L’Encyclopédie/1re édition/MENDIANT

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MENDIANT, s. m. (Econom. politiq.) gueux ou vagabond de profession, qui demande l’aumône par oisiveté & par fainéantise, au lieu de gagner sa vie par le travail.

Les législateurs des nations ont toujours eu soin de publier des lois pour prévenir l’indigence, & pour exercer les devoirs de l’humanité envers ceux qui se trouveroient malheureusement affligés par des embrasemens, par des inondations, par la stérilité, ou par les ravages de la guerre ; mais convaincus que l’oisiveté conduit à la misere plus fréquemment & plus inévitablement que toute autre chose, ils l’assujettirent à des peines rigoureuses. Les Egyptiens, dit Hérodote, ne souffroient ni mendians ni fainéans sous aucun prétexte. Amasis avoit établi des juges de police dans chaque canton, par-devant lesquels tous les habitans du pays étoient obligés de comparoître de tems en tems, pour leur rendre compte de leur profession, de l’état de leur famille, & de la maniere dont ils l’entretenoient ; & ceux qui se trouvoient convaincus de fainéantise, étoient condamnés comme des sujets nuisibles à l’état. Afin d’ôter tout prétexte d’oisiveté, les intendans des provinces étoient chargés d’entretenir, chacun dans leur district, des ouvrages publics, où ceux qui n’avoient point d’occupation, étoient obligés de travailler. Vous êtes des gens de loisir, disoient leurs commissaires aux Israélites, en les contraignant de fournir chaque jour un certain nombre de briques ; & les fameuses pyramides sont en partie le fruit des travaux de ces ouvriers qui seroient demeurés sans cela dans l’inaction & dans la misere.

Le même esprit regnoit chez les Grecs. Lycurgue ne souffroit point de sujets inutiles ; il régla les obligations de chaque particulier conformément à ses forces & à son industrie. Il n’y aura point dans notre état de mendiant ni de vagabond, dit Platon ; & si quelqu’un prend ce métier, les gouverneurs des provinces le feront sortir du pays. Les anciens Romains attachés au bien public, établirent pour une premiere fonction de leurs censeurs, de veiller sur les mendians & les vagabonds, & de faire rendre compte aux citoyens de leur tems. Cavebant ne quis otiosus in urbe oberraret. Ceux qu’ils trouvoient en faute, étoient condamnés aux mines ou autres ouvrages publics. Ils se persuaderent que c’étoit mal placer sa libéralité, que de l’exercer envers des mendians capables de gagner leur vie. C’est Plaute lui-même qui débite cette sentence sur le théatre. De mendico malè meretur qui dat ei quod edat aut bibat ; nam & illud quod dat perdit, & producit illi vitam ad miseriam. En effet, il ne faut pas que dans une société policée, des hommes pauvres, sans industrie, sans travail, se trouvent vêtus & nourris ; les autres s’imagineroient bientôt qu’il est heureux de ne rien faire, & resteroient dans l’oisiveté.

Ce n’est donc pas par dureté de cœur que les anciens punissoient ce vice, c’étoit par un principe d’équité naturelle ; ils portoient la plus grande humanité envers leurs véritables pauvres qui tomboient dans l’indigence ou par la vieillesse, ou par des infirmités, ou par des évenemens malheureux. Chaque famille veilloit avec attention sur ceux de leurs parens ou de leurs alliés qui étoient dans le besoin, & ils ne négligeoient rien pour les empêcher de s’abandonner à la mendicité qui leur paroissoit pire que la mort : malim mori quàm mendicare, dit l’un d’eux. Chez les Athéniens, les pauvres invalides recevoient tous les jours du trésor public deux oboles pour leur entretien. Dans la plûpart des sacrifices il y avoit une portion de la victime qui leur étoit réservée ; & dans ceux qui s’offroient tous les mois à la déesse Hécate par les personnes riches, on y joignoit un certain nombre de pains & de provisions ; mais ces sortes de charités ne regardoient que les pauvres invalides, & nullement ceux qui pouvoient gagner leur vie. Quand Ulysse, dans l’équipage de mendiant, se présente à Eurimaque, ce prince le voyant fort & robuste, lui offre du travail, & de le payer ; sinon, dit-il, je t’abandonne à ta mauvaise fortune. Ce principe étoit si bien gravé dans l’esprit des Romains, que leurs lois portoient qu’il valoit mieux laisser périr de faim les vagabonds, que de les entretenir dans leur fainéantise. Potius expedit, dit la loi, inertes fame perire, quàm in ignaviâ fovere.

Constantin fit un grand tort à l’état, en publiant des édits pour l’entretien de tous les chrétiens qui avoient été condamnés à l’esclavage, aux mines, ou dans les prisons, & en leur faisant bâtir des hôpitaux spatieux, où tout le monde fût reçu. Plusieurs d’entre eux aimerent mieux courir le pays sous différens prétextes, & offrant aux yeux les stigmates de leurs chaînes, ils trouverent le moyen de se faire une profession lucrative de la mendicité, qui auparavant étoit punie par les lois. Enfin les fainéans & les libertins embrasserent cette profession avec tant de licence, que les empereurs des siecles suivans furent contraints d’autoriser par leurs lois les particuliers à arrêter tous les mendians valides, pour se les approprier en qualité d’esclaves ou de serfs perpétuels. Charlemagne interdit aussi la mendicité vagabonde, avec défense de nourrir aucun mendiant valide qui refuseroit de travailler.

