L’Evolution de l’industrie métallurgique

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L’évolution de l’industrie métallurgique
P. Banet-Rivet

Revue des Deux Mondes tome 21, 1904


L’ÉVOLUTION
DE
L’INDUSTRIE MÉTALLURGIQUE

Depuis un demi-siècle environ, la métallurgie, faisant appel à toutes les ressources de la chimie, a substitué aux procédés empiriques reposant sur des traditions confuses et variables d’un point à l’autre, aux recettes et aux tours de main généralement secrets, des méthodes de travail rationnelles, uniformes dans leurs principes et s’appuyant sur des données scientifiquement établies. Aujourd’hui, la marche des appareils est constamment soumise au contrôle de l’ingénieur et du chimiste : minerais, combustibles, gangues, etc., tout cela est soigneusement étudié et aucun produit ne sort d’une usine sans que les propriétés mécaniques et physiques, sans que la composition chimique en soient parfaitement connues. Dans toutes les installations de quelque importance, c’est par centaines que, chaque jour, on compte les analyses et les essais de résistance : c’est ainsi qu’on établit la valeur marchande de la matière fabriquée et qu’on peut savoir comment on doit la traiter en vue de nouvelles manipulations.

Mais ce n’est pas seulement à la chimie que la métallurgie moderne a fait appel : toutes les branches des sciences expérimentales, depuis la thermodynamique jusqu’à la cristallographie, ont été mises à contribution et, comme on pouvait s’y attendre, l’électricité a essayé, quelquefois avec succès, de se substituer aux méthodes les plus consacrées par le temps et par l’usage.

De là une évolution, peut-être moins accentuée que celle dont l’industrie chimique a été le théâtre, mais qui n’en mérite pas moins d’être examinée de près et que les pages qui vont suivre, consacrées surtout à la grande, ou plutôt à la grosse industrie métallurgique, ont pour but de mettre en évidence.


I

L’accroissement continu dans la production du fer et de ses dérivés, la fonte et l’acier, accroissement qui frappe tous les jours l’observateur le plus superficiel, s’explique par la facilité avec laquelle ce métal se prête à tous les besoins. Aussi occupe-t-il le premier rang parmi les agens créateurs de la puissance et de la richesse. On l’a dit : « Le fer attire l’or. » La sidérurgie (métallurgie du fer) présente donc un intérêt de tout premier ordre, justifiant la place prépondérante que nous allons lui accorder.

Ce qui rend le fer un métal si précieux, ce n’est pas seulement sa résistance et son prix relativement bas, car, à côté de ces qualités, il a le grave défaut d’être rapidement et facilement altérable. En réalité, sa valeur tient à une extrême et remarquable sensibilité, qui se manifeste comme il suit : incorporons-lui quelques centièmes, moins encore, quelques millièmes d’un corps étranger, carbone, manganèse, chrome, nickel, etc., et nous verrons, du coup, se modifier profondément, non seulement ses qualités mécaniques, et physiques, mais encore certaines de ses propriétés chimiques telles, par exemple, que la durabilité et la résistance aux corrosions qui le menacent sans cesse. De plus, le fer est un corps allotrope, c’est-à-dire qu’il peut exister sous divers états moléculaires caractérisés par des propriétés différentes, et nul doute que cette allotropie ne joue un rôle dans les combinaisons de ce métal avec les élémens que nous venons de citer. On conçoit donc aisément qu’il soit possible de fabriquer avec le fer des produits d’une importance et d’une variété sans égales.

Le traitement qu’on suit aujourd’hui pour l’extraire de ses minerais est, d’ailleurs, en principe, celui que l’on a pratiqué en tout temps et en tout lieu : faire brûler du charbon dans un courant d’air lancé à travers le mélange de ce combustible avec le minerai. Le charbon se transforme alors en oxyde de carbone, et c’est ce gaz qui se charge de réduire, c’est-à-dire de désoxyder, le minerai, lequel, d’ordinaire, est un oxyde ou est préalablement converti en oxyde par grillage ou calcination : le fer est mis en liberté et l’oxyde de carbone se perd à l’état de gaz carbonique.

Seulement, en cherchant à tirer le meilleur parti possible du minerai, riche ou pauvre, on a été progressivement entraîné à élever de plus en plus la température de la réduction. Ce n’est plus alors du fer qu’on a fabriqué ; c’est un produit particulier, un carbure de ce métal, carbure appelé fonte, dont il a fallu, désormais, se résoudre à extraire le fer, et qui, se liquéfiant à une température où celui-ci est encore à l’état pâteux, présente l’immense avantage de se séparer aisément de la matière terreuse, — ou gangue, — dont les minerais sont toujours accompagnés. Cette gangue est, en général, de l’argile (silicate d’alumine) ; et pour empêcher que sa fusion, provoquée par la haute température de la réduction, n’entraîne une perte de minerai, il est nécessaire de mélanger à celui-ci, avant de le traiter, un fondant spécial, appelé castine, qui n’est autre que du calcaire (carbonate de chaux). Il se forme alors, pendant la réduction, une scorie liquide, appelée laitier, constituée surtout par du silicate d’alumine et du silicate de chaux, et qui ne renferme que des traces infimes de fer, la presque-totalité de ce métal ayant passé à l’état de fonte.

Quant aux appareils propres à réaliser, avec le minimum de combustible, l’ensemble de ces réactions, une expérience séculaire a montré que, seuls, ces gigantesques creusets, profonds et ventrus, que l’on appelle fours à cuve en général, hauts fourneaux dans la fabrication de la fonte, remplissent les conditions nécessaires.

Actuellement, les hauts fourneaux présentent tous la disposition suivante :

L’orifice supérieur (gueulard) sert à introduire constamment, par couches alternées, le minerai avec son fondant (lit de fusion) et le combustible. A la partie inférieure de l’appareil, arrive, par une ou plusieurs ouvertures (tuyères) de l’air légèrement comprimé et fortement chauffé : c’est au niveau des tuyères que se forment, à l’état liquide, le laitier et la fonte. Celle-ci s’écoule et s’emmagasine dans le creuset qui lui est réservé à la base du haut fourneau : on l’en extrait à intervalles réguliers. Le laitier, moins dense, qui surnage à la fonte, s’évacue de lui-même par une ouverture convenablement ménagée. Tour à tour, lits de fusion et combustible, entraînés par leur poids, se présentent devant les tuyères et donnent lieu à la répétition des mêmes phénomènes. Enfin, du gueulard s’échappe un mélange inflammable de gaz, les uns (oxyde de carbone, hydrogène, gaz des marais, etc.) combustibles, les autres (azote, gaz carbonique, vapeur d’eau, etc.) non combustibles.

Pour diminuer autant que possible les pertes de chaleur par les parois, on a fait les hauts fourneaux de plus en plus larges, de plus en plus volumineux ; pour avoir une production intensive et, par suite, économique, on les a construits de plus en plus élevés. Aussi, alors qu’au commencement du XIXe siècle, leur hauteur ne dépassait pas quelques mètres, leur capacité 50 à 60 mètres cubes et leur production 15 à 20 tonnes par vingt-quatre heures, aujourd’hui cette hauteur varie entre 25 à 30 mètres, la capacité entre 300 à 400 mètres cubes et la production entre 100 à 200 tonnes. Mais on commence à aller couramment jusqu’à 500 tonnes et on cite même, à Eliza, près de Pittsburg (États-Unis), un de ces appareils qui donne de 700 à 800 tonnes de fonte par 24 heures. Du coup, la production mondiale de la fonte, qui n’était, il y a quarante ans, que de 9 millions de tonnes, est montée, en 1900, à plus de 40 millions de tonnes (41 930 000 en 1902), ce qui correspond à un cube de fonte de 176 mètres de côté environ ! La même année, la France n’entrait dans ce total que pour 2 millions de tonnes à peine (2 400 000 en 1902) ; mais il ne faut pas oublier que notre pays est pauvre en minerais de fer et que sa production houillère n’atteint pas même le vingtième de celle du monde entier.

