L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/11

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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 73 (p. 150-211).
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XI.

L’ENLÈVEMENT DU PAPE PIE VII.


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.

Les troupes françaises étaient entrées à Rome le 2 février 1808 au matin[1]. Si l’empereur avait pensé qu’en s’emparant de la capitale des états pontificaux il triompherait aisément de la résistance de Pie VII, son illusion ne fut pas de longue durée. S’il s’était imaginé que par ce coup de violence il mettrait presque aussitôt fin à ses dissentimens avec le saint-père, son désappointement dut être considérable. Il n’en fut pas de la prise de Rome comme de celle de Vienne ou de Berlin. Lorsqu’en 1806 Napoléon, vainqueur à Ulm, avait mis la main sur Vienne, il s’était procuré une grande force contre l’Autriche. La perte de sa capitale avait servi à rendre l’empereur François fort conciliant à Schœnbrunn, et, sans nul doute, le désir de recouvrer Berlin ne contribua pas moins à faire accepter par l’infortuné roi Guillaume les conditions si dures du traité de Tilsitt; mais l’empereur méconnaissait le caractère de Pie VII, et, ce qui était plus fâcheux de la part de ce grand esprit, d’ordinaire si sagace, il se méprenait absolument sur le fond même des choses, quand il supposait que, réduit aux mêmes extrémités, le chef de la foi catholique finirait par céder, comme naguère avaient dû céder les deux plus puissans monarques de l’Allemagne. Napoléon n’avait pas songé que derrière le prince temporel, matériellement si faible et dénué de toutes ressources, il s’exposait à rencontrer le pontife, armé par l’unanime adhésion de tous les membres de son église d’une puissance morale redoutable. Contre le vicaire du Christ invoquant de bonne foi les devoirs de sa mission religieuse, le recours à la force brutale risquait de devenir une mesure aussi inutile que dangereuse, et les menaces ne pouvaient avoir d’autre effet que de provoquer les sympathies secrètes non-seulement de l’Europe entière, mais d’une notable partie du public français en faveur de l’inoffensif vieillard qu’il plaisait maintenant à l’empereur de choisir pour adversaire et pour victime. Cette considération ne l’arrêta pas un instant. Soit qu’il n’ait point alors prévu les suites funestes de sa détermination, soit plutôt qu’enhardi par le sentiment de sa toute-puissance, par le spectacle de l’universel asservissement, il se soit tenu pour assuré de pouvoir toujours maîtriser l’opinion par le succès, Napoléon se précipita sans hésiter dans cette lutte nouvelle qui ne devait guère tarder à devenir beaucoup plus religieuse que politique, où le beau rôle ne lui était pas destiné, et dont, malgré l’inégalité apparente des forces mises en présence, la durée allait désormais se prolonger jusqu’à la fin de son règne.

Une fois décidé à traiter le saint-père en ennemi, l’empereur recourut tout d’abord à ses procédés de guerre accoutumés. Multiplier les agressions, les rendre à chaque fois plus formidables, ne laisser à son adversaire ni trêve ni repos, telle avait toujours été la tactique de Napoléon dans ses campagnes militaires; il n’en suivit pas d’autre dans sa querelle avec le saint-siège. Le 3 février 1808, c’est-à-dire le jour même où d’après ses calculs, un peu devancés par l’événement, ses troupes avaient dû prendre possession de Rome et du fort Saint-Ange, M. de Champagny adressa de sa part une sommation péremptoire au cardinal de Bayanne. Maintenant que des paroles on avait passé à l’action, il ne s’agissait plus d’user d’aucun ménagement. Le ministre des relations étrangères était donc chargé de déclarer nettement au négociateur de sa sainteté « que les soldats français présentement établis à Rome y resteraient jusqu’à ce que le pape fût entré dans la confédération italienne, et qu’il eût consenti à faire, dans tous les cas et contre qui que ce soit, cause commune avec les puissances qui la composent. Cette condition était le sine qua non des propositions de sa majesté. Si le pape ne les accepte pas sa majesté ne saurait reconnaître sa souveraineté temporelle. Elle était décidée à faire passer la domination de Rome dans des mains séculières[2]. »

Au moment où cette injonction impérieuse sortait des bureaux du ministère des relations extérieures de France pour être remise au cardinal de Bayanne, une autre pièce, secrètement élaborée au Quirinal et clandestinement imprimée pendant la nuit, faisait à l’improviste son apparition sur les murs de Rome. C’était la protestation de Pie VII contre l’invasion française. Elle était ainsi conçue : « N’ayant pu adhérer à toutes les demandes qui lui ont été faites de la part du gouvernement français, parce que la voix de sa conscience et ses devoirs sacrés le lui défendaient, sa sainteté Pie VII a cru devoir subir les désastreuses conséquences dont on l’avait menacé par suite de son refus, et même l’occupation militaire de sa capitale. Résigné dans l’humilité de son cœur devant les impénétrables jugemens du ciel, il remet sa cause aux mains de Dieu; mais, ne voulant pas d’ailleurs manquer à l’essentielle obligation de garantir les droits de sa souveraineté, il nous a ordonné de. protester, comme il proteste formellement en son nom et en celui de ses successeurs, contre toute usurpation de ses domaines, sa volonté étant que les droits du saint-siège soient et demeurent toutefois intacts[3]. » Dans une première rédaction de cette pièce, d’abord soumise au saint-père, quelques expressions s’étaient glissées qui pouvaient être interprétées comme une plainte portée contre le peuple français en général. Le cardinal secrétaire d’état représenta que les mesures dont le saint-père avait à souffrir provenaient du gouvernement et nullement de cette France qui avait prodigué au souverain pontife tant de preuves de vénération et d’attachement. « Cela est vrai, s’écria Pie VII; je ne puis me plaindre de cette nation, et je veux que cela soit dit expressément dans ma protestation[4]. » La crainte d’ajouter par un manifeste trop vif à l’irritation du peuple romain contre les troupes françaises troublait en effet l’âme scrupuleuse du saint-père. C’est pourquoi d’autres paroles venaient ensuite qui avaient surtout pour but de calmer les esprits. « Vicaire sur la terre de ce Dieu de paix qui nous a enseigné par son exemple la douceur et la patience, le saint-père ne doute point que ses sujets bien-aimés, qui lui ont toujours donné tant de preuves d’obéissance et d’attachement, ne mettent tous leurs soins à conserver la tranquillité privée et publique. Sa sainteté les y exhorte et le leur ordonne positivement. Elle espère que, loin de faire aucun tort, aucune offense à qui que ce soit, ils respecteront même les individus d’une nation dont elle a reçu tant de témoignages de respect et d’affection pendant son voyage en France et son séjour à Paris[5]. »

Tandis qu’avec d’infinies précautions nécessitées par la surveillance des autorités militaires la protestation du saint-père était placardée sur quelques-uns des monumens publics de Rome, les ministres étrangers résidant auprès du Vatican recevaient du cardinal secrétaire d’état une note également rédigée dans les termes les plus modérés. Après avoir indiqué les conditions de l’ultimatum qui avait été imposé par le gouvernement français au saint-père, après avoir raconté comment Pie VII avait cru pouvoir donner son adhésion à certains articles extrêmement onéreux auxquels sa conscience ne répugnait pas, comment au contraire il avait dû en refuser d’autres dont l’acceptation lui était formellement interdite par ses devoirs les plus sacrés, le ministre de sa sainteté faisait savoir aux représentans des puissances amies du saint-siège que toutes les violences dont ils étaient témoins n’étaient que l’exécution des menaces faites antérieurement à son souverain; mais le saint-père, fidèle à ses devoirs, était décidé à tout souffrir plutôt que de blesser sa conscience... Mettant avec confiance son sort entre les mains de Dieu, il se bornait à protester, comme il y était en conscience obligé, contre toute occupation de ses domaines. C’était afin qu’ils pussent à leur tour informer leurs cabinets d’un événement aussi affligeant que par ordre du saint-père la présente communication leur était adressée[6].

Il semble qu’il était difficile d’apporter plus de prudence dans les démarches que commandait à Pie VII le soin de sa dignité et de son indépendance. Il avait poussé la condescendance jusqu’à recevoir le 3 mars au Quirinal le général Miollis, amené par le ministre de France, M. Alquier[7]. Dans cette entrevue, Pie VII, affable comme à son ordinaire, n’avait témoigné d’irritation qu’au sujet des canons qu’on avait la veille si insolemment braqués devant les fenêtres de son appartement. Le général français, alléguant la méprise d’un officier subalterne, promit de les faire retirer, ce qui eut lieu en effet dans la nuit. De la part du général Miollis non plus que de M. Alquier, le saint-père n’avait à redouter personnellement aucun manque d’égards; mais, quelles que fussent les favorables dispositions du commandant du corps d’occupation et celles du ministre de France à Rome, tous deux pleins de respect pour le saint-père, ils avaient à exécuter les ordres d’un maître auquel il n’eût pas été prudent de désobéir, et ces ordres, on se le rappelle, étaient fort positifs. Il avait été enjoint à M. Alquier de s’opposer « à toute circulation d’imprimés ou actes quelconques contraires à la France que le gouvernement romain pourrait publier, et d’en rendre responsables la police et les libraires de Rome »[8]. C’est en vertu de ces instructions trop précises pour être négligées que les troupes françaises s’étaient emparées de l’administration des postes et de la police des imprimeries. Les exemplaires de la protestation pontificale qui avaient été placardés le 2 février au matin sur les murs de Rome en avaient été presque aussitôt arrachés par ordre du général Miollis, et M. Alquier de son côté n’avait pas manqué de faire un crime irrémissible au cardinal Casoni de la publicité donnée à la protestation du saint-père. Dans sa note datée du à février, il représentait cette pièce, que nous venons de mettre tout entière sous les yeux de nos lecteurs, comme « tendant à égarer l’opinion et à troubler la tranquillité publique par des assertions couvertes d’un voile religieux. » Tel était, pour se conformer à ses instructions, le besoin qu’éprouvait M. Alquier de se créer des griefs imaginaires ou même extravagans, qu’il avait découvert un motif d’accusation contre le Vatican dans le simple fait que la protestation du saint-père ne nommait point l’empereur. Il n’hésitait pas à reprocher sérieusement au cardinal secrétaire d’état de s’être servi des mots le gouvernement français, afin d’imiter, disait-il, le cabinet de Londres[9]. Le cardinal n’avait eu nulle peine à répondre à M. Alquier que la note dont il se plaignait avait justement été conçue pour calmer l’irritation populaire, et qu’à la grande satisfaction de Pie VII ce but avait été en fait complètement atteint; si l’on avait évité de nommer personnellement l’empereur, c’était là une nouvelle preuve de la délicatesse constante du saint-père et du respect profond et invariable que son ministre ne cessait de professer pour l’auguste personne du souverain français. L’expression dont M. Alquier se plaignait était usitée dans le langage diplomatique. Le ministre des relations extérieures à Paris, la légation française à Rome, l’avaient continuellement employée. Dans les circonstances fâcheuses du moment, c’était par un égard particulier envers le souverain de la France que le Vatican s’en était servi[10]. Cependant des actes infiniment plus graves allaient bientôt suivre les singulières récriminations de M. Alquier. Peut-être nos lecteurs n’ont-ils pas oublié que, dans les instructions envoyées au vice-roi d’Italie, l’empereur avait assigné comme le but principal de l’expédition dirigée contre Rome l’intention de purger cette ville et les états pontificaux de la présence des brigands qui les infestaient, des agens napolitains et anglais qui n’avaient pas craint d’y braver sa puissance, d’en chasser et de renvoyer à Naples les cardinaux originaires des Deux-Siciles, qui avaient jusqu’à présent refusé de prêter serment à son frère le roi Joseph. En réalité, il n’y avait plus d’agent anglais à Rome depuis le départ volontaire de M. Jackson. Le roi Ferdinand, retiré à Palerme, n’avait pas de ministre officiellement accrédité auprès du saint-père. Quant aux soi-disant brigands, il n’y en avait pas un seul dans l’intérieur de la ville. Toutes les fois que la légation française avait demandé l’arrestation des rebelles napolitains dont le séjour avait été signalé par elle, les autorités romaines n’avaient jamais hésité à les faire saisir et à les consigner dans les forteresses du pays. Elles avaient même déployé à cet égard un zèle si efficace que le nouveau secrétaire d’état de sa sainteté, le cardinal Joseph Doria Pamphili, successeur du cardinal Casoni, tombé soudainement malade, avait pu inaugurer ses récentes fonctions en constatant par une note adressée le 25 février 1808 que les troupes françaises, depuis trois semaines qu’elles étaient entrées à Rome et qu’elles en faisaient la police, n’avaient pas encore réussi à découvrir un seul de ces prétendus chefs de bandes; mais, s’il n’y avait à Rome ni agens des cabinets ennemis de là France, ni brigands organisés, comme l’avait à tort imaginé l’empereur et comme il s’en était plaint tant de fois avec une si violente amertume, il y avait en effet, retirés à Rome, six ou sept cardinaux napolitains. Qu’ils fussent tous assez mal disposés pour la récente royauté du frère de l’empereur, cela était, il faut l’avouer, assez probable. La plupart d’entre eux étaient vieux et infirmes, d’autres plus jeunes et plus actifs. Dans le nombre, deux ou trois pouvaient être à bon droit soupçonnés d’être en correspondance habituelle avec la reine Caroline; ceux-là ne devaient pas être toutefois les seuls atteints, et l’empereur ne voulut faire aucune distinction. A la fin de février 1808, tous les cardinaux napolitains indifféremment reçurent l’ordre de partir pour Naples dans les vingt-quatre heures. Pie VII, prévenu des intentions du gouvernement français, leur avait à l’avance défendu de s’éloigner de Rome, où leur présence était, disait-il, nécessaire au service du saint-siège[11]. Sur leur refus de se mettre en route, on les enleva de force, et des gendarmes escortèrent sabre en main leurs voitures jusqu’aux frontières du royaume de Naples. Du moment où les membres du sacré-collège n’étaient plus respectés dans leurs personnes, rien d’extraordinaire si les représentans des cabinets étrangers ne l’étaient pas davantage dans leurs immunités diplomatiques. Un beau matin, le chevalier de Vargas, ambassadeur de la cour de Madrid, vit en effet sa demeure officielle envahie par quatre soldats français et un caporal, chargés, disaient-ils, de s’emparer du bureau de poste qui était dans son hôtel[12].

La mesure d’ailleurs était générale. De même qu’il avait envoyé un détachement de ses troupes s’emparer de la poste aux chevaux et un autre piquet mettre la main sur la boîte aux lettres particulière à sa sainteté, de même qu’il avait nommé un inspecteur chargé de surveiller la correspondance publique, de même le général Miollis trouvait commode, et partant licite, de ne pas respecter davantage la correspondance des ambassadeurs accrédités auprès de la cour de Rome. Le but était toujours celui que l’empereur avait si bien indiqué dans ses instructions à M. Alquier. Il ne fallait pas que le saint-père, qui déjà ne pouvait plus rien publier dans ses propres états par voie d’affiche ou d’impression, fût libre d’envoyer des courriers au dehors; il ne fallait pas non plus qu’à l’insu du commandant de l’armée française il se mît en communication secrète avec les représentans des puissances étrangères. Tout ne serait-il pas compromis, si ceux-ci continuaient à jouir du privilège qui depuis des temps immémoriaux leur permettait de confier à des hommes de leur nation et de leur choix le service de leurs correspondances? En un mot, à Rome comme à Paris, comme partout. Napoléon non-seulement entendait rester le maître, mais voulait agir et parler seul. Tandis qu’il lui convenait de dénoncer Pie VII à ses propres sujets, à l’Europe entière, comme se refusant par une folle obstination à des propositions d’accommodement parfaitement acceptables, il était à propos d’empêcher le même Pie VII de s’expliquer devant ses sujets et devant l’Europe. Il importait surtout que la vérité ne se fît pas jour, et qu’en France particulièrement on ne sût pas un mot de ce qui se passait à Rome. Chose étrange, c’était le Vatican, ce modèle par excellence des gouvernemens d’ancien régime, d’ordinaire si amoureux de la discrétion et du mystère, qui avait cette fois soif de publicité, et qui de toutes les manières s’ingéniait pour faire appel à l’opinion. C’était l’homme des temps nouveaux, le soi-disant héritier de la révolution française et des principes de 89, qui fuyait le grand jour, qui épaississait à dessein tous les voiles et imposait le silence par la force. Il restait une autre partie du programme impérial à accomplir. Ni M. Alquier ni le général Miollis n’étaient maîtres d’oublier ce passage chiffré de la lettre adressée à M. de Champagny : « Mon intention est d’accoutumer le peuple de Rome et les troupes françaises à vivre ensemble, afin que, si la cour de Rome continue à se montrer aussi insensée, elle ait cessé insensiblement d’exister comme puissance temporelle sans qu’on s’en soit aperçu[13]. » Un décret du commandant en chef de l’armée d’invasion avait donc incorporé les troupes de sa sainteté dans le corps expéditionnaire. Quelque résistance s’étant produite, le général Miollis avait fait conduire au château Saint-Ange, puis exilé hors des états pontificaux le colonel Bracci, qui s’était refusé à ce changement. Pareil traitement avait été infligé à tous les officiers pontificaux restés comme lui fidèles à leur prince, et la plupart avaient été transportés dans la citadelle de Mantoue. Vivement blessé de cette mesure et désireux de constater par quelque signe extérieur et public qu’il n’avait point consenti à cette aliénation forcée de ses troupes, Pie VII s’était empressé de changer les couleurs de la cocarde portée par la garde pontificale qui, restée en très petit nombre sous ses drapeaux, faisait le service intérieur du palais du Quirinal. Aussitôt Miollis avait fait prendre la nouvelle cocarde aux troupes incorporées, et le secrétaire d’état avait dû se borner à protester par un billet adressé aux ministres étrangers contre cette insulte faite à l’indépendance de son souverain.

Cependant un dernier outrage, plus sensible pour lui que tous ceux que nous venons de raconter, attendait encore le saint-père. Cette fois, le coup devait lui être directement porté de Paris, de la main même de l’empereur. Le 10 mars 1808, au moment de partir pour Bayonne, dans la lettre par laquelle il lui annonçait que de grands événemens se préparaient en Espagne, Napoléon ordonnait au prince Eugène, vice-roi d’Italie, de faire renvoyer de Rome tous les cardinaux qui n’étaient pas nés sujets du pape. « Que Litta revienne à Milan, lui mandait l’empereur; que les Génois rentrent à Gênes, les Italiens dans le royaume d’Italie, les Piémontais en Piémont, les Napolitains à Naples. Cette mesure doit être exécutée de gré ou de force. Puisque ce sont les cardinaux qui ont perdu les états temporels du pape, par leurs mauvais conseils, qu’ils rentrent chacun chez eux[14] ! » Le nombre des cardinaux à qui allait s’appliquer la mesure prescrite par l’empereur était de quatorze. En y ajoutant les sept cardinaux déjà précédemment expédiés à Naples, c’était en tout vingt et un membres du sacré-collège enlevés en un mois à leurs fonctions ecclésiastiques. Le procédé était inoui et véritablement digne de l’homme qui, organisant en ce moment le guet-apens de Bayonne contre Charles IV et son fils, trouvait simple de confisquer par décret une couronne et de la poser, sans consulter l’Espagne, sur la tête de son frère aîné, Joseph, roi de Naples. A les considérer au point de vue religieux, ces mesures violentes, que d’un air si tranquille et comme chose toute naturelle l’empereur Napoléon venait de prescrire contre des membres du sacré-collège, étaient plus étranges encore et plus monstrueuses peut-être que la main mise sur Ferdinand VII et sa séquestration à Valançay. Il ne faut pas en effet l’oublier, non-seulement les cardinaux que Napoléon chassait des états pontificaux étaient les plus grands personnages de l’église, mais, comme membres du sacré-collège, Ils étaient les conseillers spirituels et les auxiliaires apostoliques du saint-père. Ils avaient tous des fonctions ecclésiastiques à remplir auprès du souverain pontife. Quelques-uns, comme le cardinal Valentini Gonsaga, évêque d’Albano, le cardinal Doria, évêque de Frascati, le cardinal Locatelli, évêque de Spoleta, avaient même charge d’âmes dans les provinces encore laissées sous la domination temporelle du pape. D’autres occupaient dans le gouvernement intérieur de l’église romaine des postes très importans. Le cardinal Carandini était préfet du concile, le cardinal délia Somaglia était vicaire de sa sainteté, et le cardinal Braschi-Onesti secrétaire des brefs du pape. Enfin il se trouvait par une rencontre bizarre que le propre secrétaire d’état de sa sainteté était lui-même atteint par la mesure. Ainsi que son prédécesseur Casoni, qui était né à Sarzane, le cardinal Doria Pamphili, parce qu’il était originaire de Gênes, recevait à l’improviste du ministre de France, avec qui la veille il traitait, l’ordre de quitter sur-le-champ ses bureaux du Vatican et d’aller, comme sujet de l’empereur, faire sa soumission officielle aux autorités de sa nouvelle patrie. En recourant à ces brutalités, l’empereur, quoi qu’il en pût dire, se voyait, au bout de quelques jours seulement, entraîné malgré lui à confondre de la façon la plus funeste les choses mêmes qu’au début de la querelle il s’était vainement flatté de pouvoir toujours séparer les unes des autres. En faisant sortir violemment de Rome tant de cardinaux. Napoléon ne battait pas seulement en brèche le pouvoir temporel du pape, envers qui maintenant il était décidé à ne plus garder aucun ménagement; il attaquait aussi de front le régime intérieur de cette grande église catholique pour laquelle, à cette époque de sa vie, il affectait de professer encore, chaque fois que l’occasion s’en présentait, les plus respectueux égards et un filial attachement. Ces nuances un peu contradictoires que Napoléon excellait à garder dans ses paroles ne sont pas toujours aussi faciles à maintenir dans l’action. En réalité, la manière dont à Rome les ordres de l’empereur furent habituellement mis à exécution n’était point de nature à tempérer l’amère douleur qu’ils ne pouvaient manquer de causer à Pie VII. Les termes des dépêches qu’ils recevaient à la fois de Paris et de Milan faisaient assez connaître à M. Alquier et au général Miollis combien vive était en ce moment l’irritation de leur tout-puissant maître. Ménager si peu que ce fût la sensibilité du saint-père, suivre en cette occasion leur penchant naturel, qui les portait à user de modération et de douceur, eût été trop dangereux. Ils n’y songèrent ni l’un ni l’autre. Ils se trouvèrent au contraire d’accord pour exécuter à la lettre la déplaisante commission dont ils étaient chargés. Trois jours furent donnés aux cardinaux désignés pour quitter Rome; à l’expiration de ce délai et sur leur refus, la force armée se présenta chez eux et les fit partir de vive force. Le secrétaire d’état, Doria Pamphili, ne fut pas plus épargné que ses collègues, et n’obtint pas une seule minute de répit pour remettre à son successeur, le cardinal Gabrielli, les papiers de son ministère. Quant à l’ordre du jour adressé aux troupes papales pour leur annoncer leur incorporation dans l’armée française, le général Miollis, se conformant sans doute aux instructions reçues du ministre de la guerre, avait pris soin d’y faire intervenir directement le nom de l’empereur et de le rédiger dans les termes les plus blessans pour le gouvernement pontifical. Il était ainsi conçu : « Sa majesté l’empereur et roi Napoléon témoigne sa satisfaction aux troupes de sa sainteté pour leur bonne tenue. Elles ne recevront plus d’ordres à l’avenir ni des prêtres ni des femmes. Des soldats doivent être commandés par des soldats. Les troupes peuvent être assurées qu’elles ne retourneront plus sous les drapeaux des prêtres. L’empereur et roi leur donnera des généraux que leur bravoure a rendus dignes de les conduire[15]. »

