lit de l’évêque de Marseille, mariée en 1632 à Marc-Antoine de Vento, seigneur de la Baume, baron des Pennes, de la vieille et illustre maison génoise des Vento, établie en Provence depuis le quinzième siècle, alliée aux plus grandes familles du pays, et presque toujours en possession des charges de viguier ou de premier consul de Marseille. Mme de Vento, à la fois Forbin et Vento, relevait encore cet avantage par son mérite et par les grâces de son esprit et de sa personne. » (M. Cousin, la Société française, tome I, p. 252.) — Son mari, qui fut premier consul de Marseille en 1643, était mort en 1667. « À en croire Mlle de Scudéry, ce doit avoir été un officier de marine d’une grande bravoure, fort bien dans sa jeunesse, galant aussi, aimant et cultivant les lettres et les arts. » (Ibidem, p. 259.)
  511. 4. « Les Scudéry étaient de Provence, bien que transplantés en Normandie au commencement du dix-septième siècle ; et Georges de Scudéry ayant été nommé en 1643 gouverneur de la citadelle de Notre-Dame de la Garde à Marseille, y avait fait bien des visites, et quelque séjour avec sa sœur Madeleine ; celle-ci s’y était beaucoup plu ; elle en avait emporté et y avait aussi laissé les meilleurs souvenirs. » (M. Cousin, ibidem, tome I, p. 251.)
  512. 5. La princesse Cléobuline dans le Cyrus est Christine, reine de Suède, et Mme des Pennes figure dans le roman sous le nom de Cléonisbe (tome VIII, livre II, p. 347 : Histoire de Peranius prince de Phocée, et de la princesse Cléonisbe). Après avoir rectifié, dans le tome Ier de la Société française (p. 252), cette erreur qui se trouve dans l’édition de la Haye et dans celles de Perrin, et a passé de là dans toutes les autres, M. Cousin ajoute : « Faut-il accuser Mme de Sévigné qui, parlant en 1671 d’un roman de sa jeunesse, aura pris un nom pour un autre, comme elle se trompe évidemment en rappelant ici un prince Thrasibule qui n’a rien à voir en cette affaire… ? Cela est fort possible ; mais il est possible aussi que le vrai coupable soit le premier éditeur de Mme de Sévigné qui, lisant mal dans l’original le nom de Cléonisbe, l’aura changé, et défiguré tout cet endroit, comme on en a défiguré tant d’autres, en retranchant, ajoutant, corrigeant, pour éclaircir ce qu’on n’entendait pas, surtout pour rendre plus coulant et plus agréable aux lecteurs vulgaires le style étincelant et hasardé de l’incomparable marquise. » — L'Histoire de Thrasibule et d’Alcionide, qui est assurément une des plus jolies de tout le roman, est au livre III de la troisième partie du Grand Cyrus, p. 604.
  513. 6. M. de Vivonne, nommé plus haut.
  514. 7. Les hôtelleries offraient alors bien peu de ressources : voyez l'Essai sur les mœurs et les usages du dix-septième siècle, par M. Barrière, en tête des Mémoires de Brienne, Paris, 1828, in-8o, tome I, p. 148.
  515. 8. Cette phrase est ainsi imprimée dans les éditions de 1726. Perrin l’a omise, ainsi que la fin de l’alinéa et tout le suivant.
  516. 9. « On appelle amandes lissées certaines dragées où il y a des amandes. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  517. 10. Anne-Marie de Coulanges, sœur du chansonnier, femme en 1661 de Louis Turpin de Crissé, comte de Sanzei. Son mari disparut dans la campagne de 1675. Voyez la Notice, p. 146.
  518. 11. La terre et baronnie d’Autry, près de Gien (Loiret), appartenait au comte de Sanzei.
  519. 12. Marie-Charlotte, fille du maréchal de Castelnau, femme d’Antoine-Charles comte de Louvigny. Son mari, frère puîné du comte de Guiche mort en 1673, devint duc de Gramont à la mort de son père le maréchal (1678) ; il fut en 1704 ambassadeur extraordinaire en Espagne, et mourut en 1720. L’enfant dont elle était grosse alors a été le dernier maréchal de Gramont. Elle mourut en 1694. Voyez la note de la lettre du 14 octobre 1671.
  520. 13. « Le commerce de l’abbé Têtu avec les femmes a nui à sa fortune, et le Roi n’a jamais pu se résoudre à le faire évêque. Je me souviens qu’un jour Mme d’Heudicourt parla en sa faveur ; et sur ce que le Roi lui dit qu’il n’étoit pas assez homme de bien pour conduire les autres, elle répondit : « Sire, il attend, pour le devenir, que Votre Majesté l’ait fait évêque. » (Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 415.)
  521. Lettre 167 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la première scène de l’Amphitryon de Molière.
  522. 2. Voyez, à la page suivante, la note 4.
  523. 3. Est-ce celui qui en 1669 était un des échevins de Paris ?
  524. 4. Il s’agit vraisemblablement de la famille de François de Crussol, duc d’Uzès, pair de France, chevalier des ordres du Roi en 1661, chevalier d’honneur de la reine Anne d’Autriche, mort le 14 juillet 1680 à quatre-vingts ans. Il fut séparé de sa première femme, et se remaria avec Marguerite d’Apcher, fille unique du baron d’Apcher, morte le 17 avril 1708, à quatre-vingt-onze ans. Leur fils aîné, le comte de Crussol, avait épousé la fille unique du duc de Montausier et de Julie d’Angennes. Un second fils portait le titre de marquis de Florensac et fut menin du Dauphin. Le duc d’Uzès eut aussi plusieurs filles, dont une était aux Carmélites.
  525. 5. Charles, marquis de Rambures et de Courtenay, mort à Calais, à trente-neuf ans, le 11 mai 1671. Il avait épousé, le 5 avril 1656, Marie de Bautru, fille du comte de Nogent. L'Histoire amoureuse des Gaules et les chansons du temps la font beaucoup trop connaître. Elle mourut le 10 mars 1683. La marquise de Coligny écrivait au comte de Bussy, son père, le 22 mars 1683 : « Mme de Rambures étoit plaisante de dire, quand elle se portoit bien, qu’il étoit fort utile de mourir en la grâce de Dieu, mais qu’il étoit fort ennuyeux d’y vivre. » Ce mot peint bien cette femme tout à la fois galante et ridicule. Plusieurs chansons parlent des boules de cire qu’elle mettait dans sa bouche, afin de rendre ses joues moins creuses. Voyez la lettre du 2 novembre 1673.
  526. 6. Les veuves portoient en ce temps-là un bandeau de crêpe sur le front, comme les religieuses en portent un de toile. (Note de Perrin.) — « Mme de Navailles (morte en 1700) est la dernière femme, dit Saint-Simon, a qui j’ai vu conserver le bandeau qu’autrefois les veuves portoient toute leur vie. Il n’avoit rien de commun avec le deuil, qui ne se portoit que deux ans ; aussi ne le porta-t-elle pas davantage, mais toujours ce petit bandeau qui finissoit en pointe vers le milieu du front. » (Mémoires, tome II, p. 273.)
  527. 7. Voyez la note 10 de la lettre 119.
  528. lettre 168. — 1. Diane-Jacqueline, fille aînée du comte de Bussy et de Gabrielle de Toulongeon, religieuse au couvent des filles de la Visitation de Paris, rue Saint-Antoine. Elle fut plus tard supérieure de la Visitation de Saumur. Voyez la lettre du 24 janvier suivant.
  529. 2. Ils furent publiés en 1696, trois ans après la mort de Bussy, l’année même de la mort de Mme de Sévigné. Il en fit des lectures à sa cousine, à Livry, en 1676. Voyez la lettre du 7 octobre de cette dernière année.
  530. Lettre 169. — 1. Voyez la note 3 de la lettre 172.
  531. 2. Une des filles de la basse-cour des Rochers. (Note de Perrin, à la lettre du 19 août 1671.)
  532. 3. M. de Vivonne étoit d’une extrême grosseur. (Note de Perrin.)
  533. 4. Le duc de Foix vécut pourtant jusqu’à l’âge de soixante-quatorze ans : il ne mourut qu’en 1714. Il épousa en 1674 Marie-Charlotte de Roquelaure (fille du duc et de Marie-Charlotte de Daillon du Lude), qui mourut sans enfants en 1710. — La mère du duc de Foix était Marie-Claire, fille et héritière d’Henri de Beaufremont, marquis de Sénecé, et de Marie-Catherine de la Rochefoucauld, comtesse, puis duchesse, de Rendan. Elle était veuve de Jean-Baptiste Gaston de Foix, comte de Fleix, qu’elle avait épousé en 1637, et qui fut tué jeune sous Mardick en 1646. Elle avait été première dame d’honneur de la reine Anne et avait obtenu le tabouret, de même que sa mère, qui avait été surintendante de la maison de la même Reine et gouvernante des enfants de France. Elle mourut en 1680. — Voyez les notes 4 de la lettre 63, et 10 de la lettre 119, et Madame de Hautefort, de M. Cousin, p. 112, 132, 411. — Rendan fut érigé en duché-pairie (1663), en faveur de la mère, de la fille et du petit-fils : voyez Saint-Simon, tome IV, p. 196.
  534. 5. Henriette de Conflans, dite Mlle d’Armentières. Elle mourut à quatre-vingts ans, en 1712, sans avoir été mariée. « C’étoit, dit Simon (tome X, p. 180), une fille de beaucoup de mérite, d’esprit et de vertu. » Elle était en correspondance avec Bussy.
  535. 6. Anne de Longueval, parente de Bussy, mariée en 1668 à Henri marquis de Senneterre ou Saint-Nectaire, neveu du maréchal de la Ferté, lieutenant de Roi en Poitou. Voyez sur la mort de son mari la lettre du 28 octobre 1671. Elle avait été fille d’honneur de la Reine. Elle mourut en 1714. Elle fut mère de Marie-Thérèse-Louise de Senneterre, qui épousa en 1688 Louis de Crussol, marquis de Florensac, fils du duc d’Uzès, frère puîné du comte de Crussol.
  536. 7. À dix lieues sur la route de Chartres, à la hauteur de Rambouillet.
  537. Lettre 170. — 1. À cinq lieues de Paris, sur la route de Chartres.
  538. 2. C’est très-probablement une allusion au poème de Saint-Amant intitulé le Soleil levant, où le poëte prévient l’Aurore, l’invoque, et, la voyant poindre, la célèbre jusqu’au moment où Sylvie, l’objet de son amour, paraît à ses yeux.
  539. 3. Malicorne est un beau château à six lieues du Mans, qui appartenait alors au marquis de Lavardin. Mme de Sévigné avait fait soixante et une lieues ; il lui en restait à faire vingt-deux pour arriver aux Rochers. Il n’y eut guère dans ce voyage que neuf lieues d’une couchée à l’autre.
  540. 4. Ces petites filles du marquis de Lavardin et de sa première femme (voyez la note 5 de la lettre 158) furent : 1o Anne-Charlotte, née en 1668 et mariée en 1699 au marquis de la Châtre ; 2o N***, religieuse au couvent du Cherche-Midi (ou Chasse-Midi, comme on disait alors plus souvent).
  541. 5. Voyez la fable de la Fontaine qui a pour titre l’Aigle et le Hibou, la dix-huitième du cinquième livre :

    Notre Aigle aperçut d’aventure
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    De petits monstres fort hideux,
    Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
    « Ces enfants ne sont pas, dit l’Aigle, à notre ami :
    Croquons-les. » Le galant n’en fit pas à demi :
    Ses repas ne sont point repas à la légère.

  542. 6. « Le premier volume des Essais (de morale) parut en 1671, sous le nom de Mombrigny, et les autres successivement. L’auteur prit dans le second et le troisième le nom de Chanteresne ; mais dans le quatrième volume, qui parut en mars 1678, il cessa de mettre aucun de ces noms postiches, devenus inutiles par la renommée. » (M. Sainte-Beuve, Port-Royal, tome IV, p. 351.) — Voyez la Notice, p. 168 et suivantes.
  543. 7. Voyez la note 2 de la lettre 113.
  544. 8. Comparez les lettres des 7, 10 et 21 juin 1671, celles du 27 novembre, 1er et 4 décembre 1675, et 5 janvier 1676.
  545. 9. Mme de Sévigné étoit la nièce bien-aimée de l’abbé de Coulanges, et comme il passoit sa vie avec elle, rien n’étoit plus naturel que la donation qu’il lui fit de son bien. (Note de Perrin.)
  546. LETTRE 171. — 1. Mme de Coligny a ainsi corrigé cette phrase sur la copie autographe de son père : « Je remarque que les bons et les mauvais exemples font souvent le bien et le mal de la conduite. Avec les religieuses on songe à se sauver, et on se damne souvent avec les gens du monde. Je suis tout comme cela, et cent mille gens me ressemblent. »
  547. 2. À la suite de ceci, Mme de Coligny a écrit entre les lignes : « Puisque vous voulez que je vous envoie tout ce que j’écris au Roi, voilà ma dernière lettre : vous voyez que je ne me rebute pas. » — Cette lettre au Roi est celle où Bussy « supplie très-humblement Sa Majesté de lui permettre de la suivre dans le voyage de Flandre. » Elle se trouve dans la première édition des Lettres de Bussy, au tome I, p. 63-65, et dans l’édition de M. Lalanne, au tome I, p.451 et 452.
  548. Lettre 172. — 1. Voyez la Notice, p. 35 et 326.
  549. 2. Régisseur des Rochers.
  550. 3. Mlle  du Plessis d’Argentré. Le château d’Argentré est à une demi-lieue des Rochers. Voyez la Notice, p. 92, et Walckenaer, tome V, p. 460, 338 et suivantes.
  551. 4. Fille de Guillaume V, landgrave de Hesse-Cassel, et d’Amélie-Élisabeth de Nassau Muntzenberg. Elle était née en 1625, et épousa le Ier mai 1648 Henri-Charles de la Trémouille, prince de Tarente, fils du duc de la Trémouille. Elle perdit son mari le 14 septembre de l’année 1672 ; le duc son beau-père ne mourut qu’en janvier 1674. La princesse de Tarente était tante de la reine de Danemark (femme de Christiern V, qui régna de 1670 à 1699), et de la seconde duchesse d’Orléans. Elle mourut à Francfort le 23 février 1693. Voyez la Notice, p. 196, 199, 266, et le chapitre xii du tome V de Walckenaer.
  552. 5. Jardinier des Rochers : voyez la lettre du 28 juin 1671, p. 259.
  553. 6. Amoureux de renommée, avide de gloire.
  554. 7. Belle chose le rien faire, douce chose le loisir.
  555. Lettre 173 (revue sur une ancienne copie). — 1. Par Paul Hay du Chastelet, de l’Académie française, 1666, 1 vol. in-folio.
  556. 2. Nogent-le-Rotrou, capitale du haut Perche, à vingt-sept lieues de Paris, sur la route de Chartres.
  557. 3. Une des femmes de Mme de Sévigné, fille de Mme Paul, la jardinière de Livry : voyez les lettres du 30 mai, du 2 juin 1672 et, du 13 octobre 1675.
  558. 4. Mme de la Trousse.
  559. 5. Mme de Sévigné était mal informée des circonstances de la mort du comte François-Christophe de Frangipani. Il fut exécuté publiquement à Neustadt, le 30 avril 1671, pour avoir conspiré contre l’empereur Léopold Ier. Arrivé sur l’échafaud, il se mit à genoux, ôta sa veste, donna l’ordre à son page d’attacher ses cheveux, et de lui bander les yeux ; puis, se rappelant qu’il devait édifier le peuple, il retira son bandeau, et, prenant à la main le crucifix, il fit une belle remontrance aux assistants. On lui banda les yeux de nouveau. Il se mit à genoux sur un carreau de velours, et reçut un coup qui lui abattit l’épaule droite ; comme il cherchait à se relever, il reçut un second coup qui lui trancha la tête. L’exécuteur, soupçonné de l’avoir manqué à dessein, fut arrêté. On peut voir tout le détail de cette exécution dans l’Histoire des procédures criminelles, etc., des trois comtes Nadasti, Zerin (Zrini) et Frangipani, Amsterdam, 1672. Voyez aussi sur la conjuration les Mémoires de Saint-Simon, tome X, p. 296, 297.
  560. Trait du Roman comique (de Scarron). (Note de 1726.)
  561. Voyez la lettre du 26 juillet suivant, p. 294.
  562. Voyez la lettre du 26 juillet 1671 et la note ; voyez aussi les lettres du 24 juin et du 11 novembre.
  563. 9. Mot de Thomas Morus. (Note de Perrin.)
  564. 10. Allusion aux promenades qui entourent Grignan, et qui ne présentent pas de belles allées, le château étant construit sur une montagne. (Note de l’édition de 1818.)
  565. 11. Mme  de Sevigné alla loger l’année suivante rue Sainte-Anastase. Elle quittait la rue de Thorigny. Voyez la lettre du 6 mai 1672, vers la fin ; la lettre au comte de Guitaut du 2 décembre 1671, et Walckenaer, tome IV, p. 68, 334.
  566. 12. On lit dans le manuscrit : « que nous voyons, » sans ne.
  567. Lettre 174 (revue sur une ancienne copie). — I. Commis de la poste à Paris. Il est souvent parlé de lui dans la Correspondance.
  568. Voyez la note 4 de la lettre du 5 août suivant.
  569. Malo, marquis de Coetquen et comte de Combourg, était gouverneur de Saint-Malo. Il mourut en avril 1679. Il avait épousé Marguerite de Rohan Chabot, sœur du duc de Rohan, de Mme de Soubise et de Mme d’Espinoy, cadette de l’une, aînée de l’autre. Elle est célèbre par la passion que Turenne eut pour elle… Elle mourut en Bretagne (1720), où elle s’était retirée depuis assez longtemps dans ses terres. Voyez Saint-Simon, tome XVIII, p. 4.
  570. Voyez la note 6 de la lettre du 12 août suivant.
  571. 5. Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelai, fils aîné de Colbert, ministre secrétaire d’État au département de la marine. C’est sous son administration que la marine française fut placée au premier rang. Il aimait les lettres, et ceux qui les cultivaient. La neuvième épître de Boileau lui est adressée. Le projet de mariage dont Mme de Sévigné parle ici se réalisa. Le marquis de Seignelai épousa, le 8 février 1675, Marie-Marguerite d’Alègre ; il la perdit le 16 mars 1678 : voyez la lettre de Mme de Sévigné au comte de Bussy, du 18 mars 1678. Il mourut lui-même le 3 novembre 1690, à trente-neuf ans. Il s’était remarié en septembre 1679 avec Catherine-Thérèse de Matignon, marquise de Lonrai, fille du comte de Thorigny, qui épousa en secondes noces (1696) le comte de Marsan et mourut trois ans après.
  572. 6. C’était la succession du président Frémyot, cousin de Mme de Sévigné. Voyez les lettres 101, 102.
  573. 7. Jacques de Neuchèse, grand-oncle de Mme de Sévigné. Il lui avait fait ce don par contrat de mariage. Voyez la Notice, p. 34.
  574. 8. Les 530 000 livres de bien de Mme de Sévigné, si l’on compare le prix du marc d’argent monnaie, représentent, vers le milieu du dix-septième siècle, 959300 francs d’aujourd’hui. Si l’on compare le pouvoir de l’argent, la différence est plus grande : cette même fortune, au milieu du dix-septième siècle, équivaut à plus de deux millions de francs possédés vers 1840 ; et à la fin du dix-septième siècle, à plus de dix-sept cent mille francs. Voyez Leber, Appréciation de la fortune privée, 2e édition, p. 104.
  575. 9. Voyez la lettre précédente, p. 236.
  576. 10. L’abbé de Pontcarré. Voyez la note 11 de la lettre 164.
  577. 11. Marie Amat, femme de François-Auguste marquis de Valavoire de Vaulx, lieutenant général des armées du Roi. Elle était sœur de la marquise de Buzanval, et de Mme de Forbin Soliers. Le marquis et la marquise de Valavoire assistèrent à la signature du contrat de Mme de Grignan, de la part du Comte : voyez la Notice, p. 329.
  578. 12. Il y a dans le manuscrit : « Qui dit des biens de vous imaginables. » Faut-il peut-être lire : « Qui dit de vous tous les biens imaginables ? »
  579. 13. Qui devaient s’assembler à Vitré, au mois d’août suivant.
  580. 14. Voyez la note 3 de la lettre 181. — Charles d’Albert d’Ailly, troisième fils, et, par la mort de ses aînés, héritier d’Honoré d’Albert duc et maréchal de Chaulnes (frère puîné du connétable de Luynes). Sa mère, Charlotte-Eugénie d’Ailly, était fille unique et héritière de Philibert-Emmanuel d’Ailly, baron de Picquigny, vidame d’Amiens, et de Louise d’Ognies, comtesse de Chaulnes ; elle avait donné, avec son nom, tous ces titres à son mari, d’abord appelé M. de Cadenet. Le duc Charles, qui figure si souvent dans la Correspondance, avait épousé en 1655 Élisabeth le Féron, fille unique de Dreux le Féron, conseiller au parlement, et de Barbe Servien (sœur de la duchesse de Saint-Aignan) ; elle était veuve de Jacques Stuer de Caussade, marquis de Saint-Mégrin, tué au combat de Saint-Antoine (1652). La duchesse de Chaulnes avait perdu en 1657 le fils unique de son premier mariage, et elle n’eut pas d’enfants du second. Le duc mourut le 4 septembre 1698, la duchesse le 5 janvier suivant, « n’ayant pu survivre son mari plus de quelques mois, dit Saint-Simon (tome II, p. 247 et suivante). Ils avoient passé leur vie dans la plus intime union. C’étoit pour la figure extérieure un soldat aux gardes, et même un peu suisse, habillé en femme ; elle en avoit le ton et la voix, et des mots du bas peuple ; beaucoup de dignité, beaucoup d’amis, une politesse choisie, un sens et un desir d’obliger qui tenoient lieu d’esprit, sans jamais rien de déplacé ; une grande vertu, une libéralité naturelle, et noble avec beaucoup de magnificence, et tout le maintien, les façons, l’état et la réalité d’une fort grande dame, en quelque lieu qu’elle se trouvât, comme M. de Chaulnes l’avoit de même d’un fort grand seigneur. Elle étoit, comme lui, adorée en Bretagne et fut pour le moins aussi sensible que lui à l’échange forcé de ce gouvernement (en 1695). » Voyez la Notice, p. 156, 183 et suivantes, 271, 280, 285, 287, et la lettre du 22 juillet 1671. — Sur Mme de Rohan, voyez la note 3 de la lettre 121, et sur M. de Lavardin, la note 5 de la lettre 158.
  581. Lettre 175. — 1. Louis de Coulanges, seigneur de Chésières, oncle de Mme de Sévigné. Voyez la Notice, p. 145.
  582. Lettre 176. — 1. Cette lettre a été revue sur l’autographe
  583. Comparez la lettre suivante, p. 250, et la fin de la lettre 169, p. 223.
  584. Voyez la note 11 de la lettre 164.
  585. Lettre 177 (revue sur l’autographe ; voyez le spécimen comparatif placé à la suite de l’Avertissement du tome Ier). 1 — Arnolphe de l'École des femmes, ou M. de la Souche, comme il préférait qu’on l’appelât :

    La Souche plus qu’Arnolphe à mes oreilles plaît.

    (Acte I, scène I)

    — Voyez la scène VI du second acte.

  586. 2. Voyez la lettre précédente.
  587. Le cardinal Grimaldi. Voyez la note 5 de la lettre 157.
  588. Allusion à une héroïne de l’Arioste. La princesse Olympie, abandonnée par Birène dans une île déserte, cherche en vain son époux qui n’est plus à ses côtés ; elle gravit un rocher, et aperçoit dans le lointain la voile qui emporte l’infidèle. À cette vue, elle tombe toute tremblante, plus pâle et plus froide que la neige :

    Tutta tremante si lascio eadere,
    Pin bianca e più che neve fredda in volto.

    (Orlando furioso, canto X, stanza xxxv.)