On conçoit, d’ailleurs, que, le volume et la hauteur des hauts fourneaux augmentant sans cesse, on ait dû accroître peu à peu la puissance des machines soufflantes qui fournissent l’air injecté par les tuyères. Pour la même raison, le charbon de bois, trop friable et trop coûteux, a dû faire place à un combustible résistant bien, d’abord à la compression, ensuite à la pression de l’air soufflé : ce combustible est, en général, du coke fabriqué dans des fours spéciaux (fours à coke).

Ici, faisons une parenthèse.

A l’origine, alors que nos pères utilisaient, pour leurs machines soufflantes primitives, les forces hydrauliques, c’est-à-dire ce qu’on appelle aujourd’hui la houille blanche, les usines à fer étaient nécessairement situées dans les pays montagneux, riches d’ordinaire en minerais, en bois et en chutes d’eau. Mais, du jour où, pour actionner ces mêmes machines, on a su tirer parti de la force motrice de la vapeur, un exode s’est produit : l’emploi de la houille noire devenant avantageux, pour ne pas dire indispensable, ces usines se sont établies au centre ou dans le voisinage des charbonnages auxquels les progrès des moyens de transport permettaient d’amener le minerai à bon marché. Il en a été de même pour presque toutes les usines métallurgiques : seules, celles qui fabriquent des métaux, ou d’une certaine valeur, ou dont l’extraction n’exige que peu de combustible, les usines à or et à plomb, par exemple, ont pu rester dans le voisinage du minerai.

Revenons à la fonte.

A priori, l’on peut prévoir que sa composition doit dépendre de celle des lits de fusion et du plus ou moins de pureté du combustible employé. Mais il faut aussi, comme l’a montré l’expérience, tenir compte d’un autre facteur : l’allure donnée au haut fourneau, c’est-à-dire la température à laquelle il est porté pendant l’opération, température qui dépend, soit de la quantité de charbon consommée, soit de la température de l’air soufflé. Cependant, si différentes les unes des autres que puissent être les fontes, on peut, à la rigueur, les classer comme il suit : 1o les fontes grises ou fontes chaudes, qui correspondent à une allure chaude ; 2o les fontes blanches ou fontes froides, qui se produisent lorsque le haut fourneau prend une allure froide. Grises ou blanches, elles contiennent la même proportion, à peu près de 2 à 5 pour 100 de carbone, entièrement libre dans les premières, combiné au fer dans les secondes, d’où leurs différences de couleur et de structure. Mais, de plus, on rencontre dans toutes un certain nombre d’élémens étrangers : silicium, soufre, phosphore, manganèse, etc., la présence d’un excès de silicium constituant même le caractère chimique essentiel par lequel les fontes chaudes se différencient des froides. Quant à leur prix de revient, il varie, d’ordinaire, entre 45 à 50 francs la tonne.

Les fontes grises, relativement douces et peu dures, fondent franchement au feu, ce qui les rend propres au moulage, tandis que les fontes blanches, plus cassantes, ne se ramollissant que progressivement et restant toujours un peu pâteuses, même à une température élevée, ne peuvent être moulées que mélangées aux grises. C’est avec de pareils mélanges ou avec des fontes grises seules qu’on fabrique des tuyaux de conduite, des colonnes, des bâtis, volans, cylindres, pistons de machines, des fourneaux, des grilles, des vases, des statuettes, etc.

Et maintenant, que l’on affine, c’est-à-dire que l’on décarbure de la fonte, grise ou blanche, de façon à n’y laisser que de 4 à S millièmes au plus de carbone, et l’on aura ce que l’on appelle du fer, métal doux, résistant et malléable.

Que si on décarbure de la fonte ou du carbure du fer de façon à obtenir un produit contenant de 5 à 20 millièmes au plus de carbone, alors on obtiendra ce qu’on appelle de l’acier, produit d’art qui, par sa composition, tient, on le voit, le milieu entre le fer et la fonte. Moins fusible que cette dernière, l’acier est plus fusible, plus résistant, plus dur, et, en même temps, quoique malléable, plus cassant que le fer. Mais ce qui, par-dessus tout, le distingue essentiellement de ce métal, c’est que, plongé encore rouge dans l’eau froide, il prend la trempe, c’est-à-dire devient plus dur, plus résistant qu’il n’était et, par conséquent, pratiquement indéformable, la « faculté de la trempe » augmentant, d’ailleurs, avec la proportion de carbone.

Quant à la décarburation de la fonte, elle s’opère soit à l’aide de l’oxygène d’un courant d’air, soit à l’aide de matières comburantes spéciales : battitures (oxydes de fer que les usines fournissent elles-mêmes en abondance), vieux fers plus ou moins oxydés, minerais de fer eux-mêmes. Ces matières jouent un double rôle, car, mélangées à la fonte préalablement fluidifiée, elles sont réduites par son carbone et, dès lors, affinent cette fonte : 1° par leur fer, dont l’addition diminue la proportion relative de carbone contenue dans la masse traitée ; 2° par leur oxygène, qui brûle l’excès de carbone dont il reste encore à la débarrasser. Notons, enfin, que l’oxygène, qu’on l’emprunte, soit à l’air, soit à l’une quelconque des matières précédentes, est nécessaire à la combustion, c’est-à-dire à l’élimination des élémens étrangers (silicium, soufre, etc.) énumérés plus haut.

Ces notions indispensables rappelées, — et la suite montrera combien ce rappel était nécessaire, — étudions les variations qu’a subies, au cours du dernier siècle, la fabrication du fer et de l’acier.

Jusqu’en 1864 environ, l’affinage s’opérait dans les fours à réverbère inventés par Cort en 1784, et qu’on appelle fours à puddler.

Dans ces appareils, chauffés à la flamme de la houille, et maintenus constamment par cette flamme à la température de fusion de la fonte (1100 degrés à peu près), ce métal, traité soit par des battitures, soit par des minerais, soit encore par un mélange de battitures et de minerais, était soumis, jusqu’à sa transformation en fer, à un brassage puddling, énergique. Mais, quoiqu’on puisse, à la rigueur, porter la température d’un four à puddler aux environs de 1 300 degrés, cette température est encore trop basse pour obtenir la fusion complète du fer, qui n’a lieu qu’entre 1 600 et 1 700 degrés. Aussi le puddlage est-il une opération pénible et coûteuse : il suffit d’avoir vu travailler la pâte froide du pain chez un boulanger, pour comprendre ce qu’est le brassage d’une pâte de fer, au bout d’énormes ringards, à l’entrée d’un four chauffé aux températures que nous venons de donner. De plus, pour donner au fer ainsi obtenu (fer puddlé, fer forgé) l’homogénéité qui, nécessairement, lui fait défaut, il faut avoir recours, après le puddlage, à une série d’opérations : cinglages, laminages, corroyages, etc., fort coûteuses aussi. Quant à l’acier, dont la fabrication n’était alors qu’une petite industrie, on l’obtenait, en général, par carburation directe. Résultat : le bon fer revenait au moins à 140 francs la tonne, l’acier, à 1 000 francs, prix trop élevés pour que l’usage de ces métaux pût se répandre autant qu’il était désirable.

La découverte si importante de Bessemer, que son auteur fit connaître en 1856, dans une séance, devenue historique, de la British Association of the Iron Trade, changea la face des choses. Elle permit, en effet, de remplacer, et à bon marché, les deux types extrêmes, fer forgé et acier dur, que, seuls, fournissait l’ancienne industrie, par une riche gamme d’aciers offrant toutes les nuances de dureté, depuis des aciers extra-doux (fers aciéreux), comparables à l’ancien fer, jusqu’à des aciers durs, comparables à l’ancien acier. La révolution était considérable : aussi nos lecteurs nous pardonneront-ils facilement d’entrer dans quelques détails pour mieux faire saisir, et comment elle a pu s’opérer, et comment elle a amené l’introduction de la chimie dans l’industrie sidérurgique.