Tandis que le général Miollis, procédant avec une rudesse évidemment imposée, et qui contrastait de la façon la plus singulière avec sa courtoisie bien connue, s’emparait par tous les moyens possibles de l’absolu gouvernement de la ville de Rome, la situation du ministre de France, M. Alquier, devenait de plus en plus embarrassante, et ce fut, nous le supposons, avec un véritable soulagement qu’il reçut enfin l’invitation de quitter son poste sans bruit, comme s’il avait demandé et reçu un congé. Il avait ordre de laisser pour chargé d’affaires à sa place un simple secrétaire de légation, M. Lefebvre. Cette détermination de l’empereur au sujet du rappel de son ministre à Rome était elle-même un signe des projets qu’il avait dès lors formés et sur lesquels sa pensée était irrévocablement fixée. Déjà, lorsqu’il avait voulu sévir une première fois contre le saint-père, il avait éprouvé une forte répugnance à laisser près de lui un personnage aussi considérable que son propre oncle, le cardinal Fesch. Il avait donc engagé ce grand dignitaire de l’église à revenir à Paris; il lui avait même recommandé, si par hasard il était obligé de rester à Rome, de laisser faire à Alquier (c’étaient ses propres expressions) tout ce qui serait odieux[16]. Aujourd’hui qu’il méditait de dépouiller entièrement Pie VII de sa souveraineté, et peut-être déjà de le faire un jour ou l’autre enlever de vive force du Vatican, il ne croyait pas davantage convenable pour M. Alquier, quoique simple ambassadeur laïque, d’assister de sa personne à la scène qui allait mettre fin à ce lugubre drame. C’était pour lui sauver cet ennui et cette honte qu’il l’avait autorisé à revenir en France. Avant de cesser ses fonctions diplomatiques, vers le milieu du mois de février 1808, le ministre de l’empereur, écrivant une dernière fois à M. de Champagny, se crut en conscience obligé de ne laisser à son gouvernement aucune illusion, s’il en gardait encore, sur les dispositions actuelles du saint-père. Les termes de cette dépêche, naturellement moins bienveillante pour Pie VII que ne l’était au fond celui qui l’adressait à Paris, étaient d’ailleurs parfaitement véridiques, et, sauf un peu d’exagération, rendaient un compte fort exact de ce qui se passait alors à Rome dans les conseils du gouvernement pontifical. « L’état d’irritation où se trouve aujourd’hui le saint-père est tel, disait M. Alquier, que je ne saurais trop répéter qu’il est capable de tous les éclats de la violence. Des cardinaux, effrayés des dangers dont la cour de Rome est menacée, ont vainement tenté d’adoucir sa résistance. Leurs représentations ont été repoussées avec l’opiniâtreté la plus désobligeante. Oserai-je le dire encore à votre excellence? cet homme n’est pas connu[17]. »


I.

Si, au lieu de ne rapporter à sa cour qu’une faible partie de la vérité, il avait osé tout lui dire, M. Alquier aurait pu nettement indiquer quelles circonstances précises et quels motifs particuliers avaient déterminé le changement inattendu qu’il signalait dans l’esprit du saint-père. S’il avait eu, comme son prédécesseur, M. Cacault, l’heureux privilège de parler en toute franchise et en toute liberté, il n’eût pas manqué de constater comment il était arrivé que Pie VII, resté d’abord assez calme aussi longtemps que son pouvoir temporel lui avait paru seul menacé, avait tout à coup témoigné la plus violente indignation le jour où, par l’arrestation de quelques-uns des membres principaux du sacré-collège, le gouvernement français avait ouvertement foulé aux pieds non plus seulement sa dignité de prince, mais son indépendance sacerdotale. Ce qui avait allumé sa colère, c’étaient les entraves mises à l’exercice des devoirs particuliers qui incombaient au chef de la religion, au pontife chargé du gouvernement intérieur et purement spirituel de l’église catholique. Dans les premiers temps qui suivirent l’occupation de sa capitale, le saint-père s’était en effet montré plus triste qu’irrité. Il n’avait point, on s’en souvient, fait difficulté de recevoir le général Miollis au lendemain de sa brusque irruption dans Rome. Malgré les paroles mensongères dont l’ambassadeur de France l’avait leurré pour dissimuler l’approche des troupes françaises, Pie VII n’avait pas cessé de le traiter comme s’il n’avait eu contre lui aucun sujet de plainte. Lorsque le 8 mars M. Alquier lui avait présenté les officiers de l’état-major français, le pape n’avait trouvé pour les accueillir que les paroles les plus gracieuses. « Nous aimons toujours les Français, leur avait-il dit le sourire sur les lèvres, et quelque douloureuses que soient les circonstances dans lesquelles nous vous voyons aujourd’hui, nous n’en sommes pas moins sensible à la démarche que vous faites auprès de nous. Vous êtes célèbres dans toute l’Europe par votre courage, et nous devons rendre justice aux soins que vous mettez à faire observer une stricte discipline par les soldats que vous commandez. » Des complimens aussi courtois, adressés à des militaires qui se montraient en maîtres dans tous les quartiers de sa ville et jusqu’aux portes de son palais, ne partaient pas d’un cœur bien ulcéré. Il était malaisé de prêter l’inflexible résolution de ne jamais accepter un raisonnable arrangement au prince qui prenait plaisir à traiter avec tant de bienveillance ceux-là mêmes que le gouvernement français employait à le dépouiller des derniers débris de sa puissance temporelle. Il ne faut pas craindre de le répéter, les inquiétudes principales du saint-père se portaient d’un tout autre côté. Satisfait d’avoir sauvé l’honneur du souverain par la protestation affichée sur les murs de sa capitale, résolu, malgré les instances du corps diplomatique, à ne pas sortir de l’enceinte du Quirinal afin de mieux constater qu’il se considérait toujours comme prisonnier. Pie VII avait fait provision de patience. Il ne lui déplaisait pas, en tant que chef d’état, de se renfermer aussi longtemps que possible dans une résistance toute passive, et l’on ne saurait même dire jusqu’où serait allée sa résignation. Le prince demeura toujours conciliant. Ce fut le pontife qui se révolta, et Pie VII ne devint véritablement intraitable qu’à l’heure précise où lui arriva de Paris l’injonction d’avoir à se priver du concours des plus grands dignitaires de son église, de ceux-là mêmes qui remplissaient près de lui dans les différentes congrégations cardinalesques des fonctions toutes spirituelles, exclusivement relatives au gouvernement des âmes. Cette mesure qui tombait tout à coup sûr des personnages placés si près de lui causait à Pie VII une émotion d’autant plus vive que, pour son compte, il avait d’avance accepté d’être lui-même frappé par l’empereur. Il s’y attendait même, car dans ses mains, dans ses mains seules, se trouvaient réunis et confondus les deux pouvoirs temporel et religieux. Souffrir un jour les plus rudes traitemens, la captivité ou l’exil, pour la défense des intérêts catholiques, de telles extrémités ne l’ébranlaient point; il y était depuis longtemps préparé. Le martyre même ne l’aurait pas trop effrayé, et volontiers il s’offrait en pensée comme une victime innocente aux terribles colères de l’empereur; mais qu’on osât mettre la main sur ses conseillers naturels, sur les auxiliaires indispensables de sa mission religieuse, que des prêtres qu’il n’avait jamais consultés qu’en matière de foi et sur des points de doctrine fussent violemment arrachés à leurs devoirs ecclésiastiques, c’était à ses yeux une iniquité, un commencement de persécution religieuse qu’il ne devait tolérer à aucun prix. L’hésitation ne lui était plus permise. Chacun des cardinaux reçut donc de la part de Pie VII l’injonction formelle de ne point quitter Rome. « Dans le cas où votre éminence, après avoir été indignement arrachée du sein du chef de l’église, serait rendue libre à quelque distance de Rome, c’est la volonté de sa sainteté, disait la lettre qui leur avait été adressée, que vous ne poursuiviez pas le voyage, à moins que la force ne vous conduise jusqu’au lieu de votre destination, et cela, afin de constater que la violence seule a pu vous éloigner du saint-siège[18]. »

Est-il besoin de dire que le général Miollis ne se laissa arrêter ni par les refus des cardinaux, ni par les sommations du saint-siège? Ses ordres ne comportaient point de compromis. Il les exécuta tels qu’il les avait reçus. A Rome, la consternation fut extrême quand partirent les cardinaux napolitains, et l’épouvante régnait surtout parmi leurs collègues du sacré-collège. Un autre sentiment animait Pie VII et lui fit prendre alors une détermination des plus graves : il résolut d’ôter ses pouvoirs de légat au cardinal Caprara et de le rappeler de Paris. Rompre officiellement tout rapport avec le souverain de la France, rien ne pouvait être en ce moment plus dangereux pour la cour de Rome; sa conscience une fois engagée, Pie VII, nous l’avons dit, ne regardait plus au péril. Il n’en était pas tout à fait ainsi autour de lui, et quand on apprit au Quirinal cette résolution inattendue du saint-père, l’émotion fut très vive. Si nous nous en rapportons à M. Alquier et à M. Lefebvre, que nous croyons avoir été dans cette occasion parfaitement informés, le saint-père avait énergiquement repoussé les pressantes remontrances des personnes qui d’ordinaire avaient le plus de part à sa confiance, et la secrétairerie d’état tout entière avait en vain cherché à faire obstacle à la volonté du souverain pontife. C’est qu’en effet la violence des mesures adoptées par l’empereur avait agi d’une façon très différente sur Pie VII et sur la très grande majorité des membres du sacré-collège. Chez le saint-père, l’indignation avait tout dominé. A coup sûr la rudesse du traitement infligé à leurs collègues avait beaucoup scandalisé les cardinaux romains; mais elle les avait en même temps considérablement alarmés, sinon sur leur propre sort, tout au moins sur celui qui attendait l’église, dont ils étaient les plus importans dignitaires. Combien s’annonçait terrible et périlleuse pour la religion la lutte engagée contre un homme qui dès le début recourait à de pareils excès! Les plus expérimentés des cardinaux, ceux-là surtout à qui l’âge faisait entrevoir avec effroi pour leurs vieux jours une période de troubles et d’épreuves, étaient d’accord pour penser qu’il y aurait une extrême imprudence à pousser à bout par une rupture éclatante un aussi puissant souverain que Napoléon. C’était également, on le devine sans peine, l’avis du cardinal Caprara. De plus en plus convaincu que c’était folie de vouloir résister à l’empereur, et qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de tout lui concéder pour s’assurer son indispensable bienveillance, le légat venait d’adresser de Paris de longues dépêches au cardinal Doria pour lui représenter avec force détails « qu’un système fédératif avec la France contre les Anglais ne serait en rien contraire aux devoirs du père commun des fidèles et aux traditions de la cour de Rome[19]. »

Ni les représentations de son entourage, ni les répugnances manifestées par la secrétairerie d’état, ne réussirent à dissuader Pie VII de prendre lui-même la plume pour envoyer au cardinal-légat l’ordre de son rappel. Il semble résulter de la teneur de sa lettre que le saint-père avait reçu avec grand déplaisir les conseils que Caprara avait jugé à propos de lui faire parvenir. Le soin avec lequel il insiste à plusieurs reprises sur la convenance d’un départ immédiat donne également à penser qu’instruit des véritables dispositions de son représentant à Paris Pie VII redoutait beaucoup que Caprara ne prît sur lui, comme il arriva effectivement, de n’exécuter qu’imparfaitement des ordres dont la signification n’avait cependant rien d’ambigu. Voici d’ailleurs la lettre presque entière du souverain pontife ;


« On a porté enfin la violence, disait Pie VII, jusqu’à mettre la main sur quatre de nos cardinaux, et à les conduire à Naples au milieu de la force armée, excès auquel il ne manque que la violation de notre personne elle-même pour que l’on puisse dire que le scandale a été complet. Dans cet état des choses, notre longanimité deviendrait une faute, et il ne nous est plus absolument permis de ne pas faire au moins connaître la douleur et l’horreur que nous éprouvons pour ce qui vient d’arriver. Nous ne pouvons, par le séjour de notre représentant auprès du gouvernement français, donner plus longtemps à penser que nous ne sommes pas profondément blessé de la persécution que l’on nous fait souffrir, et de l’oppression manifeste du saint-siège... Notre intention est donc que, si notre capitale n’est pas sans retard évacuée par les troupes françaises, vous demandiez vos passeports, et, après avoir enlevé vos armes, vous partiez avec le cardinal de Bayanne, notre légat extraordinaire, pour venir partager avec nous et vos confrères le sort qui nous est réservé. Nous ne voulons pas croire que l’on vous refuse les passeports, mais enfin, si cela était, notre volonté absolue est que vous partiez quand même, au risque de souffrir une violence personnelle qui n’en sera qu’une de plus ajoutées à celles souffertes sous nos yeux par vos confrères et à celles endurées par nous-même à la face de l’Europe entière. Si on exécute une telle violence personnelle, nous voulons que dès ce moment soient suspendus tous les pouvoirs dont vous et votre collègue avez été par nous investis, et nous vous en défendons tout usage sans exception aucune. Nous vous ordonnons, en vertu de l’obéissance que vous nous avez jurée et des devoirs qui en dérivent, l’entière et stricte observation de nos ordres, sans vous permettre d’élever aucune considération sur les effets que vous croirez pouvoir en résulter, attendu que c’est là notre pensée (pensiero), notre soin, et non le vôtre. C’est là ce que, dans la profonde douleur de notre âme, nous avons dû vous signifier, contraint par nos devoirs et par la nécessité de faire disparaître le scandale de notre coupable longanimité[20]. »


La résolution à laquelle venait de s’arrêter Pie VII était de sa part un acte tellement personnel, elle lui avait été si bien inspirée par la violence faite aux cardinaux napolitains, qu’à la suite de sa lettre se trouvait écrit de sa main le post-scriptum suivant :


« Ce matin, 4 mars, on a de plus ordonné le départ dans quarante-huit heures de tous les prélats napolitains. Beaucoup d’entre eux étaient en fonction. On désorganise le gouvernement pontifical. Peut-on exercer une plus grande violence? La teneur de la présente lettre est secrète pour tous, sans en exclure même le cardinal pro-secrétaire d’état. »


Il n’y a pas lieu d’en douter un moment, le rappel de son légat n’était pas autre chose dans la pensée du saint-père que le signe ostensible de sa volonté de rompre d’une façon définitive et publique avec le chef du gouvernement français. Afin que personne n’en ignorât, et pour mettre ses propres sujets et l’église catholique tout entière au fait de la ligne de conduite qu’il venait d’adopter. Pie VII réunit le 16 mars en consistoire tous les cardinaux présens à Rome. Depuis que les scellés avaient été mis sur les presses du Vatican, il n’y avait plus d’autre moyen pour Pie VII d’entrer en communication avec la chrétienté que de s’adresser verbalement aux membres du sacré-collège. Ce fut donc d’une voix émue, plus animée qu’abattue par la douleur, qu’il leur donna lecture d’une longue allocution papale, ou plutôt d’une sorte de discours dans lequel il les prenait pour ainsi dire à témoins de tous les outrages qu’il avait endurés de la part du chef de la France. Le début de son discours était vraiment pathétique.


« Il est donc arrivé, nos vénérables frères, ce jour malheureux que nous avaient annoncé, pendant trois années consécutives, tant de menaces non interrompues de l’empereur des Français, roi d’Italie, si nous nous opposions aux principes qu’il veut établir, aux droits qu’il prétend avoir et qu’il nous a fait connaître, soit par lui-même, soit par ses ministres, et si nous ne consentions pas aux demandes qu’il nous a faites. La presque totalité de nos états ayant été envahie, on s’est encore emparé de notre ville de Rome, qui est le siège de notre résidence et le centre de l’église catholique. Nous avons eu l’amère douleur de la voir remplie de troupes armées, opprimée, écrasée sous le poids des charges qu’on lui imposait en violant tous les droits des nations et toutes les règles de la justice. Nous avons vu un bataillon français prendre possession du château Saint-Ange ; nous avons vu placer des corps de garde dans toutes les rues, sur toutes les places publiques, sans en excepter même celle du palais Quirinal, qui est pour nous habituellement un séjour de repos, de paix et de tranquillité. Vous-mêmes, vénérables frères, quand vous vîntes naguère ici pour célébrer solennellement avec nous l’une des fêtes de la très sainte Vierge, mère de notre Dieu, n’avez-vous pas été obligés de passer à travers des faisceaux d’armes, de gens armés, de canons auxquels on était prêt à mettre le feu, et qui étaient dirigés contre les portes de notre demeure ? N’avez-vous pas été témoins de la profonde douleur, des gémissemens, des larmes, du silence et de la stupeur de tous les gens de bien qui se trouvent dans cette ville infortunée[21]? »


Ce préambule était suivi d’une énumération très détaillée de toutes les exigences mises en avant par Napoléon, et du récit des négociations auxquelles elles avaient donné lieu à Paris. Après avoir soigneusement expliqué quelles concessions il lui avait semblé possible de faire parce qu’elles n’entamaient pas l’essentiel de la foi, et quelles étaient au contraire celles qu’il avait dû repousser parce qu’elles étaient contraires aux devoirs du père commun des fidèles, Pie VII rappelait l’invasion à main armée de sa capitale par les troupes françaises et toutes les violences qui en avaient été la suite. Il insistait particulièrement sur l’arrestation des cardinaux napolitains.


« Comment taire, s’écriait-il, ce qui nous a si cruellement, ainsi qu’à vous, déchiré l’âme? Par un horrible sacrilège, sous nos yeux, à la vue de tous les habitans de cette ville qui en gémissaient, on a eu l’audace d’arrêter vos collègues, les cardinaux de la sainte église romaine qui sont originaires du royaume de Naples. On a traité de même les prélats de cette sainte église qui sont nés dans ce royaume, et la plupart d’entre eux ont été conduits vers Naples, accompagnés par des soldats français... C’est pourquoi, si l’esprit de douceur dont nous avons été constamment animé nous a empêché de rappeler nos légats à Rome le lendemain du jour où les Français se sont emparés de cette ville,... nous ne pouvons pas et nous ne devons pas souffrir, tandis qu’on nous tient ici dans la plus dure captivité, qu’au mépris de tout ce qu’il y a de plus sacré nos représentans demeurent encore à Paris, et que leur présence dans cette ville donne à entendre à toutes les nations que, si nous n’approuvons pas tout ce qui se passe à Rome et dans les autres états de notre dépendance, au moins nous n’en sommes pas très fâché. Nous avons donc pensé qu’il était de notre devoir de leur prescrire de faire connaître à l’empereur que, s’il persévérait dans ses sentimens, ils avaient ordre de quitter Paris et de revenir à Rome pour partager avec nous et leurs autres frères le sort qu’il plairait à la divine Providence de nous réserver... »


Ce sort, quel qu’il fût, Pie VII se disait prêt à en supporter toutes les rigueurs avec la plus parfaite résignation.


