L’homme de la maison grise/04/02

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L’imprimerie du Saint-Laurent (p. 133-135).


Chapitre II

L’HÉROÏNE DU JOUR


Sans se hâter, Patrice Broussailles s’acheminait vers la mine. Rien ne pressait : bien au contraire, car il voulait donner à Yvon le temps de reprendre connaissance, quand ça ne serait que pour un moment, et de reconnaitre auprès de lui Luella d’Azur éplorée.

Patrice était certain d’une chose : c’était que son plan allait réussir… Personne n’avait eu connaissance de ce qui venait de se passer entre Luella et lui. Tout le monde était sur le lieu du désastre, et puis, il faisait noir, et puis encore ils avaient cheminé, en voiture, sur une route abandonnée (de fait, connue à W… sous le nom de La Route Abandonnée) sur cette route, devenue presqu’impassable, peu de gens osaient se risquer.

Il arrivait à destination, lorsqu’il s’aperçut que la foule assemblée à l’entrée de la mine, commençait à se disperser. Sans doute, Yvon Ducastel, le seul qui manquait à l’appel, était compté pour mort… Quelle surprise leur était réservée !

Patrice se mit à courir, et bientôt il arrivait au milieu de la foule tout essoufflé et criant :

M. Ducastel… Attendez !… Je viens de le voir…

— Quoi ? Comment ? cria quelqu’un. Vous venez de voir M. l’Inspecteur ? Où cela ?

— Là-bas… En pleine forêt.

Bien vite Patrice fut entouré et pressé de questions.

M. Ducastel ?…

— Vous êtes sûr que c’était bien lui ?…

— J’en jurerais ! s’écria-t-il. Une femme était penchée sur lui et lui prodiguait des soins.

— La Dame Noire… murmura-t-on.

— Je ne sais pas… De loin, j’ai cru plutôt que c’était… Mais je peux bien m’être trompé… Je…

— Qui donc avez-vous cru reconnaître, M. Broussailles ?

— J’ai cru reconnaître Mlle d’Azur…

Mlle d’Azur ?… Mais…

— Je ne pourrais jurer de rien cependant, mes amis, fit Patrice, vu que je n’ai pas porté grande attention… C’est M. Ducastel qui m’intéressait… Je n’ai fait qu’un saut jusqu’ici, pour vous avertir de ce que j’ai vu et demander du secours.

— Qu’y a-t-il ? demanda, à ce moment, Lionel Jacques, qui venait de fendre la foule. Broussailles ! s’écria-t-il ensuite. J’étais inquiet sur ton sort, mon ami.

M. Jacques ! fit Patrice. J’apporte des nouvelles…

— Des nouvelles ? Serait-ce d’Yvon ?

— Oui… Ducastel a dû être sauvé presque miraculeusement, car je jure l’avoir vu, tout à l’heure… là-bas… en plein bois…

Ce fut au tour de Mme Francœur de s’approcher de Patrice Broussailles et de le questionner.

— Vite alors ! Une voiture ! cria-t-elle, lorsqu’elle sut à quoi s’en tenir. Oh ! Ce pauvre M. Ducastel !… Pourvu qu’il soit vivant !

— Jasmin ! appela Lionel Jacques.

— Présent, Monsieur ! répondit le domestique du Gîte-Riant.

— La voiture ?…

— Elle est ici, tout près… C’est l’express, Monsieur.

— Tant mieux ; cela fera très bien l’affaire. Partons dit Lionel Jacques. Broussailles ajouta-t-il, tu vas nous indiquer le chemin, n’est-ce pas ?

— Certainement ! répondit Patrice, en sautant dans l’express, à côté de Mme Francœur et de M. Foulon.

Plusieurs voitures se mirent en route.

Patrice Broussailles se garda bien de conduire la foule directement ou se trouvait Yvon ; il fit semblant plutôt de n’être pas bien certain de l’endroit. Mais enfin, il feignit de se reconnaître.

— C’est ici, je crois, fit-il. J’avais remarqué ces quatre peupliers…

— Mais… Je ne vois rien, rien ! s’exclama Mme Francœur.

— Oui ! Oui ! Là-bas… Une lanterne allumée.

— C’est bien cela ! admit Patrice. La lanterne de celle qui, probablement a sauvé la vie de M. Ducastel.

Bientôt s’arrêta l’express de Lionel Jacques et les autres voitures firent de même.

— C’est bien M. l’Inspecteur ! s’écria-t-on.

