Lettres à Sophie Volland/79

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Lettres à Sophie Volland
Lettres à Sophie Volland, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 121-129).


LXXVIII


À Paris, le 5 septembre 1762.


Je reconnais toutes les circonstances de votre incendie ; les femmes qui pleurent, des hommes qui travaillent, d’autres qui regardent ou qui volent, des enfants qui s’effraient comme si l’univers allait périr, de plus jeunes qui jouent comme si tout était en sûreté ; lorsque la frayeur des suites de cet événement pour le reste des bâtiments a été passée, j’ai commencé à trembler pour votre santé. Vous m’assurez que vous vous portez bien toutes, et vous me l’assurez si positivement qu’il faut bien que je vous croie. Dites à Uranie que je ne me ferai jamais à cette indifférence que je lui vois sur la conservation d’une femme qui nous est si chère ; cette femme, c’est elle ; quelle injure elle nous fait à tous ! Est-ce bien sincèrement qu’elle nous aime, si peu soigneuse de faire durer notre bonheur ? Si elle y regardait de bien près, surtout avec cette délicatesse de penser dont elle est douée, elle verrait qu’elle n’est ni assez bonne mère, ni assez bonne fille, ni assez bonne sœur, ni assez bonne amie. Nous permettrait-elle de nous conduire comme elle ? Peut-elle avec quelque équité se permettre ce qu’elle nous défendrait ? Mais laissons cette corde que j’ai déjà touchée plusieurs fois, et à laquelle je reviendrai toutes les fois que je la verrai ou saurai souffrante. Elle a beau négliger sa vie ; elle ne la perdra pas quand elle voudra, et en attendant elle ne connaîtra pas toute l’énergie de son âme. Il faudra que toutes ses fonctions se ressentent de la faiblesse de ses organes ; elle ne sentira, ne pensera, ne parlera, n’agira point avec cette force qu’on ne tient que d’une machine bien disposée ; elle sortira de ce monde sans avoir connu tout ce qu’elle valait, ni l’avoir montré aux autres. Il y a des moments où elle a été satisfaite d’elle-même ; et elle néglige le moyens de les multiplier. Permettez, Uranie, à un homme qui regrette tout le bien que vous pouvez faire, que vous voudriez faire et que votre indisposition habituelle vous empêche de faire, de vous demander à quoi vous êtes bonne, lorsque votre estomac vous cause des douleurs insupportables et que vos jambes vous défaillent, que votre tête et vos idées s’embarrassent ? Vous nous donnez l’exemple d’une grande patience, mais croyez-vous que vous ne tireriez pas de votre santé meilleur parti pour vous et pour nous ?

Je vous ai déjà obéi, mon amie, et j’ai repris dans mon avant-dernière la suite de mon journal. J’aime à vivre sous vos yeux ; je ne me souviens que des moments que je me propose de vous écrire. Tous les autres sont perdus. J’en étais resté, je crois, à notre voyage de la Briche. Je ne connaissais point cette maison ; elle est petite ; mais tout ce qui l’environne, les eaux, les jardins, le parc a l’air sauvage : c’est là qu’il faut habiter, et non dans ce triste et magnifique château de la Chevrette. Les pièces d’eau immenses, escarpées par les bords couverts de joncs, d’herbes marécageuses ; un vieux pont ruiné et couvert de mousse qui les traverse ; des bosquets où la serpe du jardinier n’a rien coupé, des arbres qui croissent comme il plaît à la nature ; des arbres plantés sans symétrie ; des fontaines qui sortent par les ouvertures qu’elles se sont pratiquées elles-mêmes ; un espace qui n’est pas grand, mais où on ne se reconnaît point ; voilà ce qui me plaît. J’ai vu le petit appartement que Grimm s’est choisi ; la vue rase les basses-cours, passe sur le potager et va s’arrêter au loin sur un magnifique édifice.

