L’Encyclopédie/1re édition/ARTICLE

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ARTICLE, s. m. (Gram.) en Latin articulus, diminutif de artus, membre ; parce que dans le sens propre, on entend par article les jointures des os du corps des animaux, unies de différentes manieres, & selon les divers mouvemens qui leur sont propres : de-là par métaphore & par extension, on a donné divers sens à ce mot.

Les Grammairiens ont appellé articles certains petits mots qui ne signifient rien de physique, qui sont identifiés avec ceux devant lesquels on les place, & les font prendre dans une acception particuliere ; par exemple, le roi aime le peuple ; le premier le ne présente qu’une même idée avec roi ; mais il m’indique un roi particulier que les circonstances du pays où je suis, ou du pays dont on parle, me font entendre : l’autre le qui précede peuple, fait aussi le même effet à l’égard de peuple ; & de plus le peuple étant placé après aime, cette position fait connoître que le peuple est le terme ou l’objet du sentiment que l’on attribue au roi.

Les articles ne signifient point des choses ni des qualités seulement ; ils indiquent à l’esprit le mot qu’ils précedent, & le font considérer comme un objet tel, que sans l’article, cet objet seroit regardé sous un autre point de vûe ; ce qui s’entendra mieux dans la suite, surtout par les exemples.

Les mots que les Grammairiens appellent articles, n’ont pas toûjours dans les autres langues des équivalens qui y ayent le même usage ; les Grecs mettent souvent leurs articles devant les noms propres, tels que Philippe, Alexandre, César, &c. Nous ne mettons point l’article devant ces mots-là ; enfin il y a des langues qui ont des articles, & d’autres qui n’en ont point.

En Hébreu, en Chaldéen, & en Syriaque, les noms sont indéclinables, c’est-à-dire, qu’ils ne varient point leur désinence ou dernieres syllabes, si ce n’est comme en François du singulier au pluriel ; mais les vûes de l’esprit ou relations que les Grecs & les Latins font connoître par les terminaisons des noms, sont indiquées en Hébreu par des prépositifs qu’on appelle préfixes, & qui sont liés aux noms, à la maniere des prépositions inséparables, ensorte qu’ils forment le même mot.

Comme ces prépositifs ne se mettent point au nominatif, & que l’usage qu’on en fait n’est pas trop uniforme, les Hébraïsans les regardent plûtôt comme des prépositions que comme des articles. Nomina Hebraïca proprie loquendo sunt indeclinabilia. Quo ergo in casu accipienda sint & efferenda, non terminatione dignoscitur, sed præcipuè constructions, & præpositionibus quibusdam, seu litteris prœpositionum vices gerentibus, quæ ipsis à fronte adjiciuntur. Masclef. gramm. Hebr. c. 11. n. 7.

A l’égard des Grecs, quoique leurs noms se déclinent, c’est-à-dire, qu’ils changent de terminaison selon les divers rapports ou vûes de l’esprit qu’on a à marquer, ils ont encore un article ὁ, ἡ, τό, τοῦ, τῆς, τῆς, &c. dont ils font un grand usage ; ce mot est en Grec une partie spéciale d’oraison. Les Grecs l’appellerent ἄρτρον, du verbe ἄρω, apto, adapto, disposer, apprêter ; parce qu’en effet l’article dispose l’esprit à considérer le mot qui le suit sous un point de vûe particulier ; ce que nous développerons plus en détail dans la suite.

Pour ce qui est des Latins, Quintilien dit expressément qu’ils n’ont point d’articles, & qu’ils n’en ont pas besoin, noster sermo articulos non desiderat. (Quint. Lib. I. c. iv.) Ces adjectifs, is, hic, ille, iste, qui sont souvent des pronoms de la troisieme personne, sont aussi des adjectifs démonstratifs & métaphysiques, c’est-à-dire, qui ne marquent point dans les objets des qualités réelles indépendantes de notre maniere de penser. Ces adjectifs répondent plûtôt à notre ce qu’à notre le ; les Latins s’en servent pour plus d’énergie & d’emphase : Catonem illum sapientem (Cic.) ce sage Caton ; ille alter, (Ter.) cet autre ; illa seges, (Virg. georg. I. v. 47.) cette moisson ; illa rerum domina fortuna, (Cic. pro Marc. n. 2.) la fortune elle-même, cette maitresse des évenemens.

Uxorem ille tuus pulcher amator habet.

Propert. Lib. II. Eleg. XXI. v. 4. Ce bel amant que vous avez, a une femme.

Ces adjectifs Latins qui ne servent qu’à déterminer l’objet avec plus de force, sont si différens de l’article Grec & de l’article François, que Vossius prétend (de Anal. Liv. I. c. j. p. 375.) que les maîtres qui en faisant apprendre les déclinaisons Latines font dire hæc musa, induisent leurs disciples en erreur ; & que pour rendre littéralement la valeur de ces deux mots Latins, selon le génie de la langue Greque, il faudroit traduire hæc musa, αὐτὴ ἡ μοῦσα, c’est-à-dire cette la muse.

Les Latins faisoient un usage si fréquent de leur adjectif démonstratif, ille, illa, illud, qu’il y a lieu de croire que c’est de ces mots que viennent notre le & notre la, ille ego, mulier illa ; Væ homini illi per quem tradetur. (Luc, c. xxij. v. 22.) bonum erat ei si natus non fuisset homo ille. (Matt. c. xxvj. v. 24.) Hic illa parva Petilia Philoctetæ. (Virg. Æn. Lib. iij. v. 401.) C’est-là que la petite ville de Petilie fut bâtie par Philoctete. Ausoniæ pars illa procul quam pandit Apollo. Ib. v. 479. hæc illa Charybdis. Ib. v. 558. Pétrone faisant parler un guerrier qui se plaignoit de ce que son bras étoit devenu paralytique, lui fait dire : funerata est pars illa corporis mei, quâ quondam Achilles eram ; il est mort ce bras, par lequel j’étois autrefois un Achille. Ille Deûm pater, Ovide. Quisquis fuit ille Deorum. Ovide, Metam. Lib. I. v. 32.

Il y a un grand nombre d’exemples de cet usage, que les Latins faisoient de leur ille, illa, illud, surtout dans les comiques, dans Phedre, & dans les auteurs de la basse latinité. C’est de la derniere syllabe de ce mot ille, quand il n’est pas employé comme pronom, & qu’il n’est qu’un simple adjectif indicatif, que vient notre article le ; à l’égard de notre la, il vient du féminin illa. La premiere syllabe du masculin ille, a donné lieu à notre pronom il dont nous faisons usage avec les verbes, ille affirmat, (Phaed. Lib. III. fab. iij. v. 4.) il assûre. ille fecit, (Id. Lib. III. fab. 5. v. 8.) il a fait, ou il fit. Ingenio vires ille dat, ille rapit. (Ovid. Her. Ep. xv. v. 206.) A l’égard de elle, il vient de illa, illa veretur. (Virg. Ecl. 111. v. 4.) elle craint.

Dans presque toutes les langues vulgaires, les peuples soit à l’exemple des Grecs, soit plûtôt par une pareille disposition d’esprit, se sont fait de ces prépositifs qu’on appelle articles ; nous nous arrêterons principalement à l’article François.

Tout prépositif n’est pas appellé article. Ce, cet, cette, certain, quelque, tout, chaque, nul, aucun, mon, ma, mes, &c. ne sont que des adjectifs métaphysiques ; ils précedent toûjours leurs substantifs ; & puisqu’ils ne servent qu’à leur donner une qualification métaphysique, je ne sai pourquoi on les met dans la classe des pronoms. Quoi qu’il en soit, on ne donne pas le nom d’article à ces adjectifs ; ce sont spécialement ces trois mots, le, la, les, que nos Grammairiens nomment articles, peut-être parce que ces mots sont d’un usage plus fréquent : avant que d’en parler plus en détail, observons que

1°. Nous nous servons de le devant les noms masculins au singulier, le roi, le jour. 2°. Nous employons la devant les noms féminins au singulier, la reine, la nuit. 3°. La lettre s, qui, selon l’analogie de la langue, marque le pluriel quand elle est ajoûtée au singulier, a formé les du singulier le ; les sert également pour les deux genres, les rois, les reines ; les jours, les nuits. 4°. Le, la, les sont les trois articles simples : mais ils entrent aussi en composition avec la préposition à, & avec la préposition de, & alors ils forment les quatres articles composés, au, aux, lu, des.

Au est composé de la préposition à, & de l’article le, ensorte que au est autant que à le. Nos peres disoient al, al tems Innocent III. c’est-à-dire, au tems d’Innocent III. L’apostoile manda al prodome, &c. le Pape envoya au prud’homme : Ville-Hardouin, lib. I. pag. 1. mainte lerme i fu plorée de puié al départir, ib. id. pag. 16. Vigenere traduit maintes larmes furent plorées à leur partement, & au prendre congé. C’est le son obscur de l’e muet de l’article simple le, & le changement assez commun en notre langue de l en u, comme mal, maux ; cheval, chevaux : altus, haut ; alnus, aulne (arbre) alna, aune (mesure) alter, autre, qui ont fait dire au au lieu de à le, ou de al. Ce n’est que quand les noms masculins commencent par une consonne ou une voyelle aspirée, que l’on se sert de au au lieu de à le ; car si le nom masculin commence par une voyelle, alors on ne fait point de contraction, la préposition à & l’article le demeurent chacun dans leur entier : ainsi quoiqu’on dise le cœur, au cœur, on dit l’esprit, à l’esprit, le pere, au pere ; & on dit l’enfant, à l’enfant ; on dit le plomb, au plomb ; & on dit l’or, à l’or, l’argent, à l’argent ; car quand le substantif commence par une voyelle, l’e muet de le s’élide avec cette voyelle, ainsi la raison qui a donné lieu à la contraction au, ne subsiste plus ; & d’ailleurs, il se feroit un bâillement desagréable si l’on disoit au esprit, au argent, au enfant, &c. Si le nom est féminin, n’y ayant point d’e muet dans l’article la, on ne peut plus en faire au, ainsi l’on conserve alors la préposition & l’article, la raison, à la raison ; la vertu, à la vertu. 2°. Aux sert au pluriel pour les deux genres ; c’est une contraction pour à les, aux hommes, aux femmes, aux rois, aux reines, pour à les hommes, à les femmes, &c. 3°. Du est encore une contraction pour de le ; c’est le son obscur des deux e muets de suite de le, qui a amené la contraction du : autrefois on disoit del : la fins del conseil si fu tels, &c. l’arrêté du conseil fût, &c. Ville-Hardouin, lib. VII. p. 107. Gervaise del Chastel, id. ib. Gervais du Castel, Vigenere. On dit donc du bien & du mal, pour de le bien, de le mal, & ainsi de tous les noms masculins qui commencent par une consonne ; car si le nom commence par une voyelle, ou qu’il soit du genre féminin, alors on revient à la simplicité de la préposition, & à celle de l’article qui convient au genre du nom ; ainsi on dit de l’esprit, de la vertu, de la peine ; par-là on évite le bâillement : c’est la même raison que l’on a marquée sur au. 4°. Enfin des sert pour les deux genres au pluriel, & se dit pour de les, des rois, des reines.

Nos enfans, qui commencent à parler, s’énoncent d’abord sans contraction ; ils disent de le pain, de le vin ; tel est encore l’usage dans presque toutes nos provinces limitrophes, sur-tout parmi le peuple : c’est peut-être ce qui a donné lieu aux premieres observations que nos Grammairiens ont faites de ces contractions.

Les Italiens ont un plus grand nombre de prépositions qui se contractent avec leurs articles.

Mais les Anglois, qui ont comme nous des prépositions & des articles, ne font pas ces contractions ; ainsi ils disent of the, de le, où nous disons du ; the king, le roi ; of the king, de le roi, & en François du roi ; of the queen, de la reine ; to the king, à le roi, au roi ; to the queen, à la reine. Cette remarque n’est pas de simple curiosité ; il est important, pour rendre raison de la construction, de séparer la préposition de l’article, quand ils sont l’un & l’autre en composition, par exemple, si je veux rendre raison de cette façon de parler, du pain suffit : je commence par dire de le pain, alors la préposition de, qui est ici une préposition extractive, & qui comme toutes les autres prépositions doit être entre deux termes, cette préposition, dis-je, me fait connoître qu’il y a ici une ellipse.

Phédre, dans la fable de la vipere & de la lime, pour dire que cette vipere cherchoit dequoi manger dit : hæc quùm tentaret si qua res esset cibi, l. IV. sab. vij. vers 4. où vous voyez que aliqua res cibi fait connoître par analogie que du pain, c’est aliqua res panis, paululum panis ; quelque chose, une partie, une portion du pain ; c’est ainsi que les Anglois, pour dire donnez-moi du pain, disent give me some bread, donnez-moi quelque pain ; & pour dire j’ai vû des hommes, ils disent I have seen some men ; mot à mot, j’ai vû quelques hommes ; à des Médecins, to some physicians, à quelques Médecins.

L’usage de sous-entendre ainsi quelque nom générique devant de, du, des, qui commencent une phrase, n’étoit pas inconnu aux Latins : Lentulus écrit à Cicéron de s’intéresser à sa gloire ; de faire valoir dans le sénat, & ailleurs, tout ce qui pourroit lui faire honneur : de nostra dignitate velim tibi ut semper curæ sit. Cicéron, épit. Livre XII. épît. xjv. Il est évident que de nostra dignitate ne peut être le nominatif de curæ sit ; cependant ce verbe sit, étant à un mode fini, doit avoir un nominatif ; ainsi Lentulus avoit dans l’esprit ratio ou sermo de nostra dignitate, l’intérêt de ma gloire ; & quand même on ne trouveroit pas en ces occasions de mot convenable à suppléer, l’esprit n’en seroit pas moins occupé d’une idée que les mots énoncés dans la phrase réveillent, mais qu’ils n’expriment point : telle est l’analogie, tel est l’ordre de l’analyse de l’énonciation. Ainsi nos Grammairiens manquent d’exactitude, quand ils disent que la préposition dont nous parlons, sert à marquer le nominatif lorsqu’on ne veut que désigner une partie de la chose, Grammaire de Regnier, pag. 170 ; Restaut, pag. 75 & 418. ils ne prennent pas garde que les prépositions ne sauroient entrer dans le discours sans marquer un rapport ou relation entre deux termes, entre un mot & un mot : par exemple, la préposition pour marque un motif, une fin, une raison : mais ensuite il faut énoncer l’objet qui est le terme de ce motif, & c’est ce qu’on appelle le complément de la préposition : par exemple, il travaille pour la patrie, la patrie est le complément de pour, c’est le mot qui détermine pour ; ces deux mots pour la patrie font un sens particulier qui a rapport à travaille, & ce dernier au sujet de la préposition, le roi travaille pour la patrie. Il en est de même des prépositions de & à : le livre de Pierre est beau ; Pierre est le complément de de, & ces deux mots de Pierre se rapportent à livre, qu’ils déterminent, c’est-à-dire qu’ils donnent à ce mot le sens particulier qu’il a dans l’esprit, & qui dans l’énonciation le rend sujet de l’attribut qui le suit : c’est de ce livre que je dis qu’il est beau.

A est aussi une préposition qui, entre autres usages, marque un rapport d’attribution, donner son cœur à Dieu, parler à quelqu’un, dire sa pensée à son ami.

Cependant communément nos Grammairiens ne regardent ces deux mots que comme des particules qui servent, disent-ils, à décliner nos noms ; l’une est, dit-on, la marque du génitif ; & l’autre, celle du datif. Mais n’est-il pas plus simple & plus analogue au procédé des langues, dont les noms ne changent point leur derniere syllable, de n’y admettre ni cas ni déclinaison, & d’observer seulement comment ces langues énoncent les mêmes vûes de l’esprit, que les Latins font connoître par la différence des terminaisons ? tout cela se fait ou par la place du mot, ou par le secours des prépositions.

Les Latins n’ont que six cas, cependant il y a bien plus de rapports à marquer ; ce plus, ils l’énoncent par le secours de leurs prépositions. Hé bien, quand la place du mot ne peut pas nous servir à faire connoître le rapport que nous avons à marquer, nous faisons alors ce que les Latins faisoient au défaut d’une désinence ou terminaison particuliere : comme nous n’avons point de terminaison destinée à marquer le génitif, nous avons recours à une préposition ; il en est de même du rapport d’attribution, nous le marquons par la préposition à, ou par la préposition pour, & même par quelques autres, & les Latins marquoient ce rapport par une terminaison particuliere qui faisoit dire que le mot étoit alors au datif.