En principe, rien de plus simple et de plus séduisant que le nouveau procédé : au lieu de s’adresser, pour la décarburation, à des oxydes, dont la réduction absorbe, d’ailleurs, de la chaleur, on n’a recours qu’à l’air seul, et à de l’air à la température ambiante ; de plus, au lieu d’opérer, comme dans un four à puddler, sur quelques centaines de kilogrammes, ce sont des tonnes entières que l’on traite d’un seul coup, et, pour obtenir un aussi brillant résultat, il suffit de verser dans une gigantesque cornue en tôle (convertisseur) la fonte fluidifiée et de lancer dans cette masse de violens courans d’air qui la traversent de part en part. Cet air, à la fois, oxyde, chauffe et brasse la matière métallique : spontanément le carbone prend feu et sa combustion, rapide et générale, dégage une quantité de chaleur tellement énorme, tellement concentrée que, sans aucune dépense de combustible, la masse traitée reste liquéfiée pendant toute la durée de l’opération, tandis que, comme on l’a vu plus haut, dans un four à puddler, elle a sans cesse besoin d’être fortement réchauffée par la flamme du foyer.

Il semble alors que rien ne doive être plus facile, en réglant de façon convenable la pression de l’air injecté que de transformer directement la fonte, soit en fer, soit en acier ; et si l’on songe, en outre, à l’évidente économie du procédé, il peut paraître surprenant que la découverte de sir H. Bessemer n’ait pas été, dès la première heure, appréciée comme elle le méritait. En voici la raison. Certes, il est merveilleux de pouvoir affiner d’un seul coup, comme on le fait aujourd’hui de quinze à vingt tonnes de fonte en vingt minutes environ, tandis que la charge d’un four à puddler n’a jamais dépassé 500 kilogrammes et a toujours exigé une heure de travail au moins. Encore faut-il, lorsqu’on opère sur de telles masses, être assuré du succès. Or, à l’origine du Bessemer, on ne savait pas régler le vent soufflé, on dépassait le but, on brûlait une partie du fer, d’où la formation abondante d’un oxyde qui rendait le métal obtenu impropre à tout usage. La puissance même du procédé en faisait la faiblesse !

Heureusement qu’en 1862, Mushet découvrit l’indispensable agent de raffinage, c’est-à-dire le corps capable de réduire cet oxyde, dont la production, quoi qu’on fasse, est, d’ailleurs, inévitable : cet agent est le manganèse, qu’on introduit dans le convertisseur, alors que la décarburation est aussi complète que possible, sous forme de fontes fortement manganésées. Ces fontes, préparées dans des hauts fourneaux spéciaux et dont quelques-unes (ferro-manganèses) contiennent jusqu’à 80 pour 100 du métal réducteur, jouent un double rôle : leur manganèse réduit l’oxyde en question, s’oxyde lui-même et passe presque entièrement, à l’état de silicate, dans la scorie, tandis que leur carbone se dissout dans le bain et s’allie au reste de la fonte traitée. Il est évident, du reste, que, par l’emploi d’une quantité convenablement dosée d’une de ces fontes réactives, on peut arriver à produire, à volonté, un acier de composition déterminée, les fontes les plus manganésées servant à la préparation des aciers les plus doux.

Le procédé Bessemer prit, dès lors, un développement considérable. Seulement, par suite de la présence inévitable du manganèse dans le métal obtenu, il cessa d’être employé pour la fabrication de fers identiques aux fers puddlés. On restreignit son usage à la fabrication des aciers et, en quelques années, par suite des besoins croissans de l’industrie et, surtout, de la Guerre et de la Marine, l’industrie de l’acier vit décupler sa production : 419 000 tonnes en 1864, 4 274 000 tonnes en 1880.

Cependant, tel que nous venons de le décrire, le procédé était limité dans son emploi. D’abord, pour des raisons que nous passerons sous silence, n’ayant ni la prétention ni la possibilité de faire ici un cours de métallurgie, il n’était applicable qu’à des fontes très chaudes (fontes Bessemer). Ensuite, — et c’est là le point capital, — avec le garnissage argileux employé jusqu’alors pour protéger la surface intérieure du convertisseur, il ne permettait de traiter que des fontes préparées avec des minerais purs, exempts de phosphore, comme ceux que fournissent l’Angleterre, la Suède, l’Espagne, l’Italie, etc. Quant aux fontes préparées avec des minerais impurs, c’est-à-dire phosphoreux, le Bessemer était forcé de s’en désintéresser : le silicium contenu dans l’argile du garnissage réduit, en effet, l’acide phosphorique que produit la combustion du phosphore, et permet ainsi à cet élément, qui a l’inconvénient de donner à l’acier une fragilité dangereuse, de repasser dans le métal obtenu. C’était là une cause d’infériorité manifeste vis-à-vis du puddlage qui, ne fabriquant guère que du fer, pouvait utiliser des fontes phosphoreuses, car le fer supporte sans inconvénient une certaine dose de phosphore. Il y avait donc une lacune à combler.

Elle le fut, vers 1878, par Thomas et Gilchrist, qui montrèrent que le phosphore s’élimine en presque-totalité, passant dans la scorie à l’état de silico-phosphates de chaux, de manganès’ et de fer : 1° si on remplace le garnissage argileux, — ou garnissage acide, — du convertisseur, par un garnissage basique de chaux magnésifère, obtenue en calcinant de la dolomite (combinaison de carbonate de chaux et de carbonate de magnésie) ; 2° si, avant ou pendant la décarburation, on verse dans le convertisseur une quantité suffisante de chaux. Il est évident, d’ailleurs, d’après ce que nous venons de dire sur le rôle du silicium, que les fontes ainsi traitées doivent être aussi peu silicifères que possible (fontes Thomas). Le problème de la déphosphoration des aciers était enfin résolu.

Aussi, minerais purs et impurs étant, désormais, également exploitables, le Bessemer prit un essor inouï. Non seulement le triomphe de l’acier sur le fer forgé continua à s’accentuer, — depuis 1885, en France, on ne fabrique plus de rails en fer, — mais, en outre, comme, grâce au développement des moyens de transport, le prix du minerai est aujourd’hui devenu le principal facteur de l’économie de la fabrication, on commença, sur le continent, l’exploitation des riches gisemens phosphoreux, jusqu’alors un peu délaissés, qu’offrent en abondance la Lorraine, le Luxembourg, la Westphalie, etc. En ce qui nous concerne, cette exploitation fut le signal d’une profonde transformation économique : les grandes aciéries se transportèrent dans le bassin de la Moselle, à Longwy, Jœuf, Homécourt, Frouard, Neuves-Maisons, etc., et la plupart des hauts fourneaux du Centre, mal approvisionnés en combustible et en minerai, durent éteindre leurs feux : le Creusot lui-même, depuis qu’il a établi ses hauts fourneaux à Cette, est devenu une usine de construction. Seules, sont restées en place les aciéries qui, comme celles d’Isbergues, Anzin, Trignac, Pauillac, Saint-Louis-du-Rhône, etc., ont une situation géographique qui leur permet de recevoir à bon marché du minerai pur et du charbon.

