L’Encyclopédie/1re édition/ORÉXIE

La bibliothèque libre.
◄  ORÉE
ORFA  ►

ORÉXIE, s. f. (Médec.) appétit presque continuel dans l’état de santé, & qui n’est accompagné d’aucun fâcheux symptome, comme dans la faim canine & la boulimie.

Les personnes qui ont cette faim vorace deviendroient même malades si elles ne prenoient souvent de la nourriture. Sennert rapporte l’histoire d’un écolier d’un tempérament mélancholique, qui se portoit d’ailleurs à merveille, mais qui avoit besoin de manger le jour & la nuit. Les mets délicats ne pouvoient pas le rassasier, il lui falloit des mets solides & difficiles à digérer, comme, par exemple, du gros pain dont se nourrissent les paysans.

M. de Thou, hist. t. I. p. 10 :, cite l’exemple de M. de Beaulne de Samblançay, archevêque de Bourges, son parent & son ami, avec lequel il vivoit. M. de Beaulne avoit besoin d’un aliment presque continuel pour entretenir sa santé. A peine dormoit-il tous les jours quatre heures, au bout desquelles le besoin de manger le réveilloit : à deux heures après minuit il se faisoit apporter à manger, & expédioit ses affaires particulieres jusqu’à quatre heures, qu’il se remettoit à table ; à huit heures, on le servoit pour la troisieme fois. Il rentroit chez lui pour dîner à midi, il mangeoit encore à quatre heures & le soir. Avec tout cela on ne le vit jamais plus assoupi, ni la tête plus embarrassée, que s’il étoit très petit mangeur.

Cette faim dévorante peut être causée par les vers. On en trouve des exemples dans plusieurs auteurs, & en particulier dans Tralianus & dans Nicolus. L’expérience journaliere confirme leurs observations, & la théorie découvre la cause de cette voracité. 1° Les vers privent alors le corps d’une partie du suc nourricier que lui auroient fourni les alimens. 2° Par l’agitation des vers, l’estomac est mis en action, les houppes nerveuses sont chatouillées ; ce sentiment oblige ceux qui ont des vers à prendre continuellement des alimens. 3° Par cette agitation, l’estomac se vuide, & devient plus exposé aux impressions de la faim.

Mais on trouve aussi dans la construction du corps humain des causes particulieres qui peuvent produire dans certains sujets un appétit dévorant ; comme la grandeur de l’estomac, la grosseur du foie, l’abondance de la bile, & autres jeux de la nature telle que la forme des intestins qui sont plus courts & ont moins de circonvolutions. Il est rapporté par Antoine de Pozzis qu’une femme qui étoit tourmentée d’un appétit dévorant, n’avoit que trois intestins très-courts. Cabrolius nous a laissé une semblable observation dans un homme famélique. On peut ajouter à ces observations un fait assez constant, c’est que les animaux sont plus voraces à proportion que leurs intestins sont plus courts, & ont moins de circonvolutions.

La masse du foie peut encore être regardée comme une des causes de voracité. Jemma, Argentier & Bartholin confirment cette théorie par la dissection des cadavres de personnes faméliques, & la théorie s’accorde avec leurs observations ; car lorsque le foie a un grand volume, il s’y filtre beaucoup plus de bile, & une bile plus âcre, parce que la chaleur de ce viscere est plus considérable ; or cette âcreté & la grande quantité de bile forment un aiguillon plus vif, cet aiguillon donne plus de mouvement à l’estomac & aux intestins ; d’où l’on est plutôt affamé. On peut rapporter ici l’observation de Vesale sur un forçat extrèmement vorace, il trouva à l’ouverture du cadavre que par une conformation particuliere la bile se dégorgeoit dans l’estomac ; or, dans ce cas, ce viscere étant exposé à l’action de la bile, devoit se vuider plus promptement.

Nous trouvons dans divers écrits des médecins, que le volume excessif de la rate & la grosseur de la veine splénique avoient produit la voracité. Nous remarquerons aussi que les animaux auxquels on enleve la rate deviennent extrèmement voraces ; cela peut venir de l’action des nerfs qu’on a blessés, & du surplus de sang que reçoit l’artere gastrique, cette action d’excès dans les nerfs s’étend sur le ventricule ; d’ailleurs le sang qui a séjourné dans la rate qui se trouve d’un volume considérable, forme dans le foie une bile plus âcre & plus abondante, l’estomac & les intestins doivent donc se vuider plus promptement.

Il n’est pas étonnant que les mélancholiques ayent beaucoup d’appétit, ou du-moins qu’un appétit dévorant les tourmente quelquefois ; le sang s’accumule dans leurs visceres & il y séjourne long-tems, ils sont donc dans le cas de ceux qui ont le volume de la rate fort gros. C’est pour cela encore qu’on ne doit pas être surpris, si dans des estomacs faméliques on a trouvé des sucs noirâtres, c’est-à-dire des sucs qui sont tels que ceux qu’on trouve dans les visceres des mélancholiques.

L’oréxie, ou la faim immodérée qui vient des vers qui consument le chyle, se guérit en détruisant ces insectes. On peut en connoître la cause par les symptomes qui leur sont propres. Celle qui vient de l’acidité ou âcreté des humeurs se guérit par les remedes qui corrigent cette acidité ou cette âcreté. Villanovanus rapporte qu’un homme se guérit de sa faim dévorante en mangeant du pain chaud trempé dans du marc d’huile. La voracité causée par l’action de la bile sur l’estomac se tempere par les acides. En général l’oréxie naturelle est une maladie fort rare ; il faut bien la distinguer de la boulimie & de la faim canine, avec lesquelles on la confond d’ordinaire. Voyez Faim canine. (D. J.)