Nos Grammairiens ne nous donnent que six cas, sans doute parce que les Latins n’en ont que six. Notre accusatif, dit-on, est toûjours semblable au nominatif : hé, y a-r-il autre chose qui les distingue, sinon la place ? L’un se met devant, & l’autre après le verbe : dans l’une & dans l’autre occasion le nom n’est qu’une simple dénomination. Le génitif, selon nos Grammaires, est aussi toûjours semblable à l’ablatif ; le datif a le privilege d’être seul avec le prétendu artcle à : mais de & à ont toûjours un complément comme les autres prépositions, & ont également des rapports particuliers à marquer ; par conséquent si de & à font des cas, sur, par, pour, sous, dans, avec, & les autres prépositions devroient en faire aussi ; il n’y a que le nombre déterminé des six cas Latins qui s’y oppose : ce que je veux dire est encore plus sensible en Italien.

Les grammaires italiennes ne comptent que six cas aussi, par la seule raison que les Latins n’en ont que six. Il ne sera pas inutile de décliner ici au moins le singulier des noms Italiens, tels qu’ils sont déclinés dans la grammaire de Buommatei, celle qui avec raison a le plus de réputation.

1. Il re, c’est-à-dire le roi ; 2. del re, 3. al re, 4. il re, 5. o re, 6. dal re. 1. Lo abbate, l’abbé ; 2. dello abbate, 3. allo abbate, 4. lo abbate, 5. o abbate, 6. dallo abbate. 1. La donna, la dame ; 2. della donna, 3. alla donna, 4. la donna, 5. o donna, 6. dalla donna. On voit aisément, & les Grammairiens en conviennent, que del, dello, & dalla, sont composés de l’article, & de di, qui en composition se change en de ; que al, allo & alla sont aussi composés de l’article & de a, & qu’enfin dal, dallo, & dalla sont formés de l’article & de da, qui signifie par, che, de.

Buommatei appelle ces trois mots di, a, da, des segnacasi, c’est-à-dire, des signes des cas. Mais ce ne sont pas ces seules prépositions qui s’unissent avec l’article, en voici encore d’autres qui ont le même privilége.

Con, co, avec ; col tempo, avec le tems ; colla liberta, avec la liberté.

In, en, dans, qui en composition se change en ne, nello specchio, dans le miroir, nel giardino, dans le jardin, nelle strade, dans les rues.

Per, pour, par rapport à, perd l’r, p’el giardino, pour le jardin.

Sopra, sur, se change en su, su’l prato, sur le pré, sulla tavola, sur la table. Infra ou intra se change en tra : on dit tra’l pour tra, il entre là.

La conjonction & s’unit aussi avec l’article, la terra e’l cielo, la terre & le ciel. Faut-il pour cela l’ôter du nombre des conjonctions ? Puisqu’on ne dit pas que toutes ces prépositions qui entrent en composition avec l’article, forment autant de nouveaux cas, qu’elles marquent de rapports différens ; pourquoi dit-on que di, a, da, ont ce privilége ? C’est qu’il suffisoit d’égaler dans la langue vulgaire le nombre des six cas de la grammaire latine, à quoi on étoit accoûtumé dès l’enfance. Cette correspondance étant une fois trouvée, le surabondant n’a pas mérité d’attention particuliere.

Buommatei a senti cette difficulté : sa bonne foi est remarquable : je ne saurois condamner, dit-il, ceux qui veulent que in, per, con, soient aussi bien signes de cas, que le sont di, a, da : mais il ne me plaît pas à présent de les mettre au nombre des signes de cas ; il me paroît plus utile de les laisser au traité des prépositions : io non danno le loro ragioni, che certò non si posson dannare ; ma non mi piace per ora mettere gli ultimi nel numero de segnacasi ; parendo à me piu utile lasciar gli al trattato delle propositioni. Buommatei, della ling. Toscana. Del Segn. c. tr. 42. Cependant une raison égale doit faire tirer une conséquence pareille : par ratio, paria jura desiderat : co, ne, pe, &c. n’en sont pas moins prépositions, quoiqu’elles entrent en composition avec l’article ; ainsi di, a, da, n’en doivent pas moins être prépositions pour être unies à l’article. Les unes & les autres de ces prépositions n’entrent dans le discours que pour marquer le rapport particulier qu’elles doivent indiquer chacune selon la destination que l’usage leur a donnée, sauf aux Latins à marquer un certain nombre de ces rapports par des terminaisons particulieres.

Encore un mot, pour faire voir que notre de & notre a ne sont que des prépositions ; c’est qu’elles viennent, l’une de la préposition latine de, & l’autre de ad ou de a.

Les Latins ont fait de leur préposition de le même usage que nous faisons de notre de ; or si en latin de est toûjours préposition, le de françois doit l’être aussi toûjours.

1°. Le premier usage de cette préposition est de marquer l’extraction, c’est-à-dire, d’où une chose est tirée, d’où elle vient, d’où elle a pris son nom ; ainsi nous disons un temple de marbre, un pont de pierre, un homme du peuple, les femmes de notre siecle.

2°. Et par extension, cette préposition, sert à marquer la propriété : le livre de Pierre, c’est-à-dire, le livre tiré d’entre les choses qui appartiennent à Pierre.

C’est, selon ces acceptions, que les Latins ont dit, templum de marmore ponam, Virg. Géorg. liv. III. vers 13. je ferai bâtir un temple de marbre : suit in tectis de marmore templum, Virg. Æn. IV. v. 437. Il y avoit dans son palais un temple de marbre, tota de marmore, Virg. Ecl. vii. v. 31. toute de marbre :

. . . . . . . . . solido de marmore templa
Instituam, festosque dies de nomine Phœbi
.

Virg. Æn. VI. v. 70. Je ferai bâtir des temples de marbre, & j’établirai des fêtes du nom de Phœbus, en l’honneur de Phœbus.

Les Latins, au lieu de l’adjectif, se sont souvent servis de la préposition de suivie du nom, ainsi de marmore est équivalent à marmoreum. C’est ainsi qu’Ovide, I. mét. v. 127. au lieu de dire ætas ferrea, a dit : de duro est ultima ferro, le dernier âge est l’âge de fer. Remarquez qu’il venoit de dire, aurea prima sata est ætas ; ensuite subiit argentea proles.

Tertia post illas successit Ahnea proles : & enfin il dit dans le même sens, de duro est ultima ferro.

Il est évident que dans la phrase d’Ovide, ætas de ferro, de ferro n’est point au genitif ; pourquoi donc dans la phrase françoise, l’âge de fer, de fer seroit-il au genitif ? Dans cet exemple la préposition de n’étant point accompagnée de l’article, ne sert avec fer, qu’à donner à âge une qualification adjective :

Ne partis expers esset de nostris bonis,

Ter. Heaut. IV. 1. 39. afin qu’il ne fût pas privé d’une partie de nos biens : non hoc de nihilo esi, Ter. Hec. V. I. 1. ce n’est pas là une affaire de rien.

Reliquum de ratiuncula, Ter. Phorm. I. 1. 2. un reste de compte.

Portenta de genere hoc. Lucret. liv. V. v. 38. les monstres de cette espece.

Coerera de genere hoc adfingere, imaginer des phantômes de cette sorte, id. ibid. v. 165. & Horace i. sat. 1. v. 13. s’est exprimé de la même maniere, cætera de genere hoc adeo sunt multa.

De plebe deo, Ovid. un dieu du commun.

Nec de plebe deo, sed qui vaga fulmina mitto. Ovid.

Mét. I. v. 595. Je ne suis pas un dieu du commun, dit Jupiter à Io, je suis le dieu puissant qui lance la foudre. Homo de schola, Cic. de orat. ij. 7. un homme de l’école. Declamator de ludo, Cic. orat. c. xv. déclamateur du lieu d’exercice. Rabula de foro, un criailleur, un braillard du Palais, Cic. ibid. Primus de plebe, Tit. Liv. liv. VII. c. xvij. le premier du peuple. Nous avons des élégies d’Ovide, qui sont intitulées de Ponto, c’est-à-dire, envoyées du Pont. Mulieres de nostro seculo quæ spontè peccant, les femmes de notre siecle. Ausone, dans l’épitre qui est à la tête de l’idylle VII.

Cette couronne, que les soldats de Pilate mirent sur la tête de Jesus-Christ, S. Marc (ch. xv. v. 17.) l’appelle spineam coronam, & S. Matth. (ch. xv. v. 29.) aussi-bien que S. Jean (ch. xjx. v. 2.) la nomment coronam de spinis, une couronne d’épines.

Unus de circumstantibus, Marc, ch. xiv. ver. 47. un de ceux qui étoient là, l’un des assistans. Nous disons que les Romains ont été ainsi appellés de Romulus ; & n’est-ce pas dans le même sens que Virgile a dit : Romulus excipiet gentem, Romanosque suo de nomine dicet. I. Æneid. v. 281. & au vers 371 du même livre, il dit que Didon acheta un terrein qui fut appellé byrsa, du nom d’un certain fait ; facti de nomine byrsam ; & encore au vers 18. du III. liv. Enée dit : Æneadasque meo nomen de nomine fingo. ducis de nomine, ibid. ver. 166. &c. de nihilo irasci ; Plaut. se fâcher d’une bagatelle, de rien, pour rien. quercus de coelo tactas. Virg. des chênes frappés de la foudre. de more ; Virg. selon l’usage. de medio potare die, Horace, dès midi ; de tenero ungui, Horace, dès l’enfance ; de industriâ, Teren. de dessein prémédité ; filius de summo loco, Plaut. un enfant de bonne maison ; de meo, de tuo, Plaut. de mon bien, à mes dépens ; j’ai acheté une maison de Crassus, domum emi de Crasso ; Cic. fam. liv. V. Ep. vj. & pro Flacco, c. xx. fundum mercatus & de pupillo. il est de la troupe, de grege illo est ; Ter. Adelp. III. iij. 38. je le tiens de lui, de Davo audivi ; diminuer de l’amitié, aliquid de nostra conjunctione imminutum ; Cic. V. liv. epist. v.

3. De se prend aussi en Latin & en François pour pendant ; de die, de nocte ; de jour, de nuit.

4. De pour touchant, au regard de ; si res de amore meo secundæ essent ; si les affaires de mon amour alloient bien. Ter.

Legati de pace, César, de Bello Gall. 2. 3. des envoyés touchant la paix, pour parler de paix ; de argento somnium ; Ter. adelp. II. j. 50. à l’égard de l’argent, néant ; de captivis commutandis ; pour l’échange des prisonniers.

5. De, à cause de, pour, nos amas de fidicinâisthac ; Ter. Eun. III. iij. 4. vous m’aimez à cause de cette musicienne ; lætus est de amicâ ; il est gai à cause de sa maîtresse ; rapto de fratre dolentis ; Horace, I. ep. xjv. 7. inconsolable de la mort de son frere ; accusare, arguere de ; accuser, reprendre de.

6. Enfin cette préposition sert à former des façons de parler adverbiales ; de integro, de nouveau. Cic. Virg. de industria ; Teren. de propos délibéré, à dessein.

Si nous passions aux auteurs de la basse latinité, nous trouverions encore un plus grand nombre d’exemples : de cælis Deus, Dieu des cieux ; pannus de lanâ, un drap, une étoffe de laine.

Ainsi l’usage que les Latins ont fait de cette préposition a donné lieu à celui que nous en faisons. Les autorités que je viens de rapporter doivent suffire, ce me semble, pour détruire le préjugé répandu dans toutes nos grammaires, que notre de est la marque du génitif : mais encore un coup, puisqu’en Latin templum de marmore, pannus de lana, de n’est qu’une préposition avec son complément à l’ablatif, pourquoi ce même de passant dans la langue Françoise avec un pareil complément, se trouveroit-il transformé en particule, & pourquoi ce complément, qui est à l’ablatif en Latin, se trouveroit-il au génitif en François ?

Il n’y est ni au génitif ni à l’ablatif ; nous n’avons point de cas proprement dit en François ; nous ne faisons que nommer : & à l’égard des rapports ou vûes différentes sous lesquels nous considérons les mots, nous marquons ces vûes, ou par la place du mot, ou par le secours de quelque préposition.

La préposition de est employée le plus souvent à la qualification & à la détermination ; c’est-à-dire, qu’elle sert à mettre en rapport le mot qui qualifie, avec celui qui est qualifié : un palais de roi, un courage de héros.

Lorsqu’il n’y a que la simple préposition de, sans l’article, la préposition & son complément sont pris adjectivement ; un palais de roi, est équivalent à un palais royal ; une valeur de héros, équivalent à une valeur héroïque ; c’est un sens spécifique, ou de sorte : mais quand il y a un sens individuel ou personnel, soit universel, soit singulier, c’est-à-dire, quand on veut parler de tous les rois personnellement comme si l’on disoit l’intérêt des rois, ou de quelque roi particulier, la gloire du roi, la valeur du héros que j’aime, alors on ajoûte l’article à la préposition ; car des rois, c’est de les rois ; & du héros, c’est de le héros.

A l’égard de notre à, il vient le plus souvent de la préposition Latine ad, dont les Italiens se servent encore aujourd’hui devant une voyelle : ad uomo d’intellecto, à un homme d’esprit ; ad uno ad uno, un à un ; (S. Luc, ch. jx. v. 13.) pour dire que Jesus-Christ dit à ses disciples, &c. se sert de la préposition ad, ait ad illos. Les Latins disoient également loqui alicui, & loqui ad aliquem, parler à quelqu’un ; afferre aliquid alicui, ou ad aliquem, apporter quelque chose à quelqu’un, &c. Si de ces deux manieres de s’exprimer nous avons choisi celle qui s’énonce par la préposition, c’est que nous n’avons point de datif.

1°. Les Latins disoient aussi pertinere ad ; nous disons de même avec la préposition appartenir à.

2°. Notre préposition à vient aussi quelquefois de la préposition Latine à ou ab ; auferre aliquid alicui ou ab aliquo, ôter quelque chose à quelqu’un : on dit aussi, eripere aliquid alicui ou ab aliquo ; petere veniam à Deo, demander pardon à Dieu.

Tout ce que dit M. l’abbé Regnier pour faire voir que nous avons des datifs, me paroît bien mal assorti avec tant d’observations judicieuses qui sont répandues dans sa Grammaire. Selon ce célebre académicien (p. 238.) quand on dit voilà un chien qui s’est donné à moi, à moi est au datif : mais si l’on dit un chien qui s’est adonné à moi, cet à moi ne sera plus alors un datif ; c’est, dit-il, la préposition Latine ad. J’avoue que je ne saurois reconnoître la préposition Latine dans adonné à, sans la voir aussi dans donné à, & que dans l’une & dans l’autre de ces phrases les deux à me paroissent de même espece, & avoir la même origine. En un mot, puisque ad aliquem, ou ab aliquo ne sont point des datifs en Latin, je ne vois pas pourquoi à quelqu’un pourroit être un datif en François.

Je regarde donc de & à comme de simples prépositions, aussi bien que par, pour, avec, &c. les unes & les autres servent à faire connoître en François les rapports particuliers que l’usage les a chargés de marquer, sauf à la langue Latine à exprimer autrement ces mêmes rapports.

A l’égard de le, la, les, je n’en fais pas une classe particuliere de mots sous le nom d’article ; je les place avec les adjectifs prépositifs, qui ne se mettent jamais que devant leurs substantifs, & qui ont chacun un service qui leur est propre. On pourroit les appeller prénoms.

Comme la société civile ne sauroit employer trop de moyens pour faire naître dans le cœur des hommes des sentimens, qui d’une part les portent à éviter le mal qui est contraire à cette société, & de l’autre les engagent à pratiquer le bien, qui sert à la maintenir & à la rendre florissante ; de même l’art de la parole ne sauroit nous donner trop de secours pour nous faire éviter l’obscurité & l’amphiboiogie, ni inventer un assez grand nombre de mots, pour énoncer non seulement les diverses idées que nous avons dans l’esprit, mais encore pour exprimer les différentes faces sous lesquelles nous considérons les objets de ces idées.

Telle est la destination des prénoms ou adjectifs métaphysiques, qui marquent, non des qualités physiques des objets, mais seulement des points de vûes de l’esprit, ou des faces différentes sous lesquelles l’esprit considere le même mot ; tels sont tout, chaque, nul, aucun, quelque, certain, dans le sens de quidam, un, ce, cet, cette, ces, le, la, les, auxquels on peut joindre encore les adjectifs possessifs tirés des pronoms personnels ; tels sont mon, ma, mes, & les noms de nombre cardinal, un, deux, trois, &c.

Ainsi je mets le, la, les au rang de ces pronoms ou adjectifs métaphysiques. Pourquoi les ôter de la classe de ces autres adjectifs ?