« Le seul soulagement qui nous reste au milieu des chagrins qui nous accablent, disait-il en terminant, c’est de nous rappeler les grandes preuves d’amour, de dévouement et de respect que nous ont données nos chers fils les Français, lorsque nous étions parmi eux. Nous désirons bien sincèrement leur témoigner notre reconnaissance par les moyens que nous prenons aujourd’hui. Nous exhortons, nous prions donc, nous conjurons l’empereur et roi Napoléon de changer de résolution et de reprendre les sentimens qu’il a manifestés au commencement de son règne. Qu’il se souvienne que le Seigneur Dieu est un roi bien au-dessus de tous les rois et de lui-même, tout puissant qu’il puisse être, qu’il ne fait acception de personne et ne respecte la grandeur de qui que ce soit, et que ceux-là qui commandent aux autres seront eux-mêmes jugés un jour par lui avec une extrême sévérité. Nous comprenons que nous avons présentement une grande persécution à souffrir; mais nous y sommes tout préparé, fortifié par ces paroles du divin Maître : Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice! »


Il n’y avait pas lieu de se le dissimuler, et à Rome surtout on n’entretenait à cet égard aucune illusion : le rappel du cardinal-légat et le discours prononcé par le saint-père dans le consistoire du 16 mars étaient des actes qui devaient exciter au plus haut degré le courroux de l’empereur. Pendant quelques semaines, les membres du sacré-collège et tous les fonctionnaires du gouvernement pontifical tremblèrent de voir arriver de France des ordres impitoyables qui précipiteraient le dénoûment d’une si funeste querelle. Les cardinaux romains ne se trompaient pas en effet sur les sentimens provoqués chez l’empereur Napoléon par les déterminations du saint-père; mais, au moment où la nouvelle lui était transmise à Paris, l’empereur était sur le point de partir pour Bayonne, et, tout entier aux affaires d’Espagne, il n’accordait plus à tout le reste qu’une attention assez distraite. Cependant, au sujet même de ce qu’il allait essayer à Bayonne, ses idées n’étaient pas encore parfaitement arrêtées. Que ferait-il de la couronne de ce grand pays, qu’il croyait ou qu’il feignait de croire entièrement disposé à se donner à lui? Il ne le savait pas encore positivement à cette époque. Serait-il possible de tout consommer par les seules voies de l’intrigue et de la perfidie, ou bien faudrait-il employer la force et recourir à la conquête? Comment le prévoir à l’avance? En tout cas, ainsi que l’explique si bien M. Thiers, il était parfaitement décidé, aussi longtemps que les choses resteraient en suspens, à ne pas se mettre à la fois sur les bras une guerre religieuse de l’autre côté des Alpes et une guerre politique par-delà les Pyrénées. Détrôner l’infortuné roi d’Espagne, qui venait si naïvement se confier à lui, mettre la main sur le pontife qui l’avait sacré et ne lui demandait en retour d’autre grâce que de vouloir bien respecter les obligations de sa conscience, c’étaient là des projets qu’agitait dès lors assez confusément l’âme toujours fort peu scrupuleuse de Napoléon; mais, si elle était sans frein, sa profonde ambition n’était pas encore sans prévoyance, et l’empereur comprenait parfaitement qu’il n’était ni opportun ni prudent de mener de front ces deux opérations. Il ne fallait même pas qu’on soupçonnât chez lui la pensée de les jamais entreprendre, car en pareille matière, ainsi qu’il l’écrivait à cette époque à son frère le roi Louis de Hollande, à qui par avance il offrait le trône de Ferdinand VII, « il faut qu’une chose soit faite pour qu’on avoue y avoir songé[22]. »

Retenu à Bayonne jusqu’à la fin de juillet 1808 par les difficultés de plus en plus inextricables dans lesquelles il s’était volontairement jeté en prenant à sa charge les affaires de l’Espagne, l’empereur n’avait plus le temps de s’occuper en grand détail de ce qui allait se passer à Rome. Il s’en était remis à M. de Champagny à Paris, au vice-roi d’Italie à Milan, et sur les lieux au général Miollis, du soin d’y pourvoir, n’intervenant de sa personne que de loin en loin pour imprimer aux uns et aux autres des directions qui ne concordaient pas toujours entre elles, car elles dépendaient de la fluctuation des événemens de l’autre côté des Pyrénées. Lorsqu’il entrevoyait comme prochaine l’issue de la lutte entamée avec la nation espagnole, Napoléon se sentait pressé d’en finir avec la résistance que lui opposait le saint-siège. Quant au contraire la guerre lui paraissait devoir s’éterniser, il prenait son parti d’ajourner à des temps plus opportuns les grands coups qu’il méditait de frapper sur la cour de Rome. En attendant, il a grand soin de ne rien rabattre de ses premières exigences. Avant de quitter Paris, il avait donné l’ordre à son ministre des relations extérieures de sommer encore une fois le saint-père d’avoir à entrer immédiatement dans la confédération italienne, sous peine d’être privé de son pouvoir temporel.


«... S’il s’y refuse, c’est qu’il veut la guerre. Or le premier résultat de la guerre, c’est la conquête, et le premier résultat de la conquête est le changement de gouvernement... La cessation des pouvoirs du légat et son rappel à la veille de la semaine sainte sont des mesures que la cour de Rome n’aurait pas songé à prendre, si elle avait encore été animée d’un véritable esprit évangélique... Quoi qu’il en soit, le saint-père ayant retiré ses pouvoirs au cardinal Caprara, sa majesté ne le reconnaissait plus pour légat. L’église gallicane rentrait alors dans l’intégrité de sa doctrine... Ses lumières, sa piété, continueront de conserver en France la religion catholique, que l’empereur mettra toujours sa gloire à faire respecter et à défendre... Rome était donc en guerre avec la France, et dans cet état de choses sa majesté aurait à donner les ordres que la tranquillité de l’Italie rendrait nécessaires[23]. »


Les mesures auxquelles M. de Champagny faisait allusion étaient de différente nature. Les unes, exclusivement comminatoires et de pure forme, n’aggravaient en rien la situation actuelle du pape. Tel était par exemple l’ordre envoyé à M. Lefebvre de présenter au saint-père l’ultimatum dont nous venons de parler et l’invitation de quitter Rome après un certain délai, si cet ultimatum n’était pas accepté. Ce qui était infiniment plus grave, c’était un décret signé par l’empereur le matin même du jour où il montait en voiture pour se rendre à Bayonne, car, si ce décret ne changeait rien par lui-même à l’état présent des choses, les considérans très singuliers dont il était accompagné étaient de nature à donner beaucoup à réfléchir à la cour de Rome.


« Attendu, disait-il, que la donation de Charlemagne, notre illustre prédécesseur, des pays comprenant l’état du pape a été faite au profit de la chrétienté et non à l’avantage des ennemis de notre sainte religion; considérant que le souverain actuel de Rome a constamment refusé de faire la guerre aux Anglais et de se coaliser avec les rois d’Italie et de Naples pour la défense de la presqu’île d’Italie ; considérant que l’intérêt des deux royaumes et de l’armée d’Italie et de Naples exige que leur communication ne soit pas interrompue par une puissance ennemie; vu la demande de passeport faite le 8 mars par l’ambassadeur de la cour de Rome auprès de nous, avons décrété et décrétons ce qui suit: Article 1er. Les provinces d’Urbin, Ancône, Macerata et Camerino seront irrévocablement et à perpétuité unies à notre royaume d’Italie... — Article 3. Le code Napoléon y sera publié... — Art. 4. Lesdites provinces formeront trois départemens...[24]. »


Un second décret du même jour ordonnait aux cardinaux, prélats, officiers et employés quelconques auprès de la cour de Rome natifs du royaume d’Italie d’avoir à rentrer dans le royaume, sous peine de confiscation de leurs biens en cas de désobéissance. Ces mesures, qui témoignaient de la mauvaise humeur de l’empereur en face de la résistance inattendue de Pie VII, n’aggravaient pas d’une manière notable la malheureuse situation du saint-père; mais elles ne furent pas les seules. A Rome, le général Miollis, soit qu’il obéît à de secrètes instructions de M. de Champagny dont nous n’avons pas retrouvé les traces, soit plutôt qu’il cédât, malgré sa modération ordinaire, à l’impatience assez naturelle que lui causait la position embarrassante où le maintenait son gouvernement, saisissait sans beaucoup de choix et sans aucune utilité apparente toutes les occasions possibles de blesser de plus en plus le pape. C’est ainsi que, le 7 avril, un officier commandant un détachement de soldats français se présentait par son ordre à la grande porte du palais du Quirinal. Le Suisse qui était de garde, ayant déclaré qu’il ne pouvait admettre une troupe armée dans la demeure du saint-père, offrit néanmoins à l’officier, s’il voulait entrer seul, de lui faire ouvrir la petite porte du palais. A peine cette porte était-elle entre-bâillée, que l’officier, s’y précipitant, fit signe à ses soldats de le suivre, et tous ensemble, la baïonnette en avant, s’élancèrent dans la cour du Quirinal; puis la troupe française se porta dans l’intérieur du palais et s’empara du petit nombre d’armes qui servaient à monter la garde dans les antichambres du souverain pontife[25]. Cette violation de son domicile, accomplie presque sous ses yeux au moyen d’une misérable ruse, fut extrêmement sensible à Pie VII. Il n’apprit pas avec moins d’émotion qu’à la même heure d’autres détachemens, envoyés par les rues de la ville, avaient arrêté et conduit au château Saint-Ange les soldats de sa garde noble ainsi que leurs principaux officiers. A coup sûr c’étaient, en cas de lutte avec l’armée française, de faibles défenseurs pour la cause du saint-père que ces jeunes gens qui appartenaient aux premières familles de Rome, et qui remplissaient auprès de. sa personne les mêmes fonctions qu’autrefois à Paris, à Versailles et à Vienne les fils de la noblesse avaient coutume de briguer à la cour de leurs souverains. Si de part et d’autre on avait couru aux armes, ce ne sont pas les vieilles hallebardes fleurdelisées que les étrangers remarquent avec étonnement aux mains des Suisses et des Bergamasques dans toutes les cérémonies religieuses de Rome qui auraient décidé du sort de la bataille. L’injure était gratuite, et par cela même d’autant plus amèrement ressentie par Pie VII. Quel motif, sinon l’envie d’aigrir profondément le saint-père et de le porter à quelque fâcheuse extrémité, avait pu engager le général Miollis à faire presque à la même époque arrêter un prélat distingué dont Pie VII faisait un cas tout particulier? La seule bienveillance que lui témoignait son souverain semblait avoir attiré cette violence sur la tête de Mgr Cavalchini, chargé des fonctions assez peu importantes de gouverneur de Rome[26].

Cette série de mauvais procédés, ces raffinemens dans le choix des coups dirigés contre sa dignité de pontife et son indépendance de souverain, avaient, quelle que fût sa douceur, fini par jeter le saint-père dans une sorte d’exaspération nerveuse. On lui avait déclaré la guerre, soit; il saurait bien la soutenir, il la soutiendrait par les moyens qui lui étaient propres, les seuls qui eussent été laissés à sa disposition. On l’accablait par la force matérielle, il ferait, lui, appel à la conscience de ses sujets. Le gouvernement français entendait exiger le serment des fonctionnaires nouvellement nommés dans les provinces italiennes détachées de ses états, eh bien! il leur interdirait ce serment. A des prétentions sans justice il opposerait les droits du prince légitime. Non-seulement il protesterait hautement par la voie diplomatique contre un décret inique (celui du 2 avril 1808) qui le privait des plus belles provinces de sa souveraineté temporelle[27], mais il écrirait aux évêques des provinces réunies au royaume d’Italie afin de les avertir de la conduite qu’ils avaient à tenir en face de l’usurpation française et des règles qu’ils devaient prescrire aux fidèles de leurs diocèses[28].

La décision à laquelle Pie VII venait de s’arrêter dépassait en importance toutes celles qu’il avait prises jusqu’à ce jour, et rien n’était plus grave, soit au point de vue politique, soit au point de vue religieux, que la teneur des instructions qu’il prenait sur lui de faire en ce moment parvenir aux évêques des provinces d’Urbin, d’Ancône, Macerata et Camerino. Non-seulement elles avaient pour but de circonscrire la nature des rapports que ces évêques étaient personnellement autorisés à entretenir avec les nouvelles autorités françaises, mais elles posaient au nom de la religion des principes qui devaient également servir de règle à tous les habitans catholiques de ces provinces. Après avoir établi que les droits de la souveraineté pontificale étaient d’une essence unique en son genre et supérieure à ceux de toutes les autres souverainetés. Pie VII parlait avec une réprobation toute nouvelle dans sa bouche de ce gouvernement français qu’il s’agissait de substituer au gouvernement de l’église.


« C’était, — s’écriait-il dans des termes à tout le moins un peu extraordinaires de la part de celui qui avait signé avec tant de satisfaction le concordat, et qui naguère encore, il y avait deux mois à peine, avait été sur le point de s’allier avec Napoléon contre l’Angleterre, — c’était un gouvernement notoirement envahisseur de la puissance spirituelle et protecteur de toutes les sectes et de tous les cultes. La formule de ses sermens, ses constitutions, son code, ses lois, ses actes, respirent l’indifférentisme pour toutes les religions, sans en excepter la religion juive, cette ennemie implacable de Jésus-Christ, et ce système qui ne suppose aucune religion est ce qu’il y a de plus injurieux, de plus opposé à la religion catholique, apostolique et romaine, laquelle, parce qu’elle est divine, est nécessairement seule et unique, et par là même ne peut faire alliance avec une autre, de même que le Christ ne peut s’allier avec Bélial, la lumière avec les ténèbres, la vérité avec l’erreur, la vraie piété avec l’impiété ! La protection jurée et si vantée du souverain des Français pour tous les cultes n’était donc autre chose qu’un prétexte et une couleur pour autoriser la puissance séculière à s’immiscer dans les affaires spirituelles, puisqu’en montrant tant de respect pour toutes les sectes avec toutes leurs opinions, le gouvernement français ne respectait en effet aucun droit, aucune institution, aucune loi de la religion catholique... Il résultait de là, poursuivait l’instruction adressée aux évêques italiens : 1° qu’il n’était point permis aux sujets du souverain pontife, tant ecclésiastiques que laïques, de prêter jamais à ce gouvernement intrus serment de fidélité, d’obéissance et d’attachement exprimé dans des termes illimités et qui comprendraient en eux-mêmes la déclaration d’une fidélité et d’une approbation positives, parce qu’un pareil serment serait un acte d’infidélité et de félonie envers le souverain légitime,... serment d’un scandale grave qui favoriserait un fait qui ne pouvait tourner qu’au détriment de la foi et à la perle des âmes, serment dans tous les sens répréhensible, injuste et sacrilège; 2° qu’il n’était pas non plus permis d’accepter et bien moins encore d’exercer des emplois qui auraient une tendance plus ou moins directe à appuyer, à aider, à consolider le nouveau gouvernement dans l’exercice de son pouvoir usurpé;... 3° qu’il n’était pas permis aux évêques et aux autres pasteurs ecclésiastiques de se prêter au chant du Te Deum à l’occasion de l’établissement du gouvernement illégitime... Sa sainteté espérait que, l’expérience elle-même ayant démontré à quel point il était dangereux pour la tranquillité publique d’exiger des sermens qui mettaient ceux auxquels ils étaient imposés dans la funeste alternative soit de trahir leur conscience, soit de s’exposer à des périls graves et imminens, une pareille extrémité serait épargnée à ses sujets; mais le contraire pouvait aussi arriver. Le nouveau gouvernement voudrait peut-être colorer une telle violence du prétexte de sa sécurité. Dans ce cas, sans contrevenir aux principes incontestables établis dans la présente instruction, on pourrait lui donner satisfaction par une formule qui, se restreignant à une promesse de fidélité et d’obéissance passive, c’est-à-dire de soumission et de non-opposition, en même temps qu’elle garantirait le repos public (qu’il n’est jamais permis aux particuliers de troubler par des complots et par des factions à cause des désordres et des scandales plus grands qui en résultent d’ordinaire), ne ferait tort ni à la justice ni à la religion... Quelque grande que puisse être la rigueur qu’on voudra exercer sur eux, les sujets de sa sainteté se rappelleront qu’ils sont chrétiens et par conséquent disciples de ce divin maître qui, en promettant de grandes récompenses éternelles dans la vie à venir, n’a annoncé et n’a prédit pour cette vie mortelle que des tribulations et des persécutions, et qui pour cela leur a enseigné à craindre non point ceux qui tuent le corps et ne peuvent aller plus avant, mais celui qui peut livrer l’âme et le corps à la perdition éternelle[29]. »


Il est plus facile d’imaginer que de décrire l’immense agitation jetée au sein des villes et des campagnes des Marches et de l’Ombrie par ces paroles adressées du haut du Vatican à des populations très catholiques, sur lesquelles leurs évêques, leurs curés, les moines surtout, avaient gardé une très puissante influence. Les dangers trop probables d’une révolte populaire, dont la responsabilité aurait lourdement pesé sur la conscience du saint-père (car la répression en aurait été aussi facile qu’impitoyable), avaient engagé beaucoup de bons esprits à détourner Pie VII de lancer cette imprudente provocation; mais il avait repoussé les instances de ses plus fidèles et plus intimes serviteurs. Il en était de cette instruction comme de la lettre de rappel du cardinal Caprara; elle était l’œuvre personnelle du saint-père. Depuis que par ordre de l’empereur tant de membres du sacré-collège avaient été enlevés de Rome, et parmi eux un certain nombre de cardinaux qui, rattachés par leur origine aux provinces devenues françaises ou réunies à l’Italie, auraient eu tout intérêt à calmer les impétueux sentimens de Pie VII, il arrivait une chose que Napoléon, s’il avait été lui-même plus modéré ou seulement plus prévoyant, aurait pu à l’avance facilement deviner. Le malheureux pontife, laissé à ses propres impressions, de plus en plus surexcité par la solitude qu’on avait faite autour de sa personne, mettant une sorte d’orgueil à témoigner que sa force était en lui-même et qu’on n’aurait jamais raison de liii par la violence, repoussait de parti-pris les avis qu’il suspectait de timidité, et se trouvait, par la force des circonstances et par la faute de l’empereur, n’avoir désormais auprès de lui, pour conseillers et pour auxiliaires dans la lutte opiniâtre qu’il avait à soutenir, que des cardinaux la plupart accablés de vieillesse et d’infirmités, ou des hommes plus jeunes, mais aussi plus obstinés, plus ardens, à passions très étroites et depuis longtemps connus pour leur hostilité envers la France. M. Lefebvre avait, comme M. Alquier, rendu un compte exact à M. de Champagny de ce qui se passait sous ses yeux à Rome, lorsqu’au moment de prendre congé du saint-père il l’avait représenté comme ayant, par sa volonté personnelle vivement exprimée, triomphé des hésitations persistantes du chef et de la plupart des fonctionnaires de la secrétairerie d’état, qui s’étaient en vain appliqués à vaincre ses scrupules. « Ceux qui étaient parvenus à alarmer la conscience du saint-père sont demeurés les plus forts, disait le chargé d’affaires de France. La teneur de la réponse à l’ultimatum que j’ai été chargé de lui remettre a été changée deux fois ce matin, tant on balançait encore sur le parti qu’on avait à prendre. Les théologiens eux-mêmes étaient partagés jusque dans le sacré-collège, et je ne doute pas que le refus de sa sainteté de s’entendre avec l’empereur ne consterne le plus grand nombre de ses plus chauds partisans. »

Ce n’étaient pas seulement quelques-uns des membres du sacré-collège qui regrettaient tout bas le parti auquel s’était arrêté le saint-père; à Rome, le corps diplomatique presque entier ne semblait pas approuver beaucoup l’opposition de Pie VII aux volontés de Napoléon. La forme essentiellement dogmatique et religieuse qu’il venait de donner à sa résistance par la lettre récemment adressée aux évêques d’Italie soulevait nombre d’objections de la part des légations étrangères. Au fond, il déplaisait aux ministres de ces puissances qui avaient tant de fois cédé à l’empereur, qui s’étaient l’une après l’autre si complètement humiliées devant lui, que le premier exemple d’une plus fière attitude fût donné par le faible souverain d’un si petit état. La Prusse protestante et la Russie schismatique n’avaient pas grande sympathie pour les malheurs du chef de l’église catholique. Chose singulière, la froideur était presque égale chez les représentans des nations qui reconnaissaient la juridiction spirituelle du souverain pontife. A l’exception de l’ambassadeur d’Espagne, ils avaient tous reçu avec une sorte d’indifférence affectée la protestation de Pie VII contre l’annexion des Marches et de l’Ombrie, tant ils avaient eu peur de mécontenter le gouvernement français. Le ministre de la Bavière, qui avait si bien profité des dépouilles de l’Autriche après Austerlitz, ne semblait à aucun degré trouver mauvais que l’empereur s’adjugeât d’un trait de plume les plus belles provinces du saint-siège. Le croirait-on? le ministre de l’empereur François II, qui dès lors méditait pourtant de rompre avec Napoléon pendant qu’il était si malheureusement engagé dans les affaires d’Espagne, le chevalier de Lebzeltern, d’ordinaire si favorable aux intérêts de la cour de Rome, demeurait lui-même tout à fait impassible. Rendant compte en termes très circonspects au comte Stadion des violences que le commandant des troupes françaises multipliait chaque jour contre le pauvre pontife, il n’hésitait pas en revanche à blâmer très positivement les instructions envoyées aux évêques. « Je ne puis dissimuler, quel que soit le respect dont je suis pénétré pour cette cour, que la lettre circulaire qui vient de lui attirer de nouveaux désagrémens, et que l’on qualifie ici de direction purement spirituelle, me paraît impolitique, d’ailleurs mal dirigée, et s’écartant tellement des lumières du siècle qu’elle ne pourrait que laisser une impression désagréable sur la plupart de ceux qui en feraient la lecture. Les sentimens qui y sont exprimés sur la tolérance des cultes regardent tous les souverains, et, quand même ils seraient conformes aux anciennes maximes, ce n’est point l’époque où ils peuvent être proclamés et appliqués, dès qu’ils sont en opposition avec les principes que des souverains pieux et zélés pour le catholicisme ont cru devoir établir... Il est toujours bien à déplorer, ajoutait M. de Lebzeltern, qu’une conciliation si désirable entre la cour de France et la cour de Rome paraisse devenir à tout moment plus problématique, sinon tout à fait impossible[30]. »

M. de Lebzeltern avait sans doute raison quand il blâmait l’imprudence de la circulaire adressée aux évêques italiens; il n’avait pas tout à fait tort non plus quand il regrettait, sans toutefois en donner des motifs ni très justes ni très relevés, les principes exposés par le saint-père dans sa circulaire. Ce n’en était pas moins un signe caractéristique de cette époque d’entendre un ambassadeur d’Autriche parler alors à Rome avec tant de goût des lumières du siècle ; à coup sûr, M. de Lebzeltern ignorait tout à fait les préparatifs de sa cour en vue d’une guerre prochaine avec l’empereur, quand il prenait résolument parti contre le pape en faveur des souverains si pieux et si zélés pour le catholicisme qui avaient eu le mérite d’établir la tolérance dans leurs états; il était loin de soupçonner l’alliance à peu près formée déjà, moyennant de gros subsides, entre l’Autriche et l’Angleterre, lorsqu’en termes pleins de tristesse il déplorait le manque fâcheux d’accord entre Rome et Paris. Quant aux nouveaux désagrémens que, par sa faute sans doute, s’était attirés la cour de Rome, voici ce dont il s’agissait.