Si l’on considère, maintenant, qu’avant Bessemer l’industrie de l’acier était, pour ainsi dire, une industrie de luxé et qu’aujourd’hui le chiffre de sa fabrication annuelle s’élève à des dizaines de millions de tonnes, on voit que le mot de « révolution, » employé plus haut à propos du procédé de l’éminent ingénieur anglais, n’avait rien d’exagéré et qu’à cette géniale invention est due, certainement, la transformation la plus radicale qu’ait éprouvée la sidérurgie depuis ses plus lointaines origines. On l’a dit avec raison, et le mot est à retenir : « A l’âge du fer, Bessemer a fait succéder celui de l’acier. »

Observons, en outre, que si, après vingt-cinq ans de luttes opiniâtres, le procédé Bessemer est arrivé à s’imposer, c’est à la chimie qu’il le doit. N’est-ce pas, en effet, avec les fontes manganésées de Mushet, avec la chaux de Thomas et Gilchrist, véritables réactifs choisis en connaissance de cause et dosés avec précision, que cette science s’est définitivement introduite dans la grosse industrie métallurgique ?

Cependant, pour la fabrication de l’acier, l’admirable procédé dont nous venons d’examiner les perfectionnemens successifs présente, quand même, un grave inconvénient : il se prêtera toujours mal, en effet, par suite de la rapidité des réactions, à la production d’aciers de qualités variées. Force sera toujours, avec un convertisseur, de se limiter à la fabrication d’une nuance bien déterminée, à laquelle le personnel chargé de l’opération finira par s’habituer à la longue. De plus, quoique Bessemer lui-même ait donné sa méthode comme « fournissant du fer et de l’acier sans dépense de combustible, » en réalité, si l’on examine les choses de près, on s’aperçoit que cette assertion ne peut être adoptée sans réserves : il faut compter, en effet, d’abord avec la dépense de charbon nécessaire au chauffage de la cornue, qu’il est indispensable de porter au blanc avant l’arrivée de la fonte, ensuite avec la force absorbée par les machines de manœuvre et, surtout, par la soufflerie, organe indispensable d’une installation Bessemer. Aussi, à cette heure, le procédé mis en avant par Martin, vers 1865, et dont le développement a été, pour ainsi dire, parallèle à celui du Bessemer, tend à devenir pour ce dernier un concurrent redoutable, tout en restant son auxiliaire dans un grand nombre de cas.

C’est en ajoutant à la fonte de vieux fers, des déchets du Bessemer, ou du minerai, ou, mieux, un mélange de déchets et de minerai que, dans ce procédé, on la transforme en acier : aussi ce mode d’affinage doit-il être considéré comme un véritable retour offensif du puddlage, preuve indéniable que, dans l’industrie comme ailleurs, il faut se garder de la superstition du progrès. Seulement, pour que cette sorte de régression fût praticable, il était nécessaire, puisque c’est de l’acier qu’on fabrique, et qu’on le veut homogène, de pouvoir obtenir sa fusion parfaite et en grande masse sur la sole d’un four. C’est cette opération, regardée jusqu’alors comme impraticable, que l’ingénieur Martin sut réaliser : l’acier fondant entre 1 400 et 1 500 degrés, il n’eut, en effet, qu’à mettre à profit l’invention faite en 1860, par les frères Siemens, des fours à récupération de chaleur, fours à l’intérieur desquels il est facile de maintenir une température uniforme de 1 600 degrés environ.

Mais il fallait encore que la régression fût avantageuse. Or, par l’emploi d’appareils de dimensions convenables, il est aisé d’opérer sur des charges de fonte de 20 à 30 tonnes (on va même aujourd’hui jusqu’à 100) ; de plus, l’usage des fontes réactives de Mushet et de la méthode acide ou basique ne comporte aucune difficulté ; le brassage, sans être automatique, comme dans le Bessemer, est facile, puisque la masse traitée est parfaitement fluidifiée ; enfin, remarquons-le bien, l’affinage étant toujours de longue durée (de 7 à 8 heures), on peut, à chaque instant, constater l’état du bain et modifier sa composition suivant les besoins. Le procédé Martin devait donc permettre et a permis, en effet, ce que ne permet pas le Bessemer : la fabrication en grande masse, et à volonté, avec le même appareil d’affinage, d’aciers de compositions variées et parfaitement déterminées.

D’ailleurs, le Martin ne l’emporte pas seulement sur le Bessemer par la variété et par la supériorité de ses produits. Aujourd’hui, grâce à ses perfectionnemens successifs, grâce à l’emploi de véritables fours à fabrication continue où l’on affine plus de 200 tonnes de fonte par 24 heures, il tend à l’égaler comme puissance de production. Enfin, si, à première vue, l’affinage par le procédé Martin semble devoir être beaucoup plus coûteux que par le procédé Bessemer, en réalité la différence n’est pas énorme : les frais d’affinage d’une tonne de fonte, de 20 francs environ par le procédé Bessemer, ne dépassent pas en effet 30 francs lorsqu’on use du procédé Martin, ce qui tient à ce que le Martin n’a pas de soufflerie, consomme relativement peu de combustible et n’exige aucun effort spécial à la main-d’œuvre humaine.

Aussi se demande-t-on souvent, « si, un jour, le Martin n’assistera pas aux funérailles du Bessemer, comme celui-ci à celles des fours à puddler ? »

Il est malaisé de répondre à une pareille question. Cependant, remarquons d’abord que les fours à puddler ne sont pas encore morts : à tort ou à raison, quoique les Bessemer et les Martin fournissent, comme nous l’avons dit, de véritables fers commerciaux (aciers extra-doux), on fabrique, à l’heure actuelle, presque autant de fer forgé qu’il y a trente ans (plus de 6 millions de tonnes en 1902). Remarquons ensuite, que, pour l’instant, — tout semble l’indiquer, — le choix entre les deux procédés en question dépend uniquement des conditions géographiques et économiques de la fabrication : aux États-Unis, — qui, depuis 1890, ont enlevé à l’Angleterre le premier rang pour la production de la fonte et de ses dérivés, — dans les usines les plus récentes, an n’installe que des Martin. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’en 1890, on a fabriqué 12 millions, en 1900, 27 millions, en 1902, plus de 29 millions de tonnes d’aciers de toute provenance ; c’est que, de plus en plus, l’industrie fait appela l’acier pour ses constructions métalliques, ses pièces de machines, la fabrication des cloches, celle des ressorts, outils, socs de charrue, pelles, faux, faucilles, râpes, scies, haches, couteaux, canifs, rasoirs, lancettes, plumes, etc. ; les chemins de fer pour leurs rails, leurs roues de wagons et de machines, etc. ; la Guerre pour ses tubes de canon, frettes, pièces de culasse, affûts, fusils, baïonnettes, sabres, fourreaux, etc. ; la Marine pour ses tôles de chaudières, de construction, ses blindages, ses canons monstres, ses ancres, etc. La Tour Eiffel est en acier ; en acier, le pont Alexandre III ; en acier, les bâtimens gigantesques des dernières Expositions universelles. L’acier est le métal-roi, et c’est la chimie qui la fait roi !

Seulement, comme nous l’avons déjà fait entendre, depuis Mushet, tous les aciers, tous les fers aciéreux sont plus ou moins manganèses : c’est donc un acier nouveau qui règne à la place de l’ancien. De plus, l’emploi des métaux récens appelés aciers spéciaux, celui des aciers moulés, qui se répand de jour en jour, marquera sans doute le début d’une nouvelle évolution de la sidérurgie.

L’addition d’élémens tels que le chrome, le nickel, le molybdène, le vanadium, etc., qui apportent aux propriétés de l’acier des modifications si remarquables, si imprévues et, en même temps, si précieuses au point de vue de la dureté, de la résistance, de la durabilité, etc., est certainement destinée adonner des résultats de plus en plus brillans à mesure que se perfectionnera la fabrication de ces aciers spéciaux. « Un jour viendra, sans doute, où tous ces alliages si variés que l’on doit à l’introduction de la chimie dans la métallurgie, et dont l’ensemble constitue un domaine presque infini dans lequel on n’a fait encore que les premiers pas finiront par posséder des compositions adaptées spécialement à chaque usage. Ce jour-là, ils prendront la place de l’acier, comme celui-ci a pris celle du fer. »

Enfin, le moulage de l’acier, opération exceptionnelle et difficile il y a treize à quatorze ans, est entré aujourd’hui dans la pratique courante : l’ossature du pont Alexandre III est en acier moulé. Il est donc permis de prévoir le moment où ce genre de moulage remplacera, d’une part, les moulages de fonte qui sont moins résistans, d’autre part, les pièces forgées qui sont plus coûteuses. Alors deviendront inutiles et les énormes marteaux-pilons et les puissantes presses hydrauliques qui, dans certaines usines, les remplacent. Tout cet outillage, créé à grands frais, disparaîtra, et, au règne des forges agitées ou bruyantes, succédera celui des fonderies, discrètes et silencieuses.