Ils sont adjectifs, puisqu’ils modifient leur substantif, & qu’ils le font prendre dans une acception particuliere, individuelle, & personnelle. Ce sont des adjectifs métaphysiques, puisqu’ils marquent, non des qualités physiques, mais une simple vûe particuliere de l’esprit.

Presque tous nos Grammairiens (Regnier, p. 141. Restaut, p. 64.) nous disent que le, la, les, servent à faire connoître le genre des noms, comme si c’étoit là une propriété qui fût particuliere à ces petits mots. Quand on a un adjectif à joindre à un nom, on donne à cet adjectif, ou la terminaison masculine, ou la féminine. Selon ce que l’usage nous en a appris, si nous disons le soleil plûtôt que la soleil, comme les Allemands, c’est que nous savons qu’en François soleil est du genre masculin, c’est-à-dire, qu’il est dans la classe des noms de choses inanimées auxquels l’usage a consacré la terminaison des adjectifs déjà destinée aux noms des mâles, quand il s’agit des animaux. Ainsi lorsque nous parlons du soleil, nous disons le soleil, plûtôt que la, par la même raison que nous dirions beau soleil, brillant soleil, plûtôt que belle ou brillante.

Au reste, quelques Grammairiens mettent le, la, les, au rang des pronoms : mais si le pronom est un mot qui se mette à la place du nom dont il rappelle l’idée, le, la, les, ne seront pronoms que lorsqu’ils feront cette fonction : alors ces mots vont tous seuls & ne se trouvent point avec le nom qu’ils représentent. La vertu est aimable ; aimez-la. Le premier la est adjectif métaphysique ; ou comme on dit article, il précede son substantif vertu ; il personifie la vertu ; il la fait regarder comme un individu métaphysique : mais le second la qui est après aimez, rappelle la vertu, & c’est pour cela qu’il est pronom, & qu’il va tout seul ; alors la vient de illam, elle.

C’est la différence du service ou emploi des mots, & non la différence matérielle du son, qui les fait placer en différentes classes : c’est ainsi que l’infinitif des verbes est souvent nom, le boire, le manger.

Mais sans quitter nos mots, ce même son la n’est-il pas aussi quelquefois un adverbe qui répond aux adverbes latins ibi, hâc, istac, illâc, il demeure là, il va là ? &c. N’est-il pas encore un nom substantif quand il signifie une note de musique ? Enfin n’est-il pas aussi une particule explétive qui sert à l’énergie ? ce jeune homme-là, cette femme-là, &c.

A l’égard de un, une, dans le sens de quelque ou certain, en Latin quidam, c’est encore un adjectif prépositif qui désigne un individu particulier, tiré d’une espece, mais sans déterminer singulierement quel est cet individu, si c’est Pierre ou Paul. Ce mot nous vient aussi du Latin, quis est is homo, unus ne amator ? (Plaut. Truc. I. ij. 32.) quel est cet homme, est-ce là un amoureux ? hic est unus servus violentissimus, (Plaut. ibid. II. I. 39.) c’est un esclave emporté ; sicut unus paterfamilias, (Cic. de orat. i. 29.) comme un pere de famille. Qui variare cupit rem prodigialiter unam, (Hor. art. poet. v. 29.) celui qui croit embellir un sujet, unam rem, en y faisant entrer du merveilleux. Forte unam adspicio adolescentulam, (Ter. And. act. I. sc. i. v. 91.) j’apperçois par hasard une jeune fille. Donat qui a commenté Térence dans le tems que la langue latine étoit encore une langue vivante, dit sur ce passage que Térence a parlé selon l’usage ; & que s’il a dit unam, une, au lieu de quamdam, certaine, c’est que telle étoit, dit-il, & que telle est encore la maniere de parler. Ex consuetudine dicit unam, ut dicimus, unus est adolescens : unam ergo τῶ ἰδιωτισμῶ dixit, vel unam pro quamdam. Ainsi ce mot n’est en François que ce qu’il étoit en Latin.

La Grammaire générale de P. R. pag. 53. dit que un est article indéfini. Ce mot ne me paroît pas plus article indéfini que tout, article universel, ou ce, cette, ces, articles définis. L’auteur ajoûte, qu’on croit d’ordinaire que un n’a point de pluriel ; qu’il est vrai qu’il n’en a point qui soit formé de lui-même : (on dit pourtant, les uns, quelques uns ; & les Latins ont dit au pluriel, uni, unæ, &c. Ex unis geminas mihi conficiet nuptias. (Ter. And. act. IV. sc. i. v. 51.) Aderit una in unis ædibus. (Ter. Eun. act. II. sc. iij. v. 75.) & selon Mde Dacier, act. II. sc. iv. v. 74.) Mais revenons à la Grammaire générale. Je dis, poursuit l’auteur, que un a un pluriel pris d’un autre mot, qui est des, avant les substantifs, des animaux ; & de, quand l’adjectif précede, de beaux lits. De un pluriel ! cela est nouveau.

Nous avons déjà observé que des est pour de les, & que de est une préposition, qui par conséquent suppose un mot exprimé ou sousentendu, avec lequel elle puisse mettre son complément en rapport : qu’ainsi il y a ellipse dans ces façons de parler ; & l’analogie s’oppose à ce que des ou de soient le nominatif pluriel d’un ou d’une.

L’auteur de cette Grammaire générale me paroit bien au-dessous de sa réputation quand il parle de ce mot des à la page 55 : il dit que cette particule est quelquefois nominatif ; quelquefois accusatif, ou génitif, ou datif, ou enfin ablatif de l’article un. Il ne lui manque donc que de marquer le vocatif pour être la particule de tous les cas. N’est-ce pas là indiquer bien nettement l’usage que l’on doit faire de cette préposition ?

Ce qu’il y a de plus surprenant encore, c’est que cet auteur soûtient, page 55, que comme on dit au datif singulier à un, & au datif pluriel à des, on devroit dire au génitif pluriel de des ; puisque des est, dit-il, le pluriel d’un : que si on ne l’a pas fait, c’est, poursuit-il, par une raison qui fait la plûpart des irrégularités des langues, qui est la cacophonie ; ainsi, dit-il, selon la parole d’un ancien, impetratum est à ratione ut peccare suavitatis causâ liceret ; & cette remarque a été adoptée par M. Restaut, p. 73. & 75.

Au reste, Cicéron dit, (Orator, n. XLVII.) que impetratum est à consuetudine, & non à ratione, ut peccare suavitatis causâ liceret : mais soit qu’on lise à consuetudine, avec Cicéron, ou à ratione, selon la Grammaire générale, il ne faut pas croire que les pieux solitaires de P. R. ayent voulu étendre cette permission au-delà de la Grammaire.

Mais revenons à notre sujet. Si l’on veut bien faire attention que des est pour de les ; que quand on dit à des hommes, c’est à de les hommes ; que de ne sauroit alors déterminer à, qu’ainsi il y a ellipse à des hommes, c’est-à-dire à quelques-uns de les hommes, quibusdam ex hominibus : qu’au contraire, quand on dit le Sauveur des hommes, la construction est toute simple ; on dit au singulier, le Sauveur de l’homme, & au pluriel, le Sauveur de les hommes ; il n’y a de différence que de le à les, & non à la préposition. Il seroit inutile & ridicule de la répéter ; il en est de des comme de aux, l’un est de les, & l’autre à les : or comme lorsque le sens n’est pas partitif, on dit aux hommes sans ellipse, on dit aussi des hommes ; dans le même sens général, l’ignorance des hommes, la vanité des hommes.

Ainsi regardons 1°. le, la, les, comme de simples adjectifs indicatifs & métaphysiques, aussi-bien que ce, cet, cette, un, quelque, certain, &c.

2°. Considérons de comme une préposition, qui ainsi que par, pour, en, avec, sans, &c. sert à tourner l’esprit vers deux objets, & à faire appercevoir le rapport que l’on veut indiquer entre l’un & l’autre.

3°. Enfin décomposons au, aux, du, des, faisant attention à la destination & à la nature de chacun des mots décomposés, & tout se trouvera applani.

Mais avant que de passer à un plus grand détail touchant l’emploi & l’usage de ces adjectifs, je crois qu’il ne sera pas inutile de nous arrêter un moment aux réflexions suivantes : elles paroîtront d’abord étrangeres à notre sujet ; mais j’ose me flatter, qu’on reconnoîtra dans la suite qu’elles étoient nécessaires.

Il n’y a en ce monde que des êtres réels, que nous ne connoissons que par les impressions qu’ils font sur les organes de nos sens, ou par des réflexions qui supposent toûjours des impressions sensibles.

Ceux de ces êtres qui sont séparés des autres, font chacun un ensemble, un tout particulier par la liaison, la continuité, le rapport & la dépendance de leurs parties.

Quand une fois les impressions que ces divers objets ont faites sur nos sens, ont été portées jusqu’au cerveau, & qu’elles y ont laissé des traces, nous pouvons alors nous rappeller l’image ou l’idée de ces objets particuliers, même de ceux qui sont éloignés de nous, & nous pouvons par le moyen de leurs noms, s’ils en ont un, faire connoître aux autres hommes, que c’est à tel objet que nous pensons plûtôt qu’à tel autre.

Il paroît donc que chaque être singulier devroit avoir son nom propre, comme dans chaque famille chaque personne a le sien : mais cela n’a pas été possible à cause de la multitude innombrable de ces êtres particuliers, de leurs propriétés & de leurs rapports. D’ailleurs comment apprendre & retenir tant de noms ?

Qu’a-t-on donc fait pour y suppléer ? Je l’ai appris en me rappellant ce qui s’est passé à ce sujet par rapport à moi.

Dans les premieres années de ma vie, avant que les organes de mon cerveau eussent acquis un certain degré de consistance, & que j’eusse fait une certaine provision de connoissances particulieres, les noms que j’entendois donner aux objets qui se présentoient à moi, je les prenois comme j’ai pris dans la suite les noms propres.

Cet animal à quatre pattes qui venoit badiner avec moi, je l’entendois appeller chien. Je croyois par sentiment & sans autre examen, car alors je n’en étois pas capable, que chien étoit le nom qui servoit à le distinguer des autres objets que j’entendois nommer autrement.

Bientôt un animal fait comme ce chien, vint dans la maison, & je l’entendis aussi appeller chien ; c’est, me dit-on, le chien de notre voisin. Après cela j’en vis encore bien d’autres pareils, auxquels on donnoit aussi le même nom, à cause qu’ils étoient faits à peu près de la même maniere ; & j’observai qu’outre le nom de chien qu’on leur donnoit à tous, on les appelloit encore chacun d’un nom particulier : celui de notre maison s’appelloit Médor ; celui de notre voisin, Marquis ; un autre, Diamant, &c.

Ce que j’avois remarqué à l’égard des chiens, je l’observai aussi peu à peu à l’égard d’un grand nombre d’autres êtres. Je vis un moineau, ensuite d’autres moineaux ; un cheval, puis d’autres chevaux ; une table, puis d’autres tables ; un livre, ensuite des livres, &c.

Les idées que ces différens noms excitoient dans mon cerveau, étant une fois déterminées, je vis bien que je pouvois donner à Médor & à Marquis le nom de chien ; mais que je ne pouvois pas leur donner le nom de cheval, ni celui de moineau, ni celui de table, ou quelqu’autre : en effet, le nom de chien réveilloit dans mon esprit l’image de chien, qui est différente de celle de cheval, de celle de moineau, &c.

Médor avoit donc déjà deux noms, celui de Médor qui le distingue de tous les autres chiens, & celui de chien qui le mettoit dans une classe particuliere, différente de celle de cheval, de moineau, de table, &c.

Mais un jour on dit devant moi que Médor étoit un joli animal ; que le cheval d’un de nos amis étoit un bel animal ; que mon moineau étoit un petit animal bien privé & bien aimable : & ce mot d’animal je ne l’ai jamais oüi dire d’une table, ni d’un arbre, ni d’une pierre, ni enfin de tout ce qui ne marche pas, ne sent pas, & qui n’a point les qualités communes & particulieres à tout ce qu’on appelle animal.

Médor eut donc alors trois noms, Médor, chien, animal.

On m’apprit dans la suite la différence qu’il y a entre ces trois sortes de noms ; ce qu’il est important d’observer & de bien comprendre, par rapport au sujet principal dont nous avons à parler.

1°. Le nom propre, c’est le nom qui n’est dit que d’un être particulier, du moins dans la sphere où cet être se trouve ; ainsi Louis, Marie, sont des noms propres, qui, dans les lieux où l’on en connoît la destination, ne désignent que telle ou telle personne, & non une sorte ou espece de personnes.

Les objets particuliers auxquels on donne ces sortes de noms sont appellés des individus, c’est-à-dire, que chacun d’eux ne sauroit être divisé en un autre lui-même sans cesser d’être ce qu’il est ; ce diamant, si vous le divisez, ne sera plus ce diamant ; l’idée qui le représente ne vous offre que lui & n’en renferme pas d’autres qui lui soient subordonnés, de la même maniere que Médor est subordonné à chien, & chien à animal.

2°. Les noms d’especes, ce sont des noms qui conviennent à tous les individus qui ont entr’eux certaines qualités communes ; ainsi chien est un nom d’espece, parce qu’il convient à tous les chiens particuliers, dont chacun est un individu, semblable en certains points essentiels à tous les autres individus, qui, à cause de cette ressemblance, sont dits être de même espece & ont entr’eux un nom commun, chien.

3°. Il y a une troisieme sorte de noms qu’il a plû aux maîtres de l’art d’appeller noms de genre, c’est-à-dire, noms plus généraux, plus étendus encore que les simples noms d’espece ; ce sont ceux qui sont communs à chaque individu de toutes les especes subordonnées à ce genre ; par exemple, animal se dit du chien, du cheval, du lion, du cerf, & de tous les individus particuliers qui vivent, qui peuvent se transporter par eux-mêmes d’un lieu en un autre, qui ont des organes, dont la liaison & les rapports forment un ensemble. Ainsi l’on dit ce chien est un animal bien attaché à son maître, ce lion est un animal féroce, &c. Animal est donc un nom de genre, puisqu’il est commun à chaque individu de toutes les différentes especes d’animaux.

Mais ne pourrai-je pas dire que l’animal est un être, une substance, c’est-à-dire une chose qui existe ? Oui sans doute, tout animal est un être. Et que deviendra alors le nom d’animal, sera-t-il encore un nom de genre ? Il sera toûjours un nom de genre par rapport aux différentes especes d’animaux, puisque chaque individu de chacune de ces especes n’en sera pas moins appellé animal. Mais en même tems animal sera un nom d’espece subordonnée à être, qui est le genre suprème ; car dans l’ordre métaphysique, (& il ne s’agit ici que de cet ordre-là) être se dit de tout ce qui existe & de tout ce que l’on peut considérer comme existant, & n’est subordonné à aucune classe supérieure. Ainsi on dira fort bien qu’il y a différentes especes d’êtres corporels : premierement les animaux, & voilà animal devenu nom d’espece : en second lieu il y a les corps insensibles & inanimés, & voilà une autre espece de l’être.

Remarquez que les especes subordonnées à leur genre, sont distinguées les unes des autres par quelque propriété essentielle ; ainsi l’espece humaine est distinguée de l’espece des brutes par la raison & par la conformation ; les plumes & les aîles distinguent les oiseaux des autres animaux, &c.

Chaque espece a donc un caractere propre qui la distingue d’une autre espece, comme chaque individu a son suppôt particulier incommunicable à tout autre.

Ce caractere distinctif, ce motif, cette raison qui nous a donné lieu de nous former ces divers noms d’espece, est ce qu’on appelle la différence.

On peut remonter de l’individu jusqu’au genre suprème, Medor, chien, animal, être ; c’est la méthode par laquelle la nature nous instruit ; car elle ne nous montre d’abord que des êtres particuliers.

Mais lorsque par l’usage de la vie on a acquis une suffisante provision d’idées particulieres, & que ces idées nous ont donné lieu d’en former d’abstraites & de générales, alors comme l’on s’entend soi-même, on peut se faire un ordre selon lequel on descend du plus général au moins général, suivant les différences que l’on observe dans les divers individus compris dans les idées générales. Ainsi en commençant par l’idée générale de l’être ou de la substance, j’observe que je puis dire de chaque être particulier qu’il existe : ensuite les différentes manieres d’exister de ces êtres, leurs différentes propriétés, me donnent lieu de placer au-dessous de l’être autant de classes ou especes différentes que j’observe de propriétés communes seulement entre certains objets, & qui ne se trouvent point dans les autres : par exemple, entre les êtres j’en vois qui vivent, qui ont des sensations, &c. j’en fais une classe particuliere que je place d’un côté sous être & que j’appelle animaux ; & de l’autre côté je place les êtres inanimés ; en sorte que ce mot être ou substance est comme le chef d’un arbre généalogique dont animaux & êtres inanimés sont comme les descendans placés au-dessous, les uns à droite & les autres à gauche.