Nous arrivâmes là, Damilaville et moi, à l’heure où l’on se met à table. Nous dînâmes gaiement et délicatement. Après dîner, nous nous promenâmes. Damilaville, Grimm et l’abbé Raynal nous précédaient faisant de la politique. La révolution de Russie embarrassait surtout l’abbé. Le soir, le docteur Gatti, que l’indisposition de M. de Saint-Lambert avait appelé à Sannois, petit village situé à une demi-lieue de la Briche, vint souper avec nous, et prendre la quatrième place dans notre voiture. En attendant le souper, on lut, on joua, on fit de la musique, on causa, on causa beaucoup de l’affaire des Jésuites qui était toute fraîche. J’osai dire qu’à juger de ces hommes par leur histoire, c’était une troupe de fanatiques commandés despotiquement par un chef machiavéliste. L’abbé Raynal, ex-Jésuite, ne fut pas trop content de ma définition ; quoiqu’il ait imprimé dans un de ses ouvrages que la Société de Jésus était une épée dont la poignée était à Rome et la pointe partout. Voilà l’esprit humain ; il poursuit dans la prospérité ; il perd de vue le méchant dans l’adversité, et le plaint, quand il n’en a plus rien à redouter. On se fait un mérite ou de son courage ou de son humanité. Notre vanité tire parti de tout. Ce n’est pas qu’on ne s’oublie de temps en temps, et qu’on ne s’amuse à battre les gens à terre ; témoin ce mot que l’on a dit au père Griffet. Après une longue lamentation sur la sévérité dont on usait envers eux : « On nous chasse, ajoutait-il ; nous sortons dépouillés de nos vêtements, de notre nom et de notre état, d’une maison où nous étions entourés des cœurs de nos rois. » Quelqu’un continua : « Mon père, voilà ce que c’est que de s’être un peu trop pressé d’avoir celui de Louis XV. »

Nous remontâmes dans notre voiture après souper : ce fut le docteur Gatti qui nous défraya. Il nous entretint des charmes du séjour d’Italie pour le climat, pour les hommes ; les femmes, la peinture, la musique, l’architecture, les sciences, les mœurs, les beaux-arts, et même la liberté de penser. Il fit une remarque qui me plut : c’est que la dévotion d’une femme donnait une pointe à sa passion : « Il faut, disait-il, qu’elle marche, pour ainsi dire, sur son Dieu, en allant se jeter entre, les bras de son amant. Jugez avec quelle impétuosité, quelle fureur, quel déluge elle se répand, quand une fois elle a rompu cette digue. Sa religion est un sacrifice de plus qu’elle fait à son amant ; et puis elle a cela de commode, cette religion, que ce même motif qui vous la livre, tant qu’elle est bonne au plaisir, avec ces transports qui ajoutent tant à sa douceur, vous en délivre quand elle n’est plus bonne à rien. »

Rien ne tient dans la conversation ; il semble que les cahots d’une voiture, les différents objets qui se présentent en chemin, les silences plus fréquents achèvent encore de la découdre. On parcourut les différents endroits de l’Italie. On s’arrêta surtout à Venise ; le moyen de ne pas s’arrêter dans un endroit où le carnaval dure pendant six mois, où les moines même vont en masque et en domino, et où, sur une même place, on voit d’un côté, sur des tréteaux, des histrions qui jouent des farces gaies, mais d’une licence effrénée, et de l’autre côté, sur d’autres tréteaux, des prêtres qui jouent des farces d’une autre couleur et s’écrient : « Messieurs, laissez là ces misérables ; ce Polichinelle qui vous assemble là n’est qu’un sot ; » et en montrant le crucifix : « Le vrai Polichinelle, le grand Polichinelle, le voilà. »

Quelqu’un nous raconta, ce fut, je crois, le docteur Gatti, deux traits fort différents, mais qui vous feront plaisir. Il faut que vous sachiez que les sénateurs sont les esclaves les plus malheureux de leur grandeur ; ils ne peuvent s’entretenir avec aucun étranger sous peine de la vie, à moins qu’ils n’aillent s’accuser eux-mêmes et dire qu’ils ont par hasard trouvé un Français, un Anglais, un Allemand, à qui ils ont dit un mot. Entrer dans la maison d’un ambassadeur, de quelque cour que ce soit, est un crime capital.

