L’Écolier de Cluny

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L’Écolier de Cluny[1]. Il y a deux parts bien distinctes dans l’Écolier de Cluny, deux parts à la division desquelles, je m’assure, l’auteur n’a guère songé, une érudition superficielle et hâtive, un pastiche insouciant, une mosaïque de vieux et de moderne langage, assez paresseusement composée, à laquelle je renoncerais de grand cœur, puis à côté, une imagination vive, ardente et quelque peu dévergondée, qui prodigue les images et les couleurs, sans prévoir les contrastes et les oppositions, les ombres sourdes, ou les lumières éblouissantes, une fantaisie poétique qui déborde en similitudes, en allusions, en souvenirs de toute sorte, qui mêle et confond tous les élémens de la rêverie et de la discussion, une folle débauche qui dépense aventureusement le meilleur et le plus pur de ses forces sans songer au lendemain. Sous une provision d’archaïsmes assez gloutonnement digérés on démêle une inspiration énergique, une verve abondante et neuve.

Le sujet, qui se trouve indiqué dans quelques lignes de Brantôme, n’a pu lui-même être choisi que par un jeune homme assez hardi ou assez aveugle pour ne pas reculer devant le péril d’un pareil thème. C’est la prostitution et la cruauté de Jeanne de Bourgogne, les sanglantes amours de la tour de Nesle, Messaline insatiable et furieuse s’assurant de la discrétion de ses victimes à l’aide du bourreau, traitant ses époux d’une nuit, comme le giaour de Byron, et les dévouant, pour conquérir l’impunité, à une vengeance mystérieuse et muette.

S’il fallait analyser sévèrement l’Écolier de Cluny, on regretterait sans doute que le livre ne soit pas plus sérieusement exécuté dans toutes ses parties, que l’auteur se contente trop souvent et trop volontiers du premier mot qui arrive sous sa plume, sans chercher à formuler sa pensée plus nettement, avec une précision plus fidèle et plus sévère. Mais après ces chicanes que la critique ne peut s’interdire, auxquelles, d’ailleurs, un travail de quelques jours imposerait silence, il faut reconnaître dans l’Écolier de Cluny un intérêt puissant et bien soutenu, et surtout une qualité trop rare dans ce temps-ci, une spontanéité rapide, et tout-à-fait étrangère au métier.

Mais la plupart de ces remarques n’ont rien à faire avec la spirituelle préface qui précède le livre, et où l’auteur raconte comment Octave fit un roman. Ici l’abandon et la négligence, la profusion et la prodigalité que nous blâmions justement dans le récit, sont une grâce et un charme de plus. La vie élégante de Londres, les Cockneys, les Dandies, les Blue stockings, l’anecdote du Pirithoüs, la Marinetta et Fanny, la sotte complaisance du vieil émigré pour les moindres caprices de la Prima donna, entremêlés et confondus, un dialogue pétillant et tumultueux, de fines et boudeuses réparties, en voilà plus qu’il ne faut à coup sûr pour excuser la nonchalance et le style soudain et paresseux de l’auteur.

Si M. de Beauvoir écoute nos conseils, à l’avenir, sans renoncer à la vivacité et à la franchise de ses idées, il mettra de côté la paléographie, placera ses héros sur un théâtre moderne, châtiera son style, il essaiera de composer lentement, et à ces conditions les livres qui viendront après l’Écolier de Cluny pourront prétendre à la durée, car l’improvisation qui éblouit et domine quelques instans, ne peut jamais prolonger son règne. Voyez Sgricci.

  1. Chez Fournier, 1 vol. in-8o.