Ensuite sous animaux je fais autant de classes particulieres, que j’ai observé de différences entre les animaux ; les uns marchent, les autres volent, d’autres rampent ; les uns vivent sur la terre & mourroient dans l’eau ; les autres au contraire vivent dans l’eau & mourroient sur la terre.

J’en fais autant à l’égard des êtres inanimés ; je fais une classe des végétaux, une autre des minéraux ; chacune de ces classes en a d’autres sous elle, on les appelle les especes inférieures, dont enfin les dernieres ne comprennent plus que leurs individus, & n’ont point d’autres especes sous elles.

Mais remarquez bien que tous ces noms, genre, espece, différence, ne sont que des termes métaphysiques, tels que les noms abstraits humanité, bonté, & une infinité d’autres qui ne marquent que des considérations particulieres de notre esprit, sans qu’il y ait hors de nous d’objet réel qui soit ou espece ou genre ou humanité, &c.

L’usage où nous sommes tous les jours de donner des noms aux objets des idées qui nous représentent des êtres réels, nous a porté à en donner aussi par imitation aux objets métaphysiques des idées abstraites dont nous avons connoissance : ainsi nous en parlons comme nous faisons des objets réels ; en sorte que l’ordre métaphysique a aussi ses noms d’especes & ses noms d’individus : cette vérité, cette vertu, ce vice, voilà des mots pris par imitation dans un sens individuel.

L’imagination, l’idée, le vice, la vertu, la vie, la mort, la maladie, la santé, la fiecvre, la peur, le courage, la force, l’être, le néant, la privation, &c. ce sont-là encore des noms d’individus métaphysiques, c’est-à-dire, qu’il n’y a point hors de notre esprit un objet réel qui soit le vice, la mort, la maladie, la santé, la peur, &c. cependant nous en parlons par imitation & par analogie, comme nous parlons des individus physiques.

C’est le besoin de faire connoître aux autres les objets singuliers de nos idées, & certaines vûes ou manieres particulieres de considérer ces objets, soit réels, soit abstraits ou méthaphysiques ; c’est ce besoin, dis-je, qui, au défaut des noms propres pour chaque idée particuliere, nous a donné lieu d’inventer, d’un côté les noms d’espece, & de l’autre les adjectifs prépositifs, qui en font des applications individuelles. Les objets particuliers dont nous voulons parler, & qui n’ont pas de noms propres, se trouvent confondus avec tous les autres individus de leur espece. Le nom de cette espece leur convient également à tous : chacun de ces êtres innombrables qui nagent dans la vaste mer, est également appellé poisson : ainsi le nom d’espece tout seul, & par lui-même, n’a qu’une valeur indéfinie, c’est-à-dire, une valeur applicable qui n’est adaptée à aucun objet particulier ; comme quand on dit vrai, bon, beau, sans joindre ces adjectifs à quelque être réel ou à quelque être métaphysique. Ce sont les prénoms qui, de concert avec les autres mots de la phrase, tirent l’objet particulier dont on parle, de l’indétermination du nom d’espece, & en font ainsi une sorte de nom propre. Par exemple, si l’astre qui nous éclaire n’avoit pas son nom propre soleil, & que nous eussions à en parler, nous prendrions d’abord le nom d’espece astre ; ensuite nous nous servirions du prépositif qui conviendroit pour faire connoître que nous ne voulons parler que d’un individu de l’espece d’astre ; ainsi nous dirions cet astre, ou l’astre, après quoi nous aurions recours aux mots qui nous paroîtroient les plus propres à déterminer singulierement cet individu d’astre ; nous dirions donc cet astre qui nous éclaire ; l’astre pere du jour ; l’ame de la nature, &c. Autre exemple : livre est un nom d’espece dont la valeur n’est point appliquée : mais si je dis, mon livre, ce livre, le livre que je viens d’acheter, liber ille, on conçoit d’abord par les prénoms ou prépositifs, mon, ce, le, & ensuite par les adjoints ou mots ajoûtés, que je parle d’un tel livre, d’un tel individu de l’espece de livre. Observez que lorsque nous avons à appliquer quelque qualification à des individus d’une espece ; ou nous voulons faire cette application 1° à tous les individus de cette espece ; 2° ou seulement à quelques-uns que nous ne voulons, ou que nous ne pouvons pas déterminer ; 3°. ou enfin à un seul que nous voulons faire connoître singulierement. Ce sont ces trois sortes de vûes de l’esprit que les Logiciens appellent l’étendue de la préposition.

Tout discours est composé de divers sens particuliers énoncés par des assemblages de mots qui forment des propositions, & les propositions font des périodes : or toute proposition a 1°. ou une étendue universelle ; c’est le premier cas dont nous avons parlé : 2°. ou une étendue particuliere ; c’est le second cas : 3°. ou enfin une étendue singuliere, c’est le dernier cas. 1°. Si celui qui parle donne un sens universel au sujet de sa proposition, c’est-à-dire, s’il applique quelque qualificatif à tous les individus d’une espece, alors l’étendue de la proposition est universelle, ou, ce qui est la même chose, la proposition est universelle : 2°. si l’individu dont on parle, n’est pas déterminé expressément, alors on dit que la proposition est particuliere ; elle n’a qu’une étendue particuliere, c’est-à-dire, que ce qu’on dit, n’est dit que d’un sujet qui n’est pas désigné expressément : 3°. enfin les propositions sont singulieres lorsque le sujet, c’est-à-dire, la personne ou la chose dont on parle, dont on juge, est un individu singulier déterminé ; alors l’attribut de la proposition, c’est-à-dire, ce qu’on juge du sujet n’a qu’une étendue singuliere, ou, ce qui est la même chose, ne doit s’entendre que de ce sujet : Louis XV. a triomphé de ses ennemis ; le soleil est levé.

Dans chacun de ces trois cas, notre langue nous fournit un prénom destiné à chacune de ces vûes particulieres de notre esprit : voyons donc l’effet propre ou le service particulier de ces prénoms.

1°. Tout homme est animal ; chaque homme est animal : voilà chaque individu de l’espece humaine qualifié par animal, qui alors se prend adjectivement ; car tout homme est animal, c’est-à-dire, tout homme végete, est vivant, se meut, a des sensations, en un mot tout homme a les qualités qui distinguent l’animal de l’être insensible ; ainsi tout étant le prépositif d’un nom appellatif, donne à ce nom une extension universelle, c’est-à-dire, que ce que l’on dit alors du nom, par exemple d’homme, est censé dit de chaque individu de l’espece, ainsi la proposition est universelle. Nous comptons parmi les individus d’une espece tous les objets qui nous paroissent conformes à l’idée exemplaire que nous avons acquise de l’espece par l’usage de la vie : cette idée exemplaire n’est qu’une affection intérieure que notre cerveau a reçûe par l’impression qu’un objet extérieur a faite en nous la premiere fois qu’il a été apperçû, & dont il est resté des traces dans le cerveau. Lorsque dans la suite de la vie, nous venons à appercevoir d’autres objets, si nous sentons que l’un de ces nouveaux objets nous affecte de la même maniere dont nous nous ressouvenons qu’un autre nous a affectés, nous disons que cet objet nouveau est de même espece que tel ancien : s’il nous affecte différemment, nous le rapportons à l’espece à laquelle il nous paroît convenir, c’est-à-dire, que notre imagination le place dans la classe de ses semblables ; ce n’est donc que le souvenir d’un sentiment pareil qui nous fait rapporter tel objet à telle espece : le nom d’une espece est le nom du point de réunion auquel nous rapportons les divers objets particuliers qui ont excité en nous une affection ou sensation pareille. L’animal que je viens de voir à la foire a rappellé en moi les impressions qu’un lion y fit l’année passée ; ainsi je dis que cet animal est un lion ; si c’étoit pour la premiere fois que je visse un lion, mon cerveau s’enrichiroit d’une nouvelle idée exemplaire : en un mot, quand je dis tout homme est mortel, c’est autant que si je disois Alexandre étoit mortel ; César étoit mortel ; Philippe est mortel, & ainsi de chaque individu passé, présent & à venir, & même possible de l’espece humaine ; & voilà le véritable fondement du syllogisme : mais ne nous écartons point de notre sujet.

Remarquez ces trois façons de parler, tout homme est ignorant, tous les hommes sont ignorans, tout homme n’est que foiblesse. ; tout homme, c’est-à-dire, chaque individu de l’espece humaine, quelque individu que ce puisse être de l’espece humaine ; alors tout est un pur adjectif. Tous les hommes sont ignorans, c’est encore le même sens ; ces deux propositions ne sont différentes que par la forme : dans la premiere, tout veut dire chaque ; elle présente la totalité distributivement, c’est-à-dire qu’elle prend en quelque sorte les individus l’un après l’autre, au lieu que tous les hommes les présente collectivement tous ensemble, alors tous est un prépositif destiné à marquer l’universalité de les hommes ; tous a ici une sorte de signification adverbiale avec la forme adjective, c’est ainsi que le participe tient du verbe & du nom ; tous, c’est-à-dire universellement, sans exception, ce qui est si vrai, qu’on peut séparer tous de son substantif, & le joindre au verbe. Quinault, parlant des oiseaux, dit :

En amour ils sont tous
Moins bétes que nous.

Et voilà pourquoi, en ces phrases, l’article les ne quitte point son substantif, & ne se met pas avant tous : tout l’homme, c’est-à-dire l’homme en entier, l’homme entierement, l’homme considéré comme un individu spécifique. Nul, aucun, donnent aussi une extension universelle à leur substantif, mais dans un sens négatif : nul homme, aucun homme n’est immortel, je nie l’immortalité de chaque individu de l’espece humaine ; la proposition est universelle, mais négative ; au lieu qu’avec tous, sans négation, la proposition est universelle affirmative. Dans les propositions dont nous parlons, nul & aucun étant adjectifs du sujet, doivent être accompagnés d’une négation : nul homme n’est exemt de la nécessité de mourir. Aucun philosophe de l’antiquité n’a eu autant de connoissances de Physique qu’on en a aujourd’hui.

II°. Tout, chaque, nul, aucun, sont donc la marque de la généralité ou universalité des propositions : mais souvent ces mots ne sont pas exprimés, comme quand on dit : les François sont polis, les Italiens sont politiques ; alors ces propositions ne sont que moralement universelles, de more, ut sunt mores, c’est-à-dire, selon ce qu’on voit communément parmi les hommes ; ces propositions sont aussi appellées indéfinies, parce que d’un côté, on ne peut pas assûrer qu’elles comprennent généralement, & sans exception, tous les individus dont on parle ; & d’un autre côté, on ne peut pas dire non plus qu’elles excluent tel ou tel individu ; ainsi comme les individus compris & les individus exclus ne sont pas précisément déterminés, & que ces propositions ne doivent être entendues que du plus grand nombre, on dit qu’elles sont indéfinies.

III°. Quelque, un, marquent aussi un individu de l’espece dont on parle : mais ces prénoms ne désignent pas singulierement cet individu ; quelque homme est riche, un savant m’est venu voir : je parle d’un individu de l’espece humaine ; mais je ne détermine pas si cet individu est Pierre ou Paul ; c’est ainsi qu’on dit une certaine personne, un particulier ; & alors particulier est opposé à général & à singulier : il marque à la vérité un individu, mais un individu qui n’est pas déterminé singulierement ; ces propositions sont appellées particulieres.

Aucun sans négation, a aussi un sens particulier dans les vieux livres, & signifie quelqu’un, quispiam, non nullus, non nemo. Ce mot est encore en usage en ce sens parmi le peuple & dans le style du Palais : aucuns soûtiennent, &c. quidam affirmant, &c. ainsi aucune fois dans le vieux style, veut dire quelquefois, de tems en tems, plerumque, interdum, non nunquam.

On sert aussi aux propositions particulieres : on m’a dit, c’est-à-dire, quelqu’un m’a dit, un homme m’a dit ; car on vient de homme ; & c’est par cette raison que pour éviter le bâillement ou rencontre de deux voyelles, on dit souvent l’on, comme on dit l’homme, si l’on. Dans plusieurs autres langues, le mot qui signifie homme, se prend aussi en un sens indéfini comme notre on. De, des, qui sont des prépositions extractives, servent aussi à faire des prépositions particulieres ; des Philosophes, ou d’anciens Philosophes ont crû qu’il y avoit des antipodes, c’est-à-dire, quelques-uns des Philosophes, ou un certain nombre d’anciens Philosophes, ou en vieux style, aucuns Philosophes.

IV°. Ce marque un individu déterminé, qu’il présente à l’imagination, ce livre, cet homme, cette femme, cet enfant, &c.

V°. Le, la, les, indiquent que l’on parle 1°. ou d’un tel individu réel que l’on tire de son espece, comme quand on dit le roi, la reine, le soleil, la lune ; 2°. ou d’un individu métaphysique & par imitation ou analogie ; la vérité, le mensonge ; l’esprit, c’est-à-dire le génie ; le cœur, c’est-à-dire la sensibilité ; l’entendement, la volonté, la vie, la mort, la nature, le mouvement, le repos, l’être en général, la substance, le néant, &c.

C’est ainsi que l’on parle de l’espece tirée du genre auquel elle est subordonnée, lorsqu’on la considere par abstraction, & pour ainsi dire en elle-même sous la forme d’un tout individuel & métaphysique ; par exemple, quand on dit que parmi les animaux, l’homme seul est raisonnable, l’homme est là un individu spécifique.

C’est encore ainsi, que sans parler d’aucun objet réel en particulier, on dit par abstraction, l’or est le plus précieux des métaux ; le fer se fond & se forge ; le marbre sert d’ornement aux édifices ; le verre n’est point malléable ; la pierre est utile ; l’animal est mortel, l’homme est ignorant ; le cercle est rond ; le quarré est une figure qui a quatre angles droits & quatre côtés égaux, &c. Tous ces mots, l’or, le fer, le marbre, &c. sont pris dans un sens individuel, mais métaphysique & spécifique, c’est-à-dire, que sous un nom singulier ils comprennent tous les individus d’une espece ; ensorte que ces mots ne sont proprement que les noms de l’idée exemplaire du point de réunion ou concept que nous avons dans l’esprit, de chacune de ces especes d’êtres. Ce sont ces individus métaphysiques qui sont l’objet des Mathématiques, le point, la ligne, le cercle, le triangle, &c.

C’est par une pareille opération de l’esprit que l’on personifie si souvent la nature & l’art.

Ces noms d’individus spécifiques sont fort en usage dans l’apologue, le loup & l’agneau, l’homme & le cheval, &c. on ne fait parler ni aucun loup ni aucun agneau particulier ; c’est un individu spécifique & métaphysique qui parle avec un autre individu.

Quelques Fabulistes ont même personifié des êtres abstraits ; nous avons une fable connue où l’auteur fait parler le jugement avec l’imagination. Il y a autant de fiction a introduire de pareils interlocuteurs, que dans le reste de la fable. Ajoûtons ici quelques observations à l’occasion de ces noms spécifiques.

1°. Quand un nom d’espece est pris adjectivement, il n’a pas besoin d’article ; tout homme est animal ; homme est pris substantivement ; c’est un individu spécifique qui a son prépositif tout ; mais animal est pris adjectivement, comme nous l’avons déjà observé. Ainsi il n’a pas plus de prépositif que tout autre adjectif n’en auroit ; & l’on dit ici animal, comme l’on diroit mortel, ignorant, &c.

C’est ainsi que l’Ecriture dit que toute chair est foin, omnis caro foenum, Isaïe, ch. xl. v. 6. c’est-à-dire peu durable, périssable, corruptible, &c. & c’est ainsi que nous disons d’un homme sans esprit, qu’il est béte.

2°. Le nom d’espece n’admet pas l’article lorsqu’il est pris selon sa valeur indéfinie sans aucune extension ni restriction, ou application individuelle, c’est-à-dire, qu’alors le nom est considéré indéfiniment comme sorte, comme espece, & non comme un individu spécifique ; c’est ce qui arrive sur-tout lorsque le nom d’espece précédé d’une préposition, forme un sens adverbial avec cette préposition, comme quand on dit par jalousie, avec prudence, en présence, &c.

Les oiseaux vivent sans contrainte,
S’aiment sans feinte.

C’est dans ce même sens indéfini que l’on dit avoir peur, avoir honte, faire pitié, &c. Ainsi on dira sans article : cheval, est un nom d’espece, homme, est un nom d’espece ; & l’on ne dira pas le cheval est un nom d’espece, l’homme est un nom d’espece, parce que le prénom le marqueroit que l’on voudroit parler d’un individu, ou d’un nom considéré individuellement.