  589. La prédiction de Mme de Sévigné s’accomplit. Mme de Grignan accoucha, au mois de novembre suivant, du marquis de Grignan. Voyez la lettre du 23 novembre 1671.
  590. Voyez la Notice, p. 98 et suivantes, et p. 111.
  591. Les éditeurs ont fait de cette affirmation badine un nom propre : Mlle de Bonnefoi de Croque-Oison. » — Voyez la note 2 de la lettre 187.
  592. Ces mots sont soulignés dans l’original.
  593. La même pensée est exprimée dans la lettre du 9 février précédent (tome II, p. 51 et suivante).
  594. Comparez la lettre du 11 mars précédent, p. 99 et suivante.
  595. Chapelain et Ménage.
  596. Mme de Sévigné avait d’abord écrit histoire. Elle a rayé ce mot et écrit au-dessus : morale de ce M. Nicole. — Cinq lignes plus bas, il y a une autre rature dans l’autographe ; de tout ce que vous voudrez a été substitué à de toutes façons.
  597. Il n’y en a pas autour du château, mais le pays est ombragé. (Note de l’édition de 1818.)
  598. Mme de la Trousse.
  599. Château magique construit par l’enchanteur Apollidon ; il est décrit au chapitre Ier du IIe livre de l’Amadis de Gaule. On y voyait l’arc des loyaux amants, la chambre défendue, et beaucoup d’autres merveilles. — Voyez la lettre du 7 octobre 1671, et Walckenaer, tome IV, p. 48.
  600. Lettre 178. — 1. La procession de la Fête-Dieu à Aix était la chose du monde la plus extraordinaire. On croit qu’elle a été instituée par le roi René, comte de Provence, vers le milieu du quinzième siècle. Elle avait du rapport avec la fête des fous et celle de l’âne, qui se célébraient dans quelques villes de France. Voyez l'Explication de la cérémonie de la Fête-Dieu d’Aix, Aix, 1777, et les Mémoires de du Tilliot.
  601. 2. On nommoit ainsi certains vagabonds, qui alloient en bande, courant les villes de province et les campagnes, où ils gagnoient leur vie à danser, à donner la bonne aventure, et surtout à marauder partout où ils pouvoient. (Note de Perrin.) — Voyez sur les Bohèmes ou Bohémiens les détails fort intéressants donnés par M. Mérimée à la suite de sa charmante nouvelle intitulée Carmen.
  602. 3. Ce procès n’était pas terminé. Il paraît même que Pomenars fut condamné, car dans la lettre du 11 novembre 1671, Mme de Sévigné raconte qu’il se trouva présent à son exécution en effigie. Voyez la note de la lettre du 26 juillet 1671. — Pour la plaisanterie « se faire raser d’un côté, ») voyez la lettre 173, p. 235 et suivante.
  603. Lettre 179. — 1. Angélique-Clarice d’Angennes.
  604. 2. Voyez la note 6 de la lettre 26 et la note 3 de la lettre 143.
  605. 3. Il s’agit de Mlle de Toiras (voyez les lettres du 29 juillet 1671 et du ler avril 1672). Mme de Sévigné avait sans doute écrit le nom en entier ; mais le chevalier de Perrin, qui le premier a publié cette lettre, ne donne que l’initiale. — Louise de Toiras, fille de Louis de Bermond du Caylar de Saint-Bonnet, marquis de Toiras, maréchal de camp (1658), sénéchal et gouverneur de Montpellier (1661), neveu du maréchal de Toiras (voyez la Notice, p. 12 et 16), fut mariée à Louis Bérart, seigneur de Bernes. Elle était sœur du marquis de Toiras, dont il est question dans la lettre du 22 mai 1682.
  606. 4. Roman de la Calprenède. Voyez la Notice, p. 163, et les lettres des 12 et 15 juillet 1671.
  607. 5. Ces murailles à hauteur d’appui existent encore. Le mail de Grignan, ombragé de vieux ormeaux, tapissé d’une belle pelouse, est hors de la ville, et assez loin du château. (Note de l’édition de 1818.)
  608. 6. Voyez la Notice, p. 115.
  609. 7. Fouesnel, famille de Rennes. (Note de Perrin.) Voyez la lettre suivante, p. 264. — Le sieur de Pois, seigneur de Fouesnel, était conseiller de grand’chambre au parlement de Bretagne, et suivant des notes secrètes envoyées à Colbert en 1663 par l’intendant de la province, il était l’un des plus forts de sa compagnie.
  610. 8. La femme de son frère, qui, d’après Walckenaer (tome V, p. 338), était établi en Provence.
  611. 9. Voyez la lettre 157, p. 169, et la note 17.
  612. 10. Madeleine Hay du Châtelet, femme de Charles-Louis marquis de Simiane, dont le fils Louis de Simiane épousa en 1695 Pauline de Grignan. Elle habitait Valréas, à deux lieues de Grignan.
  613. 11. Dans l’édition de 1754 : « Vous avez avec elle un fonds de connoissance. »
  614. 12. Les châteaux de Chilly et de Grignan ont effectivement quelque ressemblance. (Note de l’édition de 1818.)
  615. 13. Femme de chambre de Mme de Grignan. Voyez les lettres des 5, 8 et 26 juillet et du 23 décembre 1671, et Walckenaer, tome IV, p. 62, note.
  616. 14. Voyez en particulier le sonnet XCIV, Il sasso di Valchiusa, et la canzone XIV, Alla fontana di Valchiusa, qui commence ainsi :

    Chiare, fresche e dolci acque, etc.

  617. 15. Charles de Sévigné.
  618. 16. Voyez la lettre du 19 juillet suivant.
  619. 17. Voyez la lettre 172, p. 230.
  620. 18. Vivonne était, comme nous l’avons dit, général des galères.
  621. 19. Dans la lettre du 24 juin 1671, p. 255.
  622. 20. Deux romans de la Calprenède. Cassandre fut publiée en 10 volumes, Cléopatre en 12 volumes (23 tomes).
  623. Lettre 180 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Château dans le voisinage des Rochers. Voyez la note 7 de la lettre précédente.
  624. 2. René de Quengo, marquis de Tonquedec, qui fut, en août 1683, député vers la cour par la noblesse de Bretagne. Voyez la Notice, p. 58 et suivante, et p. 213 ; et la lettre du 19 août 1671, vers la fin.
  625. 3. On lit dans le manuscrit : « De démentir mille fois. »
  626. 4. Charles de Sévigné était guidon des gendarmes-Dauphin. Voyez la Notice, p. 205.
  627. 5. Dessus signifie suscription. Sévigné avait mis cette adresse sur une lettre à sa sœur.
  628. 6. Pour éclaircir la phrase, Perrin a imprimé : « et faire entrer les gens. »
  629. Lettre 181. — 1. Sans doute le chevalier de Buous. L’édition de la Haye ne donne que l’initiale ; celle de Rouen écrit Baous. L’une et l’autre disent en note : « Il alloit en course. » Voyez la lettre du 20 septembre suivant.
  630. 2. Voyez la note 6 de la lettre 170. — Sur la bibliothèque des Rochers, voyez la Notice, p. 162 et suivantes.
  631. 3. Le duc de Chaulnes avait été nommé, le 6 mai 1671, commissaire du Roi aux états, et le 25 juin à la charge de gouverneur de Bretagne, vacante depuis la mort de la reine Anne d’Autriche qui en était titulaire : il l’occupa jusqu’au mois de mars 1695, où il obtint le gouvernement de Guyenne. Dès 1669, il était lieutenant général dans la province. Il avait été déjà deux fois (en 1667 et en 1670) ambassadeur à Rome, et remplit encore la même mission en 1689 et en 1691.
  632. 4. Voyez les lettres du 28 juin et des 8 et 26 juillet 1671.
  633. 5. « On dit d’une étoffe rayée de plusieurs couleurs, d’un habit bigarré de plusieurs couleurs et de celui qui le porte, qu’il est riolé, piolé comme la chandelle des Rois. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.) — « C’étoit autrefois une cérémonie, dit Furetière, de brûler une chandelle fort diversifiée la veille des Rois. »
  634. 6. Du bœuf et du mouton. Mme de Sévigné se moque du parler ridicule de Mlle du Plessis.
  635. 7. Voyez la scène vi du IIIe acte :


    Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
    Un malheureux pécheur, tout plein d’iniquité,
    Le plus grand scélérat qui jamais ait été.

  636. 8. Voyez la note 2 de la lettre 75.
  637. 9. Tel est le texte de l’édition de la Haye et de celle de 1734. Dans l’édition de 1754, le chevalier de Perrin, pour éclaircir la phrase (y a-t-il réussi ?), l’a ainsi modifiée : « Vous me faites trembler de vous entendre dire que vous me souhaitez si fort à Grignan ; et sur le même ton je suis inconsolable. »
  638. 10. Allusion au système de Descartes. Ce philosophe supposait que les parties les plus subtiles du sang, volatilisées par la chaleur du cœur, résidaient dans le cerveau, d’où, obéissant aux impressions de l’âme et des sens, elles se transportaient avec la rapidité de l’éclair dans toutes les parties du corps humain. Il faisait de ces esprits animaux (« qui sont, disait-il, comme un vent très-subtil, ou plutôt comme une flamme très-pure et très-vive, montant continuellement en grande abondance du cœur dans le cerveau, allant se rendre de là par les nerfs dans les muscles et donnant le mouvement à tous les muscles ») un milieu entre l’esprit et la matière ; et il attribuait l’amour et l’amitié à une commotion de ces esprits, par laquelle notre volonté est déterminée à nous unir aux objets de nos affections.
  639. 11. Mme de Sévigné était la troisième.
  640. Lettre 182 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. La chapelle des Rochers, bâtie par l’abbé de Coulanges et Mme de Sévigné. Elle est fort belle. (Note de l’édition de 1818.) — Elle fut achevée en 1671, mais on n’y dit la première messe que le dimanche 15 décembre 1675.
  641. 2. M. de Montlouet tomba de cheval en lisant une lettre de sa maîtresse. (Note de 1726.) — François de Bullion, marquis de Montlouet, était second fils de Claude de Bullion, marquis de Gallardon, seigneur de Bonnelles, qui fut surintendant des finances sous Richelieu en 1632 et mourut en 1640. Il avait la charge de premier écuyer de la grande écurie du Roi. Sa femme, Louise-Henriette Rouault, dame de Thiembrune, avait été l’une des filles de la Reine, sous le nom de Mlle de Thiembrune ; elle mourut en 1687. Sur Mme de Montlouet voyez la fin de la lettre suivante, et la lettre du 24 juillet 1675, aussi vers la fin.
  642. 3. Henriette-Anne d’Angleterre, morte à Saint-Cloud le 29 juin 1670. (Note de Perrin.) — Voyez la note 4 de la lettre 110.
  643. 4. Dans Tacite, dont la traduction par Perrot d’Ablancourt était alors dans les mains de tout le monde. Les Annales et l’Histoire avaient paru en 1640 ; les œuvres complètes en 1650. Mme de Grignan était peu avancée dans sa lecture : l’endroit des Annales dont lui parle Mme de Sévigné est à la fin du livre Ier.
  644. 5. La mort de Germanicus est racontée dans le livre II des Annales.
  645. 6. L’abbé de Coulanges et la Mousse ; mais quel est le troisième ? Peut-être y avait-il dans l’autographe un chiffre 2 mal formé qu’on aura pris pour un 3, bien qu’en général il soit difficile de confondre ces deux chiffres dans les autographes de Mme de Sévigné.
  646. 7. À cause de la singularité de ses distractions. (Note de Perrin.)
  647. Lettre 183. — 1. Les Essais de morale de M. Nicole. (Note de 1726.)
  648. 2. Voyez la lettre du 4 novembre suivant, où Mme de Sévigné revient sur cette idée.
  649. 3. Voyez la note 2 de la lettre précédente.
  650. LETTRE 184 (revue sur une ancienne copie ; voyez le spécimen comparatif placé à la suite de l’Avertissement du tome Ier.) — 1. Premiers vers de l'Ode à la Solitude de Saint-Amant : voyez ses Œuvres, Paris, T. Quinet, 1642, in-4o, Ire partie, p. 6.
  651. 2. Cette tribune existe encore ; elle est fort élevée ; elle donne sur la nef de l’église collégiale ; le château n’a point d’autre chapelle. (Note de l’édition de 1818.)
  652. 3. Philippe, second fils de Louis XIV, mort le 10 juillet 1671, à l’âge de trois ans.
  653. 4. La comtesse de Saint-Géran, mariée depuis quatre ans. Voyez la note 12 de la lettre 136.
  654. Lettre 185. — 1. Cette lettre est datée du 3 juillet dans les éditions de 1726 et dans celle de 1734 ; du 19 juillet, dans l’édition de 1754. Le premier alinéa manque dans les deux éditions de Perrin.
  655. 2. Maisonnette du parc des Rochers.
  656. 3. Un peu de pain, un peu de vin.
  657. 4. C’est le premier tercet d’un sonnet de Voiture. Mme de Sévigné a remplacé ses yeux par vos yeux. Voici quel est le second tercet, qui explique très-bien la phrase suivante de la lettre :

         L’onde, la terre et l’air s’allumoient à l’entour ;
         Mais auprès de Philis on le prit pour l’Aurore,
         Et l’on crut que Philis étoit l’astre du jour.

  658. 5. Thérèse, sœur du comte de Grignan, mariée le 22 octobre 1668 à Charles de Châteauneuf, comte de Rochebonne, vicomte d’Oing, commandant pour le Roi dans les provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais ; auparavant colonel du régiment de la Reine. Voyez la lettre du 27 juillet 1672.
  659. 6. Voyez la fin de la lettre du 28 juin précédent, p. 262.
  660. 7. Allusion aux Lettres portugaises traduites en françois, qui furent publiées en 1669 chez Claude Barbin, par Noël Bouton, marquis de Chamilly, maréchal en 1703. Sept nouvelles lettres furent ajoutées aux cinq premières dans une seconde édition qui parut la même année (1669).
  661. 8. Les mots mon ami ne sont pas dans les éditions de 1726 et de 1734 ; ils se lisent pour la première fois dans celle de 1754.
  662. 9. Elisabeth Hamilton, dame du palais de la Reine, femme du comte de Gramont et sœur du comte Antoine Hamilton, auteur des Mémoires de Gramont. Elle mourut à soixante-sept ans, en juin 1708, un an et quelques mois après son mari. — Voyez les Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 441.
  663. 10. Tel est le texte de l’édition de la Haye (1726) et de la première édition de Perrin (1734). Dans l’édition de Rouen (1726) on lit : au fond du cœur ; dans la seconde de Perrin (1754) : dans le milieu de mon cœur.
  664. 11. La Rochefoucauld le disait de Mme de la Fayette. « Est-ce la femme… loyale et sincère que la Rochefoucauld a appelée vraie ? » (Madame de Sablé, par M. Cousin, p. 174.)
  665. 12. Mlle de Grancey. Voyez la lettre du 6 avril 1672.
  666. 13. Tel est le texte des éditions de 1726 et 1734. Dans celle de 1754, plaisir est remplacé par déplaisir.
  667. 14. Marie de Stuer de Caussade de Saint-Mégrin, fille du comte de la Vauguyon, sœur du premier mari de la duchesse de Chaulnes, veuve de Barthélemy de Quelen, comte du Broutai, épousa secrètement, à l’âge de cinquante-cinq ans, André de Bétoulat, sieur de Fromentau, qui fut comte de la Vauguyon, et chevalier de l’ordre du Saint-Esprit (1688). Ce Fromentau était, dit Saint-Simon, un des plus petits et des plus pauvres gentilshommes de France, qui s’était élevé par la protection de Mme de Beauvais, femme de chambre de la Reine mère. Lorsque sa femme, qu’il avait épousée à cause de sa fortune, eut été obligée de rendre à son fils le compte de tutelle, ils éprouvèrent une grande gêne, et le comte de la Vauguyon ne tarda pas à donuer des marques d’aliénation d’esprit. La mort de la comtesse, arrivée au mois d’octobre 1693, le privant de sa dernière ressource, rendit sa démence complète, et il se tua d’un coup de pistolet le 9 novembre suivant. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 111 et suivantes.
  668. 15. Voyez les lettres du 21 juin et du 5 juillet 1671, et la note 2 de la lettre 187.
  669. Lettre 186 (revue sur une ancienne copie). — 1. Le baron de Chantal fut tué le 22 juillet 1627. Voyez la Notice, p. 13.
  670. 2. La Guerche est aujourd’hui un chef-lieu de canton du département d’Ille-et-Vilaine, environ à quatre lieues au sud de Vitré.
  671. 3. Marie-Anne du Pui de Murinais, parente de la duchesse de Chaulnes, épousa au mois d’août 1674 Henri de Maillé, marquis de Kerman (on prononçait Karman). Elle mourut en 1707, à cinquante-huit ans, laissant deux fils. Le marquis de Kerman se remaria avec une damoiselle de Bretagne du nom de Kersaingily, et mourut en décembre 1728.
  672. 4. Il y a dans le manuscrit obligée pour oubliée.
  673. 5. Voyez la note 14 de la lettre 174.
  674. 6. Tel est le texte du manuscrit. Le copiste a évidemment sauté quelques mots, dont le sens était sans aucun doute : « je les en avois retirés, je leur avois fait interrompre ce travail… » ou, tout simplement, comme dans la lettre suivante, « je les avois pris (pour nettoyer des allées). » — Les mots qui terminent l’alinéa : elle me viendra comme elle pourra, sont obscurs ; nous nous sommes conformés exactement au manuscrit.
  675. 7. Suzanne de Montgommery, femme de Henri Goyon de la Moussaie, comte de Quintin.
  676. 8. Le Pertre est un bourg situé à trois lieues et demie de Vitré, au sud-ouest.
  677. 9. C’est-à-dire un équipage magnifique, pompeux, comme l’explique une note de M. Paulin Paris, au tome IV de Tallemant des Réaux, p. 202.
  678. 10. Voyez la lettre de Mme de Sévigné du 26 juillet 1671, et celle que Bossuet écrivit au maréchal de Bellefonds le 9 septembre 1672, et où il lui montre qu’il avait pu en conscience accepter le bénéfice que le Roi lui avait offert (non en 1671, mais en 1672). Au reste, ce bénéfice n’était pas l’abbaye de Rebais (voyez la note 10 de la lettre 119). Le cardinal de Bausset, dans son Histoire de Bossuet (livre III, chap. x), dit : « que la vérité est que Bossuet n’a jamais eu l’abbaye de Rebais, et qu’il ne se démit de l’évêché de Condom que trois mois après la date de cette lettre de Mme de Sévigné (le 31 octobre 1671). » — Sur l’exclamation de pitié ironique qui se retrouve appliquée, sans grande malice, au Coadjuteur, dans la lettre du 15 août 1677 (le pauvre homme !), et à Mme de Grignan dans celle du 12 juin 1680 (la pauvre femme !), voyez la Notice historique de l’édition de 1818 (tome I, p. 120 et suivante).
  679. Lettre 187. — 1. Voyez la lettre précédente, p. 289.
  680. 2. Malgré l’affirmation si comique de la lettre 177 (p. 249), il est bien probable que nous avons ici la vraie forme, ou à peu près, de ces deux noms bretons qui réjouissent tant Mme de Sévigné, quand elle les tourne pour sa fille en Kerborgne et Croque-Oison.
  681. 3. Les contemporains portèrent le même jugement sur cette lettre, connue sous le nom de Lettre des foins ou de la prairie, et qui a été imprimée pour la première fois en 1815. Mme de Thianges, qui en avoit ouï parler, l’envoya demander à Mme de Coulanges : voyez la lettre du 10 avril 1673.
  682. Lettre 188 (revue sur une ancienne copie). — 1. Nous voyons deux lignes plus bas que la lettre, quoique datée du dimanche 26, a été commencée le samedi 25.
  683. 2. Gentilhomme breton, dont on a dit qu’il avait eu un procès pour fausse monnoie, et qu’ayant été justifié, il paya les épices de son arrêt en fausses espèces. (Note de Perrin.) — Il ne semble pas qu’il faille prendre plus au sérieux que n’a fait Mme de Sévigné, toutes les grosses accusations qui pesaient sur le marquis de Pomenars : elle n’en parle qu’en exagérant à plaisir, sur un ton enjoué et qui témoigne d’une véritable sympathie pour l’auteur de tant de méfaits. Pomenars fait quitter la place au premier président et au procureur général ; il va souper et coucher chez le juge qui le condamne. C’est la duchesse de Chaulnes qui l’amène aux Rochers ; c’est encore elle qui donne à Mme de Sévigné l’exemple de l’aller voir à Paris. Voyez les lettres des 7 juin, 28 et 29 juillet, 19 août, 11 novembre 1671, et surtout du 12 janvier 1680.
  684. 3. Voyez la note 12 de la lettre 140.
  685. 4. Quinten Matsys ou Massys, né vers 1460, communément appelé le maréchal ou le forgeron d’Anvers, et par les Italiens il fabbro. — Dans l’édition de 1734 : « qui devint peintre par amour. » Dans celle de 1734 : « qui devint excellent peintre par amour. »
  686. 5. Terre de Mme de Sévigné, à quelques lieues de Nantes ; elle appartient aujourd’hui à M. Hersart du Buron. Voyez la Notice, p. 213 et suivante.
  687. 6. Cette dame de Molac est très-vraisemblablement la femme de… Rosmadec, marquis de Molac (frère du comte des Chapelles), second lieutenant général au gouvernement de Bretagne, gouverneur des ville et château de Nantes, mort le 6 octobre 1693 à soixante-quatre ans. Leur fils Sébastien épousa en 1681 Mlle de Roussille, sœur de Mlle de Fontanges ; il succéda à cette occasion aux charges de son père et reçut d’autres bienfaits du Roi.
  688. 7. Se nourrir de souvenir plus que d’espérance. C’est la pensée contenue dans ces deux vers de la Jérusalem délivrée (chant VI, stance LX) :

              …Nudrisce nel sen l’occulto foco
              Di memoria via più che di speranza.

  689. 8. Godefroi a déployé le grand étendard de la croix sur la muraille. Voyez les stances xcix et c du XVIIIe chant de la Jérusalem délivrée

    Al Capitano
    Che……………………… della santa
    Croce il vessillo in su le mura pianta.