Des édits semblables contre les mendians & les vagabonds, ont été cent fois renouvellés en France, & aussi inutilement qu’ils le seront toujours, tant qu’on n’y remédiera pas d’une autre maniere, & tant que des maisons de travail ne seront pas établies dans chaque province, pour arrêter efficacement les progrès du mal. Tel est l’effet de l’habitude d’une grande misere, que l’état de mendiant & de vagabond attache les hommes qui ont eu la lâcheté de l’embrasser ; c’est par cette raison que ce métier, école du vol, se multiplie & se perpétue de pere en fils. Le châtiment devient d’autant plus nécessaire à leur égard, que leur exemple est contagieux. La loi les punit par cela seul qu’ils sont vagabonds & sans aveu ; pourquoi attendre qu’ils soient encore voleurs, & se mettre dans la nécessité de les faire périr par les supplices ? Pourquoi n’en pas faire de bonne heure des travailleurs utiles au public ? Faut-il attendre que les hommes soient criminels, pour connoître de leurs actions ? Combien de forfaits épargnés à la société, si les premiers déréglemens eussent été réprimés par la crainte d’être renfermés pour travailler, comme cela se pratique dans les pays voisins !

Je sai que la peine des galeres est établie dans ce royaume contre les mendians & les vagabonds ; mais cette loi n’est point exécutée, & n’a point les avantages qu’on trouveroit à joindre des maisons de travail à chaque hôpital, comme l’a démontré l’auteur des considérations sur les finances.

Nous n’avons de peines intermédiaires entre les amendes & les supplices, que la prison. Cette derniere est à charge au prince & au public, comme aux coupables ; elle ne peut être que très-courte, si la nature de la faute est civile. Le genre d’hommes qui s’y exposent, la méprisent, elle sort promptement de leur mémoire ; & cette espece d’impunité pour eux éternise l’habitude du vice, ou l’enhardit au crime.

En 1614 l’excessive pauvreté de nos campagnes, & le luxe de la capitale y attirerent une foule de mendians ; on défendit de leur donner l’aumône, & ils furent renfermés dans un hôpital fondé à ce dessein. Il ne manquoit à cette vûe, que de perfectionner l’établissement, en y fondant un travail ; & c’est ce qu’on n’a point fait. Ces hommes que l’on resserre seront-ils moins à charge à la société, lorsqu’ils seront nourris par des terres à la culture desquelles ils ne travaillent point ? La mendicité est plus à charge au public par l’oisiveté & par l’exemple, que par elle-même.

On n’a besoin d’hôpitaux fondés que pour les malades & pour les personnes que l’âge rend incapables de tout travail. Ces hôpitaux sont précisément les moins rentés, le nécessaire y manque quelquefois ; & tandis que des milliers d’hommes sont richement vêtus & nourris dans l’oisiveté, un ouvrier se voit forcé de consommer dans une maladie tout ce qu’il possede, ou de se faire transporter dans un lit commun avec d’autres malades, dont les maux se compliquent au sien. Que l’on calcule le nombre des malades qui entrent dans le cours d’une année dans les hôtels-dieu du royaume, & le nombre des morts, on verra si dans une ville composée du même nombre d’habitans, la peste feroit plus de ravage.

N’y auroit-il pas moyen de verser aux hôpitaux des malades la majeure partie des fonds destinés aux mendians ? & seroit-il impossible, pour la subsistance de ceux-ci, d’affermer leur travail à un entrepreneur dans chaque lieu ? Les bâtimens sont construits, & la dépense d’en convertir une partie en atteliers, seroit assez médiocre. Il ne s’agiroit que d’encourager les premiers établissemens. Dans un hôpital bien gouverné, la nourriture d’un homme ne doit pas coûter plus de cinq sols par jour. Depuis l’âge de dix ans les personnes de tout sexe peuvent les gagner ; & si l’on a l’attention de leur laisser bien exactement le sixieme de leur travail, lorsqu’il excédera les cinq sols, on en verra monter le produit beaucoup plus haut. Quant aux vagabonds de profession, on a des travaux utiles dans les colonies, où l’on peut employer leurs bras à bon marché. (D. J.)

Mendiant, s. m. (Hist. ecclésiast.) mot consacré aux religieux qui vivent d’aumônes, & qui vont quêter de porte en porte. Les quatre ordres mendians qui sont les plus anciens, sont les Carmes, les Jacobins, les Cordeliers & les Augustins. Les religieux mendians plus modernes, sont les Capucins, Récolets, Minimes, & plusieurs autres, dont vous trouverez l’histoire dans le pere Héliot, & quelques détails généraux au mot Ordre religieux. (D. J.)