3°. C’est par la même raison que le nom d’espece n’a point de prépositif, lorsqu’avec le secours de la préposition de il ne fait que l’office de simple qualificatif d’espece, c’est-à-dire, lorsqu’il ne sert qu’à désigner qu’un tel individu est de telle espece : une montre d’or ; une épée d’argent ; une table de marbre ; un homme de robe ; un marchand de vin ; un joüeur de violon, de luth, de harpe, &c. une action de clémence ; une femme de vertu, &c.

4°. Mais quand on personifie l’espece, qu’on en parle comme d’un individu spécifique, ou qu’il ne s’agit que d’un individu particulier tiré de la généralité de cette même espece, alors le nom d’espece étant considéré individuellement, est précédé d’un prénom : la peur trouble la raison ; la peur que j’ai de mal faire ; la crainte de vous importuner ; l’envie de bien faire ; l’animal est plus parfait que l’être insensible : joüer du violon, du luth, de la harpe ; on regarde alors le violon, le luth, la harpe, &c. comme tel instrument particulier, & on n’a point d’individu à qualifier adjectivement.

Ainsi on dira dans le sens qualificatif adjectif, un rayon d’espérance, un rayon de gloire, un sentiment d’amour ; au lieu que si l’on personifie la gloire, l’amour, &c. on dira avec un prépositif,

Un héros que la gloire éleve
N’est qu’à demi récompensé ;
Et c’est peu, si l’amour n’acheve
Ce que la gloire a commencé. Quinault.

Et de même on dira j’ai acheté une tabatiere d’or, & j’ai fait faire une tabatiere d’un or ou de l’or qui m’est venu d’Espagne : dans le premier exemple, d’or est qualificatif indéfini, ou plûtôt c’est un qualificatif pris adjectivement ; au lieu que dans le second, de l’or ou d’un or, il s’agit d’un tel or, c’est un qualificatif individuel, c’est un individu de l’espece de l’or.

On dit d’un prince ou d’un ministre qu’il a l’esprit de gouvernement ; de gouvernement est un qualificatif pris adjectivement ; on veut dire, que ce ministre gouverneroit bien, dans quelque pays que ce puisse être où il seroit employé : au lieu que si l’on disoit de ce ministre qu’il a l’esprit du gouvernement, du gouvernement seroit un qualificatif individuel de l’esprit de ce ministre ; on le regarderoit comme propre singulierement à la conduite des affaires du pays particulier où on le met en œuvre.

Il faut donc bien distinguer le qualificatif spécifique adjectif, du qualificatif individuel : une tabatiere d’or, voilà un qualificatif adjectif ; une tabatiere de l’or que, &c. ou d’un or que, c’est un qualificatif individuel ; c’est un individu de l’espece de l’or. Mon esprit est occupé de deux substantifs ; 1. de la tabatiere, 2. de l’or particulier dont elle a été faite.

Observez qu’il y a aussi des individus collectifs, ou plûtot des noms collectifs, dont on parle comme si c’étoit autant d’individus particuliers : c’est ainsi que l’on dit, le peuple, l’armée, la nation, le parlement, &c.

On considere ces mots-là comme noms d’un tout, d’un ensemble, l’esprit les regarde par imitation comme autant de noms d’individus réels qui ont plusieurs parties ; & c’est par cette raison que lorsque quelqu’un de ces mots est le sujet d’une proposition, les Logiciens disent que la proposition est singuliere.

On voit donc que le annonce toûjours un objet considéré individuellement par celui qui parle, soit au singulier, la maison de mon voisin ; soit au pluriel, les maisons d’une telle ville sont baties de brique.

Ce ajoute à l’idée de le, en ce qu’il montre, pour ainsi dire, l’objet à l’imagination, & suppose que cet objet est déjà connu, ou qu’on en a parlé auparavant. C’est ainsi que Cicéron a dit : quid est enim hoc ipsum diu ? (Orat. pro Marcello.) qu’est-ce en effet que ce long-tems ?

Dans le style didactique, ceux qui ecrivent en Latin, lorsqu’ils veulent faire remarquer un mot, entant qu’il est un tel mot, se servent, les uns de l’article Grec τὸ, les autres de ly : τὸ adhuc est adverbium compositum (Perisonius, in sanct. Min. p. 576.) ; ce mot adhuc est un adverbe composé.

Et l’auteur d’une logique, après avoir dit que l’homme seul est raisonnable, homo tantùm rationalis, ajoûte que ly tantùm reliqua entia excludit ; ce mot tantùm exclut tous les autres êtres. (Philos. ration. auct. P. Franc. Caro è som.) Venet. 1665.

Ce fut Pierre Lombard dans le onzieme siecle, & S. Thomas dans le douzieme, qui introduisirent l’usage de ce ly : leurs disciples les ont imités. Ce ly n’est autre chose que l’article François li, qui étoit en usage dans ces tems-là. Ainsi fut li chatiaus de Galathas pris ; li baron, & li dux de Venise ; li Vénitiens par mer, & li François par terre Ville-Hardouin, l. III. p. 53. On sait que Pierre Lombard & S. Thomas ont fait leurs études, & se sont acquis une grande réputation dans l’université de Paris.

Ville-Hardouin & ses contemporains écrivoient li, & quelquefois lj, d’où on a fait ly, soit pour remplir la lettre, soit pour donner à ce mot un air scientifique, & l’élever au-dessus du langage vulgaire de ces tems-là.

Les Italiens ont conservé cet article au pluriel, & en ont fait aussi un adverbe qui signifie  ; en sorte que ly tantùm, c’est comme si l’on disoit ce mot là tantùm.

Notre ce & notre le ont le même office indicatif que τὸ & que ly, mais ce avec plus d’énergie que le.

5°. Mon, ma, mes ; ton, ta, tes ; son, sa, ses, &c. ne sont que de simples adjectifs tirés des pronoms personnels ; ils marquent que leur substantif a un rapport de propriété avec la premiere, la seconde, ou la troisieme personne : mais de plus comme ils sont eux-mêmes adjectifs prépositifs, & qu’ils indiquent leurs substantifs, ils n’ont pas besoin d’être accompagnés de l’article le ; que si l’on dit le mien, le tien, c’est que ces mots sont alors des pronoms substantifs. On dit proverbialement que le mien & le tien sont peres de la discorde.

6°. Les noms de nombre cardinal un, deux, &c. font aussi l’office de prénoms ou adjectifs prépositifs : dix soldats, cent écus.

Mais si l’adjectif numérique & son substantif font ensemble un tout, une sorte d’individu collectif, & que l’on veuille marquer que l’on considere ce tout sous quelque vûe de l’esprit, autre encore que celle de nombre, alors le nom de nombre est précédé de l’article ou prénom qui indiquent ce nouveau rapport. Le jour de la multiplication des pains, les Apôtres dirent à J. C. Nous n’avons que cinq pains & deux poissons (Luc, ch. ix. v. 13.) ; voilà cinq pains & deux poissons dans un sens numérique absolu : mais ensuite l’évangéliste ajoûte que Jesus-Christ prenant les cinq pains & les deux poissons, les bénit, &c. voilà les cinq pains & les deux poissons dans un sens relatif à ce qui précede ; ce sont les cinq pains & les deux poissons dont on avoit parlé d’abord. Cet exemple doit bien faire sentir que le, la, les ; ce, cet, cette, ces, ne sont que des adjectifs qui marquent le mouvement de l’esprit, qui se tourne vers l’objet particulier de son idée.

Les prépositifs désignent donc des individus déterminés dans l’esprit de celui qui parle : mais lorsque cette premiere détermination n’est pas aisée à appercevoir par celui qui lit ou qui écoute, ce sont les circonstances ou les mots qui suivent, qui ajoûtent ce que l’article ne sauroit faire entendre : par exemple, si je dis je viens de Versailles, j’y ai vû le Roi, les circonstances font connoître que je parle de notre auguste monarque : mais si je voulois faire entendre que j’y ai vû le roi de Pologne, je serois obligé d’ajoûter de Pologne à le roi : & de même si en lisant l’histoire de quelque monarchie ancienne ou étrangere, je voyois qu’en un tel tems le roi fit telle chose, je comprendrois bien que ce seroit le roi du royaume dont il s’agiroit.

Des noms propres. Les noms propres n’étant pas des noms d’especes, nos peres n’ont pas crû avoir besoin de recourir à l’article pour en faire des noms d’individus, puisque par eux-mêmes ils ne sont que cela.

Il en est de même des êtres inanimés auxquels on adresse la parole : on les voit ces êtres, puisqu’on leur parle ; ils sont présens, au moins à l’imagination : on n’a donc pas besoin d’article pour les tirer de la généralité de leur espece, & en faire des individus.


Coulez, ruisseau, coulez, fuyez nous :
Hélas, petits moutons, que vous êtes heureux !
Fille des plaisirs, triste goutte. Deshoulieres.


Cependant quand on veut appeller un homme ou une femme du peuple qui passe, on dit communément, l’homme, la femme ; écoûtez, la belle fille, la belle enfant, &c. je crois qu’alors il y a ellipse ; écoûtez, vous qui êtes la belle fille, &c. vous qui êtes l’homme à qui je veux parler, &c. C’est ainsi qu’en Latin, un adjectif qui paroît devoir se rapporter à un vocatif, est pourtant quelquefois au nominatif : nous disons fort bien en Latin, dit Sanctius, deffende me, amice mi, & deffende me, amicus meus, en sous-entendant tu qui es amicus meus (Sanct. Min. l. II. c. vj.) Terence, (Phorm. act. II. sc. 1.) dit, ô vir fortis, atque amicus ; c’est-à-dire, ô quam tu es vir fortis, atque amicus ! ce que Donat trouve plus énergique que si Térence avoit dit amice. M. Dacier traduit ô le brave homme, & le bon ami ! on sousentend que tu es. Mais revenons aux vrais noms propres.

Les Grecs mettent souvent l’article devant les noms propres, sur-tout dans les cas obliques, & quand le nom ne commence pas la phrase ; ce qu’on peut remarquer dans l’énumération des ancêtres de J. C. au premier chapitre de S. Matthieu. Cet usage des Grecs fait bien voir que l’article leur servoit à marquer l’action de l’esprit qui se tourne vers un objet. N’importe que cet objet soit un nom propre ou un nom appellatif ; pour nous, nous ne mettons pas l’article, surtout devant les noms propres personnels : Pierre, Marie, Alexandre, César, &c. Voici quelques remarques à ce sujet.

I. Si par figure on donne à un nom propre une signification de nom d’espece, & qu’on applique ensuite cette signification, alors on aura besoin de l’article. Par exemple, si vous donnez au nom d’Alexandre la signification de conquérant ou de héros, vous direz que Charles XII. a été l’Alexandre de notre siecle ; c’est ainsi qu’on dit, les Cicérons, les Demosthenes, c’est-à-dire les grands orateurs, tels que Cicéron & Démosthene ; les Virgiles, c’est-à-dire les grands poëtes.

M. l’abbé Gedoyn observe (dissertation des anciens & des modernes, p. 94.) que ce fut environ vers le septieme siecle de Rome, que les Romains virent fleurir leurs premiers poetes, Névius, Accius, Pacuve & Lucilius, qui peuvent, dit-il, être comparés, les uns à nos Desportes, à nos Ronsards, & à nos Regniers ; les autres à nos Tristans, & à nos Rotrous ; où vous voyez que tous ces noms propres prennent en ces occasions une s à la fin, parce qu’ils deviennent alors comme autant de noms appellatifs.

Au reste, ces Desportes, ces Tristans, & ces Rotrous, qui ont précédé nos Corneilles, nos Racines, &c. font bien voir que les Arts & les Sciences ont, comme les plantes & les animaux, un premier âge, un tems d’accroissement, un tems de consistance, qui n’est suivi que trop souvent de la vieillesse & de la décrépitude, avant-coureurs de la mort. Voyez l’état où sont aujourd’hui les Arts chez les Egyptiens & chez les Grecs : les pyramides d’Egypte & tant d’autres monumens admirables que l’on trouve dans les pays les plus barbares, sont une preuve bien sensible de ces révolutions & de cette vicissitude.

Dieu est le nom du souverain être : mais si par rapport à ses divers attributs on en fait une sorte de nom d’espece, on dira le Dieu de miséricorde, &c. le Dieu des chrétiens, &c.

II. Il y a un très-grand nombre de noms propres, qui dans leur origine n’étoient que des noms appellatifs. Par exemple, Ferté qui vient par syncope de fermeté, signifioit autrefois citadelle : ainsi quand on vouloit parler d’une citadelle particuliere, on disoit la Ferté d’un tel endroit ; & c’est de là que nous viennent la Ferté-Imbault, la Ferté-Milon, &c.

Mesnil est aussi un vieux mot, qui signifioit maison de campagne, village, du Latin manile, & masnile dans la basse latinité. C’est de là que nous viennent les noms de tant de petits bourgs appellés le Mesnil. Il en est de même de le Mans, le Perche, &c. le Catelet, c’est-à-dire, le petit Château ; le Quesnoi, c’étoit un lieu planté de chênes ; le Ché, prononcé par à la maniere de Picardie, & des pays circonvoisins.

Il y a aussi plusieurs qualificatifs qui sont devenus noms propres d’hommes, tels que le blanc, le noir, le brun, le beau, le bel, le blond, &c. & ces noms conservent leurs prénoms quand on parle de la femme ; madame le Blanc, c’est-à-dire, femme de M. le Blanc.

III. Quand on parle de certaines femmes, on se sert du prénom la, parce qu’il y a un nom d’espece sousentendu ; la le Maire, c’est-à-dire l’actrice le Maire.

IV. C’est peut-être par la même raison qu’on dit, le Tasse, l’Arioste, le Dante, en sous-entendant le poëte ; & qu’on dit le Titien, le Carrache, en sous-entendant le peintre : ce qui nous vient des Italiens.

Qu’il me soit permis d’observer ici que les noms propres de famille ne doivent être précédés de la préposition de, que lorsqu’ils sont tirés de noms de terre. Nous avons en France de grandes maisons qui ne sont connues que par le nom de la principale terre que le chef de la maison possédoit avant que les noms propres de famille fussent en usage. Alors le nom est précédé de la préposition de, parce qu’on sousentend sire, seigneur, duc, marquis, &c. ou sieur d’un tel fief. Telle est la maison de France, dont la branche d’aîné en aîné n’a d’autre nom que France.

Nous avons aussi des maisons très-illustres & très anciennes, dont le nom n’est point précédé de la préposition de, parce que ce nom n’a pas été tiré d’un nom de terre : c’est un nom de famille ou maison.

Il y a de la petitesse à certains gentilshommes d’ajoûter le de à leur nom de famille ; rien ne décele tant l’homme nouveau & peu instruit.

Quelquefois les noms propres sont accompagnés d’adjectifs, sur quoi il y a quelques observations à faire.

I. Si l’adjectif est un nom de nombre ordinal, tel que premier, second, &c. & qu’il suive immédiatement son substantif, comme ne faisant ensemble qu’un même tout, alors on ne fait aucun usage de l’article : ainsi on dit François premier, Charles second, Henri quatre, pour quatrieme.

II. Quand on se sert de l’adjectif pour marquer une simple qualité du substantif qu’il précede, alors l’article est mis avant l’adjectif, le savant Scaliger, le galant Ovide, &c.

III. De même si l’adjectif n’est ajoûté que pour distinguer le substantif des autres qui portent le même nom, alors l’adjectif suit le substantif, & cet adjectif est précédé de l’article : Henri le grand, Louis le juste, &c. où vous voyez que le tire Henri & Louis du nombre des autres Henris & des autres Louis, & en fait des individus particuliers, distingués par une qualité spéciale.

IV. On dit aussi avec le comparatif & avec le superlatif relatif, Homere le meilleur poëte de l’antiquité, Varron le plus savant des Romains.

Il paroît par les observations ci-dessus, que lorsqu’à la simple idée du nom propre on joint quelqu’autre idée, ou que le nom dans sa premiere origine a été tiré d’un nom d’espece, ou d’un qualificatif qui a été adapté à un objet particulier par le changement de quelques lettres, alors on a recours au prépositif par une suite de la premiere origine : c’est ainsi que nous disons le paradis, mot qui à la lettre signifie un jardin planté d’arbres qui portent toute sorte d’excellens fruits, & par extension un lieu de délices.

L’enfer, c’est un lieu bas, d’inferus ; via infera, la rue d’enfer, rue inférieure par rapport à une autre qui est au-dessus. L’univers, universus orbis ; l’être universel, l’assemblage de tous les êtres.