Un sénateur aimait une femme de son rang dont il était aimé. Tous les soirs, sur le minuit, il sortait enveloppé dans son manteau, seul, sans domestique, et allait passer une ou deux heures avec elle. Il fallait pour arriver chez son amie faire un circuit, ou traverser l’hôtel de l’ambassadeur de France. L’amour ne voit point de danger, et l’amour heureux compte les moments perdus. Notre sénateur amoureux ne balança pas à prendre le plus court chemin. Il traversa plusieurs fois l’hôtel de l’ambassadeur français. Enfin il fut aperçu, dénoncé et pris. On l’interroge. D’un mot il pouvait perdre l’honneur et exposer la vie de celle qu’il aimait, et conserver la sienne : il se tut et fut décapité. Cela est bien ; mais était-il permis aussi à la femme qui l’aimait de garder le silence ?

Voici le second trait que je vous ai promis. Le président de Montesquieu et milord Chesterfield se rencontrèrent, faisant l’un et l’autre le voyage d’Italie. Ces hommes étaient faits pour se lier promptement ; aussi la liaison entre eux fut-elle bientôt faite. Ils allaient toujours disputant sur les prérogatives des deux nations. Le lord accordait au président que les Français avaient plus d’esprit que les Anglais, mais qu’en revanche ils n’avaient pas le sens commun. Le président convenait du fait, mais il n’y avait pas de comparaison à faire entre l’esprit et le bon sens. Il y avait déjà plusieurs jours que la dispute durait ; ils étaient à Venise. Le président se répandait beaucoup, allait partout, voyait tout, interrogeait, causait, et le soir tenait registre des observations qu’il avait faites. Il y avait une heure ou deux qu’il était rentré et qu’il était à son occupation ordinaire, lorsqu’un inconnu se fit annoncer. C’était un Français assez mal vêtu, qui lui dit : « Monsieur, je suis votre compatriote. Il y a vingt ans que je vis ici ; mais j’ai toujours gardé de l’amitié pour les Français ; et je me suis cru quelquefois trop heureux de trouver l’occasion de les servir, comme je l’ai aujourd’hui avec vous. On peut tout faire dans ce pays, excepté se mêler des affaires d’État. Un mot inconsidéré sur le gouvernement coûte la tête, et vous en avez déjà tenu plus de mille. Les Inquisiteurs d’État ont les yeux ouverts sur votre conduite, on vous épie, on suit tous vos pas, on tient note de tous vos projets ; on ne doute point que vous n’écriviez. Je sais de science certaine qu’on doit peut-être aujourd’hui, peut-être demain, faire chez vous une visite. Voyez, monsieur, si en effet vous avez écrit, et songez qu’une ligne innocente, mais mal interprétée, vous coûterait la vie. Voilà tout ce que j’ai à vous dire. J’ai l’honneur de vous saluer. Si vous me rencontrez dans les rues, je vous demande pour toute récompense d’un service que je crois de quelque importance de ne me pas reconnaître, et si par hasard il était trop tard pour vous sauver, et qu’on vous prît, de ne me pas dénoncer. » Cela dit, mon homme disparut et laissa le président de Montesquieu dans la plus grande consternation. Son premier mouvement fut d’aller bien vite à son secrétaire, de prendre les papiers et de les jeter dans le feu. À peine cela fut-il fait que milord Chesterfield rentra. Il n’eut pas de peine à reconnaître le trouble terrible de son ami ; il s’informa de ce qui pouvait lui être arrivé. Le président lui rend compte de la visite qu’il avait eue, des papiers brûlés et de l’ordre qu’il avait donné de tenir prête sa chaise de poste pour trois heures du matin ; car son dessein était de s’éloigner sans délai d’un séjour où un moment de plus ou de moins pouvait lui être si funeste. Milord Chesterfield l’écouta tranquillement, et lui dit : « Voilà qui est bien, mon cher président ; mais remettons-nous pour un instant, et examinons ensemble votre aventure à tête reposée. — Vous vous moquez, lui dit le président. Il est impossible que ma tête se repose où elle ne tient qu’à un fil. — Mais qu’est-ce que cet homme qui vient si généreusement s’exposer au plus grand péril pour vous en garantir ? Cela n’est pas naturel. Français tant qu’il vous plaira, l’amour de la patrie ne fait point faire de ces démarches périlleuses, et surtout en faveur d’un inconnu. Cet homme n’est pas votre ami ? — Non. — Il était mal vêtu ? — Oui, fort mal. — Vous a-t-il demandé de l’argent, un petit écu pour prix de son avis ? — Oh ! pas une obole. — Cela est encore plus extraordinaire. Mais d’où sait-il tout ce qu’il vous a dit ? — Ma foi, je n’en sais rien… Des Inquisiteurs, d’eux-mêmes. — Outre que ce Conseil est le plus secret qu’il y ait au monde, cet homme n’est pas fait pour en approcher. — Mais c’est peut-être un des espions qu’ils emploient. — À d’autres ! On prendra pour espion un étranger, et cet espion sera vêtu comme un gueux, en faisant une profession assez vile pour être bien payée, et cet espion trahira ses maîtres pour vous, au hasard d’être étranglé si l’on vous prend et que vous le défériez ; si vous vous sauvez et que l’on soupçonne qu’il vous ait averti ! Chanson que tout cela, mon ami. — Mais qu’est-ce donc que ce peut être ? — Je le cherche, mais inutilement. »