A peine le général Miollis avait-il eu connaissance de la circulaire adressée aux évêques italiens, qu’il s’était hâté d’en envoyer copie à Bayonne; mais il fallait attendre longtemps avant de recevoir les instructions de l’empereur. Que déciderait-il? Il était bon cependant de prévenir des troubles qui par le fait n’éclatèrent point, mais qu’à Rome chacun croyait imminens dans les provinces italiennes récemment annexées. Ainsi que nous l’avons dit, il y avait eu division jusque parmi les membres du gouvernement pontifical sur l’opportunité des instructions envoyées aux, évêques de ces provinces. On disait beaucoup que le secrétaire d’état ne les. avait pas approuvées, ce qui paraissait vrai; on ajoutait même, ce qui ne l’était point, qu’il avait refusé de les signer. Le général Miollis, encouragé par ces fausses rumeurs et s’exagérant d’ailleurs beaucoup l’importance du mouvement d’opinion qu’il croyait voir se prononcer à Rome en faveur du régime impérial, en était venu à penser que le moment était venu de frapper un grand coup d’autorité. Il avait donc envoyé deux officiers français au Quirinal, chez le cardinal Gabrielli, s’enquérir s’il était l’auteur des instructions, à quoi le cardinal avait répliqué qu’interpellé officiellement il n’avait pas autre chose à dire, sinon qu’il n’avait de compte à rendre de ses actions et des affaires dont il était chargé qu’à Dieu et à son souverain; interrogé amicalement, il répondrait sans hésiter qu’il avait en effet signé ces instructions. Le lendemain, les mêmes officiers se présentèrent une seconde fois chez le secrétaire d’état, procédèrent à la levée des scellés qu’ils avaient la veille apposés sur ses papiers, et, après les avoir examinés, lui intimèrent de la part du général Miollis l’ordre de se rendre directement à son logis, où il demeurerait prisonnier jusqu’à ce qu’il fût le lendemain conduit par la force armée à son évêché de Sinigaglia[31]. Cette arrestation du ministre de sa sainteté, qui était Romain de naissance, arrestation faite dans le propre palais de Pie VII, à quelques pas de son appartement, presque sous ses yeux, cette main mise sur les papiers de la secrétairerie d’état par deux militaires français, tout cela n’était pas seulement une forte mesure prise par le général Miollis, ainsi que la qualifiait par une expression très adoucie M. de Lebzeltern écrivant au comte Stadion à Vienne; c’était de sa part une démarche aussi fausse que monstrueuse. L’effet immédiat de cette violence fut de rejeter très vite au second plan la lettre assez malencontreuse adressée aux évêques. Tous les esprits honnêtes, toutes les âmes généreuses, n’éprouvaient plus d’hésitation; l’opinion, un instant indécise, redevenait plus que jamais favorable à la cause du saint-père et contraire au gouvernement étranger dont les agens se permettaient de si étranges abus de pouvoir.

Que pensait cependant l’empereur Napoléon des scènes si nouvelles qui se succédaient si rapidement dans la capitale du saint-siège? La vérité est que son attention était alors à peu près absorbée par d’autres scènes non moins étranges qui venaient de se passer sous ses propres yeux à Bayonne, et dont les conséquences étaient en train de se produire de la façon la plus inattendue pour lui, la plus désastreuse pour nos soldats, sur le versant opposé des Pyrénées. Si nous nous en rapportons à la correspondance de l’empereur, il semble que des impressions contraires se soient tour à tour partagé son esprit. A son départ de Paris, quand il espérait encore arranger vite et facilement les affaires d’Espagne, il avait adressé au prince Eugène, vice-roi d’Italie, des instructions où régnait la plus entière confiance, celle d’un homme toujours assuré du succès et qui ne cherche qu’à en tirer le plus d’effet possible. Il lui avait écrit : « Je désire retarder jusqu’au 30 avril l’exécution de mon décret relatif aux quatre légations, et que vous le teniez jusque-là très secret. Ces dix jours de plus vous mettront à même, ajoutait-il, de prendre mieux vos mesures, de mieux régler tout, de manière que tout cela se fasse comme un coup de théâtre[32]. » Napoléon s’était toujours complu aux coups de théâtre ; mais la pièce montée à Bayonne n’avait qu’à moitié réussi : elle avait eu pour triste dénoûment l’insurrection de l’Espagne presque entière. Contre cette nation partout soulevée pour défendre son indépendance, nos armées étaient encore restées victorieuses toutes les fois qu’elles avaient agi par grandes masses ; cependant elles étaient déjà presque cernées par des bandes qui détruisaient impitoyablement tous nos corps détachés. Une grande déception, des embarras sans nombre, des périls redoutables, se montraient là où l’empereur n’avait entrevu qu’une facile conquête. Le temps n’était plus où l’on pût aller courir en Italie quelque semblable aventure. Il valait mieux tout ajourner. Ce que l’empereur aurait préféré, c’était de n’avoir plus à s’occuper en aucune façon de cette ennuyeuse question romaine, d’autant plus ennuyeuse qu’elle tombait si mal à propos. Il lui déplaisait qu’on lui en parlât ou même qu’on s’en entretînt. Telle était la disposition d’esprit dans laquelle vint le surprendre à Bayonne la nouvelle de l’arrestation du cardinal secrétaire d’état Gabrielli. Rien de plus incommode ; mais c’était chose faite. Il ne voulut ni l’approuver positivement, ni surtout la blâmer. Le 17 juillet 1808, c’est-à-dire quelques jours avant d’apprendre une autre nouvelle bien autrement désastreuse, celle de la capitulation du malheureux général Dupont, capitulation qui allait causer à l’empereur un si violent désespoir et porter à sa puissance une si formidable atteinte, il écrivait au vice-roi d’Italie : « J’ai vu avec plaisir que vous avez fait venir à Milan le cardinal Gabrielli, évêque de Sinigaglia. Il faut le laisser là. Quand vous pourrez le voir, vous lui demanderez s’il veut ou non prêter le serment prescrit par le concordat. S’il ne veut pas, vous l’enverrez dans un couvent ; vous séquestrerez son temporel… On ne lui laissera qu’une pension alimentaire de 1,000 écus. Tout cela doit se faire sans bruit. Il ne faut imprimer aucun décret… » Agir sans parler, sans rien écrire, s’il était possible, surtout sans rien laisser imprimer, telle paraît être la principale recommandation que l’empereur faisait alors parvenir à ses agens en Italie. Moins on en parlera, mieux cela vaudra, c’est à quoi il revient sans cesse. « Ayez soin, ajoute-t-il en terminant sa lettre au vice-roi, ayez soin qu’il ne soit question de cela dans aucune gazette, et qu’on n’en fasse aucun bruit[33]. »


III.

Le jour même où le cardinal secrétaire d’état Gabrielli avait été enlevé de Rome par la force armée. Pie VII nommait pour le remplacer le cardinal Pacca. Ce choix lui-même était la meilleure preuve du tort que l’empereur avait fait à sa cause en éloignant du saint-père tant de membres du sacré-collège. Laissé libre dans ses préférences, jamais le saint-père n’aurait de son propre mouvement confié au cardinal Pacca les fonctions du ministère. Ce n’était pas que le cardinal Pacca fût un personnage obscur ou médiocre d’esprit, loin de là. Il appartenait à cette portion du sacré-collège qui, sans avoir jamais fait acte d’opposition ouverte à l’égard du cardinal Consalvi, n’avait pas craint toutefois d’exprimer à plusieurs reprises quelques doutes sur la convenance et l’utilité des concessions faites à l’empereur des Français par ce fidèle serviteur et cet ami intime de Pie VII. Il en était résulté que, sans être, à vrai dire, en disgrâce, le cardinal Pacca était depuis un certain nombre d’années demeuré un peu à l’écart des affaires. Il n’avait pas au fond de son cœur approuvé l’alliance contractée en 1801 avec le chef de la révolution française, non plus que le concordat, et encore moins le voyage du saint-père à Paris pour le sacre. Ses sympathies avérées étaient d’un tout autre côté. Il était avant tout homme d’ancien régime : non pas, tant s’en faut, qu’il fût un prêtre rigide, altier et d’un caractère intraitable; tout au contraire il était aimable, enjoué, plus versé qu’aucun de ses confrères du sacré-collège dans la société romaine, s’y plaisant assez et y plaisant beaucoup, très vif dans la conversation, très prompt à la riposte, fort arrêté dans ses idées, peu différentes de celles que le comte Joseph de Maistre, un Italien de Savoie, défendait alors avec tant de verve dans les salons de Saint-Pétersbourg, mais ne craignant pas non plus d’examiner toutes choses sous leurs divers points de vue, facile à émouvoir comme la plupart de ses compatriotes, et cependant intrépide, allègre même en face du danger. Tel était alors le nouveau ministre qu’au mois de juin 1808 Pie VII venait d’appeler près de lui, et tel encore nous l’avons connu à Rome vingt ans plus tard dans son alerte vieillesse, l’un des chefs les plus actifs du parti absolutiste, demeuré malgré ses quatre-vingts ans un intrépide causeur, médisant volontiers de la France et rappelant toujours avec la plus évidente satisfaction les années qu’il y avait passées presque toujours en captivité, affectant de mépriser beaucoup les idées libérales et recherchant de préférence les hommes qui les professaient avec le plus d’éclat. Avec de telles opinions, qui n’aurait cru que le nouveau secrétaire d’état allait aussitôt entrer en collision avec le général Miollis? Il n’en fut rien; au contraire les rapports entre la cour de Rome et le commandant des troupes françaises semblaient se détendre un peu. Comme il arrive le plus souvent dans les affaires humaines, le ministre du saint-siège, précisément parce qu’il était décidé à opposer une résistance très énergique aux exigences du gouvernement français, était d’autant plus porté à se montrer conciliant dans les incidens de peu d’importance. Il s’abstint pendant plusieurs jours d’élever aucune plainte, de formuler aucun grief; il prit même soin de témoigner à l’égard des Français les dispositions les plus pacifiques, si bien que le général commençait à voir avec plaisir un choix qui l’avait d’abord passablement mécontenté[34]. Ce fut le pape qui se lassa le premier de cette patience de son ministre. « Monsieur le cardinal, lui dit-il dans une de ses audiences du matin, on prétend dans Rome que nous dormons; il faut prouver que nous sommes éveillés et adresser au général français une note vigoureuse. » Ce n’étaient pas les occasions de noie qui manquaient, car les violences des autorités françaises n’avaient pas un instant discontinué. Jusque-là, le cardinal Pacca avait cherché des biais pour n’avoir pas à récriminer officiellement contre les mesures ordonnées par le général Miollis. Il avait recommandé sous main aux employés du gouvernement pontifical de se prêter, dans l’exercice de leurs fonctions, à tous les actes qui ne seraient pas absolument incompatibles avec leurs devoirs envers le saint-père. Quand des difficultés s’étaient élevées entre les fonctionnaires des deux gouvernemens, il s’était efforcé, avant de rien publier, d’entrer verbalement en pourparlers avec le général. La plupart du temps leurs entretiens avaient été pacifiques et courtois. Une fois seulement le commandant des troupes françaises s’était échappé à dire que Napoléon lui avait donné ordre de faire pendre ou fusiller tous ceux qui, dans les états pontificaux, auraient la témérité de s’opposer à ses volontés souveraines. « Général, répondit Pacca, depuis le jour de votre entrée à Rome, vous devez avoir appris que les ministres de sa sainteté ne se laissent pas intimider par des menaces. En ce qui me regarde, j’exécuterai fidèlement les ordres de mon souverain, quoi qu’il m’en puisse arriver[35]. » Pour le moment, le général Miollis préféra en rester là.

Cependant les intentions du saint-père étaient positives. Il lui semblait qu’il manquait à ses devoirs les plus sacrés en ne protestant pas à la face du ciel contre les violences dont il était l’objet. Déjà il s’était donné une première satisfaction en réunissant les cardinaux en consistoire le 11 juillet 1808 pour leur lire une seconde allocution pontificale dictée par les mêmes sentimens qui avaient inspiré celle du 16 mars. Elle se terminait comme la première par une invocation à la toute-puissance céleste.


« Quant à nous, disait Pie VII, nous invoquons le Dieu tout-puissant qui est le roi des rois, le seigneur des seigneurs, le Dieu des armées, qui trouble, quand il lui plaît, l’esprit des princes, le Dieu protecteur, le Dieu vengeur de notre cause ou plutôt de la cause de son église, nous le supplions de jeter du haut du ciel ses regards sur nous, de prendre soin de la vigne qu’il a plantée, de la garder et de la défendre contre ses ennemis. Nous le conjurons de nous assister actuellement de son puissant secours, de soutenir son église et de se charger lui-même du soin de sa propre cause. Ne cessons point, vénérables frères, ne cessons point d’unir nos prières et nos plus vives instances dans le jeûne et dans les larmes, car le père de toutes les consolations est aujourd’hui notre unique refuge. Levons donc nos yeux vers cette sainte montagne dont nous pouvons attendre notre secours, et implorons celui du prince des pasteurs, afin qu’il commande aux orages et qu’il se fasse un grand calme. « Le Seigneur est avec son peuple, et pour toujours[36]. »


Quel qu’en fût le retentissement au sein du clergé pontifical et parmi la société romaine, les paroles adressées par le saint-père aux cardinaux ne pouvaient être entendues bien loin, alors que le saint-siège ne possédait plus une seule imprimerie pour répandre dans toute la chrétienté les plaintes douloureuses du chef de l’église, et l’empereur, si cela lui convenait, pouvait feindre lui-même de n’en avoir pas ouï parler. C’est pourquoi Pie VII insistait pour que son nouveau secrétaire d’état prît la plume et adressât au général Miollis de nouvelles protestations. « J’avoue, dit à ce propos le cardinal Pacca, que le ton haut et acerbe de ces notes me faisait quelque peine et me paraissait même peu convenable dans la correspondance d’un ministre ecclésiastique; mais je dus me conformer à la volonté de mon souverain, qui suivait en cela l’opinion publique et celle de tous les gens de bien[37]. » Parmi ces notes, quelques-unes avaient trait à des arrestations arbitraires faites par les autorités françaises, et d’autres se rapportaient à des actes de violences commis par des hommes porteurs de la cocarde tricolore; mais l’écrit qui souleva principalement les colères du général Miollis fut une notification relative à la garde civique qui s’organisait alors dans les états romains, malgré l’opposition du saint-père, avec l’assentiment secret, quoique souvent démenti, des autorités françaises. Le 24 août au matin, cette notification, revêtue du sceau pontifical et signée de la main de Pie VII, avait été simultanément affichée tant à Rome que dans toutes les villes des environs, et les mesures du cardinal Pacca s’étaient trouvées si bien prises, la surveillance française si complètement déjouée, que pas un seul des nombreux agens employés par le cardinal secrétaire d’état ne fut saisi ni même découvert.

Pour s’expliquer l’irritation qu’éprouva le général Miollis en apprenant l’audacieuse démarche du cardinal Pacca, il faut se rappeler au milieu de quelles circonstances elle venait de se produire, et quel était l’état général du continent européen au moment où le saint-père se mettait à renouveler tout à coup ses plaintes contre l’empereur Napoléon non-seulement avec une vivacité nouvelle, mais aussi avec une sorte de confiance inusitée. Ce moment était celui où les cours étrangères apprenaient, non sans surprise et sans une joie assez mal dissimulée, les désastreux détails de la capitulation du général Dupont à Baylen, le départ précipité de Madrid du roi Joseph et l’envoi fait en Espagne d’un renfort de 100,000 vétérans, enlevés subitement à l’armée du Rhin. A Rome, comme ailleurs, on savait que l’empereur allait prendre lui-même en main, de l’autre côté des Pyrénées, la conduite de la guerre contre la nation espagnole révoltée; à Rome, plus qu’ailleurs, on était sympathique à la cause d’un peuple qui prenait les armes pour défendre son souverain légitime et sa foi religieuse : justement parce qu’on formait des vœux contre l’empereur et pour les Espagnols, on n’était pas éloigné de croire un peu, comme il arrive toujours, aux événemens que l’on désirait si fort. Devançant de beaucoup les faits, on voyait déjà les Espagnols, aidés des Anglais, triompher de l’habileté du grand capitaine et du courage de ses vaillans soldats. On espérait, tout en tremblant encore, car la fortune avait souvent trahi pareille attente, on espérait cependant voir enfin arriver le terme de l’occupation française. Ce qui ajoutait peut-être à cette demi-confiance du Vatican, c’est qu’il n’ignorait probablement plus la diversion projetée de l’Autriche en Allemagne et ses armemens considérables, armemens assez manifestes déjà pour avoir excité les ombrages de Napoléon et donné lieu de sa part (15 août 1808) à la scène publique qu’il n’avait pas craint de faire en pleine cour à l’ambassadeur autrichien à Paris, le prince de Metternich.

Cette prévision d’une lutte possible avec l’Autriche avait déterminé quelques mouvemens de troupes en Italie. Les provinces du midi et du centre avaient été dégarnies des corps détachés qui les occupaient, et le vice-roi avait été invité à les rapprocher autant que possible des rives de l’Adige et du sommet des montagnes du Tyrol. Un assez grand nombre d’officiers et de soldats placés à Rome et dans les environs, sous les ordres du général Miollis, avaient été également rappelés du côté de Milan. Le général Miollis, qui se sentait un peu faible et presque désarmé devant le nouveau ministre du saint-père, qu’il voyait animé de velléités de résistance auxquelles il ne s’attendait plus, s’imagina qu’il ne lui en coûterait pas un grand effort pour faire brusquement disparaître de la scène, comme précédemment la cardinal Gabrielli, ce secrétaire d’état qui avait le tort de se rendre si incommode. Le 6 septembre 1808, tandis qu’il traitait d’affaires avec un prélat romain, le cardinal Pacca vit entrer dans ses appartemens du Quirinal un major piémontais au service de la France accompagné d’un autre officier; ils venaient tous deux de la part du général Miollis lui intimer l’ordre de quitter Rome dans les vingt-quatre heures. Ces messieurs l’avertirent qu’il « trouverait à la porte Saint-Jean une escorte de dragons chargés de l’accompagner jusqu’à Bénévent, sa patrie. » Pacca n’était pas homme à se troubler pour si peu. Il répondit qu’il n’avait d’ordre à recevoir chez lui de qui que ce fût, et qu’il allait prendre ceux de son souverain. Le major piémontais lui dit alors qu’il ne sortirait pas de la pièce où il était, et que son compagnon était chargé de l’y garder à vue. Le secrétaire d’état demanda la permission d’écrire à sa sainteté, puisqu’on lui interdisait de se rendre en personne auprès d’elle. Le major piémontais y consentit, et, se retirant, laissa le cardinal Pacca sous la surveillance de son camarade. Quelques minutes après, pendant que le secrétaire d’état causait avec son gardien de choses indifférentes, la porte de son cabinet s’ouvrit avec fracas; c’était Pie VII qui entrait. « Je fus alors témoin, raconte Pacca, d’un phénomène dont j’avais entendu parler, l’horripilation. Dans un accès de puissante colère, il arrive parfois que les cheveux se hérissent et que la vue est entièrement troublée. L’excellent pontife était dans cet état, et, quoique je fusse vêtu en cardinal, il ne me reconnut pas. — Qui est là? s’écria-t-il d’une voix forte. — Je suis le cardinal, lui répondis-je en lui baisant la main. — Où est l’officier? reprit le saint-père, et je le lui montrai près de moi dans une attitude respectueuse. Alors le pape se tournant vers lui : — Allez, dit-il, annoncer à votre général que je suis las de souffrir tant d’insultes et d’outrages de la part d’un homme qui ose encore se dire catholique. Je n’ignore point quel est le but de toutes ces violences : on voudrait, en me séparant peu à peu de tous mes conseillers, me mettre hors d’état d’exercer mon ministère apostolique et de défendre les droits de ma souveraineté temporelle. J’ordonne à mon ministre de ne point obéir aux injonctions d’une autorité illégitime. Que votre général sache que, si la force doit l’arracher d’auprès de moi, ce ne sera qu’après avoir brisé toutes les portes, et je le déclare à l’avance responsable des conséquences d’un aussi énorme attentat. » L’officier français, un peu interdit, demanda respectueusement au cardinal de vouloir bien lui traduire les paroles de sa sainteté, qu’il n’avait pas comprises parce qu’il n’entendait pas l’italien, et promit de les rapporter fidèlement à son général. A peine était-il sorti : « Monsieur le cardinal, allons, » s’écria Pie VII, et, prenant le secrétaire d’état par la main, il remonta vers ses appartemens par le grand escalier du palais au milieu des serviteurs pontificaux, qui ne pouvaient retenir leurs applaudissemens. Trois pièces contiguës à sa chambre à coucher furent désignées par le saint-père pour servir de demeure à son ministre. Le soir même, il donna l’ordre de fermer la porte principale du Quirinal, et de ne plus jamais laisser entrer un seul officier français, quel que fût son grade et sous n’importe quel prétexte.