  690. 9. Voyez la Notice, p. 311 et suivante.
  691. 10. Elle avait en 1667 accompagné dans leur voyage de Rome le duc et la duchesse de Chaulnes. Voyez les Mémoires de Coulanges, p. 95, et la lettre du 23 octobre 1689.
  692. 11. Le cardinal de Retz.
  693. 12. L’abbé de Pontcarré. Voyez la note 11 de la lettre 164.
  694. 13. Valet de chambre du Roi. Voyez la note 7 de la lettre 152.
  695. 14. Dans le manuscrit : « ne fait que sortir. »
  696. 15. « La demoiselle de Bouillé (fille de René de Bouillé, comte de Créance), cousine de la duchesse du Lude, s’étant fait enlever par le marquis de Pomenars, Breton, s’avisa au bout de quatorze ans qu’elle avait demeuré avec lui, de s’enfuir à Paris, et de le poursuivre pour crime de rapt. » (Mémoires historiques, etc., par Amelot de la Houssaye, Amsterdam, 1722, tome I, p. 444.)
  697. 16. Voyez la note 13 de la lettre 166.
  698. 17. Perrin a remplacé le pronom elle, peu clair en effet, par le nom propre « Mme de Chaulnes. »
  699. 18. Voyez la note 10 de la lettre 186. — La nouvelle était prématurée. C’est, comme nous l’avons dit, le 31 octobre 1671 que Bossuet, pour se consacrer entièrement à ses nouveaux devoirs, se démit d’un évêché dans lequel il ne pouvait plus résider. Voyez l'Histoire du cardinal de Bausset, livre III, chap. x.
  700. 19. La sœur de la Murinette beauté, avec qui on l’a confondue par erreur. Elle épousa de la Bédoyère, procureur général au parlement de Bretagne. Il est question dans les lettres de 1675 et 1676 d’une autre petite personne ou petite fille, « fille de la bonne femme Marcile, » et qui servait de secrétaire à Mme de Sévigné malade.
  701. Lettre 189 (revue sur une ancienne copie). — 1. Tel est le texte de notre manuscrit. Dans l’édition de la Haye, la seule où cet alinéa et le suivant soient imprimés, on lit : vous rejetez.
  702. 2. Vardes, veuf depuis 1661 de Catherine de Nicolaï, qu’il avait épousée en 1656. Voyez la lettre du 1er avril 1672.
  703. 3. Dans le manuscrit, il n’y a que cette initiale. Dans l’édition de la Haye, on lit : Monsieur d’Uzès.
  704. 4. Voyez la note 4 de la lettre 57.
  705. 5. On a déjà vu qu’elle était sœur de père du duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires ; elle avait vingt-neuf ans de plus que lui. Voyez la note 12 de la lettre 115 et la note 9 de la lettre 119.
  706. 6. Dans le manuscrit : « en lui faisant. »
  707. 7. Anne-Jules de Noailles, né en 1650, fils aîné du premier duc de Noailles (mort en 1678) et de Louise Boyer (morte en 1697) ; frère du cardinal ; alors comte d’Ayen, plus tard duc de Noailles (1677) et maréchal (1693). Il épousa, le 13 août 1671, Marie-Françoise, fille unique d’Ambroise duc de Bournonville. Il mourut à cinquante-neuf ans, en 1708 ; sa femme lui survécut. Voyez leurs portraits dans les Mémoires de Saint-Simon, tome VI, p. 423 et suivantes. Il devint en 1680 beau-frère du marquis de Lavardin.
  708. Lettre 190. — I. La foire de Beaucaire commence le 22 juillet, jour de sainte Madeleine, et dure huit jours.
  709. 2. Fameux munitionnaire des armées. (Note de 1726.) — Prendre en parti, c’est se charger de fournir en vertu d’un traité. Le mot parti signifie « un traité que l’on fait pour des affaires de finances. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  710. 3. Sancho raconte à Don Quichotte que Dulcinée, quand il lui a apporté sa lettre, était occupée à vanner du blé, et qu’elle lui dit de placer cette lettre sur un sac qui se trouvait là : « Je ne peux pas la lire que je n’aie fini. » À ces mots : « Ô la discrète dame, s’écria le chevalier, c’était afin de lire tout à loisir et y prendre du contentement. » Voyez la traduction de Dom Quixotte de Cæsar Oudin, tome I, IVe partie, chap. xxxi.
  711. 4. L’évêque du Mans (voyez la note 17 de la lettre 137) mourut le 27 juillet 1671. Il passait pour un fort mauvais chrétien, et telle était sa réputation de négligence et d’impiété qu’au rapport de Desmaiseaux, dans la Vie de Saint-Évremont (tome i des Œuvres, p. 31), on crut devoir réordonner sous condition quelques prêtres auxquels il avait conféré les ordres sacrés. Cela fit beaucoup de bruit. Mascaron était du nombre.
  712. 5. Voyez la note I de la lettre 3.
  713. 6. Elle s’appelait Paule Payen ; Hugues de Lyonne, ministre secrétaire d’État, l’avait épousée en 1645 ; elle mourut en 1704, à soixante-quatorze ans. — Après la scandaleuse aventure dont Mme de Sévigné venait de recevoir la nouvelle et qui avait couvert d’infamie Mme de Lyonne et sa fille la marquise de Cœuvres, la première fut reléguée à Angers, par un ordre du Roi du 27 juin. Son mari mourut de chagrin le 1er septembre suivant. Voyez la lettre du 19 août 1671, vers la fin, et la Correspondance de Bussy, tome I, p. 426. — Le nom de Mme de Lyonne est imprimé en entier dans l’édition de la Haye ; celle de Rouen (1726), ainsi que les éditions de Perrin, n’a que l’initiale.
  714. 7. Voyez la note 8 de la lettre 159.
  715. Lettre 191 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 6 de la lettre 147. — Les éditeurs, dès 1726, ont remplacé, pour éclaircir la phrase, le pronom celle par la mort et celle de la mort.
  716. 2. Ouverts le 4 août, ils furent clos le 22. Ils étaient convoqués tous les deux ans, tantôt à Nantes, tantôt à Dinan, tantôt à Vitré. Il y avait seize ans qu’ils ne l’avaient été dans cette dernière ville. « Les assises des états de Bretagne se composaient de tous les commissaires du Roi, c’est-à-dire du gouverneur, des lieutenants généraux, du premier président du parlement, de l’intendant, des avocats généraux, du grand maître des eaux et forêts, des receveurs généraux des finances, etc., au nombre d’environ vingt-cinq personnes. Puis venaient Nosseigneurs les députés de l’ordre de l’Église, au nombre de vingt-deux ; ceux de l’ordre de la noblesse, au nombre de cent soixante-quatorze, le duc de Rohan, baron de Léon, à leur tête ; et en dernier lieu, soixante-dix députés de l’ordre du tiers. » (Walckenaer, tome IV, p. 26.) L’assemblée avait un même président durant toute la session. C’étaient les ducs de Rohan et de la Trémouille qui étaient comme en possession, tour à tour, de cet honneur, les premiers comme barons de Léon, les seconds en qualité de barons de Vitré. Voyez encore Walckenaer, tome IV, p. 6 ; tome V, p. 253 ; et la Notice, p. 183 et suivantes.
  717. 3. Voyez les notes 1 et 2 de la lettre 193.
  718. 4. Le premier président du parlement de Bretagne était alors messire François d’Argouges.
  719. 5. Louis, fils de Jean Boucherat (mort doyen des maîtres des comptes au mois de février précédent) et de Catherine de Machault, maître des requêtes, intendant de justice, etc., commissaire du Roi aux états de Languedoc et de Bretagne ; chancelier de France le 1er novembre 1685 ; mort en septembre 1699, à quatre-vingt-trois ans. Il épousa Françoise Marchant, morte en 1652, et en secondes noces Anne-Françoise de Loménie.
  720. 6. Voyez la note 3 de la lettre 121. — Louis de Rohan Chabot, duc de Rohan, prince de Léon, né en 1662, fils de Marguerite, duchesse de Rohan, et de Henri Chabot. Il épousa en 1678 Marie-Élisabeth du Bec, fille unique du marquis de Vardes. Il mourut en 1727, et sa femme en 1743. Il était frère de la princesse de Soubise, de la marquise de Coetquen et de la princesse d’Épinoy.
  721. 7. Le marquis de Lavardin était lieutenant général au gouvernement de Bretagne : voyez la note 5 de la lettre 158. Les lieutenants généraux s’absentaient souvent, quand la présence du gouverneur les obligeait de paraître à la seconde place. Voyez cependant Walckenaer, tome IV, p. 27 et suivante.
  722. 8. Voyez la note 6 de la lettre 193.
  723. 9. Chésières était bel-oncle de M. d’Harouys. Il s’appelait Louis de Coulanges. Voyez la note 1 de la lettre 175.
  724. 10. Charles de Sévigné.
  725. 11. Magnificence, surtout dans les habits. Voyez la note 3 de la lettre 78. — Dans l’édition de Rouen (1726), braverie est remplacé par magnificence d’habits, tant des hommes que des femmes.
  726. Lettre 192. — 1. Dans les éditions de 1726 et dans celle de 1734, cette lettre est datée du (vendredi) 7e août.
  727. 2. Ils venaient de perdre l’une son beau-frère, l’autre son oncle, l’évêque du Mans. Voyez la lettre du 2 août précédent, p. 304 et suivante.
  728. 3. Claude Joly. Voyez la note 4 de la lettre 132.
  729. 4. Dans l’édition de 1754 : « tous les pavés de Vitré. »
  730. 5. Cette phrase n’est que dans les éditions de Perrin. La précédente a été supprimée dans l’édition de 1754, et ainsi modifiée dans celle de 1734 : « Je ne m’imagine point que les états de Languedoc puissent être plus beaux. »
  731. 6. Elle se réunit à Lambesc au mois de septembre suivant.
  732. 7. L’évêque de Marseille. Voyez la note 1 de la lettre 117.
  733. 8. Voyez la Notice, p. 102, 103 ; la note 5 de la lettre 73, et la note 14 de la lettre 137. — Le nom de Mérinville a été imprimé pour la première fois dans l’édition de 1754. Il a été remplacé par des points dans les éditions de 1726, par trois astérisques dans celle de 1734.
  734. 9. Mme de Sévigné avait alors quarante-cinq ans et demi.
  735. 10. La vue de Grignan est belle et étendue ; celle des Rochers est sauvage, et bornée de tous côtés par des bois. (Note de l’édition de 1818.)
  736. 11. Jean du Verger ou du Vergier de Haurane, né à Bayonne en 1581, abbé de Saint-Cyran en 1620, mort en 1643. Compagnon d’études et ami de Jansénius (évéque d’Ypres), il fut le fondateur du jansénisme en France.
  737. 12. Les Instructions chrétiennes tirées par M. Arnauld d’Andilly des deux volumes de lettres de messire Jean du Verger de Haurane, abbé de Saint-Cyran, parurent chez P. le Petit, en 1671. L’achevé d’imprimer est du 5 décembre.
  738. Lettre 193. — 1. Il y avait un marquis de Coëtlogon commissaire du Roi aux états cette année-là. Est-ce René-Hyacinthe, dont la sœur, d’abord fille d’honneur de la Reine, épousa le marquis de Cavoie ; qui était encore gouverneur de Rennes en 1689 et fut compétiteur de Charles de Sévigné à la députation : voyez la Notice, p. 285 ? — Un autre Coëtlogon, Louis, vicomte de Méjusseaume, etc., fut reçu conseiller au parlement de Bretagne en 1623, et eut pour septième fils Alain-Emmanuel, né en 1646, fait maréchal de France quelques jours avant sa mort en 1630, « un des plus braves hommes et des meilleurs hommes de mer qu’il y eût. » Voyez Saint-Simon, tome XIV, p. 107-109. — Enfin un Coëtlogon Méjusseaume, syndic des états de Bretagne, fut exilé par une lettre de cachet en 1718 : voyez encore Saint-Simon, tome XVI, p. 289.
  739. 2. Louis-François du Parc, marquis de Locmaria, devint lieutenant général des armées du Roi. Il mourut en 1709.
  740. 3. L’évêque de Rennes, de 1664 à 1676, fut Charles-François de la Vieuville, fils du premier duc de ce nom, lequel avait été quelque temps surintendant des finances sous Louis XIII, puis sous Mazarin (1651). Le frère de l’évêque fut gouverneur de Philippe d’Orléans (le Régent). — L’évêque de Saint-Malo, de juin 1671 à 1702, fut Sébastien de Guémadeuc, parent des Sévigné, et que la marquise appelait une linotte mitrée. Voyez les lettres des 8 et 15 décembre 1675.
  741. 4. François d’Argouges était, comme nous l’avons dit, premier président du parlement de Rennes, et par suite commissaire du Roi aux états.
  742. 5. Dans les éditions de 1726 : « qui passa pour de l’eau de Forges. » — « Forges (Seine-Inférieure) est renommé pour ses eaux minérales. Il y a toujours pendant l’été un grand concours de François et d’étrangers. On transporte aussi ces eaux, et on prend les eaux de Forges à Paris et ailleurs. » (Dictionnaire de Trévoux.) — Voyez les Mémoires de Mademoiselle, tome II, p. 446 et suivantes, et l'Appendice du tome II, p. 515.
  743. 6. Maison de ville de Mme de Sévigné, située sur le rempart de Vitré : c’était un fief relevant du duc de la Trémouille, baron de Vitré. Une tour des fortifications en dépendait, mais elle a été rasée et il n’en subsiste plus que les premières assises (voyez la lettre du 26 août suivant). Une grande habitation remplaça cette maison vers 1720 ; c’est aujourd’hui l'Hôtel de Sévigné, très-fréquenté des touristes.
  744. 7. Le comte des Chapelles, petit-fils de François de Rosmadec, comte des Chapelles, qui fut condamné à mort et exécuté, avec le comte de Bouteville, en vertu d’un arrêt du 21 juin 1627. Il était frère du marquis de Molac et intimement lié avec Mme de Sévigné.
  745. 8. Frère d’un avocat général au parlement de Rennes. Il paraît avoir eu quelque talent pour la poésie, et avait été reçu l’année précédente à l’Académie française. Il mourut cette année même (le 28 septembre), peu de temps après avoir pris possession de son siège. Les recueils manuscrits du temps contiennent plusieurs pièces qui portent son nom ; d’autres ont été publiées dans le Recueil de Sercy et dans celui de Pellisson et de Mme de la Suze. Dans les papiers de Conrart il y a de lui une description de la fête donnée à Versailles le 18 juillet 1668 et à laquelle Mme de Sévigné assista avec sa fille. — Voyez les lettres des 23, 27 et 30 septembre suivant.
  746. 9. Le vin de Graves, et en général les vins de Bordeaux, étaient peu appréciés au dix-septième siècle. Les vins de Champagne et ceux de Bourgogne (les premiers surtout) étaient les seuls estimés. C’est, dit-on, le maréchal de Richelieu qui mit les vins de Bordeaux à la mode.
  747. 10. Voyez la lettre précédente, p. 315.
  748. Lettre 194 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez les lettres du 2 et du 9 août précédent.
  749. 2. Le commis de la poste dont il a été déjà parlé, qui prenait soin de faire passer promptement en Bretagne les lettres adressées à Mme de Sévigné.
  750. 3. Tous deux lieutenants généraux en Bretagne. — « Les lieutenants généraux étaient chargés… de l’administration des provinces sous l’autorité des gouverneurs… Les lieutenants de Roi étaient des gouverneurs de villes importantes, ordinairement de ports et de forteresses, qui ne relevaient que du Roi. Ils avaient été institués primitivement par défiance contre les gouverneurs dans les deux provinces de Bretagne et de Normandie. » (Dictionnaire historique des institutions de la France, de M. Chéruel.)
  751. 4. Le jour de l’Assomption.
  752. 5. C’est là le texte du manuscrit. Quoiqu’il se comprenne fort bien, on pourrait être tenté de lire, en comparant ce passage à la lettre 195, p. 329 : « ménager ma petite poitrine. »
  753. 6. On lit dans le manuscrit : « que Harlequin, » avec une h aspirée, comme dans ce vers du Passage de Gibraltar de Saint-Amant :

    Tandis que l’autre s’évertue
    À faire ici le Harlequin.

  754. 7. Il y a dans le manuscrit imitation, au lieu d’invention.
  755. 8. Avec la princesse Élisabeth-Charlotte de Bavière, comtesse palatine du Rhin. Voyez la note 4 de la lettre 213.
  756. 9. Anne de Gonzague. Voyez la note 3 de la lettre 213.
  757. 10. Mlle de Grancey passait pour être la maîtresse de Monsieur.
  758. 11. Voyez la note de la lettre du 6 avril 1672.
  759. 12. Henriette d’Angleterre, première femme de Monsieur. — Le chevalier de Perrin a passé tout ce morceau, depuis : On dit qu’elle est belle. Notre manuscrit et l’édition de la Haye donnent le nom propre Grancey ; l’édition de Rouen n’a que l’initiale. Dans celle de la Haye, la dernière phrase est : « Cette Madame ne représentera guère bien celle que nous avons perdue. »
  760. 13. Pascal avoit été sujet à de grands maux de tête.
    (Note de Perrin.)
  761. 14. Dignitaire du chapitre de Saint-Jean de Lyon, frère du mari de Thérèse, sœur du comte de Grignan : voyez la note 5 de la lettre 185 — On appelait chambrier dans quelques églises, et à Lyon chamarier, le chanoine chargé d’administrer les revenus du chapitre.
  762. 15. C’est la leçon du manuscrit et des deux éditions de 1726. Perrin a corrigé la en le.
  763. 16. Nous avons vu dans la lettre 184 que l’abbé la Mousse (car c’est lui que Mme de Sévigné nomme ainsi) avait une fluxion sur les dents.
  764. Lettre 195. — 1. Anne d’Ornano, comtesse d’Harcourt, tante de M. de Grignan. Voyez la note 12 de la lettre 140.
  765. 2. Une note des éditions de 1726 nous apprend ici que, lorsque Mlle de Murinais alla à Rome avec Mme de Chaulnes, « le cardinal Ottoboni prit pour elle tant d’estime que, dès qu’il fut fait pape (en 1689, sous le nom d’Alexandre VIII), il lui écrivit un bref très-obligeant. »
  766. 3. Nous avons suivi le texte de l’édition de la Haye. Dans celle de Rouen, la phrase est construite d’une façon fort irrégulière : « Le Roi a écrit… et après que le gouverneur a lu la lettre aux états, et en avoir demandé la copie… il s’est élevé, etc. »
  767. 4. Le duc de Chaulnes écrivait à Colbert le même jour (19 août 1671) : « J’entrai avant-hier aux états, pour y porter une aussi agréable nouvelle que fut celle de la remise qu’il a plu au Roi de faire de 200 000 liv. de la dernière tenue et de 100 000 liv. pour celle-ci… La fin de mon discours fut suivie d’un Vive le Roi qui résonna longtemps dans toute la salle, d’autant plus que j’assurai en même temps l’assemblée de l’affection du Roi et des marques effectives qu’elle en recevroit toujours dans la conservation de ses priviléges. » Voyez la Correspondance administrative publiée par M. Depping, Paris, 1850, tome I, p. 509.
  768. 5. Dans l’édition de Rouen : « quinze jours. »
  769. 6. Voyez la note 3 de la lettre 174.
  770. 7. Turenne était intimement lié avec Mme de Coetquen. Il lui avait révélé le secret du voyage de Madame Henriette en Angleterre. Par cette indiscrétion, le chevalier de Lorraine, amant de Mme de Coetquen, en avait été instruit, et Monsieur l’avait su, malgré la défense du Roi.
  771. 8. Expression de Nicole. Le traité de la Foiblesse de l’homme commence par ces mots : « L’orgueil est une enflure du cœur par laquelle l’homme s’étend et se grossit en quelque sorte en lui-même… etc. » Essais de morale, tome I, p. 1. La première édition de ce premier volume avait paru à la fin d’avril 1671.
  772. 9. Voyez la note 5 de la lettre 185.
  773. 10. Voyez la note 8 de la lettre 159. — La fausse couche de Livry (4 novembre 1669) avait été causée par la peur qu’éprouva Mme de Grignan en voyant le Chevalier son beau-frère monter un cheval fougueux. Voyez la Notice, p. 110, et la lettre du 6 septembre 1671.
  774. 11. C’est ainsi que Mme de Sévigné nommoit sa petite-fille (Marie-Blanche), qu’elle avoit laissée à Paris en nourrice. (Note de Perrin.)
  775. 12. Sans doute « ce sénéchal de Bennes, qui était si fou, qui a eu tant d’aventures. » Voyez la lettre du 24 juillet 1689.
  776. 13. Voyez la note 6 de la lettre 169.
  777. 14. C’est-à-dire depuis la scène qui avait eu lieu chez Mme de Sévigné au mois de juin 1652, entre le duc de Rohan et le marquis de Tonquedec. Voyez la Notice, p. 58 et suivante.
  778. 15. Voyez la lettre du 2 août 1671, p. 305. — À la ligne suivante, il y a une faute étrange dans l’édition de la Haye : « Quoique son mari fût accoutumé d’être cœur pour lui. » — Le chevalier de Perrin, dans ses deux éditions, ne donne que l’initiale Mme de L***, puis il adoucit ainsi la suite : « Quoique le mari fût accoutumé à sa propre disgrâce, il ne l’étoit pas à celle de son gendre. » Plus loin il a gardé les mots « l’honnête métier, » et s’est montré, contre son ordinaire, moins scrupuleux que l’éditeur de Rouen (1726), qui y a substitué « l’humeur complaisante et même serviable de la mère. »
  779. 16. Charles de Coulanges, seigneur de Saint-Aubin, oncle de Mme de Sévigné, frère de l’abbé de Livry et de Chésières. Voyez la Notice, p. 145.
  780. Lettre 196. — 1. Femme d’un président du parlement d’Aix.
  781. 2. Hémistiche d’un bout-rimé rempli par Mme de Grignan. (Note de Perrin.)
  782. 3. Voyez la note 10 de la lettre précédente.
  783. 4. Le duc de Guise était mort de la petite vérole le 30 juillet précédent.
  784. 5. Femme d’un député aux états. Voyez la lettre 191, p. 309.
  785. 6. Le duc de Chaulnes, comme nous l’avons dit, avait été ambassadeur à Rome.
  786. 7. C’est le texte de 1734. Dans l’édition de 1754 : « de partout sur nos habits. »
  787. 8. Le prince de Marsillac : voyez la note 3 de la lettre 109. Il était bien loin d’avoir le mérite de son père, mais il plaisait à Louis XIV. Il devint dans la suite le favori du Dauphin.
  788. 9. Joseph de Grignan, qui alors portait le nom d’Adhémar (voyez la note 8 de la lettre 132), et était âgé de vingt-sept ans. Mme de Sévigné l’appelle le prince Adhémar par une allusion, plus flatteuse encore qu’ironique, à son grand air, à sa gloire dont elle parle ailleurs. Voyez les lettres du 16 septembre 1671 et du 8 janvier 1672, toutes deux vers la fin.
  789. 10. Il y a Sully dans les deux éditions de Perrin. Mais c’est évidemment Sucy qu’il faut lire (Mme de Sévigné écrivait Sussy). Dans la lettre du 15 mai précédent, elle recommande sa petite-fille à Mme Amelot, propriétaire de Sucy. Voyez la note 2 de la lettre 134.
  790. 11. Mme de la Trousse.
  791. 12. Voyez la note 6 de la lettre 169.
  792. 13. Hercule de Rohan, qui épousa en secondes noces la célèbre Marie de Bretagne, et mourut en 1654, à quatre-vingt-six ans. — Dans les deux éditions de Perrin on ne lit que l’initiale. La phrase est ainsi construite dans l’édition de 1754 : « Après les avoir vus pas plus grands que cela, comme disoit M. de M… de ses enfants. »
  793. Lettre 197. — 1. Ces réparations étaient demandées aux états, parce qu’une tour qui flanquait la maison de Mme de Sévigné et lui avait donné son nom, se trouvait engagée dans les murailles de la ville.
  794. 2. Peut-être l’aînée et la seule mariée des six sœurs du comte de Lannion (mort en 1727, à soixante-quinze ans, lieutenant général des armées et gouverneur de Saint-Malo) : Louise-Renée, fille de Claude, comte de Lannion, gouverneur de Vannes. Elle épousa en 1674 Barthélemy-Hyacinthe-Anne le Sénéchal, marquis de Kercado. —On lit Mlle de Lanion dans les éditions de 1726. Le nom est en blanc dans celle de 1734 ; il n’y a que l’initiale L** dans l’édition de 1754.
  795. 3. Voyez la note 6 de la lettre 191.
  796. 4. Perrin a ajouté : « pour lui répondre. »
  797. 5. Ce membre de phrase n’est pas dans les éditions de 1726, mais seulement dans celles de Perrin.
  798. Lettre 198 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. À cause de la situation de Grignan, dont le château est fort élevé. (Note de Perrin.)
  799. 2. C’est la promenade de Vitré. Elle est plantée de vieux hêtres.
  800. 3. Voyez la note 3 de la lettre 193.
  801. Lettre 199. — 1. Voyez la note 10 de la lettre 152.
  802. 2. Combourg est un ancien château, flanqué de grosses tours, sur la route de Dol à Rennes. C’était la principale habitation de la famille de Chateaubriand, dont plusieurs branches l’avaient possédé par des mariages avec les Coetquen. Voyez le tome I des Mémoires d’Outre-Tombe (1849, 1re édition), particulièrement p. 43 ; 102 et suivantes ; 193 et suivantes ; 266 et suivantes.
  803. 3. Roger de Pardaillan de Gondrin, marquis de Termes, fils d’un frère du marquis de Montespan (César-Auguste, qui fut premier gentilhomme de la chambre de Gaston). Il fut compromis dans l’affaire des poisons et mourut en 1704. Mme de Sévigné paraît avoir, comme Boileau (voyez le Bolæana, 1742, p. 141), goûté sa conversation. Il vint aux Rochers en 1690. Voyez les lettres datées de Vichy le 4 septembre et le 15 octobre 1677, et la lettre du 22 juin 1690. Sur les agréments de sa personne, son esprit, sa belle voix, et sur le mépris où il était tombé à la cour, voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome IV, p. 243 et suivante. Voyez aussi la lettre du 27 décembre 1684.
  804. 4. Elle épousa en 1674 le marquis de Kerman. Voyez la note 3 de la lettre 186.
  805. 5. Voyez la note 7 de la lettre 193.
  806. 6. Perrin a remplacé le pronom il par ce dernier.
  807. 7. Voyez dans la iiie partie des Principes de la philosophie de Descartes, traduits en françois par un de ses amis, la théorie des tourbillons, où ces deux mots (petites parties) se rencontrent presque à chaque page.
  808. 8. Descartes, comme l’on sait, prétendait :

          Que la bête est une machine,
    Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
    Nul sentiment, point d’âme ; en elle tout est corps.
          Telle est la montre qui chemine
    À pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.