II

Les métaux autres que le fer se trouvent d’ordinaire en quantité assez faible à la surface du globe : de là leur prix souvent élevé et la nécessité d’extraire certains d’entre eux de minerais même très pauvres.

Au traitement par voie sèche, appliqué aux minerais relativement riches, et dont les frais sont à peu près proportionnels à la quantité de matière sur laquelle on opère, traitement dont la sidérurgie vient de nous offrir le plus remarquable exemple, il faut, parfois, substituer le traitement par voie humide : les frais sont alors en raison de la quantité de métal obtenue, et, de plus, la dépense de combustible est insignifiante ou nulle. C’est ce traitement que l’on emploie pour extraire l’or des minerais de très faible teneur du Transvaal, et son principe est le suivant : le minerai, après avoir subi, s’il le faut, une transformation préalable, est dissous dans l’eau ou dans une liqueur acide ; puis la solution métallique ainsi obtenue est soumise à l’action de réactifs convenables, qui précipitent tels ou tels corps, en laissant les autres dans le bain.

Par suite de l’extrême facilité avec laquelle ses alliages se fondent et se moulent, la métallurgie du cuivre avait une avance de plusieurs dizaines de siècles sur celle du fer, dont les alliages, difficiles à fondre, étaient par conséquent difficiles à obtenir : l’âge du bronze, d’ailleurs, n’a-t-il pas précédé l’âge du fer ? Mais les procédés de fabrication du cuivre lui-même laissaient, dans certains cas, beaucoup à désirer. Si, par voie humide, cette fabrication était, depuis longtemps, aussi parfaite que possible, il n’en était pas de même de son extraction par voie sèche.

Il n’y a pas plus de vingt ans, en effet, les pyrites cuivreuses (sulfures de cuivre), qui constituent les minerais les plus fréquemment exploités, étaient soumises à une série alternée de grillages et de fusions : les grillages avaient surtout pour résultat l’élimination progressive du soufre, les fusions provoquant celles du fer que les pyrites cuivreuses contiennent presque toujours en abondance. On obtenait ainsi, sans qu’il y eût besoin de recourir au charbon comme réducteur, des mattes de plus en plus riches en cuivre, et finalement du cuivre brut, qu’il n’y avait plus qu’à raffiner. Aujourd’hui, surtout aux États-Unis, on use d’un procédé aussi rapide qu’avantageux, dû à Manhès, et inspiré par les derniers progrès de la sidérurgie.

Si le minerai est riche, on supprime tout grillage et on se contente d’une seule et unique fusion ; s’il ne l’est pas, un grillage précède cette fusion. Dans l’un ou l’autre cas, la matte est versée à l’état liquide dans un convertisseur, analogue à celui de Bessemer, où de l’air comprimé, injecté seulement à la partie supérieure du bain, pour éviter l’oxydation du cuivre, en une seule fois brûle tout le soufre, qui s’échappe à l’état de gaz sulfureux, tandis que le fer passe dans la scorie à l’état de silicate. Le convertisseur opère donc vite, bien et, de plus, en grande masse, car il suffit d’une demi-heure environ pour traiter 1 200 kilogrammes de matte et la transformer en un métal ne contenant guère que 1 pour 100 d’impuretés. Quant aux frais de fabrication, ils sont relativement si peu élevés (150 francs par tonne, au lieu de 300), que le nouveau procédé tend partout à se substituer à la voie humide.

Si l’on réfléchit que le cuivre, par suite de sa résistance et de sa conductibilité pour la chaleur et l’électricité, occupe le premier rang après le fer, qu’on l’emploie fréquemment à la place de ce métal pour les objets qui doivent aller au feu, qu’on l’utilise dans tous les organes de machines, que la passementerie eu consomme des quantités énormes, qu’allié à divers métaux, l’étain, le zinc, par exemple, il donne des produits doués, — nous avons dit plus haut pourquoi, — des qualités les plus précieuses, on comprendra la portée de la transformation produite dans sa métallurgie par l’emploi du convertisseur, transformation qui s’est étendue aussi à la fabrication du nickel.

Après le cuivre, le zinc occupe un rang important parmi les métaux les plus usuels. On connaît ses principaux emplois : fabrication des tuyaux, des réservoirs, etc., et, surtout, galvanisation du fer et fabrication du laiton (alliage de cuivre et de zinc). Aussi sa production, de 250 000 tonnes en 1880, a-t-elle atteint 400 000 tonnes en 1900 (513 000 tonnes en 1902). Son extraction, quoique souvent assez difficile, est, en somme, si peu coûteuse que, malgré la dépense de combustible, depuis que les anciens fours ont été remplacés par des fours Siemens, elle n’a pas varié. Il en est de même pour l’étain, métal accessoire, d’ailleurs, qui n’a guère d’importance que parce qu’il entre dans la composition de certains alliages, et particulièrement du bronze (alliage de cuivre et d’étain).

Ici, une question se pose : l’électricité, qui a révolutionné déjà tant d’industries, n’est-elle pas à la veille d’en faire autant pour la grosse industrie métallurgique ? C’est peu probable, comme nous allons tâcher de le montrer.

Ainsi, a priori, l’électrolyse, complément tout indiqué, dans son mode d’emploi le plus général, de l’extraction par voie humide, présenterait des avantages sérieux : 1° elle donne, d’emblée, des métaux assez purs pour qu’on puisse, d’ordinaire, se dispenser de les raffiner ; 2° on peut la mettre en œuvre partout où se trouvent des forces motrices naturelles, et, comme le fait justement remarquer H. d’Agoult, elle permet d’utiliser au mieux les cours d’eau à débit plus ou moins irrégulier, car elle peut facilement supporter les à-coups, le personnel nécessaire étant toujours très peu nombreux et « les stocks de vente faisant volant. » Mais le prix de l’énergie électrique est assez élevé ; de plus, quelle que soit la forme sous laquelle on se sert de la voie électrolytique, cette méthode exige des bains relativement purs, qu’il est donc absolument nécessaire d’épurer à mesure que leur alimentation par des minerais neufs, presque toujours môles à des matières étrangères, tend à les polluer. Or, c’est là un problème excessivement ardu, dont la solution n’est certes pas au-dessus des forces de la science, mais qu’enfin elle n’a pas encore réussi à résoudre, surtout pour les métaux usuels, cuivre, zinc, plomb, le fer, à cause du bas prix de sa fabrication, étant, bien entendu, laissé de côté.

Il n’en est pas de même s’il s’agit de raffiner un métal brut, car alors on opère sur des bains qu’il est facile de préparer purs. Ainsi le raffinage électrique du cuivre, par exemple, est entré, aujourd’hui, dans la pratique courante.

A cet effet, on prend comme anode (électrode positive) une lame du cuivre brut que l’on veut traiter et on la plonge dans un bain de sulfate de cuivre pur, où l’on fait passer le courant d’une dynamo et dont la cathode (électrode négative) est constituée par une lame de cuivre pur. La solution métallique est décomposée : son cuivre se porte sur la cathode, tandis que le reste du sel ronge l’anode et se transforme en sulfate de cuivre, qui se dissout dans le bain et est, à son tour, électrolysé. Bref, comme il arrive souvent, la solution employée joue le rôle de véhicule et sert tout simplement à transporter à la cathode le cuivre de l’anode. Quant aux élémens étrangers contenus dans cette anode, les uns, comme le plomb, l’argent, For, etc., forment des précipités boueux au fond du bain, tandis que les autres, fer, zinc, etc., restent dans la dissolution.