Après avoir l’un et l’autre épuisé toutes les conjectures possibles, et le président persistant à déloger au plus vite, et cela pour le plus sûr, milord Chesterfield, après s’être un peu promené, s’être frotté le front comme un homme à qui il vient quelque pensée profonde, s’arrêta tout court et dit : « Président, attendez, mon ami, il me vient une idée. Mais… si… par hasard… cet homme… — Eh bien ! cet homme ? — Si cet homme… oui, cela pourrait bien être, cela est même, je n’en doute plus. — Mais qu’est-ce que cet homme ? Si vous le savez, dépêchez-vous vite de me l’apprendre. — Si je le sais ! oh ! oui, je crois le savoir à présent… Si cet homme vous avait été envoyé par… — Épargnez, s’il vous plaît ! — Par un homme qui est malin quelquefois, par un certain milord Chesterfield qui aurait voulu vous prouver par expérience qu’une once de sens commun vaut mieux que cent livres d’esprit, car avec du sens commun… — Ah ! scélérat, s’écria le président, quel tour vous m’avez joué ! Et mon manuscrit ! mon manuscrit que j’ai brûlé ! »

Le président ne put jamais pardonner au lord cette plaisanterie. Il avait ordonné qu’on tînt sa chaise prête, il monta dedans et partit la nuit même, sans dire adieu à son compagnon de voyage. Moi, je me serais jeté à son cou, je l’aurais embrassé cent fois, et je lui aurais dit : Ah ! mon ami, vous m’avez prouvé qu’il y avait en Angleterre des gens d’esprit, et je trouverai peut-être l’occasion une autre fois de vous prouver qu’il y a en France des gens de bon sens. Je vous conte cette histoire à la hâte, mettez à mon récit toutes les grâces qui y manquent, et puis, quand vous le referez à d’autres, il sera charmant.

Adieu, mes amies, je vous embrasse de tout mon cœur. Que je serais heureux si je pouvais vous dédommager un instant des longues et cruelles alarmes que vous avez eues ! Je vous aime toutes deux à la folie. Amant de l’une ou de l’autre, il est certain qu’il m’eût fallu l’autre pour amie.

J’écris cette lettre ce soir. Demain elle sera chez Damilaville, où j’espère trouver des papiers que je vous enverrai, et qui vous prouveront qu’il y a des hommes au monde plus malheureux que nous tous, et qu’un sage regarderait la mort comme un instant heureux où l’on échappe au vice et à la misère, qui nous poursuivent sans cesse et qui nous atteindraient sûrement si une vie de quelques siècles leur en laissait le temps. Chère sœur, n’allez pas abuser de ces derniers mots pour vous autoriser dans les mépris injustes que vous faites d’un bien qui ne vous appartient pas, et qui est engagé à d’autres par cent pactes plus sacrés les uns que les autres. Est-ce que mon amie et moi nous n’avons pas quelque hypothèque sur cet effet ? Adieu, adieu, je vous embrasse bien tendrement. Je finis par ne plus plaisanter sur une matière sérieuse. Adieu.