    (La Fontaine, livre X, fable 1re.)
  809. Lettre 200. — 1. Voyez la note 10 de la lettre 195.
  810. 2. C’est là le texte de l’édition de 1754, la première qui ait donné le commencement de cette lettre. Il est bien possible que Mme de Sévigné (c’était assez sa coutume) se soit servie d’un chiffre, et qu’on ait lu 7 pour 7e.
  811. 3. — C’est peut-être le père de ce Clermont de Chattes, frère du comte de Roussillon et de l’évéque de Laon, avec lequel la princesse de Conti eut en 1694 une intrigue qui fit grand bruit. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 209 et suivantes, et tome XVII, p. 218.
  812. 4. Walckenaer suppose que c’est vers 1648 que Mme de Sévigné était allée passer quelques jours chez le comte de Montrevel (Ferdinand de la Baulme), à Savigny-sur-Orges, non loin de Montlhéry, entre Lonjumeau et la Seine. Voyez les Mémoires sur Mme de Sévigné, tome I, p. 154 et suivante, et tome II, p. 410. — Dans une lettre à Ménage (tome I, p. 375), nous voyons la comtesse de Montrevel faire visite à son tour à Mme de Sévigné et tomber malade aux Rochers.
  813. 5. Charlotte Seguier. Voyez la note 1 de la lettre 132.
  814. 6. Walckenaer (tome IV, p. 37) cite un fait intéressant rapporté par M. Louis Dubois, sous-préfet de Vitré (Recherches nouvelles sur Mme de Sévigné, p. 70), et explique ainsi ce passage : « Par acte passé le 2 septembre 1671, Mme de Sévigné fit une rente de cent francs aux Bénédictins de Vitré, et hypothéqua cette rente ou pension sur la Tour de Sévigné. Ce don fut sans doute fait en reconnaissance des réparations exécutées aux frais de la province à la grosse tour qui donnait son nom à la maison de Vitré. Voilà pourquoi elle dit : « J’ai fait un pensionnaire. » — C’est possible, mais il se pourrait tout aussi bien qu’il s’agît simplement d’une pension obtenue directement des états pour quelqu’un de ces misérables dont parle ici la marquise.
  815. 7. Allusion à un passage du dialogue de Lucien qui a pour titre : Caron ou le Contemplateur, et que Mme de Sévigné cite ici d’après la traduction de Perrot d’Ablancourt (tome I, p. 191, Paris, 1660) : « Dieux ! qu’est-ce des pauvres mortels ! (s’écrie le nocher des enfers en voyant les vaines agitations des hommes). Rois, lingots, sacrifices, combats, et de Caron (c’est-à-dire de moi), pas un mot !  »
  816. 8. C’était l’Arrêt burlesque de Boileau. pour le maintien de la doctrine d’Aristote : voyez la note 4 de la lettre 204.
  817. Lettre 201 (revue sur une ancienne copie). — 1. C’est-à-dire une petite queue, un petit reste. — Le chevalier de Perrin a remplacé ce mot par un petit reste des états.
  818. 2. Il était, comme nous l’avons dit, lieutenant général aux huit évêchés de Bretagne : voyez la note 5 de la lettre 158.
  819. 3. Sans doute François, abbé des Relecqs (dans le diocèse de Saint-Pol-de-Léon), et grand doyen de Verdun, mort en 1691 à soixante-quinze ans. Il était fils de Manassès de Pas, marquis de Feuquières (mort à Thionville en 1640), et d’Anne Arnauld de Corbeville (cousine germaine d’Arnauld d’Andilly), et oncle d’Antoine de Pas, marquis de Feuquières, auteur des Mémoires sur le guerre.
  820. 4. Ces mots sont ainsi détachés dans le manuscrit, et disposés comme deux vers.
  821. 5. Voyez la note 7 de la lettre 193.
  822. 6. On lit dans le manuscrit : « Il seroit difficile. que cette occupation eût moins où vous êtes. » Il y a sans doute un mot passé. Nous nous sommes conformé à l’édition de 1764, la première où cette lettre ait paru.
  823. 7. Plutôt mourir en présence (de l’objet aimé) que mourir en (son) absence. — À ce texte espagnol, que nous donnons d’après le manuscrit, le chevalier de Perrin a substitué une phrase italienne : Meglio morir in presenza che viver in assenza.
  824. 8. Perrin a remplacé caractère par écriture.
  825. 9. Dans l’édition de 1754 : « Mais des reproches à une tigresse, c’est des marguerites devant des pourceaux. »
  826. 10. La fin est toute différente dans l’édition de 1754 : « Il a été reçu avec toute la politesse imaginable, et une collation très-propre et très-galante qu’on a fait trouver dans le bois ; après quoi, nous l’avons vu partir, entouré de quantité de gardes : ainsi finit l’histoire, et la lettre en même temps, si vous l’avez pour agréable ; aussi bien ne puis-je sortir de l’humeur triste et sérieuse où me jette le souvenir de vous avoir vue dans ce même lieu. »
  827. 11. Perrin a suppléé l’ellipse : « ou, pour mieux dire, nous avions affaire ici. »
  828. Lettre 202 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez plus haut, p. 320, 324, 346.
  829. 2. Le Médecin malgré lui (acte II, scène VI). Perrin n’a pas trouvé la citation assez exacte et a tenu à rétablir le vrai texte de Molière : « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. »
  830. 3. Il était trésorier des états de Bretagne.
  831. 4. Lyonne, comme nous l’avons dit, était mort le 1er septembre.
  832. 5. « Lyonne étant mort, dit le Roi dans la lettre qu’il écrivit le 5 septembre à Pompone, je veux que vous remplissiez sa place ; mais comme il faut donner quelque récompense à son fils, qui a la survivance, et que le prix que j’ai réglé monte à 800 mille livres, dont j’en donne 300 mille par le moyen d’une charge qui vaque (celle de premier écuyer de la grande écurie), il faut que vous trouviez le reste. Mais pour y apporter de la facilité, je vous donne un brevet de retenue des 500 mille livres que vous devez fournir, en attendant que je trouve dans quelques années le moyen de vous donner de quoi vous tirer de l’embarras où mettent beaucoup de dettes. » Voyez le volume des Mémoires de Coulanges, p. 434. — Ce brevet de retenue ne faisait point remise à Pompone d’une partie du prix de la charge ; mais il l’autorisait, lui ou ses héritiers, à exiger plus tard de son successeur une somme égale à celle qu’il fournissait lui-même : c’était une sorte de gage qui apportait de la facilité à l’emprunt que Pompone fut sans doute obligé de faire.
  833. 6. Dans le manuscrit : « en fait l’office. »
  834. 7. Il ne faut pas prendre à la lettre ce qu’écrit ici Mme de Sévigné ; elle n’avait pas lu ce livre, dont il n’existait encore qu’un petit nombre d’exemplaires distribués aux évêques de France. L’édition qui tut rendue publique ne parut qu’à la fin de 1671. Elle a pour titre : Exposition de la doctrine de l’Église catholique sur les matières de controverse, par messire Jacques-Bénigne Bossuet, conseiller du Roi en ses conseils, évêque et seigneur de Condom, précepteur de monseigneur le Dauphin, à Paris, chez Sébastien Mabre-Cramoisy. L’achevé d’imprimer pour la première fois est du 1er décembre 1671. Mme de Sévigné est ici l’écho des bruits que les protestants répandaient sur cet ouvrage. Il avait été composé pour convertir Turenne. Bientôt des copies le multiplièrent. Les ministres de la réforme prétendirent qu’il ne contenait pas la doctrine reconnue par l’Église romaine ; que Bossuet y faisait des concessions qui ne seraient pas accordées, et modifiait les principes de Rome pour mieux défendre sa cause. Bossuet répondit à ces inculpations en faisant imprimer son livre. L’Exposition fut traduite dans toutes les langues ; elle reçut du pape une solennelle approbation dans deux brefs adressés à Bossuet ; les évêques et les cardinaux l’approuvèrent également, et depuis elle a été regardée comme l’expression fidèle des sentiments de l’Église sur les matières controversées.
  835. 8. Voyez la note 12 de la lettre 192.
  836. Lettre 203 (revue sur une ancienne copie). — 1. C’est-à-dire de l’abbé de Montfaucon de Villars. Il était d’une famille noble de Languedoc, à laquelle appartenait le savant bénédictin Bernard de Montfaucon. Il mourut assassiné, à l’âge d’environ trente-cinq ans, vers la fin de 1673. Sa critique parut en 1671 ; elle irrita fort Racine (voyez la préface de Bérénice) ; elle a été réimprimée en 1740 dans un Recueil de dissertations sur Corneille et Racine publié par l’abbé Granet. Cet abbé de Villars est connu principalement par l’ouvrage qu’il avait publié l’année précédente : Le comte de Gabalis, ou Entretiens sur les sciences secrètes, avec une seconde partie intitulée : Les Génies assistants et les Gnomes irréconciliables.
  837. 2. Dans les éditions de 1726 et de 1734, ce morceau, depuis : « Je voulus hier prendre, » etc., forme le commencement de la lettre du 7 octobre 1671. L’édition de 1754 le place ici, de même que l’ancienne copie que nous suivons.
  838. 3. Dans l’édition de 1754 : « Vous ne me parlez que des figues. »
  839. 4. Une des femmes de Mme de Grignan, déjà nommée à la fin de la lettre 133 : voyez plus haut, tome II, p. 61.
  840. 5. Voyez la note 8 de la lettre 132.
  841. Lettre 204. — 1. Voyez la note 11, et plus haut la lettre 181, p. 267. Dans les éditions de 1726, il y a Beon au lieu de Buous.
  842. 2. Parmi les opinions condamnées par l’Église dans les œuvres d’Origène, une des principales (qu’elle soit de lui ou qu’il faille l’imputer aux hérétiques qui ont, dit-on, altéré ses écrits) est la négation de l’éternité des peines.
  843. 3. Perrin a remplacé ces derniers mots : « à moins que d’un ordre du Roi ou de la sainte Écriture, » par ceux-ci : « à moins que la soumission n’arrive au secours. »
  844. 4. Avec sa lettre du 6 septembre, Mme de Sévigné avait envoyé à sa fille l’Arrêt burlesque de Boileau pour le maintien de la doctrine d’Aristote. On voit ici que dans cet envoi l’arrêt était accompagné de la requête à laquelle il sert de réponse. Brossette, dans ses Commentaires sur Boileau (tome III, p. 402, Amsterdam, 1772), croyait, sur l’autorité d’un manuscrit, que l’arrêt burlesque avait été composé le 12 août 1671. Ces deux lettres de septembre confirmeraient cette opinion. Il existe de l’arrêt précédé de la requête une édition de la Haye de 1671, et il y est dit qu’elle a été faite sur la copie imprimée à Paris. Cette impression de Paris est sans doute de la fin d’août ou du commencement de septembre, à moins qu’on ne suppose que Mme de Sévigné avait envoyé à sa fille une copie manuscrite.
  845. 5. Intender per discrezione, c’est deviner, comprendre par discernement, par conjecture : conjectura augurari, comme dit le Dictionnaire de la Crusca.
  846. 6. L’abbé la Mousse était cartésien : voyez la Notice, p. 90 et suivante.
  847. 7. Lambesc, petite ville de Provence, où se tenaient les états de la province (à quatre lieues et demie au nord-ouest d’Aix).
  848. 8. C’est-à-dire à la petite chienne de Mme de Sévigné, qui, selon Descartes (dont l’évêque de Léon était un disciple très-fervent), n’étoit qu’une machine. (Note de Perrin.)
  849. 9. Le passage qui suit jusqu’à la fin de l’alinéa ne se trouve que dans les éditions de 1726. On a supprimé avec soin, dans celles de 1734 et de 1754, les traces des mésintelligences qui ont pu exister entre la mère et la fille. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.
  850. 10. C’est-à-dire de cet évêque de Carpentras (personnage « fort ennuyeux, » dit une note de Perrin). C’était Gaspard de Vintimille, évêque depuis 1662, mort le 6 décembre 1684.
  851. 11. Dans son édition de 1754, Perrin ajoute entre parenthèses de Buous. — Marguerite, sœur du père du comte de Grignan, épousa en 1630 Ange de Pontevez, marquis de Buous. Le marquis de Buous (qui fut nommé procureur-joint pour la noblesse en 1673), et le chevalier, capitaine de vaisseau, étaient sans doute leurs fils, et la marquise de Montfuron leur fille. Voyez la première des lettres écrites de Marseille à la fin de 1672, et les lettres des 27 novembre et 22 décembre 1673 ; voyez aussi Walckenaer, tome V, p. 400, 402, et 50, 21, 24.
  852. 12. Voyez la note 4 de la lettre suivante.
  853. Lettre 205 (revue sur une ancienne copie). — 1. Au parlement de Rennes.
  854. 2. Virgile, Énéide, liv. Ier, v. 135. Ces deux mots d’une menace que Neptune n’achève pas font disparaître les vents qui, sans son ordre, ont excité une tempête.
  855. 3. Voyez plus haut, p. 329.
  856. 4. Le Roi ayant déclaré le 6 septembre qu’il choisissait Pompone pour secrétaire d’État, quelques courtisans dirent que M. d’Andilly ne manquerait sans doute pas de venir rendre grâce au Roi. Louis XIV dit qu’il le croyait. Il fallut cette espèce d’ordre pour ramener d’Andilly à la cour après une absence de vingt-six ans. Voyez à la suite des Mémoires de Coulanges (p. 436-444) la relation originale écrite par Arnauld d’Andilly de la visite qu’il fit à Versailles le 10 septembre.
  857. 5. Voyez la note 6 de la lettre 129.
  858. Lettre 206. — 1. Dans l’édition de Rouen (1726) : « vous vous détruisez l’esprit. »
  859. 2. Voyez la note 5 de la lettre 185.
  860. 3. Forbin d’Oppède, qui mourut au mois de novembre suivant.
  861. 4. Arnauld d’Aiidilly, père de Pompone.
  862. 5. On a vu que Pompone avait partagé jusqu’à un certain degré la disgrâce de Foucquet. Les discussions relatives au formulaire contribuèrent à mettre mal en cour Arnauld d’Andilly et sa famille.
  863. 6. Le maréchal de Gramont, père du comte de Guiche.
  864. 7. Le comte de Guiche et le marquis de Vardes avaient été exilés presque en même temps ; mais l’exil de ce dernier ne finit qu’en 1683. Voyez la note 3 de la lettre 143, et sur le comte de Guiche la note 8 de la lettre du 14 octobre 1671.
  865. 8. L’évêque de Saint-Pol-de-Léon. Voyez la note 8 de la lettre 193.
  866. 9. De Port-Royal. — Au propre on trouve le mot lumineux dès le commencement du seizième siècle ; c’est sans doute cet emploi figuré que Mme de Sévigné attribue à ses amis de Port-Royal. Le Dictionnaire de Furetière et celui de l’Académie de 1694 ne donnent encore que des exemples du sens propre.
  867. Lettre 207 (revue sur une ancienne copie). — 1. De l’évêque de Léon.
  868. 2. Oh ! que je (l’) espère !
  869. 3. Ce traité, qui est le quatrième dans la première édition, de 1671, et non le troisième, comme le dit Mme de Sévigné, est l’un des plus beaux de Nicole. Le témoignage de Voltaire n’est pas suspect : il l’appelle un chef-d’œuvre, auquel on ne trouve rien d’égal en ce genre dans l’antiquité. Voyez le Siècle de Louis XIV (Catalogue des écrivains).
  870. 4. Voyez la note 8 de la lettre du 14 octobre 1671.
  871. 5. Dans les éditions : « un amas de poussière qui se meut avec violence. » — Voyez les Principes de la philosophie de Descartes, IIIe partie, chap. xxi, xxii, lxxii.
  872. 6. Voyez la note 7 de la lettre 199.
  873. Lettre 208. — 1. Voyez la note 11 de la lettre 166.
  874. 2. À l’église des pères de la Merci, rue du Chaume. Elle a été abattue depuis la Révolution ; il en existe encore quelques ruines.
  875. 3. Voyez la lettre de l’abbé de Coulanges à M. Prat (tome II, p. 43), et la Notice, p. 107, 131 et 132, 242, 244, 268, 289, 290.
  876. 4. Voyez la note 8 de la lettre du 14 octobre 1671.
  877. 5. Le comte de Grignan.
  878. Lettre 209 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 2 de la lettre 203.
  879. 2. Dans l’édition de Rouen (1726), on lit Amen, au lieu d’Adieu.
  880. 3. Voyez la dernière note de la lettre du 21 juin précédent.
  881. 4. J’ai remis mon cœur entre vos mains ; il ne tiendra qu’à vous de vous faire aimer autant qu’il vous plaira. — Cette phrase italienne se lit dans l’édition de la Haye ; elle manque dans le manuscrit.
  882. Lettre 210. — 1. Voyez la note 2 de la lettre 200.
  883. 2. Il y a une ancienne maison établie à Salon, qui porte le nom de Grignan. (Note de Perrin, 1734.) — Dans l’édition de 1754, la note est ainsi modifiée : « Ils étoient d’une maison ancienne. dont le nom étoit… » ce qui semblerait indiquer que, depuis 1734, cette famille s’était éteinte. On nous assure qu’elle existe encore et porte le nom de Grignan de Grignan.
  884. 3. « Pour guérir les piqûres des scorpions, il faut, dit le Dictionnaire de Trévoux, les écraser sur la plaie, et on y applique aussi de l’huile où l’on a fait mourir des scorpions. »
  885. 4. Il était abbé de Saint-Georges-sur-Loire, près d’Angers.
  886. Lettre 211. — 1. C’est de lui qu’on disoit les d’Hacqueville, parce qu’il étoit partout. (Note de Perrin, 1734.) — Dans l’édition de 1754, la fin de la note est ainsi modifiée : « parce qu’il étoit d’un caractère si officieux, qu’il se reproduisoit en quelque sorte pour le service de ses amis. » — Voyez la Notice, p. 113, et la note 5 de la lettre 131.
  887. 2. L’ami de Fénelon, du duc de Beauvillier et de Saint-Simon, celui à qui Racine a dédié Britannicus : Charles-Honoré d’Albert, duc de Chevreuse (1667) et de Luynes (1688), fils du duc de Luynes (voyez la note 8 de la lettre 27) et de sa première femme Marie-Louise Seguier, marquise d’O. Sa grand’mère la duchesse de Chevreuse l’avait marié (3 février 1667) avec Jeanne-Marie-Thérèse Colbert (fille aînée du ministre, sœur de la duchesse de Beauvillier alors encore appelée comtesse de Saint-Aignan, et de la future duchesse de Mortemart), qui devint dame du palais de la Reine. Il mourut à soixante-sept ans le 5 novembre 1712, et sa femme en 1762, âgée de près de quatre-vingt-deux ans. Il avait recueilli et transmis à l’un de ses fils l’héritage du duc de Chaulnes, son oncle (à la mode de Bretagne). Voyez sur le duc et la duchesse de Chevreuse, Saint-Simon, tome X, p. 266 et suivantes.
  888. 3. L’aîné des enfants du prince de Monaco était Antoine, né le 27 janvier 1661, et qui épousa en 1688 la fille du comte d’Armagnac. Son autre fils, Honoré-Francois, qui devint archevêque de Besançon, était né le 31 décembre 1669.
  889. 4. Sans doute Constance-Françoise, demoiselle de Clisson, l’une des huit filles de Claude de Bretagne, comte de Vertus ; sœur puînée de la duchesse de Monthazon et de Mlle de Vertus. Elle mourut à Paris le 19 décembre 1695, à soixante-dix-huit ans. « Vous ne verrez rien à Paris, écrit le P. Rapin à Bussy le 1er octobre 1673, qui égale son mérite pour le cœur et pour l’esprit, auquel sa grande dévotion n’ôte aucun agrément, et vous lui trouverez un certain air naturel qui est son caractère, et qui vous plaira d’autant plus que c’est le vôtre. » — Il y avait une Mlle de Clisson chez Madame en 1686 (voyez la lettre de du Breuil à Bussy, du 5 février 1686). Est-ce la même que celle dont-nous venons de parler et qui mourut à soixante-dix-huit ans en 1695 ?
  890. 5. Mère, dans ce sens, n’a guère d’usage, dit le Dictionnaire de l’Académie de 1694, que dans ces phrases : mal de mère, vapeurs de mère (que Furetière traduit par fumées de la matrice).
  891. 6. À l’abbaye de Fontevrault. Voyez la note 11 de la lettre 132.
  892. 7. La casa, la maison. Sur l’hôtel de Richelieu, voyez la note 18 de la lettre 131.
  893. 8. Le comte de Guiche et le comte de Louvigny, fils du maréchal de Gramont, frères de Mme de Monaco. — Armand de Gramont et de Toulongeon, comte de Guiche, si célèbre par « ses galantes folies », était né en 1638, et mourut à Kreuznach, lieutenant général des armées, le 29 novembre 1673. Il avait épousé, le 23 janvier 1658, Marguerite-Louise-Suzanne de Béthune Sully : voyez la note 1 de la lettre 132 ; voyez aussi sur lui les lettres du 27 septembre 1671, des 15 janvier, 16 mars (à la fin), 29 avril, 3 juillet 1672, et surtout du 8 décembre 1673. Il a laissé des mémoires publiés en 1744, et où il n’y a, dit M. Walckenaer (tome V, p. 413), nulle trace de cet esprit guindé et sophistiqué dont parle Mme de Sévigné (voyez les lettres 238 et 2.57). — Antoine-Charles, alors comte de Louvigny, et, à la mort de son aîné et de son père, successivement comte de Guiche et duc de Gramont (1678), fut ambassadeur en Espagne en 1704, et mourut à près de quatre-vingts ans en 1720. Il avait épousé en 1668 Marie-Charlotte de Castelnau, fille du maréchal de ce nom (morte en 1694, à quarante-six ans). Sur lui et son ambassade, sur sa seconde femme, voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome IV, p. 270 et suivantes. Il a rédigé les Mémoires du maréchal de Gramont, son père. Il laissa un fils qui devint aussi maréchal en 1724.
  894. 9. De colonel des gardes françaises. Le maréchal prit le parti de la vendre, le Roi ayant défendu que le comte de Guiche, qui en avait la survivance, l’exerçât, et celui-ci ne voulant pas l’abandonner à son frère. Voyez les Mémoires du maréchal de Gramont, tome LVII, p. 93.
  895. 10. Dans la lettre 166, p. 211, Mme de Sévigné a déjà cité, en l’altérant comme ici, ce vers de la Jérusalem délivrée. Dans la Jérusalem conquise (chant XXIV, stance xxx), le Tasse a légèrement modifié, non la pensée, mais l’expression :
              Bello in si bella vista è il grande orrore,
              Ed esce dal tirnor nuovo diletto.
  896. Lettre 212. — 1. Mme de la Trousse.
  897. 2. Mme de Sévigné fait allusion, comme on va le voir, à une histoire que lui avait contée sa fille, et à une croyance populaire qui semait les campagnes de farfadets et de petits nains tout noirs, appelés teus ou korigans ; ceux-ci hantaient les lieux déserts et les pierres druidiques autour desquelles ils exécutaient leurs danses nocturnes. C’étaient autant de sorciers qui faisaient aux humains les plus méchants tours, et les transportaient d’un lieu à l’autre avec la rapidité de l’éclair. Émile Souvestre, dans le Foyer breton, raconte ces légendes et superstitions bretonnes. — Voyez aussi la lettre suivante.
  898. Lettre 213 (revue sur une ancienne copie). — 1. Cette lettre est ainsi datée dans le manuscrit, de même que dans l’édition de 1754. Celle de 1734, où le premier aliinéa manque, et les éditions de 1720 la datent du 4 novembre.
  899. 2. Cette dame Moreau avait gardé Mme de Grignan pendant sa première couche. Voyez la lettre du 11 novembre suivant, p. 410.
  900. 3. Anne de Gonzague, née en 1616, morte en 1684 ; seconde fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Réthel, puis de Mantoue et de Montferrat, et de Catherine de Lorraine ; veuve depuis 1663 du prince Édouard, palatin, l’un des fils de Frédéric V (duc de Bavière, élu roi de Bohême) et d’Élisabeth, sœur de Charles Ier d’Angleterre. Elle était mère de la princesse de Salm, de Madame la Duchesse, et de la duchesse de Hanovre.
  901. 4. Élisabeth-Charlotte de Bavière, née en 1662, morte en 1722 ; fille de Charles-Louis Ier, duc de Bavière, palatin du Rhin, huitième électeur en 1648, mort en 1680, et de Charlotte de Hesse-Cassel, morte en 1686. Son père était frère aîné du mari de la Palatine, et sa mère sœur de la princesse de Tarente. Sur cette bonne princesse, d’un esprit si original, et que Mme de Sévigné trouvait « d’une sincérité charmante, » voyez les lettres du 2 décembre 1671, du 6 janvier 1672, du 19 juillet 1675, du 7 juillet et du 18 septembre 1680, et Saint-Simon, tome XIX, p. 428. — Des extraits de sa volumineuse correspondance, traduits en français, ont été publiés d’abord en 1788, un an avant l’édition allemande, sous le titre de Fragments de lettres originales, puis en 1807, sous celui de Mélanges historiques, anecdotiques et critiques sur la fin du règne de Louis XIV, etc. En 1843, M. W. Menzel a fait paraître d’autres fragments à Stuttgart, et M. G. Brunet a récemment (1857) donné une traduction nouvelle et annotée de tous ces morceaux, qui composent ce qu’on appelle encore quelquefois les Mémoires de Madame.
  902. 5. Le vainqueur de Turenne à Rétliel, César de Choiseul, comte du Plessis Praslin, maréchal en 1645, due de Choiseul en 1665, mort à soixante-dix-huit ans, en décembre 1675. Il avait épousé en 1625 Colombe le Charron, qui devint première dame d’honneur de la nouvelle duchesse d’Orléans, et mourut au même âge que son mari en janvier 1681. Voyez les lettres du 8 avril et du 22 juin 1672.
  903. 6. Nous avons suivi le texte du manuscrit. Dans les éditions de 1726, 1734 et 1754, cette fin de phrase est ainsi : « J’ai encore un petit reste de bel air qui me rend précieuse, et qui fait (dans l’édition de la Haye ce qui fait) que je me lasse aisément. » — Voyez la Notice, p. 39.
  904. 7. Voyez la lettre de Bussy du 19 mars 1672.
  905. 8. C’est-à-dire (et Perrin a ainsi modifié cet endroit) qu’il ne me dirait rien de ce mariage.
  906. 9. Voyez la note 7 de la lettre 115.
  907. 10. Voyez la lettre précédente, p. 390 et suivante.
  908. 11. Des faiseurs de gazettes, des donneurs de sottes nouvelles, dont elle vient de parler. Voyez la note 5 de la lettre 30.
  909. 12. Ce sobriquet désigne probablement Charles Colbert, marquis de Croissy, le successeur de Pompone (1679). Ce qu’en dit Mme de Sévigné dans la lettre du 29 décembre 1675 s’accorde très-bien avec ce qu’en dit Saint-Simon (tome I, p. 346) : « C’étoit un homme d’un esprit sage, mais médiocre, qu’il réparoit par beaucoup d’application et de sens, et qu’il gâtoit par l’humeur et la brutalité naturelle de sa famille. » — Il était bien alors ambassadeur (en Angleterre ; il vint d’Angleterre à Dunkerque pendant le séjour de la cour en mai 1671 : Mémoires de Mademoiselle, tome IV, p. 281). Il semble, par cette même lettre du 29 décembre 1675, qu’il avait été l’objet des plaisanteries de Mlle de Sévigné : ne serait-ce pas l’explication de je m’en prends à vous ?
  910. Lettre 214. — 1. C’était, comme nous l’avons dit, le chevalier de Malte, Charles-Philippe, qu’on distinguait alors, dans sa famille, par le nom de chevalier de Grignan, et son frère Joseph, le nouveau mestre de camp, par celui d’Adhémar. On pourrait conclure d’une note de l’édition de 1734, à la lettre 219 (voyez p. 414, note 1), et d’un changement que Perrin, dans cette même édition, avait introduit dans le texte de la lettre 216 (voyez p. 405, note 7), qu’il avait cru d’abord que les deux frères avaient tous deux, dans le même temps, porté le nom de chevalier de Grignan. Dans l’édition de 1754, Perrin, mieux informé sans doute, après une lecture plus attentive des lettres mêmes de Mme de Sévigné, a rétabli le vrai texte de la lettre 216, et supprimé la note de la lettre 219.
  911. 2. Allusion à une plaisanterie de Molière, dans le Médecin malgré lui (acte II, scène III). Sganarelle cite, non Aristote, mais Hippocrate.
  912. 3. Pour éclaircir cet endroit, Grouvelle a imprimé : « mais en tout, je vous assure, etc. », et les éditeurs suivants ont adopté ce changement.
  913. 4. Elle entend par nos petits amis son fils et la Mousse : voyez la lettre du 28 juin 1671. Nous n’avons pas besoin de dire que c’est de la Mousse qu’il s’agit ici.
  914. lettre 215 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Terme dogmatique : action de deux qualités contraires, dont l’une augmente la force de l’autre. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  915. 2. Ce petit membre de phrase (voilà un grand mot), qui se lit dans les deux éditions de Perrin, manque dans celle de la Haye, la seule de 1726 qui donne ce commencement de la lettre (jusqu’à : je ne sais pas, ma bonne).
  916. 3. Dans l’édition de la Haye on lit le nom tout entier ; celles de Rouen (1726) et de Perrin ne donnent que l’initiale. — Marie de Hautefort, veuve de Charles de Senneterre, marquis de Châteauneuf, etc., « étrangement remariée (en 1669), dit Saint-Simon, à (Guillaume de) Maupeou, président à mortier au parlement de Metz, » eut de grands démêlés avec son fils, qui poursuivait contre elle la répétition de sommes considérables. Le président entra dans tous les ressentiments de la mère. Un guet-apens fut pratiqué dans une maison sur la place de Privas, et le mardi 13 octobre 1671, comme le marquis rentrait chez lui, sur les quatre heures du soir, il fut frappé de sept balles, blessé grièvement, et mourut le 25 du même mois. On instruisit le procès contre Maupeou, le chevalier de Senneterre et leurs complices. La mère ne fut pas poursuivie, apparemment faute de preuves ; mais elle fut fort soupçonnée de l’assassinat, dit encore Saint-Simon (tome XI, p. 234 et suivante), « et son second fils le chevalier de Saint-Nectaire (Senneterre) d’y avoir eu tant de part, qu’il en fut plus de vingt-cinq ans en prison et n’en sortit que par un accommodement. » Maupeou fut banni à perpétuité, et plusieurs de ses complices punis de mort. Voyez le Maupeouana, 1775, in-12, tome I, p. 309-316.
  917. 4. Voyez la note 6 de la lettre 169.
  918. 5. Marie-Anne Bertrand de la Bazinière n’épousa point l’abbé d’Effiat, comme le bruit en avoit couru ; elle se maria depuis avec le comte de Nancré. (Note de Perrin.) — L’abbé d’Effiat se disait en plaisantant le mari de Mme de Sévigné. Voyez la note 5 de la lettre 55, et les lettres du 14 septembre 1675 et du 4 août 1677.
  919. 6. Allusion à la plaisante méprise racontée dans la lettre du 19 août précédent, p. 328.
  920. 7. J’ai retrouvé cette petite pièce de Saint-Pavin dans un manuscrit du temps (dans un manuscrit de Conrart). Elle n’a jamais été imprimée, on n’en connaissait que les deux vers que cite Mme de Sévigné. La voici entière :