Non seulement, de cette façon, on fabrique un cuivre très pur, meilleur conducteur de l’électricité que celui que donnent les anciens procédés de raffinage, mais encore on peut traiter d’une façon rémunératrice des minerais très pauvres, car, des boues que nous venons de signaler, il est facile d’extraire, ce qui aurait été impossible avec les anciens procédés de raffinage, la totalité des métaux précieux que contiennent les minerais de cuivre. Aux États-Unis, en une seule année, on a pu obtenir ainsi 500 tonnes d’argent et 5 tonnes d’or, d’une valeur globale de 150 millions de francs environ.

Le même procédé de raffinage, appliqué au nickel, à l’argent, et, dans certains cas, au zinc, réussit parfaitement. De même pour le plomb, métal dont l’importance grandit chaque jour, non seulement à cause de la tuyauterie, des caractères d’imprimerie, des accumulateurs électriques, etc., tous usages bien connus, mais, surtout, par suite de l’emploi sans cesse croissant des charpentes métalliques, emploi qui exige des quantités considérables de peinture au minium (oxyde de plomb) : aussi la production de ce métal, de 1880 à 1900, est-elle montée de 400 000 à 800 000 tonnes (868 000 tonnes en 1902). Quant à sa métallurgie, comme celle du zinc, comme celle de l’étain, elle est restée stationnaire.

En résumé, il n’apparaît pas que l’électrolyse soit à même, d’ici longtemps, de concurrencer d’une façon sérieuse les procédés actuels de la grosse métallurgie. Abstraction faite de l’or et de quelques métaux : potassium, sodium, magnésium, etc., plus que secondaires, il n’y a, pour l’instant, qu’un seul métal de quelque importance, l’aluminium, dont l’extraction ne se fasse que par cette méthode, et cela parce que les minerais traités aujourd’hui, savoir : la cryolithe (combinaison de fluorure d’aluminium et de fluorure de sodium) et le corindon (alumine, c’est-à-dire oxyde d’aluminium) sont remarquablement purs. Encore a-t-on dû avoir recours, pour cette fabrication, au four électrique.

Celui que l’on emploie d’ordinaire est dû à Héroult : il est constitué par une sorte de grande cuve en tôle, d’une contenance d’environ 350 litres, munie d’un trou de coulée et garnie, à l’intérieur, d’un revêtement en charbon. De gros cylindres de charbon forment l’anode, reliée au pôle positif d’une dynamo, le fond même de la cuve jouant le rôle de cathode. La fabrication s’opère, d’ordinaire, comme il suit : on introduit d’abord de la cryolithe, puis on lance le courant. La chaleur qu’il dégage en traversant la cryolithe, corps mauvais conducteur, la fait fondre, la rend, par suite, électrolysable et, si le courant est bien réglé, seul le ; fluorure d’aluminium est décomposé : l’aluminium se précipite à l’état liquide au fond de la cuve, le fluor se dégageant autour des charbons de l’anode. Pour entretenir le bain, — car la cryolithe ne sert qu’à amorcer les réactions, — on introduit constamment, autour de l’anode, de l’alumine (corindon), qui, attaquée et transformée par le fluor en fluorure d’aluminium, se dissout peu à peu dans le bain et est, à son tour, électrolysée. Bref, de l’aluminium liquide s’amasse de plus en plus au fond de la cuve, dont on l’extrait par le trou de coulée, tandis que l’oxygène de l’alumine brûle peu à peu les charbons de l’anode et s’échappe enfin à l’état de gaz carbonique.

Si connu que soit l’aluminium, rappelons, cependant, que ce métal léger comme le verre, brillant et inoxydable comme l’argent, résistant et malléable, facilement fusible, excellent conducteur de la chaleur et de l’électricité, est, très probablement, comme l’a fait observer Berges, le métal de l’avenir, car l’argile, dont on l’extraira sans doute un jour quand ses minerais actuels seront épuisés, est plus abondante que les composés du fer à la surface du globe : la production, au lieu de se borner, comme aujourd’hui, à 3 ou 4 000 tonnes par an, dépassera peut-être alors les chiffres actuels de la fonte et de ses dérivés. Son emploi réduira des deux tiers nos poids morts, alourdissans, remaniera par suite nos véhicules, nos outils de guerre, et, sans doute, contribuera à nous faciliter la navigation aérienne par le plus lourd que l’air.

Sans parler même d’une révolution aussi décisive, remarquons, avec A. Janet, que la hausse continue du cuivre depuis plusieurs années, malgré l’accroissement énorme de la production (153 000 tonnes en 1880, 492 000 en 1900, 518 000 tonnes en 1902), trouve un de ses facteurs dans la demande très considérable qu’en fait l’industrie électrique pour ses machines et surtout pour ses câbles, et que, lorsqu’il s’agit d’un transport d’énergie à 100, 200 kilomètres, le prix d’achat de pareils câbles est un des plus gros élémens du capital immobilisé. Dès lors, on conçoit qu’étant donnée la légèreté de l’aluminium, sa substitution au cuivre, dans ce cas particulier, représenterait certainement une grosse économie. Malheureusement, l’aluminium, inoxydable quand il est pur, mis en contact avec d’autres métaux se corrode rapidement ; il en est de même de ses alliages, pour peu qu’ils manquent d’homogénéité. Une ligne électrique en aluminium ne peut donc, pour l’instant, présenter des garanties suffisantes de stabilité et de bon fonctionnement, car, soit par la faute des isolateurs, soit par les soudures indispensables, un peut toujours craindre sa rupture. Cependant, les producteurs d’aluminium font, en ce moment même, de tels efforts pour fabriquer des câbles offrant toutes les garanties nécessaires, qu’on peut prévoir la solution prochaine de ce problème.

En attendant, pur ou allié au cuivre (bronze d’aluminium), au zinc (laiton d’aluminium), au tungstène (partinium), etc., l’aluminium est déjà employé à la fabrication de services de table, casques, poignées de sabre, boutons, caisses d’automobiles, bâtis de moteurs légers, etc. Enfin, en qualité de combustible (tous les métaux directement oxydables peuvent, en effet, être considérés comme des sortes de combustibles) et, par conséquent, de réducteur, il sert de matière première à cette nouvelle et curieuse branche de la métallurgie, l’aluminothermie, sur laquelle la Revue a déjà appelé l’attention de ses lecteurs et que, par conséquent, nous nous dispenserons d’étudier.

Le four électrique a, sans doute, plus d’avenir que l’électrolyse. Non seulement, comme elle, il se prête très bien à l’utilisation de la houille blanche, mais, de plus, lorsqu’on se borne à demander au courant de n’agir que par sa chaleur sans produire de décomposition (à la différence de ce qu’on exige de lui dans la fabrication de l’aluminium), cet appareil permet l’emploi de matières premières moins pures que celles qu’exige l’électrolyse ; enfin, il donne, sans difficultés, des températures de plus de 3 000 degrés. Aussi, lorsque éclata la crise du carbure de calcium, crise dont nous avons parlé dans une étude précédente, les industriels cherchèrent immédiatement, en faisant du four électrique une sorte de haut fourneau, à utiliser les nombreuses chutes d’eau qui restaient inoccupées.

On commença par entreprendre la fabrication des fontes particulières (ferro-chromes, ferro-siliciums, ferro-tungstènes, etc.) nécessaires à l’obtention des aciers spéciaux dont il a été question plus haut, entreprise qui fut couronnée du plus grand succès.

