L’Encyclopédie/1re édition/RUBIS

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RUBIS, (Hist. nat.) rubinus, pierre précieuse, rouge, transparente, qui ne le cede qu’au diamant pour la dureté. On en compte plusieurs especes d’après les teintes plus ou moins foncées, que l’on trouve à cette pierre. Le rubis oriental ou vrai rubis est d’un rouge écarlate ou ponceau, semblable à un charbon allumé, c’est celui qu’on a quelquefois nommé albandine ou almandine, & peut-être celui que l’on nomme escarboucle ou carbunculus, quand il est d’une certaine grosseur. Le rubis balais, en latin balassus ou palatius, est d’un rouge un peu bleuâtre, ce qui le rend un peu cramoisi ou pourpre. Le rubis spinel est d’un rouge clair. Le rubicelle ou rubacelle est d’un rouge tirant un peu sur le jaune ; c’est le moins estimé.

Les rubis varient pour la figure, l’on en trouve qui sont octahedres, d’autres sont en rhomboïdes dans leur matrice ; on en trouve aussi qui sont arrondis & semblables à des cailloux roulés, ces derniers se rencontrent dans le lit de quelques rivieres, ou bien dans le sein de la terre, enveloppés dans un sable rouge, ou dans une terre verte & compacte, qui ressemble à de la serpentine, ou dans une roche rougeâtre. Les rubis de Bohème se trouvent dans du quartz & dans du grais.

Les plus beaux rubis viennent des Indes orientales ; on en trouve dans le royaume de Pégu, dans l’île de Ceylan, dans l’Inde au royaume de Bisnagar & de Calicut. On dit aussi qu’il s’en rencontre en Bohème, en Silésie, en Hongrie, en Saxe, ainsi que près de Kexholm, en Finlande, & près de Keddil, sur le lac de Ladoga ; la question est de savoir, si ces rubis ont la dureté & l’éclat de ceux d’Orient. Un rubis parfait est une pierre très-rare, sur-tout quand il est d’une belle grandeur : quand il s’en trouve, on en fait un très-grand cas, & on le paye plus cher que le diamant même.

L’empereur François I. aujourd’hui régnant, a fait faire à Vienne des expériences sur un grand nombre de pierres précieuses, & entr’autres sur le rubis. Par les ordres de ce prince, on mit dans des creusets plusieurs diamans & rubis ; on donna pendant vingt-quatre heures un feu très-violent, & lorsqu’on vint au bout de ce tems à visiter les creusets, on trouva que les diamans avoient été entierement dissipés & volatilisés par l’action du feu, tandis que le rubis n’avoit rien perdu ni de sa forme, ni de sa couleur, ni de son poids.

Le dernier grand duc de Toscane de la maison de Médicis, avoit déja fait faire des expériences sur les pierres précieuses, à l’aide du miroir ardent de Tschirnhausen. Un rubis exposé à l’action du feu solaire, au bout de quelques secondes se couvrit comme d’une espece de graisse fondue, à la partie de sa surface qui étoit frappée par les rayons ; il s’y forma ensuite quelques bulles. Après avoir été tenu pendant 45 minutes dans le foyer, il perdit sa couleur en grande partie, ses facettes, & ses angles s’arrondirent. Un autre rubis après avoir été exposé 3 minutes au foyer, s’écrasa & se fendit lorsqu’on vint à presser dessus avec la lame d’un couteau. On prit un nouveau rubis fort grand ; il commença par montrer les mêmes bulles, que le premier ; & au bout de 7 minutes, il étoit amolli au point de recevoir l’empreinte d’un jaspe & de la pointe d’un couteau. Cette pierre après avoir été exposée à cette chaleur violente pendant 45 minutes, ne souffrit aucune altération dans sa forme, mais sa couleur avoit changé ; elle étoit devenue trouble, blanchâtre & tachetée de noir. En continuant de tenir la pierre pendant 45 autres minutes dans la même chaleur, sa couleur changea encore plus, mais sa forme ne fut aucunement altérée ; enfin après avoir continué à tenir la pierre à ce même degré de chaleur pendant 3 autres quarts d’heure, il ne s’y fit plus aucun changement même pour le poids.