Le monde, du Latin mundus, adjectif, qui signifie propre, élégant, ajusté, paré, & qui est pris ici substantivement : & encore lorsqu’on dit mundus muliebris, la toilette des dames où sont tous les petits meubles dont elles se servent pour se rendre plus propres, plus ajustées & plus séduisantes : le mot Grec κόσμος, qui signifie ordre, ornement, beauté, répond au mundus des Latins.

Selon Platon, le monde fut fait d’après l’idée la plus parfaite que Dieu en conçut. Les Payens frappés de l’éclat des astres & de l’ordre qui leur paroissoit régner dans l’univers, lui donnerent un nom tiré de cette beauté & de cet ordre. Les Grecs, dit Pline, l’ont appellé d’un nom qui signifie ornement, & nous d’un nom qui veut dire, élégance parfaite. (Quem κόσμον Græci, nomine ornamenti appellaverunt, eum & nos à perfectâ absolutâque elegantiâ mundum. Pline 11. 4.) Et Cicéron dit, qu’il n’y a rien de plus beau que le monde, ni rien qui soit au-dessus de l’architecte qui en est l’auteur. (Neque mundo quidquam pulchrius, neque ejus ædificatore præstantius. Cic. de univ. cap. ij.) Cum continuisset Deus bonis omnibus explere mundum.... sic ratus est opus illud effectum esse pulcherrimum. (ib. iij.) Hanc igitur habuit rationem essector mundi molitorque Deus, ut unum opus totum atque perfectum ex omnibus totis, atque perfectis absolveretur. (ib. v.) Formam autem & maximè sibi cognatam & decoram dedit. (ib. vj.) Animum igitur cum ille procreator mundi Deus, ex suâ mente & divinitate genuisset, &c. (ib. viij.) Ut hunc hâc varietate distinctum benè Græci κόσμον, non lucentem mundum nominaremus. (ib. x.)

Ainsi quand les Payens de la Zone tempérée septentrionale, regardoient l’universalité des êtres du beau côté, ils lui donnoient un nom qui répond à cette idée brillante, & l’appelloient le monde, c’est-à-dire l’être bien ordonné, bien ajusté, sortant des mains de son créateur, comme une belle dame sort de sa toilette. Et nous quoiqu’instruits des maux que le péché originel a introduits dans le monde, comme nous avons trouvé ce nom tout établi, nous l’avons conservé, quoiqu’il ne réveille pas aujourd’hui parmi nous la même idée de perfection, d’ordre & d’élégance.

Le soleil, de solus, selon Cicéron, parce que c’est le seul astre qui nous paroisse aussi grand ; & que lorsqu’il est levé, tous les autres disparoissent à nos yeux.

La lune, à lucendo, c’est-à-dire la planete qui nous éclaire, sur-tout en certains tems pendant la nuit. (Sol vel quia solus ex omnibus sideribus est tantus, vel quia cum est exortus, obscuratis omnibus solus apparet ; luna à lucendo nominata, eadem est enim lucina. (Cic. de nat. deor. lib. II. c. xxvij.)

La mer, c’est-à-dire l’eau amere, proprie autem mare appellatur, eo quod aquæ ejus amaræ sint. (Isidor. l. XIII. c. xiv.)

La terre, c’est-à-dire l’élément sec, du Grec τείρω, sécher, & au futur second, τερῶ. Aussi voyons nous qu’elle est appellée arida dans la Genese, ch. j. v. 9. & en S. Matthieu, ch. xxiij. v. 15. circuitis mare & aridam. Cette étymologie me paroît plus naturelle que celle que Varron en donne : terra dicta eo quod teritur. Varr de ling. lat. iv. 4.

Elément est donc le nom générique de quatre especes, qui sont le feu, l’air, l’eau, la terre : la terre se prend aussi pour le globe terrestre.

Des noms de pays. Les noms de pays, de royaumes, de provinces, de montagnes, de rivieres, entrent souvent dans le discours sans article comme noms qualificatifs, le royaume de France, d’Espagne, &c. En d’autres occasions ils prennent l’article, soit qu’on sousentende alors terre, qui est exprimé dans Angleterre, ou région, pays, montagne, fleuve, riviere, vaisseau, &c. Ils prennent sur-tout l’article quand ils sont personifiés ; l’intérêt de la France, la politesse de la France, &c.

Quoi qu’il en soit, j’ai crû qu’on seroit bien aise de trouver dans les exemples suivant, quel est aujourd’hui l’usage à l’égard de ces mots, sauf au lecteur à s’en tenir simplement à cet usage, ou à chercher à faire l’application des principes que nous avons établis, s’il trouve qu’il y ait lieu.

Noms propres employés seulement avec une préposition sans l’article. Noms propres employés avec l’article.
Royaume de Valence. La France.
Isle de Candie. L’Espagne.
Royaume de France, &c. L’Angleterre.
Il vient de Pologne, &c. La Chine.
Il est allé en Perse, en Suede, &c. Le Japon.
Il est revenu d’Espagne, de Perse, d’Afrique, d’Asie, &c. Il vient de la Chine, du Japon, de l’Amérique, du Perou.
Il demeure en Italie, en France, & à Malte, à Rouen, à Avignon. Il demeure au Pérou, au Japon, à la Chine, aux Indes, à l’Isle St. Domingue.
Les Languedociens & les Provençaux disent en Avignon pour éviter le bâillement ; c’est une faute. La politesse de la France.
L’intérêt de l’Espagne.
On attribue à l’Allemagne l’invention de l’Imprimerie.
Les modes, les Vins de France, les vins de Bourgogne, de Champagne, de Bourdeaux, de Tocaye. Le Mexique.
Le Pérou.
Les Indes.
Le Maine, la Marche, le Perche, le Milanès, le Mantouan, le Parmesan, vin du Rhin.
Il vient de Flandre. Il vient de la Flandre francoise.
A mon départ d’Allemagne. La gloire de l’Allemagne.
L’Empire d’Allemagne.
Chevaux d’Angleterre, de Barbarie, &c.

On dit par opposition le mont-Parnasse, le mont-Valérien, &c. & on dit la montagne de Tarare : on dit le fleuve Don, & la riviere de Seine ; ainsi de quelques autres, surquoi nous renvoyons à l’usage.

Remarques sur ces phrases 1°. il a de l’argent, il a bien de l’argent, &c. 2°. Il a beaucoup d’argent, il n’a point d’argent, &c.

I. L’or, l’argent, l’esprit, &c. peuvent être considérés, ainsi que nous l’avons observé, comme des individus spécifiques ; alors chacun de ces individus est regardé comme un tout, dont on peut tirer une portion : ainsi il a de l’argent, c’est il a une portion de ce tout, qu’on appelle argent, esprit, &c. La préposition de est alors extractive d’un individu, comme la préposition Latine ex ou de. Il a bien de l’argent, de l’esprit, &c. c’est la même analogie que il a de l’argent, &c.

C’est ainsi que Plaute a dit credo ego illic inesse auri & argenti largiter (Rud. act. IV. se. iv. v. 144.) en sous-entendant χρῆμα, rem auri, je crois qu’il y a là de l’or & de l’argent en abondance. Bien est autant adverbe que largiter, la valeur de l’adverbe tombe sur le verbe inesse largiter, il a bien. Les adverbes modifient le verbe & n’ont jamais de complément, ou comme on dit de régime : ainsi nous disons il a bien, comme nous dirions il a véritablement ; nos peres disoient il a merveilleusement de l’esprit.

II. A l’égard de il a beaucoup d’argent, d’esprit, &c. il n’a point d’argent, d’esprit &c. il faut observer que ces mots beaucoup, peu, pas, point, rien, forte, espece, tant, moins, plus, que, lorsqu’il vient de quantùm, comme dans ces vers :

Que de mépris vous avez l’un pour l’autre,
Et que vous avez de raison !

ces mots, dis-je, ne sont point des adverbes, ils sont de véritables noms, du-moins dans leur origine, & c’est pour cela qu’ils sont modifiés par un simple qualificatif indéfini, qui n’étant point pris individuellement, n’a pas besoin d’article, il ne lui faut que la simple préposition pour le mettre en rapport avec beaucoup, peu, rien, pas, point, sorte, &c. Beaucoup vient, selon Nicot, de bella, id est, bona & magna copia, une belle abondance, comme on dit une belle récolte, &c. ainsi d’argent, d’esprit, sont les qualificatifs de coup en tant qu’il vient de copia ; il a abondance d’argent, d’esprit, &c.

M. Ménage dit que ce mot est formé de l’adjectif beau & du substantif coup, ainsi quelque étymologie qu’on lui donne, on voit que ce n’est que par abus qu’il est considéré comme un adverbe : on dit, il est meilleur de beaucoup, c’est-à-dire selon un beaucoup, où vous voyez que la préposition décele le substantif.

Peu signifie petite quantité ; on dit le peu, un peu, de peu, à peu, quelque peu : tous les analogistes soûtiennent qu’en Latin avec parum on sous-entend ad ou per, & qu’on dit parum-per comme on dit te-cum, en mettant la préposition après le nom ; ainsi nous disons un peu de vin, comme les Latins disoient parum vini, en sorte que comme vini qualifie parum substantif, notre de vin qualifie peu par le moyen de la préposition de.

Rien vient de rem accusatif de res : les langues qui se sont formées du Latin, ont souvent pris des cas obliques pour en faire des dénominations directes ; ce qui est fort ordinaire en Italien. Nos peres disoient sur toutes riens, Mehun ; & dans Nicot, elle le hait sur tout rien, c’est-à-dire, sur toutes choses. Aujourd’hui rien veut dire aucune chose ; on sous-entend la négation, & on l’exprime même ordinairement ; ne dites rien, ne faites rien : on dit le rien vaut mieux que le mauvais ; ainsi rien de bon ni de beau, c’est aucune chose de bon, &c. aliquid boni.

De bon ou de beau sont donc des qualificatifs de rien, & alors de bon ou de beau étant pris dans un sens qualificatif de sorte ou d’espece, ils n’ont point l’article ; au lieu que si l’on prenoit bon ou beau individuellement, ils seroient précédés d’un prénom, le beau vous touche, j’aime le vrai, &c. Nos peres pour exprimer le sens négatif, se servirent d’abord comme en Latin de la simple négative ne, sachiez nos ne venismes porvos mal faire ; Ville-Hardouin, p. 48. Vigenere traduit, sachez que nous ne sommes pas venus pour vous mal faire. Dans la suite nos peres, pour donner plus de force & plus d’énergie à la négation, y ajoûterent quelqu’un des mots qui ne marquent que de petits objets, tels que grain, goutte, mie, brin, pas, point : quia res est minuta, sermoni vernaculo additur ad majorem negationem ; Nicot, au mot goutte. Il y a toûjours quelque mot de sous-entendu en ces occasions : je n’en ai grain ne goutte ; Nicot, au mot goutte. Je n’en ai pour la valeur ou la grosseur d’un grain. Ainsi quoique ces mots servent à la négation, ils n’en sont pas moins de vrais substantifs. Je ne veux pas ou point, c’est-à-dire, je ne veux cela même de la longueur d’un pas ni de la grosseur d’un point. Je n’irai point, non ibo ; c’est comme si l’on disoit, je ne ferai un pas pour y aller, je ne m’avancerai d’un point ; quasi dicas, dit Nicot, ne punctum quidem progrediar, ut eam illò. C’est ainsi que mie, dans le sens de miette de pain, s’employoit autrefois avec la particule négative ; il ne l’aura mie ; il n’est mie un homme de bien, ne probitatis quidem mica in eo est, Nicot ; & cette façon de parler est encore en usage en Flandre.

Le substantif brin, qui se dit au propre des menus jets des herbes, sert souvent par figure à faire une négation comme pas & point ; & si l’usage de ce mot étoit aussi fréquent parmi les honnêtes-gens qu’il l’est parmi le peuple, il seroit regardé aussi bien que pas & point comme une particule négative : a-t-il de l’esprit ? il n’en a brin ; je ne l’ai vû qu’un petit brin, &c.

On doit regarder ne pas, ne point, comme le nihil des Latins. Nihil est composé de deux mots, 1°. de la négation ne, & de hilum qui signifie la petite marque noire que l’on voit au bout d’une féve ; les Latins disoient, hoc nos neque pertinet hilum, Lucret. liv. III. v. 843. & dans Cicéron Tusc. I. n°. 3. un ancien poëte parlant des vains efforts que fait Sisyphe dans les enfers pour élever une grosse pierre sur le haut d’une montagne, dit :

Sisyphus versat
Saxum sudans nitendo, neque proficit hilum.

Il y a une préposition sous-entendue devant hilum, ne quidem, κατὰ, hilum ; cela ne nous intéresse en rien, pas même de la valeur de la petite marque noire d’une féve.

Sisyphe après bien des efforts, ne se trouve pas, avancé de la grosseur de la petite marque noire d’une féve.

Les Latins disoient aussi : ne faire pas plus de cas de quelqu’un ou de quelque chose, qu’on en fait de ces petits flocons de laine ou de soie que le vent emporte, flocci facere, c’est-à-dire, facere rem flocci ; nous disons un fétu. Il en est de même de notre pas & de notre point ; je ne le veux pas ou point, c’est-à-dire, je ne veux cela même de la longueur d’un pas ou de la grosseur d’un point.

Or comme dans la suite le hilum des Latins s’unit si fort avec la négation ne, que ces deux mots n’en firent plus qu’un seul nihilum, nihil, nil, & que nihil se prend souvent pour le simple non, nihil circuitione usus es. (Ter. And. I. ij. v. 31.) vous ne vous êtes pas servi de circonlocution. De même notre pas & notre point ne sont plus regardés dans l’usage que comme des particules négatives qui accompagnent la négation ne, mais qui ne laissent pas de conserver toûjours des marques de leur origine.

Or comme en Latin nihil est souvent suivi d’un qualificatif, nihil falsi dixi, mi senex ; Terent. And. act. IV. sc. iv. ou v. selon M. Dacier, v. 49. je n’ai rien dit de faux ; nihil incommodi, nihil gratiæ, nihil lucri, nihil sancti, &c. de même le pas & le point étant pris pour une très-petite quantité, pour un rien, sont suivis en François d’un qualificatif, il n’a pas de pain, d’argent, d’esprit, &c. ces noms pain, argent, esprit, étant alors des qualificatifs indéfinis, ils ne doivent point avoir de prépositif.

La Grammaire générale dit pag. 82. que dans le sens affirmatif on dit avec l’article, il a de l’argent, du cœur, de la charité, de l’ambition ; au lieu qu’on dit négativement sans article, il n’a point d’argent, de cœur, de charité, d’ambition ; parce que, dit-on, le propre de la négation est de tout ôter. (ibid.)

Je conviens que selon le sens, la négation ôte le tout de la chose : mais je ne vois pas pourquoi dans l’expression elle nous ôteroit l’article sans nous ôter la préposition ; d’ailleurs ne dit-on pas dans le sens affirmatif sans article, il a encore un peu d’argent, & dans le sens négatif avec l’article, il n’a pas le sou, il n’a plus un sou de l’argent qu’il avoit ; les langues ne sont point des sciences, on ne coupe point des mots inséparables, dit fort bien un de nos plus habiles critiques (M. l’abbé d’Olivet) ; ainsi je crois que la véritable raison de la différence de ces façons de parler doit se tirer du sens individuel & défini, qui seul admet l’article,, & du sens spécifique indéfini & qualificatif, qui n’est jamais précédé de l’article.

Les éclaircissemens que l’on vient de donner pourront servir à résoudre les principales difficultés que l’on pourroit avoir au sujet des articles : cependant on croit devoir encore ajoûter ici des exemples qui ne seront point inutiles dans les cas pareils.

Noms construits sans prénom ni préposition à la suite d’un verbe, dont ils sont le complément. Souvent un nom est mis sans prénom ni préposition après un verbe qu’il détermine, ce qui arrive en deux occasions. 1°. Parce que le nom est pris alors dans un sens indéfini, comme quand on dit, il aime à faire plaisir, à rendre service ; car il ne s’agit pas alors d’un tel plaisir ni d’un tel service particulier ; en ce cas on diroit faites-moi ce ou le plaisir, rendez-moi ce service, ou le service, ou un service, qui, &c. 2°. Cela se fait aussi souvent pour abréger, par ellipse, ou dans des façons de parler familieres & proverbiales ; ou enfin parce que les deux mots ne font qu’une sorte de mot composé, ce qui sera facile à démêler dans les exemples suivans.

Avoir faim, soif, dessein, honte, coûtume, pitié, compassion, froid, chaud, mal, besoin, part au gâteau, envie.

Chercher fortune, malheur.

Courir fortune, risque.