Vous voilà tout à fait tranquille ; c’est quelque chose. Non, je ne me suis pas aperçu que votre silence tombât précisément au temps de l’arrivée de notre chère sœur ; mais je vois que vous en avez fait vous-même la réflexion, que vous vous êtes souvenue des reproches que vous avez mérités plusieurs années de suite, et que cette année vous les auriez esquivés sans en être moins coupable. Eh ! mon amie, le mal n’est pas d’écrire deux ou trois jours plus tard, ni d’écrire froidement ; il y a mille raisons qui occasionnent ces alternatives dans ceux qui s’aiment le plus tendrement. C’est lorsqu’elles sont l’effet de quelque préférence accordée à un autre qu’elles offensent. Sans l’incertitude qui vous a servi d’excuse, vous ne m’auriez pas moins oublié ; un autre n’en aurait pas moins occupé votre âme tout entière pendant cinq ou six jours ; mais je ne m’en serais pas aperçu. On affecte, quand on veut, une chaleur, un intérêt qu’on n’a pas.

Je ne vous écrivis aucune lettre fâché. Je fis comme je ferai dans la suite. J’accuserai la difficulté d’envoyer à Vitry, et tous les contre-temps qui peuvent empêcher vos lettres de partir à temps, et, parties à temps, d’arriver à temps.

Morphyse est assez disposée dans les occasions importantes à me rendre justice ; toutes les fois qu’une affaire exige de la confiance, et que j’y peux quelque chose, elle me préfère. Avec tout cela elle me mortifie, elle me rend la vie longue et pénible. La conduite qu’elle tient ne répond guère à l’estime qu’elle m’accorde. Si j’ai quelques instants heureux, je les lui arrache. Si mon projet me réussit !.... Mais il ne faut pas vous parler de cela ; vous n’approuveriez pas mes idées, quoiqu’elles soient fondées sur un principe très-raisonnable. C’est celui qu’à quarante ans passés, une fille a ses amis, ses connaissances, qui peuvent très-bien n’être pas les amis, les connaissances de sa mère.

Vous faites sur Gras précisément les mêmes observations que je faisais sur vous et sur notre chère sœur. Je vous aime tous les jours de plus en plus, de toutes sortes de vertus que je vous découvre ; et je vois avec satisfaction que la vie d’un bon domestique a son juste prix à vos yeux ; le temps, qui dépare les autres, vous embellit.

Je compte peu sur le secours de votre beau-frère ; c’est une offre de service dont il aura toute la bonne grâce, et de Villeneuve toute la mauvaise.

Si je pouvais ! Mais il faudra voir. Je serai pauvre pendant les années qui suivront : que m’importe ? Vous m’entendez ; adieu encore une fois. Je prends vos deux mains et je les baise, l’une en dedans, et c’est la vôtre ; l’autre en dessus, c’est celle de notre chère sœur.

J’espère que M. Vialet ne vous refusera pas ce que je lui demande. Aussitôt que vous aurez sa réponse, faites-m’en part. Cette lettre serait déjà à l’hôtel de Clermont-Tonnerre ; mais j’attends deux maudits papiers de Voltaire sur les Calas ; ils seront suivis d’une consultation d’avocats, d’un mémoire, de la requête en cassation ; vous aurez tout.

Il y a quelques jours qu’on donna à Duclos-Delisle un paquet énorme à contre-signer pour madame votre mère. Il était à l’adresse d’un Pouillot de Vitry. Y a-t-il à Vitry quelqu’un de ce nom-là ?

Mais nos papiers de Calas ne viennent point. Damilaville n’est pas à son bureau ; il les aurait eus peut-être, et il aurait réparé la négligence du colporteur qui m’en avait promis deux exemplaires pour ce matin à neuf heures. Ce sera pour jeudi prochain.

Je vous écris ces dernières lignes sur le quai des Miramionnes, d’où je m’étais proposé d’aller dîner rue Royale ; mais le temps est bien vilain et il y a bien loin.