On prit un nouveau rubis que l’on pulvérisa, on exposa cette poudre au foyer du miroir ardent, & au bout de trois minutes on vit que les particules de cette poudre s’attachoient les unes aux autres assez fortement, mais elles se séparerent lorsqu’on vint à presser dessus avec un couteau ; on pulvérisa de nouveau ces particules, & au bout de 12 minutes elles se lierent les unes aux autres : la liaison n’étoit point sensible à la circonférence, mais au centre ; elle étoit très-forte, & les molécules en se rejoignant avoient même repris la couleur rouge qui leur étoit naturelle.

Pour s’assurer encore davantage de la fusibilité du rubis, on pulvérisa de nouveau ces particules, déja fondues ; & pour augmenter l’action du miroir ardent, on plaça un verre pour réfléchir les rayons, en peu de secondes ce degré de chaleur fit fondre la poudre, qui prit une couleur de chair sans transparence, & au microscope on découvrit qu’il y avoit des particules qui ne s’étoient point fondues.

Les rubis qui avoient été exposés au foyer du miroir ardent, & ensuite jettés dans l’eau, ne se brisoient point ; mais on pouvoit remarquer qu’il s’étoit fait des gersures à leur intérieur ; & les rubis se brisoient lorsqu’on les pressoit avec un outil de fer.

En joignant du verre à un rubis, cette pierre parut entrer en fusion avec lui, mais on s’apperçut au bout de quelque tems que la combinaison n’étoit point intime & la partie rouge s’étoit précipitée au-dessous du verre, dont il étoit facile de distinguer le rubis du verre. Ces expériences sont tirées du magasin d’Hambourg, vol in-18. & du tom. IX. du Giornale del litterati d’Italia. (—)

Voilà de toutes les pierres précieuses de couleur la plus difficile à trouver dans son degré de perfection. On exige que le rubis soit extremement net, d’une couleur véritablement ponceau, ou couleur de feu : l’on veut que le rouge en soit très-velouté, & qu’il jette un feu vif & ardent. Lorsque le rubis est pourvû de toutes ces qualités, & qu’il est avec cela d’une bonne grosseur, & d’une forme agréable, il n’y a certainement aucune pierre qui lui soit comparable ; & ce n’est pas sans raison que dans l’orient où le goût pour les pierres précieuses est peut-être plus sûr & plus marqué qu’en aucun autre endroit de l’univers, on fait beaucoup plus de cas des beaux rubis, que des beaux diamans ; par-tout où il y aura de véritables connoisseurs, il ne faut pas craindre qu’on pense autrement.

Benvenuto Cellini, sculpteur florentin, qui nous a laissé un traité de l’Orfévrerie, remarquoit il y a environ deux cens cinquante ans, qu’un rubis parfait pesant un carat, se seroit vendu de son tems 800 écus d’or, tandis qu’un diamant du même poids & de la même perfection, n’en auroit valu que cent ; mais on trouve peu de rubis de la premiere beauté ; presque tous péchent dans la couleur, qui n’est pas assez pure, ou qui dans les uns est trop sourde, & dans les autres trop claire. Les magnifiques escarboucles qui ont épuisé les éloges des anciens, & auxquels ils ont cru devoir donner le nom d’ἄνθραξ ou de carbunculus, à cause de leur ressemblance avec un charbon ardent, ont certainement été des rubis.