         Seigneur, que vos bontés sont grandes
         De nous écouter de si haut !
         On vous fait diverses demandes :
         Seul vous savez ce qu’il nous faut.
         Je suis honteux de mes foiblesses :
         Pour les honneurs, pour les richesses,
         Je vous importunai jadis ;
         J’y renonce, je le proteste :
         Multipliez les vendredis,
         Je vous quitte de tout le reste.



    (Note de l’édition de 1818.)

    M. Paulin Paris a publié depuis (en 1860) toutes les pièces de Saint-Pavin, dans le tome IX des Historiettes de Tallemant des Réaux. — Voyez la Notice, p. 27 et suivante.

  921. 8. C’est-à-dire appliquez, Madame, comme Mme de Sévigné dit elle-même dans la lettre du 15 janvier suivant.
  922. 9. Henri Arnauld, frère du grand Arnauld et d’Arnauldd’Andilly, né en 1597, évêque d’Angers de 1650 à 1692. Il avait été nommé en 1637 évêque de Toul, mais ne fut pas reconnu par le pape. — « Cet Henri Arnauld, d’abord nommé M. de Trie, puis abbé de Saint-Nicolas (d’Angers), le cadet de M. d’Andilly… resta longtemps engagé dans les affaires du monde, tout ecclésiastique qu’il était. Jeune, il avait accompagné le cardinal de Bentivoglio à Rome ; il y retourna au commencement de 1646, comme chargé d’affaires au nom du Roi ; il y fit preuve d’habileté… On a ses Négociations… publiées par son petit-neveu l’abbé de Pompone… En France, le prix de ses services fut l’évêché d’Angers : sa sainteté ne date que d’alors… » (M. Sainte-Beuve, Port-Royal, tome I, p. 390, note 1.)
  923. 10. Voyez la lettre 210, p. 385.
  924. Lettre 216. — 1. Cette lettre est datée du dimanche 8 novembre dans l’édition de 1734, et du 1er dans celle de 1754. Dans cette dernière, elle commence ainsi : « Si cette première lettre de Coulanges que j’ai perdue… »
  925. 2. Dans l’édition de 1754 — « à consentir que Coulanges s’en aille demain, plutôt qu’à demeurer avec vous toute sa vie. »
  926. 3. C’est ainsi qu’on nomme à Lambesc les deux figures qui frappent les heures à l’horloge du beffroi de cette ville. (Note de Perrin.)
  927. 4. Voyez la lettre du 21 juin précédent, p. 249.
  928. 5. M. de Forbin d’Oppède ; il mourut le 14 novembre.
  929. 6. Voyez dans le tome I des Essais de morale, le traité de la Soumission à la volonté de Dieu.
  930. 7. Dans l’édition de 1734 on lit : « en son absence ; » et à la ligne précédente chevalier de Grignan, au lieu d’Adhémar. Voyez la note 1 de la lettre 214.
  931. 8. Dans l’édition de 1754 : M. Nicole, au lieu de ce beau livre ; et cinq lignes plus bas votre neuf, au lieu de votre neuvième (voyez la note 2 de la lettre 200).
  932. Lettre 217. — 1. Il s’agit encore de la fausse couche de Mme de Grignan, arrivée à Livry le 4 novembre 1669.
  933. 2. Phrase omise dans l’édition de 1754.
  934. 3. Voyez plusieurs chapitres de la seconde partie du traité de Nicole qui a pour titre : des Moyens de conserver la paix avec les hommes.
  935. 4. « Il nous met à si haut prix. » (Édition de 1754.)
  936. 5. C’est-à-dire « sur ce que le prochain pense de nous. » Dans son édition de 1754, le chevalier de Perrin a ainsi modifié cet endroit : « sur ce que le monde pense de nous. »
  937. 6. Au chapitre v de la seconde partie du traité cité plus haut : « La facilité qu’ils ont à parler donne un certain éclat à leurs pensées, quoique fausses, qui les éblouit eux-mêmes. »
  938. 7. « Qui élèvent la charpente de ma chapelle. » (Édition de 1734.)
  939. 8. Rabelais. Voyez, au chapitre xviii du livre IV du Pantagruel, le commencement des lamentations de Panurge pendant la tempête : « Ô que trois et quatre fois heureux sont ceux qui plantent choux ! … Car ils ont toujours en terre un pied : l’autre n’en est pas loin. »
  940. 9. De colonel des gardes françaises. Voyez les notes 8 et 9 de la lettre 211.
  941. 10. François d’Aubusson, duc de la Feuillade, depuis maréchal de France (1675), succéda au maréchal de Gramont, et fut installé par le Roi, le 4 janvier 1672 : voyez la lettre du 5 janvier.
  942. 11. Jusqu’à la mort. — C’est le mot d’une devise espagnole rapportée par le P. Bouhours, dans le VIe entretien d’Ariste et d’Eugène intitulé les Devises (p. 473 de la 3e édition, de 1671). Mme de Sévigné avait peut-être parcouru ce livre, dont la première édition est de janvier 1671.
  943. 12. M. le coadjuteur d’Arles. Il avait été sacré évêque de Claudiopolis, le 11 décembre 1667. Voyez la note 4 de la lettre 115.
  944. Lettre 218. — 1. Dans l’édition de 1754, la première qui donne cette lettre, il n’y a que l’initiale. Grouvelle, et, d’après lui, les éditeurs suivants, ont imprimé la Marans.
  945. 2. Elle se nommait de Moresant et était, dit la Fare, fille d’un apothicaire. Elie du Fresnoi, son mari, était premier commis de Louvois, et le devint de Barbezieux. Elle fut maîtresse de Louvois, qui fit créer pour elle en 1673 la charge de dame du lit de la Reine : voyez les Mémoires de la Fare, tome LXV, p. 224. Sa fille épousa en 1680 Jean d’Alègre, marquis de Beauvoir, dont elle eut aussi une fille, mariée en 1710 au célèbre comte de Boulainvilliers.
  946. 3. Voyez les notes 2 et 15 de la lettre 188.
  947. 4. Il y a dans l’épître de Marot au Roi, pour avoir été dérobé

    Ce monsieur-là, Sire, c’étoit moi-même.

  948. 5. Mme de Sévigné avait de cette devise un souvenir confus. Il est en effet vraisemblable qu’elle avait vu, au carrousel donné par Louis XIV, le 5 juin 1662, la devise du comte d’Illiers, qui ne diffère que par une nuance de celle qu’elle indique ici. Ce seigneur, de l’ancienne maison d’Entragues, avait fait peindre sur ses armes une fusée s’élevant dans les airs, avec ces mots : Poco duri, pur che m’inalzi ; « que je dure peu, pourvu que je m’élève. » Mme de Sévigné avait sans doute conduit sa fille à ces fêtes magnifiques qui attirèrent toute l’Europe, et qui ont donné leur nom à la place du Carrousel. Les descriptions en étaient d’ailleurs très-répandues, et elle avait pu parcourir le beau livre sorti des presses de l’Imprimerie royale (en 1670), qui nous en a fait connaître les détails. — Cette devise se trouve aussi dans le livre du P. Bouhours, p. 490. Voyez la note 10 de la lettre précédente.
  949. 6. De mon ardeur ma hardiesse. C’est ainsi que cette devise, qui était celle du maréchal de Bassompierre, et qui signifie littéralement de l’ardeur (naît) l’oser, est traduite par le P. Bouhours, qui la discute longuement (p. 413 et suivantes). Elle se trouve, avec une fusée en l’air, dans le Recueil du carrousel de 1612 (le Camp de la place Royale), publié par Porchère Laugier : voyez Tallemant des Réaux, tome IV, p. 322.
  950. 7. Jérusalem délivrée, chant II, stance XLVI. — C’est Clorinde qui dit ces mots :

    Son pronta. ad ogni impresa :
    L’alte non temo, et l’umili non sdegno.

    « Je suis prompte à toute entreprise : je ne crains pas les hautes et ne dédaigne pas les humbles. »

  951. Lettre 219. — 1. Le chevalier de Grignan avoit pris depuis peu le nom d’Adhémar, et il n’étoit pas encore en habitude de le signer. (Note de 1734, supprimée dans l’édition de 1754 : voyez p. 397, note 1.)
  952. 2. Le régiment dont il s’agit étoit un de ceux qu’on nomme, dans la cavalerie, régiments de gentilshommes, et qui portent le nom des colonels. Celui-ci s’appela Grignan, et ne quitta ce nom qu’à la mort du marquis de Grignan, arrivée en 1704. (Note de Perrin, 1754.)
  953. 3. Que je périsse, pourvu que je m’élève. — Le corps de cette devise étoit une fusée volante. (Note de Perrin.)
  954. 4. François, comte de Rouville, frère de père de la seconde femme de Bussy, mort sans avoir été marié. Sur ce vieux courtisan, dont les décisions, à ce qu’il paraît, faisaient autorité à la cour, « toujours plein de bon sens, de rudesse et de trop de sincérité, » voyez la Correspondance de Bussy, tome V, p. 61, 62, 81, 82, et tome VI, p. 206. Bussy, le 4 mars 1680, écrit à Jeannin de Castille : « Le vin dont il prend trop le fait offenser tout le monde. La plupart des gens en souffrent et le gâtent… Vous savez que Monsieur le Prince disoit autrefois que s’il y avoit deux Rouville en France, il sortiroit du royaume. S’il l’avoit vu maintenant au sortir de table, il auroit raison de dire que lui seul le feroit déserter. » Neuf ans après (21 janvier 1689), la marquise d’Uxelles parle encore de lui à Bussy : « Nous avons ici M. de Rouville, votre beau-frère, qui maintient toujours sa droiture à toute rigueur. Il est devenu le partage de trois ou quatre veuves, qui ne songent pour lui plaire qu’à lui donner de bon vin… Enfin il achève sa vie doucement dans nos maisons de Paris et à la cour, où il se montre rarement, à cause qu’il ne voit presque plus. »
  955. 5. M. de Guilleragues disoit que tous les Grignans étoient glorieux. On lui dit : « Mais Adhémar l’est-il ? » Il répondit : « Glorieuset, » voulant dire moins glorieux que les autres, mais pourtant glorieux ; et depuis on l’appela le petit glorieux. (Note de Perrin.)
  956. 6. Perrin a supprimé cette phrase dans l’édition de 1754.
  957. 7. Anne de Longueval, veuve de Henri de Senneterre, mort te 25 octobre 1671. Voyez la lettre du 28 octobre précédent.
  958. 8. Marguerite de Laigue, veuve, après un an de mariage, de Charles Olivier de Leuville, cornette des chevau-légers de la garde, mort en novembre 1671, à l’âge de vingt-deux ans. Elle mourut à soixante-sept ans, en 1719.
  959. Lettre 220. — 1. Fille de Mme de Montausier. Voyez la note 8 de la lettre 152.
  960. Lettre 221. — 1. Voyez la note 12 de la lettre 166.
  961. 2. Voyez la lettre 115, p. 15 de ce volume.
  962. 3. Henri de Forbin d’Oppède.
  963. 4. Comme dame d’honneur de la Reine. — Sur Mme de Richelieu, voyez Madame de Longueville, par M. Cousin, tome I, p. 185, la note 2 de la lettre 160, et les lettres du 6 janvier 1672, du 1er juin 1684, et surtout du 6 avril 1680.
  964. Lettre 222. — 1. Le président d’Oppède fut très-regretté. Colbert écrivait à M. de Grignan, le 21 novembre 1671 : « Le Roi a été sensiblement touché de la mort de M. d’Oppède ; aussi faut-il convenir que S. M. perd en lui un bon, fidèle et très-zélé serviteur. » (Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, tome I, p. 392.)
  965. Lettre 223. — 1. Il fut tenu sur les fonts par les procureurs du pays de Provence, et nommé Louis-Provence. (Note de Perrin.)
  966. Lettre 224 (revue sur une ancienne copie). — 1. Dans l’édition de la Haye (1726) : « neuf jours de bonne femme. »
  967. 2. Voyez la note 3 de la lettre 170.
  968. 3. Charles de Sévigné, comte de Montmoron, conseiller au parlement de Rennes, cousin du marquis de Sévigné. Son nom figure au contrat de Mme de Grignan : voyez la Notice, p. 330. « C’est une belle âme devant Dieu, » dit Mme de Sévigné, en annonçant sa mort, le 4 octobre 1684.
  969. 4. Le duc de Lauzun fut arrêté le 25 novembre 1671 et ne recouvra sa liberté qu’en 1681. Voyez le tome IV des Mémoires de Mademoiselle, et le chapitre iii du tome XX des Mémoires de Saint-Simon.
  970. 5. Dans l’édition de la Haye et dans celles de Perrin : « que la nouvelle Madame est tout étonnée de sa grandeur. »
  971. 6. Laissons-la aller, elle fera bon voyage. — Tout ce passage, depuis : on vous mandera, manque dans le manuscrit.
  972. 7. Dans le manuscrit : « faire souvenir à M. de Grignan. »
  973. 8. Le chevalier de Perrin a supprimé ce passage, depuis : Je commence même à croire, jusqu’aux mots : Ne seroit-il point au désespoir, qu’il amène ainsi : « Au reste, M. de Grignan n’ignore pas tout ce que vous avez souffert : ne seroit-il point au désespoir… »
  974. 9. La fin de cette phrase, depuis et de longtemps, n’est pas dans le manuscrit ; mais elle se trouve dans l’édition de la Haye (1726), aussi bien que dans celles de Perrin.
  975. Lettre 226 (revue sur l’autographe). — 1. Voyez la lettre 137.
  976. Lettre 226. — 1. Accoucheur et sage-femme célèbres à Paris en ce temps-là.
  977. 2. M. d’Adhémar. (Note de Perrin.)
  978. 3. Voyez plus haut, p. 412 et p. 423.
  979. 4. Dans l’une des deux éditions de 1754, on lit balance, au lieu de blancheur.
  980. 5. Voyez la lettre 219, p. 415.
  981. 6. La joie de pouvoir témoigner sa reconnaissance. Voyez les notes de la lettre 131, p. 50.
  982. 7. Comme on l’a déjà dit, il ne fut rappelé qu’en 1683.
  983. LETTRE 227. — 1. Votre parente, du côté paternel sans doute. — La terre de Loresse est à cinq lieues au sud des Rochers. « Le château, qui remonte au seizième siècle, avec des reconstructions et réparations des dix-septième et dix-huitième, est de fort belle apparence ; il est entouré de bois, et on y arrive par de longues avenues. » (Walckenaer, tome IV, p. 332.) — De Loresse à Laval il y a quatre lieues et demie ; de Laval à Meslay, cinq ; de Meslay à Malicorne, dix ; et de Malicorne au Mans, sept.
  984. Lettre 228. — 1. Voyez la lettre 224, p. 423 et 424.
  985. 2. Se panader, se pavaner, se carrer. L’Académie n’a admis dans son dictionnaire qu’en 1762 ce verbe familier employé par Voiture et par la Fontaine (voyez le Geai, etc., livre IV, fable ix). Il se trouve dans le Dictionnaire de Furetière (1690).
  986. 3. Voyez la Notice, p. 111, et la note 4 de la lettre 131.
  987. 4. La mère d’Orgon dans le Tartuffe.
  988. Lettre 229 (revue sur une ancienne copie). — 1. Chez Mme de la Trousse.
  989. 2. Est-ce la femme de cet introducteur des ambassadeurs dont Mme de Sévigné annonce la mort dans sa lettre du 26 avril 1680 ? (Saint-Simon, tome II, p. 223, parle de lui et de son fils, mort en 1697 ou 1698.) Ou bien serait-ce peut-être Anne-Françoise-Marie Boucherat, fille de Louis Boucherat qui devint chancelier ? Celle-ci avait épousé le 20 décembre 1670 Nicolas-Auguste de Harlay, seigneur de Bonneuil, etc., conseiller au parlement, puis maître des requêtes, intendant en Bourgogne, ambassadeur à Francfort (1681) et à Riswick (1697), mort en avril 1704. Mme de Sévigné appelle ce dernier M. Harlay Bonneuil et ailleurs M. Harlay.
  990. 3. Voyez la note 10 de la lettre 160 — Mme de Sanzei était descendue à Paris chez son frère Emmanuel de Coulanges.
  991. 4. Mme de Saint-Hérem Montmorin : voyez la note 3 de la lettre 145. — « Cette Mme de Saint-Hérem, dit Saint-Simon (tome III, p. 207), étoit la créature du monde la plus étrange dans sa figure et la plus singulière dans ses façons… La bonne femme, hideuse à dix-huit ans, mais… qui en avoit plus de quatre-vingts, etc. »
  992. 5. Les mots : je m’en réjouis avec vous, ne sont pas dans le manuscrit.
  993. 6. Sept ans plus tard la beauté de Mme de Sévigné était encore remarquable. Voici ce que Mme de Scudéry en écrivait le 14 juillet 1678 au comte de Bussy Rabutin : « Je rencontrai l’autre jour Mme de Sévigné, en vérité encore belle. On dit que Mme de Grignan ne l’est plus, et qu’elle voit partir sa beauté avec un si grand regret, que cela la fera mourir. » Bussy répond le 17 juillet : «  « Ce n’est pas seulement le bon tempérament de Mme de Sévigné qui la fait encore belle ; c’est aussi son bon esprit. Je crois que quand on a la tête bien faite, on en a le visage plus beau. Pour Mme de Grignan, je la trouve bien folle de ne vouloir pas survivre à sa beauté. » (Correspondance de Bussy Rabutin, tome IV, p. 152 et 153.)
  994. 7. Parmi les enfants de Louis le Tonnelier de Breteuil, ancien intendant de Languedoc, contrôleur général des finances, etc., on trouve après l’aîné (qui fut conseiller d’État et père de celui que le cardinal Dubois fit en 1723 secrétaire d’État de la guerre), trois chevaliers de Malte : Antoine, reçu en 1650, mort en 1696, à Avignon, commandeur de cet ordre et chef d’escadre des galères du Roi ; Louis, reçu en 1660, mort en 1712, également commandeur, et maréchal de camp des armées du Roi ; Jean-Baptiste, reçu en 1662, mort en 1668.
  995. 8. Dans l’édition de la Haye et dans celles de Perrin : « Il ne fut question que de Provence et du bel astre qui y brille. »
  996. 9. C’est le texte de l’édition de la Haye et de celles de Perrin ; dans le manuscrit on lit ici : « elle me baise fort malproprement », et, trois lignes plus bas : « à cette adorable mère. »
  997. 10. Ce post-scriptum a été omis dans notre manuscrit. Il se lit dans l’édition de la Haye (1726), avec la note suivante : « Ceci est de Mme de Sévigné. » Un peu plus haut, il y a une note semblable pour le billet de Coulanges : « Ceci est de M. de Coulanges à Mme de Grignan. »
  998. Lettre 230 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 5 de la lettre 224.
  999. 2. Ou Pierre-en-Scise, ancien château qui servait de prison d’État. Il était situé sur un roclier qui dominait la rive droite de la Saône à Lyon. On l’a démoli en 1793.
  1000. 3. Voyez la note 3 de la lettre 56.
  1001. 4. Dans le manuscrit : « le duc de Marsillac. » Voyez p. 348.
  1002. 5. Louise-Élisabeth Rouxel, connue depuis sous le nom de Mme de Grancey, lorsqu’elle fut dame d’atour de Marie-Louise d’Orléans, reine d’Espagne. Elle étoit sœur cadette (sœur aînée d’après Saint-Simon) de Marie-Louise Rouxel, comtesse de Marey. On les appeloit les Anges. (Note de Perrin,) — Voyez la lettre du 6 avril 1672. — Louis de Mornay, marquis de Villarceaux (l’amant de Ninon, l’adorateur de Mme Scarron), était frère de la maréchale de Grancey, mère des Anges Né en 1619, il mourut en 1691. Il fut capitaine-lieutenant des chevau-légers du Dauphin.
  1003. 6. Voyez les Mémoires de Mademoiselle, t. IV, p. 323 et suivante. — Dans Le manuscrit il y a « mille belles nouvelles, » au lieu de : « mille belles merveilles. »
  1004. 7. Mme de M… (Note de 1734, non reproduite par Perrin dans l’édition de 1754.) — Cette initiale désigne Mme de Monaco (voyez la note 15 de la lettre 153), dont Lauzun avait été fort amoureux. Il ne lui pardonna pas ses complaisances pour le Roi. On peut voir dans Saint-Simon (tome XX, p. 45) le tour que Lauzun joua aux deux amants. Voyez aussi la lettre du 6 janvier suivant.
  1005. 8. Nous avons suivi le texte du manuscrit. Dans les éditions de 1725 et de 1726, il n’y a qu’une seule différence : mouton au lieu de mousson.
  1006. 9. Le président Jean-Antoine de Mesmes. Il avait épousé Anne Courtin, fille de François Courtin, seigneur de Brusselles, etc., maître des requêtes, et de Jeanne Lescalopier. — Mme d’Avaux, sa belle-fille, dont il est parlé un peu plus bas (p. 444), était Marguerite, fille de Macé Bertrand de la Bazinière, prévôt et grand maître des cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit, et de Françoise de Barbezières Chemerault. Elle mourut moins d’un an après son mari (1688). Voyez la note 9 de la lettre 143 et la note 19 de la lettre 132.
  1007. 10. C’est le texte de l’édition de la Haye. Dans le manuscrit, il y a seulement des premières.
  1008. 11. Voyez la lettre du 19 août précédent, p. 327, et la Notice, p. 130.
  1009. 12. Louis-Joseph Adhémar de Monteil de Grignan, le bel abbé, le plus beau des prélats, frère cadet du comte de Grignan. Il fut abbé de Saint-Hilaire de Carcassonne, et en 1675 agent général du clergé de France ; le 23 février 1680 il fut nommé évêque d’Évreux, et, avant d’avoir été canoniquement institué, transféré à Carcassonne, au mois de mai 1681 ; la cérémonie de son sacre eut lieu le 21 décembre 1681 dans la collégiale de Grignan, où avait été sacré de même, cinquante-deux ans auparavant, l’archevêque d’Arles, son oncle. Il mourut, le dernier des Grignan, à soixante-dix-huit ans, le 1er  mars 1722. Voyez la Notice, p. 105,176,313. — Il se préparait, à la date de cette lettre, à soutenir son acte en Sorbonne : voyez la lettre du 30 mars 1672.
  1010. 13. Orgon, dans le Tartuffe (acte IV, scène iii), se fortifiant lui-même contre les supplications de Marianne, s’écrie :