Tous venaient d’apercevoir, couché sur le sol, celui qu’ils avaient pleuré pour mort, et auprès de lui, lui prodiguant des soins et sanglotant, était, en effet, Mlle d’Azur.

M. Ducastel ! Ô M. Ducastel ! s’écria Mme Francœur en s’agenouillant auprès d’Yvon.

Le jeune inspecteur ouvrit les yeux un instant, puis il murmura :

Mme Francœur…

— Yvon ! fit Lionel Jacques en se penchant sur son jeune ami. Dieu merci, tu es vivant !

— Cher M. Jacques… balbutia Yvon.

Mlle d’Azur, reprit Lionel Jacques, pauvre Mademoiselle ! Dans quel état vous êtes !

— Je… Je n’ai pu me… me décider à… à l’abandonner… Je…

— Chère Mademoiselle ! s’exclama Mme Francœur, s’adressant, à son tour, à Luella. Moi qui vous croyais en sûreté auprès de votre père !

— Mon père… murmura Luella. Il a été sauvé ? (Vraiment, elle jouait son rôle à la perfection la complice de Patrice Broussailles) !

— Oui ! Oui !… Mais vous, vous avez sauvé la vie de M. l’Inspecteur, en risquant la vôtre, pauvre enfant !

— Vous auriez peut-être fait comme moi, répondit la jeune fille avec un sourire si pitoyable que des larmes vinrent aux yeux de plusieurs des personnes présentes.

— Mais, comment vous y êtes-vous prise pour opérer le sauvetage de M. Ducastel et le vôtre ? demanda quelqu’un.

— Je… Je ne… sais pas… articula péniblement Luella ; oui, péniblement, car elle commençait à souffrir cruellement de sa blessure à la tête.

— Pauvre, pauvre enfant ! s’exclama Lionel Jacques en posant sa main sur l’épaule de la jeune fille. Voyez, ajouta-t-il, en s’adressant à tous, ses vêtements sont en lambeaux et elle est toute couverte de sang !

— Il faut qu’elle soit transportée chez elle, dit M. Foulon ; de fait, tous deux (Mlle d’Azur et M. Ducastel, je veux dire ! devraient être dans leurs lits et sous les soins d’un médecin le plus tôt possible.

Mlle d’Azur… est… est… une héroïne… murmura Yvon.

— Assurément, oui ! firent-ils tous.

— Vive Mlle d’Azur ! Vive M. l’Inspecteur ! cria quelqu’un.

— Vive, vive Mlle d’Azur ! Vive, vive M. Ducastel ! reprit la foule.

— Comment êtes-vous parvenu à opérer votre sauvetage et celui de M. Ducastel ? demanda quelqu’un.

— Je… Je ne me souviens plus… répondit Luella, en passant à plus d’une reprise, sa main sur son front. Un pic… trouvé sur le sol de la mine… puis un câble oui…

— Ce n’est guère le temps de questionner Mlle d’Azur, je crois, intervint M. Foulon. La pauvre enfant est à moitié morte d’épuisement.

— Ah ! Elle a perdu connaissance ! s’écria Mme Francœur, en désignant Luella, qui venait de tomber dans les bras de Lionel Jacques.

(Ce n’était pas un évanouissement factice non plus).

Elle fut déposée dans l’express et Mme Francœur s’installa auprès d’elle.

Quant à Yvon, avec l’aide de Lionel Jacques et de M. Foulon, il parvint à monter dans une voiture: mais aussitôt, il s’évanouit, à son tour.

Ce fut une assez lugubre procession qui s’achemina vers la demeure des Francœur. Les véhicules contenant Yvon et Luella venaient les premiers; ils étaient suivis d’autres voitures et aussi de piétons.

— C’est une héroïne que Mlle d’Azur ! affirmait-on.

— Certes ! Vous l’avez dit !

— Dire qu’elle n’a pas voulu abandonner M. Ducastel dans la mine… Elle s’est frayée un chemin jusqu’à lui…

— À l’aide d’un pic…

— Mais, comment a-t-elle pu découvrir un passage conduisant dehors ?

— Ah ! C’est là qu’est le mystère !

— Elle expliquera ce mystère, plus tard, probablement…

— Beaucoup plus tard, je crois…. Je ne serais pas surpris qu’elle fît une grave maladie.

— Ma foi ! Ça ne serait pas surprenant, la pauvre demoiselle !

— Dans tous les cas c’est vraiment extraordinaire ce qu’elle a fait !

— C’est entendu !

Les commentaires, les louanges à l’adresse de la jeune fille allaient leur train…

Oui, vraiment ! Luella d’Azur était devenue l’héroïne du jour !