La nouvelle de cette scène étrange se répandit dans Rome avec une extrême rapidité. Il n’y avait nulle part assez d’éloges pour la courageuse fermeté du saint-père. Le peuple romain, tout le clergé et surtout les habitans du Transtévère se montraient particulièrement satisfaits et fiers de l’attitude qu’avait enfin prise le chef de la catholicité. Qu’allait faire maintenant le général Miollis? Irait-il enlever Pacca jusque dans les bras du saint-père? Le général Miollis, un peu désappointé du malheureux succès de sa démarche, prit un parti infiniment plus sage; il se tint parfaitement tranquille. Aussi bien le temps n’eût pas été opportun pour créer de nouveaux embarras à son maître. L’empereur venait d’annoncer au sénat[38] l’intention de pousser les affaires d’Espagne avec la plus grande activité, et d’aller détruire lui-même les armées que l’Angleterre avait débarquées dans ce pays. Le ton de son message au premier corps de l’état n’était pas dépourvu d’une certaine gravité sérieuse et un peu triste qui contrastait avec d’autres documens jadis écrits en pareille occurrence avec l’entrain d’un homme assuré de courir à de nouveaux succès. Évidemment la parole était aux événemens de la guerre, et les affaires de Rome, cette fois encore comme par le passé, devaient se résoudre ailleurs que dans ses murs et sur des champs de bataille bien éloignés de l’Italie. La pensée de l’empereur était présentement occupée d’autre chose que de sa querelle avec le saint-père; mais, tandis qu’il poursuivait jusqu’en Castille, dans l’Aragonais et dans l’Andalousie les armées réunies de l’Espagne et de l’Angleterre, il n’était pas cependant si distrait des événemens survenus à Rome, qu’il ne s’en expliquât de façon à bien donner à entendre que l’exécution de ses desseins n’était qu’ajournée et nullement abandonnée. « Le code Napoléon, écrivait-il d’Aranda le 27 novembre 1808 au nouveau roi des Deux-Siciles, Joachim Murat, le code Napoléon est adopté dans tout le royaume d’Italie, Florence l’a, Rome l’aura bientôt, et il faut bien que les prêtres cessent de caresser les préjugés et se mêlent de leurs affaires[39]. » Cette sortie contre les prêtres était certainement à l’adresse de Pie VII, et de la part de l’empereur une réponse à la scène du 6 septembre. C’est également pour se venger de l’opposition si malséante du pape à ses desseins que, de sa résidence de Chamartin, auprès de Madrid, il écrivait aux évêques d’Italie, après la prise de Rozas, « pour les inviter à chanter un Te Deum dans leurs saintes églises et y faire les prières accoutumées, afin de demander à Dieu, de qui tout émane, qu’il continue à bénir les armes françaises et qu’il écarte du continent la maligne influence des Anglais, aussi ennemis de toute religion que du repos et de la tranquillité des peuples[40]. » Au 1er janvier 1809, encore retenu à Benavente en Espagne, Napoléon, qui avait en vérité le don de penser à tout, avait découvert un moyen qui lui avait beaucoup souri de se rendre personnellement désagréable à Pie VII.


« Monsieur de Champagny, écrivait-il à son ministre des relations extérieures, le pape est dans l’usage de donner des cierges aux différentes puissances. Vous écrirez à mon agent à Rome que je n’en veux pas. Le roi d’Espagne n’en veut pas non plus. Écrivez à Naples et en Hollande pour qu’on les refuse... Mon chargé d’affaires fera connaître que le jour de la Chandeleur je reçois des cierges bénits par mon curé, que ce n’est ni la pompe ni la puissance qui donnent de la valeur à ces sortes de choses. Il peut y avoir en enfer des papes comme des curés; ainsi le cierge bénit par mon curé peut être une chose aussi sainte que celui du pape. Je ne veux pas recevoir ceux que donne le pape, et tous les princes de ma famille doivent en faire autant[41]. »


Rendu à Paris, l’empereur écrivait à peu près à la même époque au vice-roi d’Italie : « Cesarotti a laissé une histoire des papes; faites-vous rendre compte de cet ouvrage, et, s’il tend à faire connaître le mal que les papes ont fait à la religion et à la chrétienté, faites-le imprimer sans délai[42]. »

Ces puérilités de conduite et ces rudesses de langage, sans importance en elles-mêmes, n’ont d’intérêt que par le jour qu’elles jettent sur les sentimens de profonde irritation contre le pape qui couvaient chez l’empereur, sentimens encore dissimulés ou du moins un peu contraints, auxquels le retour des faveurs de la fortune allait bientôt lui permettre de donner enfin libre cours. Nous fatiguerions inutilement nos lecteurs, si nous les entretenions en détail de tous les petits incidens qui se succédèrent à Rome depuis le moment où le général Miollis avait en vain tenté d’arrêter le cardinal Pacca, désormais préservé contre de semblables violences par sa résidence habituelle auprès du saint-père, jusqu’au jour où fut officiellement proclamée la réunion définitive des états romains à l’empire français. Les scènes que nous avons déjà fait passer sous leurs yeux suffisent à bien indiquer quelle était la situation réciproque des deux partis mis en présence. Ainsi qu’il est naturel de le supposer, cette situation n’avait fait que s’envenimer en se prolongeant. De plus en plus la partie distinguée de la société romaine et le bas peuple des faubourgs prenaient parti pour le saint-père.

C’est ainsi que le général Miollis, ayant voulu, contre l’ordre précis de Pie VII, faire célébrer avec l’éclat accoutumé les fêtes du carnaval, avait dû employer des mesures de rigueur pour dresser des échafaudages le long du Corso; les Juifs eux-mêmes avaient refusé de fournir les tapisseries d’ornementation et les prix pour la course de chevaux qui d’ordinaire a lieu le mardi gras. Ce jour-là, tout le peuple romain s’était, comme sur un mot d’ordre, abstenu de paraître sur les places publiques, et les rues étaient presque désertes. Par contre, il faut dire que le commandant des troupes françaises s’était créé quelques partisans au sein de cette portion de la bourgeoisie qui s’était autrefois ralliée à la république romaine après l’enlèvement du pape Pie VI. Ses efforts secrets tendaient à l’organiser révolutionnairement et à l’exciter sous main contre le gouvernement pontifical, besogne toujours facile à quiconque prend plaisir à mettre en relief tous les vieux abus traditionnels si résolument niés de nos jours, mais qui n’en existaient pas moins à cette époque, puisqu’ils sont à plusieurs reprises non-seulement reconnus, mais tout au long dénoncés dans les mémoires des deux secrétaires d’état Consalvi et Pacca. Le commandant des troupes françaises avait pour cela des facilités singulières. Il disposait de la Gazette romaine, sur laquelle il avait mis la main malgré la protestation du saint-père et de son ministre ; il pouvait y faire insérer à son gré des articles auxquels le gouvernement pontifical n’avait pas le droit de répondre. Il avait également à sa merci une sorte de garde civique portant on ne sait pourquoi la cocarde française et composée en partie d’Italiens des provinces du nord et du midi, en partie d’une foule de gens sans aveu. Au milieu de cette confusion indescriptible, il régnait toutefois un certain ordre extérieur et une sorte de tranquillité matérielle qui faisait l’étonnement du petit nombre d’étrangers qui résidaient encore à Rome. Le saint-père continuait à être moralement obéi et respecté par l’immense majorité de ses sujets, comme s’il fût demeuré en possession de toute sa puissance temporelle. De son côté, le général Miollis, allié par nécessité, mais sans goût, aux hommes de désordre, maintenait la discipline non-seulement dans les rangs de son armée, dont l’attitude était exemplaire, mais jusque parmi ses compromettans auxiliaires.

Un tel état des choses ne pouvait certainement durer longtemps ; mais, comme nous l’avons dit tant de fois, la solution qu’allait recevoir la question romaine ne dépendait en aucune façon de ce qui se passait sur les lieux entre le pape et le général Miollis. À coup sûr, le parti de l’empereur était pris. Dans sa pensée, le pouvoir temporel des papes était définitivement condamné. A quel moment se croirait-il assez fort pour lui donner le coup de grâce ? Là était toute la question. Elle dépendait uniquement de ce qui, allait advenir en Europe. Déjà les succès remportés dans le courant de l’été et de l’automne de 1808 contre l’Espagne catholique donnaient à Napoléon la facilité de garder moins de ménagemens envers le saint-siège, et tout aussitôt il en profita pour faire arrêter dans son palais et renvoyer de Rome le chevalier de Vargas, l’ancien ambassadeur du roi Charles IV. Au printemps de 1809, à peine avait-il obtenu ses premiers avantages contre la maison d’Autriche, la seule grande puissance qui pouvait encore prétendre à défendre contre lui le chef de la catholicité, à peine s’était-il ouvert la route de Vienne, tombée une seconde fois entre ses mains, qu’assuré de n’avoir plus désormais à compter avec personne l’empereur se décidait à porter enfin le dernier coup à la puissance temporelle du saint-père. Ce fut à Schœnbrunn qu’il arrêta sa résolution définitive. Les grandes batailles d’Essling, de Wagram, n’étaient point encore gagnées. N’importe, le succès ne lui semblait plus douteux. Quelques instans de repos étaient nécessaires pour refaire son armée et préparer de plus décisives victoires ; il les emploiera à jeter bas entre deux triomphes ce vieil édifice du pouvoir temporel des papes, jadis fondé par Charlemagne et qu’un second Charlemagne saura bien détruire à son tour par un décret daté de la capitale de l’ancien empire d’Allemagne. Ces rapprochemens historiques qu’évoquait l’imagination puissante de Napoléon avaient le malheur, en exaltant démesurément son orgueil, de troubler parfois un peu sa raison. Lancé à la poursuite d’une gigantesque et folle grandeur, il lui arrivait alors de perdre complètement, dans son langage aussi bien que dans sa conduite, cette modération de bon goût, cette calme appréciation des choses dont l’absence, partout choquante, non-seulement étonne, mais attriste singulièrement de la part d’un aussi grand esprit.


« L’intention de l’empereur, écrit-il de Schœnbrunn à M. de Champagny, est de faire communiquer au sénat, du 5 au 10 juin, deux décrets au sujet de la prise de possession des états du pape. Sa majesté désire que le rapport qui accompagnera les décrets développe les motifs établis dans les considérans, et qu’il prouve que, lorsque Charlemagne fit les papes souverains temporels, il voulut qu’ils restassent vassaux de l’empire ; qu’aujourd’hui, loin de se croire vassaux de l’empire, ils ne veulent même pas en faire partie ; que Charlemagne, dans sa générosité envers les papes, eut pour but le bien de la chrétienté, et qu’aujourd’hui ils prétendent s’allier avec les protestans et les ennemis de la chrétienté ; que le moindre inconvénient qui résulte de semblables dispositions est de voir le chef de l’église en négociation avec les protestans, lorsque, d’après les lois de l’église, il devrait s’éloigner d’eux et les excommunier (Il y a sur ce sujet une prière qui se récite à Rome). — Suit un historique assez peu fidèle de ses différends avec la cour de Rome. —… Pour couper court à ces discussions si contraires au bien de la religion, si contraires au bien de l’empire, sa majesté n’a qu’un moyen : c’est de révoquer la donation de Charlemagne et de réduire les papes à ce qu’ils doivent être en mettant le pouvoir spirituel à l’abri des passions auxquelles l’autorité temporelle est sujette. Jésus-Christ, né du sang de David, ne voulut point être roi. Pendant des siècles, les fondateurs de notre religion n’ont point été rois. Il n’est aucun historien, aucun docteur de bonne foi, qui ne convienne que la puissance temporelle des papes a été funeste à la religion. Si des discussions ont si longtemps agité l’intérieur de la France, la cause en était non dans le pouvoir spirituel, mais dans le pouvoir temporel de Rome. Si de grandes nations se sont séparées de l’église, la cause en était encore dans l’abus du pouvoir de Rome….

« L’intérêt de la religion et celui des peuples de France, d’Allemagne, d’Italie, ordonnent également à sa majesté de mettre un terme à cette ridicule puissance temporelle, faible reste des exagérations des Grégoire,… qui prétendaient régner sur les rois, donner des couronnes et avoir la direction des affaires de la terre comme de celles du ciel… Si sa majesté ne fait pas ce que seule elle peut faire, elle laissera à l’Europe des semences de discussions et de discordes. La postérité, en la louant d’avoir rétabli le culte et relevé les autels, la blâmerait d’avoir laissé l’empire, c’est-à-dire la plus grande majorité de l’Europe, exposé à l’influence de ce mélange bizarre contraire à la religion et à la tranquillité de l’empire. Cet obstacle ne peut être surmonté qu’en séparant l’autorité temporelle de l’autorité spirituelle, et en déclarant que les états du pape font partie de l’empire[43]. »


À cette note, dictée pour M. le comte de Champagny, étaient joints deux décrets datés comme elle du 17 mai 1809.


« Considérant, disait le premier de ces décrets, qu’à l’époque où Charlemagne, empereur des Français et notre auguste prédécesseur, fit donation de plusieurs comtés aux évêques de Rome, il ne les leur donna qu’à titre de fiefs et pour le bien de ses états, et que par cette donation Rome n’a pas cessé de faire partie de son empire ; que, depuis, ce mélange du pouvoir spirituel avec une autorité temporelle a été, comme il l’est encore, une source de discussions et a porté trop souvent les pontifes à employer l’influence de l’un pour soutenir les prétentions de l’autre ; qu’ainsi les intérêts spirituels et les affaires du ciel, qui sont immuables, se sont trouvés mêlés aux affaires terrestres, qui par leur nature changent selon la circonstance et la politique des temps ; que tout ce que nous avons proposé pour concilier la sûreté de nos armées, la tranquillité et le bien-être de nos peuples, la dignité et l’intégrité de notre empire avec les prétentions temporelles du pape, n’a pu se réaliser, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Article 1er. Les états du pape sont réunis à l’empire français… Article 5. Les terres et domaines du pape seront augmentés jusqu’à la concurrence d’un revenu net et annuel de deux millions… »


Le second décret nommait les membres de la consulte extraordinaire qui devait au 1er juin prendre possession des états du pape et arrêter les dispositions nécessaires pour que le passage de l’ordre ancien au nouveau régime fût accompli sans secousses au 1er janvier 1810. Le général Miollis, gouverneur-général de Rome, était nommé président de la consulte extraordinaire ; Salicetti, ministre de la police du roi de Naples, en était le vice-président. Les sieurs de Gerando, Janet, del Pozzo, maîtres des requêtes au conseil d’état, en faisaient partie, ainsi que l’auditeur de Balbe.

Mais il fallait un chef pour conduire de haut toute cette affaire de Rome. L’empereur avait fait choix du nouveau roi de Naples, Joachim Murat. Les relations de Napoléon avec son beau-frère avaient été depuis quelque temps assez tendues. Murat, qui avait eu l’habileté de pressentir l’année précédente les desseins de l’empereur sur l’Espagne, et qui les avait servis si bien sans en avoir reçu la confidence, s’était un peu flatté de travailler alors à son profit. Il n’avait pas vu sans une certaine jalousie la préférence donnée au roi Joseph pour occuper un trône qu’il avait si fort contribué à conquérir. La couronne de Naples, qui lui avait été donnée en échange, avait un peu calmé sa mauvaise humeur sans satisfaire toutefois complètement son inquiète ambition. La correspondance échangée entre Napoléon et le roi Joachim depuis la dernière moitié de 1808 jusqu’aux premiers mois de 1809 témoigne qu’il régnait à cette époque un peu de froid entre les deux beaux-frères. Cependant cela n’avait guère duré. On peut même conjecturer d’après certains passages des lettres du roi Murat qui ont passé sous nos yeux que le bon accord, un instant troublé, s’était rétabli précisément à propos des affaires de Rome et de l’occupation projetée des états du pape. Au 15 avril 1809, c’est-à-dire au moment où l’empereur n’avait pas encore quitté Strasbourg pour aller combattre les armées autrichiennes de l’autre côté du Rhin, Murat connaissait déjà parfaitement à l’avance les résolutions qui ne devaient être révélées aux plus intimes serviteurs de Napoléon que cinq semaines plus tard, après la défaite de l’archiduc Charles sur les bords du Danube. « J’ose garantir, écrit Murat dès cette époque, que l’événement qui se prépare à Rome n’y occasionnera aucun trouble. Il y sera reçu avec reconnaissance; il influera même sur mes états; je serai plus maître du clergé, et le crédit du pape cessera d’y exercer son action... Depuis que votre majesté m’a fait connaître ses intentions sur Rome, je ne m’éloignerai plus de Naples[44]. » Il semble résulter d’autres passages, d’ailleurs assez obscurs, de la correspondance de Murat qu’une première fois déjà Salicetti, son ministre, s’était transporté à Rome pour agir de concert avec le général Miollis, et que l’affaire avait ensuite été remise. Quoi qu’il en soit, à la date du 17 mai, c’est-à-dire le jour même où l’empereur signait les deux décrets datés de Schœnbrunn, Murat, de plus en plus pressé de voir mettre à exécution les mesures qui lui avaient été annoncées contre le saint-père, écrit de nouveau à son beau-frère : « J’attends avec impatience la nouvelle que votre majesté a pris son parti sur Rome. On me mande que le pape a voulu lancer une excommunication, mais que la majorité du consistoire s’y est opposée. Mes troupes sont prêtes et bien disposées[45]. »

Le premier soin de l’empereur après avoir signé les décrets du 17 mai fut en effet de mettre les troupes du pape sous les ordres de Murat[46]. Le roi de Naples l’en remercie aussitôt avec effusion. « Je m’empresse d’annoncer à votre majesté que je viens de recevoir sa dépêche du 18 mai. Je vous remercie bien de la nouvelle preuve de confiance que vous venez de me donner. Tous vos ordres seront remplis, et j’espère qu’ils le seront sans troubles. La date de l’arrêté de votre majesté porte la date du 1er juin pour la prise de possession de Rome, et par sa lettre il m’est recommandé de tenir caché le tout jusqu’au 5 juin. Je dois penser que votre majesté avait réfléchi qu’il fallait ce temps-là pour laisser arriver les membres de la consulte[47]. »

Tant de mesures préparatoires n’avaient pu être si secrètement prises qu’il n’en transpirât quelque chose à Rome. Depuis les grands succès militaires remportés par l’empereur en Allemagne, il n’y avait plus une seule personne dans les états pontificaux qui ne s’attendît à voir le gouvernement français frapper d’un instant à l’autre quelque grand coup d’autorité; mais quel serait-il? Le pape et son ministre entretenaient si peu d’illusions à cet égard qu’ils se demandaient uniquement depuis plusieurs jours avec anxiété de quelle façon procéderait le général Miollis. Arrêterait-il le pape avant de le déposer comme prince temporel, ou bien proclamerait-on sa déchéance en lui laissant sa liberté? Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, Pie VII était résolu à prononcer l’excommunication contre les auteurs et les fauteurs d’une pareille violence. Déjà depuis plusieurs années, même dès l’année 1806, lorsque les avis envoyés de Paris par le cardinal Pacca annonçaient une prochaine invasion des états du saint-père, plusieurs congrégations s’étaient tenues chez le doyen du sacré-collège, le cardinal Antonelli, pour concerter les mesures à prendre. Les cardinaux di Pietro, Litta, Pacca et Consalvi y avaient pris part. Après l’arrestation projetée du cardinal secrétaire d’état Pacca, Pie VII avait chargé le cardinal di Pietro, qui était un théologien beaucoup plus qu’un politique, de libeller une nouvelle bulle. Ignorant toutefois si l’enlèvement du pape précéderait ou suivrait l’incorporation des états de l’église à l’empire, le saint-père et son ministre avaient jugé prudent de faire préparer des copies différentes de la bulle rédigée par le cardinal di Pietro; les premières donnaient pour motif de l’excommunication la violation du palais apostolique et la déportation sacrilège du souverain pontife, les secondes sa simple déchéance comme souverain temporel. Pie VII avait signé de sa main les exemplaires de ces deux bulles. Ainsi tout était préparé pour tous les cas. Plus l’événement approchait, moins le saint-père faisait mystère de ses intentions. Le cardinal Pacca assure que la simple insinuation faite dans une note au général Lemarrois que Pie VII ne craindrait pas de recourir, a pour sauver les domaines de l’église, aux armes mises par la Providence entre ses mains, » avait été accueillie avec enthousiasme par les Romains. Un jour même, toujours d’après son ministre, Pie Vil aurait dit au trésorier du saint-siège : « Que les Français prennent garde à ce qu’ils font, je n’ai plus qu’à prendre la mèche et à mettre le feu à la mine. » Dans une audience accordée à Mgr Alliato, pro-auditeur de la cour de Rome, il avait ajouté peu de temps après : « Nous voyons bien que les Français veulent nous forcer à parler latin, eh bien! nous le ferons[48]. »

Si par ces menaces couvertes Pie VII avait espéré intimider le général Miollis, il n’y réussit point. Quelques retards avaient eu lieu dans l’exécution des ordres de l’empereur, mais ils tenaient uniquement à des mesures militaires relatives à la sûreté publique que la consulte extraordinaire, déjà secrètement réunie à Rome, avait jugé convenable de prendre : ce n’était là qu’un simple ajournement. L’ancien montagnard Salicetti, de longue date homme de confiance de Napoléon, chargé par lui de surveiller à Naples les velléités d’indépendance de son beau-frère, avait pris fort à cœur sa mission ; déjà il en avait combiné tous les détails sous les ordres de son supérieur hiérarchique, le général Miollis, homme de devoir avant tout, ancien républicain comme lui, mais beaucoup plus modéré et moins sensible que son impétueux collègue de la consulte au plaisir d’avoir à détrôner un pape. Le 10 juin 1809, tous les préparatifs étaient faits.