    Allons, ferme, mon cœur ! point de foiblesse humaine.

  1011. 14. Femme de chambre de Mme de Grignan, dont il a été parlé dans les lettres des 28 juin et 5 juillet 1671. — Dans le manuscrit, au lieu de Catau, on lit Satan.
  1012. 15. « L’abbé Têtu, intime ami de Mme de Richelieu, dominoit à l’hôtel de Richelieu, et s’en croyoit le Voiture. C’étoit un homme plein de son propre mérite, d’un savoir médiocre, et d’un caractère à ne pas aimer la contradiction : aussi ne goûtoit-il pas le commerce des hommes ; il aimoit mieux briller seul au milieu d’un cercle de dames, auxquelles il imposoit, ou qu’il flattoit plus ou moins, selon qu’elles lui plaisoient. » (Souvenirs de Mme de Caylus, tome LXVI, p. 414 et suivante.)
  1013. 16. Voyez la note 19 de la lettre 132 et la note 9 de la lettre 143.
  1014. 17. Le chevalier de Grignan (le chevalier de Malte).
  1015. 18. C’est la pensée d’un madrigal de Mlle de Scudéry. (Note de Perrin, 1754.)
  1016. 19. Voyez la note 6 de la lettre 39.
  1017. 20. Voyez la lettre suivante, p. 447.
  1018. 21. Probablement Alexis-Henri, chevalier de Chàtillon, capitaine des gardes du corps de Monsieur en 1674, puis premier gentilhomme de sa chambre et chevalier de l’Ordre. Sur ce favori de Monsieur, « qui n’avoit ni pain, ni sens, ni esprit… qui avoit fait sa fortune par sa figure… qui étoit singulièrement belle, » voyez Saint-Simon, tome XIV, p. 299 ; tome III, p. 171 ; la Correspondance de Madame, tome I, p. 245 et suivante ; la fin de la lettre du 13 janvier 1672, et, vers la fin aussi, la lettre du 5 janvier 1674.
  1019. 22. Formule italienne : Et avec cela, et là-dessus, je me recommande, je vous baise les mains.
  1020. 23. C’est ainsi que se termine la lettre dans notre manuscrit. Est-ce la suscription ou un post-scriptum badin qui joue sur l’idée de volume exprimée un peu plus haut ?
  1021. Lettre 231 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Voyez la Notice, p. 130, où il faut remplacer le chiffre de six cent mille francs par celui de cinq cent mille.
  1022. 2. Le voyage du Roi. Voyez la lettre précédente et celle du 1er janvier suivant.
  1023. 3. Voyez le IVe acte du Dépit amoureux de Molière, scènes ii et iii.
  1024. 4. Chef-lieu de canton des Bouches-du-Rhône, sur le canal de Crapone.
  1025. 5. L’église des Minimes était près de la place Royale. — « La messe des Minimes, dit Walckenaer (tome IV, p. 126), était celle de la noblesse et du grand monde. » D’Ormesson nous apprend que Mme de Sévigné, quelque temps avant son mariage, avait quêté dans cette église, où était déposé le cœur de son père, le baron de Chantal : le 5 avril 1644, jour où l’on fêtait saint François de Paule, « la Reine y vint à vêpres ; Monsieur l’évêque d’Uzès y prêcha. La musique du Roi y fut excellente. Mlle de Chantal quêta. » Voyez la Notice, p. 13 et 317.
  1026. 6.

    Nouveau prédicateur, aujourd’hui, je l’avoue,
    Écolier ou plutôt singe de Bourdaloue,
    Je me plais à remplir mes sermons de portraits.

    (Boileau, Satire X, v. 345-347)
  1027. 7. Le comte de Tréville (voyez la note 9 de la lettre 144) avait été si accablé de la mort de Madame Henriette (29 juin 1670), qu’il avait renoncé au monde, « Troisville, que je ramenai ce jour-là (le jour de la mort de Madame Henriette) de Saint-Cloud, et que je retins à coucher avec moi pour ne le pas laisser en proie à sa douleur, en quitta le monde, et prit le parti de la dévotion, qu’il a toujours soutenu depuis. » (Mémoires de la Fare, tome LXV, p. 180.) M. Sainte-Beuve, après avoir cité ce passage (Port-Royal, tome IV, p. 475), ajoute avec raison que ce dernier point seul de sa persévérance n’est pas tout à fait exact. — Dans le sermon de Bourdaloue, sur la Sévérité évangélique, prêché le troisième dimanche de l’Avent, qui en 1671 était le 13 décembre, l’on retrouve, dit encore M. Sainte-Beuve (ibid., p. 477), « des allusions certaines à cette prétention, qui était le cachet de Tréville, de vouloir être en tout comme pas un autre, de ne ressembler en rien au commun des martyrs, et de se choisir une dévotion même qui fût d’une distinction et d’une qualité à part. » Voyez, pour plus de détail, au tome IX des Causeries du lundi, l’article Bourdaloue, p. 226-232.
  1028. 8. C’était un vendredi, le courrier allait partir. Voyez la note 4 de la lettre 145.
  1029. 9. On se rappelle que Mme de Richelieu venait de succéder à Mme de Montausier dans la place de dame d’honneur de la Reine.
  1030. Lettre 232. — 1. Voyez le livre II des Amours de Psyché de la Fontaine, publiés pour la première fois, avec le poëme d’Adonis, en 1669.
  1031. 2. Coulanges habita longtemps dans la rue du Parc-Royal. On lit dans une adresse en vers écrite de sa main dans le volume de ses chansons :

    Ma paroisse a nom Saint-Gervais,
    Le Parc-Royal ma rue.

    C’est probablement là qu’il reçut Mme de Sévigné. En 1690, il alla demeurer au Temple ; en 1695, il était rue des Tournelles. Sa maison paternelle était rue des Francs-Bourgeois. Voyez les Mémoires de Coulanges, p. 47, et les lettres des 1er décembre 1690 et 21 janvier 1695.

  1032. 3. Voyez la lettre 158, p. 173.
  1033. Lettre 233. — 1. Mme de Coulanges était nièce de la femme de Michel le Tellier, secrétaire d’État (ministre de la guerre, de 1643 a 1666), et depuis chancelier de France (1677). — Il remit sa charge en 1666 à son fils Louvois ; mais sa démission volontaire ne l’éloigna pas du conseil : « il conserva, dit Moréri, le titre et les emplois de ministre. »
  1034. 2. Charles-Maurice le Tellier, archevêque de Reims depuis le 3 août 1671. Voyez la note 1 de la lettre 74.
  1035. Lettre 234. — 1. Pierre Grotius, fils de l’auteur du Droit de la guerre et de la paix. Louis XIV était bien résolu à ne lui rien accorder. Il allait faire la guerre à la Hollande, avec le roi d’Angleterre, aux termes du traité d’alliance négocié par Madame au mois de juin précédent. La guerre fut déclarée aux états le 6 avril suivant.
  1036. 2. Le duc de Bouillon était grand chambellan de France, et le duc de Créquy premier gentilhomme de la chambre du Roi.
  1037. 3. Des gardes françaises. Voyez la lettre 217, p. 409.
  1038. 4. On prenoit alors la pique en pareille occasion : aujourd’hui c’est l’esponton (sorte de demi-pique que portaient autrefois les officiers d’infanterie). (Note de Perrin.)
  1039. 5. Sur « cet homme de rien, » fils d’une femme de chambre de la Reine mère, et la singulière fortune qu’il fit à la cour par son jeu, sa libéralité, la sûreté de son commerce et son bon goût, voyez Saint-Simon, tome II, p. 385-387. Il mourut en 1708. Il se peut qu’il soit l’original du Périandre de la Bruyère (au chapitre des Biens de fortune). — Sur Dangeau, voyez la note 5 de la lettre 59.
  1040. 6. On ne sait pourquoi l’église des Jacobins de la rue Saint-Honoré était, sous Louis XIV, le rendez-vous des courtisans et des galants. « Là se trouve, dit Bussy Rabutin, la fine fleur de la chevalerie. » (Histoire de Paris, par Th. Lavallée, tome II, p. 243.)
  1041. 7. Le récit de cette querelle de Dangeau et de Langlée se lit dans l’édition de 1725 et dans celles de 1726 ; il a été retranché dans les éditions de Perrin.
  1042. 8. Voyez la note 11 de la lettre 36.
  1043. 9. Dans l’édition de 1725 : « au berlan. » Furetière et l’Académie de 1694 donnent la double orthographe berlan ou brelan.
  1044. 10. De premier maître d’hôtel du Roi. Voyez la note 8 de la lettre 40, la lettre 146, p. 117, et la lettre du 13 janvier suivant.
  1045. 11. Nicolas le Camus. Voyez la note 16 de la lettre 150.
  1046. 12. De premier président de la chambre des comptes. — Nicolas de Nicolaï, mort en 1686, père de Jean-Aymar, aussi premier président de la même cour.
  1047. Lettre 235. — 1. Dans l’édition de la Haye : À 100 lieues de moi (en chiffres).
  1048. 2. Mlle de Grancey.
  1049. 3. Le Dauphin.
  1050. 4. C’est le texte de l’édition de 1754. Dans celles de 1726 et de 1734, on lit, au lieu de ces noms propres : des Provençaux. Les mots suivants : « ils m’ont tartuffiée, » ont été retranchés par Perrin en 1754 ; ils sont dans les éditions précédentes. Voyez le Tartuffe, acte II, scène iii : Non, vous serez, ma foi, tartuffiée, dit Dorine à Marianne. Mais ici c’est évidemment à Orgon, gagné, séduit, sous le charme, que Mme de Sévigné veut faire allusion.
  1051. 5. Voyez la note 11 de la lettre 174.
  1052. 6. Dans l’édition de 1754 : « du 30. »
  1053. 7. Après « de votre esprit, » Perrin, dans l’édition de 1754, a ajouté : « de votre style. »
  1054. 8. Fille du comte de Brancas le distrait. Voyez la note 6 de la lettre 72.
  1055. 9. Des ducs de Bretagne.
  1056. 10. L’édition de la Haye a substitué ici et plus bas Mme de Maintenon à Mme Scarron.
  1057. 11. Celui à qui Boileau adressa sa Ve épître :

    Esprit né pour la cour et maître en l’art de plaire, etc.

    — Pierre Girardin de Guilleragues fut d’abord premier président de la cour des aides à Bordeaux, puis secrétaire du cabinet du Roi, ambassadeur à Constantinople en 1679. Il eut quelque temps la direction de la Gazette (voyez la lettre du 7 août 1675). « Guilleragues… n’étoit rien qu’un Gascon, gourmand, plaisant, de beaucoup d’esprit, d’excellente compagnie, qui avoit des amis, et qui vivoit à leurs dépens parce qu’il avoit tout fricassé, et encore étoit-ce à qui l’auroit. Il avoit été ami intime de Mme Scarron, qui ne l’oublia pas dans sa fortune, et qui lui procura l’ambassade de Constantinople pour se remplumer ; mais il y trouva comme ailleurs moyen de tout manger. Il y mourut (en 1689). » (Saint-Simon, tome I, p. 362.) Sa fille devint Mme d’O (voyez les lettres de Mme de Simiane).

  1058. 12. Voyez la lettre 230, p. 440.
  1059. 13. « Une après-dînée d’été qu’il (Lauzun) étoit allé à Saint-Cloud, il trouva Madame (Henriette) et sa cour assises à terre sur le parquet, pour se rafraîchir, et Mme de Monaco à demi couchée, une main renversée par terre. Lauzun se met en galanterie avec les dames, et tourne si bien qu’il appuie son talon dans le creux de la main de Mme de Monaco, y fait la pirouette, et s’en va. Mme de Monaco eut la force de ne point crier et de s’en taire. » (Saint-Simon, tome XX, p. 45.) — Voyez aussi la Correspondance de Madame de Bavière, tome I, p. 254.
  1060. 14.. Comparez la fin de la lettre 224.
  1061. Lettre 236. — 1. Arnauld d’Andilly. Voyez la lettre du 13 janvier, où elle raconte son voyage.
  1062. 2. Dans l’édition de la Haye, la seule qui donne cette phrase, il y a M. de la Fayette.
  1063. 3. C’est le texte de la Haye. Dans les autres éditions, on lit ouvriers.
  1064. 4. Voyez la lettre 233, p. 452, 453.
  1065. 5. C’est encore le texte de la Haye. Dans les éditions de Perrin : « en face de votre mari et de vous…. »
  1066. 6. Voyez la note 7 de la lettre 157.
  1067. 7. Adhémar. Voyez la note 9 de la lettre 196.
  1068. Lettre 237. — 1. Dans les éditions de 1726 : « Cette femme. »
  1069. 2. Voyez la note 16 de la lettre 131 et la note 9 de la lettre 132.
  1070. 3. Mme de Montespan. — Dans l’édition de la Haye, il y a ennuiée au lieu d’enviée.
  1071. 4. Sur la charge qu’il voulait vendre de premier maître de l’hôtel. Voyez la note 4 de la lettre 202, et la lettre 234 vers la fin.
  1072. 5. Bajazet fut représenté pour la première fois, sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, le 4 ou le 5 janvier 1672.
  1073. 6. C’est le texte des premières éditions (1725 et 1726). Dans celle de 1734 il y a : « qui relève la paille ; » dans l’édition de 1754 : « qui lève la paille. »
  1074. 7. Camille d’Hostun, comte de Tallard, qui fut depuis maréchal de France (1703) et ministre d’État (1726). Il mourut en 1728. Il était fils de Mme de la Baume : voyez la note 7 de la lettre 80. — Au sujet de cette parole de Tallard, Perrin s’écrie en note : « Exagération outrée. »
  1075. 8. Claude Boyer, membre de l’Académie française (1666), né en 1618, mort en 1698. Chapelain voit en lui « un poëte de théâtre qui ne cède qu’au seul Corneille en cette profession. »
  1076. 9.

    Du bruit de ses exploits mon âme importunée.

    (Racine, Alexandre, acte I, scène II.)
  1077. 10. Dans les éditions de Perrin, on lit de plus ici : « Enfin nous en jugerons. »
  1078. 11. Voyez sur le duc de Longueville la note 7 de la lettre 84 ; et sur le comte de Guiche, la note 2 de la lettre 152 et la note 14 de la lettre 238.
  1079. 12. Ici encore, Perrin a remplacé la par le.
  1080. 13. Voyez la note 11 de la lettre 174.
  1081. 14. Dans l’édition de 1725 et dans celles de 1726 : « c’est assez qu’elle vous aime. »
  1082. 15. Le comte d’Armagnac, grand écuyer de France.
  1083. 16. Voyez la note 19 de la lettre 230.
  1084. Lettre 238 (revue sur une ancienne copie). — 1. M. de Sauvebeuf, rendant compte à Monsieur le Prince d’une négociation pour laquelle il étoit allé en Espagne, lui disoit : « Chose, chose, le roi d’Espagne m’a dit, etc. » (Note de Perrin.) Voyez la lettre de Bussy du 5 avril 1681. — Le mot chose manque dans les éditions de 1726 dites de Rouen ; mais il est dans celles de 1725 et de la Haye (1726), aussi bien que dans les deux de Perrin.
  1085. 2. C’est-à-dire, la Champmeslé, comédienne que le marquis de Sévigné, son fils, avoit aimée. On prétend qu’elle n’avoit point d’esprit, mais que Racine, qui en étoit amoureux, lui apprenoit les tons machinalement. (Note de Perrin, 1754 ; dans l’édition de 1734, il écrit Chammelay : c’était sans doute ainsi qu’on prononçait.) — Dans l’édition de 1725, on lit dans le texte : « Ma belle-fille la Chammelai, » et en note, pour expliquer le mot belle-fille, la niaiserie que voici : « L’abbé de Grignan entretenoit alors la Chammelai. » C’est le mot belle-sœur, qu’on trouve un peu plus loin, qui a suggéré cette ingénieuse explication.
  1086. 3. La Desœillets, autre comédienne célèbre de ce temps-là, était morte, à quarante-neuf ans, le 25 octobre 1670. Assistant aux débuts de la Champmeslé dans le rôle d’Hermione (1670), elle s’était elle-même écriée, dit-on : « Il n’y a plus de Desœillets. » — Les deux filles de la Desœillets se firent religieuses : voyez la lettre du 22 avril 1676.
  1087. 4. C’est le texte du manuscrit. On lit dans toutes les éditions : « La plus miraculeusement bonne comédienne que j’aie jamais vue : elle surpasse la Desœillets de cent mille piques. »
  1088. 5. Mme de Sévigné jouait donc quelquefois la comédie. Voyez la fin de la lettre 73.
  1089. 6. C’est le texte de 1725, 1726 et 1734. Dans l’édition de 1754, Perrin a supprimé petit. Dans le manuscrit on lit : « Selon mon goût. »
  1090. 7. Cette réticence est dans toutes les éditions. Seulement dans les premières (1725 et 1726) il y a au-dessous pour au-dessus. Dans le manuscrit, la phrase est toute différente : « Elles sont autant au-dessus, que celles de Racine sont au-dessus de toutes les autres. Croyez que jamais rien n’approchera… »
  1091. 8. Qui fait souvenir de la Reine mère. Tel est le texte du manuscrit. Dans la première édition (1725), on lit : « qui fait souvenir de sa défunte reine ; » dans les autres éditions antérieures à Perrin (1726, 1728, 1733) : « qui fait souvenir de la défunte reine. » Perrin (1734, 1754) et tous les éditeurs après lui ont substitué à la défunte reine : « sa défunte veine ; » les lettres r et v se confondent aisément dans l’écriture de Mme de Sévigné. Nous avons suivi le manuscrit, qui est confirmé, au moins quant au sens, par les anciennes impressions. Ce texte s’applique fort bien à la Pulchérie de Corneille, représentée en 1672, la seule de ses tragédies dont il puisse être ici question. Pulchérie est une impératrice âgée de plus de cinquante ans. Elle commence la pièce par cette déclaration, que Voltaire nomme à bon droit imposante, et qui fait souvenir d’Anne d’Autriche et de Mazarin :

    Je vous aime, Léon, et n’en fais point mystère…
    Non d’un amour conçu par les sens en tumulte…
    De tout ce que sur vous j’ai fait tomber d’emplois
    Aucun n’a démenti l’attente de mon choix, etc.


    Au reste, nous convenons que la leçon de Perrin : « qui fait souvenir de sa défunte veine, » peut très-bien aussi se défendre, et qu’elle devient même assez vraisemblable quand on la rapproche, d’une part, du texte de 1725, « sa défunte reine, » et, de l’autre, de ce passage de la lettre du 9 mars suivant : « Corneille… a lu une tragédie qui fait souvenir des anciennes. » Seulement, pour l’admettre, il faut supposer que, dans le manuscrit, le copiste a supprime défunte et ajouté mère.