Demander raison, vengeance,
L’amour en courroux
Demande vengeance. Quinault.
grace, pardon, justice.

Dire vrai, faux, matines, vêpres, &c.

Donner prise à ses ennemis, part d’une nouvelle, jour, parole, avis, caution, quittance, leçon, atteinte à un acte, à un privilége, valeur, cours, courage, rendez-vous aux Tuileries, &c. congé, secours, beau jeu, prise, audience.
Echapper, il l’a échappé belle, c’est-à-dire peu s’en est fallu qu’il ne lui soit arrivé quelque malheur.

Entendre raison, raillerie, malice, vêpres, &c.

Faire vie qui dure, bonne chere, envie, il vaut mieux faire envie que pitié, corps neuf par le rétablissement de la santé, réflexion, honte, honneur, peur, plaisir, choix, bonne mine & mauvais jeu, cas de quelqu’un, alliance, marché, argent de tout, provision, semblant, route, banqueroute, front, face, difficulté je ne fais pas difficulté. Gedoyn.

Gagner pays, gros.

Mettre ordre, fin.

Parler vrai, raison, bon sens, latin, françois, &c.

Porter envie, témoignage, coup, bonheur, malheur, compassion.

Prendre garde, patience, séance, medecine, congé, part à ce qui arrive à quelqu’un, conseil, terre, langue, jour, leçon.
Rendre service, amour pour amour, visite, bord, terme de Marine, arriver, gorge.

Savoir lire, vivre, chanter.

Tenir parole, prison faute de payement, bon, ferme, adjectifs pris adverbialement.
Noms construits avec une préposition sans article.

Les noms d’especes qui sont pris selon leur simple signification spécifique, se construisent avec une préposition sans article.

Changez ces pierres en pains ; l’éducation que le pere d’Horace donna à son fils est digne d’être prise pour modele ; à Rome, à Athenes, à bras ouverts ; il est arrivé à bon port, à minuit ; il est à jeun ; à Dimanche, à vêpres ; & tout ce que l’Espagne a nourri de vaillans ; vivre sans pain, une livre de pain ; il n’a pas de pain ; un peu de pain ; beaucoup de pain, une grande quantité de pain.

J’ai un coquin de frere, c’est-à-dire, qui est de l’espece de frere, comme on dit, quelle espece d’homme êtes-vous ? Térence a dit : quid hominis ? Eun. III. iv. viij. & ix. & encore, act. V. sc. . v. 17. Quid monstri ? Ter. Eun. IV. sc. iij. x. & xiv.

Remarquez que dans ces exemples le qui ne se rapporte point au nom spécifique, mais au nom individuel qui précede : c’est un bon homme de pere qui ; le qui se rapporte au bon-homme.

Se conduire par sentiment ; parler avec esprit, avec grace, avec facilité ; agir par dépit, par colere, par amour, par foiblesse.

En fait de Physique, on donne souvent des mots pour des choses : Physique est pris dans un sens spécifique qualificatif de fait.

A l’égard de on donne des mots, c’est le sens individuel partitif, il y a ellipse ; le régime ou complément immédiat du verbe donner est ici sous-entendu, ce que l’on entendra mieux par les exemples suivans.

Noms construits avec l’article ou prénom sans préposition. Ce que j’aime le mieux c’est le pain, (individu spécifique) apportez le pain ; voilà le pain, qui est le complément immédiat ou régime naturel du verbe : ce qui fait voir que quand on dit apportez ou donnez-moi du pain, alors il y a ellipse ; donnez-moi une portion, quelque chose du pain, c’est le sens individuel partitif.

Tous les pains du marché, ou collectivement, tout le pain du marché ne suffiroit pas pour, &c.

Donnez-moi un pain ; emportons quelques pains pour le voyage.

Noms construits avec la préposition & l’article. Donnez-moi du pain, c’est-à-dire de le pain : encore un coup il y a ellipse dans les phrases pareilles ; car la chose donnée se joint au verbe donner sans le secours d’une préposition ; ainsi donnez-moi du pain, c’est donnez moi quelque chose de le pain, de ce tout spécifique individuel qu’on appelle pain ; le nombre des pains que vous avez apportés n’est pas suffisant.

Voilà bien des pains, de les pains, individuellement ; c’est-à-dire, considérés comme faisant chacun un être à part.

Remarques sur l’usage de l’article, quand l’adjectif précede le substantif, ou quand il est après le substantif. Si un nom substantif est employé dans le discours avec un adjectif, il arrive ou que l’adjectif précede le substantif, ou qu’il le suit.

L’adjectif n’est séparé de son substantif que lorsque le substantif est le sujet de la proposition, & que l’adjectif en est affirmé dans l’attribut. Dieu est tout-puissant ; Dieu est le sujet : tout-puissant, qui est dans l’attribut, en est séparé par le verbe est, qui selon notre maniere d’expliquer la proposition, fait partie de l’attribut ; car ce n’est pas seulement tout-puissant que je juge de Dieu, j’en juge qu’il est, qu’il existe tel.

Lorsqu’une phrase commence par un adjectif seul, par exemple, savant en l’art de régner, ce Prince se fit aimer de ses sujets & craindre de ses voisins ; il est évident qu’alors on sous-entend, ce Prince qui étoit savant, &c. ainsi savant en l’art de régner, est une proposition incidente, implicite, je veux dire, dont tous les mots ne sont pas exprimés ; en réduisant ces propositions à la construction simple, on voit qu’il n’y a rien contre les regles ; & que si dans la construction usuelle on préfere la façon de parler elliptique. c’est que l’expression en est plus serrée & plus vive.

Quand le substantif & l’adjectif font ensemble le sujet de la proposition, ils forment un tout inséparable, alors les prépositifs se mettent avant celui des deux qui commence la phrase : ainsi on dit.

1°. Dans les propositions universelles, tout homme, chaque homme, tous les hommes, nul homme, aucun homme.

2°. Dans les propositions indéfinies, les Turcs, les Persans, les hommes savans, les savans philosophes.

3°. Dans les propositions particulieres, quelques hommes, certaines personnes soûtiennent, &c. un savant m’a dit, &c. on m’a dit, des savans m’ont dit, en sous-entendant quelques uns, aucuns, ou des savans philosophes, en sous-entendant un certain nombre, ou quelqu’autre mot.

4°. Dans les propositions singulieres, le soleil est levé, la lune est dans son plein, cet homme, cette femme, ce livre.

Ce que nous venons de dire des noms qui sont sujets d’une proposition se doit aussi entendre de ceux qui sont le complément immédiat de quelque verbe ou de quelque préposition, Détestons tous les vices, pratiquons toutes les vertus, &c. dans le ciel, sur la terre, &c.

J’ai dit le complément immédiat, j’entens par-là tout substantif qui fait un sens avec un verbe ou une préposition, sans qu’il y ait aucun mot sous-entendu entre l’un & l’autre ; car quand on dit, vous aimez des ingrats, des ingrats n’est pas le complément immédiat de aimez ; la construction entiere est, vous aimez certaines personnes qui sont du nombre des ingrats, ou quelques uns des ingrats, de les ingrats ; quosdam ex, ou de ingratis : ainsi des ingrats énonce une partition c’est un sens partitif, nous en avons souvent parlé.

Mais dans l’une ou dans l’autre de ces deux occasions, c’est-à-dire, 1°. quand l’adjectif & le substantif sont le sujet de la proposition ; 2°. ou qu’ils sont le complément d’un verbe ou de quelque préposition : en quelles occasions faut-il n’employer que cette simple préposition, & en quelles occasions faut-il y joindre l’article & dire du ou de le & des, c’est-à-dire, de les ?

La Grammaire générale dit (pag. 54.) qu’avant les substantifs on dit des, des animaux, & qu’on dit de quand l’adjectif précede, de beaux lits : mais cette regle n’est pas générale, car dans le sens qualificatif indéfini on se sert de la simple préposition de, même devant le substantif, sur-tout quand le nom qualifié est précédé du prépositif un, & on se sert de des ou de les, quand le mot qui qualifie est pris dans un sens individuel, les lumieres des Philosophes anciens, ou des anciens Philosophes.

Voici une liste d’exemples dont le Lecteur judicieux pourra faire usage, & juger des principes que nous avons établis.

Noms avec l’article composé, c’est-à-dire avec la préposition & l’article. Noms avec la seule préposition.
Les ouvrages de Cicéron sont pleins des idées les plus saïnes.
(De les idées.)
Les ouvrages de Cicéron sont pleins d’idées saines.
Voila idées dans le sens individuel. Ides saines est dans le sens spécifique indéfini, général de sorte.
Faites-vous des principes (c’est le sens individuel). Nos connoissances doivent être tirées de principes évidens.
(Sens spécifique) où vous voyez que le substantif précede.
Défaites-vous des prejugés de l’enfance. N’avez-vous point de préjugé sur cette question ?
Cet arbre porte des fruits excellens Cet arbre porte d’excellens fruits (sens de sorte).
Les especes differentes des animaux qui sont sur la terre.
(Sens individuel universel).
Il y a différentes especes d’animaux sur la terre.
Différentes sortes de poissons. &v.
Entrez dans le détail des regles d’une saine dialectique. Il entre dans un grand détail de regles frivoles (voilà le substantif qui précede, c’est le sens spécifique indégini ; on ne parle d’aucunes régles particulieres, c’est le sens de sorte.)
Ces raisons sont des conjectures bien foibles. Ces raisons sont de foibles conjectures.
Faire des mots nouveaux. Faire de nouveaux mots..
Choisir des fruits excellens. Choisir d’excellens fruits.
Chercher des détours. Chercher de longs détours pour exprimer les choses les plus aisées.
Se servir des termes établis par l’usage. Ces exemples peuvent servir de modeles.
Evitez l’air de l’affectation
(sens individuel méthaphysique.)
Evitez tout ce qui a un air d’affectation.
Charger sa mémoire des phrases de Cicéron. Charger sa mémoire de phrases.
Discours soûtenus par des expressions fortes. Discours soûtenus par de vives expressions.
Plein des sentimens les plus beaux. Plein de sentimens.
Plein de grands sentimens.
Il a recueilli des préceptes pour la langue & pour la morale. Recueil de préceptes pour la langue & pour la morale.
Servez vous des signes dont nous sommes convenus. Nous sommes obligés d’user de signes extérieurs pour nous faire entendre.
Le choix des études. Il a fait un choix de livres qui sont, &c.
Les connoissances ont toûjours été l’objet de l’estime, jours été l’objet de l’estime, des loüanges & de l’admiration des hommes. C’est un sujet d’estime, de loüanges & d’admiration.
Les richesses de l’esprit ne peuvent être acquises que par l’étude. Il y a au Pérou une abondance prodigieuse de richesses inutiles.
Les biens de la fortune sont fragiles. (Des biens de fortune, la Bruyere caractères, page 176.)
L’enchainement des preuves fait qu’elles plaisent & qu’elles persuadent. Il y a dans ce livre un admirable enchainement de preuves solides. (sens de sorte.)
C’est par la méditation sur ce qu’on lit qu’on acquiert des connoissances nouvelles. C’est par la méditation qu’on acquiert de nouvelles connoissances.
Les avantages de la mémoire. Il y a différentes sortes de memoire.
La mémoire des faits est la plus brillante. Il n’a qu’une mémoire de faits, & ne retient aucun raisonnement.
La mémoire est le thrésor de l’esprit, le fruit de l’atten tion & de la réflexion. Présence d’esprit ; la mémoire d’esprit & de raison est plus utile que les autres sortes de mémoire.
Le but des bons maîtres doit être de cultiver l’esprit de leurs disciples. Il a un air de maître qui choque.
On ne doit proposer des difficultés que pour faire triompher la vérité. Il a fait un recueil de difficultés dont il cherche la solution.
Le goût des hommes est sujet à des vicissitudes. Une société d’hommes choisis (d’hommes choisis qualifie la société adjectivement).
Il n’a pas besoin de la leçon que vous vous voulez lui donner. César n’eut pas besoin d’exemple. Il n’a pas besoin de leçons.

Remarque. Lorsque le substantif précede, comme il signifie par lui-même, ou un être réel ou un être métaphysique considéré par imitation, à la maniere des êtres réels, il présente d’abord à l’esprit une idée d’individualité d’être séparé existant par lui-même ; au lieu que lorsque l’adjectif précede, il offre à l’esprit une idée de qualification, une idée de sorte, un sens adjectif. Ainsi l’article doit précéder le substantif, au lieu qu’il suffit que la préposition précede l’adjectif, à moins que l’adjectif ne serve lui-même avec le substantif à donner l’idée individuelle, comme quand on dit : les savans hommes de l’antiquité : le sentiment des grands philosophes de l’antiquité, des plus savans philosophes : on a fait la description des beaux lits qu’on envoie en Portugal.

Réflexions sur cette regle de M. Vaugelas, qu’on ne doit point mettre de relatif après un nom sans article. L’auteur de la grammaire générale a examiné cette regle (II. partie, chap. X.) Cet auteur paroît la restraindre à l’usage présent de notre langue ; cependant de la maniere que je la conçois, je la crois de toutes les langues & de tous les tems.

En toute langue & en toute construction, il y a une justesse à observer dans l’emploi que l’on fait des signes destinés par l’usage pour marquer non-seulement les objets de nos idées, mais encore les différentes vûes sous lesquelles l’esprit considere ces objets. L’article, les prépositions, les conjonctions, les verbes avec leurs différentes inflexions, enfin tous les mots qui ne marquent point des choses, n’ont d’autre destination que de faire connoître ces différentes vûes de l’esprit.

D’ailleurs, c’est une regle des plus communes du raisonnement, que, lorsqu’au commencement du discours on a donné à un mot une certaine signification, on ne doit pas lui en donner une autre dans la suite du même discours. Il en est de même par rapport au sens grammatical ; je veux dire que dans la même période, un mot qui est au singulier dans le premier membre de cette période, ne doit pas avoir dans l’autre membre un corrélatif ou adjectif qui le suppose au pluriel : en voici un exemple tiré de la Princesse de Cleves, tom. II. pag. 119. M. de Nemours ne laissoit échapper aucune occasion de voir madame de Cleves, sans laisser paroître néanmoins qu’il les cherchât. Ce les du second membre étant au pluriel, ne devoit pas être destiné à rappeller occasion, qui est au singulier dans le premier membre de la période. Par la même raison, si dans le premier membre de la phrase, vous m’avez d’abord présenté le mot dans un sens spécifique, c’est-à-dire, comme nous l’avons dit, dans un sens qualificatif adjectif, vous ne devez pas, dans le membre qui suit, donner à ce mot un relatif, parce que le relatif rappelle toujours l’idée d’une personne ou d’une chose, d’un individu réel ou métaphysique, & jamais celle d’un simple qualificatif qui n’a aucune existence, & qui n’est que mode ; c’est uniquement à un substantif consideré substantivement, & non comme mode, que le qui peut se rapporter : l’antécédent de qui doit être pris dans le même sens aussi-bien dans toute l’étendue de la période, que dans toute la suite du syllogisme.

Ainsi, quand on dit, il a été reçû avec politesse, ces deux mots, avec politesse, sont une expression adverbiale, modificative, adjective, qui ne présente aucun être réel ni métaphysique. Ces mots, avec politesse, ne marquent point une telle politesse individuelle : si vous voulez marquer une telle politesse, vous avez besoin d’un prépositif qui donne à politesse un sens individuel, réel, soit universel, soit particulier, soit singulier, alors le qui fera son office.

Encore un coup avec politesse est une expression adverbiale, c’est l’adverbe poliment décomposé.

Or ces sortes d’adverbes sont absolus, c’est-à-dire, qu’ils n’ont ni suite ni complément ; & quand on veut les rendre relatifs, il faut ajoûter quelque mot qui marque la correlation ; il a été reçû si poliment que, &c. il a été reçû avec tant de politesse que, &c. ou bien avec une politesse qui, &c.

En Latin même ces termes correlatifs sont souvent marqués, is qui, ea quæ, id quod, &c.