Dès le matin, raconte le cardinal Pacca, on vint lui annoncer que les partisans des Français avaient pris tout à coup un air triomphant et qu’ils allaient se vantant publiquement que c’en était désormais fini des protestations du pape. Dès lors le secrétaire d’état ne douta plus que le moment fatal ne fût arrivé. En effet, vers deux heures de l’après-midi, on abaissa les armes pontificales au château Saint-Ange, et l’on arbora le drapeau tricolore, qui fut salué d’une salve d’artillerie, tandis que des corps de troupes françaises publiaient dans la ville, au son de la trompette, le décret impérial daté de Vienne; mais laissons un instant la parole au propre ministre de sa sainteté.


« Je me précipitai soudain, écrit le cardinal Pacca, dans l’appartement du saint-père, et en nous abordant nous prononçâmes tous les deux ces paroles du rédempteur : consummatum est ! J’étais dans un état difficile à décrire; mais la vue du saint-père, qui conservait une inaltérable tranquillité, m’édifia beaucoup et ranima mon courage. Quelques minutes après, mon neveu m’apporta une copie du décret impérial. Le pape se leva et me suivit à la fenêtre pour en entendre la lecture. J’essayai de maîtriser le premier moment de la douleur pour lire avec attention cette pièce importante, qui devait nous servir de règle dans les mesures que nous avions à prendre; mais la juste et profonde indignation que m’inspirait le sacrilège qui se consommait alors, la présence en face et tout près de moi de mon infortuné souverain, du vicaire de Jésus-Christ prêt à entendre de ma bouche la sentence de son détrônement, les calomnies qu’en le parcourant de l’œil je voyais d’avance dans ce décret impie, les continuels coups de canon qui annonçaient la plus inique usurpation avec un triomphe insultant, tout cela m’émut si profondément, me troubla tellement la vue, que je ne pus lire qu’à moitié à travers de fréquentes interruptions et avec une respiration suffoquée les principaux articles du décret. Puis, observant attentivement le pape, aux premières paroles je vis de l’émotion sur son visage, et j’y remarquai des signes non pas de crainte ni d’abattement, mais d’une trop naturelle indignation. Peu à peu il se remit, et il écouta la lecture avec beaucoup de tranquillité et de résignation. Quand elle fut finie, le saint-père se rapprocha de la table, et, sans rien dire, y signa les copies d’une protestation en italien qui fut affichée dans Rome la nuit suivante[49]. »


Cependant il n’avait pas été question de la part du saint-père de la bulle d’excommunication. Ce fut le cardinal qui lui demanda s’il devait donner des ordres pour la faire publier. Pie VII parut d’abord un peu incertain. Il venait de relire exprès cette bulle; il trouvait bien fortes les expressions qu’on y employait contre le gouvernement français. Le cardinal Pacca lui fit observer que, « devant en venir à une aussi solennelle extrémité, il était pourtant nécessaire d’y présenter un tableau épouvantable, mais non exagéré de toutes les injustices, de toutes les oppressions, de toutes les violences du gouvernement impérial, afin qu’on fût convaincu et forcé d’avouer que le pape avait encore trop tardé à élever la voix contre cet amas de forfaits et d’attentats. » Pie VII n’était pas encore décidé. — « Mais vous, que feriez-vous? — Moi, saint-père, après la menace faite d’un aussi grand acte à nos ennemis, qui le redoutent, après l’espérance donnée à votre peuple, qui le désire et qui l’attend, je l’exécuterais; mais la demande de votre sainteté m’agite et m’inquiète. Très saint-père, élevez vos yeux au ciel, puis donnez-moi vos ordres, et soyez sûr que ce qui sortira de votre bouche sera la volonté de Dieu. » Pie VII se recueillit un instant; puis, après une courte pause : « Eh bien! dit-il, donnez cours à la bulle; mais, s’écria-t-il aussitôt, qu’ils prennent bien garde, ceux qui exécuteront vos ordres; surtout qu’ils ne soient pas découverts, car ils seraient fusillés, et j’en serais inconsolable. » « Peu d’heures après, ajoute le cardinal Pacca, la bulle d’excommunication était en effet affichée avec un succès prodigieux, car, bien qu’apposée en plein jour aux lieux accoutumés, c’est-à-dire sur les murs de Saint-Pierre, de Sainte-Marie-Majeure et de Saint-Jean-de-Latran, pas un des hommes qui la placardèrent pendant le temps même des vêpres, presque à la vue des fidèles, ne fut saisi ni même découvert par la consulte extraordinaire. La publication de la bulle, continue toujours le ministre du saint-siège, plongea les Français dans la stupeur, et excita dans toute la ville de Rome un enthousiasme extraordinaire[50]. »

Sans croire absolument avec le cardinal Pacca que la publication de la bulle d’excommunication, sur laquelle nous aurons plus tard à revenir, ait causé dans la ville de Rome un si grand enthousiasme ni plongé la consulte extraordinaire dans une si profonde stupeur, il est impossible de se dissimuler qu’elle jetait dans une situation déjà si troublée par elle-même un surcroît de complications. Que fallait-il faire? Qu’attendait Napoléon? Était-ce son intention qu’en raison de cette bulle d’excommunication, aussi vite enlevée que produite, mais qui n’en avait pas moins fait son apparition publique à Rome, on mit la main sur le saint-père? Voilà ce que se demandaient avec anxiété le général Miollis, Salicetti et sans doute aussi, quoiqu’il ne fût pas de sa personne sur les lieux, le roi Joachim Murat. Napoléon a toujours dit, il a écrit dans ses mémoires, il a répété plusieurs fois à M. de Las Cazes, dans ses conversations à Sainte-Hélène, qu’il n’avait jamais donné l’ordre d’arrêter le pape. Lorsqu’il émettait cette prodigieuse assertion, Napoléon Ier ne se doutait pas que sa correspondance serait plus tard officiellement publiée par Napoléon III. De Schœnbrunn, où il résidait encore le 17 juin 1809, c’est-à-dire sept jours après que la bulle d’excommunication avait été affichée à Rome, l’empereur écrivait au roi de Naples : « Vous avez vu par mes décrets que j’ai fait beaucoup de bien au pape ; mais c’est à condition qu’il se tiendra tranquille. S’il veut faire une réunion de cabaleurs, tels que le cardinal Pacca, il n’en faut rien souffrir et agir à Rome comme j’agirais envers le cardinal archevêque de Paris, J’ai voulu vous donner cette explication. » Au 17 juin, peut-être l’empereur n’avait-il pas reçu encore les nouvelles de Rome du 10 juin ; mais certainement elles étaient parvenues à Schœnbrunn le 19 juin. À cette date, le général Miollis avait eu le temps de prévenir l’empereur et de prendre ses ordres. Voici la réponse qu’il en recevait : « Je vous ai confié le soin de maintenir la tranquillité dans mes états de Rome. Vous ne devez souffrir aucun obstacle… Vous devez faire arrêter, même dans la maison du pape, tous ceux qui trameraient contre la tranquillité publique et contre la sûreté de mes soldats. Un prêtre abuse de son caractère et mérite moins d’indulgence qu’un autre, lorsqu’il prêche la guerre et la désobéissance à la puissance temporelle, et lorsqu’il sacrifie le spirituel aux intérêts de ce monde que l’Évangile dit n’être pas le sien[51]. » La lettre écrite à la même date à son beau-frère le roi de Naples est plus explicite encore ; les termes n’en laissent rien dans le vague. « Je vous ai déjà fait connaître que mon intention était que les affaires de Rome fussent menées vivement et qu’on ne ménageât aucune espèce de résistance. Aucun asile ne doit être respecté, si on ne se soumet pas à mes décrets, et sous quelque prétexte que ce soit on ne doit souffrir aucune résistance. Si le pape, contre l’esprit de son état et de l’Évangile, prêche la révolte et veut se servir de l’immunité de sa maison pour faire imprimer des circulaires, on doit l’arrêter. Le temps de ces scènes est passé. Philippe le Bel fit arrêter Boniface, et Charles-Quint tint longtemps en prison Clément VII, et ceux-là avaient fait encore moins. Un prêtre qui prêche aux puissances temporelles la discorde et la guerre au lieu de la paix abuse de son caractère[52]. » Le roi Murat et le général Miollis savaient désormais à quoi s’en tenir et ce que l’empereur désirait d’eux. Il se mirent en devoir de l’accomplir.

IV.

Le public possède déjà deux relations de l’enlèvement du pape au Quirinal, toutes deux émanent de deux témoins oculaires, ou plutôt de deux personnages qui ont été acteurs eux-mêmes dans ce drame étrange. L’une a été écrite par le cardinal Pacca dans ses œuvres complètes, la seconde provient du général de gendarmerie baron Radet. La date de cette dernière est du 12 septembre 1814. Elle avait été adressée à cette époque, qui le croirait? à Pie VII lui-même. Passé du service de l’empereur à celui du roi Louis XVIII, l’ancien commandant de gendarmerie chargé d’arrêter le pape éprouvait, disait-il, le besoin de se laver des indignes calomnies répandues sur son compte, et qui étaient de nature à lui faire perdre les précieuses bonnes grâces de son nouveau souverain; c’est pourquoi il a pris le parti de rédiger un récit fidèle « de cet événement malheureux qui fait autant d’honneur à sa sainteté que de prosélytes à la religion, et il prie le saint-père de vouloir bien, en reconnaissant la vérité de sa relation, venir au secours de l’honneur de l’un de ses enfans, qui dans sa malheureuse position comptait encore pour un dédommagement le bonheur qu’il avait eu de contempler de si près une vertu plus qu’humaine[53]. » Malheureusement pour le général Radet, il n’avait pas plus que l’empereur Napoléon gardé la mémoire exacte de tout ce qu’il avait écrit, et nous avons sous les yeux une autre relation adressée par lui de Rome au ministre de la guerre à Paris le 13 juillet 1809, aussitôt après son retour de la chartreuse de Florence, où il avait été déposer son prisonnier. Dans cette relation, la première en date, écrite au lendemain de l’événement, c’est lui, Radet, qui a tout fait, c’est lui en particulier qui a décidé le général Miollis, un peu hésitant, à arrêter le saint-père. Bref, personne n’était alors plus satisfait et plus fier de sa mission que le général baron Radet. Dans ces deux relations, plus différentes de ton que contradictoires, dont le fond paraît d’ailleurs parfaitement véridique, le général Radet n’a eu d’autre tort que d’exagérer peut-être un peu l’importance de son rôle personnel; il ne faudrait pas dans l’une plus que dans l’autre prendre trop au pied de la lettre ce qu’il y dit de lui-même. Hors cela, son récit est exact, et selon notre habitude nous ne mettrons à sa charge, ou pour mieux dire à la charge de ceux dont il était le très docile instrument, que les faits qui ressortent de la version qu’il a jugé lui-même lui être la plus favorable. Une autre relation manuscrite dont nous nous servirons également est écrite en italien. Nous avons tout lieu de supposer qu’elle émane du cardinal Despuig, qui était avec Pacca le seul membre du sacré-collège logé au Quirinal, et par conséquent témoin comme lui de l’enlèvement du saint-père. Il est assez rare qu’un coup de main qui s’est préparé dans l’ombre, qui s’est exécuté la nuit en grand secret, ait été à la fois raconté par tant de personnes ayant joué dans les camps opposés des rôles aussi directs et aussi considérables. Quand il se trouve aidé par de pareils témoignages, un historien peut se flatter de posséder à peu près tous les élémens de la vérité. Nous tâcherons qu’elle soit fidèlement rendue dans notre récit.

Du moment où l’empereur avait pris son parti d’enlever au saint-père son pouvoir temporel, il devenait bien peu probable qu’il voulût le laisser séjourner à Rome. Lorsqu’un prince descend du trône par déposition ou par abdication, il est rare qu’on n’ait pas hâte de l’éloigner de ses anciens sujets. Il en devait être ainsi à beaucoup plus forte raison du souverain pontife, dont la suprématie spirituelle demeurait entière, et qui ne pouvait manquer d’opposer par sa seule présence, même impassible, un obstacle absolu à l’établissement définitif du nouvel ordre de choses. Cela était parfaitement senti à Rome par tout le monde, mais par personne autant que par le saint-père lui-même. Aussi ne se faisait-il à cet égard aucune illusion. Son secrétaire d’état n’en avait pas davantage, et dans le Quirinal il n’était pas un serviteur de Pie VII qui ne s’attendît à le voir bientôt enlevé de Rome par la force. Le public était lui-même journellement averti de l’imminence de la catastrophe par les préparatifs qui se faisaient patemment dans l’intérieur de la demeure pontificale pour en garder jour et nuit toutes les entrées. Ce n’est pas que le saint-père songeât sérieusement à se défendre à main armée contre une agression organisée par le commandant des troupes françaises. Encore moins avait-il le dessein, que lui prêtait assez ridiculement le général Radet, de vouloir sortir, le jour de la Saint-Pierre, le crucifix à la main et de faire sonner le tocsin afin d’exciter le peuple romain contre les Français[54]; mais le saint-père, qui aurait frémi à l’idée qu’une seule goutte de sang eût été versée par ses défenseurs afin de protéger sa personne, était en même temps bien résolu à forcer ses adversaires de recourir publiquement contre lui à l’emploi de la force ouverte. Il s’était donc barricadé dans le Quirinal, ordre avait été donné de n’en ouvrir de jour les portes qu’aux personnes faisant partie de la maison du saint-père. La nuit, elles étaient fermées pour tout le monde sans exception, et des sentinelles de bonne volonté se relayaient à l’intérieur du palais pour observer d’un lieu élevé les mouvemens qui se pouvaient faire autour du Quirinal afin d’en surprendre l’entrée. Toutes ces précautions étaient connues du général Miollis par suite des intelligences que Radet s’était procurées dans la maison même du saint-père. Elles ne laissaient pas que de l’embarrasser, car, outre la garde assidue que montaient au dedans les serviteurs du saint-père, le gros de la population romaine, soupçonnant le projet de lui enlever Pie VII, surveillait lui-même journellement les moindre mouvemens des troupes, et faisait parvenir des avis sûrs au cardinal Pacca touchant tout ce qui pouvait se tramer contre le Quirinal. Le général Radet rendait un compte assez exact de la situation, lorsqu’il écrivait au ministre de la guerre dans sa lettre du 13 juillet 1809 que « l’horizon s’obscurcissait et que le pape gouvernait du bout du doigt beaucoup plus que nous avec nos baïonnettes[55]. »

Cependant Radet était, somme toute, un homme sûr, hardi et délié; l’empereur lui avait personnellement envoyé de Schœnbrunn en Toscane, où il se trouvait alors, l’ordre télégraphique de se rendre à Rome, sans doute parce qu’il le jugeait plus propre que qui que ce fût à mener à bien l’arrestation du pape. Miollis résolut donc de s’en rapporter à lui pour entreprendre cette scabreuse opération. Dans sa relation de 1809, c’est le général Radet qui a provoqué l’arrestation du pape, qui l’a presque imposée par son éloquence aux incertitudes du général Miollis. Dans la relation de 1814, c’est au contraire avec une extrême répugnance que Radet entendit le général Miollis lui en démontrer la nécessité. Il y fait beaucoup d’objections. « Il aurait bien voulu éluder la mission qui lui était donnée; mais plus il en cherchait les moyens, moins son imagination le servait[56]. » Son unique espérance reposait sur le défaut de troupes; dans la nuit du 5 au 6 juillet, le général Miollis vint lui annoncer qu’il arrivait des troupes napolitaines. Radet assure qu’il fit encore de nouvelles remontrances; mais le gouverneur de la ville, « après avoir retracé les dangers de la position et la nécessité d’arrêter par un coup de foudre le torrent et l’effusion du sang, objecta que, comme militaires, nous étions essentiellement obéissans, passifs et responsables sur notre tête des ordres qui nous étaient donnés. Je n’avais rien à répondre. L’honneur et mes sermens me dictaient mon devoir, et je me décidai à exécuter les ordres que je recevrais par écrit dès que la troupe serait arrivée[57]. » Une circonstance importante, à propos de laquelle concordent parfaitement les deux récits du général Radet, c’est qu’il ne reçut point d’abord d’ordre écrit au sujet du pape. Le général Miollis ne lui remit d’ordre écrit que pour arrêter le cardinal Pacca, et, en cas d’opposition de la part du saint-père, l’ordre verbal de l’arrêter aussi et de les conduire tous deux à Florence. Radet comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus; cela lui suffit, et il commença ses préparatifs à l’instant même. Il aurait été question d’assiéger une place forte et de livrer l’assaut à l’ennemi le plus redoutable que l’on n’aurait pas déployé plus de prudence, de stratégie et de ruses.


« Le 5, à la pointe du jour, continue toujours Radet, je fis les dispositions matérielles, que je parvins à soustraire aux yeux des Romains par de petites patrouilles croisées et des mesures de police. Je retins tout le jour les troupes dans les casernes pour donner plus de sécurité au public et dans le palais du Quirinal. Enfin j’employai tous les moyens et tous les prétextes propres à écarter jusqu’au soupçon. A neuf heures du soir, je fis venir l’un après l’autre les chefs militaires, à qui je donnai mes ordres. A dix heures, tout était réuni sur la place des Saints-Apôtres et à la caserne de la Pilota, où était le centre de mes opérations... A onze heures, je plaçai moi-même mes patrouilles, mes gardes, mes postes et mes détachemens d’opération, pendant que le gouverneur général faisait occuper les ponts du Tibre et le château Saint-Ange par un bataillon napolitain[58]. »


Tous ces détachemens d’opération dont le général fait ici le complaisant dénombrement étaient, d’après son récit du 13 juillet 1809 (ce qu’il oublie de dire en 1814), munis d’échelles d’escalade, de cordes, de grappins et de torches. Le signal devait être donné à une heure après minuit ; mais une sentinelle veillait comme à l’ordinaire sur la tour du Quirinal. Radet, qui avait des intelligences dans l’intérieur du palais, en était informé. Il savait aussi que d’ordinaire cette sentinelle cessait sa faction à l’aube du jour. Lui-même guetta de chez lui sa rentrée. A deux heures trente-cinq minutes, quand il la vit disparaître, il donna le signal[59]. Le signal eut pour effet de mettre en branle trois bandes différentes, car le général Radet procédait suivant les règles et tentait à la fois trois assauts simultanés, afin de mieux diviser les forces de la garnison du Quirinal. Un détachement de trente hommes escaladait les murs du jardin, près de la grande porte, derrière la cour dite de la Paneterie. Un colonel Siry, à la tête d’un autre détachement de vingt-cinq hommes, montait par la fenêtre d’une chambre inoccupée du deuxième étage des bâtimens attenant au Quirinal. De son côté, le général Radet s’était réservé de pénétrer par l’extrémité de la toiture de la Daterie dans l’intérieur des appartemens du Quirinal. Ce fut par malheur cette dernière expédition qui réussit le moins bien. Deux échelles s’étant rompues, le général Radel fut obligé d’opérer sa retraite et d’attendre que le colonel Siry, qui était parvenu avec son monde dans la cour intérieure du palais, lui en procurât l’entrée en faisant ouvrir en dedans la petite porte pratiquée dans l’un des battans de la grande porte cochère du Quirinal, porte massive contre laquelle Radet s’escrimait en vain du dehors depuis déjà quelques minutes. Ainsi introduit par son lieutenant, le général Radet entra enfin dans le palais du saint-père, et tout aussitôt fit désarmer la garde suisse, forte d’environ quarante hommes, mais qui, suivant l’ordre qu’elle avait reçu de longue date, ne lui opposa aucune résistance. N’ayant point la connaissance des lieux, mais dirigé par un misérable, qui avait été récemment chassé du Quirinal pour un vol commis au préjudice du chapelain du saint-père, et qu’il avait pris à sa solde, le général Radet s’achemina vers les appartemens de sa sainteté.