  1092. 9. Voyez la lettre du 6 avril 1672.
  1093. 10. Veuve d’Antoine de Bourdeaux (Bordeaux), frère de la présidente de Pommereuil (la maîtresse de Retz). Son mari était mort ambassadeur en Angleterre en 1660, la laissant grosse d’une fille unique qui épousa le comte de Fontaine Martel, premier écuyer de la duchesse de Chartres (la femme du Régent). « Mme de Bordeaux, dit Saint-Simon (1692, tome I, p. 31), pour une bourgeoise, étoit extrêmement du monde et amie intime de beaucoup d’hommes et de femmes distingués. Elle avoit été belle et galante ; elle en avoit conservé le goût dans sa vieillesse, qui lui avoit conservé aussi des amies considérables. Elle avoit élevé sa fille unique dans les mêmes mœurs : l’une et l’autre avoient de l’esprit et du manège, »
  1094. 11. C’est le texte du manuscrit, des éditions de 1726, et de Perrin dans sa première (1734). Dans la seconde (1754), il a renversé l’ordre des mots et adopté la construction plus ordinaire : « son nez dans son manteau. »
  1095. 12. Voyez la note 15 de la lettre 188.
  1096. 13. François de Neufville, marquis, puis duc de Villeroi, né en 1644, mort en 1730, fils du maréchal et duc, gouverneur de Louis XIV (qui mourut en 1685) ; lui-même maréchal après Nervinde en 1693, gouverneur de Louis XV, et, comme son père, gouverneur de Lyon et du Lyonnais, Forez et Beaujolais. Il est souvent appelé le Charmant. Il était frère de la marquise d’Hauterive et de la comtesse d’Armagnac, et avait épousé le 28 mars 1662 Marguerite de Cossé, sœur du duc Henri-Albert de Brissac.
  1097. 14. Voyez la note 2 de la lettre 152. — Rien n’était plus apprêté que le style du comte de Guiche. Bussy répond, le 22 mai 1671, à Mme de Scudéry, qui s’était plainte de l’obscurité d’une lettre du comte de Guiche : « C’est proprement (comme l’avait dit Mme de Scudéry) un entortillement d’esprit que ses expressions, et surtout dans ses lettres… Il n’est presque pas possible d’entendre ce qu’il écrit… Il n’est pas tout à fait si obscur dans ses conversations. » — Voyez aussi les lettres du 16 mars (à la fin), et du 29 avril 1672.
  1098. 15. Cette épithète manque dans notre manuscrit.
  1099. Lettre 239. — 1. La première édition avait été publiée en 1665. La troisième parut en 1671.
  1100. 2. François de Harlay de Champvallon (frère puîné du marquis de Champvallon), né à Paris en 1625 ; archevêque de Rouen de 1651 à 1671, et archevêque de Paris du 12 mars 1671 au 6 août 1695. Son prédécesseur, Hardouin de Beaumont de Péréfixe, était mort le 31 décembre 1670. — Nous avons déjà dit que l’archevêque de Reims était depuis le 3 août 1671 Charles-Maurice le Tellier.
  1101. 3. Voyez la fin de la lettre suivante.
  1102. 4. François de Borgia, duc de Candie, Espagnol, troisième général des jésuites (1565), né en 1510, mort en 1572, canonisé en 1671.
  1103. 5. La cérémonie eut lieu à Saint-Paul, qui était l’église des pères profès de la Société de Jésus.
  1104. 6. François des Montiers, comte de Mérinville, ancien lieutenant général au gouvernement de Provence. Voyez la note 14 de la lettre 137.
  1105. 7. Voyez la lettre suivante, p. 475.
  1106. Lettre 240. — 1. Anne-Marie d’Autriche, veuve de Philippe IV, roi d’Espagne, et mère de Charles II, qui ne fut déclaré majeur qu’en 1676, et dont les États étoient alors gouvernés par la Reine sa mère, assistée de six conseillers nommés par le feu Roi. (Note de Perrin.)
  1107. 2. Il paraît que l’abbé de Coulanges cherchait à résigner l’abbaye de Livry en faveur de l’abbé de Grignan. Voyez la lettre 255, et celle du 13 mai suivant.
  1108. 3. Charles-Philippe, le chevalier de Malte. L’évêque d’Uzès était son oncle.
  1109. 4. Fille du duc de Montausier. Voyez la note 8 de la lettre 152.
  1110. 5. Voyez Walckenaer, tome IV, p. 251 et 252.
  1111. Lettre 241. — 1. La dernière lettre de Mme de Sévigné au comte de Bussy avait été écrite dans cette cellule le 17 mai 1671, c’est-à-dire huit mois auparavant, et non sept, comme le dit l’introduction de Bussy. Mme de Sévigné rappelle elle-même dans sa lettre qu’elle est restée huit mois en Bretagne, et c’est avant d’y aller qu’elle a écrit à son cousin. — Mme de Coligny avait à tort biffé janvier et écrit au-dessus déc. (décembre) : il eût fallu tout au moins faire la même correction à la réponse de Bussy (du 28 janvier).
  1112. 2. Bajazet, Pulchérie : voyez les lettres précédentes.
  1113. Lettre 242. — 1. Dans l’édition de 1754 : « Comme alors elles n’étoient pas exercées, on ne vous connoissoit que par vos paroles. »
  1114. 2. Voyez la lettre du 13 janvier précédent, et sur tout cet alinéa la Notice, p. 123.
  1115. 3. Fils du secrétaire d’État de Lyonne. On n’était pas encore accoutumé à le nommer du nom de son père, mort le 1er septembre précédent. — Louis, marquis de Lyonne et de Claveson, dut ce titre à sa cousine Jeanne-Renée de Lyonne, héritière du marquisat de Claveson et de la branche aînée de sa famille, qu’il épousa en 1675 et qu’il perdit cinq ans après. Il fut maître de la garde-robe du Roi, et mourut à soixante-deux ans, en 1708. « C’était un homme qui avoit très-mal fait ses affaires, qui vivoit très-singulièrement et obscurément, et qui passoit sa vie à présider aux nouvellistes des Tuileries. » (Saint-Simon, tome IV, p. 251.
  1116. 4. La comtesse de Fiesque avait eu de son premier mari, Louis de Brouilly, marquis de Piennes (voyez la note 3 de la lettre 34), une fille nommée Marie, qui avait épousé Henri Regnier, marquis de Guerchi.
  1117. 5. Voyez la note 6 de la lettre 191. Il ne mourut qu’en 1727, à l’âge de soixante-quinze ans. — Dans l’édition de 1734, il n’y a que l’initiale du nom propre, de même que plus bas pour M. et Mme de Soubise, et Mme de Rohan.
  1118. 6. Plus haut déjà (note 2 de la lettre 200) nous nous sommes demandé si Mme de Sévigné n’avait pas employé un chiffre et écrit : le 7e.
  1119. 7. Le chancelier Seguier mourut à Saint-Germain en Laye le 28 janvier, à quatre-vingt-quatre ans.
  1120. 8. Son petit-fils. Armand du Cambout, duc de Coislin en 1664, lieutenant général des armées, était, ainsi que l’évêque d’Orléans (plus tard cardinal de Coislin), fils du marquis de Coislin et de Marie Seguier, fille aînée du chancelier (alors marquise de Laval : voyez la note 2 de la lettre 127). Sur « ses civilités outrées, » voyez Saint-Simon, tome IV, p. 11 et suivantes.
  1121. Lettre 243. — 1. Il y a le pluriel dans le manuscrit autographe de Bussy.
  1122. Lettre 244 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — 1. Voyez la note 15 de la lettre 144.
  1123. 2. Dans le manuscrit : sincère, au lieu de sévère ; et sept lignes plus bas : desséché, au lieu de séché.
  1124. 3. Dans les éditions de 1726 : M. de Mirepoix. — Voyez p. 481.
  1125. 4. Dans le manuscrit : « ne fait bien. »
  1126. 5. Sans doute la levée de quelque prohibition gênant le commerce des grains en Provence.
  1127. 6. Voyez la note 2 de la lettre 218.
  1128. 7. Dans les éditions : fine.
  1129. 8. La comtesse de Fiesque. Voyez la note 4 de la lettre 242.
  1130. lettre 245 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — 1. Dans le manuscrit : « voulût faire le gouvernement. »
  1131. 2. Voyez les lettres 115, 116, 118.
  1132. 3. Voyez la note 3 de la lettre 144.
  1133. 4. Pierre Seguier.
  1134. 5. Dans les éditions de Perrin : « une des plus belles et des plus extraordinaires choses du monde. »
  1135. 6. Nos visites à toute la parenté du chancelier.
  1136. 7. Fille du chancelier Seguier.
  1137. 8. Claude Joly.
  1138. 9. Mme de Louvois : voyez la lettre suivante, p. 492.
  1139. 10. Madeleine, fille de Nicolas Potier, sieur d’Ocquerre, conseiller d’État. Elle avait épousé en 1640 Guillaume de Lamoignon, premier président de 1658 à 1677. Elle mourut en 1705.
  1140. Lettre 246 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — 1. Mme de Sévigné avait quarante-six ans.
  1141. 2. Ce membre de phrase est dans l’édition de 1725 et dans celle de la Haye (1726). Dans la première, on lit froides, au lieu de figées.
  1142. 3. Le cardinal de Retz.
  1143. 4. Marie-Antoinette, fille de Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, un des ministres de Louis XIII et de la reine Anne, avait épousé en 1642 Nicolas-Joachim Rouault, marquis de Gamaches, qui devint lieutenant général. « On peut voir son portrait tracé par elle-même dans les Divers portraits de Mademoiselle, avec ceux de son père et de sa mère. Elle n’a point fait de bruit ; toute sa vie s’est écoulée honnête et pieuse. Elle est morte à l’âge de quatre-vingts ans, en 1704. Elle a constamment entretenu avec Mme de Longueville le commerce le plus amical. » (M. Cousin, Mme de Longueville, tome I, p. 175.) — Dans les éditions de 1725 et de 1726, il y a la Guénégaut, au lieu de la Gêvres (voyez la note 17 de la lettre 144).
  1144. 5. Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti, né le 4 avril 1661, qui épousa Marie-Anne, fille légitimée de Louis XIV et de Mlle de la Vallière, et mourut sans enfants le 9 novembre 1685 ; et François-Louis, prince de la Roche-sur-Yon, puis prince de Conti, né le 30 avril 1664, qui épousa en 1688 Marie-Thérèse, sa cousine, fille de Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, et qui mourut le 22 février 1709.
  1145. 6. Au lieu de cette phrase : « Je disois qu’il n’y avoit, etc., » les éditions de 1725 et de 1726 offrent une leçon qui peut, à certains égards, paraître préférable ; la voici : « Ainsi voilà le diable pris pour dupe, s’il croyoit reprendre ces deux petits princes : les voilà retournés en bonne main. »
  1146. 7. La princesse de Conti fut inhumée à Saint-André des Arcs ; on lui érigea un mausolée, avec une épitaphe où on lisait ces mots : « Elle vendit toutes ses pierreries pour nourrir, durant la famine de 1662, les pauvres de Berry, de Champagne, de Picardie… se réduisit à une dépense très-modeste, restitua tous les biens dont l’acquisition lui étoit suspecte, jusqu’à la somme de 800 000 livres. et passa soudainement à l’éternité, après 16 ans de persévérance, le 4 février 1672, âgée de 35 ans. »
  1147. 8. Alphonse de Créquy, comte de Canaples, frère du duc et du maréchal de Créquy. Il épousa en 1702 une fille du maréchal de Vivonne, devint en 1703 duc de Lesdiguières, et mourut le 5 août 1711, sans laisser de postérité, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Voyez sur ce « courtisan imbécile » Saint-Simon, tome IV, p. 9 et suivantes, et tome IX, p. 418 et suivante.
  1148. 9. Nicolas de Neufville, marquis, puis (1663) duc de Villeroi, le père du Charmant (voyez la note 13 de la lettre 238) ; gouverneur de Louis XIV en 1646, maréchal la même année ; mort en 1685, à quatre-vingt-huit ans. Lui (1661) et son fils (1714) ont été chefs du conseil des finances, titre sans fonction qui leur donnait entrée au conseil.
  1149. 10. Voyez la lettre du 30 décembre suivant.
  1150. 11. « Dix conseillers d’État » dans le manuscrit ; six dans l’édition de 1754, la première où cette partie de la lettre ait été imprimée.
  1151. 12. Voyez la lettre du 6 février 1671, tome II, p. 46 et 47.
  1152. 13. Dans le manuscrit : « fort inutilement. »
  1153. 14. Dans l’édition de la Haye (1726), les six lignes qui précèdent (depuis malgré moi) se trouvent au commencement de la lettre, après les mots : « Rien ne peut être comparé aux douleurs de votre départ » (voyez p. 489), et l’on y remarque des additions et des variantes dignes d’être notées : « La fontaine étoit ouverte, mon cœur étoit attendri, et dans cette disposition j’ai pleuré. Mais, ma bonne, c’est bien malgré moi, car rien n’est moins utile, etc. »
  1154. 15. Ou de « calambour, » bois odorant, appelé aussi, d’après le Complément du Dictionnaire de l’Académie, « calambouc, calambac, calambart, calamba. » — Il est resté de la poudre de bois sur plusieurs des autographes de Mme de Sévigné que possède M. le comte de Guitaut.
  1155. Lettre 247 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Sur ce frère du comte de Grignan, voyez la note 8 de la lettre 159.
  1156. 2. On peut voir, au tome I de la Correspondance administrative publiée par Depping (Paris, 1850, p. 284), deux lettres de l’évêque d’Uzès à Colbert (novembre et 22 décembre 1672), qui confirment l’éloge que fait ici Mme de Sévigné de la prudence et de l’habileté de ce prélat.
  1157. 3. À cause de la petite vérole dont venait de mourir son neveu, le chevalier de Grignan.
  1158. 4. Il y a ici une phrase de plus dans les éditions de Perrin : « C’est sur quoi la prudence de Monsieur d’Uzès vous est parfaitement nécessaire. »
  1159. 5. Voyez la note 12 de la lettre 238.
  1160. 6. Villeroi avait succédé à Vardes dans les bonnes grâces de la comtesse de Soissons, et c’était lui qui, en racontant à Madame (Henriette) certains propos tenus par Vardes, avait contribué à le perdre. Voyez l’Histoire de Madame Henriette, par Mme de la Fayette, tome LXIV, p. 443, et le chapitre viii du tome IV de Walckenaer.
  1161. 7. Voici la maxime : « Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit (et non qu’il le croit, comme les éditeurs se sont permis de corriger le texte de la Rochefoucauld). » C’est la 221e de la première édition, la 209e des 3e, 4e et 5e éditions, et la 214e des éditions modernes.
  1162. Lettre 248 (revue sur une ancienne copie). — 1. Il y a dans le manuscrit : « tout ce que je fais, » ce qui est évidemment une faute.
  1163. 2. Voyez la lettre du 8 avril 1671, p. 155.
  1164. 3. Dans le manuscrit, c’est tantôt Danonneau et tantôt d’Annoneau.
  1165. 4. Les manières de l’Évêque, dont « il est instruit à la perfection. » — À la suite, il y a dans le manuscrit « il est pratiqué, » au lieu de : « il est piqué. »
  1166. 5. L’évêque de Vence fut jusqu’au mois d’avril suivant le célèbre Antoine Godeau (voyez la lettre du 9 mars suivant). Mais il s’agit plus probablement ici d’un Villeneuve, marquis de Vence, dont Mme de Sévigné parle également dans la lettre du 9 mars suivant. C’est à un marquis de ce nom que fut mariée Sophie de Simiane, arrière-petite-fille de Mme de Sévigné. — Pour M. de Maillanes voyez la note 6 de la lettre 144.
  1167. 6. La comtesse de Soissons. — Olympe Mancini, la nièce de Mazarin, la mère du prince Eugène, avait épousé en 1657 Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons, fils puîné du prince de Carignan. Veuve en 1673, elle mourut à Bruxelles en octobre 1708. Voyez la fin de la lettre du 24 janvier 1680.
  1168. 7. Vers du Cinna de Corneille, déjà cité plus haut, p. 185.
  1169. 8. Philippe, second fils du célèbre comte d’Harcourt ; frère puîné du comte d’Armagnac, et aîné du comte de Marsan ; né en 1643, mort en 1702.
  1170. 9. C’est principalement de cette anecdote que s’appuient les critiques qui cherchent à justifier le chevalier de Lorraine d’avoir participé à l’empoisonnement de Madame. Je ne pense pas que les bonnes grâces du Roi rendues au chevalier prouvent que Louis XIV l’ait cru innocent de ce crime. Peut-être n’a-t-il pas su qu’il fût le coupable ; mais, s’il en a été instruit, il a dû, puisqu’il ne le punissait pas, agir comme s’il avait tout ignoré. Les médecins avaient décidé que Madame n’avait pas été empoisonnée ; et pour que la cour d’Angleterre le crût, il fallait que le Roi s’en montrât lui-même convaincu. (Note de l’édition de 1818.) — Voyez sur la mort de Madame la note de M. Chéruel au tome III de Saint-Simon, p. 448-451.
  1171. 10. Celui que Saint-Simon accuse d’avoir participé à l’empoisonnement de Madame. — Charles d’Harcourt, « destiné chevalier de Malte et nommé abbé de Coulombs, et qui, ayant embrassé le parti des armes, porta le nom de comte de Beuvron, fut mestre de camp du régiment de cavalerie du duc d’Orléans, et capitaine de ses gardes, et mourut en 1688, sans postérité de Lydie de Rochefort de Téobon, morte… en 1708, âgée de soixante-dix ans. » (Moréri.) Mme de Scudéry, dans sa leitre à Bussy du 15 mars 1678, lui annonce le mariage secret de Mlle de Théobon avec le chevalier de Beuvron.
  1172. 11. Philippe de Montault Bénac, duc de Navailles, maréchal de France en 1675, mort, le dernier de sa maison, en 1684, à soixante-cinq ans. Il avait épousé en 1651 Suzanne de Beaudéan, fille du comte de Neuillant, qui fut dame d’honneur de la Reine avant Mme de Montausier, et mourut en 1700. Voyez leur éloge dans Saint-Simon, tome II, p. 309 et suivantes. Le duc et la duchesse de Navailles avaient été disgraciés en juin 1664 : « ils mirent la vertu et l’honneur d’un côté, la colère du Roi, la disgrâce, le dépouillement, l’exil, de l’autre ; ils ne balancèrent pas… La Reine (mère)… en mourant demanda au Roi son fils le retour et le pardon de M. et de Mme de Navailles, qui ne put la refuser… » — C’est la mère de Mme de Navailles, la comtesse de Neuillant, qui avait recueilli Mlle d’Aubigné à son retour d’Amérique ; « ce fut elle, dit Saint-Simon, qui la mena à Paris, et qui pour s’en défaire la maria à Scarron. » — Pour Schomberg, voyez la note 3 de la lettre 163.
  1173. 12. De la princesse de Conti. Voyez la lettre du 5 février précédent, p. 490.
  1174. 13. Mlle de la Trousse l’aînée. Voyez la lettre du 1er juillet suivant, et la Notice, p. 344.
  1175. Lettre 249. — 1. Joseph de Seguiran de Bouc, premier président de la chambre des comptes d’Aix. (Note de l’édition de 1818.)
  1176. 2. Angélique Amat, femme d’André Choart de Buzanval, qui fut lieutenant général des armées en 1693. Elle était sœur de Mme de Valavoire. Voyez la note 11 de la lettre 174, et la lettre du 2 novembre 1673.
  1177. 3. Le cardinal de Retz.
  1178. 4. Le Cardinal, en allant au conclave, aurait rendu visite a Mme de Grignan.
  1179. 5. François, comte de Boufflers, frère aîné du maréchal, mourut au château de Boufflers le 14 février 1672. Il avait épousé, l’année précédente, Elisabeth-Angélique, fille de Mme du Plessis Guénégaud. Voyez la lettre du 26 février suivant. louis d’or qui raconte ses aventures… Cette bagatelle est dédiée à Mlle de Scudéry. (Elle a été publiée à part, in-12, en 1661.) On a encore d’Isarn des impromptus et des madrigaux. Dans le Grand Dictionnaire des Précieuses, Isarn est Isménius… C’est évidemment le beau et léger Isarn qui dans le Cyrus a le nom de Thrasile… Il est donné comme le type de l’inconstant. » (M. Cousin, la Société française, tome II, p. 194 et suivantes.)
  1180. 6. Il s’évanouit dans une chambre où il avait été renfermé par mégarde, et mourut faute de secours. — Isarn était un des amis de Mlle de Scudéry. « Il était de Castres comme Pellisson. Riche, spirituel, d’une fort jolie figure, il eut à Toulouse et à Paris d’assez grands succès. On a de lui une pièce assez agréable, en vers et en prose, qui depuis a été fort souvent îmitee : c’est l’histoire d’un
  1181. 7. Sans doute le marquis de Janson, frère aîné de l’évêque. Voyez la note 17 de la lettre 136.
  1182. 8. Poëme tout plein de concetti que le cavalier Marino composa en France, et qui parut en 1623, avec une dédicace à Marie de Médicis, suivie d’une « Lettre ou discours de M. Chapelain à M. Favereau, conseiller du Roi en sa cour des aides, portant son opinion sur le poëme d’Adonis du chevalier Marino. » Ménage trouvait lui-même que cette sorte de préface de Chapelain était plus gauloise que française. Voyez la lettre du 24 février suivant.
  1183. 9. Sœur de Mme de Coulanges. Voyez la note 3 de la lettre 114.
  1184. Lettre 250. — 1. Claude le Fèvre, qui a laissé de très-beaux portraits et qui avait peint entre autres ceux de Mme de Sévigné et de Bussy. Il était élève de Lesueur et de Lebrun. Il ne flattait point les traits et n’aimait pas à peindre les femmes avec du fard. Voyez Walckenaer, tome V, p. 453 et 454. — Né en 1633 à Fontainebleau, il mourut à Londres en 1675.
  1185. 2. Voyez la note 4 de la lettre 242.
  1186. 3. D’Hacqueville.
  1187. 4. Du maréchal de Gramont. (Note de Grouvelle.) — Le maréchal de Gramont avait deux filles : « Mme de Monaco, et Henriette-Catherine de Gramont, qui épousa Alexandre de Canonville, marquis de Raffetot, après la mort duquel, arrivée en janvier 1681, elle se rendit religieuse aux filles du Saint-Sacrement à Paris, et y mourut le 25 mars 1695. » (Moréri.)
  1188. 5. Voyez la lettre 155, p. 158.
  1189. 6. Est-ce N*** de Simiane, marquis de Gordes, grand sénéchal de Provence, qui en 1669 (mais non plus en 1672) était chevalier d’honneur de la Reine, et qui signa, avec sa femme Marie de Sourdis, cousine du comte de Grignan, au contrat de mariage du 27 janvier 1669 ? Voyez la Notice, p. 329.
  1190. 7. Vers du Polyeucte de Corneille, acte II, scène ii.
  1191. 8. Voyez la note 7 de la lettre 157. — Il était question d’un traité avec le duc de Lorraine (beau-père de Mme de Vaudemont), aux termes duquel le Roi lui aurait rendu ses États à des conditions très-onéreuses. Voyez la lettre du 6 avril 1672.
  1192. 9. Dans l’édition de 1754 : « de ne jamais connoître l’amitié. »
  1193. Lettre 251. — 1. Jean-Baptiste de Forbin Meynier, marquis d’Oppède ; il fut ambassadeur en Portugal. (Note de l’édition de 1818.)
  1194. 2. Jean de Forbin de Souliers, colonel du régiment de Provence, beau-frère de Mmes  de Valavoire et de Buzanval. (Ibidem.)
  1195. 3. François-Annibal, duc d’Estrées, fils du frère de Gabrielle (mort à plus de cent ans, dit-on, le 5 mai précédent). Il était frère aîné du maréchal et du cardinal. Il fut gouverneur de l’Île-de-France, de Soissons et de Laon, et mourut à Rome, où il était ambassadeur, le 30 janvier 1687. Il avait épousé en 1647 Catherine de Lauzières Thémines, dont il eut : François-Annibal, alors marquis de Cœuvres, plus tard duc d’Estrées ; Pons-Charles, marquis de Thémines, mort en mai 1672 ; et Jean, qui succéda (1681) à son oncle le cardinal sur le siège de Laon, et mourut à quarante-trois ans, en décembre 1694.
  1196. 4. Petite-fille du chancelier Seguier. Ses cousines, Mlle de Béthune, carmélite à Pontoise, et la comtesse de Guiche, étaient comme elle petites-filles du chancelier, et Mme de Grignan leur avait écrit à l’occasion de la mort de leur aïeul.
  1197. 5. Le Ve chant, intitulé la Tragedia, mot que Mme de Sévigné traduit par le français comédie, que nous l’avons vue employer plusieurs fois comme terme générique. — L’histoire du Rossignol enterré dans le luth,

    Nel cavo ventre del sonoro legno,

    est racontée par Mercure dans les stances XL à LVI du VIIe chant, qui a pour titre le Delitie.