Non enim is es, Catilina, dit Cicéron, ut ou qui, ou quem, selon ce qui suit ; voilà deux correlatifs is, ut, ou is, quem, & chacun de ces relatifs est construit dans sa proposition particuliere : il a d’abord un sens individuel particulier dans la premiere proposition, ensuite ce sens est déterminé singulierement dans la seconde : mais dans agere cum aliquo, inimicè, ou indulgenter, ou atrociter, ou violenter, chacun de ces adverbes présente un sens absolu spécifique qu’on ne peut plus rendre sens relatif singulier, à moins qu’on ne répete & qu’on n’ajoûte les mots destinés à marquer cette relation & cette singularité ; on dira alors ita atrociter ut, &c. ou en décomposant l’adverbe, cum eâ atrocitate ut ou quæ, &c. Comme la langue Latine est presque toute elliptique, il arrive souvent que ces correlatifs ne sont pas exprimés en Latin : mais le sens & les adjoints les font aisément suppléer. On dit fort bien en Latin, sunt qui putent, Cic. le correlatif de qui est philosophi ou quidam sunt ; mitte cui dem litteras, Cic. envoyez-moi quelqu’un à qui je puisse donner mes lettres ; où vous voyez que le correlatif est mitte servum, ou puerum, ou aliquem. Il n’en est pas de même dans la langue Françoise ; ainsi je crois que le sens de la regle de Vaugelas est que lorsqu’en un premier membre de période un mot est pris dans un sens absolu, adjectivement ou adverbialement, ce qui est ordinairement marqué en François par la suppression de l’article, & par les circonstances, on ne doit pas dans le membre suivant ajoûter un relatif, ni même quelqu’autre mot qui supposeroit que la premiere expression auroit été prise dans un sens fini & individuel, soit universel, soit particulier ou singulier ; ce seroit tomber dans le sophisme que les Logiciens appellent passer de l’espece à l’individu, passer du général au particulier.

Ainsi je ne puis pas dire l’homme est animal qui raisonne, parce que animal, dans le premier membre étant sans article, est un nom d’espece pris adjectivement & dans un sens qualificatif ; or qui raisonne ne peut se dire que d’un individu réel qui est ou déterminé ou indeterminé, c’est-à-dire, pris dans le sens particulier dont nous avons parlé ; ainsi je dois dire l’homme est le seul animal, ou un animal qui raisonne.

Par la même raison, on dira fort bien, il n’a point de livre qu’il n’ait lû ; cette proposition est équivalente à celle-ci : Il n’a pas un seul livre qu’il n’ait lû ; chaque livre qu’il a, il l’a lû. Il n’y a point d’injustice qu’il ne commette ; c’est-à-dire, chaque sorte d’injustice particuliere, il la commet. Est-il ville dans le royaume qui soit plus obéissante ? c’est-à-dire, est-il dans le royaume quelqu’autre ville, une ville qui soit plus obéissante que, &c. Il n’y a homme qui sache cela ; aucun homme ne sait cela.

Ainsi, c’est le sens individuel qui autorise le relatif, & c’est le sens qualificatif adjectif ou adverbial qui fait supprimer l’article ; la négation n’y fait rien, quoiqu’en dise l’auteur de la Grammaire générale. Si l’on dit de quelqu’un qu’il agit en roi, en pere, en ami, & qu’on prenne roi, pere, ami, dans le sens spécifique, & selon toute la valeur que ces mots peuvent avoir, on ne doit point ajoûter de qui : mais si les circonstances font connoître qu’en disant roi, pere, ami, on a dans l’esprit l’idée particuliere de tel roi, de tel pere, de tel ami, & que l’expression ne soit pas consacrée par l’usage au seul sens spécifique ou adverbial, alors on peut ajoûter le qui ; il se conduit en pere tendre qui ; car c’est autant que si l’on disoit comme un pere tendre ; c’est le sens particulier qui peut recevoir ensuite une détermination singuliere.

Il est accablé de maux, c’est-à-dire, de maux particuliers, ou de dettes particulieres qui, &c. Une sorte de fruits qui, &c. une sorte tire ce mot fruits de la généralité du nom fruit ; une sorte est un individu spécifique, ou un individu collectif.

Ainsi, je crois que la vivacité, le feu, l’enthousiasme, que le style poëtique demande, ont pû autoriser Racine à dire (Esther, act. II. sc. viij.) nulle paix pour l’impie ; il la cherche, elle fuit : mais cette expression ne seroit pas réguliere en prose, parce que la premiere proposition étant universelle négative, & où nulle emporte toute paix pour l’impie, les pronoms la & elle des propositions qui suivent ne doivent pas rappeller dans un sens affirmatif & individuel un mot qui a d’abord été pris dans un sens négatif universel. Peut-être pourroit-on dire nulle paix qui soit durable n’est donnée aux hommes : mais on feroit encore mieux de dire une paix durable n’est point donnée aux hommes.

Telle est la justesse d’esprit, & la précision que nous demandons dans ceux qui veulent écrire en notre langue, & même dans ceux qui la parlent. Ainsi on dit absolument dans un sens indéfini, se donner en spectacle, avoir peur, avoir pitié, un esprit de parti, un esprit d’erreur. On ne doit donc point ajoûter ensuite à ces substantifs, pris dans un sens général, des adjectifs qui les supposeroient dans un sens fini, & en feroient des individus métaphysiques. On ne doit donc point dire se donner en spectacle funeste, ni un esprit d’erreur fatale, de sécurité téméraire, ni avoir peur terrible : on dit pourtant avoir grand’peur, parce qu’alors cet adjectif grand, qui précede son substantif, & qui perd même ici sa terminaison féminine, ne fait qu’un même mot avec peur, comme dans grand’messe, grand’mere. Par le même principe, je crois qu’un de nos auteurs n’a pas parlé exactement quand il a dit (le P. Sanadon, vie d’Horace, pag. 47.) Octavien déclare en plein Senat, qu’il veut lui remettre le gouvernement de la République ; en plein senat est une circonstance de lieu, c’est une sorte d’expression adverbiale, où senat ne se présente pas sous l’idée d’un être personnifié ; c’est cependant cette idée que suppose lui remettre ; il falloit dire Octavien déclare au senat assemblé qu’il veut lui remettre, &c. ou prendre quelqu’autre tour.

Si les langues qui ont des articles, ont un avantage sur celles qui n’en ont point.

La perfection des langues consiste principalement en deux points. 1°. A avoir une assez grande abondance de mots pour suffire à énoncer les différens objets des idées que nous avons dans l’esprit : par exemple, en latin regnum signifie royaume, c’est le pays dans lequel un souverain exerce son autorité : mais les Latins n’ont point de nom particulier pour exprimer la durée de l’autorité du souverain, alors ils ont recours à la périphrase ; ainsi pour dire sous le regne d’Auguste, ils disent imperante Cæsare Augusto, dans le tems qu’Auguste régnoit ; au lieu qu’en françois nous avons royaume, & de plus regne. La langue françoise n’a pas toujours de pareils avantages sur la latine. 2°. Une langue est plus parfaite lorsqu’elle a plus de moyens pour exprimer les divers points de vûe sous lesquels notre esprit peut considérer le même objet : le roi aime le peuple, & le peuple aime le roi : dans chacune de ces phrases, le roi & le peuple sont considérés sous un rapport différent. Dans la premiere, c’est le roi qui aime ; dans la seconde, c’est le roi qui est aimé : la place ou position dans laquelle on met roi & peuple, fait connoître l’un & l’autre de ces points de vûe.

Les prépositifs & les prépositions servent aussi à de pareils usages en françois.

Selon ces principes il paroît qu’une langue qui a une sorte de mots de plus qu’une autre, doit avoir un moyen de plus pour exprimer quelque vûe fine de l’esprit ; qu’ainsi les langues qui ont des articles ou prépositifs, doivent s’énoncer avec plus de justesse & de précision que celles qui n’en ont point. L’article le tire un nom de la généralité du nom d’espece, & en fait un nom d’individu, le roi ; ou d’individus, les rois ; le nom sans article ou prépositif, est un nom d’espece ; c’est un adjectif. Les Latins qui n’avoient point d’articles, avoient souvent recours aux adjectifs démonstratifs. Dic ut lapides isti panes fiant (Matt. jv. 3.) dites que ces pierres deviennent pains. Quand ces adjectifs manquent, les adjoints ne suffisent pas toûjours pour mettre la phrase dans toute la clarté qu’elle doit avoir. Si filius Dei es, (Matt. jv. 6.) on peut traduire si vous êtes fils de Dieu, & voilà fils nom d’espece, au lieu qu’en traduisant si vous êtes le fils de Dieu, le fils est un individu.

Nous mettons de la différence entre ces quatre expressions, 1. fils de roi, 2. fils d’un roi, 3. fils du roi, 4. le fils du roi. En fils de roi, roi est un nom d’espece, qui avec la préposition, n’est qu’un qualificatif ; 2. fils d’un roi, d’un roi est pris dans le sens particulier dont nous avons parlé, c’est le fils de quelque roi ; 3. fils du roi, fils est un nom d’espece ou appellatif, & roi est un nom d’individu, fils de le roi ; 4. le fils du roi, le fils marque un individu : filius regis ne fait pas sentir ces différences.

Etes-vous roi ? êtes-vous le roi ? dans la premiere phrase, roi est un nom appellatif ; dans la seconde, roi est pris individuellement : rex es tu ? ne distingue pas ces diverses acceptions : nemo satis gratiam regi refert. Ter. Phorm. II. ij. 24. où regi peut signifier au roi ou à un roi.

Un palais de prince, est un beau palais qu’un prince habite, ou qu’un prince pourroit habiter décemment ; mais le palais du prince (de le prince) est le palais déterminé qu’un tel prince habite. Ces différentes vûes ne sont pas distinguées en latin d’une maniere aussi simple. Si, en se mettant à table, on demande le pain, c’est une totalité qu’on demande ; le latin dira da ou affer panem. Si, étant à table, on demande du pain, c’est une portion de le pain ; cependant le latin dira également panem.

Il est dit au second chapitre de S. Matthieu, que les mages s’étant mis en chemin au sortir du palais d’Herode, videntes stellam, gavisi sunt ; & intrantes domum, invenerunt puerum : voilà étoile, maison, enfant, sans aucun adjectif déterminatif ; je conviens que ce qui précede fait entendre que cette étoile est celle qui avoit guidé les mages depuis l’orient ; que cette maison est la maison que l’étoile leur indiquoit ; & que cet enfant est celui qu’ils venoient adorer : mais le Latin n’a rien qui présente ces mots avec leur détermination particuliere ; il faut que l’esprit supplée à tout : ces mots ne seroient pas énoncés autrement, quand ils seroient noms d’especes. N’est-ce pas un avantage de la langue Françoise, de ne pouvoir employer ces trois mots qu’avec un prépositif qui fasse connoître qu’ils sont pris dans un sens individuel déterminé par les circonstances ? ils virent l’étoile, ils entrerent dans la maison, & trouverent l’enfant.

Je pourrois rapporter plusieurs exemples, qui feroient voir que lorsqu’on veut s’exprimer en Latin d’une maniere qui distingue le sens individuel du sens adjectif ou indéfini, ou bien le sens partitif du sens total, on est obligé d’avoir recours à quelqu’adjectif démonstratif, ou à quelqu’autre adjoint. On ne doit donc pas nous reprocher que nos articles rendent nos expressions moins fortes & moins serrées que celles de la langue Latine ; le défaut de force & de précision est le défaut de l’écrivain, & non celui de la langue.

Je conviens que quand l’article ne sert point à rendre l’expression plus claire & plus précise, on devroit être autorisé à le supprimer : j’aimerois mieux dire, comme nos peres, pauvreté n’est pas vice, que de dire, la pauvreté n’est pas un vice : il y a plus de vivacité & d’énergie dans la phrase ancienne : mais cette vivacité & cette énergie ne sont loüables, que lorsque la suppression de l’article ne fait rien perdre de la précision de l’idée, & ne donne aucun lieu à l’indétermination du sens.

L’habitude de parler avec précision, de distinguer le sens individuel du sens spécifique adjectif & indéfini, nous fait quelquefois mettre l’article où nous pouvions le supprimer : mais nous aimons mieux que notre style soit alors moins serré, que de nous exposer à être obscurs ; car en général il est certain que l’article mis ou supprimé devant un nom, (Gram. de Regnier, p. 152.) fait quelquefois une si grande différence de sens, qu’on ne peut douter que les langues qui admettent l’article, n’ayent un grand avantage sur la langue Latine, pour exprimer nettement & clairement certains rapports ou vûes de l’esprit, que l’article seul peut désigner, sans quoi le lecteur est exposé à se méprendre.

Je me contenterai de ce seul exemple. Ovide faisant la description des enchantemens qu’il imagine que Médée fit pour rajeûnir Eson, dit que Médée (Mét. liv. VII. v. 184.)

Tectis, nuda pedem, egreditur.

Et quelques vers plus bas (v. 189.) il ajoûte

Crinem irroravit aquis.

Les traducteurs instruits que les poëtes employent souvent un singulier pour un pluriel, figure dont ils avoient un exemple devant les yeux en crinem irroravit, elle arrosa ses cheveux ; ces traducteurs, dis-je, ont crû qu’en nuda pedem, pedem étoit aussi un singulier pour un pluriel ; & tous, hors M. l’abbé Banier, ont traduit nuda pedem, par ayant les piés nuds : ils devoient mettre, comme M. l’abbé Banier, ayant un pié nud ; car c’étoit une pratique superstitieuse de ces magiciennes, dans leurs vains & ridicules prestiges, d’avoir un pié chaussé & l’autre nud. Nuda pedem peut donc signifier ayant un pié nud, ou ayant les piés nuds ; & alors la langue, faute d’articles, manque de précision, & donne lieu aux méprises. Il est vrai que par le secours des adjectifs déterminatifs, le Latin peut suppléer au défaut des articles ; & c’est ce que Virgile a fait en une occasion pareille à celle dont parle Ovide : mais alors le Latin perd le prétendu avantage d’être plus serré & plus concis que le François.

Lorsque Didon eut eu recours aux enchantemens, elle avoit un pié nud, dit Virgile, . . . Unum exuta pedem vinclis . . . (IV. Æneid. v. 518,) & ce pié étoit le gauche, selon les commentateurs.

Je conviens qu’Ovide s’est énoncé d’une maniere plus serrée, nuda pedem : mais il a donné lieu à une méprise. Virgile a parlé comme il auroit fait s’il avoit écrit en François ; unum exuta pedem, ayant un pié nud ; il a évité l’équivoque par le secours de l’adjectif indicatif unum ; & ainsi il s’est exprimé avec plus de justesse qu’Ovide.

En un mot, la netteté & la précision sont les premieres qualités que le discours doit avoir : on ne parle que pour exciter dans l’esprit des autres une pensée précisément telle qu’on la conçoit ; or les langues qui ont des articles, ont un instrument de plus pour arriver à cette fin ; & j’ose assûrer qu’il y a dans les livres Latins bien des passages obscurs, qui ne sont tels que par le défaut d’articles ; défaut qui a souvent induit les auteurs à négliger les autres adjectifs démonstratifs, à cause de l’habitude où étoient ces auteurs d’énoncer les mots sans articles, & de laisser au lecteur à suppléer.

Je finis par une réflexion judicieuse du pere Buffier. (Gramm. n. 340.) Nous avons tiré nos éclaircissemens d’une Métaphysique, peut-être un peu subtile, mais très-réelle . . . . . C’est ainsi que les sciences se prêtent mutuellement leurs secours : si la Métaphysique contribue à démêler nettement des points essentiels à la Grammaire, celle-ci bien apprise, ne contribueroit peut-être pas moins à éclaircir les discours les plus métaphysiques. Voyez Adjectif, Adverbe, &c. (F)

Article, s. m. en termes de Commerce, signifie une petite partie ou division d’un compte, d’un mémoire, d’une facture, d’un inventaire, d’un livre journal, &c.

Un bon teneur de livres doit être exact à porter sur le grand livre au compte de chacun, soit en débit, soit en crédit, tous les articles qui sont écrits sur le livre journal, & ainsi du reste.

Article se dit aussi des clauses, conditions & conventions portées dans les sociétés, dans les marchés, dans les traités, & des choses jugées par des arbitres.

Article se prend aussi pour les différens chefs portés par les ordonnances, les reglemens, les statuts des communautés, &c. particulierement quand on les cite. Ainsi l’on dit cela est conforme à tel article de l’ordonnance de 1673 ; à tel article du reglement des Teinturiers, &c. Savary, Dict. du Comm. tom. I. p. 738. (G)

Article, en Peinture, est un très-petit contour qu’on nomme aussi tems. On dit : ces articles ne sont pas assez prononcés. Outre ces contours, il y a un article ou un tems, &c.

Article signifie aussi, en Peinture comme en Anatomie, les jointures ou articulations des os du corps, comme les jointures des doigts, &c. (R)

Articles, en termes de Palais, sont les circonstances & particularités sur lesquelles une partie se propose d’en faire interroger une autre en justice : dans ce sens, on ne dit guere articles qu’avec faits ; comme interroger quelqu’un sur faits & articles ; donner copie des faits & articles, &c.

On appelle les articles tout simplement, les clauses & conventions qu’on est convenu de stipuler dans un contrat de mariage par les deux futurs conjoints, ou leurs parens ou tuteurs stipulans pour eux. (H)