L’Encyclopédie/1re édition/TRANSPLANTATION

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TRANSPLANTATION, (Médecine.) méthode de guerir les maladies imaginée & soigneusement recommandée par Paracelie : elle consiste à faire passer une maladie d’un homme dans un autre, ou dans un animal, ou même dans une plante, de façon que le sujet qui l’a communiquée en est totalement délivré. On a tâché de constater par des faits cette prétention chimérique de Paracelse, indigne de ce grand homme ; les Allemands sur-tout extrémement attachés aux remedes singuliers, se sont appliqués à faire valoir cette méthode ; & pendant que les médecins des autres pays la laissoient ensevelie dans un oubli bien légitime, ils faisoient des expériences & des longs raisonnemens, les uns pour la détruire, & les autres pour la confirmer. Georgius Francus rapporte plusieurs exemples de maladies qu’il assure gueries par la transplantation (ephemer. nat. curios. ann. iv. & v. observ. 102.) Maxuel, médecin écossois, a fait un traité particulier où il s’en déclare le partisan ; Thomas Bartholin en parle dans une dissertation épistolaire, & prétend avoir une mumie essentielle tirée des astres dans qui les maladies se transplantent promptement. Hermann Grube n’a rien oublié pour faire proscrire la transplantation comme inutile ou superstitieuse ; Reiselius assure que cette méthode est principalement appropriée dans les hydropisies, & raconte avoir gueri par son moyen deux enfans d’hydrocele, qui avoient résisté à toutes sortes de remedes, il se servit dans le premier cas d’un limaçon rouge, qu’on frotta à diverses reprises sur la partie affectée ; on l’attacha ensuite au haut de la tumeur pendant 24 heures, après quoi on le suspendit exposé à la fumée. Cette opération réitérée trois fois de même façon, l’hydrocele disparut ; dans le second cas, il fit avec le même succès la transplantation dans l’urine même du malade, qu’il mit ensuite, chargée de la maladie, dans une coquille d’œuf, aussi exposée à la fumée. Credat judæus apella, non ego.

Le même auteur assure avoir vu guerir une hernie inguinale par le téléphium récemment arraché, appliqué sur la tumeur, & ensuite planté & cultivé avec beaucoup de soin ; les transplantateurs recommendent de veiller avec une extrème attention aux plantes & aux animaux dans qui on a fait passer les maladies, parce que lorsqu’ils souffrent, sont incommodés, ou meurent, la personne de qui ils ont reçu la maladie se sente aussi-tôt de leur altération : on raconte qu’un homme ayant transplanté sa maladie dans un chêne, fut considerablement incommodé d’une blessure qu’on fit à cet arbre ; les Allemands regardent le téléphium, comme la plante la plus favorable à la transplantation, ils la reservent principalement à cet usage, & l’appellent en conséquence raben-trauf.

Parmi les secrets de bonnes femmes, on trouve quelque idée de la transplantation ; ces especes de médicastres subalternes conseillent beaucoup dans les fievres malignes, pestilentielles, de mettre dans le lit du malade, d’attacher même à leur pié un crapaud, un serpent, un chien ou tout autre animal ; elles prétendent qu’ils attirent le venin qui est la cause de la maladie, & elles assurent avoir vu ces animaux devenir après cela prodigieusement enflés, & mourir promptement en exhalant une puanteur insoutenable ; on peut voir un effet analogue à la transplantation dans ce qui arrive aux vieillards, suivant quelques auteurs, lorsqu’ils couchent avec des jeunes gens ils se conservent plus long-tems en bonne santé, frais & dispos, & les jeunes gens se ressentent beaucoup plutôt des incommodités de la vieillesse ; ce fait mérite encore d’être soigneusement examiné ; nous pouvons conclure des autres que le desir de vivre & de se bien porter est si fortement gravé dans le cœur de tous les hommes, qu’il n’y a rien qu’on n’ait imaginé dans la vue de le réaliser, & qu’on n’a rien proposé de si absurde qui n’ait trouvé des partisans. (m)

Transplantation d’arbres, (Agricult.) on a imaginé l’art de transplanter les grands arbres fruitiers des vergers : un particulier en fit l’essai en Angleterre dans le dernier siecle ; il avoit eu pendant vingt ans un verger rempli de pommiers & de poiriers. Ces arbres étoient en bon état & produisoient du fruit en abondance. Il se trouve obligé d’aller demeurer dans une autre maison de campagne à environ un mille de ce verger ; il essaya d’emporter avec lui ses arbres fruitiers dont il étoit amoureux. Pour cet effet il fit faire, au mois de Novembre, des tranchées autour de leurs racines, & des trous assez grands pour recevoir chaque arbre qu’il vouloit transplanter dans son nouveau jardin avec la motte de terre. Aussi-tôt que les gelées commencerent à être assez fortes pour son dessein, & qu’elles eurent endurci la terre autour des racines, il fit lever les arbres avec des leviers sans rompre la motte, & les fit conduire sur des traîneaux à l’endroit de son nouveau jardin qui leur étoit destiné ; il les laissa dans l’état qu’ils avoient été apportés, & au dégel il mit de nouvelles terres autour des racines, termina son ouvrage, & fit remplir les tranchées de nouvelle terre qu’il y affaissa.

Un mois après avoir ainsi transplanté ses arbres, il fit ôter un bon tiers des branches, pour les décharger à proportion de la quantité de racines qu’ils avoient perdues ; & l’été suivant il en recueillit passablement de fruits : voilà jusqu’où de nos jours les Anglois ont poussé l’industrie du jardinage ; ils sont parvenus non-seulement à faire, quand il leur plaît, de leurs arbres fruitiers, des arbres pour ainsi-dire ambulans, mais encore à les transplanter à rebours.

M. Bradley a lui-même imaginé de transplanter les jeunes arbres au milieu de l’été, & il assure l’avoir vû exécuter avec succès par un curieux de Kensington. Comme la séve de plusieurs arbres est dans l’inaction vers le milieu de l’été, si on les transporte dans ces momens favorables, ils ont plus de tems pour se fortifier avant l’hiver, que ceux que l’on remue dans l’automne, & sont incontestablement mieux préparés à pousser de fortes tiges que ceux que l’on transplanteroit au printems ; mais les arbres qui perdent leurs feuilles réussiroient-ils aussi-bien par cette méthode que les arbres toujours verds ? Il reste encore un grand nombre d’expériences à tenter sur la transplantation, & les mauvais succès ne doivent pas décourager. (D. J.)