Mais, pour que le four électrique pût être considéré comme un véritable appareil de métallurgie, il fallait, évidemment, arriver à lui faire fabriquer, en grandes masses et à des prix rémunérateurs, les métaux usuels, fer, cuivre, zinc, etc., quitte à les raffiner ensuite. Nous allons voir que, sauf dans certaines conditions particulières, cet appareil ne doit pas, pour l’instant, avoir la prétention d’entrer en lutte avec les méthodes actuelles de la grosse industrie métallurgique.

Et d’abord, constatons que si l’on peut soutenir que fabriquer de la fonte, c’est-à-dire du fer carburé, pour la décarburer ensuite par des procédés plus ou moins coûteux, est un paradoxe chimique, à l’heure actuelle, c’est, quand même, de la fonte que l’on fabrique au four électrique et que l’on affine ensuite. Constatons encore que, pour obtenir cette fonte, on a toujours recours au charbon : seulement, dans la méthode électrique, il n’a d’autre rôle que de réduire le minerai en se transformant en oxyde de carbone et de carburer ensuite le fer mis en liberté, la quantité de chaleur que nécessitent la réduction, la carburation, ainsi que la fusion des gangues, la vaporisation de l’eau, etc., étant demandée au courant. Si l’on ne tient pas compte, alors, des pertes de chaleur inévitables, 300 kilogrammes de charbon, environ, peuvent suffire à produire une tonne de fonte, tandis que dans les hauts fourneaux ordinaires, où cette quantité de chaleur est demandée au charbon lui-même, le minimum indiqué par la théorie s’élève à 650 kilogrammes, au moins.

Prenons, par exemple, le procédé A. Keller, dont l’inventeur, plus heureux que Thomas et Gilchrist, — à qui leurs compatriotes fermèrent la bouche, — a pu faire l’exposition complète, le 8 mai 1903, devant l’Iron and Steel Institute. Dans ce procédé, installé à Livet (Isère), minerai et fondant sont traités à l’intérieur d’un four à réverbère, de 2m,50 de diamètre et de 1m,25 de haut, surmonté d’une sorte de cheminée de 5m,75 de hauteur, dont l’ouverture supérieure sert de gueulard ; base et parois du four et de la cheminée sont constitués par des matériaux acides ou basiques, suivant les besoins, et la mise en marche s’effectue à l’aide d’un certain nombre d’électrodes placées à la partie inférieure de l’appareil. À intervalles réguliers et d’une façon continue, la fonte obtenue est alors coulée dans un four d’affinage rectangulaire, de 2 mètres de long, 1m,25 de large et 1m,25 de profondeur, où la décarburation s’opère comme dans le procédé Martin, mais qui, comme son haut fourneau, est actionné par un puissant courant électrique.

Grâce aux très hautes températures que l’on peut atteindre pendant la durée de l’affinage ; grâce à la pureté de la fonte, — car la faible quantité de combustible nécessaire rend relativement peu coûteux l’emploi de charbon très pur, et l’on n’exploite que des minerais riches ; — grâce, enfin, à la façon dont la chaleur est répartie et à la nature même de la source qui la fournit, on obtient facilement, par ce mode de décarburation, des aciers de composition variée, très homogènes, très résistans, très malléables, comparables et même supérieurs aux aciers au creuset.

Il est évident, d’ailleurs, que le four électrique n’est pas indispensable à l’affinage de la fonte électrique et que, pour la fabrication d’aciers très ordinaires, aciers à rails, par exemple, il peut être avantageusement remplacé par le Bessemer, qui trouve, alors, dans les forces hydrauliques l’énergie nécessaire à son fonctionnement.

Reste la question, capitale, du prix de revient.

Pour la fonte, la commission que le gouvernement du Canada a chargée, il y a quelques mois, de visiter les principales usines à fer électriques d’Europe, estime que, par le procédé A. Keller, le prix de revient ne dépasse pas 53 francs la tonne, résultat fort satisfaisant. Mais, en ce qui concerne l’affinage électrique, que l’on emploie le procédé de Livet ou tout autre, comme celui de Kjeblin, installé à Gysinge (Suède), l’expérience montre que les frais de fabrication des aciers électriques ainsi obtenus doivent être évalués au moins à 100 francs par tonne, et, par conséquent, sont notablement plus élevés que ceux des aciers Martin. Si l’on considère alors que la fabrication électrique, avec ces prix de revient, exige, comme nous venons de le dire à l’instant, des minerais purs et riches, du charbon excellent et, surtout, des chutes d’eau importantes dans le voisinage immédiat de la mine, on est bien forcé de conclure, avec A. Keller lui-même, que, seuls, quelques pays comme la Suède, le Canada, le Brésil, la Nouvelle-Zélande, la Rhodésia, etc., à peu près dépourvus de houille, mais riches en minerais et en chutes d’eau, pourront trouver avantage à employer, comme appareils industriels, des hauts fourneaux électriques.

Cette conclusion s’applique aussi à la métallurgie du zinc et n’est pas infirmée par le succès que, paraît-il, obtient la fabrication électrique de ce métal, ou plutôt de son produit de combustion, l’oxyde de zinc (blanc de zinc), à Crampagna (Ariège). A fortiori s’applique-t-elle encore au traitement par voie sèche des minerais de cuivre.

Mais les facteurs économiques du problème sont nombreux, variables d’une région à l’autre et, en somme, malgré l’importance des résultats acquis ou espérés, il est clair que, partout où la houille est à un prix abordable, l’électrométallurgie, telle qu’on la conçoit d’ordinaire, avec les chutes d’eau comme sources d’énergie, doit renoncer, pour le moment, à rivaliser avec la grosse industrie métallurgique. Possesseurs de charbonnages, propriétaires de hauts fourneaux peuvent donc, pendant longtemps encore, dormir tranquilles, d’autant plus que le cheval-houille-noire, se sentant quand même menacé par le cheval-houille-blanche, se défend, et se défend bien, comme nous allons le voir.


III

De tout temps, les usines à fer, en cherchant à utiliser leurs scories, ont visé, indirectement, à faire des économies de combustible. Ainsi, les laitiers du haut fourneau, dont la quantité est généralement égale et quelquefois supérieure à la fonte, servent à l’empierrement des routes, à la fabrication de verres à bouteille, de briques, etc., et surtout, une fois pulvérisés, à celle de cimens très recherchés. Quoique le procédé Thomas (procédé basique) revienne un peu plus cher, — 20 francs par tonne environ, — que le procédé Bessemer proprement dit (procédé acide), la découverte des services que rendent à l’agriculture les scories phosphatées de l’opération basique, scories qui contiennent de 30 à 37 pour 100 de phosphate de chaux, a suffi pour égaliser largement les prix. Enfin, les grandes usines qui fabriquent elles-mêmes leur charbon de haut fourneau, utilisent, en général, le goudron, l’ammoniaque, les huiles légères, etc., de leurs fours à coke : on en cite qui récupèrent ainsi plusieurs millions de francs par an.

Mais les économies les plus considérables de combustible sont dues aux efforts persévérans que l’on a faits, depuis une cinquantaine d’années, pour arriver à l’utilisation à peu près intégrale de la chaleur due à la combustion des gaz qui s’échappent des hauts fourneaux. L’examen des remarquables progrès accomplis dans cette voie par la sidérurgie va donc faire l’objet de la troisième partie de cette étude.

On a commencé d’abord par essayer de chauffer aussi fortement que possible, à l’aide de ces gaz, l’air que les machines soufflantes envoyaient au haut fourneau : on conçoit aisément l’avantage qu’il peut y avoir à la substitution d’un air chaud à l’air froid qu’on injectait auparavant. On a réussi et, aujourd’hui, dans toutes les usines, chaque haut fourneau est accompagné de récupérateurs de chaleur, véritables fours à gaz, auxquels le haut fourneau lui-même sert de gazogène, et qui fonctionnent d’après la méthode Siemens.