  1198. 6. Voyez l’apostille de la lettre 249.
  1199. Lettre 252. — 1. Peut-être Louis-Félix, marquis de la Valette, petit-fils naturel du duc d’Épernon, mort à soixante ans, lieutenant général des armées, en février 1695. Sa mère était Éléonore de Forbin de Souliers.
  1200. 2. Pellisson avait acheté une charge de maître des requêtes en 1671.
  1201. 3. Marguerite de Lorraine, seconde femme de Gaston, duc d’Orléans, morte le 3 avril suivant. (Note de Perrin.)
  1202. 4. Voyez la lettre 151, p. 140.
  1203. 5. Marie-Sidonia, fille de Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, gouverneur de Thionville et lieutenant général des armées du Roi, et d’Isabelle-Claire-Eugénie de Cromberg. Elle avait épousé à seize ans, en 1666, Charles de Champlais, marquis de Courcelles, et par ce mariage elle était devenue la belle-sœur de Mme de la Baume. Veuve en 1678, elle mourut à trente-quatre ans en décembre 1685 ; elle s’était remariée à un officier de dragons. Sur les aventures de cette femme, sur le procès que lui intenta son mari en 1669, et qui ne fut définitivement jugé que le 5 janvier 1680, voyez le chapitre VI du tome IV de Walckenaer, et les Mémoires de la marquise de Courcelles, publiés par M. P. Pougin dans la Bibliothèque elzévirienne.
  1204. La Tournelle était la chambre criminelle du parlement ; elle était composée moitié de conseillers de la grand’chambre, moitié de conseillers des enquêtes qui y entraient à tour de rôle.
  1205. Cette aventure donna lieu à la fable de la Fontaine, qui a pour titre : le Curé et le Mort. (Note de Perrin.) — C’est la Fable XI du livre VII. Voyez la lettre du 17 février précédent et la note 26 de la lettre 255.
  1206. Lettre 253. — 1. Il est vraisemblable que c’était la comédie des Femmes savantes, dont la première représentation eut lieu sur le théâtre du Palais-Royal le 11 mars 1672. Voyez l’Histoire du Théâtre françois, tome XI, p. 208, et la note 16 de la lettre 255.
  1207. 2. Mme de Sévigné songeait peut-être à la comtesse de Fiesque, qui avait perdu sa fille au mois de janvier précédent. Mme de Scudéry écrivait à Bussy, le 15 janvier : « La comtesse de Fiesque s’est mise dans un couvent à celle (à la mort) de Mme de Guerchi, sa fille… La Comtesse est bien embarrassée d’une affliction ; » et Bussy lui répondait le 22 : « Je plains bien la pauvre Comtesse d’avoir perdu sa fille et d’être obligée d’être triste ; je crois que sa joie lui est bien aussi chère que ses enfants. »
  1208. 3. Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot, médecin du père du grand Condé et ensuite de la reine Christine. Mme de la Baume et Bourdelot avaient écrit une diatribe contre l’Espérance, et la Princesse palatine y fit une réponse, publiée dans la Correspondance de Bussy et dans le tome II de l’édition de 1818 des Lettres de Mme de Sévigné.
  1209. 4. Voyez la lettre 247, p. 496, et la fin de la lettre 254.
  1210. 5. C’est-à-dire, l’évêque de Tournai, Gilbert de Choiseul, qui occupa ce siége de 1671 à 1689.
  1211. 6. Pierre de Bonzi, né en 1631 d’une ancienne famille de Florence, archevêque de Toulouse de janvier 1672 à octobre 1673, mort archevêque de Narbonne le 11 juillet 1703. Il avait été évêque de Béziers (1659-1669), et ambassadeur en Toscane, à Venise et en Pologne. — Sur ce cardinal, « longtemps roi de Languedoc par l’autorité de sa place, son crédit à la cour et l’amour de la province, » voyez Saint-Simon, tome I, p. 404, et tome IV, p. 133 et suivantes.
  1212. 7. César d’Estrées (évêque de Laon de 1655 à 1681) fut déclaré cardinal peu de temps après. Il l’étoit in petto depuis le mois d’août 1671. (Note de Perrin.)
  1213. 8. Paluzzo Paluzzi Albertoni, Romain, adopté par le pape Clément X (Émile Altieri) ; mort en juin 1698.
  1214. Lettre 254. — 1. « Boisrobert fit une satire contre d’Olonne, Sablé Bois-Dauphin et Saint-Évremont, que l’on appelait les Coteaux. Cela vient de ce qu’un jour Monsieur du Mans (Lavardin), qui tient table, se plaignit fort de la délicatesse de ces trois messieurs, et dit qu’en France il n’y avoit pas quatre coteaux dont ils approuvassent le vin. Le nom de Coteaux leur demeura, et même on nomme ainsi ceux qui sont trop délicats, et qui se piquent de raffiner en bonne chère. » (Tallemant des Réaux, tome II, p. 412.) — Voyez la satire iii de Boileau, v. 107.
  1215. 2. Voyez la note 2 de la lettre 30.
  1216. 3. Diane Chasteignier de la Roche-Posay, seconde femme du riche financier le Page. Elle se faisait appeler dame de Saint-Loup, du nom d’une terre que son mari lui avait achetée en Poitou. On voit par ce passage qu’en 1672 Mme de Saint-Loup était veuve de le Page. Voyez les Mémoires de Gourville, tome LII, p. 304, et Tallemant des Réaux, tome VI, p. 171 et suivantes.
  1217. 4. C’est le nombre de Ptolémée. Les 48 constellations de son catalogue comprennent 1029 étoiles, mais il y a quelques doubles emplois, qui les réduisent à 1022.
  1218. 5. Voyez ci-contre le troisième alinéa de la lettre suivante.
  1219. 6. Bajazet fut publié environ six semaines après la première représentation. L’achevé d’imprimer est du 20 février 1672. — Quant aux Contes de la Fontaine, il n’en parut aucun recueil entre janvier 1671 et le commencement de 1675. Seulement « il est probable que plusieurs des contes du recueil de 1676 furent d’abord imprimés à part. Nous en avons la preuve du moins pour le conte des Troqueurs. »  » Voyez Walckenaer, Histoire de la Fontaine, p. 244.
  1220. 7. Voyez la lettre précédente, p. 517.
  1221. Lettre 255 (revue sur une ancienne copie). — 1. Le dimanche gras tombait cette année au 28 février.
  1222. 2. Voyez la fin du chapitre Ier du traité de la Foiblesse de l’homme.
  1223. 3. Dans le manuscrit : « Si elle avoit seulement un œil. »
  1224. 4. L’amour de d’Hacqueville pour une fille du maréchal de Gramont. Voyez la lettre du 19 février précédent, p. 508, 509.
  1225. 5. Dans l’édition de la Haye (1726) : « c’est la suspension de tous les ordinaires, etc., » c’est-à-dire de tous les courriers, pour n’entretenir qu’une seule correspondance.
  1226. 6. Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, qui mourut le 21 du mois suivant. Il était cousin de Conrart, et fit des efforts inutiles pour lui faire quitter la religion réformée. Il contribua à l’établissement de l’Académie française, dont il fut l’un des premiers membres. Ce prélat, très-dévoué aux devoirs de l’épiscopat, se délassait de ses travaux par la culture des lettres. On a retrouvé quelques lettres qui lui étaient adressées par Mlle de Scudéry ; il y est appelé le Mage de Sidon.
  1227. 7. Tel est le texte du manuscrit. Si c’est une nouvelle allusion à la mode des grandes manches dont il est parlé au commencement de la lettre 195 et à la fin de la lettre 198, il faut avouer qu’elle n’est pas fort claire en cet endroit. On voit cependant que Mme de Sévigné veut excepter M. de Vence du nombre des importuns dont elle aurait souhaité de débarrasser sa fille. Lui avait-elle peut-être promis de balayer sa chambre avec ses grandes manches ?
  1228. 8. Voyez la note 4 de la lettre 137 et la lettre 159, p. 181.
  1229. 9. Dans l’édition de la Haye (1726) : « pour cette barbe incomparable de Grignan. »
  1230. 10. Renaud de Sévigné, retiré à Port-Royal des Champs, y passa les dernières années de sa vie dans les exercices de la plus haute piété. Il y mourut le 16 mars 1676, à l’âge de soixante-six ans. Voyez le Nécrologe de Port-Royal des Champs, p. 119.
  1231. 11. Voyez la note 12 de la lettre 166.
  1232. 12. Le cardinal de Retz.
  1233. 13. Pulchérie. Voyez la lettre 238 et la note 8, p. 470.
  1234. 14. Dans l’édition de Rouen (1726) : « les Femmes savantes, qui est une comédie parfaite. » — Dans les éditions de Perrin, on lit, comme dans notre manuscrit : Trissotin, et en note : «  c’est-à-dire les Femmes savantes. » Molière put-il faire cette lecture le samedi 12, lendemain de la première représentation de sa pièce ? Voyez Walckenaer, tome III, p. 473. — La douzième représentation, qui fut donnée à l’ouverture de Pâques (1672), est indiquée dans le registre manuscrit de l’acteur la Grange sous ce titre : les Femmes savantes ou Trissotin ; la quatorzième ne l’est plus que sous le titre unique de Trissotin. Voyez M. Taschereau, Histoire de Molière, p. 256.
  1235. 15. Ces deux ouvrages n’étoient point encore au point de perfection où ils parurent depuis en 1674 pour la première fois. (Note de Perrin.)
  1236. 16. Le Bassan (Jacopo da Ponte, dit le Bassan, né en 1510 à Bassano, dans les États de Venise) faisoit entrer son chien dans la composition de presque tous ses tableaux. (Note de Perrin.) — « Monsieur de Laon dit que Mme de Sévigny est dans les ouvrages de Ménage ce qu’est le chien de Bassan dans les portraits de ce peintre ; il ne sauroit s’empêcher de l’y mettre. » (Tallemant des Réaux, tome V, p. 228.)
  1237. 17. Dans le manuscrit : « Ces places sont d’une telle beauté… qu’elles n’ont point de prix. »
  1238. 18. Armand de Béthune, marquis de Charost, avait épousé (1657) Marie Foucquet, fille du surintendant, et de Louise Fourché, sa première femme. Le marquis et sa femme avaient été relégués à Ancenis après le jugement de Foucquet. Le Roi voyait avec peine les alliés d’un disgracié remplir à la cour une charge qui les rapprochait autant de sa personne ; ce n’était que pour les en écarter, qu’il leur faisait de grands avantages. (Note de l’édition de 1818). — Armand de Béthune mourut le 1er avril 1717, un an après sa femme. Son père, Louis de Béthune, d’abord comte de Charost, quatrième fils d’un frère du premier duc de Sully, mourut à soixante-seize ans, le 20 mars 1681. Voyez sur eux Saint-Simon, tome IX, p. 428 et suivantes. — Pour M. de Duras, voyez la note 7 de la lettre 140, où il faut lire « capitaine des gardes du corps en 1672 (au lieu de 1671). »
  1239. 19. Le duc de Noailles était premier capitaine des gardes du corps ; son fils, le comte d’Ayen (plus tard maréchal de Noailles), avait depuis 1661 la survivance de sa charge. Voyez sur eux la note 4 de la lettre 72, et la note 7 de la lettre 189.
  1240. 20. Dans toutes les éditions : « car il n’a qu’un œil. »
  1241. 21. Voyez la note 5 de la lettre 248.
  1242. 22. Voyez la lettre 155, p. 159, et plus bas la lettre 209.
  1243. 23. Dans toutes les éditions : « à ce chien de brelan. » — Le hoca était un jeu de hasard qui se jouait sur une table divisée en trente compartiments. Il avait été introduit par le cardinal Mazarin. Mademoiselle (tome IV des Mémoires, p. 277) dit qu’on perdit de grandes sommes à ce jeu pendant la Campagne des brouettes. Voyez la note de M. Chéruel.
  1244. 24.
    Ouf ! vous me serrez trop. — C’est par excès de zèle.
    (Tartuffe, acte III, scène iii.)
  1245. 25. Corneille avait dit dans ses vers à Foucquet, imprimés en tête de son Œdipe (1659) :
    Et je me trouve encor la main qui crayonna

    L’âme du grand Pompée et l’esprit de Cinna.

    — Sur Pulchérie, voyez la lettre du 15 janvier précédent, p. 470, et celle (de Mme de Coulanges) du 24 février 1673.

  1246. 26. Voyez la fable xi du livre VII, dont il a été parlé p. 514. — Boufflers était mort le 14 février ; le curé avait été tué quelques jours après ; le 26, Mme de Sévigné racontait l’événement, et le 9 mars la fable de la Fontaine circulait, en manuscrit sans aucun doute. Le recueil où elle est contenue ne fut publié qu’en 1678.
  1247. 27, La Laitière et le Pot au lait, fable qui précède immédiatement le Curé et le Mort, et qui est rappelée à la fin de cette dernière :
    Proprement toute notre vie
    Est le curé Chouart qui sur son mort comptoit,
    Et la fable du Pot au lait.
  1248. 28. Voyez la lettre 240, note 2.
  1249. 29. Le cœur de diamant.
  1250. 30. Jean-Jacques, alors comte d’Avaux, qui s’appela, après la mort de son père, en 1673, le président de Mesmes. Voyez la noie 9 de la lettre 143.
  1251. 31. Voyez la Notice, p. 196, et la lettre du 23 octobre 1675.
  1252. 32. Voyez la note 23 de la lettre 146.
  1253. Lettre 256. — 1. Sans doute celui qui a signé au contrat du 27 janvier 1669, de la part du comte de Grignan. Voyez la Notice, p. 329. Voyez aussi la lettre du 17 juillet 1680.
  1254. Lettre 267. — 1. Fameux libraire de ce temps-là. (Note de Perrin.) — Il avait sa boutique au Palais, sur le second perron de la Sainte-Chapelle :

    ....... le perron antique
    Où sans cesse, étalant bons et méchants écrits,
    Barbin vend aux passants des auteurs à tout prix.

    (Boileau, le Lutrin, chant ve.)
  1255. 2. Romans de Mme de la Fayette qui enrichissoient Barbin par la grande vogue qu’ils avoient. (Note de Perrin.) — Perrin a probablement altéré le texte. La Princesse de Montpensier parut en 1662 ; mais la première édition de la Princesse de Clèves est de mars 1678. Zaïde, qui parut d’abord sous le seul nom de Segrais, fut mise en vente chez Barbin en 1670. Peut-être Mme de Sévigné avait-elle écrit des Princesses de Montpensier et des Zaïdes ; le chevalier aura cru bien faire de substituer à ce dernier roman le titre plus célèbre de la Princesse de Clèves.
  1256. 3. Dans l’édition de 1734, il y a seulement : « plus loin qu’Andromaque. » — L’événement a fait voir, dit Perrin en note (1734), par Mithridate, Britannicus et Athalie, que Mme de Sévigné s’est trompée sur ce sujet. — En 1754, il modifie ainsi son observation : L’événement a fait voir par Mithridate, par Phèdre, par Athalie, etc., que le sentiment de Mme de Sévigné tenoit encore du préjugé de ce temps-là.
  1257. 4. Voyez la note de la lettre du 17 avril 1676.
  1258. 5. Dans l’édition de 1734, il n’y a que l’initiale T… — Jean Tambonneau, président à la chambre des comptes, épousa Marie Boyer, sœur de la duchesse de Noailles. C’est de lui probablement qu’il est parlé dans le chapitre x des Mémoires de Gramont. Son fils eut d’abord la même charge que lui, puis fut longtemps ambassadeur en Suisse. Saint-Simon dit que la vieille présidente « n’avoit jamais fait grand cas de son mari ni de son fils l’ambassadeur ; elle ne l’appeloit jamais que Michaut. » Voyez le tome II des Mémoires, p. 369, et le tome XVII, p. 283.
  1259. 6. Voyez la lettre 144, p. 105, et la note 8.
  1260. 7. Le mot semblance, dit le Dictionnaire de l’Academie de 1694, n’a guère d’usage que dans cette phrase : « Dieu a fait l’homme à son image et semblance. »
  1261. 8. Voyez la lettre 255, p. 524.
  1262. 9. Il s’agit vraisemblablement d’un vin envoyé de Provence. Il y a dans le canton de Vence, sur le Var, un bourg du nom de Saint-Laurent où se fait un commerce d’excellent vin muscat. Ce cru était-il célèbre dès le dix-septième siècle
  1263. 10. Voyez la note 7 de la lettre 253.
  1264. 11. Voyez la note 6 de la lettre 253.
  1265. 12. Voyez la lettre du 24 juin suivant.
  1266. 13. Il n’est pas facile de dire quelle était cette dame ; était-ce Mlle de Grancey, Mlle de Fiennes, ou Mme de Coetquen ?
  1267. 14. Voyez la note 14 de la lettre 238.
  1268. 15. C’est-à-dire M. de la Rochefoucauld et Mme de la Fayette, qui demeuroient l’un et l’autre au faubourg Saint-Germain, et que Mme de Sévigné voyoit très-souvent. (Note de Perrin.)
  1269. Lettre 258. — 1. À Bourbilly.
  1270. 2. La fille aînée de Bussy et de Gabrielle de Toulongeon s’appelait Diane-Jacqueline. Thérèse devait être son nom de religion.
  1271. 3. Cette lettre au Roi se trouve dans la première édition des Lettres de Bussy (tome I, p. 69), avec la date du 29 septembre 1671. Elle y est précédée de ces mots : « Je vous envoie ma dernière lettre à Sa Majesté. Vous ne m’avez rien dit de la. précédente. » Voyez dans l’Appendice au tome II de la Correspondance de Bussy, p. 435 et suivantes, les deux lettres au Roi du 9 septembre et du 8 décembre 1671.
  1272. Lettre 259. — 1. Voyez la lettre du 10 avril précédent, p. 159, et la lettre 255, p. 528.
  1273. 2. Peintre provençal, nommé Fauchier, qui, en faisant le portrait de Mme de Grignan en Madeleine, fut pris d’une colique si violente, qu’il en mourut le lendemain. (Note de Perrin, 1754.) — Dans l’édition de 1734, le mot peintre était précédé, dans la note, de l’épithète d’excellent.
  1274. 3. Dans l’édition de 1754 : « du rouge naturel avec du carmin. »
  1275. 4. Le chancelier Pompone de Bellièvre était mort en 1607. On avait aussi l’exemple du chancelier de Birague, mort en 1583 : les princes des maisons de Bourbon et de Guise menèrent le deuil ; Henri III lui-même, accompagné du duc d’Épernon, assista aux obsèques eu habit de pénitent. Voyez le Journal de Henri III, tome XL, p. 270.
  1276. 5. Ce membre de phrase, que nous reproduisons d’après l’édition de 1754, manque dans celle de 1734, où cette lettre a été imprimée pour la première fois.
  1277. 6. Voyez la lettre 255, p. 530.
  1278. 7. De capitaine des gardes. — Elle fut donnée, le 2 octobre suivant, au duc de Luxembourg. Voyez les Mémoires de Mademoiselle, tome IV, p. 324 et 335.
  1279. 8. Lauzun, nouvellement amené à Pignerol, avait mis le feu au parquet de sa chambre, et Louvois, prévenu par Saint-Mars, avait ordonné de déclarer au prisonnier que s’il s’avisait de faire de semblables tentatives, il le ferait garder à vue. Voyez dans les Recherches sur la détention des philosophes et gens de lettres, par Delort, Paris, 1839, tome I, p. 186, la lettre de Louvois, du 20 décembre 1671.
  1280. 9. Foucquet, en 1665, avait échappé à un bien plus grand danger, quand la foudre fit sauter le magasin à poudre de Pignerol et détruisit une partie de la forteresse. Voyez Delort, ibid., p. 93.
  1281. Lettre 260. — 1. Passage ironique : Villars avait peu de fortune. Il venait d’être nommé ambassadeur à Madrid. Voyez la lettre du 15 avril suivant.
  1282. 2. Charles II, roi d’Angleterre, avait commencé les hostilités par l’attaque d’une flotte hollandaise ; il ne déclara la guerre que quelques jours après.
  1283. 3. (M. J. Rafelis, marquis de Roquesante, sieur de Grandbois) conseiller au parlement d’Aix, homme d’un vrai mérite, et qui avoit été l’un des commissaires (de la chambre de justice dans le procès) de M. Foucquet. (Voyez la lettre 64, tome I, p. 473.) Il donna de si grandes preuves de son intégrité et de ses lumières dans le jugement de ce procès, que Mme de Sévigné en avoit conservé pour lui une estime singulière. (Note de Perrin.) — Il avait depuis été rapporteur du procès de Henri du Plessis Guénégaud, trésorier de l’Épargne. Ayant déplu à la cour, il fut relégué à Quimper-Corentin le 11 février 1665. Sa femme obtint, deux ans après, son rappel de cet exil. On fit sur sa disgrâce une épigramme qui finit par ces deux vers :

    Il est banni comme un coupable,
    Pour n’avoir pas voulu punir un innocent.

  1284. 4. « Fredon, terme qui se dit de trois cartes semblables, comme trois rois, trois dix, etc., et qui n’a d’usage qu’en certains jeux, comme le Hoc et la Prime. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.) — Sur les la Vieuville, voyez Saint-Simon, tome VIII, p. 330 et suivante.
  1285. 5. Depuis duchesse de Portsmouth. Voyez la lettre du 11 septembre 1675 et la note.
  1286. 6. La comtesse de Castelmaine, qui depuis le 3 août 1670 était duchesse de Cleveland : Barbe, fille et héritière de Guillaume Villiers, lord vicomte Grandisson en Irlande. Elle épousa, quelque temps avant la Restauration, Roger Palmer Esq., alors étudiant au Temple, et héritier d’une fortune considérable. La treizième année du règne de Charles II, il fut créé comte de Castelmaine en Irlande. Elle en eut une fille, qui naquit au mois de février 1661 ; mais peu de temps après elle devint la maîtresse publique du Roi, qui continua ses liaisons avec elle jusqu’en 1672, qu’elle mit au monde une fille qu’on supposa être de M. Churchill, depuis duc de Marlborough, et que le Roi désavoua. Elle mourut d’une hydropisie, le 9 octobre 1709, âgée de soixante-neuf ans. (Notes des Mémoires de Gramont, édition Pourrat, p. 117 et 315.)
  1287. 7. Cette initiale désigne Mlle de Fiennes, fille d’honneur de la Reine ; elle avait été enlevée par le chevalier de Lorraine. Voyez la lettre suivante.
  1288. 8. Belle-sœur du chevalier de Lorraine : voyez la note 2 de la lettre 116. Catherine de Neufville, fille du duc Nicolas de Villeroi et de Marguerite de Créquy, avait épousé le comte d’Armagnac en 1660 ; elle mourut en décembre 1707, âgée de soixante-huit ans. Elle fut dame du palais de la Reine. Voyez son portrait dans Saint-Simon, tome VI, p. 146 et suivante.
  1289. 9. C’est le texte de l’édition de 1734. Dans celle de 1754, on lit : « et trouva cet enfant si joli. » — Quatre lignes plus bas c’est, au contraire, l’édition de 1734 qui a trouvé le pronom le trop vague. Au lieu de : « si vous le savez déjà, » elle donne : « si vous savez tout cela. »
  1290. 10. De l’abbé de Grignan, depuis évêque d’Évreux et ensuite de Carcassonne. Voyez la note 12 de la lettre 230. Il soutenait ce jour-là sa thèse en Sorbonne.
  1291. 11. Voyez la lettre suivante. — Dans l’édition de 1754, au lieu des mots : « il l’a trouvée, » on lit : « il a trouvé cette conduite. »
  1292. 12. Voyez la note 3 de la lettre 216.