Cependant les trois assauts donnés au palais, les efforts tentés du dehors pour en briser les portes, les mouvemens et les cris de ceux qui s’étaient introduits dans les cours intérieures, ne pouvaient manquer d’éveiller promptement les habitans du Quirinal. La plupart ne s’étaient couchés que fort tard dans la nuit ou plutôt à l’aube du jour, lorsque, rassurés par l’apparente tranquillité qui régnait autour de la demeure pontificale, ils avaient cru le danger passé, du moins pour cette nuit, de façon que l’événement qu’ils redoutaient depuis si longtemps et contre lequel ils s’étaient promis d’être toujours en garde les surprit au contraire dans leur premier sommeil. Le cardinal Pacca ne faisait que de se mettre au lit quand son valet de chambre vint l’avertir que les Français étaient dans le palais. Sur-le-champ et pendant qu’il mettait lui-même ses vêtemens, il envoya son neveu, Tibère Pacca, réveiller Pie VII, ainsi qu’il avait été convenu entre eux pour le cas de quelque événement extraordinaire[60], car c’était l’une des principales préoccupations de Pie VII de se trouver prêt et sur pied quand on envahirait sa demeure, et il n’avait rien tant recommandé à ses serviteurs que d’avoir soin de l’avertir à la moindre alarme[61]. Le secrétaire d’état, en se rendant dans la chambre du saint-père, le trouva se levant avec une grande sérénité d’esprit, ayant déjà jeté sur sa robe la mozetta (le camail) et l’étole, et se préparant à se rendre dans la salle d’audience. Presqu’en même temps que le cardinal Pacca était survenu le cardinal Despuig, Espagnol de naissance, archevêque de Séville et pro-vicaire de Rome. « Me voici, s’écria Pie VII en les voyant tous deux près de lui, me voici en compagnie de mes véritables amis. — Saint-père, répliqua Despuig, voici le moment de montrer votre courage et d’implorer l’assistance du Très-Haut afin que vous puissiez nous servir à tous d’exemple. Votre sainteté me permettra-t-elle de lui rappeler que nous sommes dans l’octave de la fête de saint Pierre[62]? » Cependant le bruit allait croissant dans les pièces qui précédaient l’entrée des appartemens du saint-père. On entendait de plus en plus les coups redoublés des haches et des crosses de fusils avec lesquels la bande que conduisait le général Radet s’efforçait de faire tomber les portes des antichambres. Le cardinal espagnol proposa au saint-père de se rendre à sa chapelle particulière, qui était proche; mais déjà le général Radet était arrivé jusqu’à la porte de la pièce où se tenait Pie VII, on la voyait trembler sous sa pression. La retraite vers la chapelle aurait eu l’air d’une fuite. Pie VII, s’asseyant sur un sofa qui était juste en face de la porte et derrière une table, fit signe aux cardinaux de prendre place à côté de lui, et ordonna que l’on ouvrît la porte afin d’éviter tout désordre.

Radet alors entra, ne sachant encore ni où il était ni devant qui il se trouvait; bientôt cependant il le devina à l’attitude des hommes qui le suivaient, et dont quelques-uns, sans compter celui qui lui servait de guide, étaient Romains et connaissaient le saint-père. Informé qu’il était en sa présence, Radet mit son chapeau à la main, et, renvoyant le plus gros de sa troupe, il fit entrer un à un la plupart des officiers de sa suite et quelques sous-officiers de gendarmerie qui, se glissant le long de la porte entre-bâillée et des murs de l’appartement, vinrent se ranger symétriquement, l’épée nue et le mousquet au pied, à sa droite et à sa gauche. Deux groupes placés en face l’un de l’autre occupaient donc la pièce. A la tête du premier, le général Radet, le chapeau à la main, botté, éperonné, le sabre au côté, dans la tenue d’un militaire qui vient de livrer un assaut, parfaitement respectueux d’ailleurs et flanqué d’une douzaine d’officiers et de sous-officiers français auxquels s’étaient mêlés deux ou trois des commandans de la garde civique romaine, suivis eux-mêmes de quelques gens de la lie du peuple. Vis-à-vis était le pape, en habit ecclésiastique des plus simples, ayant à son doigt, dit notre relation italienne, l’anneau pontifical que Pie VI avait porté pendant sa captivité en France, les deux cardinaux assis près de lui, et derrière un groupe composé des principaux serviteurs de sa maison. De part et d’autre on s’observait réciproquement; le silence dura plus de cinq minutes. Il était évident que le général Radet était fort décontenancé : il avait peine à reprendre ses esprits; sa figure était pâle; il semblait vouloir parler, mais les mots ne lui venaient pas à la bouche. Enfin il s’avança de quelques pas, s’inclina et dit à sa sainteté qu’il avait une mission douloureuse à remplir, mission imposée par ses sermens et les devoirs sacrés de sa place[63]. À ces mots, le pape se leva, et, le regardant avec dignité : « Que me voulez-vous? Et pourquoi venez-vous à cette heure troubler ainsi mon repos et ma demeure? — Très saint-père, reprit le général Radet, je viens au nom de mon gouvernement réitérer à votre sainteté la proposition de renoncer officiellement à son pouvoir temporel. Si votre sainteté y consent, je ne doute pas que les affaires ne puissent s’arranger, et l’empereur traitera votre sainteté avec les plus grands égards[64]. » Cette proposition à lui adressée, dans son propre palais, par un chef de gendarmerie qui s’en était emparé de vive force, le saint-père l’avait déjà lue dans les lettres de l’empereur, il l’avait plusieurs fois entendue sortir de la bouche de nombre de ses interlocuteurs, plus haut placés et mieux disant que celui qu’il avait maintenant sous les yeux; mais derrière la sommation du soldat vulgaire qui venait de présider à l’odieux guet-apens il y avait la menace parlante de l’emploi immédiat de la force brutale. Cela ne troubla en rien Pie VII. « Si vous avez cru devoir exécuter de tels ordres de l’empereur à cause de votre serment de fidélité et d’obéissance, pensez de quelle manière nous devons, nous, soutenir les droits du saint-siège, auquel nous sommes lié par tant de sermens. Nous ne pouvons ni céder ni abandonner ce qui n’est pas à nous. Le temporel appartient à l’église, et nous n’en sommes que l’administrateur. L’empereur pourra nous mettre en pièces; mais il n’obtiendra pas cela de nous. Après tout ce que nous avons fait pour lui, devions-nous nous attendre à un pareil traitement? » Radet était de plus en plus troublé. « Je sais, saint-père, que l’empereur vous a beaucoup d’obligations. — Oui, et plus que vous ne savez ; mais enfin quels sont vos ordres? — Très saint-père, j’ai regret de la commission qui m’a été donnée; mais, puisque telle est la résolution de sa sainteté, je dois lui dire que j’ai ordre de l’emmener avec moi. » À ces paroles, le saint-père, qui avait gardé jusque-là le ton le plus imposant, s’adressant tout à coup à Radet, lui dit avec un air de tendresse et de compassion : « En vérité, mon fils, cette commission ne vous attirera pas les bénédictions divines. — Puis, levant les yeux au ciel : — Voilà donc, s’écria-t-il, la reconnaissance qui m’a été gardée de tout ce que j’ai fait pour votre empereur ! Voilà donc la récompense de ma grande condescendance envers lui et envers l’église de France! Mais peut-être à cet égard ai-je été coupable devant Dieu; c’est lui qui veut me punir, et je me soumets avec humilité[65]. »

Pendant que cette scène se passait dans les appartemens du saint-père, le général avait eu le temps d’envoyer un brigadier de gendarmerie avertir le général Miollis qu’il se trouvait en présence du pape, et lui demander ce qu’il devait faire. Le général Miollis n’avait pris personnellement aucune part à l’expédition dirigée contre le Quirinal; mais il se tenait à portée dans les jardins du palais Colonna, qui donnent sur la place de Monte-Cavallo. Peu d’instans après, le messager du général Radet remettait en secret à celui-ci l’ordre de la part du gouverneur de Rome d’arrêter le pape avec le cardinal Pacca et de les conduire incontinent hors de Rome[66]. Radet insista pour un départ immédiat. « Puisqu’il en est ainsi, je cède à la force; mais, répondit le saint-père, vous m’accorderez bien, à moi et aux personnes qui doivent me suivre, deux heures pour faire nos préparatifs de voyage. » Le général Radet assura que ses instructions ne le lui permettaient pas. Si sa sainteté voulait donner la liste des personnes qu’elle désirait emmener, il la ferait porter par un officier au gouverneur de Rome, et prendrait à cet égard les ordres de son supérieur. En moins de dix minutes, l’officier était de retour et rendit tout haut la réponse du général Miollis. « L’ordre de son excellence est, dit-il, qu’il faut que le pape et le cardinal Pacca partent à l’instant avec le général Radet, Les autres personnes suivront après[67]. » Le pape alors se leva pour se rendre à sa chambre à coucher. Il avait quelque peine à marcher, étant faible et souffrant. Le général Radet raconte « qu’il le soutint de son bras jusqu’au seuil de la porte, et la main du saint-père, ajoute-t-il, se trouvant par hasard dans la sienne, il ne put résister au mouvement de vénération dont il était fortement pénétré, et baisa pieusement cette main sainte et l’anneau pontifical qu’elle portait. » Il saisit même cette occasion pour proposer à sa sainteté de se retirer et de lui laisser la faculté de confier à qui bon lui semblerait ses ordres, ses secrets et les choses précieuses auxquelles elle pourrait tenir. Pie VII ne profita point de cette permission. « Quand on ne tient pas à la vie, on est loin de tenir aux choses de ce monde, » fut son unique réponse. — Prenant alors uniquement sur son prie-Dieu son bréviaire et le christ qu’il avait coutume de porter suspendu sur sa poitrine, il s’assit au pied de son lit, car il était, nous l’avons dit, à la fois fatigué et un peu malade. Quand tout fut prêt pour le départ, le saint-père, appuyé de nouveau sur le général Radet et suivi du cardinal Pacca, descendit le grand escalier du Quirinal. Arrivé à la porte cochère. Pie VII s’arrêta et bénit Rome. Les troupes françaises étaient rangées en bataille sur la vaste place de Monte-Cavallo. Une portion des patrouilles qui avaient circulé pendant la nuit autour du Quirinal et la garde du palais Colonna s’y trouvaient également réunies. Il n’y avait point de population romaine sur la place, ni aux fenêtres; il était quatre heures du matin ; un profond silence régnait partout. Cet appareil militaire, calme et immobile, était tacitement expressif, et les soldats reçurent la bénédiction du pape, affirme le général Radet, avec un saint respect. Quant à lui, après avoir fait monter le pape et le cardinal Pacca dans une voiture attelée d’avance, dont les Persiennes avaient été soigneusement clouées et dont il fit sous ses yeux fermer à clé les deux portières par un gendarme, il s’élança sur le siège avec un maréchal-des-logis et ordonna aux postillons de sortir de Rome par la porta Pia, et de se rendre à la porte du Peuple en longeant les murs de la ville. Un détachement de gendarmerie escortait la voiture.

Suivant la version du cardinal Pacca, Radet avait donné à entendre au saint-père qu’il allait être conduit en présence du général Miollis. Quand Pie VII vit qu’à la porte du Peuple on attelait des chevaux de poste à sa voiture, il reprocha doucement au général Radet sa supercherie, et se plaignit qu’on l’arrachât ainsi de Rome par violence, sans suite, sans provision aucune, avec les seuls habits qu’il portait sur lui. Radet s’excusa de son mieux, et offrit au saint-père, pour ses dépenses pendant la route, un sac d’or et d’argent que celui-ci ne voulut point accepter. Un quart d’heure après, la voiture qui emmenait le saint-père et son ministre prenait à toute bride la route de Florence. Il était un peu moins de cinq heures du matin.

Quelles paroles échangèrent d’abord entre eux Pie VII et le cardinal Pacca? A coup sûr, leurs pensées ne pouvaient qu’être empreintes d’une profonde et douloureuse tristesse. Qui le croira cependant? ce fut le sourire qui trouva d’abord place sur les lèvres des deux prisonniers. « Avez-vous pris quelque argent? demanda le saint-père au cardinal Pacca. — Votre sainteté a vu que j’ai été arrêté dans son appartement et qu’on ne m’a pas permis de retourner dans le mien; » Alors tous deux tirèrent leurs bourses; le saint-père n’avait dans la sienne qu’un papetto (vingt baïoques) et le cardinal Pacca trois grossi (quinze baïoques). « Nous voyageons tout à fait à l’apostolique, » s’écria Pacca, et, montrant son papetto à Radet, le pape lui dit également en riant : « Tenez, de toute ma principauté, voilà ce qui me reste. » Une secrète et cruelle préoccupation troublait cependant l’esprit de l’ancien ministre du pape. Il se rappelait que c’était lui qui avait conseillé la publication de la bulle d’excommunication. Nul doute qu’elle n’eût amené les mesures dont le pape était en ce moment la victime. Pie VII, épouvanté des suites funestes qu’elle pouvait avoir pour l’église catholique, ne se repentait-il point de cet acte de rigueur et n’accusait-il pas intérieurement celui qui l’y avait porté? Il semble que le pontife eût deviné la pensée de Pacca. « Cardinal, lui dit-il avec un air de satisfaction, nous avons bien fait de publier la bulle du 10 juin, car aujourd’hui comment ferions-nous[68] ?))

Nous n’entrerons pas dans de grands détails sur le voyage du pape. De Rome à Radicofani, le pape ne fut guère reconnu sur la route, grâce à la prière que lui fit Radet de vouloir bien baisser les stores de la voiture, ce à quoi le saint-père eut la complaisance de consentir; mais cette première journée de dix-neuf heures fatigua extrêmement Pie VII, qui souffrait beaucoup d’une infirmité que le voyage risquait d’aggraver. A Radicofani, la nuit fut mauvaise, et le lendemain 7 juillet le pape, qui avait la fièvre, déclara résolument qu’il ne partirait point avant d’avoir été rejoint par les voitures qui devaient amener sa suite. Elles arrivèrent en effet dans l’après-midi, et le général Radet, qui hésitait entre la volonté de suivre scrupuleusement ses instructions et le désir de ne pas affliger le saint-père, consentit à ce retard. Un autre plus considérable fut occasionné à Poggibonzi par la maladresse des postillons, qui versèrent la voiture où se trouvaient le pape et le cardinal Pacca. Ces retards contrariaient beaucoup le général Radet, car il avait calculé qu’en faisant une grande hâte il devancerait partout la nouvelle de l’arrestation du pape. C’est bien ce qui était arrivé. Le plus souvent les populations des villes et surtout celles des petits bourgs et des campagnes n’avaient en aucune façon deviné quels personnages emportaient ainsi à fond de train ces mystérieuses voitures escortées par des gendarmes qui avaient si grand soin d’écarter tous les curieux. Depuis Poggibonzi jusqu’à la chartreuse de Florence, où Radet avait ordre de conduire le saint-père, il n’y avait plus moyen de dissimuler à la foule qui se pressait sur les routes quel était le prisonnier enfermé dans ce carrosse si bien clos et si attentivement gardé. Ces rassemblemens, qui étaient en certains endroits fort considérables, ne laissaient pas d’inquiéter un peu le général. La curiosité de voir le saint-père, le désir de lui donner des marques de dévouement et de respect, n’étaient pas en effet les seuls sentimens dont ils étaient animés. Quelques-uns semblaient des plus mal disposés pour l’escorte du saint-père. Radet s’en tira par ce qu’il nomme une ruse de son métier dont il se sait à lui-même infiniment de gré. « Je m’en débarrassais, écrit-il au ministre de la guerre, en leur criant de se mettre à genoux à droite et à gauche de la route, parce que le saint-père allait leur donner sa bénédiction; puis tout à coup j’ordonnais aux postillons de fouetter. Par ce moyen, les populations étaient encore à genoux que nous étions déjà bien loin et au galop; cela m’a réussi partout[69]. »

Le 8 juillet, le saint-père était rendu à la chartreuse de Florence si souffrant, si épuisé de fatigue, qu’à peine put-il lever la tête et prononcer quelques mots à peine entendus pour reconnaître les complimens et les offres de service que lui apportait un chambellan de la cour d’Élisa Bacciocchi, grande-duchesse de Toscane. Pie VII et le cardinal Pacca s’étaient attendus à faire quelque séjour à la chartreuse, où ils étaient arrivés à peu près à minuit. On le leur avait donné à entendre, et l’état de santé du pape réclamait du repos et beaucoup de ménagemens, car sa faiblesse et son accablement étaient extrêmes à la suite des trois nuits qu’il avait passées sans sommeil. Cependant, à trois heures du matin arriva un colonel expédié par la princesse Élisa et portant l’ordre de faire lever le pape et de le faire partir sur-le-champ. Pacca s’empressa de l’aller prévenir. Son visage était comme décomposé, dit-il, et tout son corps anéanti de douleur. « Je vois bien, dit-il, qu’ils veulent me faire mourir à force de mauvais traitemens, et pour peu que cela dure, je sens bien en effet que je succomberai bientôt. » Le saint-père se trompait en supposant d’aussi épouvantables desseins à ceux qui usaient de tant de rigueurs envers lui. La princesse Élisa en particulier n’était pas une personne cruelle; mais elle avait tout simplement peur de déplaire à son redoutable frère. Elle craignait d’assumer sur elle une responsabilité quelconque en gardant le pape dans ses états pendant si peu de jours que ce fût. Elle était pressée de s’en débarrasser et de passer à quelque autre une charge aussi lourde. C’est pourquoi elle avait décidé qu’il partirait pour Gênes, n’importe à quelle heure, n’importe dans quel état de santé. Gênes appartenait à la France; si le pape était malade, si le pape devait mourir, il était indifférent pour lui, il valait mieux pour elle, qu’il fût malade et qu’il mourût dans les états de son frère que dans les siens. Il fallait surtout éviter qu’il passât en plein jour à Florence, car, si les habitans de sa capitale lui faisaient trop bonne réception, elle en serait elle-même compromise, et voilà pourquoi, malgré ses peines, malgré ses souffrances, quoique ce fût dimanche et qu’il demandât instamment de pouvoir dire ou seulement entendre la messe, ce qui lui fut refusé à son grand désespoir, le pape, séparé du cardinal Pacca, dut se remettre en route sans savoir positivement quel était le lieu de sa destination. Le voyage de la chartreuse de Florence à Gênes dura trois jours. Le pape ne coucha qu’une nuit à Lerici, sans pouvoir y trouver grand repos. On le fit s’arrêter à quelque distance en avant de Gênes, dans une villa de belle apparence appartenant à la famille génoise des Spinola. Un instant le saint-père espéra qu’on l’y laisserait séjourner. Le bruit s’était même répandu dans la ville de Gênes que le pape y ferait son entrée le lendemain et serait logé chez le cardinal Spina. Le peuple de cette grande cité commerciale se préparait à lui faire une réception enthousiaste; mais ce bruit était une ruse. Les autorités françaises de Gênes, en annonçant aux Génois qu’ils verraient le lendemain le pape dans leurs murs, avaient voulu empêcher qu’ils ne se portassent à l’avance à la villa Castegna, où s’était arrêté Pie VII. A Gênes comme à Florence, il eût été trop dangereux de mettre ce pape souffrant et prisonnier en présence d’une grande population dont les sentimens très catholiques et fort peu français étaient alors trop avérés. A la tombée de la nuit, deux litières furent amenées à la villa Castegna, destinée l’une au saint-père, l’autre a son majordome, Mme Doria. Une nombreuse troupe armée les accompagnait. Ces litières emportèrent à la lueur des torches le saint-père et Mme Doria jusqu’au bord de la mer, où une grande chaloupe les attendait[70]. On traversa le golfe de Gênes pendant la nuit, à la rame, pour descendre à Saint-Pierre-d’Arena, évitant ainsi la traversée de la ville, et le saint-père, toujours de plus en plus souffrant et de plus en plus fatigué, fut conduit à Alexandrie. Là, il s’arrêta plusieurs jours dans la maison hospitalière d’une noble famille piémontaise, les Castellani, qui lui témoigna les plus grands égards. On attendait les ordres de Turin. A Turin, le prince Borghèse, pas plus que sa belle-sœur, la princesse Élisa, à Florence, n’avait reçu d’instructions de l’empereur. Il ne se souciait pas plus qu’elle de voir le saint-père traverser la ville où il résidait. Pie VII fut acheminé par Mondovi et Rivoli vers Grenoble.