Pour l’instant, les plus employés sont ceux de Cowper, grosses tours presque aussi élevées que le haut fourneau, de 6m, 50 à 7 mètres de diamètre, et dont l’intérieur rappelle celui d’une ruche dont les alvéoles seraient en briques, d’où une surface de chauffe considérable, allant jusqu’à 5 000 mètres carrés. Chaque haut fourneau est ordinairement flanqué de quatre de ces tours : alternativement chauffées à blanc par la combustion des gaz et refroidies par l’air soufflé, trois d’entre elles sont toujours en feu, tandis que la dernière s’emploie à porter à 7 ou 800 degrés les 1 000, 1 200 mètres cubes (quelquefois même 2000) d’air froid que lui envoient, par minute, les machines soufflantes. La présence des récupérateurs a complètement changé, d’ailleurs, l’aspect des usines. Autrefois, ce qui frappait tout d’abord les regards, c’était la hauteur des hauts fourneaux : ils dominaient toute la scène, et, la nuit, les flammes qui s’en échappaient illuminaient la campagne environnante. Aujourd’hui, ces flammes ont disparu : ce sont les récupérateurs qui, les premiers, fixent l’attention, et leur groupement donne à l’ensemble, l’imagination aidant, l’aspect d’une forteresse du moyen âge.

Mais les récupérateurs Cowper n’utilisent qu’une partie des gaz du haut fourneau, 60 pour 100 environ. Aussi n’a-t-on pas tardé à employer le reste pour faire marcher les machines soufflantes, mettre en mouvement les wagons de chargement, actionner les pompes à eau, etc.

Tout compte fait, la consommation de coke qui, par tonne de fonte, s’élevait, il y a cinquante ans, à 8 tonnes, est descendue aujourd’hui à 1 tonne et souvent moins. De plus, comme il faut 2 à 3 tonnes de minerai pour produire une tonne de fonte et que, par suite, lorsque le charbon arrive sans trop de frais, c’est surtout (nous avons dit plus haut pourquoi) le prix du minerai qui, dans la méthode d’extraction par voie sèche, influe sur les prix de revient, on a pu éloigner les usines à fer des charbonnages et les rapprocher des minerais. C’est le cas de nos usines de l’Est.

Cependant, à l’heure actuelle, on va encore plus loin dans la voie de l’économie du combustible, et cela parce qu’on tire parti des gaz des hauts fourneaux dans des conditions qu’on n’aurait pas osé espérer il y a seulement dix ans.

C’est Thwaite qui, frappé des progrès accomplis par les moteurs à explosion, a proposé, il n’y a pas plus de sept ou huit ans, de supprimer l’intermédiaire vapeur et d’actionner directement, à l’aide de moteurs alimentés par ces gaz, non seulement les machines soufflantes, mais encore tous les services accessoires du haut fourneau lui-même. Ce nouveau pas en avant de la sidérurgie devait donner un bénéfice considérable : 1° par le rendement des moteurs à explosion, 20 à 25 pour 100 environ, rendement double de celui des moteurs à vapeur ; 2° par la suppression de l’intermédiaire chaudière qui, à lui seul, cause un déchet de 80 à 40 pour 100.

Les idées de Thwaite ont fini par être réalisées, mais non sans de laborieux efforts. Bien des millions ont été dépensés en pure perte, et voici pourquoi : les gaz des hauts-fourneaux contiennent, d’ordinaire, de 3 à 14 grammes de poussières par mètre cube, poussières formées presque uniquement d’oxydes métalliques (chaux, oxydes de fer, d’aluminium, etc.). A première vue, ce chiffre n’est rien ; en réalité, il est énorme. C’est avec beaucoup de peine, déjà, qu’on était arrivé à débarrasser de la vapeur d’eau et des poussières qui les encrassaient les prises de gaz des récupérateurs. Mais ces poussières étaient encore plus gênantes dans les premiers moteurs à gaz de hauts fourneaux construits : elles encombraient les soupapes, arrêtaient leur fonctionnement et nuisaient, surtout, à la soupape d’échappement par où les gaz, après l’explosion, passent à des températures très élevées.

Aujourd’hui, ces difficultés sont vaincues. Les procédés de nettoyage sont tels qu’il suffit d’un litre et demi d’eau pour réduire le poids des poussières à la faible teneur de 5 centigrammes par mètre cube de gaz : l’air de nos villes en contient davantage. En même temps, les moteurs à gaz de hauts fourneaux eux-mêmes se sont perfectionnés. C’est pourquoi nombre de grandes usines sont, actuellement, pourvues de moteurs de ce genre, de 600, 1 000, 1 200 chevaux (on en construit même de 4 000 chevaux), et ce n’est pas sans une certaine admiration que le visiteur, lorsqu’il pénètre dans les halls qui, comme à Jœuf, leur sont réservés, contemple ces monstres nouveaux, enfans de la science moderne, constate la régularité de leur marche et suit du regard la course vertigineuse de leurs massifs et énormes volans.

Mais ce n’est pas tout.

Non seulement, désormais, les hauts fourneaux se suffiront à eux-mêmes, mais encore on estime qu’ils laisseront disponible une quantité de gaz assez considérable pour fournir, au moins, 10 chevaux par tonne de fonte fabriquée. C’est dire qu’une aciérie, une fonderie surtout, comme la célèbre fonderie de Pont-à-Mousson, après avoir assuré tous ses services, pourra, dans certains cas, alimenter par-dessus le marché des industries annexes, des fours électriques, par exemple, éclairer les villes ou les villages voisins, etc.

Quant à l’économie globale de combustible qui doit résulter de l’utilisation, ainsi entendue, des gaz que les récupérateurs laissent libres, il est difficile de s’en faire une idée bien précise ; il faut attendre que l’expérience ait prononcé. Certains métallurgistes, cependant, affirment, d’ores et déjà, qu’elle s’élèvera à 300 kilogrammes par tonne de fonte. S’il en était ainsi, la production d’une tonne de ce métal n’exigeant plus que 700 kilogrammes de coke au lieu de 1 000, la sidérurgie actuelle serait bien près, si l’on tient compte des pertes de chaleur inévitables, de réaliser le rêve d’obtenir la fonte avec le minimum de combustible de 630 kilogrammes, donné plus haut. En tout cas, cette industrie, il est bon de le retenir, va être, désormais, à peu près débarrassée de l’attirail encombrant des machines à vapeur.

Ainsi, une transformation radicale est en train de s’accomplir dans la métallurgie du fer et, sans aller jusqu’à affirmer que « les hauts fourneaux ne seront plus, un jour, que des gazogènes avec la fonte comme sous-produit, » on peut, d’ores et déjà, prédire que cette transformation aura certainement pour effet d’abaisser de 7 à 8 francs le prix de la tonne de fonte et de ses dérivés, le fer et l’acier : résultat considérable, victoire éclatante pour le cheval-houille noire ! Et, dès lors, quelle conclusion définitive tirer de tout ce qui précède ? C’est que, — comme nous l’avons déjà dit et comme nous n’hésitons pas à le répéter, — l’électrométallurgie, et même l’électrosidérurgie, voient de plus en plus leur triomphe, en tant que grandes et mondiales industries, s’éloigner et se perdre dans les brumes d’un avenir lointain… jusqu’à l’époque fatale où, les réserves d’énergie accumulées dans la houille noire étant épuisées, force sera, à moins de découvertes imprévues, de recourir au stock, — inépuisable, — de la houille blanche. Alors sera terminée une nouvelle phase évolutive ; alors aussi, sans doute, s’accomplira un nouvel exode de la métallurgie : chassée des plaines, obligée de remplacer ses fourneaux par des machines électriques, on la verra, escortée de toutes les industries qui, comme elle, se nourrissaient de houille noire, aller chercher de l’énergie auprès des chutes d’eau et « revenir demander une nouvelle vie aux montagnes qui furent son berceau. »


P. BANET-RIVET