L’antiquité en connoissoit un grand nombre ; car pourvû qu’une pierre fût ardente & de couleur rouge, elle occupoit une place parmi les escarboucles : aujourd’hui les rubis se réduisent à quatre especes. Celui qui marche le premier est le rubis d’orient qu’on vient de décrire, dont l’extrème beauté, supérieure encore à sa rareté, laisse bien loin derriere lui toutes les autres pierres précieuses du même genre ; le rubis de Brésil vient ensuite ; jusqu’à présent il ne s’est pas fait beaucoup rechercher, parce qu’on n’en a point encore vû d’un beau rouge ; sa couleur est un rouge clair laqueux qui n’attire point. Le rubis balais est plus agréable ; mais pour être parfait, il doit être d’une belle couleur de rose, non point de couleur de rose pâle, ni d’un rouge tirant un peu sur la pelure d’oignon, ainsi qu’on le trouve assez fréquemment. La quatrieme espece est le rubis spinel, dont la couleur plus obscure que celle du rubis d’orient, est une couleur de feu un peu orangée. Les plus beaux rubis de ces deux dernieres especes croissent dans les Indes orientales ; il s’en trouve bien aussi en Europe ; mais comme ils sont infiniment moins durs que le véritable rubis d’orient, ils ne prennent pas, non plus que le rubis du Brésil, un poliment fort vif ; & ils perdent aisément celui qu’ils ont reçu, ce qui est un grand défaut.

Si Pline en est cru, liv. XXXVII. ch. vij. les anciens ont peu gravé sur le rubis, & parce qu’ils le croyoient trop difficile à entamer, & parce que, selon eux, il emportoit avec lui une partie de la cire lorsqu’on vouloit s’en servir à cacheter. Ils avoient de plus cette fausse prévention, qu’étant posée sur la cire, cette pierre par la seule approche étoit capable de la faire fondre. La signification du nom de rubis, tant en grec qu’en latin, a pû faire admettre en lui une qualité qui n’y fut jamais ; & combien voyons-nous tous les jours de choses, auxquelles on a la foiblesse d’attribuer des propriétés, par une raison de conformité de nom, ou à cause d’une certaine ressemblance de figure avec les choses mêmes auxquelles on veut les appliquer ? Ce seroit perdre le tems, que de s’amuser à relever de pareilles puérilités. Il faut plutôt croire que le rubis n’étoit négligé par les anciens graveurs, comme il l’est encore, qu’à cause de sa trop grande dureté, & que la gravure quelque belle qu’elle eût pû être, n’auroit servi qu’à lui faire perdre de son prix, & même à le défigurer.

Quant à la taille qu’on donne présentement au rubis, elle est la même que pour toutes les autres pierres précieuses de couleur. Le dessus est en table environnée de biseaux ; & le dessous n’est qu’une suite d’autres biseaux qui commencent à la tranche, & allant par degrés en diminuant de hauteur chacun par égale proportion, vont se terminer au fond de la culasse. C’est du moins ainsi qu’on est dans l’usage de les tailler, au grand regret de quelques curieux, qui voudroient qu’à l’imitation des anciens, & de tous les orientaux, on ne formât toutes les pierres de couleur qu’en cabochon. Ils prétendent, & peut-être est-ce avec raison, qu’autrement la pierre ne se montre point dans sa véritable couleur, & que ce faux jeu qu’on lui procure lui devient très-nuisible. Au reste, cette taille telle qu’on vient de la décrire, n’est que pour les pierres précieuses qu’on a dessein de faire jouer & de faire briller ; car pour toutes celles qui sont simplement destinées à être gravées, il suffit que les deux faces en soient dressées uniment. On n’en monte aucune, quelle qu’elle soit, qu’on ne mette dessous une feuille d’argent, peinte d’une couleur assortissante à celle de la pierre, afin d’en relever davantage l’éclat ; au défaut de pareilles feuilles, on pourroit y appliquer des fonds de velours, ou d’autres étoffes de soie ; & l’on a vû des pierres de couleur qui étoient montées de cette maniere ; mais depuis bien des années, cette ancienne pratique est tout-à-fait abandonnée. Mariette, traité des Pierres précieuses. (D. J.)