L’Encyclopédie/1re édition/FORNICATION
FORNICATION, s. f. (Morale.) Le dictionnaire de Trévoux dit que c’est un terme de Théologie. Il vient du mot latin fornix, petites chambres voûtées dans lesquelles se tenoient les femmes publiques à Rome. On a employé ce terme pour signifier le commerce des personnes libres. Il n’est point d’usage dans la conversation, & n’est guere reçu aujourd’hui que dans le style marotique. La décence l’a banni de la chaire. Les Casuistes en faisoient un grand usage, & le distinguoient en plusieurs especes. On a traduit par le mot de fornication les infidélités du peuple juif pour des dieux étrangers, parce que chez les prophetes ces infidélités sont appellées impuretés, souillures. C’est par la même extension qu’on a dit que les Juifs avoient rendu aux faux dieux un hommage adultere. Article de M. de Voltaire.
La fornication, entant qu’union illégitime de deux personnes libres, & non parentes, est proprement un commerce charnel dont le prêtre n’a point donné la permission. L’ancienne loi condamne celui qui a commis la fornication avec une vierge, à l’épouser, ou à lui donner de l’argent, si son pere la refuse en mariage. Exode 22. Elle ne paroît pas avoir imposé de peine pour la fornication avec une fille publique, ou même avec une veuve. Ce n’est pas que cette fornication fût permise ; nous voyons par un passage des actes des apôtres, xv. 20. 29. qu’on prescrivoit aux Juifs nouvellement convertis, de conserver entr’autres observations légales, l’abstinence de la fornication & des chairs étouffées. Cette attention à faire marcher de pair deux abstinences si différentes, paroît prouver, ou que la manducation des chairs étouffées (indifférente en elle-même) étoit traitée par la loi des Juifs comme un grand mal, ou que la fornication étoit regardée comme une simple faute contre la loi, plûtôt que comme un crime. La loi nouvelle a été plus sévere & plus juste. Un chrétien regarde comme un plus grand mal de joüir d’un commerce charnel, qui n’est pas revêtu de la dignité de sacrement, que de manger de la chair de cochon ou de la chair étouffée. Mais la simple fornication, quoique péché en matiere grave, est de toutes les unions illégitimes celle que le Christianisme condamne le moins ; l’adultere est traité avec raison par l’Evangile comme un crime beaucoup plus grand. Voyez Adultere. En effet, au péché de la fornication il en joint deux autres : le larcin, parce que l’on dérobe le bien d’autrui ; la fraude, par lequel on donne à un citoyen des héritiers qui ne doivent pas l’être. Cependant, abstraction faite de la religion, de la probité même, & considérant uniquement l’économie de la société, il n’est pas difficile de sentir que la fornication lui est en un sens plus nuisible que l’adultere ; car elle tend, ou à multiplier dans la société la misere & le trouble, en y introduisant des citoyens sans état & sans ressource ; ou ce qui est peut-être encore plus funeste, à faciliter la dépopulation par la ruine de la fécondité. Cette observation n’a point pour objet de diminuer la juste horreur qu’on doit avoir de l’adultere, mais seulement de faire sentir les différens aspects sous lesquels on peut envisager la Morale, soit par rapport à la religion, soit par rapport à l’état. Les législateurs ont principalement décerné des peines contre les forfaits qui portent le trouble parmi les hommes ; il est d’autres crimes que la religion ne condamne pas moins, mais dont l’Être suprème se réserve la punition. L’incrédulité, par exemple, est pour un chrétien un aussi grand crime, & peut-être un plus grand crime que le vol ; cependant il y a des lois contre le vol, & il n’y en a pas contre les incrédules qui n’attaquent point ouvertement la religion dominante ; c’est que des opinions (même absurdes) qu’on ne cherche point à répandre, n’apportent aux citoyens aucun dommage : aussi y a-t-il plus d’incrédules que de voleurs. En général on peut observer, à la honte & au malheur du genre humain, que la religion n’est pas toûjours un frein assez puissant contre les crimes que les lois ne punissent pas, ou même dont le gouvernement ne fait pas une recherche sévere, & qu’il aime mieux ignorer que punir. C’est donc avoir du Christianisme une très-fausse idée, & même lui faire injure, que de le regarder, par une politique toute humaine, comme uniquement destiné à être une digue aux forfaits. La nature des préceptes de la religion, les peines dont elle menace, à la vérité aussi certaines que redoutables, mais dont l’effet n’est jamais présent, enfin le juste pardon qu’elle accorde toûjours à un repentir sincere, la rendent encore plus propre à procurer le bien de la société, qu’à y empêcher le mal. C’est à la morale douce & bienfaisante de l’Evangile qu’on doit le premier de ces effets ; des lois rigoureuses & bien exécutées produiront le second.
On a remarqué avec raison ci-dessus, que la fornication se prend dans l’Ecriture non-seulement pour une union illégitime, mais encore pour signifier l’idolâtrie & l’hérésie, qui sont regardées comme des fornications spirituelles, comme une espece de copulation, s’il est permis de parler de la sorte, avec l’esprit de ténebres. Cette distinction peut servir à expliquer certains passages de l’Ecriture contre la fornication, & à les concilier avec d’autres. (O)