Maintenant que non-seulement la nouvelle de l’arrestation du saint-père, mais aussi les détails de son enlèvement du palais Quirinal étaient connus des populations, il n’y avait plus moyen d’arrêter l’élan qui les portait à se présenter partout en masses sur son passage pour le saluer de leurs acclamations et lui demander à genoux sa bénédiction. L’escorte de gendarmes qui gardait Pie VII n’était pas, on le comprend, assez forte pour s’opposer, surtout pendant la traversée des petites villes, à de pareilles manifestations. Il lui fallait les subir avec patience et n’en paraître pas trop courroucée. À Mondovi, le clergé de la ville, toutes les congrégations religieuses, bannières en tête, s’étaient portées au devant du saint-père. On avait sonné les cloches à toute volée On eût dit un jour de fête, et cela y ressemblait en effet beaucoup. Rien de plus singulier que le spectacle de ce vieillard à la figure sereine et douce devant lequel des bourgades entières venaient se mettre à genoux, dont la voiture était suivie avec acclamations et transports par des bandes de femmes et d’enfans qui lui jetaient des chapelets et des fleurs à bénir. Pie VII avait commencé son voyage en martyr, il le finissait presqu’en triomphateur. Enfermé sous clé et gardé à vue, il avait l’air de protéger l’escorte dont il était accompagné. Chose singulière, dont l’entourage du saint-père ne pouvait revenir, et qui ne laissa pas d’étonner un peu le capitaine de gendarmerie qui depuis Florence remplaçait le général Radet, l’enthousiasme pour le saint-père s’accroissait à mesure qu’on approchait davantage de Grenoble. Ce qui avait été un incident à Mondovi, en Italie, était devenu coutume depuis que Pie VII avait passé la frontière de France. Voyant que les militaires qui entouraient le saint-père souffraient tout et ne s’opposaient à rien (comment l’auraient-ils pu faire ?), les naïves populations de la Savoie et du Dauphiné en vinrent sans doute à s’imaginer que les ovations qu’ils faisaient au saint-père étaient vues avec plaisir par le gouvernement. Dès lors ils ne les ménageaient plus. Ce n’était plus seulement à la traversée des villages, c’était tout le long de la route sur les pentes de leurs vertes collines que venaient se grouper les habitans des riches vallées qui environnent la ville de Grenoble. Ce fut au milieu d’une foule immense qui lui prodiguait les plus signalés témoignages de sympathie et de respect que Pie VII, réuni de nouveau au cardinal Pacca, fit son entrée dans cette ville le 21 juillet. À Grenoble, ce ne fut plus tout à fait la même chose. Le concours populaire était pareil, l’accueil aussi chaleureux de la part des classes inférieures : le peuple était à genoux quand le saint-père traversa la ville pour aller loger au palais de la préfecture; mais à Grenoble il y avait des autorités pour prendre les mesures ordonnées de Paris, il y avait aussi une garnison pour prêter main-forte aux mesures de l’autorité. On s’en aperçut en ce que les cloches ne furent pas mises en branle, et que le clergé fut invité à ne pas se rendre hors de la ville au-devant du saint-père. A Grenoble, le cardinal Pacca fut de nouveau séparé du pape. Toute communication fut interdite entre eux, et l’ancien secrétaire d’état demeura gardé à vue dans une maison particulière. Quant au saint-père, on le traita avec beaucoup d’égards. On lui offrit des voitures pour aller visiter les environs de la ville ; il les refusa, disant qu’il se considérait toujours comme prisonnier. Il accepta seulement de se promener dans le jardin de la préfecture. La foule, qui connaissait les heures de ses promenades, se pressait aux grilles du jardin pour voir Pie VII de plus près et solliciter sa bénédiction. On venait pour cela de très loin dans les campagnes. Jamais cette ardeur ne se ralentit. Le préfet de Grenoble était alors absent, à dessein peut-être. Les autorités de la ville étaient attentives pour Pie VII, très polies même, mais gênées et très fort sur leurs gardes; on eût dit qu’elles attendaient quelque chose pour prendre leur parti sur l’attitude qu’il convenait de garder avec le pape. Elles attendaient en effet les ordres de l’empereur.

Ces ordres étaient enfin arrivés; ils étaient adressés à Fouché, ministre de la police générale de l’empire. Ils étaient datés de Schœnbrunn 6 juillet, douze jours après la victoire de Wagram. L’empereur se trouvait avoir reçu à la fois non-seulement la nouvelle de l’arrestation du pape, mais aussi celle de l’effet que cette arrestation avait produit à Rome, à Florence, à Gênes et sur tout le chemin qu’avait parcouru le saint-père depuis qu’on l’avait enlevé violemment de son palais du Quirinal. Napoléon se sentit un peu embarrassé des instructions si positives qu’il avait envoyées au général Miollis et au roi Murat. Peut-être en avait-il oublié la teneur. L’exécution de ses ordres lui causait quelque ennui; il prit aussitôt le parti de les nier... « Je suis fâché, disait-il à Fouché, qu’on ait arrêté le pape, c’est une grande folie : il fallait arrêter le cardinal Pacca et laisser le pape tranquille à Rome; mais enfin il n’y a point de remède, ce qui est fait est fait. Je ne sais ce qu’aura fait le prince Borghèse; mais mon intention est que le pape n’entre pas en France. S’il est encore dans la rivière de Gênes, le meilleur endroit pour le placer serait Savone. Il y a là une grande maison où il serait assez convenablement, jusqu’à ce que l’on sache ce que cela doit devenir. Je ne m’oppose point, si sa démence est finie, à ce qu’il soit renvoyé à Rome. S’il était entré en France, faites-le rétrograder sur Savone et sur San-Remo ; faites surveiller sa correspondance. Quant à Pacca, faites-le enfermer à Fénestrelle, et faites-lui connaître que, s’il y a un Français assassiné par l’effet de ses instigations, il sera le premier qui paiera de sa tête[71]. »

Ainsi l’on s’était trompé du tout au tout sur les intentions de Napoléon. La princesse Élisa et le prince Borghèse, en se pressant si fort d’expédier le pape en France, au péril même de ses jours, avaient, par excès de zèle, agi à l’opposé de ce qu’aurait souhaité l’empereur. Maintenant Fouché connaissait ses volontés; il n’y avait plus qu’à les suivre et se dépêcher de faire rétrograder le saint-père jusqu’à Savone. Ainsi fut-il fait en toute hâte; mais quelques jours après ce n’était plus cela. L’empereur avait probablement reçu de nouvelles informations venues de Turin, de Mondovi, peut-être de Grenoble même. Il savait, à n’en plus douter, quelle prodigieuse secousse imprimait aux sentimens catholiques des provinces italiennes récemment annexées, — même à ceux de notre vieille France, — la vue d’un pape proscrit, errant par les chemins. Ce n’était pas là un spectacle bon à donner à ses sujets, il ne pouvait que nuire à sa popularité. L’empereur reprend donc la plume, et il assure de rechef le plus sage de ses conseillers, l’archi-chancelier Cambacérès, que tout cela s’est fait sans ses ordres et contre son gré[72]. A Fouché, il écrit : « J’aurais désiré qu’on n’eût arrêté à Rome que le cardinal Pacca. J’aurais désiré, puisqu’on n’a pas laissé le pape à Gênes, qu’on l’eût mené à Savone; mais, puisqu’il est à Grenoble, je serais fâché que vous l’eussiez fait partir pour le conduire à Savone. Il vaudrait mieux le garder à Grenoble, puisqu’il y est; cela aurait l’air de se jouer de ce vieillard... » Si l’empereur en est à regretter ce qui. s’est fait à l’égard de Pie VII, il garde entière son irritation contre son secrétaire d’état le cardinal Pacca, qui n’a jamais fait qu’exécuter ses ordres. « Quant au cardinal Pacca, je suppose que vous l’avez envoyé à Fénestrelle, et que vous avez défendu qu’il communiquât avec personne. Je fais une grande différence entre le pape et lui, d’abord à cause de ses qualités et de ses vertus morales. Le pape est un homme bon, mais ignorant et fanatisé. Le cardinal Pacca est un homme instruit et un coquin, ennemi de la France, qui ne mérite aucun ménage- ment... Bien entendu que, si déjà vous avez fait partir le pape pour Savone, il ne faut point le faire revenir[73]. » Le pape était effectivement rendu à Savone, et, comme malgré les précautions prises par les agens de Fouché ce second voyage à travers les populations très catholiques du midi de la France avait encore été une véritable ovation pour le saint-père, surtout lorsqu’il s’était arrêté à Avignon[74], le ministre de la police, maintenant instruit des dernières intentions de son maître, se garda bien de l’en faire de nouveau bouger. A une époque antérieure seulement de quelques semaines, l’empereur s’était déjà fort clairement exprimé avec son ministre de la police sur la manière dont il entendait qu’on se conduisît dans toutes les affaires qui concernaient le saint-père. « Je vois avec peine, lui avait-il écrit dès le 25 juin 1809, que vous vouliez faire des articles sur Rome. C’est une mauvaise route. Il ne faut en parler ni en bonne ni en mauvaise part, et il ne doit pas en être question dans les journaux. Les hommes instruits savent bien que je n’ai pas attaqué Rome. Les faux dévots, vous ne les changerez pas; partez de ce principe. Je suis même fâché que vous ayez laissé mettre le décret (celui du 17 mai) dans les gazettes avant qu’il n’ait été communiqué au sénat[75]. »

Ainsi il avait été parfaitement juste et opportun de confisquer les états du pape par un décret dans la rédaction duquel l’empereur, comme nous l’avons vu, avait déployé son meilleur style; il était excellent que ce décret eût reçu son exécution à Rome avec l’accompagnement des circonstances que nous avons racontées; mais ce qui aurait mis le comble à la perfection, c’est qu’on n’en sût pas la moindre chose en France. Il ne fallait pas que le pape restât à Rome, où sa présence avait été jugée si dangereuse que, malgré tant de dénégations, il avait donné l’ordre de l’y arrêter. En Toscane, c’était la sœur de l’empereur, en Piémont, c’était son beau-frère, qui avaient jugé le séjour même momentané de Pie VII si périlleux qu’ils n’avaient pu l’y souffrir un instant. En France, l’empereur n’en aurait pas voulu davantage. Encore fallait-il bien que le pape fût quelque part. D’accord; mais il fallait qu’il y fût aussi peu que possible, comme s’il n’y était pas, et surtout qu’en France on ne sût rien, absolument rien, ou, si l’on savait quelque chose, qu’à tout le moins on n’en soufflât pas mot. Voilà quel était l’idéal de l’empereur et, ne craignons pas de l’avouer, ce qu’en partie et pour un certain temps il obtint à peu près complètement. A la longue pourtant, le silence deviendrait impossible à garder; il faudrait soi-même parler. Restait alors la ressource du mensonge. Nous avons raconté cet épisode de l’enlèvement de Pie VII d’après des matériaux authentiques et incontestables; nous nous flattons, — du moins l’avons-nous essayé, — de n’avoir rien exagéré, et, si le tableau que nous avons fait des procédés de l’empereur Napoléon inspire quelque répulsion, ce n’est pas que nous en ayons forcé à dessein les couleurs ; nous les avons plutôt adoucies. Cependant, notre tâche finie, il nous a paru curieux de rechercher comment, faisant rendre compte aux évêques du concile national de 1811 de ce qui s’était passé entre le pape et lui, l’empereur avait voulu qu’on leur parlât de l’enlèvement du pape à Rome. Nous avons sous les yeux l’exemplaire manuscrit d’un mémoire demandé par l’empereur au directeur des archives impériales en 1811, M. Daunou. Les matériaux de ce mémoire, les mêmes sur lesquels nous travaillons en ce moment, avaient été officiellement communiqués au directeur des archives impériales par le ministre des cultes de l’empire. Ce travail, plusieurs fois remanié et biffé, contient un récit historique très détaillé et très bien fait, au point de vue du gouvernement français, de tous les différends survenus entre l’empereur et Pie VII. Voici textuellement ce que nous y lisons, écrit avec force ratures de la main de M. Daunou, à propos de l’enlèvement du saint-père au Quirinal : « Le pape avait tout fait pour que sa présence à Rome devînt inutile, et quelques-uns de ses partisans pouvaient, malgré lui, la rendre dangereuse. Il en sortit le 6 juillet, à l’insu de L4empereur, et vint à Savone, où sa majesté le fit recevoir, traiter, établir avec tous les égards dus au malheur. »

Certes il est triste d’avoir à raconter, comme nous avons dû le faire dans cette étude, les violences mêlées de ruses employées par un souverain tout-puissant contre un adversaire aussi faible. Peut-être est-il plus pénible encore de le surprendre, après avoir trompé tout le monde, s’efforçant de tromper son propre peuple, et à cet effet empruntant la plume exercée, mais trop serviable d’un habile écrivain et d’un ancien opposant, pour mentir aussi étrangement à la France et à l’histoire.


O. D’HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1867.
  2. Lettre de M. de Champagny au cardinal de Bayanne, 3 février 1808.
  3. Notification et protestation du pape Pie VII, affichée sur les murs de Rome, 2 février 1808.
  4. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 55.
  5. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. 1er, p. 54.
  6. Circulaire du cardinal Casoni aux ministres étrangers près le saint-siège.
  7. « Humble et doux par caractère et par principes, pour vous prouver sa modération dans la douleur que lui causent d’aussi rudes traitemens, le saint-père a chargé le soussigné de répondre que demain à midi il recevra le général Miollis accompagné de votre excellence. » (Le cardinal Casoni à M. Alquier, 2 février 1808.)
  8. Lettre de l’empereur à M. de Champagny, 22 juillet 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 264.
  9. Note de M. Alquier à M. le cardinal Casoni, 4 février 1808.
  10. Lettre du cardinal secrétaire d’état Casoni à M. Alquier, 6 février 1808.
  11. Lettre du pape aux cardinaux Ruffo-Scilla, Pignatelli, Saluzzo, Caracciolo, Caraffa et Trajetto, 18 février 1808.
  12. Lettre du chevalier de Vargas, ambassadeur d’Espagne, au général Miollis, 26 février 1808.
  13. Lettre de l’empereur à M. de Champagny, 22 janvier 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 264.
  14. Lettre de l’empereur au prince Eugène, 10 mars 1808. — Correspondance de Napoléon Ier , t, XVI, p. 498.
  15. Ordre du jour du général Miollis. Au quartier-général de Rome, le 27 mars 1808.
  16. Lettre de l’empereur au cardinal Fesch, 16 mai 1806.
  17. Extrait d’une lettre de M. Alquier du 14 février 1808.
  18. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 56.
  19. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Doria, 16 février 1808.
  20. Bref du pape Pie VII au cardinal-légat Caprara, 3 mars 1808.
  21. Allocution pontificale de Pie VII au consistoire des cardinaux tenu le 10 mars 1808.
  22. Lettre de l’empereur au roi Louis de Hollande, 27 mars 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. Ier, p. 500. (D’après l’original communiqué par l’empereur Napoléon III.)
  23. Lettre de l’empereur à M. de Champagny, 2 avril 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 468. — Note de M. de Champagny au cardinal Caprara, 3 avril 1808.
  24. Décret impérial du 2 avril 1808.
  25. Lettre du cardinal Gabrielli au général Miollis, 7 avril 1808.
  26. Lettre du cardinal Gabrielli au général Miollis, 22 avril 1808.
  27. Lettre à M. le chevalier Alberti, chargé d’affaires du royaume d’Italie, 19 mai 1808. — Circulaire aux ministres étrangers près la cour de Rome, 19 mai 1808. — Lettre aux cardinaux, 19 mai 1808.
  28. Lettre du pape Pie VII aux évêques des provinces réunies au royaume d’Italie.
  29. Instruction envoyée par ordre de Pie VII aux évêques des provinces italiennes annexées, 22 mai 1808.
  30. Lettre de M. le chevalier Louis de Lebzeltern au comte Stadion, citée par M. Artaud, Vie de Pie VII, t. II, p. 190
  31. Lettre du secrétaire d’état cardinal Gabrielli au général Miollis, 12 juin 1808. — Lettre du même aux ministres étrangers accrédités près la cour de Rome, 17 juin 1808.
  32. Lettre de l’empereur Napoléon au prince Eugène, vice-roi d’Italie, 2 avril 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVI, p. 469.
  33. Lettre de l’empereur Napoléon au vice-roi d’Italie, Bayonne, 17 juillet 1808. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVII, p. 402.
  34. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier , p. 78.
  35. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 53.
  36. Allocution du pape Pie VII aux cardinaux réunis dans le consistoire secret du 11 juillet 1808.
  37. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 86.
  38. Message au sénat du 4 septembre 1808.
  39. Lettre de l’empereur à Joachim Murat, roi des Deux-Siciles, 27 novembre 1808. — Correspondance de Napoléon Ier , t. XVIII, p. 85.
  40. Circulaire aux évêques d’Italie, 16 décembre 1808.
  41. Lettre de l’empereur au comte de Champagny, 1er janvier 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, , t. XVIII, p. 165.
  42. Lettre de l’empereur Napoléon au vice-roi d’Italie, 3 mars 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XVIII, p. 303.
  43. Note pour M. le comte de Champagny, ministre des relations extérieures, 17 mai 1809. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XIX, p. 13.
  44. Lettre de Joachim Murat, roi de Naples, à l’empereur Napoléon, 15 avril 1809. — Dépôt du ministère de la guerre.
  45. Lettre du roi Joachim Murat à l’empereur, 17 mai 1809. — Dépôt du ministère de la guerre.
  46. Lettre de l’empereur au roi de Naples, Schœnbrunn 17 mai 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 20.
  47. Lettre du roi Murat à l’empereur Napoléon, 30 mai 1809. — Il y a ici, soit dans la Correspondance de Napoléon Ier imprimée par le gouvernement, soit dans les lettres originales de Murat, que nous avons consultées au département de la guerre, quelques erreurs de dates d’ailleurs insignifiantes. Dans la correspondance imprimée, la lettre de l’empereur est datée du 17, non du 18, comme le dit le roi Murat, et l’on y lit que l’occupation de Rome doit être gardée secrète jusqu’au 1er juin et non pas jusqu’au 5. Faut-il supposer qu’une lettre datée du 18 a été omise dans la correspondance imprimée; nous ne le croyons pas. Il s’agit probablement d’une simple erreur commise à l’imprimerie impériale par suite de l’indéchiffrable écriture de l’empereur. En réalité, la prise de possession de Rome n’a d’ailleurs eu lieu que le 10 juin.
  48. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier , p. 111. — Les bulles d’excommunication, comme toutes les pièces émanant du saint-père en matière ecclésiastique, sont toujours écrites en latin.
  49. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. 1er, p. 112.
  50. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier , p. 113.
  51. Lettre de l’empereur au général Miollis, 19 juin 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 137.
  52. L’empereur Napoléon au roi Joachim Murat ; 19 juin 1809. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XIX, p. 138.
  53. Lettre du général baron Radet à sa sainteté le pape Pie VII, citée par le cardinal Pacca. — Œuvres complètes, t. P% p. 229.
  54. « Le pape fut gardé autour du Quirinal. Il voulait sortir le jour de saint Pierre, le crucifix à la main, et lancer la grande excommunication par laquelle il déclarait retirer à l’empereur Napoléon la couronne qu’il prétend lui avoir donnée et relever tous ses sujets de l’Italie du serment de fidélité qu’ils lui ont prêté; mais, logé près le Quirinal, au palais Ruspigliosi, je doublai la garde et ma surveillance, et j’achetai des intelligences dans le Quirinal. Je l’aurais fait rentrer d’autorité, s’il fût sorti, et empêché de fulminer de ses fenêtres et de sonner le tocsin. J’étais maître du clocher et en possession de la corde de la cloche du Quirinal, et il ne sortit pas. » — Le général Radet au ministre de la guerre, le 13 juillet 1809.
  55. Lettre du général baron Radet au ministre de la guerre, 13 juillet 1809.
  56. Le général Radet, relation de septembre 1814.
  57. Relation du général Radet, septembre 1814.
  58. Ibid.
  59. Ibid.
  60. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 117.
  61. Relazione dell’ assallo dato li 6 jiuglio 1809 alpalazzo Quirinale et del rapimento del sovrano pontifice papa Pio VII. — Manuscrit italien, British Museum, n° 8,387.
  62. Relation manuscrite italienne.
  63. Le général Radet, relation de septembre 1814.
  64. Relation manuscrite italienne.
  65. Relation italienne manuscrite du British Museum, n° 8,387.
  66. Relation du général Radet, septembre 1814.
  67. Ibid.
  68. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 122.
  69. Le général Radet au ministre de la guerre, 13 juillet 1809.
  70. Relation manuscrite en italien du premier valet de chambre de sa sainteté. — British Museum, n° 8,389.
  71. Lettre de l’empereur à Fouché, 18 juillet 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 265.
  72. Lettre de l’empereur au prince Cambacerès, archi-chancelier de l’empire, 23 juillet 1809.
  73. Lettre de l’empereur à Fouché, ministre de la police générale, 6 août 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 309.
  74. Relation manuscrite du valet de chambre de Pie VII.
  75. Lettre de l’empereur à Fouché, 27 juin 1809. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 183.